Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Lettre au Pasteur Marc Boegner

21 août 1965. Monsieur le Pasteur,

 

Je me permets de vous adresser ces quelques lignes après avoir lu l'ouvrage sur la Rencontre oecuménique de Genève.

Je me suis demandé tout d'abord comment il a été possible de s'entendre, lors de ce dialogue, sur le mot EGLISE, quand ou sait que les deux conférenciers n'en ont pas la même idée. Pour vous-même, ce terme désigne l'ensemble des membres des Eglises chrétiennes, bien que sans doute soient des membres « passifs »... Pour le cardinal Bea, de toute évidence, lorsqu'il parle de l'Eglise de Jésus-Christ il pense à son Eglise exclusivement, et dans son esprit les autres chrétiens sont des « frères séparés » de la vraie Eglise ! Bien sûr, c'est un grand progrès sur les « hérétiques » qu'ils étaient encore il n'y a pas bien longtemps. Mais le sens très différent que vous donniez de part et d'autre à L'EGLISE n'a pas été signalé lors de cette rencontre.

Ensuite, vous-même aussi bien que votre interlocuteur avez reconnu que de très grands obstacles se dressent encore sur le chemin de l'unité. Ce sont, en vérité, les mêmes erreurs romaines qui ont provoqué la Réforme. Il ne peut en être autrement, puisque Rome a plutôt aggravé sa position antibiblique depuis la Réforme en inventant plusieurs dogmes nouveaux.

En plus, les deux conférenciers de Genève ont reconnu qu'il faudra confier ces difficultés à leurs théologiens respectifs, qui se mettront bientôt au travail pour rechercher une base d'entente, si possible. C'est ici qu'il sera difficile de comprendre et de suivre les protestants : se pourrait-il donc que les dogmes de Rome ne fussent pas aussi faux ni aussi malfaisants que les disciples de Calvin et de Luther le pensaient ? Les protestants pourraient-ils donc un jour constater que Rome est une Eglise biblique malgré son enseignement foncièrement antibiblique ? Les protestants ne seraient-ils donc pas entièrement persuadés du fondement scripturaire de leur propre foi, pour s'engager dans d'interminables recherches avec les théologiens romains ? Est-il possible que l'on trouve un jour une base biblique pour le salut par les oeuvres, les mérites et les indulgences, la messe, le purgatoire et toutes les autres faussetés et superstitions romaines ? Le seul fait d'engager de tels entretiens en laissant supposer qu'une entente reste possible entre la vérité et l'erreur, est un outrage à la vérité, qui a conduit, au prix de sacrifices inouïs, une foule de consciences blessées par la dogmatique catholique à la « glorieuse liberté des enfants de Dieu ».

On imagine sans peine à quels débats subtils et contradictoires les théologiens devront se livrer pour essayer de prouver l'improuvable ! Il est permis de penser que les protestants réellement évangéliques auraient autre chose à faire pour le salut de notre monde, que de se livrer à l'étude stérile des « vaines subtilités » romaines. Le monde sera-t-il plus avancé lorsque les « murs infranchissables » auront subi inutilement l'assaut des deux côtés ? Non seulement ces efforts de conciliation de la Bible et de la tradition (car c'est de cela qu'il s'agit) sont une offense à la mémoire de ceux qui ont souffert pour la vérité, mais ils sont aussi une opposition faite à l'Esprit de Vérité qui conduit sans cesse des catholiques vers l'affranchissement en Jésus-Christ.

En fait, chaque Eglise reconnaît que les autres Églises sont dans la vérité, sinon le C.O.E. serait inconcevable. Mais, quel imbroglio au sein du mouvement oecuménique ! Tant de doctrines et de rites opposés, d'iconolâtries, de sacramentalismes et de foi biblique mélangés ! Et tout cela, sans exception, conduit au même salut ! C'est à croire qu'il y a plusieurs chemins dans le Nouveau Testament ! Il est vrai que vous avez parlé, à Genève, du « sacrement oecuménique par excellence », en citant l'aspersion des nouveau-nés. Ainsi, le « baptême » des petits inconscients, encore ligotés dans leurs langes, serait le sacrement oecuménique par excellence !

Je me permets de vous le dire en toute franchise : ceux qui professent de telles doctrines endossent l'enseignement sacramentaire de la papauté. Ce « sacrement oecuménique » (mis a la place de l'acte de foi personnel par la « nouvelle naissance ») n'est qu'une désastreuse illusion : il n'y a qu'à regarder vivre la « chrétienté » baptisée ! Quelle erreur aux conséquences incalculables que d'appliquer aux nourrissons et aux incroyants baptisés les textes bibliques qui ne concernent que des croyants convaincus et consacrés ! Et puis de confondre l'Eglise de Jésus-Christ avec cette chrétienté !

Déjà la religion est suspecte à un grand nombre d'honnêtes consciences, déçues (les compromis et des lâchetés d'une institution qui aurait dû les amener à la connaissance de Dieu. Mais l'indifférence et l'incrédulité s'étendent chaque jour un peu plus, et ce n'est pas en dénonçant le « scandale de nos divisions » que l'on portera remède à l'abandon croissant des pratiques religieuses, mais c'est en supprimant « le scandale des infidélités à la Parole de Dieu » qu'on réussira peut-être encore à sauver l'essentiel... Pour le moment les Eglises sont absorbées par l'unité plus que par lit fidélité.

Je vous prie de croire, Monsieur le Pasteur, à mes sentiments les plus sincères en Jésus-Christ.

E. ITTY.


Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant