Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES JUGES



LA PALESTINE, A L'EPOQUE DE LA CONQUETE
LES PHILISTINS
QUELQUES FAITS

La période des Juges est l'une des moins connues de l'histoire israélite et l'une des plus difficiles à étudier, à cause de son étendue, à cause surtout de la complexité des événements et de l'extrême concision du texte. Pendant de longs siècles on n'a presque rien su de la Palestine à cette époque, sauf par le livre des Juges. Mais les travaux de l'archéologie sont venus apporter des clartés fort nécessaires et tous ces travaux ont pleinement confirmé le texte sacré.

Nous parlerons tout d'abord des localités identifiées, comme nous l'avons fait pour le livre de Josué.

La première et la plus importante est Jérusalem. « Les fils de Juda attaquèrent Jérusalem et la prirent » (1, 8). Jérusalem est certainement la Salem de la Genèse. On ne peut identifier Salem ou Shalam avec le Salim de Jean, III, 23 ; ce Salim est le Shalim de I Samuel, IX, 4 et son orthographe est tout à fait différente en hébreu de celle de Salem ou Shalam. Les tablettes de Tel-El-Amarna nous apprennent que Jérusalem était, déjà du temps d'Akhounaton, c'est-à-dire environ un siècle avant Moïse, une ville assez importante. Ramsès III, le plus puissant des Pharaons de la XIXe Dynastie, a gravé sur le grand pylône de Médinet-Abu, à Thèbes, les noms des localités qu'il avait conquises en Canaan ; il parle du « pays de Salem ». Il parle aussi de 'deux autres localités que l'on a identifiées avec des noms bibliques : Ben-Anath, le Ben-Anoth de Josué, XV, 59 ; et Hadashath (« Le Nouveau pays ») qui serait le Hadashah de Josué, XV, 37.

Jérusalem, ou Salem ou Shalam, occupait une situation géographique de première importance et l'on comprend que, après la mort de Josué, la première campagne militaire ait eu cette ville, déjà séculaire et illustre, comme objectif principal.

AskaIon(1, 18). Au bord de la mer, à cinq lieues au nord de Gaza. Aujourd'hui Askulân.

Sorek(XVI, 4). Aujourd'hui la vallée de Surar, non loin d'Esthaol, et de Tsoréa.

Plusieurs noms de localités mentionnées dans le livre des Juges ont été identifiés, mais nous n'en parlons pas ici car nous les avons déjà rencontrés dans le livre de Josué.


LA PALESTINE, A L'EPOQUE DE LA CONQUETE

Ce qui est le plus important encore que telle ou telle identification de ville ou de village, c'est la lumière projetée sur l'état de la Palestine, lors de la conquête israélite. Toutes les données de l'archéologie concordent admirablement avec celles de la Bible.

Nous savons maintenant que la Palestine avait été longtemps sous la suprématie de l'Egypte mais que cette sujétion avait pris fin avant la conquête israélite. Josué, puis les Juges n'eurent pas à lutter avec les Egyptiens, mais avec les Cananéens eux-mêmes qui jouissaient depuis peu de temps de leur indépendance. On comprend qu'ils aient opposé une résistance énergique aux nouveaux envahisseurs et que cette conquête ait été si rude, si lente, si souvent compromise. Il est frappant de ne rencontrer, dans le livre des Juges, aucune allusion à l'Egypte. Ce silence est expliqué par le fait que la puissance égyptienne, en Palestine, n'était plus qu'un souvenir.

D'autre, part les inscriptions de Ramsès III, nous informent d'un événement qui aurait pu avoir les plus graves conséquences et que la Bible nous aide à comprendre. Il y eut, sous Ramsès III, une formidable tentative des Cananéens pour envahir l'Egypte. L'on vit alors, comme en face des Israélites, une vaste confédération des diverses nations de la Palestine. Le livre des Juges nous montre qu'en face d'un danger commun ces nations,. pourtant rivales, savaient s'unir et opposer un front unique.

Les inscriptions de Médinet-Abu nous apprennent aussi que des peuples venus de l'est avaient pris part à cette conspiration contre l'Egypte. Il y est question des « Hittites, des hommes de Kadi, de Karkémish, de Arvad et d'Alasiya ». Cette apparition de peuples asiatiques au sud de la Palestine, dans une campagne contre Ramsès III, nous fait comprendre un épisode du livre des Juges qui a été longtemps mis en doute par les critiques. Cet épisode fort curieux et étrange au premier abord est l'invasion soudaine d'un roi de Mésopotamie en Palestine, peu après la mort de Josué, au temps d'Othniel (III, 7-11).

Nous apprenons, en effet, par le texte sacré, que « les fils d'Israël furent asservis à Culchan-Rischathaïm, roi de Mésopotamie, pendant huit ans ». Les critiques, ignorant certains détails de l'histoire de cette époque, ignorant les inscriptions de Ramsès III, assuraient que cette invasion d'un roi chaldéen était absolument invraisemblable. Mais nous savons maintenant qu'à cette époque, il y eut entente et collaboration de rois asiatiques avec des rois palestiniens. Il est fort probable que Cuschan-Rischathaïm était allié des rois cananéens et avait attaqué Israël pour rendre service à ses alliés menacés. Dieu se servit de lui pour punir Israël de son idolâtrie (III, 8). Il est intéressant de noter ici la première intervention de la puissance chaldéenne dans la vie d'Israël. Nous verrons plus tard que le Seigneur s'est servi à plusieurs reprises des rois de Ninive ou de Babylone pour châtier Israël de ses nombreux péchés et ramener le peuple à la fidélité.

L'expression « roi de Mésopotamie » est exactement dans le texte : « roi de Aram-Naharaïm » ou Mitanni. Nous savons, par le grand pylône de Médinet-Abu, que le roi Ramsès eut à lutter contre la conjuration non seulement des Cananéens et des Hittites mais aussi des Libyens, des Siciliens, des Sardiniens, des Grecs, des Cypriotes et des hommes du pays de Mitanni. Il remporta sur eux une grande victoire et extermina tous ceux qui atteignirent la frontière égyptienne : « Ceux, dit-il, qui parvinrent aux limites de mon pays n'ont jamais plus fait de moisson ».

Si Mitanni figure deux fois dans les inscriptions de Ramsès III comme une contrée hostile à l'Egypte, il est remarquable de constater que le roi de Mitanni ne figure pas parmi ceux qui furent exterminés par le Pharaon en Egypte. Il se peut qu'il se soit prudemment abstenu de pénétrer dans le pays ennemi et qu'il se soit contenté de l'expédition militaire contre les Israélites, dont il est fait mention au chapitre III des Juges. Quoi qu'il en soit, cette expédition elle-même n'offre rien d'invraisemblable à la lumière des documents égyptiens. Elle ajoute une page précieuse à l'histoire des rapports séculaires, soit bienveillants, soit hostiles, entre la Mésopotamie et la Palestine, rapports qui sont d'une grande importance pour la compréhension de l'Ancien Testament. En somme il ressort des textes bibliques, comme des fouilles, que la Palestine a été toujours une sorte de trait d'union entre l'Egypte et la Mésopotamie et qu'elle a entretenu des rapports fréquents entre ces deux civilisations. On comprend combien sage a été la Providence en choisissant ce pays, point de contact entre l'Afrique et l'Asie, au centre même du monde antique, pour en faire la demeure du Peuple de la Promesse, du Peuple du Salut.


LES PHILISTINS

Les inscriptions de Médinet-Abu mentionnent un peuple qui apparaît à plusieurs reprises dans le livre des Juges et toujours comme une puissance hostile à Israël. Le nom des « Pulista » figure parmi ceux des peuples vaincus par Ramsès lorsqu'il envahit la Palestine et la Syrie pour punir les nations qui avaient conspiré contre lui quelques années auparavant. Ramsès raconte qu'il prit Gaza des Philistins, mais il ne semble pas qu'il en soit resté longtemps le possesseur. Les cinq cités de Gaza, Asdod, AskaIon, Ekron et Gath, qui avaient été des garnisons égyptiennes au temps des Aménophis et qui avaient appartenu à l'Egypte jusqu'au règne de Ménephtah, étaient désormais, et pour longtemps, des villes Philistines et des garnisons puissantes, menaces constantes pour la sécurité d'Israël. Il semble que les Philistins soient un peuple du Nord qui ait profité de l'affaiblissement de l'Egypte en Palestine pour prendre possession de tout le littoral où les Pharaons avaient exercé leur domination.

Leur gloire fut, d'ailleurs, d'assez courte durée mais elle fut assez durable, cependant, et assez réelle pour avoir troublé bien des fois, pendant la période plus ou moins désorganisée des Juges, la vie et la paix du peuple élu. On s'est étonné longtemps du silence des documents égyptiens relativement aux Philistins; mais nous avons maintenant l'explication de ce silence : les Philistins ne se sont installés le long de la côte sud de la Palestine que peu de temps avant la conquête de Canaan par les Israélites. Israël fut souvent sous le joug des Philistins, du moins les tribus méridionales. Ils eurent soin de désarmer les Israélites et de chasser les forgerons du pays. Mais ce commun danger poussa les tribus à s'unir de plus en plus et fut ainsi un moyen de constituer cette concentration nationale qui devait s'affirmer avec Saül, David et Salomon. Nous voyons le troisième juge aux prises avec les Philistins; Shamgar, fils de Anath « battit les Philistins, six cents hommes, avec un aiguillon à boeuf » (VII, 31). Le nom de Shamgar ou Samgar offre un intérêt particulier pour l'archéologue à cause de son origine assyrienne; le nom de son père est celui de la déesse assyrienne Anat. Les tablettes de Tel-El-Amarna nous ont expliqué comment des noms assyriens avaient pu être introduits en Canaan. Nous savons aussi que la déesse Anat avait été adorée en Juda, par la découverte d'un temple d'Anat à Beth-Anoth.

Tandis que les tribus méridionales étaient menacées par les Philistins, les tribus septentrionales étaient attaquées par les rois cananéens conduits par Jabin, roi de Hatsor (IV, 17). Il est question de Hatsor dans les lettres de Tel-El-Amarna. Nous y apprenons que Hatsor était l'une des cités auxquelles l'Egypte avait permis de garder leur famille régnante. Le gouverneur de Tyr, dans une de ses lettres au Pharaon, se plaint de ce que le roi de Hatsor conspire avec les Bédouins contre la puissance égyptienne. Ceci confirme ce que le livre des Juges nous dit de l'importance du roi de Hatsor, assez puissant pour prendre la tête de la conspiration contre Israël.


QUELQUES FAITS

Nous ne connaissons point de documents profanes qui fassent allusion directe aux faits rapportés dans le livre des Juges, ou qui nous permettent de confirmer les exploits des Juges eux-mêmes. Mais, d'autre part, ce livre abonde en détails géographiques, et d'ordre politique ou moral, qui sont en pleine conformité avec tout ce que l'archéologie nous apprend de cette époque. Les tableaux que nous trace ce livre de la vie d'Israël, de ses rapports avec les peuples voisins, de ses moeurs, de sa religion, de son organisation sociale sont admirables de précision, de mouvement et surtout de couleur locale. Quelle vérité dans la peinture qui nous est faite des Amalécites et des Madianites au temps de Gédéon, ou des Philistins avec Samson, ou des Cananéens avec Barak et Débora. Chacun de ces peuples nous apparaît sous des traits qui lui sont propres. Chaque page nouvelle nous apporte une description nouvelle. Ce ne sont pas des clichés qui peuvent convenir à toutes les situations mais on peut dire que le caractère, les moeurs, la religion de chacun des peuples avec lesquels Israël est en contact, se manifeste en pleine lumière. Rien n'est plus absurde que la théorie du mythe appliquée aux divers Juges, et surtout à ceux que le récit met spécialement en lumière, à Gédéon, à Jephté et à Samson. Il est impossible que ces récits n'émanent pas de témoins oculaires, tellement ils sont vivants, d'une simplicité et d'une sincérité qui s'imposent. Nous n'indiquerons que certains traits entre beaucoup d'autres, ceux que l'archéologie vient appuyer avec le plus de force.

1° « Et la main de Madian fut puissante contre Israël... Quand Israël avait semé, Madian montait avec Amalek et les fils de l'Orient et ils montaient contre lui. Et ils établissaient leur camp au milieu d'eux et dévastaient les produits de la terre jusque vers Gaza et ne laissaient rien de vivant en Israël, ni brebis, ni boeufs, ni ânes. Et Israël fut très affaibli par Madian » (VI, 2-6).

Ces razzias ont toujours été fréquentes en Orient, et en Palestine comme ailleurs. On y pillait longtemps avant Abraham. Les descendants des Madianites et des Amalécites pillent encore et de la même manière qu'au temps de Gédéon. Au printemps de 1857, dans la plaine de Jezréel, le voyageur anglais L. Porter fut le témoin d'une scène à peu près semblable à celle dont nous parle le livre des Juges. « J'ai vu, écrit-il, le chef bédouin Akeil Agha, rassembler ses hommes et ses alliés, après le massacre des Kurdes à Hattin, pour partager le butin. Ils étaient là dans la plaine, aussi nombreux que des sauterelles, et leurs chameaux étaient sans nombre comme le sable sur le bord de la mer. Quand je posais mes yeux sur ces figures farouches, sur cette armée tumultueuse, sur les dépouilles et sur ce butin, il me semblait que j'avais devant moi la réalité de la scène de l'histoire sainte ». (1) « Personne, dit aussi M. Stanley, n'a passé, à notre époque, dans cette plaine d'Esdrelon, sans voir ou au moins sans entendre parler des attaques des Bédouins, quand ils y affluent, venant du désert voisin (2) ».

