Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA VEUVE

ou

LE DON SANS RÉSERVE

Jésus s'étant assis en face du trésor du temple regardait comment la foule jetait de la monnaie dans le trésor, et plusieurs riches en jetaient beaucoup; et une veuve pauvre étant venue, jeta deux pites, ce qui fait un quadrant. Et, ayant appelé à lui ses disciples, il leur dit : En vérité, je vous déclare que cette veuve pauvre a jeté plus que tous ceux qui jetaient dans le trésor; car tous ont jeté de leur superflu, tandis que cette femme a jeté, de son dénuement, tout ce qu'elle avait, toute sa subsistance.
(MARC XII, 41-44.)
C'était un grand spectacle, mes frères, que celui que présentait le temple de Jérusalem, lorsqu'à l'issue du service divin la foule descendait la colline de Sion pour regagner la ville sainte. Les chants avaient cessé dans le sanctuaire; les flots pressés des fidèles remplissaient les portiques. Nul, à cette époque, n'aurait voulu manquer aux assemblées solennelles; car le temple, pour les Juifs d'alors, ce n'était pas seulement un édifice religieux, c'était le refuge de leurs souvenirs nationaux, de leur gloire passée et de leurs espérances; c'était le seul lieu de la terre de Judée que le pied brutal du conquérant eût encore respecté. Lorsque les lévites entonnaient les psaumes et que des milliers de voix leur répondaient, une émotion puissante s'emparait de ce peuple indomptable frémissant sous le joug de l'étranger; il songeait avec des tressaillements intérieurs au jour prochain de la délivrance où s'accompliraient toutes les promesses des prophètes, où Jérusalem serait plus brillante, plus honorée qu'au temps de David et de Salomon, où, des îles les plus éloignées, les nations viendraient apporter leur tribut au, temple de l'Eternel. Aussi lorsque le Juif passait devant le tronc des offrandes qui devaient servir à l'entretien du sanctuaire et du culte national, il y déposait ses dons avec un secret orgueil, et, tout rempli de ses charnelles espérances, il regagnait sa demeure le front levé, le coeur satisfait.

C'était donc un jour semblable; la foule descendait les degrés du temple; au premier rang, on distinguait les pharisiens à leur austère expression, à leur religieuse attitude. Les riches passaient suivis de leurs nombreux esclaves, et, puisant l'argent ou l'or dans leurs bourses, ils le laissaient tomber avec ostentation sous les regards admirateurs de la multitude Tout à coup voici venir, au milieu de la foule, une pauvre femme à la démarche modeste et tranquille. Qui était-elle ? Nous ne savons rien sur son passé. Elle était veuve, c'est-à-dire que son coeur avait été brisé dans ses affections les plus tendres, c'est-à-dire que la vie s'ouvrait devant elle solitaire et dépouillée, et, tandis qu'elle voyait passer à ses côtés des êtres qui s'aimaient, tandis qu'une mère heureuse et souriante conduisait ses enfants qu'elle consacrait au Seigneur, et que d'autres regagnaient joyeuses leurs demeures où tant de bonheur les attendait, elle marchait lentement, car elle savait que nul ne l'accueillerait à son foyer, que nulle voix aimante ne la saluerait à son retour... Elle était veuve et elle était pauvre...

Pauvre! c'est-à-dire doublement veuve... Car les consolations et la sympathie, qui montent volontiers vers les douleurs qu'un rang distingué met en évidence, s'abaissent rarement vers celles qui en auraient le plus besoin. Elle était veuve et elle était pauvre..., c'est-à-dire que pour elle l'existence se présentait désormais comme une lutte sans trêve contre la misère, lutte difficile et douloureuse, avec' la menace incessante de la maladie sans ressource et la sombre perspective d'une mort solitaire.

Et cependant, vous qui la plaignez, cette pauvre femme, vous ne savez pas voir, sous ses vêtements de deuil, la joie intime dont son coeur est rempli. C'est qu'elle a trouvé Dieu dans son temple. Pendant que tant d'autres y sont venus satisfaits de leur culte formaliste, ou l'imagination remplie de leurs rêves de gloire nationale, pendant que les sacrificateurs eux-mêmes ne songent qu'à exalter Israël, et prêtent au Dieu qu'ils servent leurs idées étroites, orgueilleuses et grossières, elle a saisi par le coeur ce qu'ignorent les prêtres assis dans la chaire de Moïse : l'amour et la compassion de Dieu. Elle a vu dans l'Ecriture que l'Eternel a promis aux malheureux comme elle une tendresse de prédilection; elle s'est sentie attirée vers lui par une profonde gratitude; des liens se sont formés entre elle et son Père céleste, et, ce qui lui manque du côté de la terre, elle l'a retrouvé du côté du ciel; aussi lorsque les chants des lévites ont exalté la gloire du Dieu d'Israël, avec quelle ferveur elle s'y est associée ! Comme elles lui ont apparu consolantes ces paroles du psaume : « L'Eternel fait droit à ceux à qui l'on fait tort; il donne du pain à ceux qui ont faim; il relève ceux qui sont abattus; l'Eternel garde les petits, il soutient l'orphelin et la veuve. » Tout cela, elle l'a compris, elle l'a cru; du fond de son coeur brisé ces magnifiques paroles sont montées à ses lèvres comme le langage naturel de sa reconnaissance, et c'est elle, la pauvre déshéritée, elle que tous plaindraient, c'est elle qui, dans cette assemblée, a su le mieux peut-être proclamer la bonté de l'Eternel.

Mais, cette reconnaissance qui remplit son âme, elle voudrait l'exprimer par un acte; elle a chanté les louanges de Dieu, elle lui a rendu son culte, mais cela ne lui suffit pas. Elle voudrait, elle aussi, apporter son offrande au sanctuaire et contribuer pour sa part à l'édification du temple de Dieu. Comment le fera-t-elle, Hélas! elle est si pauvre qu'elle ne possède qu'un denier. Or, quelle est la valeur de cette somme imperceptible quand il s'agit de l'entretien de cet édifice immense et de ce culte magnifique? Avec un denier on ne peut ni remplacer une pierre usée ni acheter un peu d'encens ou même une tourterelle pour le sacrifice. Et pourtant ce denier pourrait procurer à cette pauvre veuve un peu d'huile ou de pain;- il suffirait à entretenir pendant un ou deux jours son existence. Elle en aurait besoin, car quoi de plus incertain que sa position, quoi de plus précaire que ses ressources ? A supposer même qu'elle pût, avec cette insignifiante offrande, contribuer à l'embellissement du sanctuaire, serait-ce à elle de le faire? N'y en a-t-il pas d'autres qui le peuvent mieux qu'elle ? Pauvre comme elle est, peut-elle se priver de tout ce qui lui reste? Toutes ces pensées, mes frères, ont peut-être traversé le coeur de la veuve, mais elle ne s'y arrête pas; recueillie, inaperçue, elle laisse tomber dans le tronc sa chétive obole, et s'en va, heureuse de son sacrifice, retrouver sa demeure où l'attend l'indigence.

Pauvre femme !... qui donc l'a vue dans la foule? Qui parmi ces grands et ces riches, qui parmi ces prêtres et ces pharisiens, a même pris garde à elle? Hélas! le monde l'oublie comme il oublie tant de dévouements silencieux et de sacrifices inconnus qui sont après tout ce qu'il y a de plus grand et de meilleur ici-bas. Mais il en est un qui l'a vue et dont le regard la suit avec une tendre sympathie. C'est celui qui s'appelle la Vérité, c'est le Fils éternel de Dieu; lui aussi est méconnu par cette foule qui n'a d'admiration que pour les grandeurs visibles et bruyantes. Ah! va en paix, pauvre femme! il t'a vue ... Il t'a vue, et ce regard suffit pour que ton action silencieuse soit transmise à tous les âges à venir, lorsqu'il ne restera pas une pierre de Jérusalem et de son temple superbe. Il t'a vue, il t'a bénie. Va en paix, tu ne le rencontreras peut-être plus jamais sur la terre, mais un jour, quand tu auras achevé ton humble carrière, il viendra te recevoir dans les tabernacles éternels !

Essayons maintenant avec l'aide de Dieu, mes frères, de recueillir l'enseignement qui ressort de ce touchant récit.

A la sortie du temple, il y avait le tronc d'offrandes. Une idée profonde est cachée dans ce simple détail. Cette idée, la voici:

Tout culte sincère doit aboutir au sacrifice. Vous devez venir dans le sanctuaire adorer Dieu. Vous devez vous unir par la pensée aux célestes intelligences qui entourent son trône, et proclamer avec elles sa grandeur et sa sainteté. C'est là votre service raisonnable, c'est là votre vocation ; c'est ainsi que vous sanctifierez vos lèvres si souvent profanées par des paroles légères, frivoles ou méchantes. -Vous devez vous humilier devant Celui dont les yeux sont trop purs pour voir le mal; vous devez lui ouvrir votre coeur, lui raconter vos transgressions connues et vos péchés secrets, le supplier de dissiper votre légèreté naturelle, et de vous faire sentir tellement votre misère que vous lui apportiez un coeur brisé, car c'est là ce qu'il demande. Vous devez contempler le salut que Dieu vous a préparé, adorer le Sauveur qu'il vous a envoyé, vous réjouir dans la pensée de ses miséricordes, et chanter à sa gloire l'hymne de votre reconnaissance. Tel est le culte que Dieu nous demande, tel est l'encens qui lui est agréable; mais si, au sortir de cette adoration, de cette humiliation, de ces actions de grâce, vous étiez satisfait, si vous pensiez avoir offert à Dieu un culte suffisant, si ces ravissements intérieurs, ces larmes, ces prières, si tout cela n'aboutissait pas au sacrifice, ah! mes frères, votre culte serait vain, et Dieu le repousserait.

Au reste, cette pensée est écrite en caractères si profonds dans la conscience de l'homme que toutes les religions l'ont proclamée. Partout, à côté du sanctuaire, vous trouvez l'autel, soit que cet autel consiste en un monument de marbre et d'or admirablement sculpté par l'art antique, soit qu'il se compose de deux ou trois pierres que le sauvage, obéissant à un irrésistible instinct, élève dans le désert pour y offrir son oblation sanglante. Et qu'est-ce que l'autel, si ce n'est le lieu du sacrifice' ? Le sacrifice, voilà donc le centre de toute religion sérieuse, et quand il s'est agi de satisfaire la loi intérieure qui l'y pousse, vous savez que l'homme n'a reculé devant rien; il a offert à ses dieux ce qu'il avait de plus cher, jusqu'à ses enfants, jusqu'à lui-même. Les raisonnements n'ont pu lutter contre ce profond instinct. Voilà ce qu'ont si bien compris tant de peuples sur lesquels nous laissons tomber le nom dédaigneux de païens. Pour moi, quand je vois ces flots de sang qui partout se mêlent à la prière, je suis effrayé de ce spectacle; mais, jusque dans ces affreux égarements, je reconnais la voix de la conscience attestant la nécessité du sacrifice; par ces immolations qui nous épouvantent, l'homme proclame qu'il se doit à Dieu.

Eh bien! cette loi du sacrifice, qui jamais ne s'est effacée dans la conscience humaine, le christianisme l'affirme avec une incomparable puissance. Qu'est-ce que la croix, si ce n'est le plus grand des sacrifices? Qu'y voyons-nous, si ce n'est le don le plus complet qu'un être ait fait de sa vie et de son sang pour la gloire de Dieu et le salut de ses frères? Que vous dit ce spectacle, si ce n'est que vous vous devez à Dieu tout entiers, et que si la religion n'est pas le don de soi-même, elle n'a plus aucun sens ? Ainsi l'ont compris les saint Paul, les saint Pierre et les saint Jean, lorsqu'à chaque page de leurs épîtres ils nous rappellent que nous ne sommes plus à nous-mêmes, mais que nous appartenons à Celui qui nous a sauvés; que nous devons nous offrir à lui en sacrifice vivant, saint et agréable; oui, le don de soi-même, voilà le vrai sacrifice, le seul que Dieu agrée et qui le satisfasse.

Mais quelque claire que soit cette vérité, nous trouvons toujours le moyen d'y échapper, mes frères; certes la foule est grande de ceux qui montent au temple pour adorer et bénir, mais combien de ces adorateurs n'offrent à Dieu que leur superflu, et s'en vont heureux et satisfaits d'eux-mêmes ! Or, Dieu, mes frères, ne se contente pas du superflu, il veut un don sans réserve, et c'est là ce que Jésus nous enseigne avec tant d'autorité par l'exemple de la pauvre veuve.

Mais, ici, je dois prévenir un doute qui s'élève sûrement dans votre pensée, et qui détruirait d'avance tout ce qui me reste à vous dire.

« Quoi! nous dit-on, vous prétendez que l'homme doit donner à Dieu, non pas son superflu seulement, mais son nécessaire! Vous auriez voulu que ces riches qui précédaient la veuve missent dans le trésor du temple leur fortune tout entière! C'était là, selon vous, le seul moyen pour eux de plaire au Seigneur. Mais alors que deviendrait la société si chacun devait, pour être agréable à Dieu, se dépouiller de tout ce qu'il possède ? Ne serait-ce pas l'indigence en permanence, c'est-à-dire une chose immorale, impossible? »

C'est ainsi que l'incrédulité contemporaine a interprété les paroles du Sauveur. Elle en a outré le sens, afin de l'affaiblir. Elle n'a vu dans ces paroles que l'expression d'une charité surhumaine et chimérique. Moyen par trop commode de se débarrasser de l'enseignement de Jésus-Christ! On le défigure, on lui prête une signification exorbitante, afin de s'en délivrer comme du rêve enthousiaste d'une âme généreuse.

Est-il donc vrai que Jésus ait voulu nous engager, par cet exemple, à vivre dans une indigence absolue', Est-il vrai qu'il ait voulu nous enseigner que nul ne pouvait garder son nécessaire en étant agréable à Dieu? Ah! que ceux qui le prétendent comprennent peu la nature de l'enseignement du Christ, le plus spirituel des enseignements que la terre ait jamais entendus! Eh quoi! Jésus aurait rêvé une révolution sociale! L'idéal, à ses yeux, aurait été la pauvreté, que dis-je! la misère sans ressources érigée en système! Mais alors, si telle était sa pensée, il ne faut plus parler de la grandeur de ses vues, ni même de sa pénétration d'esprit; son royaume n'était qu'une entreprise insensée. Ah! je sais bien que le Christ a dit à ses premiers disciples de quitter tous leurs biens pour le suivre. Cela devait être. Leur mission les y obligeait. Il fallait à cette oeuvre immense des hommes dégagés de tous les liens de la chair et de la fortune. Mais, cette règle, quand Jésus l'a-t-il rendue universelle ? Quand en a-t-il fait pour tous une condition du salut? Ce qu'il prêche à tous, c'est bien autre chose, c'est le dépouillement intérieur, spirituel, la pauvreté selon l'esprit que le riche peut connaître tout aussi bien que l'indigent. Et, dans l'exemple même de la pauvre veuve, ce que Jésus veut nous enseigner, c'est que Dieu regarde au coeur et non pas à l'offrande. Pourquoi ce denier de la veuve a-t-il, aux yeux de Jésus, une si grande valeur ? Parce que cette offrande, si minime qu'elle soit, est le signe d'un sacrifice intérieur, entier, sans réserve. Elle s'est donnée à Dieu, cette pauvre femme. Voilà ce qui rend son offrande plus précieuse que tous les trésors des pharisiens, que toutes les splendeurs du temple, Les autres, au contraire, n'ont fait, en donnant leur superflu, qu'échapper au sacrifice complet qu'elle a offert avec tant d'amour. Il ne s'agit donc pas de donner votre fortune, votre nécessaire à telle ou telle oeuvre divine; il s'agit de savoir, en prenant l'esprit même de mon texte, si comme la pauvre veuve, vous vous êtes donnés à Dieu tout entiers, ou si vous ne lui avez donné en toute chose que votre superflu. Tel est l'enseignement du Maître, telle est la question que je demande à Dieu de faire pénétrer aujourd'hui jusqu'au fond de vos consciences.

Donner à Dieu son superflu! Donner son superflu à Celui auquel on doit tout! ... Savez-vous qui peut faire ce raisonnement, ce calcul? C'est l'homme qui ne croit pas. Dieu, la vie future, le ciel, la perdition, ce ne sont pas pour lui des réalités. Il n'y croit pas et cependant il n'est pas tranquille, car il voit toujours se dresser devant lui un peut-être qui suffit à troubler sa paix. Quoi qu'il fasse, cette incertitude l'inquiète; il s'est trompé souvent, trompé dans les choses visibles et palpables, ne pourrait-il pas se tromper dans les choses invisibles? N'y a-t-il pas un mystère dans la mort? Est-ce là que finiront ses destinées? Sous l'empire de ces pensées je comprends que cet homme se dise : a Il est vrai que je ne crois point en Dieu, ni à un avenir éternel; mais, enfin, il se pourrait que je m'égare. Sauvons donc une planche pour le naufrage. Gardons une ressource suprême. Donnons à la vie présente, à mes intérêts présents, à mon bonheur présent, tout ce que ces intérêts, ce bonheur et cette vie réclament. Nous donnerons à Dieu le superflu. S'il nous reste quelque temps, quelque argent, quelque force, nous les consacrerons à Dieu, ce sera là notre refuge. » Eh bien! ce calcul de prudent égoïsme, je le comprends chez un incrédule, mais, chez un chrétien, je ne le comprends pas.

Essayons, en effet, mes frères, d'exprimer les sentiments d'un chrétien qui, refusant à Dieu le sacrifice complet que Dieu lui demande, ne consent à lui donner que son superflu. Ecoutons-le parler et porter malgré lui témoignage contre lui-même:

«Je crois en Dieu, nous dirait-il, c'est-à-dire que je reconnais que tout ce que j'ai, je le tiens de Dieu; nia vie, ma santé, mes facultés, mon intelligence, mon coeur, tout cela me vient de lui. Ces affections qui réjouissent mon existence, ces êtres chéris, ces enfants dans lesquels je sens recommencer ma vie, c'est lui qui me les a donnés. Non-seulement il me les a donnés, mais il me les a rendus. Ces biens ont semblé m'échapper un jour; j'ai entrevu la sombre perspective de la détresse; cette santé a semblé disparaître, j'ai vu la maladie et peut-être la mort me tenir dans sa main. Ces êtres bien-aimés qui font ma joie, je les ai vus dépérir, déjà je les considérais comme perdus; mais, dans son amour extrême, Dieu les a rappelés à la vie; ces visages aimés m'environnent encore. Cette force évanouie, je l'ai retrouvée; ce pain quotidien ne m'a pourtant jamais manqué, et tout cela, c'est Dieu qui l'a fait.

« Mais au-dessus de ces dons il en est un autre infiniment supérieur et bien plus merveilleux. Je m'étais éloigné de Dieu, je vivais pour le monde et pour moi-même; j'avais violé la loi divine, j'avais attiré sur moi une juste condamnation. J'avais fui la maison de mon père, et je me plaisais dans le péché. Alors Dieu qui ne voulait pas ma mort, mais ma vie, m'a envoyé non pas seulement ses prophètes, non pas seulement ses apôtres, mais son Fils unique et bien-aimé. Jésus-Christ est venu me chercher et me sauver. Pour m'arracher à la mort éternelle, il s'est livré lui-même au plus douloureux des sacrifices. Toutes mes misères, il les a connues; tous mes péchés, il les a pris sur lui.

Cet abandon de Dieu que j'avais encouru, lui le Saint et le Juste, il a voulu le connaître; tout ce qu'on peut offrir à Dieu, il l'a offert, et quand j'épuiserais le langage des hommes et des anges, je ne trouverais pas d'expression pour dire les profondeurs de sa miséricorde. Tout cela, Dieu l'a fait pour moi qui l'avais fui; et, maintenant, pour lui prouver ma reconnaissance, voici ce que je vais faire.... Dans tout ce que je possède, dans ma fortune, dans mes affections, dans ma vie, je ferai deux parts. -La plus grande, la meilleure, je la garderai pour moi-même, et s'il reste après cela quelque chose, eh bien! ... ce sera la part de mon Dieu. »

Ce langage vous révolte, mes frères. Je le crois bien; l'âme a sa pudeur qui ne lui permet pas, sans rougir de honte, de contempler le mal en face. Mais l'art suprême du séducteur de nos âmes, c'est de dissimuler son jeu. Je ne sache assurément personne qui voudrait tenir le langage que je viens de rapporter, mais que sera-ce, si, n'osant le tenir, nous osons le réaliser dans nos vies ? Oh ! misère de nos coeurs! Ce que nous rougissons de dire, nous ne rougissons pas de le pratiquer. Ce langage qui nous révolte, ne fait, après tout, qu'exprimer nettement la manière d'agir du plus grand nombre, parmi ceux-là même qui parlent sans cesse de l'amour de Dieu, et qui ont toute l'apparence de la piété. Une supposition va vous montrer si je me trompe :

Dans le récit de notre texte, Jésus-Christ s'assied pour voir ce que chacun met dans le tronc des offrandes, et, parmi tous ceux qui ne donnent à Dieu que leur superflu, il aperçoit une seule femme qui lui donne tout ce qu'elle possède. Je suppose qu'aujourd'hui, à la porte même de ce temple, Jésus nous voie, à notre tour, passer devant lui. Essayons de nous représenter le tableau qui viendrait frapper ses regards.

Voici d'abord un jeune homme qui passe heureux et confiant. Il est fort, et la vie s'ouvre devant lui comme un champ pour de nobles luttes. C'est, si vous le voulez, une nature généreuse, qui se rêve ici-bas une grande carrière. Il me semble que je lis dans son coeur, et que j'y découvre tous ses plans d'avenir. Il se sent fait pour un rôle élevé, il aime les arts et les nobles recherches de la science, il espère qu'un jour un peu de gloire entourera son nom. Peut-être ne porte-t-il pas si loin ses voeux; il les borne à améliorer sa position, à atteindre une place avantageuse qui lui permette de réaliser les voeux de son coeur. La carrière est difficile, de nombreux rivaux l'entourent, le temps presse; il faut marcher, marcher toujours. Voilà pour lui le but de la vie, voilà pour lui l'essentiel. Or, dans tout ceci, je vois bien la part de l'homme, mais je cherche en vain la part de Dieu. Je l'interroge, il me répond que cette part, il la tient en réserve, qu'il espère bien la lui offrir. Ces travaux, ces succès, cette fortune, cette gloire qu'il se rêve, il espère bien un jour en faire profiter Dieu... Ah! passez, mon jeune frère, passez avec votre offrande, car vous n'avez réservé à Dieu que votre superflu ! Votre coeur, votre vie, c'est pour vous que vous les avez gardés.

Voici venir une jeune fille, elle s'avance à son tour le coeur plein de confiance, car l'avenir est pour elle rempli de mystérieuses promesses. Qui nous dira les rêves sans' nombre où s'égare sa pensée? Elle se voit heureuse, admirée, enviée; elle se fait une existence selon ses goûts et les désirs de son coeur. C'est aussi peut-être une âme généreuse, que ne pourraient pas satisfaire les soins de la toilette et les futilités mondaines. Mais, quelque élevés que soient ses goûts, c'est bien à elle-même qu'elle veut rapporter sa vie. Et pourtant elle croit, sa conscience a parlé; elle sent qu'elle doit faire à Dieu une part dans sa vie.

Cette part, elle la tient en réserve. Oui, en réserve. Quand son coeur aura goûté toutes les joies qu'elle rêve, quand elle aura bu à toutes ces coupes, quand elle aura connu tout ce qu'elle veut connaître, alors elle ira se réfugier en Dieu. - Ah! passez, ma jeune soeur, passez avec votre offrande, passez au milieu des sourires approbateurs du monde. Il en est un dont le regard vous suit avec tristesse, c'est Celui qui est assis à la porte du temple : il attendait votre coeur, et vous ne lui avez donné que votre superflu.

Voici venir un homme d'affaires. Dieu a béni ses entreprises; elles ont prospéré. Sa fortune est considérable; il s'avance à son tour fort et confiant dans ses ressources et dans sa volonté. Oh! s'il se donnait à Dieu, que de bien il pourrait faire! Que d'oeuvres excellentes il pourrait soutenir; que de malheureux il pourrait relever de leur abjection, que de jeunes intelligences il pourrait arracher à la corruption morale, et préparer ainsi pour le royaume des cieux! Le fera-t-il? Il croit en Dieu, il sait que Dieu réclame sa part dans sa vie; mais cette part, il la réserve. Plus tard, dit-il, plus tard, quand j'aurai agrandi ma fortune, quand j'exercerai plus d'influence, quand je verrai derrière moi ces rivaux qui m'entourent; alors je pourrai consacrer à Dieu une dîme abondante. - Ah! vous aussi, passez, mon frère, passez avec votre offrande! Dieu vous demandait le don de votre vie, vous ne lui avez donné que votre superflu.

Mais voici un vieillard qui n'a plus que quelques années, peut-être que quelques jours à vivre. Ce reste d'existence, ce reste de force et d'énergie, ce reste d'un coeur usé, à qui pourrait-il les donner si ce n'est à Dieu? A qui pourrait-il les remettre plus sûrement ? Tout va lui échapper, tout autour de lui a disparu sans cesse, tout lui parle de la vanité de ses désirs, et de la fin qui s'approche. Ah ! de ses mains tremblantes et qui seront bientôt glacées , que va-t-il donner à Dieu ? Il n'a plus à lui offrir que la moitié de lui-même; eh bien, Dieu l'accepterait encore, Dieu ne repousserait pas cet ouvrier de la onzième heure. Mais, non, il ne se donnera pas. Dans son testament peut-être, il a marqué à part de Dieu, mais, jusque-là, ce qui lui reste à vivre, il le vivra pour lui-même! ... Ah! passez, mon frère, passez avec votre triste offrande, passez avec votre superflu.

Quand viendra-t-elle donc la pauvre veuve? Quand viendra-t-il celui qui doit se donner à Dieu tout entier? Jésus l'attend. Hélas! qu'il l'a longtemps attendu! Peut-être se trouve-t-il dans cette assemblée? Peut-être y est-il venu, résolu de n'apporter à Dieu comme d'ordinaire que l'offrande tout extérieure d'un culte auquel son coeur est étranger? Ah! s'il était ici, qu'il vienne; et n'eût-il à donner à Dieu que son indigence; n'eût-il à lui apporter que sa misère morale et spirituelle; ne fût-il qu'un pécheur souillé, qu'il vienne, et, dans le silence, qu'il se donne à Dieu qui l'appelle! Et Dieu le verra, et, détournant son regard de tant d'adorateurs qui n'ont su lui apporter aujourd'hui que leur superflu, il le bénira en secret en attendant qu'il le reçoive un jour dans sa paix.

Mais vous qui hésitez encore; vous qui ne voulez donner à Dieu que votre superflu; vous qui serrez sur votre coeur comme un avare la meilleure partie de votre trésor, croyez-vous donc que, pour l'avoir refusée à Dieu, vous la conserverez toujours ? Elle vous sera enlevée demain peut-être, et alors, quels regrets amers de ne l'avoir pas consacrée à Dieu; car, en la consacrant à Dieu, vous ne l'auriez jamais perdue. Ce qu'on lui donne, on le retrouve, et ainsi se réalise cette parole étrange de l'Ecriture : Celui qui perdra sa vie pour l'amour de moi, celui-là la sauvera. Oui, cette jeunesse arrachée au monde et consacrée à Dieu, rien n'aurait pu la flétrir; ces forces usées au service du meilleur des maîtres, elles vous eussent été rendues; cette fortune perdue selon le monde, vous l'auriez recouvrée agrandie; ces affections placées en Dieu., elles eussent duré toujours. C'est le maître qui nous l'a dit. Quiconque aura renoncé à ce qu'il avait de Plus cher au monde, retrouvera dès ici-bas cent fois autant et dans le siècle à venir la vie éternelle. Bien heureuse perte, qui n'est après tout que le gain le plus assuré!

Mais ayant refusé vos meilleurs biens à Dieu, vous ne pourrez pas les refuser à la mort. Or la mort viendra. Ecoutez! Elle est déjà partie; elle est en marche; elle s'approche; elle va frapper à votre Porte; et que vous serviront alors et vos trésors gardés, et vos affections mondaines, et vos calculs de prudent égoïsme ? Oh! comme vous voudriez alors n'avoir donné au monde que le superflu de votre coeur, de votre temps, de votre vie, et avoir gardé l'essentiel pour Dieu. Mais la mort viendra, et d'ailleurs elle ne se contenterait pas de votre superflu. Elle voudra tout avoir, il faudra tout lui donner. Ces bras qui dans un effort jaloux embrasseront votre trésor, elle les forcera bien à s'ouvrir. Ces biens que vous avez voulu conserver pour vous, elle vous forcera bien à les quitter. 0 richesse misérable! Possession trompeuse! Est-ce pour cela qu'il valait la peine de vivre? Tant de travaux, de projets, de calculs, de souffrances, ne devaient-ils aboutir qu'au néant. Le néant! Ah! s'il n'y avait que le néant! Mais il reste un compte à rendre. On ne se joue pas de Dieu, mes frères. Or, comment voulez-vous que Dieu juge une vie où la part qu'on lui a faite n'était qu'un dérisoire hommage? Comment voulez-vous qu'il accueille ceux qui ont si bien su se passer de lui ? Est-ce à de pareils serviteurs qu'il pourra dire : « Entrez dans le repos de votre maître ? » - Eh ! quels serviteurs que ces hommes qui n'ont servi que leurs intérêts et leur gloire, que ces hommes qui n'ont cherché qu'eux-mêmes ? ....... Leur avenir, Jésus-Christ nous l'a prédit : c'est à eux que sera adressée cette formidable et juste sentence : « Allez, maudits, je ne vous connais point! »

Un scrupule me vient en terminant: je crains de n'avoir pas été assez fidèle au récit que j'ai choisi pour texte. Que vois-je dans ce récit` Une pauvre femme donnant à Dieu tout ce qu'elle possédait. J'ai montré que ce que nous devions imiter dans cet exemple, c'était le sacrifice intérieur dont ce don était l'expression fidèle; cela est vrai, car si dans ce don de tout ce qu'elle possède, cette pauvre femme eût été poussée par un sentiment d'orgueil ou de fanatisme, son acte n'aurait eu aucune valeur devant Dieu. C'est donc à son intention intérieure qu'il faut regarder; c'est par là qu'elle nous sert de modèle; ce que nous devons apprendre à son école, ce n'est pas à donner tout ce que nous possédons, c'est à nous donner nous-mêmes.

Tout cela est vrai, et cependant il y a plus encore dans cette histoire; cette pauvre veuve a tout donné, je ne puis me débarrasser de ce fait, même en en prenant l'esprit. - En vain je me dis que nous ne sommes point tenus à de tels sacrifices et qu'il faut les comprendre spirituellement. -Je ne suis pas content de mon explication. Elle a tout donné. Voilà le fait que je voudrais vous laisser sans aucun commentaire. Je ne vous dis pas : « Donnez tout comme elle; » je sens que ce ne peut être un devoir. Mais enfin « elle a tout donné. » Sublime folie! me dira-t-on. Oui, mais c'est avec ces folies-là que l'on sauve le monde. Cette folie n'est point un devoir pour tous, mais ne se dresse-t-elle du moins pas devant nous comme un sanglant reproche ? Montrez-moi donc aujourd'hui les chrétiens qui se sont faits pauvres pour Christ. Je vous montrerai des hommes qui ont tout donné à leur patrie. Je vous nommerai une mère qui a envoyé coup sur coup ses trois fils mourir pour l'indépendance de leur pays. Qu'ajouter, mes frères? Je m'humilie et courbe la tête; hélas! l'Eglise lie verra-t-elle plus reparaître son âge héroïque? Est-ce ailleurs seulement que le monde admirera de semblables dévouements? 0 Dieu! en présence des tentations du monde, dans ce siècle de vie facile et de bien-être, fais retentir dans nos consciences comme un remords accusateur cette parole de ton Fils : « Elle a donné de son dénuement tout ce qu'elle avait pour vivre. »


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