Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE TABERNACLE

Plus on étudie la théologie mosaïque, plus on est frappé de constater son originalité, son infinie supériorité par rapport aux conceptions païennes ; plus il est manifeste que Moïse a été instruit du Seigneur lui-même. Il ne doit rien au paganisme babylonien. Nul ne peut prouver qu'il ait été en contact direct avec les religions de la Chaldée ou de l'Assyrie et tout, dans le culte israélite, est en opposition absolue avec le polythéisme, avec le particularisme, le matérialisme et le sensualisme de ces religions symbolisées par des statues moitié homme moitié animal. L'étude que nous venons de faire du Code de Hammurabi détruit radicalement la thèse chère à certains critiques, d'après laquelle Moïse ne serait qu'un tributaire de Babylone et de Ninive.

Mais, nous allons plus loin et nous apprendrons que Moïse ne doit rien à la religion égyptienne que pourtant il connaissait à fond et dont il aurait pu facilement subir l'influence pendant les quarante années passées à la cour du Pharaon.

Cette indépendance de Moïse au point de vue de la pensée est d'autant plus remarquable que l'influence égyptienne s'est manifestement exercée sur lui pour certains détails d'ordre pratique. Il est facile de reconnaître dans les dispositions du Tabernacle, dans les particularités de sa construction, la marque du séjour en Egypte. Le Tabernacle reproduit la division des temples égyptiens en trois parties : tout d'abord une vaste cour extérieure, puis le temple lui-même composé de plusieurs salles soutenues par plusieurs rangs de colonnes et, enfin, le sanctuaire du Dieu ou petite chapelle fort basse située vers le fond de la salle la plus reculée, où la lumière n'avait aucun accès et où se trouvait l'effigie du Dieu. Le roi seul avait le droit de pénétrer dans ce sanctuaire. De même le Tabernacle est divisé en trois parties : le parvis ou cour extérieure, le Lieu Saint et le Lieu Très-Saint. Mais quelle différence d'inspiration, malgré ces ressemblances de détails, entre le temple égyptien et le tabernacle israélite. Le Lieu Très-Saint ne renfermait aucun simulacre, aucune représentation de la divinité. « Il ne contenait que les deux tables de la loi, monument de la sainte volonté du Dieu invisible. Le couvercle de l'Arche, le propitiatoire, rappelait la grâce de ce Dieu qui pardonne. Dieu lui-même, quoiqu'Il se manifestât dans ce lieu, n'était point censé y être enfermé la nuée, symbole de sa présence, planait au-dessus et en dehors du Lieu Très-Saint.

« Dans le Lieu Saint, qui précédait le Lieu le plus reculé du sanctuaire, se trouvait tout au fond l'autel d'or où fumait matin et soir le parfum, emblème des actions de grâces et de la prière du peuple ; à sa gauche le candélabre aux sept branches, représentant la révélation divine dont Dieu éclaire son peuple; à droite, du côté nord, la table des pains sur laquelle Israël offrait à son Dieu, chaque jour de sabbat, les produits du sol, les fruits de son travail.

« Dans la cour extérieure, ou parvis, se dressait l'autel des holocaustes. Le Dieu qui habite cette demeure est saint ; il ne saurait tolérer l'approche du péché. Chaque jour le peuple qui demeure autour de son sanctuaire, devra être purifié et consacré de nouveau par le sang de l'holocauste offert matin et soir sur cet autel.

« Le sanctuaire israélite représentait ainsi les trois degrés de la relation de l'homme pécheur avec l'Eternel. Le premier, celui de la réconciliation par l'expiation et de la consécration qui en résulte, avait pour théâtre ordinaire le parvis ; le second, celui de l'adoration par laquelle le pécheur gracié glorifie son Dieu, était représenté par le Lieu Saint; enfin, le Lieu Très-Saint, au-dessus duquel Dieu habitait, et où il se communiquait directement à celui qui devait exécuter ses ordres, correspondait à l'état de communion directe et personnelle avec Dieu auquel est admis l'homme rentré en grâce et pénétré de reconnaissance pour son pardon (1). »

Ainsi dans le Tabernacle israélite, aucune concession à l'idolâtrie ni au ritualisme matérialiste et grossier : Ici tout concourt à exalter le culte en esprit et en vérité, à tourner les coeurs et les pensées vers la contemplation d'un Dieu saint et miséricordieux. Rien qui ressemble au culte égyptien qui est le triomphe du sensualisme et va jusqu'à donner des animaux comme objet de l'adoration des fidèles.

Que dire aussi, non seulement du Tabernacle, mais des cérémonies elles-mêmes et, en particulier, des sacrifices. Citons encore ici la Bible annotée : « Quel admirable ensemble que ce cérémonial des sacrifices israélites! Comme il répondait à tous égards aux besoins de l'âme dans ses relations diverses avec son Dieu!... Quoi de plus propre à préparer ce peuple à la grande manifestation de grâce et de sainteté qui devait clore son histoire et faire de lui l'apôtre du monde entier (2) ! »

A quelque point de vue que l'on se place, la religion israélite, la religion révélée est en opposition absolue avec la religion égyptienne. Le contraste est particulièrement frappant en ce qui concerne la notion de la mort. Voici ce qu'écrit à ce sujet l'Abbé Vigouroux: « Avec la multiplicité des images divines, le trait le plus caractéristique de la religion égyptienne c'est le culte des morts et des tombeaux. On peut dire que ce culte était, chez les Egyptiens, une des principales occupations des vivants... Ils offraient en l'honneur des morts des sacrifices semblables à ceux qu'ils offraient aux dieux, de l'encens et des libations. Lé culte des morts, chez les Egyptiens, était tout imprégné de leurs idées polythéistes, rempli de superstitions, présentant sous les plus fausses couleurs la nature de l'autre vie.

« Autant il tient de place dans la religion des Pharaons et de leurs sujets, autant il en tient peu dans la religion mosaïque. Nulle part, l'antagonisme qui existe entre les deux doctrines ne se manifeste plus clairement qu'ici. Pour prémunir les Hébreux contre les erreurs sur l'autre vie qui faisaient le fond des croyances des Egyptiens, Moïse fait, le moins possible, allusion à l'immortalité de l'âme. En promulguant les défenses que nous avons rapportées contre toute représentation sensible de la divinité, il coupe court à toutes les pratiques superstitieuses des Egyptiens concernant l'ensevelissement, la sépulture et le culte des morts. Le mosaïsme, dans tous ses dogmes fondamentaux, est ainsi en opposition directe avec la religion de l'Egypte loin de lui faire des emprunts, il la combat.

« La prohibition des offrandes et des sacrifices en l'honneur des morts est renfermée dans cette proposition que la loi oblige les Israélites de faire quand ils offrent les prémices des fruits : Tu diras en présence de Jéhovah, ton Dieu...

« Je n'en ai pas mangé dans mon deuil, je n'en ai pas mis à part pour un usage profane, je n'en ai pas donné pour un mort. » (Deut., XXVI, 13-14). Les circonstances de la mort d'Aaron et de Moïse sont aussi une condamnation manifeste de superstitions égyptiennes concernant le culte des défunts. Pour que le peuple ne soit point tenté de rendre à ces deux grands hommes des honneurs semblables à ceux qu'on rendait aux personnages illustres dans la vallée du Nil, Dieu les fait mourir l'un et l'autre à l'écart et loin des regards du peuple. » (Nombres XX, 25-28 ; Deut. XXXII, 49-50; XXXIV, 5-6).

Nous avons l'explication de ce phénomène étrange au premier abord et si diversement interprété : le silence ou le quasi-silence du Pentateuque comme de l'Ancien Testament tout entier, sur le mystère de l'au-delà. Il est impossible d'interpréter cet abstentionnisme comme une négation de l'éternité, comme une négation de la survie. On ne nous fera jamais croire que, seul entre tous les peuples de l'antiquité, le peuple de Dieu, le peuple instruit par Dieu, ait été matérialiste au point de considérer, avec nos sceptiques modernes, qu'après la mort tout est mort. Ce qui prouve surabondamment que la pensée des vrais Israélites était tournée vers l'éternité et vers de radieuses espérances, c'est la place prépondérante que l'eschatologie tient dans le Nouveau Testament, c'est le témoignage constant et enthousiaste des apôtres à la vie « éternelle », à la victoire sur la mort, aux félicités et aux clartés et aux richesses inexprimables de « l'héritage qui ne se peut corrompre, ni souiller, ni flétrir» (I Pierre I, 4). L'épître aux Hébreux, dans ce magnifique chapitre XI, qui est l'hymne de l'Ancien Testament chanté par le Nouveau, exalte non seulement la foi mais aussi l'espérance des patriarches : « Abraham attendait la cité qui a de solides fondements et dont Dieu est l'architecte et le fondateur... Tous ceux-là sont morts dans la foi. Ils désiraient une patrie meilleure, la patrie céleste. » Il est dit de Moïse qu'il « considérait l'opprobre de Christ comme une richesse plus grande que les trésors de l'Egypte, parce qu'il regardait à la rémunération ». Ainsi le Nouveau Testament proclame la foi de l'Ancien à l'éternité glorieuse, malgré l'absence presque totale d'une doctrine de l'au-delà dans les écrits des prophètes.

Il n'y avait aucune nécessité, pour les écrivains de l'Ancienne Alliance, de proclamer d'une façon positive la nécessité de croire en l'au-delà, car personne ne songeait à le mettre en doute ; toutes les religions de l'antiquité avant Moïse et à son époque reposaient sur une certaine conception de l'au-delà et toutes affirmaient la survie. L'Ancien Testament n'a point coutume de s'appesantir sur des idées universellement admises et qui ne soulevaient, alors aucune objection. Sortant d'une captivité de quatre siècles au sein d'un peuple tel que l'Egypte, qui semblait vivre bien plus pour l'éternité que pour la vie présente, les Israélites n'avaient nul besoin d'être exhortés à tourner leurs regards vers l'au-delà. Ce qu'il leur fallait, bien plutôt, c'était de comprendre que le Dieu de l'éternité avait une grande oeuvre à leur confier sur la terre, une oeuvre qui avait des répercussions éternelles. Ils devaient comprendre qu'il faut, tout d'abord, vivre pour Dieu, que le problème de la mort est avant tout celui de la vie et que le ciel commence ici-bas dans la félicité de l'obéissance à la loi divine. Ce qu'il leur fallait, avant tout, c'était la vraie notion de la vie présente, la vraie notion, de Dieu et du culte qu'Il réclame, la vraie notion d'une sainteté présente, quotidienne qui est la seule préparation à une vraie notion de la sainteté future.

En résumé, l'Ancien Testament parle très peu de l'éternité parce que toute l'Antiquité y croyait ; mais s'il en parle très peu, il fait mieux que d'en parler, il la prépare, il la révèle par les clartés sublimes qu'il jette avec abondance sur la religion qui peut assurer une éternité heureuse. Les Israélites n'avaient pas besoin de savoir s'il y ,aurait une éternité, mais bien plutôt de savoir comment on pouvait y parvenir et quelle serait sa vie, ses lois, ses perspectives. Ce qu'il fallait aux Israélites, c'était Dieu, le Dieu vivant, le Dieu rédempteur, le « Dieu dont la miséricorde dure toujours », et c'est ce Dieu-là que chaque page de l'Ancien Testament lui révélait. Comment peut-on dire que l'Ancien Testament nie ou ignore l'éternité, alors qu'il ne cesse d'exalter le Dieu de l'éternité ?

Nous pouvons conclure avec l'abbé Vigouroux : « La disposition du Tabernacle avait des points de ressemblance avec le plan des temples pharaoniques, mais si nous comparons, dans leur ensemble, toutes les données que nous fournit l'égyptologie avec le Pentateuque, il est facile de constater, d'après tout ce que nous venons de dire, que, quoique la civilisation hébraïque ait grandi sur le sol égyptien, la religion mosaïque, cette plante merveilleuse, a une vie tout à fait propre et indépendante. On reconnaît dans les prescriptions mosaïques des réminiscences égyptiennes, mais le fond même de la doctrine est essentiellement différent. Les ressemblances sont purement extérieures ; l'esprit qui anime les institutions est tout opposé (3). »


1) Bible annotée. Lévitique, p. 37.

2) Bible annotée, Livres historiques, p. 37.

3) Abbé F. VIGOUROUX, La Bible et les Découvertes modernes. p. 506.

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