Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA LOI

MOISE ET HAMMURABl

L'oeuvre la plus grandiose, la plus durable de Moïse est, sans contredit, son oeuvre de législateur. Elle est aussi miraculeuse que son activité comme chef de peuple, comme organisateur. On ne peut expliquer le Moïse du Sinaï, comme celui de l'Exode, que par l'intervention puissante et miséricordieuse du Seigneur lui-même.

Ici encore la critique s'est montrée essentiellement partiale et injuste dans ses jugements. Elle a commencé par nier, pour Moïse, la possibilité d'être l'auteur d'une aussi admirable législation. Mais des découvertes inattendues et d'une grande portée ont rendu cette attitude négatrice absolument insoutenable. Il aurait paru naturel que la critique reconnût alors son erreur première et admît l'oeuvre de Moïse en face d'un code tel que celui de Hammurabi. Elle l'a admise, en effet, au moins en partie, mais elle s'est appliquée à la déprécier. Elle a prétendu que Moïse n'avait fait que copier Hammurabi, que la législation israélite était d'origine babylonienne, comme aurait été également d'origine babylonienne la religion israélite. Moïse n'est plus apparu que comme une sorte de plagiaire sans originalité et, surtout, sans inspiration. Toute idée de Révélation divine, de loi faisant autorité parce que venue de Dieu a été repoussée avec mépris au nom d'une soi-disant science.

Mais la vraie science a fait entendre sa voix. Des hommes instruits et pieux ne se sont pas contentés d'entendre les doctes critiques proclamer leurs négations ; ils ont voulu aller aux sources ; ils ont étudié de près les textes tant babyloniens que bibliques ; ils ont fait la comparaison et, comme toujours, le texte sacré a eu tout à gagner dans cette confrontation.

Qu'est-ce que le Code de Hammurabi ou Hammurapi, dont beaucoup parlent sans le connaître ? « Le bloc de diorite qui porte le texte du Code, écrit le père V. Scheil, le premier traducteur du Code, a été découvert, partie en décembre 1901, partie en janvier 1902, par M. de Morgan, dans ses fouilles de Suse. Il mesure 2 m. 25 de hauteur et 1 m. 20 de pourtour à sa base. Gravé par Hammurabi, roi de Babylone, vers 2000 avant Jésus-Christ, pour le temple de Sippar (actuellement ruine de Abon Habba près Bagdad), il fut enlevé comme trophée vers 1120 avant Jésus-Christ par le roi Elamite Choutrouk-Nahhounte, et transporté dans sa capitale (1). » Cette stèle est admirablement conservée. Elle est en basalte d'un beau noir. Au sommet de la stèle, figure un relief représentant le roi, dans l'attitude de l'adoration, sa main droite élevée. Il reçoit les lois de Shamash, le Dieu-Soleil. Sur la partie inférieure de la stèle sont écrites, en babylonien cunéiforme, 28 colonnes de texte. Il y a tout d'abord une introduction dans laquelle Hammurabi énumère les bienfaits qu'il a accordés aux temples et aux cités de Babylonie et d'Assyrie. Vient ensuite la liste des lois, au nombre de deux cent quatre-vingt-deux environ. Ces lois étaient, pour la plupart, en usage depuis des siècles, au moment où régnait Hammurabi. Sa tâche a consisté à les rassembler, à les classifier et à leur donner une autorité nouvelle.

Ces lois ont trait à la vie quotidienne et s'adressent à toutes les classes de la société ; elles renferment des détails fort intéressants sur les moeurs et les usages du temps.

Ce Code se fait remarquer aussi par la sévérité et la cruauté inouïe de certaines de ses sanctions.

Plusieurs de ces lois ont une réelle valeur. C'est ainsi que le roi recommande à ses sujets de travailler avec énergie; il ordonne aux parents d'apprendre un métier à leurs enfants et de leur enseigner les mathématiques.

D'autre part, un bon nombre de ces ordonnances laissent entrevoir des moeurs très corrompues et sont loin d'être inspirées par un idéal moral élevé.

Ce Code indique une société fortement organisée, amie des arts et de la science, mais en même temps dissolue, matérialiste et sanguinaire.

On a voulu présenter ce Code comme le précurseur du Code mosaïque; Moïse n'aurait été qu'un copiste d'Hammurabi: c'est bien mal connaître Moïse. Il y a sans doute quelques traits communs aux deux législations, comme il y en a de communs à toutes les législations. De tout temps, l'homme a eu, en une certaine mesure, la notion du bien et du mal. Même dans sa déchéance, l'âme humaine a gardé quelques rayons de la lumière divine qui l'enveloppait à l'origine. Dans son admirable épître aux Romains, l'apôtre Paul parle de cette « loi écrite dans le coeur des païens », du témoignage de « leur propre conscience », « de leurs pensées qui tantôt les accusent, tantôt même les défendent », de telle sorte que « n'ayant point de loi, ils se tiennent lieu de loi à eux-mêmes » (Romains, II, 14-15). Nous ne sommes donc point étonnés de trouver dans le Code de Hammurabi, comme d'ailleurs dans tous les Codes païens, des notions justes et sages.

Mais il n'en reste pas moins que l'incomparable supériorité de la Loi mosaïque est évidente. Elle apparaît, au sein de l'antiquité, comme un flambeau dans les ténèbres, comme un message d'en-haut. Ici, ce n'est pas la voix des hommes, mais la voix de Dieu qui retentit.

Voici quelques extraits du Code païen. Tout d'abord, donnons la parole à Hammurabi lui-même. Tandis que, dans sa promulgation de la loi, Moïse n'a qu'une pensée: la gloire de Dieu, sans se préoccuper de sa propre gloire, sans chercher à se donner des titres ou des vertus, le roi babylonien ne sait quelle expression choisir pour dire toute la haute opinion qu'il a de lui-même : « Alors El et Bêl m'appelèrent par mon nom, moi Hammurabi, insigne prince, Hammurabi, le pasteur élu de Bel, moi-même! moi qui accumule luxe et richesse... buffle impétueux qui abat l'ennemi... divin roi de ville capitale, sage, intelligent... le maître des insignes.. l'avisé, l'accompli, qui a aménagé pâturages et abreuvoirs... le favori de l'oracle... le prince saint ... le prince auguste qui a fait briller la face d'Istar-Nana ... le fils valeureux de Sin, rejeton éternel de royauté, roi puissant, soleil de Babylone, qui projette lumière sur le pays de Soumer et Accad... roi obéi des quatre régions, favori d'Istar, moi-même! »

Telles sont les paroles orgueilleuses du législateur babylonien dans son prologue. Elles apparaissent aussi dans son épilogue: « Hammurabi, le roi sage... le roi accompli, moi-même !... Je suis le sceptre sauveur dont le sceptre est droit... Le roi puissant entre tous les rois de villes capitales, moi-même. Mes sentences sont précieuses, ma sagesse est sans rivale !... Dans Esaggil que j'aime que mon nom soit commémoré en bonne part, à jamais!... Hammurabi, roi de justice, à qui Chamach a octroyé l'esprit de rectitude, moi-même! Mes volontés sont précieuses! Mes oeuvres n'ont pas de pareilles... »

Quant au texte lui-même, quant à ces 282 ordonnances, aucune d'elles ne se fait remarquer par une haute valeur religieuse, ni morale. Il y a des ordres inspirés par la justice et le bon sens, mais aucun n'exprime un principe élevé et permanent ; ce sont des situations de détail, sans lien les unes avec les autres, sans pensée directrice. Aucune notion fondamentale de la valeur de toute personne humaine ; ici c'est l'esprit de caste qui règne. Aucune notion de l'unité de la vie réclamée tout entière par Dieu pour son service et pour sa gloire. Le Code est essentiellement utilitaire, visant l'intérêt, le bien-être, la protection des biens et des privilèges, bien plus que l'accomplissement de devoirs impératifs devant lesquels l'intérêt et le bien-être doivent savoir céder. Avec cela, extrême sévérité pour des pauvres : « Si un homme a volé un boeuf, mouton, âne, porc ou une barque, si c'est au Dieu ou au palais, il rendra au trentuple... Si le voleur n'a pas de quoi rendre, il est passible de mort. » (Art. 8). Extrême sévérité pour des actes de bonté à l'égard des esclaves : « Si un homme a fait sortir des portes un esclave ou une esclave du palais..., il est passible de mort. » (Art. 15). « Si un homme a abrité chez un esclave ou une esclave en fuite du palais... et si, sur la voix du majordome, il ne le fait pas sortir, le maître de maison est passible de mort. » (Art. 16).

Le Code a des faveurs spéciales pour les officiers, pour les « mouchkinou » ou aristocrates ; il semble mettre sur le même pied d'honneur les prêtresses et les femmes publiques (178, 179) ; il ignore la grande loi de la justice impartiale et de la pitié pour le faible, pour le vieillard, pour l'enfant, pour le malheureux, pour l'étranger. Surtout il est misérable au point de vue religieux: Aucune notion d'un Dieu unique, tout-puissant, fidèle et équitable en toutes ses voies, d'un Dieu personnel qui s'occupe de chacune de ses créatures sans faire acception de personnes.

Quelle joie pour nous, après avoir étudié ce Code desséchant, sans souffle, expression d'une société matérialiste, de nous trouver tout à coup en face de cette merveille du monde moral qui s'appelle le Décalogue! Ici, c'est l'air pur des hauteurs, c'est le souffle de Dieu qui passe! Quelle admirable révélation du Seigneur Lui-même, de la sainteté de Celui qui a en horreur le mal!

Quelle admirable révélation aussi des rapports de la créature avec le Créateur! Quelle simplicité et quelle grandeur dans ce culte « en esprit et en vérité » que Dieu réclame. Rien ici qui rappelle le culte formaliste et idolâtre : « Tu ne te feras point d'images taillées ; tu ne te prosterneras point devant elles et tu ne les serviras point. »

Quelle admirable révélation, enfin, des devoirs des hommes les uns à l'égard des autres, de ces devoirs de respect, de loyauté, de vérité, de pureté, d'honnêteté qui peuvent tous se résumer en un mot: « Tu aimeras. »

Le Code de Hammurabi représente sans doute ce que la pensée chaldéenne a donné de meilleur. Mais ce n'est pas ce Code que l'on peut résumer en ces paroles sublimes. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ta force, de toute ton âme et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. »

Le Code de Hammurabi est d'inspiration païenne; le Code de Moïse est d'inspiration divine. L'un est le fruit de la tradition ; l'autre est le fruit de la Révélation.

Quelques rares initiés savent ce que contient la stèle du Louvre. Mais le Décalogue est connu d'un bout de la terre à l'autre et fait Loi souveraine pour des millions d'hommes de toutes races et de toutes langues. C'est ici l'oeuvre de Dieu.


1) V. SCHEIL, La loi de Hammurabi. p. 4. C'est de cette traduction que nous extrayons nos citations.

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