2° « Et les fils d'Israël commencèrent à faire ce qui est mauvais aux yeux de l'Eternel et ils servirent les Baals et les Astartés et les dieux de Syrie et les dieux de Sidon et les dieux de Moab et les dieux des Philistins » (X, 6). Cette nomenclature des dieux païens que servit Israël est rigoureusement exacte, surtout lorsqu'elle est complétée par les indications répandues dans diverses parties du livre des Juges sur ces divinités. Baal et Astarté étaient les principales divinités cananéennes. Conformément à la déclaration du chapitre II, il y avait plusieurs Baals et plusieurs Astartés selon les régions. Le culte de Baal était extrêmement sanguinaire; celui d'Astarté d'une immoralité repoussante. Les découvertes archéologiques ont révélé tout l'odieux de ces cultes qui furent en honneur, non seulement en Canaan mais aussi plus tard, à Carthage.

Le chapitre X parle aussi des « dieux de Syrie » il s'agissait surtout de Rimnon dont il est question au livre des Rois (II, Rois, V, 18). Il y avait « les dieux de Sidon » ; c'était surtout l'Astarté phénicienne mentionnée également au livre des Rois (Il, Rois, XI, 5). « Les dieux de Moab » étaient représentés par Camos ou Camosh (Jérémie XLIII, 7), dont il est question dans la stèle du roi Mesa. « Les dieux des fils d'Ammon », C'est-à-dire Milcom (I, Rois, XI, 5), ou Moloch (Lévitique XVIII, 21). Enfin il est question des « dieux des Philistins » ; il s'agit ici de Dagon dont le livre des Juges à propos de Samson (Juges XVI, 23) : « Et les princes des Philistins s'assemblèrent pour offrir un grand sacrifice à Dagon, leur dieu, et pour se réjouir ». Ainsi tout ce 'que nous savons des cultes païens, par le texte biblique, est rigoureusement exact, jusque dans le détail des noms et des lieux d'origine. Aucune confusion; aucune erreur. Cette précision est d'autant plus remarquable que l'auteur sacré n'a nulle envie de faire connaître ces divers cultes ni d'attirer l'attention sur eux ; ces cultes lui font horreur et il ne les mentionne que par la nécessité de raconter et d'expliquer les infortunes de son peuple, infortunes causées presque exclusivement par son idolâtrie incurable.

3° Deux épisodes du récit de Samson sont particulièrement remarquables par leur couleur locale et les confirmations données par les coutumes séculaires de ces régions :

a) « Samson alluma les torches et lâcha les chacals dans les moissons » (XV, 5). La coutume de mettre le feu aux récoltes est fréquente dans toute l'histoire de l'Orient. Les Arabes de nos jours, comme les hommes d'autrefois, regardent comme une offense grave et nécessitant le châtiment de mort, l'acte d'un ennemi qui incendie les moissons. Les Philistins de Samson ressemblaient aux Bédouins de nos jours et nous ne sommes pas étonnés qu'ils aient cherché à tirer vengeance de cet outrage.

b) « Et Samson tournait la meule dans la prison ». (XVI, 21). Voici ce qu'écrit à ce sujet l'abbé F. Vigouroux: « Les écrivains sacrés nous parlent souvent des moulins à bras dont on se servait de leur temps en Palestine, dont on se sert encore dans plusieurs parties de l'Orient, pour moudre le grain. Le bruit de la meule qui écrase le grain caractérise les lieux habités en Orient, comme le bruit des voitures caractérise les grandes villes de l'Occident. On l'entend encore aujourd'hui, quand on passe dans les rues de Gaza, comme on l'entendait au temps de Samson. On ne peut imaginer d'occupation plus fastidieuse et plus fatigante. Aussi celui qui était obligé de s'y livrer était considéré comme la plus malheureuse des créatures (Exode, XI, 3), et chez les peuples anciens, on condamnait souvent les captifs à tourner la meule, comme Samson l'est par les Philistins. Il est donc impossible de rien concevoir de plus humiliant pour le héros israélite que cette besogne de femme et d'esclave (3). »


1) L. PORTER. Handbook for Palestine, p. 346.

2) STANLEY, Sinaï and Palestine, p. 340.

3) Abbé F. VIGOUROUX. La Bible et les Découvertes modernes, tome III, p. 370, 374.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant