Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE CULTE DOMESTIQUE

NOVEMBRE

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CCXLVe MÉDITATION.

Lisez 1ère Épître aux Corinthiens XII, 1 à 14.

Les dons du Saint-Esprit


D’après ce que nous venons de lire, la foi et la sagesse sont des dons venant du Saint-Esprit. Cependant bien des hommes s’estiment croyants et sages qui ne le sont pas, et qui, par conséquent, n’ont pas reçu l’Esprit-Saint.

Comment donc discerner la foi et la sagesse données par Dieu, d’avec la foi et la sagesse que l’homme se donne à lui-même?

En d’autres termes, comment distinguer la foi véritable, de la fausse?

La sagesse réelle, de la mensongère?

C’est ce que Paul va nous apprendre.

Les dons du Saint-Esprit, d’après Paul, ont pour caractère d’harmoniser parfaitement entre eux. Cela doit être, puisqu’ils viennent D’UN SEUL ET MÊME ESPRIT.

Dès lors, comme le dit l’Apôtre, deux hommes, tous deux animés de l’Esprit de Dieu, ne pourront pas dire, l’un que Jésus est anathème, l’autre que Jésus est le Seigneur. L’exemple ici présenté est frappant.

Mais on pourrait en citer d’autres, et c’est précisément à cette communauté de sentiments que les chrétiens se rencontrent entre eux, sans être ni compris, ni remarqués du monde.

Voilà donc un des indices auxquels vous reconnaîtrez que votre foi vient de l’Esprit, si elle est semblable à celle de vos frères, non seulement sur un point capital, mais encore dans ses principales ramifications.

Le botaniste peut reconnaître à la première vue, et de loin, que tous ces arbres appartiennent à la même famille; en s’approchant davantage, il devra découvrir des indices plus délicats et plus nombreux.

Tels sont les chrétiens: s’ils se rencontrent, ils se reconnaissent, peut-être à la première parole; mais en vivant quelque temps ensemble, ils doivent découvrir chaque jour de nouveaux points de contact entre leurs idées, leurs espérances et leurs affections.

Pour savoir donc si votre foi vient bien de Dieu, voyez si vous trouvez cette communauté de sentiments et de pensées entre vous et ceux que leur conduite vous autorise à croire véritablement animés de l’Esprit-Saint.

Paul, après avoir dit que tous les dons viennent d’un MÊME Esprit, montre qu’ils doivent tendre à un MÊME but: l’union, en un seul corps, de tous les membres épars.

C’est une source unique d’où s’échappent de nombreuses rivières, qui vont chercher au loin, par les plis sinueux de leurs longs rivages, les peuples dispersés sur la terre pour les animer d’une même vie et les unir par de bienveillantes communications.

Si votre foi et votre sagesse procèdent bien de l’Esprit de Dieu, vous devez vous approcher les uns des autres, chercher le bien commun, effacer vos prétentions particulières; il ne peut plus y avoir parmi vous d’hommes qui songent à se réclamer de leur patrie ou de leur rang; toutes ces distinctions s’affaiblissent et s’effacent, pour ne plus laisser ressortir qu’une prétention commune:


celle d’être enfants de Dieu,

d’obéir au même maître,

d’aimer le même Sauveur.


Pouvez-vous dire que vous ayez aussi un but commun avec vos frères, alors même que vous êtes éloignés d’eux, ou que vous travaillez à des œuvres différentes?

Pouvez-vous dire que vous ayez renoncé à la poursuite de votre personnalité pour concourir au bien commun, uniquement inspirés par l'amour des âmes et l’amour de Dieu?

Sentez-vous que vous ayez été abreuvés du même Esprit que Saint Paul, et que le fleuve de vie qui coule en vous ait sa source prise dans le Ciel et son cours dirigé vers l’éternité?

Examinez, prononcez, et s’il en est ainsi, réjouissez-vous, car l’Esprit de Dieu est bien l’auteur de votre foi et de votre sagesse, vous êtes bien élus, sauvés, sanctifiés et enfants de Dieu pour l’éternité.

Si, au contraire, il n’en était pas encore ainsi pour vous, et que vous éprouvassiez seulement à cette heure un premier désir de goûter tous ces biens, sachez que ce désir même vient de Dieu, et que le Dieu qui te donne veut aussi l’exaucer; une chose vous reste encore à faire: PRIEZ.


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CCXLVIe MÉDITATION.

Lisez 1ère Épître aux Corinthiens XII, 14 à 31.

Les chrétiens sont des membres du même corps


Cette comparaison de la société chrétienne avec le corps humain est admirable de justesse:

Aussi personne ne songe-t-il à contester cette vérité, que pour le bien commun il faut une tête et des pieds; et, toutefois, tous tendent à se faire tête pour commander, et personne ne se soucie de rester pieds pour traîner dans la poussière.

Comment réprimer ces folles prétentions?

Sera-ce en faisant observer qu’il faut cependant bien des membres inférieurs?

Que ces membres ne sont pas moins utiles, pas moins nécessaires, pas moins honorables que ceux qui dominent le corps?

Oui, présentez toutes ces sages considérations, et cependant, nous le craignons bien, après les avoir entendues et approuvées, chaque approbateur n’en désirera pas moins cesser d’obéir, pour prendre le commandement.

Cela est si vrai, qu’on voit tous les jours des hommes refuser un poste parce qu’ils le croient au-dessous d’eux, et bien rarement parce qu’ils le jugent au-dessus de leur portée.

Dans les affaires de ce monde et parmi les hommes du siècle, cela se conçoit, car l’homme n’y a de compte à rendre qu’à l’homme; et pourvu que celui qui donne une charge se déclare satisfait, celui qui la reçoit n’a pas à s’inquiéter s’il la remplit bien ou mal.

Mais pour le chrétien, tout n’est-il pas différent?

La responsabilité ne s’accroît-elle pas avec la grandeur de l’office?

Et n’est-il pas plus terrible d’avoir à rendre compte à Dieu d’une vaste administration dans son royaume, qu’il n’est humiliant de rester au dernier rang parmi ses serviteurs?

Aspirer à monter, pour un chrétien, n’est-ce pas prétendre à plus de fatigue, à plus de dangers, à une responsabilité plus grande?

Demander qu’on lui confie dix talents, à lui qui n’en a jamais administré qu’un seul, n’est-ce pas s’engager en même temps à produire dix fois plus qu’on ne lui en aurait sans cela demandé?

Sans doute; mais cette pensée ne vient à personne; triste preuve qu’on désire s’élever, non pour la gloire de Dieu, mais pour sa propre gloire.

Ah! ce n’est pas ainsi que l’entendaient les chrétiens de la primitive Église, lorsque, défiants d’eux-mêmes, ils fuyaient au désert pour échapper à la charge d’évêque, dont le peuple voulait les investir.

Ce n’est pas ainsi qu’en jugeait Jonas, plus effrayé que touché de l’honneur d’appeler Ninive la grande à se convertir.

Ce n’est pas ainsi que le voyait un Moïse opposant tour à tour sa faiblesse et son ignorance pour décliner la gloire d’humilier Pharaon.

Je comprends que ces hommes d’élite puissent, au jour du jugement, excuser les imperfections restées dans l’accomplissement de leur tâche, en disant: «Seigneur, c’est toi qui l’as voulu!»

Mais nous, quelle sera notre excuse après avoir mal rempli un poste dont nous-mêmes nous serons emparés?

Ah! si nous nous faisions une idée plus juste de la responsabilité du chrétien, nous nous estimerions heureux de rester dans l’ombre, au dernier rang, sans impatience qu’on vienne nous en tirer.

Nous bénirions Dieu de n’avoir pas chargé sur nos épaules un fardeau assez lourd pour nous faire fléchir et peut-être tomber.

Nous demeurerions joyeux où nous sommes, persuadés que pieds ou tête nous appartenons toujours au corps de Jésus-Christ, et que nous sommes tout aussi complètement sauvés qu’un Saint Paul ou qu’un prophète Isaïe.

Ce ne sont pas les grands, même les grands de l’Église, qui seront nécessairement les grands du royaume de Dieu, mais bien ceux qui, grands ou petits, prophètes ou fidèles, princes ou esclaves, auront STRICTEMENT ACCOMPLI LES DEVOIRS DE LEUR POSITION;

en sorte que:


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CCXLVIIe MÉDITATION.

Lisez 1ère Épître aux Corinthiens XIII.

La charité c'est l'amour


Après avoir lu de telles paroles, nous n’osons rien y ajouter; nous sentons que notre souffle ne peut que les ternir, et nous serions tenté de dire: Laissez là notre pâle commentaire pour lire une seconde fois le texte sacré. Toutefois, poussé par le devoir que nous nous sommes imposé, nous parlerons; que Dieu vienne en aide à la pauvreté de nos paroles par la richesse de son Esprit.

La main de l’homme qui a découpé la Bible en chapitres a été ici malheureuse, en séparant le dernier verset de notre dernière lecture, du premier de celle d’aujourd’hui.

En effet, c’est toujours le même sujet, la charité qui d’abord nous est présentée comme un don de Dieu, et que Paul nous dépeint ensuite pour nous la faire désirer.

Si cette fausse division ne nous eût pas empêchés de contempler ces deux idées en même temps, peut-être aurions-nous été plus facilement conduits à demander à Dieu, comme don, une vertu que jusqu’à présent, en lisant ce chapitre seul, nous n’avons guère songé qu’à admirer.

En effet, nous l’oublions trop souvent, la charité comme la foi vient de Dieu;

Si la main qui a partagé ce beau sujet en deux chapitres n’a pas été heureuse, la plume qui l’a fait passer dans nos versions ne l’a pas été davantage. Le mot CHARITÉ ne traduit que la lettre du texte; c’est AMOUR qu’il faudrait pour en rendre l’esprit.

Et voyez, en effet, comme dès lors le sens est plus beau, plus émouvant, plus digne de la Bible et de Dieu:

Prophétie, foi, espérance, tout aura pour nous un terme; l’amour, allumé dans nos cœurs, seul n’aura pas de fin!

DIEU EST AMOUR; par l’amour, nous lui serons rendus semblables; par l’amour, nous lui serons unis; par l’amour, nous ne ferons plus qu’un tout ensemble, et plus qu’un avec lui!

Ah! que l’Apôtre a bien raison de dire que parler les langues des Anges n’est rien à côté de posséder l’amour! et combien à cette heure je sens avec force et tristesse que tout langage humain est impuissant pour peindre un tel sentiment, impuissant surtout pour en communiquer l’étincelle!

Il me semble que si je pouvais toucher votre main, vous jeter un regard ou tomber avec vous à genoux devant Dieu, je vous en dirais plus sur cet amour dans mon silence qu’avec tous les vains bégaiements de mes lèvres!

Ne cherchez donc pas plus longtemps le plus précieux de tous les dons dans les exhortations de vos frères ni dans vos propres contemplations; mais REMONTEZ À LA SOURCE.

Rappelez-vous que l’amour est une grâce du Seigneur, et que lui seul peut la communiquer.

Ne priez plus seulement pour obtenir la foi, pour recevoir le pardon de vos péchés, pour acquérir la sagesse du Saint-Esprit;

L’amour vous dirigera mieux que la science, vous donnera plus de force que la foi, vous gagnera plus de cœurs que le sacrifice de vos biens et de votre vie; et surtout l’amour vous donnera plus de joie que tout le reste ensemble.

L’amour est la fin de toutes choses. Vous n’emporterez que lui de ce monde, vous ne trouverez que lui dans le Ciel. Apprenez donc à aimer dans votre enfance terrestre le seul pain qui doit vous nourrir durant toute l’éternité!


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CCXLVIIIe MÉDITATION.

Lisez 1ère Épître aux Corinthiens XIV, 1 à 22.

Mauvais usage des dons spirituels


En lisant ce chapitre, on est presque étonné de voir le don des langues étrangères répandu dans la primitive Église. Mais l’étonnement disparaît dès qu’on se dit que cette communication miraculeuse d’une langue inconnue, pas plus merveilleuse que la faculté de parler elle-même accordée au genre humain, était nécessaire à cette époque pour faire voler avec rapidité, chez les différents peuples, la connaissance de l’Évangile par la prédication dans la langue de chacun d’eux.

Mais si nous avons tort de nous étonner du don des langues fait par Dieu aux premiers prédicateurs de l’Évangile, nous le pouvons, à bon droit, de l’usage que semblent en avoir fait les Corinthiens.

D'après les exhortations que leur adresse l’Apôtre, il paraît que quelques-uns de ces chrétiens, enrichis de ce don miraculeux, restaient cependant pauvres dans la sanctification, et qu’ils n’étaient pas inaccessibles à la vanité de parler une langue étrangère en présence de ceux qui ne la comprenaient pas.

Ce n’était pas précisément de leur science propre qu’ils étaient orgueilleux, mais plutôt d’avoir été l’objet d’une grâce du Seigneur.

N’êtes-vous pas choqués de cette anomalie: recevoir de Dieu une puissance miraculeuse, et cependant rester courbé sous des faiblesses humaines?

Bien plus: transporter ces faiblesses jusque dans l’emploi qu’on fait de cette puissance elle-même!

Oui, cela est étrange; mais cela est. Non seulement on a vu chez les Corinthiens, mais on voit chez nous ce mélange des dons de Dieu et des passions de l’homme, et le don lui-même détourné de son légitime emploi; on voit, par exemple, chaque jour la foi et la science écartées de leur but: la sanctification, et mises au service de nos petites vanités.

Encore une fois, il semble que cela soit impossible; mais encore une fois, cela se réalise chez nous comme à Corinthe; il ne nous reste donc qu'à convenir du fait pour en tirer les conséquences.

Et d’abord quant à nous-mêmes: de ce que le Seigneur nous a confié certain don spirituel, ne sommes-nous pas trop enclins à conclure qu’il nous approuve en toutes choses?

Et sous la sauvegarde de ce privilège ne tendons-nous pas à faire passer notre propre volonté?

Pour être mieux compris, citons un exemple:

Voilà ce que j’appelle abuser des dons de Dieu, les pervertir, les tourner en dissolution.

L’existence simultanée en nous des dons divins et des faiblesses humaines doit aussi nous rendre réservés dans nos jugements sur nos frères en la foi.

Malheureusement, dès que nous découvrons dans un homme quelque défaut saillant, nous sommes bien vite conduits à mettre en doute la réalité de sa conversion.

Nous lui appliquons avec rigidité cette parole: tel arbre, tel fruit.

Mais, de grâce, nous qui nous connaissons si bien, descendons en nous-mêmes, et voyons s’il ne s’y trouve pas aussi de ces contradictions qui ne nous choquent plus, uniquement parce que nous sommes parvenus à nous les dissimuler.

Pour cela, doutons-nous de notre propre conversion?

Non!

Mais nous disons que c’est en nous la lutte du vieil homme qui faiblit contre le nouveau qui se fortifie, et nous nous consolons.

Pourquoi donc ne sommes-nous plus aussi ingénieux à trouver de semblables explications quand il s’agit de nos frères?

Pourquoi toujours soupçonner plus de mal que nous n’en voyons?

Pourquoi estimer les autres pires que nous?

Pourquoi leur refuser l’indulgence que nous réclamerions bien haut, s’ils pouvaient, eux, mettre à découvert nos torts secrets?

Ainsi donc, pour n’avoir pas assez compris que du bien et du mal peuvent se trouver ensemble dans le même homme,

En faisant le contraire à l’avenir, nous ferons beaucoup mieux; puisque nous sommes convertis;


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CCXLIXe MÉDITATION.

Lisez 1ère Épître aux Corinthiens XIV, 21 à 40.

Les esprits des Prophètes sont soumis aux Prophètes


«Les esprits des Prophètes sont soumis aux Prophètes.»

Cette parole, obscure pour quelques-uns peut-être, renferme un sens profond qu’il nous importe à tous de pénétrer.

À l’époque et dans la contrée où parlait l’Apôtre se trouvaient, dans les temples païens, des pythonisses qui, montées sur un trépied au fond du sanctuaire, prétendaient attendre l’esprit et parler ensuite sous son impulsion.

Mais remarquez qu’avant de prophétiser, ces femmes qui s’agitaient avec violence, à les en croire, résistaient au dieu et ne parlaient que contraintes par l’inspiration.

Telle n’est pas l’action de l’Esprit de Dieu sur les chrétiens; et c’est ce que veut faire comprendre Paul quand il nous dit: «Les esprits des Prophètes sont soumis aux Prophètes;» en d’autres termes: l’Esprit de Dieu ne contraint pas l’esprit de l’homme; il l’éclaire, et ainsi le fait prophète; le réchauffe, et ainsi le porte à aimer; mais rien de plus, et:

LA VOLONTÉ DE L’HOMME INSPIRÉ SE MEUT ENCORE EN TOUTE LIBERTÉ.

C’est toujours la même vérité que nous avons déjà vue se produire sous vingt formes différentes:

Aussi, voyez comme Paul nous renvoie à la source de toute grâce, et en même temps nous exhorte à la vigilance; voyez comme il nous dit que nous ne pouvons rien, et cependant nous engage à tout faire.

Expliquer comment l’Esprit divin agit sur notre esprit sans gêner sa liberté, nous l’avons dit aussi, nous est chose impossible. Mais il nous importe peu de dévoiler une explication que Dieu nous a cachée; ce qui nous importe, c’est bien plutôt d’être attentifs à la double conséquence qui résulte du fait lui-même.

Puisque l’Esprit de Dieu peut nous être communiqué, demandons-Ie; mais puisqu’il ne frappe qu’à petits coups à la porte de nos cœurs, bien loin de l’ébranler, prêtons l’oreille à ses légers avertissements; écoutons ses premiers appels dans la crainte qu’il ne s’enfuie attristé par nos retards.

Puisque l’Esprit de Dieu n’agit sur nous que par les douces sollicitations de l’amour et par l’éveil timide de la conscience, cédons à la faible impulsion qu’il nous imprime; car il n’en viendra jamais à nous contraindre, et peut-être se lassera-t-il de nous pousser si nous résistons encore longtemps.

Il serait indigne de lui, divin envoyé, et indigne de nous, êtres moraux, qu’il nous conduisît comme la brute par le fouet, ou comme la machine par la force.

En un mot, c’est un flambeau qui brûle en nous, mais un flambeau que peut éteindre le vent de la passion.

Ah! comprenons ce qu’il y a de doux et de rassurant à se savoir ouvrier avec Dieu! Secourus par un tel compagnon d’œuvre, pourrions-nous travailler en vain?

Et cependant, aidés par un tel compagnon d’œuvre, comment, de ce que nous aurons fait avec son concours, pourrions-nous nous enorgueillir?

Comprenons le noble privilège d’être APPELÉS et non poussés, de céder à l’attrait de L’AMOUR et non à la peur de la verge.

Admirons ce qu’il y a de profonde sagesse dans cette union de deux tendances en apparences inconciliables, nous appelant à puiser en Dieu des forces que nous dépenserons ensuite, comme nous étant propres, avec confiance et satisfaction.

Oui, Seigneur, nous reconnaissons à cette heure la justesse de cette parole: «Les esprits des Prophètes sont soumis aux Prophètes;», car nous avons fait l’expérience que nous-mêmes nous restions libres sous l’impulsion de ta grâce.

Donne-nous donc de nous rappeler toujours également les deux faces de cette grande vérité, afin que nous ne cessions ni de prier, ni de veiller, et qu’ainsi nous marchions conduits et soutenus par les deux mains.


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CCLe MÉDITATION.

Lisez 1ère Épître aux Corinthiens XV, 1 à 32.

Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons


«Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous sommes morts

Ce raisonnement est si puissant qu’il entraînerait les incrédules les plus tenaces, si le raisonnement, sans le secours de l’Esprit-Saint, était capable de convaincre le cœur, siège de l’incrédulité.

Mais plaçons-nous par la prière sous l’influence de cet Esprit, et nous trouverons peut-être un appui pour notre foi, si souvent chancelante, jusque dans l’étude de cette simple déduction : si les morts ne ressuscitent pas, nous devons manger et boire sans inquiétude ni remords; car bientôt, demain peut-être, nous mourrons.

Aussi faut-il reconnaître que l’incrédule n’est que conséquent avec ses principes, quand il s’affranchit du joug pesant de la morale et qu’il vit comme son cœur le mène.

On pourrait même lui faire sentir qu’il n’est pas d’ordinaire conséquent jusqu’au bout, et que s’il l’était il aurait horreur de son incrédulité.

En effet, partons un moment de sa propre opinion que les morts ne ressuscitent pas, et voyons quelle devrait être la conduite de l’homme qui n’a que quatre jours de vie, et que chaque heure pousse vers le néant.

«Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons,» dit Saint Paul.

Oui, mangeons avec abondance; que notre ventre devienne notre Dieu. Buvons jusqu’à la douce ivresse et ne nous arrêtons qu’à la limite qu’impose la santé; car jamais ni avant, ni après la mort, nous n’aurons à rendre compte de notre intempérance.

Prenons notre règle de vie dans notre convenance; avant tout, satisfaisons nos sens.

Après avoir joui de la gourmandise, plongeons-nous dans la volupté.

Pourquoi non, puisque nous n’en serons jamais punis?

Dès qu’aucun Dieu ne nous l’a prescrite, la pureté n’est plus qu’une invention pour les sots; prêchons-la pour faire des dupes, mais gardons-nous d’y croire. Il nous suffira de nous cacher pour éviter le blâme, et nous aurons pour profit la considération des hommes à côté des plaisirs.

Si les morts ne ressuscitent pas, amassons cet or, source de toutes les jouissances de la seule vie que nous aurons jamais; amassons-le vite et par tous les moyens.

Qu’avons-nous à craindre?

Serait-ce les jugements de Dieu?

Mais il n’y pas de jugement pour les âmes qui ne doivent pas revivre.

Serait-ce les condamnations des hommes?

Mais avec un peu d’adresse on échappe à la justice humaine.

Nous pouvons donc être injustes pourvu que nous ayons soin de l’être avec hypocrisie; car la vertu n’est qu’un vain fantôme dès qu’il n’y a plus de résurrection, ni d’avenir.

Si les morts ne ressuscitent pas, demandons à cette vie toute la joie qu’elle peut donner; demandons à cette terre toute la place que nous pouvons y tenir; et si parfois nos semblables nous gênent, écartons-les de notre passage.

S’ils résistent, usons de nos forces, et si même il le faut, frappons...

Je m’arrête, car à moi comme à vous ces conséquences font horreur; cependant ne sont-elles pas rigoureusement déduites de l’incrédulité?

Que peut-on leur opposer?

Rien, sinon que LEUR PRINCIPE EST FAUX ET QUE DÈS LORS LES MORTS DOIVENT UN JOUR RESSUSCITER.

Que l'homme le plus calme examine ce raisonnement, et je le défie de le renverser; comme je le défie de réprimer son indignation en face des conséquences révoltantes, mais inévitables, que je viens d’en déduire.

Pour nous, chrétiens, sachons voir dans de telles preuves d’une résurrection, non pas des motifs pour vivre saintement, car des motifs efficaces pour cela ne peuvent nous être inspirés que par l’amour de Dieu; mais sachons voir dans ces bases solides, froides, inébranlables de notre avenir, des barrières puissantes qui nous arrêteront à ces heures terribles où la foi semble nous abandonner, et où la passion est sur le point de nous vaincre.

À ces instants de détresse, on a peine à prier; on craint de s’égarer. Mais en face d’une déduction calme, logique, notre exigeante raison sera contrainte de céder; et alors peut-être, retenus sur le bord d’un abîme, nous épargnerons-nous une chute et reviendrons-nous enfin à des heures moins périlleuses où il nous sera plus facile de prier.


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CCLIe MÉDITATION.

Lisez 1ère Épître aux Corinthiens XV, 33 à 58.

Les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs


«Ne vous abusez pas: les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs.»

Ces paroles comportent un sens plus étendu que celui qu’on leur attribue ordinairement.

Ce qui corrompt les bonnes mœurs, ce n’est pas seulement la société habituelle et intime des personnes de mœurs mauvaises, mais c’est encore la simple vue, la seule ouïe, l’unique contact de ce qui est mal.

Il n’est pas nécessaire d’habiter ou seulement d’avoir des fréquentations avec les méchants; il suffit de jeter l'oeil, de tendre l’oreille ou d’avancer la main sur leurs œuvres. Dans ce sens, la corruption nous poursuit dans nos rues, dans nos demeures et jusque dans la solitude; elle nous sollicite constamment, nous gagne comme une contagion, nous séduit, nous entraîne avant que nous ayons songé à nous en préserver.

Notre nature a pour le mal une telle affinité, qu’elle s’y précipite et s’y mêle dès qu’elle le rencontre; notre cœur est une éponge qui se sature vite dans le milieu où on le plonge, pourvu que ce milieu soit corrompu.

En effet, placez un homme pécheur dans une société de saints; pensez-vous qu’il s’imprégnera bien promptement de la sainteté?

Faites l’expérience contraire: placez un homme honnête au centre d’un cercle corrompu, croyez-vous qu’il reste bien longtemps pur de toute mauvaise pensée, de toute mauvaise action?

Pour prouver tout cela, il n’est besoin ni de calcul ni de raisonnement; il suffit d’écouter sa conscience et de se rappeler sa propre vie.

S’il en est ainsi, de quelle prudence ne devons-nous donc pas user en marchant à travers un monde corrupteur!

Quelles précautions ne devons-nous pas prendre contre les autres et contre nous-mêmes!

Non, il n’est pas de faiblesse, de vice, j’allais dire de crime, dont je voulusse me déclarer incapable, une fois engagé dans une société dépravée; et ce qu’il importe de se rappeler, c’est que, entre cette société et la société des enfants de Dieu, il en est mille autres intermédiaires qu’on redoute moins, mais qui sont, toutefois, sur la même pente, et dont chacune sert d’échelon, non pour monter, mais pour descendre.

Peut-être quelques-uns, en nous écoutant, se seront-ils dit que ce danger, réel pour l’homme du monde, est nul pour le chrétien. À ces personnes, nous ferons remarquer que Saint Paul ne dit pas que les mauvaises compagnies corrompent les mœurs, mais bien les BONNES mœurs; en sorte que c’est à des chrétiens de bonnes mœurs qu’il donne ces avertissements.

Sans doute, un homme converti résistera mieux et plus longtemps à l'entraînement de l’imitation qui gagne si vite l’homme naturel, quand il s’agit du mal; mais enfin, après une longue lutte où les forces s’épuisent bien loin de se développer, la tentation reviendra, toujours vivace, jusqu’à ce qu’elle enlace et étouffe l’homme converti lui-même.

Je ne connais qu’une classe de chrétiens qui n’aient rien à craindre de la vue du mauvais exemple: ce sont ceux que désigne le même Apôtre, quand il dit que tout est saint pour les saints.

Mais qui de nous oserait s’appliquer ces paroles?

Qui de nous est déjà saint?

Ah! tout convertis, tout chrétiens que nous sommes, méfions-nous de nous-mêmes; NOUS NE TOMBERONS JAMAIS PAR UN EXCÈS DE PRÉCAUTION et nous ne savons pas encore jusqu’où les mauvais exemples peuvent nous entraîner.

Le plus sage est de les fuir, fussions-nous certains d’en approcher cent fois, sans y tomber.


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CCLIIe MÉDITATION.

Lisez 1ère Épître aux Corinthiens XVI.

Délicatesse de sentiments chez Saint Paul


Il y a dans le caractère de Saint-Paul une délicatesse de sentiment et de procédés qui échappe à une lecture superficielle de ses Épîtres, mais qu’on savoure avec délices lorsqu’on a su la découvrir.

Pour en trouver des traces, étudions ce dernier chapitre sous ce point de vue particulier.

Et d’abord étudions la conduite de l’Apôtre, relativement à la collecte qu’il engage les Corinthiens à faire en faveur des pauvres de Jérusalem.

Il veut qu’elle soit faite sans lui, — avant qu’il arrive, — qu’elle soit portée par d’autres, — et enfin que, si son voyage à Jérusalem est jugé absolument nécessaire, des personnes choisies par les Corinthiens l’accompagnent et ainsi surveillent l’emploi de ces aumônes.

Paul n’exprime pas cette dernière pensée, retenu qu’il est par la même délicatesse qui le pousse à la faire deviner;

Combien de chrétiens parmi nous qui, tout aussi probes, n’auraient pas été aussi délicats et qui auraient cru se manquer à eux-mêmes en s’imposant un contrôle, en se donnant des gardiens!

Voici un second exemple: Paul dit aux Corinthiens qu’il a vivement engagé Apollos à se rendre au milieu d’eux; mais qu’Apollos, pour le moment, ne l’a pas voulu.

Paul, apôtre et un des plus grands, s’est-il irrité de cette résistance de la part d’un simple serviteur de Dieu?

En a-t-il appelé aux droits que semblaient lui donner ses services, ses souffrances, ses dons spirituels et miraculeux?

Laisse-t-il seulement échapper un souffle de blâme contre Apollos?

Non, loin de là; il l'excuse et ajoute aussitôt: «Il ira vous voir dès qu'il en trouvera l’occasion.»

Quel religieux respect pour la conscience d’autrui! Quelle modération dans l’emploi de son autorité et quelle charité envers celui même qui lui résiste!

Enfin je trouve un dernier indice de cette délicatesse, précisément dans une parole qui, au premier abord, semble empreinte de dureté. Entre deux souhaits affectueux, Paul place cette terrible menace: «Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème!»

Mais pour nous, qui avons lu l’Épître entière avec attention, et qui, à chaque page, avons entrevu des allusions à de faux et dangereux docteurs qui égaraient les Corinthiens, cette parole ne nous étonne pas.

Nous y voyons au contraire une mesure, une réserve que nous avons déjà remarquées dans chacune de ces allusions.

Ces faux et dangereux docteurs, Saint Paul aurait pu les désigner personnellement; au lieu de le faire, il tait leurs noms.

Sans les désigner nominativement, il aurait pu les mettre en scène, mais non, il l’évite aussi; il arme les Corinthiens CONTRE LEURS DOCTRINES ET NON CONTRE LEURS PERSONNES; au mot déjà vague de docteur, il substitue le terme plus vague encore de quelqu’un. Il ne dit pas même: il y a parmi vous quelqu’un; mais s’il y a quelqu'un (chez vous ou ailleurs) qui n’aime pas le Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème!

D’autres hommes aussi ont porté des anathèmes, mais quelle différence entre leurs sentiments et ceux de Saint Paul! L’Apôtre prononce de simples paroles; ces hommes ont lancé des foudres suivies de la persécution!

Paul anathématise, c’est-à-dire retranche de l’Église des hommes qui rejettent Jésus-Christ, fondement même de la religion; mais eux (nous peut-être faudrait-il dire) nous avons prononcé des anathèmes pour de simples nuances d’opinions, pour des misères qui portaient plus d’atteinte à notre orgueil qu’a la gloire de Dieu! Non, Paul ne pouvait pas, sans infidélité, se montrer plus indulgent envers les ennemis du Sauveur!


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CCLIIIe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens I.

La fin ne justifie pas les moyens


Quel pensez-vous que puisse être le sujet qu’avait Saint Paul de se glorifier?

Ou, si ce mot vous semble étrange dans la bouche d’un chrétien, de se réjouir?

Est-ce d’avoir accompli de si grands travaux, supporté tant d’épreuves, fondé tant d’églises?

Non: c’est, dit-il lui-même, de s’être conduit avec simplicité et sincérité, c’est-à-dire, comme il l’explique immédiatement, d’avoir écarté tout artifice humain pour n’agir que sous l’impulsion de la grâce de Dieu.

C’est qu’en effet on peut travailler à une œuvre chrétienne de deux manières bien différentes:

Celui qui suit la première de ces deux marches appelle à son secours tout ce qu’il a d’intelligence en lui, d’influence au dehors; s'il ne peut marcher droit, il biaise; à l’intelligence il ajoute l’adresse; à l’influence l’intrigue, et, s’appuyant sur son intention finale, il en vient à BÂTIR LA MAISON DE DIEU AVEC DES PIERRES EMPRUNTÉES À SATAN.

Le chrétien simple, au contraire, ne s'inquiète ni de la promptitude de sa réussite, ni de l’étendue de son œuvre; il regarde seulement à ses mains pour s’assurer qu’elles sont pures, et à son œuvre du moment pour se convaincre qu’elle est avouable.

Ou plutôt, il se borne à mettre en œuvre les instruments que Dieu lui donne, à profiter des occasions qui lui sont fournies. Si, au moment d’atteindre un beau succès, il voit son attente trompée, il s’arrête, se console et recommence ailleurs avec la même simplicité.

De ces deux voies, quelle est celle que nous suivons?

Je l’ignore et je n’ai pas besoin de le savoir, pourvu que chacun le sache pour lui-même. Mais, ce que je voudrais dire encore, c’est la différence profonde qui sépare l’état d’esprit de ces deux hommes, et montrer qu’en effet la joie n’est possible que dans la simplicité et la sincérité.

Vous qui vous êtes dit qu’avant tout vous vouliez réussir dans une entreprise chrétienne, et qui, pour y parvenir, employez toutes les ressources de l’art humain, voyez quelles difficultés vous amoncelez à vos pieds: non contents d’avoir le monde contre vous, vous y mettez Dieu lui-même qui ne peut pas bénir et qui détruira tôt ou tard votre œuvre.

Vous bâtissez en vain; la maison croulera lorsque vous croirez y poser la dernière pierre.

Convenez-en avec nous:

Ah! combien le chrétien simple et sincère est plus heureux que vous!

Toujours assuré de réussir, puisque son élément de succès est dans l’absence même de toute combinaison, il n’a besoin que d’une disposition d’âme dont il est toujours maître: sa droiture, sa candeur, son abandon à la volonté de Dieu.

Enfin, remarquez qu’une telles conduite est à la portée de tous: pauvres et riches, ignorants et savants, enfants et vieillards. Tous les hommes ne possèdent pas intelligence, fortune, autorité pour en user avec art; mais tous possèdent, dès qu’ils le veulent, simplicité et droiture, et tous ainsi sont également assurés d’être agréables à Dieu,


QUI NE REGARDE NI À LA HAUTEUR, NI À L’ÉTENDUE DE L’ŒUVRE,

MAIS UNIQUEMENT À L’INTENTION DE L’OUVRIER.


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CCLIVe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens II.

La répréhension fraternelle


Nous trouvons ici à la fois le précepte et l’exemple de la répréhension fraternelle: le précepte dans les recommandations de Paul au sujet de l’incestueux, et l’exemple dans le retard que cet Apôtre met à se rendre à Corinthe.

Paul aurait voulu que les Corinthiens reprissent avec moins de rudesse ce pécheur scandaleux, afin de ne pas l’affliger outre mesure; ensuite, si lui-même a tardé à se rendre au milieu d’eux, censeurs trop sévères, c’est précisément aussi pour les épargner.

De toutes les vertus évangéliques, il n’en est peut-être pas de plus facile à pratiquer, et cependant il n’en est peut-être pas non plus de plus négligée que cette correction fraternelle de la part des chrétiens.

Quoi de plus facile en effet que de voir le mal chez les autres, de le leur signaler?

Et toutefois, combien rares sont parmi nous des hommes qui osent ainsi faire?

D’où vient donc notre retenue?

De la crainte que nos réprimandes soient mal reçues, qu’elles restent infructueuses ou qu’elles ne produisent que de l’irritation chez ceux qu’elles sont destinées à corriger, il faut convenir que ces prévisions ne sont pas sans fondement, et que presque toujours les observations les plus justes sont repoussées avec dédain par ceux qui devraient les recevoir avec reconnaissance.

Mais faisons un pas de plus, et demandons-nous quelle est la cause de l’irritation des frères que nous nous hasardons à reprendre.

Mais sont-ce bien là toutes les causes qui provoquent la mauvaise humeur de ces hommes par nous censurés?

Leur dépit n’est-il pas aussi excité par une juste pénétration de nos pensées secrètes?

Ainsi, ne leur avons-nous pas parlé de telle sorte qu’ils aient pu croire que nous nous estimons meilleurs qu’eux?

N’avons-nous pas mis dans nos censures un ton de reproche qui semblait dire que c’était nous plus que Dieu qu’ils avaient offensés, et une insistance qui décelait plus notre désir de prouver que nous avions raison, qu’elle ne manifestait notre espérance de voir ces pécheurs se justifier?

Dès lors, n’est-ce pas nous aussi, censeurs plus exacts que chrétiens, qui rendons infructueuses nos critiques les mieux fondées?

Ah! si nous étions allés vers ces frères coupables avec l’amour dans le cœur, si nous leur avions parlé avec ce saint tremblement que donne l’humilité, si nous avions confondu notre cause avec la leur, si nous nous étions accusés avec eux; (et qui de nous ne peut le faire avec sincérité?) en un mot, si ces frères avaient pu reconnaître à l’émotion de notre voix, à l’humidité de nos paupières, que l’amour inspirait nos démarches, certainement nous n’eussions pas été ainsi reçus; et se fussent-ils d’abord révoltés contre nos paroles, ils n’eussent pas eu le courage de persévérer dans leur irritation, en nous voyant courber la tête, leur prendre la main et insister avec douceur.

Oui, l’amour a des accents à lui qui contraignent les plus endurcis à le reconnaître, et je n’en veux pour preuve que l’impression que font sur nous-mêmes les exhortations de Saint-Paul.

L’Apôtre censure, tonne, condamne; nous sentons que ce qu’il dit s’adresse, non seulement aux Corinthiens, mais encore à nous, ses lecteurs de tous les siècles; et cependant la pensée ne nous vient jamais de nous irriter contre lui, ni jamais de lui dire: «Médecin, guéris-toi toi-même.»

C’est qu’aux accents de sa voix nous reconnaissons que les censures de Saint Paul contre nous partent d’un cœur plein d’amour; comme le récit de ses propres succès, d’un cœur plein d’humilité; en sorte que ce n’est jamais ni notre humiliation, ni sa gloire qu’il cherche, mais bien notre salut et la gloire de Dieu.

Ayons donc l’humilité et l’amour de l’Apôtre; alors nos frères nous prêteront l’oreille; au lieu de s’irriter, ils profiteront de nos avertissements, et peut-être un jour quelques malades rétablis viendront-ils remercier leurs fidèles et charitables médecins.


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CCLVe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens III.

Le voile de Moïse pèse sur les yeux des Juifs


À ne tenir compte que des circonstances humaines, les Juifs auraient dû être les plus empressés et les plus nombreux à se convertir après la résurrection du Seigneur; car ils avaient déjà entre les mains, et ils recevaient comme divinement inspiré, le livre des prophéties récemment accomplies par Jésus.

Toutefois, chose étrange! ce ne sont pas eux, mais les Gentils qui abondent dans l’église chrétienne du premier siècle; et nous voyons Saint Paul secouer à chaque pas la poussière de ses pieds contre la synagogue, pour se tourner vers les païens.

Ce phénomène s’est perpétué à travers les dix-huit siècles du christianisme déjà écoulés; le peuple qui porte dans son Ancien-Testament les preuves que Jésus est bien le Messie, s’est constamment obstiné à repousser l’Évangile; et de nos jours, où l’on s’occupe si vivement de le convertir, c’est par unité et non par centaines, comme chez d’autres peuples, que les conversions se comptent dans son sein.

Qui nous expliquera ce fait?

Le voile de Moïse, reposant sur les yeux des enfants d’Abraham; c’est ce que leur dit Saint Paul, et c’est ce que doit reconnaître l’incrédule.

En effet, même en niant la divinité du christianisme, il restera toujours entre les prophéties et la vie de Christ des rapports, faibles à vos yeux si vous voulez, mais à vos yeux encore incontestables. Dès lors pourquoi ces rapports indistincts ou évidents frappent-ils les païens qui ouvrent l’Ancien-Testament pour la première fois, tandis qu’ils ne sont pas même aperçus par les Juifs, qui lisent et respectent ce livre depuis leur enfance?

Encore une fois parce que le voile de Moïse reste sur les yeux des enfants d’Abraham.

La double expérience en a été faite par tous les vrais chrétiens. Ils se rappellent le jour où ils ne comprenaient rien à la Bible, où, en particulier, ces Épîtres de Saint Paul que nous étudions dans ce moment, étaient pour eux lettre close.

Sans doute ils admiraient bien çà et là quelques beaux préceptes de morale, mais ces passages eux-mêmes ne servaient qu’à faire ressortir plus obscurs à leurs yeux ceux où les doctrines étaient exposées.

Eh bien, un jour est venu ou ces mêmes hommes ont été tout étonnés, en ouvrant cette même Bible, de la comprendre et de la goûter.

Comme les Apôtres à la Pentecôte, ils avaient appris, sans l’étudier, une langue étrangère, celle des Saintes Écritures.

Comment expliquer ce changement subit et complet?

Par le voile de Moïse levé pour ces chrétiens.

Aujourd’hui, ils lisent à visage découvert dans un livre écrit dans la langue de leur patrie, et offrant des pensées si claires qu’ils s’étonnent de ne les avoir pas toujours comprises.

Cette expérience, comme celle des Juifs, doit frapper l’incrédule; car n’aperçût-il, lui, aucune trace de divinité dans cette Bible, il lui resterait toujours à s’expliquer comment les mêmes hommes doués de la même intelligence voient aujourd’hui, sans nouvelles études, sans laps de temps, ce qu’ils n’avaient pas même soupçonné hier!

Et plus l’incrédule insistera sur l’absence de ces preuves internes de divinité, plus inexplicable il rendra la vue qu’en ont acquise les hommes qui naguère niaient, comme lui, cette divinité. Il doit donc reconnaître, lui-même, que pour un chrétien un voile a été enlevé.

Mais quand?

Est-ce avant de croire?

Mais comment?

Est-ce par l’étude?

Cet homme a-t-il fait des efforts pour lire à travers les mailles du voile qui reposait sur le livre?

Non; il a commencé par se convertir; et ensuite il a compris. C’est ce que dit ici l’Apôtre: «Quand ils se convertiront au Seigneur, le voile sera ôté.»

Oh! vous donc qui attendez pour croire en Jésus-Christ d’avoir vu dans sa Parole les preuves irrécusables de sa céleste origine, détrompez-vous. Il faut avant tout que vous vous tourniez vers «le Seigneur» qui, comme le dit encore ici l’Apôtre, «est cet Esprit,» l’Esprit qui vous éclairera.

Pour pénétrer à salut le sens de la Bible, il faut que vous soyez munis d’un flambeau que Dieu seul peut mettre entre vos mains.

Et pourquoi donc en serait-il autrement?

N’est-ce pas de pardon que vous ayez surtout besoin?

N’est-ce pas votre cœur qui avant tout doit être changé?

Dieu pour conduire au salut imposera-t-il donc au genre humain, composé en presque totalité de pauvres et d’ignorants, l’étude approfondie d’une laborieuse apologétique?

Non, non; il s’adressera à tous dans une langue que tous puissent entendre; il parlera à leurs cœurs, leur retracera leur misère et leur offrira son pardon.

Alors, sur ceux qui auront tourné vers lui leurs regards, Il dirigera sa merveilleuse lumière, et de devant leurs yeux appesantis lèvera le voile de Moïse.


HEUREUX CELUI QUI S’HUMILIE ET LAISSE FAIRE LE SEIGNEUR!


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CCLVIe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens IV.

L’esprit missionnaire créé par le christianisme seul


«J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé.»

Ému de gratitude envers l’Éternel qui l’avait lavé de toutes ses iniquités, David prononce le premier ces paroles, et il vient en présence de tout un peuple publier la bonté de Dieu et sa propre reconnaissance.

Assuré du même pardon par le témoignage du Saint-Esprit, Paul répète les mêmes paroles et court l’Europe et l’Asie pour raconter aussi les bienfaits de son Sauveur.

Tel est le besoin que crée dans le cœur la foi chrétienne:

Aussi, depuis l’Apôtre jusqu’à nos jours, le christianisme a-t-il toujours eu des prédicateurs au dedans, et des missionnaires au dehors.

Cela se comprend: il est impossible de croire à l’existence d’une éternité bienheureuse, gratuitement acquise, sans éprouver vivement le besoin de communiquer cette précieuse conviction.

Comme ce savant de l’antiquité qui, après avoir longtemps cherché avec peine l’explication d’un phénomène et l’avoir enfin trouvée sans effort, se leva tout à coup et courut la ville en criant: «J’ai trouvé! j’ai trouvé!» de même le chrétien éclairé d’une lumière subite qui lui montre un ciel où il n’avait jusque-là vu que le néant, et un pardon où il n’avait aperçu que la condamnation, le chrétien qui voit sortir une pleine assurance de bonheur du sein même de son désespoir, ce chrétien aussi se lève et s'écrie, en courant le monde: «J’ai trouvé le salut! j’ai trouvé le salut!»

Mais cette disposition missionnaire qui résulte du besoin de raconter son propre bonheur naît aussi de l’amour que développe, en nous, pour nos frères, cette assurance du salut; l’amour de Celui qui nous a sauvés, se répand dans nos cœurs, et à notre tour nous éprouvons le désir de servir du moins d’instruments pour sauver d’autres pécheurs.

Aussi, dès qu’il arrive à la foi, le chrétien, quel qu’il soit, pauvre ou riche, ignorant ou instruit, s’industrie-t-il à chercher les moyens de répandre l’Évangile.

Ce qui fait bien sentir ici que le christianisme vient du ciel, c’est que lui seul a jamais créé ce besoin missionnaire.

Toute autre religion s’est contentée de vivre chez soi; à moins que, semblable au mahométisme, elle n’ait cherché dans la diffusion de ses dogmes un moyen politique d’établir une domination.

Mais voyez si jamais les païens de Rome ou d’Athènes ont songé à faire prêcher à d’autres Jupiter ou Minerve! Voyez si les Indous ou les Chinois nous ont jamais envoyé des missionnaires du grand Mogol ou du grand Lama!

Jamais, ni eux, ni d’autres; et cependant ces peuples civilisés se croyaient et se croient encore les premières nations du monde; ils nous appellent barbares! D’où vient donc que la foi chrétienne, seule, est communicative, dévouée, aimante, si ce n’est parce que, seule, elle est divine?

Ce fait est bien digne de remarque; nous manquons d’espace pour le développer, mais nous vous supplions d’y réfléchir.

S’il est vrai que le chrétien doive nécessairement parler parce qu’il croit, nous trouverons donc une mesure de la profondeur de nos convictions religieuses dans les efforts que nous faisons personnellement pour répandre l’Évangile.

Si, pour le chrétien vivant, communiquer sa foi est un besoin, pour le chrétien alangui ce n’est plus qu’un devoir. Il en sent surtout le poids, et si par moments il le soulève, s’il essaie de parler de Christ aux âmes qui périssent, c’est sans abondance et sans joie.

Et que ceux de nous qui se reconnaîtraient à ce portrait n’aillent pas chercher des excuses dans leur manque d’habileté à faire un discours; car on peut annoncer Christ autrement que par de belles paroles.


LA FOI, COMME L’AMOUR, EST INGÉNIEUSE.


Qu’ils n’aillent pas non plus alléguer la difficulté de leurs positions; car dans toutes les positions imaginables les chrétiens peuvent en ceci quelque chose.

Dans les cachots de Philippes, Paul et Silas savaient encore prier.

Nous, ne le pouvons-nous pas en liberté?

Et le faisons-nous?

Que la conscience de chacun réponde, et que cette réponse lui donne la mesure de son zèle et de sa foi!


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CCLVIIe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens V.

Les affections en Christ


Dans cette seconde Épître aux Corinthiens, comme dans la première, Paul ne perd jamais de vue ces faux docteurs qui, jusque dans le christianisme, doctrine d’humilité et de fraternité, plaçaient les Juifs au-dessus de tous les autres peuples.

C’est sans doute aux prétentions de ces hommes, si fiers d’être nés, sans le vouloir, dans la famille d’Abraham, que l'Apôtre fait allusion, en disant: «Nous ne connaissons personne selon la chair, et si nous avons jadis connu Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi;» en d’autres termes:

Telle est en effet l’expérience qu’a faite tout vrai disciple de Jésus-Christ, il se rappelle le temps où il aimait sa famille d’une affection toute différente de celle qu’il ressent aujourd’hui.

C’était un amour exclusif qu’il n’éprouvait pour aucune autre personne; un amour mesquin qui n’avait pas de plus haute ambition que de réunir autour de ses parents les petites douceurs de cette vie, ou de leur en épargner les petits chagrins.

Il avait aussi des amis qu’il préférait à tous les hommes; il ne voulait voir que leurs qualités; il aurait cru manquer à l’amitié, s’il n’eût pas nié leurs défauts, ou s’il eût témoigné la même affection à tout le monde. Son amour lui semblait d’autant plus grand qu’il se resserrait plus autour de quelques êtres; d’autant plus touchant qu’il était plus partial, et d’autant plus beau qu’il était plus jaloux.

Mais du moment où ce cœur naturel et ses vertus sauvages se sont trempés dans la grâce de Dieu, tout a changé.

Ce n’était plus l’homme de jadis; c’était, comme le dit l’Apôtre, une nouvelle créature aimant toujours sa famille, mais cette fois

Mais en aimant aussi tous les hommes, ce chrétien se ferait aujourd’hui un reproche, un crime même, de son amour idolâtre de jadis pour sa famille et ses amis. Sans oublier les droits que donne la nature ni ceux que justifie la sympathie, il apprend à connaître ceux que fait naître l'Évangile; il remet tout à sa place: relève Dieu et rabaisse la créature.


Jadis il eût tout sacrifié à ceux qu’il aimait, excepté son droit à leur affection; aujourd’hui, il continue à aimer même ceux qui ne le paient plus de retour; il les aimera s’il le faut sans jamais le leur dire, sans en rien attendre, malgré eux, et dussent-ils le haïr!

Mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que cet amour chrétien devenu plus pur pour la famille, plus abondant pour tous les hommes, en coulant à grands flots sur le monde, bien loin de s’épuiser, s’accroît et se purifie toujours.

C’est une de ces sources qui n’ont besoin que de couler pour devenir plus pures, un de ces puits où l’eau devient d’autant meilleure qu’on y puise plus souvent.

Admirable résultat qui suffirait à prouver la réalité de la grâce et la divinité de l’Évangile!


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CCLVIIIe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens VI.

Rapports des chrétiens avec le monde


Dans une société où, sur deux hommes qui labourent un même champ et sur deux femmes qui tournent la même roue, l’un est pris à Christ et l’autre laissé au monde, il est évident que certains rapports existeront toujours entre ces deux hommes ou ces deux femmes. Pour qu’il en fût autrement, dit Saint Paul, il faudrait que les chrétiens sortissent du monde.

Du moment que ces rapports sont inévitables, il ne s’agit plus que de savoir ce qu’ils seront. Or, deux êtres différents ne peuvent être longtemps en rapport sans que l’un modifie l’autre jusqu’à ce qu’il s’établisse entre les deux une communauté de sentiments, de langage et d’action.

Cette ressemblance s’établira peut-être lentement, peut-être par des concessions plus grandes d’une part que de l’autre; peut-être même ces concessions, nulles d’un côté, seront-elles toutes de l’autre; mais toujours est-il qu’il y aura infailliblement modification des uns par les autres; car, sans cela, tout rapport entre eux serait difficile, anguleux, déchirant, et devrait bientôt cesser.

Cette nécessité de rapports une fois admise, et l’assimilation des uns aux autres reconnue inévitable, il ne reste plus qu’à savoir lequel modifiera et lequel sera modifié:


Est-ce le disciple du monde qui s’imposera au disciple de Christ?

Ou le disciple de Christ qui s’imposera au disciple du monde?


Si je jette les yeux sur ce qui se passe autour de nous, si j’étudie les rapports journaliers des disciples de Jésus et des enfants du siècle, il me faudra convenir que ce ne sont pas les gens du monde qui, en nous approchant, changent de langage, se font à nos usages et revêtent nos sentiments.

Ce ne sont pas les gens du monde qui, en entrant dans une demeure, déposent leurs pensées habituelles au seuil de la porte, se façonnent pour l’heure sur le modèle qu’ils ont sur les yeux, pour reprendre en sortant leurs propres allures.

Aussi de tout cela que résulte-t-il?

Que notre christianisme s’alanguit; notre sel devient insipide; nous ne sommes plus bons à rien.

Il y a plus: le monde qui, tout en se rappelant nos principes différents des siens, nous voit agir cependant comme lui-même, se dit que ce n’est pas la peine de changer de foi pour garder la même conduite; que ce christianisme, dont nous faisons si grand bruit, est plus une affaire de théorie qu’une affaire d’action; et que, par conséquent, théorie pour théorie, autant lui vaut garder celle qui est en harmonie avec ses goûts. Ainsi, non seulement nous faiblissons devant le monde, mais nous fortifions le monde contre nous-mêmes.

Ah! ce n'est pas là ce que Jésus demandait pour les Apôtres, en priant son Père «de ne pas les ôter du monde, mais de les préserver du mal!»

Ce n’est pas là ce que recommandait Saint Paul aux Corinthiens, en leur disant: «Ne vous unissez pas aux infidèles;» ou, plus littéralement, ne chargez pas le joug des infidèles, ne vous accouplez pas à la même charrue avec l’incrédule, pour labourer la boue de cette terre.

Ce n’est pas non plus ce que faisait ce chrétien qui, disait-il, ne voulait pas entrer dans une maison où il fût obligé de laisser son divin Maître à la porte!

Et voilà cependant ce que, dans notre lâcheté, nous faisons chaque jour.

Comment voulez-vous dès lors que le monde ne nous modifie pas?

Et surtout, comment voulez-vous qu’ainsi nous convertissions le monde?

Ah! brisons donc ce joug honteux, chargeons celui de notre glorieux Maître; écrivons sur nos portes, qu’on lise sur nos fronts, qu’on reconnaisse à notre première parole notre profession de chrétien.

N’attendons pas d’être dans le ciel pour confesser Jésus pour notre Sauveur; dans la crainte qu’alors nous n’ayons plus ni ciel ni Sauveur et que devant les anges Christ ne nous dise:


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CCLIXe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens VII.

La tristesse selon Dieu et la tristesse selon le monde


Il y a une tristesse selon Dieu et une tristesse selon le monde:

Nous chrétiens, nous avons expérimenté ces deux dispositions d’esprit, nous pouvons les comparer; essayons-le pour notre édification propre et pour faire avancer ceux qui sont encore à mi-chemin.

Avant de connaître le Sauveur nous avons été tristes bien des fois, mais souvent sans pouvoir assigner la cause de notre tristesse; dans cette ignorance nous accusions de nos ennuis tout ce qui se présentait à nous: les événements, Dieu lui-même, et nous déclamions contre cette vie et ses misères.

Aujourd’hui, au contraire, quand nous sommes attristés, nous savons parfaitement pourquoi; et, chose digne de remarque, ce n’est ni chez nos frères, ni en Dieu, mais en nous-mêmes que nous trouvons la cause de cette tristesse: nous reconnaissons que SON VRAI PRINCIPE EST NOTRE PÉCHÉ; nous souffrons à nous sentir si misérables; aussi, bien loin d’accuser Dieu de cette souffrance, en cherchons-nous en lui le soulagement et la guérison.

Notre tristesse de jadis, venue nous ne savons d’où, ne nous conduisait nulle part; nous étions tristes et voilà tout; notre tristesse était presque une nourriture; légère, nous l’appelions douce mélancolie; profonde, nous la nommions dégoût de la vie; des deux nous nous faisions presque un mérite.

Mais notre tristesse d’aujourd’hui, dont l’origine nous est bien connue, nous conduit à la repentance, et par la repentance nous amène vers Dieu.

Ici, nous ne pouvons plus nous complaire dans cette faiblesse, car nous reconnaissons que la source en est impure et nous avons hâte d’en sortir.

Ici nous ne pouvons plus tomber dans le désespoir, car nous savons à qui demander notre guérison; et tandis que la tristesse mondaine consume l’être qui s’en nourrit, la tristesse chrétienne par la prière se transforme d’abord en paix et finalement en joie dans le sein du Seigneur.

Enfin, l’homme triste selon le monde ne connaît qu’un remède: la distraction; c’est un aveugle qui s’enfonce toujours plus dans la boue pour en sortir. Comme le plaisir appelé au secours du malade est nouveau, il le relève pour un moment et lui fait croire à sa guérison; mais dès que cette joie nouvelle est usée, lorsque, comme les premières, après avoir laissé voir au fond son impuissance, elle l’a peut-être conduit au péché, alors cette joyeuse distraction qui devait dissiper l’ennui, se transforme à son tour en élément de tristesse.

Le malheureux reconnaît qu’il a soufflé sur une nouvelle illusion, et qu’encore quelques souffles semblables sur les espérances qui lui restent, suffiront pour en éteindre le languissant flambeau.

Alors viennent à la suite le désespoir, le suicide, la mort!

Ah! combien les fruits de la tristesse chrétienne sont différents!

Le chrétien aujourd’hui, attristé par une faute, n'en connaîtra que mieux son ennemi demain.

Il se précautionnera contre ce péché d’habitude, et, s’il y retombe, du moins ne sera-ce qu’à de plus longs intervalles; ses triomphes sur le mal diminueront sa tristesse causée par le mal; il se rappellera que, tombé jadis aussi bas, il a été cependant relevé, et cette pensée seule lui donnera courage.

Oui, Seigneur Jésus, il en est ainsi parce que tu nous as ouvert un libre accès auprès du Père, parce que nous savons que par toi il y a pardon à tout et toujours!


COMMENT CESSERIONS-NOUS D’ESPÉRER EN TOI?


Et comment nos tristesses ne s’évanouiraient-elles pas devant le soleil de ta grâce?

Oui, Seigneur, en toi tout est paix, tout est bonheur, et il y a à ta droite des rassasiements de joie pour toujours!


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CCLXe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens VIII.

Mesure de la libéralité chrétienne


Paul exhorte les Corinthiens à préparer, abondante, l’offrande qu’ils doivent envoyer à leurs frères indigents de Jérusalem. Toutefois, en même temps, l’Apôtre a bien soin de leur dire que CE N’EST PAS UNE OBLIGATION QU’IL LEUR IMPOSE, mais un moyen qu’il leur fournit de reconnaître si leur charité est sincère.

En effet, l’or et l’argent appartiennent au Seigneur.

S’il voulait en enrichir le pauvre, il saurait bien les retirer des entrailles de la terre où lui-même les a déposés; ou si ce Dieu voulait que nous ne fussions que les instruments de sa charité, il saurait bien se servir même de nos mains rebelles pour accomplir ses œuvres.

Mais prenons bien garde que si Dieu peut se contenter de cette disposition morale de notre part, nous ne le pouvons pas nous-mêmes, parce que notre cœur est si rusé qu’il nous tromperait et nous persuaderait facilement que la charité est en nous, alors même que nous n’en donnons aucune preuve extérieure.

En effet, rien n’est plus commun dans le monde que d’entendre dire: «Oh! si j’étais riche comme tant d’autres, ce serait pour moi un bonheur que de rendre service.»

Non, ce n’est pas vrai.

Précisément parce que vous songez à dire cela, vous prouvez que vous ne le feriez pas. Il serait plus exact de dire que vous rêvez un état de fortune qui, vous faisant nager dans l’abondance, vous permettrait de donner largement SANS VOUS IMPOSER DES PRIVATIONS.

Le surplus, que vous regrettez de ne pas avoir, est bien plus pour vous que pour vos frères, et vous ne protestez si vivement que vous feriez tant dans l’aisance que pour vous excuser du peu que vous faites dans la gêne.

Si votre charité est si profonde, pourquoi ne la montrez-vous pas plus souvent?

Dieu vous demande-t-il ce que vous n’avez pas?

Non; mais ce que vous avez, et aussi longtemps que vous ne l’aurez pas distribué, il y aura doute, non pour Dieu, mais pour vous-mêmes, si votre charité est bien sincère.

Ainsi donc Dieu ne nous fixe rien; il se contente de peu, c’est vrai; mais que ce mot ne nous fasse pas illusion: s’il se contente de peu, c’est de la part de ceux qui possèdent encore moins, et le don de la veuve doit, pour mériter l’approbation de Jésus, être pris sur son nécessaire.

La règle pour nous doit donc être de donner beaucoup, non relativement à ce que nous n’avons pas, mais beaucoup comparativement à ce que nous avons.

Toutes nos offrandes ne nous ruineront jamais, loin de là: plus nous nous appauvrirons par elles ici-bas, plus nous nous enrichirons dans les lieux où les voleurs ne percent ni ne dérobent; car nos dons abondants seront la preuve que la charité, mesure de notre gloire à venir, abonde dans nos coeurs.


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CCLXIe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens IX.

Résultats spirituels des aumônes chrétiennes


Paul fait remarquer aux Corinthiens que leurs offrandes non seulement subviendront aux besoins des pauvres de Jérusalem, mais qu’elles contribueront de plus à l’affermissement de leur foi en les poussant à rendre a Dieu des actions de grâce.

Et en effet nos aumônes peuvent avoir, en bien comme en mal, des conséquences beaucoup plus importantes que nous ne le pensons.

Ce sont surtout les hommes tombés dans la misère qui regardent aux promesses faites à la piété par l’Évangile pour cette vie; ce sont eux surtout qui acceptent cette déclaration que la foi chrétienne élargit les cœurs. Aussi s’attendent-ils volontiers à recevoir les bienfaits des croyants mieux partagés qu’eux sous le rapport de la fortune.

Je ne prétends pas les justifier; mais je constate un fait:

Si le pauvre délaissé n’élevait ses doutes que jusqu’à celui qui l’abandonne, le mal ne serait pas grand; mais, remontant du chrétien au christianisme, ce pauvre, en voyant des hommes qui se disent frères rester insensibles à des souffrances de famille, met bientôt en question l’efficacité de la foi chrétienne elle-même; il se demande

Oh! vous qui, bien vêtus, bien clos, bien nourris, n’avez jamais approché peut-être le réduit de l’indigence, ni jamais entendu les entretiens de ce cercle de misérables, vous ne soupçonnez guère tout ce qu’on y dit de vous, et tout le mal qu’y fait votre manque de charité.

Parce qu’on vous salue dans nos rues, qu’on vous sourit dans vos demeures, vous croyez être aimés. Mais non; sachez bien que ces salutations et ces sourires sont arrachés par le besoin, et qu’en réalité on vous regarde comme des avares qu’il faut ménager dans la crainte de les rendre encore plus avares.

Mais, d’un autre côté, représentez-vous une famille indigente jusqu’ici plongée dans un milieu d’égoïsme et d’incrédulité, voyant tout à coup un de ces chrétiens de fait, aussi bien que de parole, entrer dans sa demeure, s’informer de ses besoins, y répandre des consolations religieuses et des bienfaits temporels.

Voyez comme la joie est prompte à revenir dans les cœurs, comme les âmes s’ouvrent volontiers aux bonnes impressions, et comme apparaissent vite à ces infortunés un nouveau ciel, une nouvelle terre.

Alors leur remonte à l’esprit cette Providence dont on leur a parlé jadis; à cette heure, il leur semble la voir personnifiée en vous; ils reprennent confiance, commencent à croire, prient, et enfin rendent grâce à ce Dieu que vous leur avez révélé.

Vous n’avez pas seulement soulagé leurs corps, vous avez encore éclairé leurs âmes, et peut-être les avez-vous mises sur la voie du salut.

Nous ne voudrions pas exagérer les résultats spirituels d’une aumône ou d’un service rendu; mais si de tels effets ne sont pas toujours produits, ils le sont cependant quelquefois, et il suffit qu’ils soient possibles pour que nous devions en tenir compte. Mais si le bien spirituel ne sort pas toujours d’un bienfait matériel, du moins pouvons-nous dire que le mal moral résulte souvent de son absence.

L’homme qui souffre ne peut rester sans penser, sans conclure; si ce n'est dans un sens, ce sera dans l’autre. S’il n’a pas à bénir quelqu’un qui lui donne, il maudira ceux qui lui refusent; s’il ne rend pas grâce à Dieu, il blasphémera son nom. Donc nos refus comme nos bienfaits peuvent avoir, en bien ou en mal, les conséquences les plus graves.

Une parole de l’Apôtre doit être encore remarquée: il appelle «saints» ceux pour qui sont les offrandes. Nous n’en voulons certes pas conclure qu’il ne faille secourir que nos frères en la foi; mais nous pensons du moins pouvoir dire que l’aumône devant surtout avoir pour ceux qui la reçoivent un résultat spirituel, il importe de l’accompagner toujours d’une parole adressée à leur âme; qu’ils sachent que c’est inspirés par notre reconnaissance envers notre Sauveur que nous sommes devenus libéraux envers eux, et qu’ils apprennent ainsi à reporter leur gratitude vers la source de nos bienfaits.


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CCLXIIe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens X.

Ce n’est pas celui qui se recommande que recommande le Seigneur


Il paraît, d’après le chapitre que nous venons de lire, qu’il y avait dans l’église de Corinthe des hommes qui racontaient avec complaisance les travaux par eux accomplis dans le champ du Seigneur, et qui ne craignaient pas de s’en glorifier. Paul, au contraire, voulait que, tout en supposant que leurs travaux fussent réels et vastes, ces hommes en rapportassent la gloire uniquement à Dieu.

Si l’Apôtre pouvait revenir de nos jours et prêter l’oreille aux récits de la plupart de ceux qui s’occupent d’œuvres chrétiennes, certes il ne pourrait pas leur adresser le même reproche car on entend la plupart d’entre eux dire et répéter à satiété que, s’ils ont obtenu tel ou tel résultat, ce n’est pas par eux-mêmes, mais par la grâce de Dieu.

Mais supposez que l’Apôtre, présent au milieu de nous, humble et craintif comme il l’était chez les Corinthiens, élevât quelque doute sur l’importance de ces œuvres; ou je me trompe fort, ou ceux qui les ont accomplies se montreraient aussitôt blessés; ils reprendraient la parole pour rétablir longuement leur dire, et surtout emporteraient dans leurs cœurs une profonde irritation contre l’homme chétif qui aurait osé les contredire.

Pourquoi cela?

Vous, dont les succès sont mis en doute, êtes-vous donc si jaloux de prouver la grandeur de l'œuvre de Dieu, que, pour l’établir, vous alliez jusqu’à haïr un frère?

Non, et votre insistance dévoile votre pensée secrète.

C’est vous qu’on a offensé; c’est votre gloire qu’on a ternie, et c’est elle que vous voulez venger; vos paroles d’humilité ne sont qu’un voile transparent à la faveur duquel vous voulez vous faire regarder et rendre grâce.

Si vous rapportiez vraiment à Dieu la gloire de vos œuvres, vous n’auriez pas besoin de le dire en les racontant; vous commenceriez par ne rien raconter du tout. Ces paroles sont un masque qui cache mal votre figure; et, en vérité, mieux vaut l’orgueil avoué du mondain qui répète sans cesse: «moi je fais, moi je dis;», car ce mondain, en se vantant, n’est que vaniteux, tandis que vous, chrétiens, en vous mettant à l’ombre de Dieu pour recevoir quelques-uns des regards dirigés sur Lui, vous êtes en même temps vaniteux et hypocrites.

On croira que vous rapportez véritablement la gloire de vos hauts faits au Seigneur quand vous ne songerez plus à le dire; quand vous ne parlerez plus de ce que vous avez accompli et que vous laisserez vos œuvres elles-mêmes parler ou se taire.

Au reste, la dernière réflexion de l’Apôtre est bien simple:

Ainsi, vainement parviendrez-vous à tromper les hommes sur vos mérites; vous ne tromperez jamais Dieu, qui, précisément parce que vous en tirez gloire, ruinera son œuvre entre vos mains, ou qui, par une de ces voies de lui seul connues, l’édifiera par vous, tout en la faisant tourner à votre confusion.

Ah! si vous étiez un peu plus perspicaces, vous verriez bien vite que cette gloire que vous mendiez aux hommes, les hommes eux-mêmes vous la refusent: les mondains, parce qu’ils sont jaloux de tous ceux qui s’élèvent; les chrétiens, parce qu’ils savent que toute gloire appartient à leur Maître.

Ainsi, dans tous les cas, tandis que vous croyez être élevés, vous êtes abaissés et peut-être moqués; et l’on peut dire de vous orgueilleux ce que la Bible dit du méchant: vous faites une œuvre qui vous trompe; et l’on pourrait ajouter: une œuvre qui ne trompe personne!

Oh! Seigneur, ta grâce seule est capable de nous humilier. Nous pouvons bien sentir nos misères, mais nous ne saurions les guérir. Viens donc, viens, et, s’il le faut, abaisse-nous dans le temps devant nos frères jusqu’à la confusion, pour nous relever ensuite par notre humilité même, devant tes anges pendant l’éternité.


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CCLXIIIe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens XI 1 à 15.

La simplicité qui est en Christ


Paul, au milieu des Corinthiens, n’avait pas voulu savoir autre chose que Christ, et Christ crucifié. Aujourd’hui il leur recommande de s'attacher à la simplicité qui est en Christ.

Et en effet la grande affaire de notre salut éternel est bien simple:

Dès lors, pleins d’amour pour Dieu, nous lui témoignons notre reconnaissance en nous sanctifiant sous l’influence de son Esprit. Voilà tout le christianisme, tout ce qu’il suffit de savoir et de pratiquer.

Mais une telle simplicité ne plaisait ni aux Corinthiens, ni aux faux docteurs qui leur présentaient la philosophie grecque et les cérémonies juives comme complément de l’Évangile, et dès lors cette pauvre église fut troublée par des disputes orgueilleuses et sans fin.

Il nous semble entendre l’histoire de bien des églises de nos jours.

Il y a chez des chrétiens sincères un besoin d’apprendre et de dire des choses nouvelles, savantes, compliquées.

Ces hommes se lassent de n’en savoir pas plus que les autres, de croire comme les autres; il faut à tout prix qu’ils se tiennent à part; si la masse des chrétiens admettait aujourd’hui leurs subtiles doctrines, eux, par besoin de se distinguer, enseigneraient les doctrines simples de la masse des chrétiens.

Remarquez bien qu’il n’y a là, de leur part, ni cette hypocrisie par laquelle on se flatte d’abuser les autres, ni cet orgueil qu’on déplore soi-même.

Non, ces hommes sont eux-mêmes leurs premières dupes.

Leur orgueil est naïf, l’idée ne leur est jamais venue qu’ils puissent, comme les autres, s’égarer; ou, s’ils le disent, c’est comme article de leur foi et non comme expérience de leur cœur.

Ils ne se sentent pas faibles et ignorants, ils se savent faibles et ignorants; ce qui ne les empêche pas d’agir comme s’ils étaient de grands docteurs.

Mais cet amour du nouveau, cette soif de se faire écouter, disons-le, cette démangeaison d’attirer les regards, pour être naïve, n’en a pas moins de tristes résultats.

Comme cette nourriture spirituelle n’est ni simple, ni saine, ceux qui la prennent s’en fatiguent bien vite; ils s’en dégoûtent avec le temps et tombent enfin dans la langueur jusqu’à ce qu’une autre excentricité surgisse dans le monde chrétien. Alors ils se réveillent encore, courent au-devant de ces nouvelles doctrines, les croient, les prêchent avec la même ardeur que les premières, et démontrent ainsi aux hommes sages que, quant à eux, ils feront bien de se tenir attachés au cœur de l’Évangile: à Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié.

Chacun de nous pourrait ainsi trouver dans sa mémoire le nom de quelques-uns de ces hommes qui, dans le cours de ces dernières années, se sont levés successivement à l’apparition de chaque nouvelle doctrine et les ont avidement aspirées, semblables en cela à ces corps faibles, maladifs, qui s’imprègnent toujours les premiers des miasmes pestilentiels qui traversent les airs.

Sans doute ces chrétiens aussi prétendent s’appuyer sur la Parole de Dieu;

Oui, encore une fois, la Parole de Dieu est simple et doit l’être, puisqu’elle est aussi destinée aux pauvres en esprit et aux petits enfants.

Depuis des siècles, elle sauve des âmes par la connaissance vulgaire de Jésus-Christ crucifié; et nous aurions beau la fouiller encore, nous n’y trouverions jamais ni un nouveau Christ, ni un nouvel Esprit, ni un nouvel Évangile.

Eh! de grâce, que voulez-vous donc de plus?

Christ ne vous a-t-il pas pardonnés?

Le Saint-Esprit ne vous a-t-il pas régénérés?

Le ciel, sa félicité, son Dieu, son éternité, ne sont-ils pas à vous?

Le salut doit-il donc devenir matière à dispute, piédestal d’orgueil, arme de Satan?

Maintenant que vous le connaissez et le possédez, n’avez-vous pas mieux à faire qu’à déchiqueter les mots dans lesquels il vous a été annoncé?

N’avez-vous pas plutôt à vivre, à agir selon lui?

Au lieu de discourir sur ce qu’il faut faire, ne vaudrait-il pas mieux l’accomplir?

Au lieu de répéter toujours des sentences, ne serait-il pas bientôt temps de les pratiquer?

Réalisons donc enfin, réalisons ce qui n’est encore chez nous qu’à l’état de théorie; usons de ce que nous possédons, et ne soyons pas de ces avares spirituels qui amassent toujours de nouveaux trésors de science, sans jamais les dépenser.


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CCLXIVe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens XI 16 à 33.

La vanterie dans les œuvres chrétiennes


Quel récit palpitant de vie et de vérité! Ne croirait-on pas entendre l’Apôtre lui-même?

N’éprouve-t-on pas la conviction intime que tout cela a vécu et s’est ainsi passé?

On lit dans le cœur de Paul, on y voit son embarras pour dire, sans orgueil, ce qu’il a fait dans l’œuvre de Christ. On sent qu’il craint véritablement de donner une haute idée de lui- même et que, dans tout ce débat, son seul désir est de prémunir les Corinthiens contre les faux docteurs venus pour les séduire.

Les efforts de Paul, pour ne pas se vanter, nous frappent d’autant plus qu’ils contrastent singulièrement avec les efforts qu’on fait chaque jour dans notre société pour donner de soi une bonne opinion. On ne lutte pas d’ordinaire parmi nous à qui se taira le plus complètement sur ses œuvres, mais à qui en parlera le plus et le mieux. Il est vrai que nos chrétiens n’ont pas cette vanité naïve du monde, qui s’étale et s’avoue; non, mais ils ont quelque chose de pire:

Il y a combat dans leur conscience, c’est vrai, mais combat entre leur désir de se faire valoir et l’obligation qu’imposent les convenances de paraître humbles. C’est un homme qui veut être vu sans se montrer; qui frappe du pied en marchant pour se faire remarquer au passage, mais en baissant la tête pour laisser croire qu’il ne vous sait pas là; c’est l’orgueil drapé de modestie; c’est la quintessence de la vanité.

Pour nous convaincre de notre désir effréné de vanterie, faisons une recherche: demandons-nous combien il se trouve dans notre vie de bonnes actions dont nous n’ayons absolument parlé à personne.

Nous n’en trouverons pas!

La plus secrète est connue au moins d’un confident, et si nous ne les avons pas toutes publiées à son de trompe, ce n’est pas que nous fussions fâchés de les faire connaître, mais plutôt embarrassés pour les dire!

Ensuite faisons un second examen: demandons-nous combien il y a dans notre vie de ces secrets honteux, que nous n’avons jamais révélés à âme qui vive. Et nous en trouverons par centaines!

Ce n’est pas à dire que nous devions dévoiler notre propre honte; mais cela prouve que, quand il nous convient, nous savons fort bien trouver des expédients pour cacher nos actions;

Parce que nous sommes tels que nous ne savons rien faire de bon, rien dire de bien, pas même avoir une heureuse pensée, sans éprouver aussitôt le désir de nous en vanter!

Ô Jésus! ô Saint Paul! que nous sommes loin de vous!

Comme la honte nous saisit lorsque nous rentrons en nous-mêmes, nous qui ambitionnons tant la gloire au dehors!

Si le monde pouvait, seulement pour une heure, lire dans notre cœur et dans nôtre vie secrète, comme y lit notre Dieu, quelle rougeur couvrirait notre front! comme nous nous hâterions de nous réfugier dans l’ombre! comme nous nous efforcerions alors de nous faire oublier!

Quand donc consentirons-nous à être, non pas modestes, non, nous n’en avons pas le droit, mais quand consentirons-nous à nous laisser voir tels que nous sommes?

Jamais! non, je le sens, jamais! car notre être est une pâte d’orgueil pétrie dans un limon de vanité!

Mais, Seigneur, ce que nous ne pouvons, toi, tu le peux!

Agis donc en nous, change-nous, humilie-nous une bonne fois; s’il le faut, dévoile si largement nos turpitudes aux yeux du monde que nous n’osions plus relever la tête, et qu’enfin, courbés sous le joug salutaire de la honte, nous apprenions à ne plus nous glorifier, si ce n’est en toi, du bien que tu nous auras fait.


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CCLXVe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens XII.

L’ingratitude de l’homme n’étonne que l’ambitieux


Le ministère de Paul, au milieu des Corinthiens, avait été si brillant qu’il ne craint pas de leur rappeler que son apostolat a été marqué parmi eux par des signes, des prodiges et des miracles. Et cependant dans cette même épître, à quelques lignes de distance, nous voyons que ces Corinthiens, témoins de la gloire chrétienne de l'Apôtre, n’en ont pas moins conçu des soupçons injurieux contre lui.

Tel est aussi le sort qui nous attend.

Que nous leur ayons fait peu ou beaucoup de bien, en vue de nous, ou en vue de Dieu, nous pouvons y compter, les hommes seront ingrats à notre égard, et cette ingratitude, bien que coupable de leur part, semble entrer dans les plans de Celui qui du mal tire le bien.

Il faut avoir expérimenté tout ce qu’il y a de vanité, d’égoïsme, d’ingratitude chez nos semblables, pour apprendre à mépriser la gloire humaine; il est bon d’avoir le cœur meurtri sur la terre, pour nous décider à demander aux cieux un baume consolateur. Aussi voyons-nous que c’est souvent par désenchantement de l’homme que l’homme se tourne vers le Seigneur; il est triste qu’il en soit ainsi; mais pouvons-nous nous en étonner sur une terre de péché?

Cette ingratitude des hommes est utile au chrétien lui-même.

Il en a besoin pour apprendre à ne pas s’élever à ses propres yeux.

Les œuvres que Dieu fait par ses mains sont de leur nature si excellentes, qu’en les contemplant le chrétien pourrait bien s’enorgueillir et finir par s’en attribuer le mérite à lui-même.

oh! il faut bien qu’alors il s’avoue que par lui-même il n’est rien et ne peut rien; que, si quelque bien s’est accompli jadis par son canal, c’est qu’une autre main l’opérait, et qu’aujourd’hui lui-même est mis à l’écart comme un instrument usé.

Cette humiliation, qui froisse son cœur, fait du bien à son âme; elle le détache de la terre et le rattache à Dieu, elle achève de le désillusionner.

Voyez avec quel sentiment Saint Paul accepte l’ingratitude des Corinthiens.

Il ne leur en fait pas mention par irritation contre eux; au contraire: à l’instant même où il en parle, il les nomme «ses très chers;» et s’il leur en fait un reproche, c’est uniquement pour leur propre bien.

Loin de se réjouir de ce qu’il a fait pour mériter leur reconnaissance, il se réjouit de ses infirmités, parce que c’est quand il sent le plus vivement sa faiblesse qu’il est le plus puissamment aidé.

Ne fuyons donc pas les mépris du monde, ne détournons pas notre face de ses injures, de ses crachats, de ses sourires ironiques; TOUTES CHOSES CONTRIBUENT AU BIEN DE CEUX QUI AIMENT DIEU.

Personne n’a été méconnu, méprisé, insulté comme Christ; et jamais Christ n’a paru plus grand qu’aux heures où il supportait les insultes gratuites de ses ennemis et l’ingrat abandon de ses Apôtres.

Nous sommes ses disciples: nous ne pouvons donc nous attendre à un sort différent du sien.

Qu’importe que nous soyons regardés comme les balayures du monde si nous avons en partage Christ, son pardon, sa sainteté, son ciel, son éternité!


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CCLXVIe MÉDITATION.

Lisez 2ème Épître aux Corinthiens XIII.

Les afflictions dans la foi


Aux afflictions ordinaires de cette vie s’ajoutent pour le chrétien ce qu’on pourrait appeler les afflictions de la foi:

Et cependant, tout en nous annonçant cette masse d’épreuves, l’Évangile nous dit, par la bouche de Saint Paul, qui lui-même vient affliger les Corinthiens par ses censures et ses menaces: «Au reste, vivez en paix et réjouissez-vous!»

Comment cette paix, cette joie sont-elles possibles au milieu des douleurs?

Essayons de nous en rendre compte.

Sans doute pour le chrétien comme pour l’homme du monde la douleur reste cuisante, le mépris froissant, la persécution bien lourde. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que ces afflictions se changent toujours en sujet de réjouissance; mais du moins toutes ces douleurs, en tombant sur l’âme du croyant, n’y trouvent plus la même prise que sur celle de l’incrédule: ce sont des flèches qui frappent sans blesser; c’est la dent du reptile qui serre encore, mais qui a perdu son venin.

Que sont les mépris d’un monde pécheur pour l’être qui se sent assuré de la faveur de Dieu?

Rien; la légère affliction va finir et faire place à une gloire infiniment excellente: voilà ce qui émousse, brise, arrête, détourne le dard envenimé des plus cruelles épreuves.

Mais il y a mieux: quand ces afflictions sont apportées au chrétien par sa foi elle-même, quand c’est à cause du Maître que le disciple est haï ou persécuté, oh! alors l’affliction devient elle-même une véritable source de joie; car, comme le déclare Jésus, bienheureux est celui qui voit ainsi la récompense signalée d’avance dans le ciel!

Aussi longtemps que le méchant le laissait tranquille, le disciple de Jésus pouvait douter de sa fidélité chrétienne, toujours importune au pécheur; mais à cette heure la rage du lion lui montre que c’est bien du fouet de son Maître qu’il a sanglé cette conscience irritée.

Mais il est un sens plus vaste et plus noble dans lequel les souffrances deviennent autant de joies, sens que le cœur seul peut comprendre.

Le voici:

Je sais que Jésus m’a pardonné tous mes péchés; je sais qu’il m’a fait le don d’une éternité de bonheur et que bientôt je serai mis en possession du ciel, de Dieu, de Christ, des anges, de l’univers!

Je sais que rien au monde ne peut me ravir cette immense et prochaine félicité; comment dès lors ne serais-je pas heureux d’avoir quelque chose à faire pour celui qui m’assure tous ces biens?

Comment ne serais-je pas joyeux d’être trouvé digne de souffrir pour sa gloire?

Comment ne serais-je pas fier de contribuer pour ma part à l’accomplissement de ses vastes desseins?

Ah! ce que je devrais craindre bien plus que ces légères épreuves, ce serait de manquer d’occasion de lui témoigner mon amour. Oui, je l’avoue, je tiens encore à cette, vie, mais c’est surtout pour avoir le temps de faire et, s’il le faut, de souffrir quelque chose pour avancer le règne de mon Dieu.

Des siècles ne me manqueront pas pour jouir dans le ciel, et les heures me manqueront peut-être pour me dévouer dans cette terre.

Adviennent donc travaux, épreuves, souffrances, persécutions, je les attends en paix et avec joie; ce n’est pas souffrir que souffrir pour Celui qui me donne l’éternité!


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CCLXVIIe MÉDITATION.

Lisez Épître aux Galates chapitre I.

Le chrétien est instruit par Dieu lui-même


En commençant son Épître, Paul s’attache à démontrer aux Galates que ce n’est pas de la part des hommes qu’il a reçu l’Évangile, mais de la part de Dieu.

Le plus simple disciple de Jésus, bien que dans un sens plus restreint, peut répéter ce que dit Saint Paul; car il a puisé sa foi dans la Parole, inspirée elle-même sous la direction du Saint-Esprit. Aussi le chrétien, une fois qu’il a cru, a-t-il cru pour toujours; JAMAIS IL N’AURA LA PENSÉE DE CHERCHER UN AUTRE ÉVANGILE.

Ce privilège d’être instruit directement de Dieu et d’avoir à consulter un Livre impassible, et non des hommes passionnés, est un des plus grands que le Seigneur nous ait accordés.

Nous pouvons ainsi, toutes les fois que nous le désirons,

Pour mieux apprécier ce privilège, supposez que le récit des faits évangéliques ait été simplement confié à une suite d’envoyés chargés de le transmettre de vive voix successivement à toutes les générations. Quelle n’eût pas été notre crainte en prêtant l’oreille au bruit lointain de cette longue chaîne d’hommes résonnant à travers les siècles, de ne recevoir que des sons affaiblis ou altérés de la révélation première?

Ces hommes eussent-ils été infaillibles, quelle n’eût pas été notre angoisse en pensant que peut-être ils ne nous avaient pas encore tout dit?

Quelles difficultés pour les consulter toutes les fois que nous en aurions eu besoin!

Et, d’un autre côté, comment avoir d’assez nombreux prophètes pour instruire de vive voix un milliard d’hommes (en 1848)?

Ces prophètes nous fussent-ils envoyés, comment ce milliard d’hommes auraient-ils toujours trouvé l’opportunité de les entendre?

Cependant cette supposition, toute déraisonnable qu’elle est, se trouve réalisée dans une communion chrétienne où l’on prétend remplacer la parole écrite par la parole articulée, où Dieu doit se taire pour laisser parler le prêtre.

Quelle ne doit pas être sa joie de porter dans son cœur, pour lui expliquer ce Livre, l’Esprit-Saint, interprète indépendant des événements et des hommes?

Ce chrétien peut être isolé du monde, jeté dans un désert, une prison, un lit de souffrance, mais partout il lui sera facile de se faire accompagner par la Parole, qui l’instruit, le console et le sauve.

Et, toutefois, quelque grand que soit ce privilège, voyez combien peu nous en faisons de cas:

Nous l’étouffons dans les feuillets de notre Bible, presque toujours fermée.

Nous l’interrogeons bien quelquefois, mais presque toujours sous l’aiguillon du devoir, rarement par l’attrait du plaisir.

ENCORE SI NOUS LA CONSULTIONS POUR SUIVRE SES AVIS?

Mais, hélas! c’est pour contester avec elle, pour lui marchander notre obéissance. Aussi, après l’avoir lue, par acquit de conscience, recommençons-nous à lui désobéir.

Ah! prenons-y garde!


La grandeur du privilège entraîne la grandeur de la responsabilité.


Nous ne pourrons pas, comme d’autres, dire au dernier jour que notre instruction a été abandonnée au caprice des hommes; c’est Dieu lui-même qui en a placé l’instrument entre nos mains; c’est ici le cas d’appliquer cette parole: qu’il nous a été beaucoup donné et qu’il nous sera beaucoup redemandé!

Reprenons donc cette Bible avec un redoublement de zèle, de joie et de bonheur, et que notre main ne s’en dessaisisse que pour saisir les biens éternels promis à notre foi.


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CCLXVIIIe MÉDITATION.

Lisez Épître aux Galates chapitre II.

L’absolu des doctrines chrétiennes


Si dans les doctrines humaines celle qui tient le milieu entre deux extrêmes est souvent la plus sage, il n’en est pas ainsi dans les doctrines de Dieu.

L’homme borné dans son intelligence ne peut suivre une pensée jusqu’au bout; d’ailleurs il trouve presque toujours à côté d’elle une pensée contraire tout aussi rationnelle que la première; en sorte qu’il juge plus prudent de les limiter l’une par l’autre.

Mais Dieu, qui connaît la vérité tout entière et la voit complète du premier regard, doit nous l’avoir transmise telle dans les points essentiels au salut.

Ainsi, en considérant nos intentions presque toujours bonnes, et nos œuvres presque toujours mauvaises, Dieu ne nous a pas dit que notre salut dût s’accomplir en partie par nos forces et en partie par son secours; non, mais:


UNIQUEMENT PAR SA GRÂCE!

Rien que par sa grâce;

Toujours par sa grâce,

Partout et en toutes choses par la grâce!


Nous ne trouvons pas d’expressions assez tranchantes pour dire que dans notre salut nos œuvres n’entrent pour rien et la grâce pour tout!

Telle est aussi la pensée qui domine dans la plupart des Épîtres de Saint Paul, et en particulier dans celle que nous lisons.

L’Apôtre vient de raconter qu’il n’a pas permis de circoncire Tite; qu’il a résisté aux chrétiens judaïsants, et qu’enfin il a censuré Pierre lui-même; et tout cela dans le but unique de combattre la prétention, naturelle au cœur humain, de compter pour quelque chose les œuvres dans le salut.

Remarquez que l’Apôtre met une telle importance à détruire cette prétention qu’il refuse pour Tite cette même circoncision qu’il avait permise à Timothée.

Pourquoi cette différence?

Parce que, dans le premier cas, Paul n’avait attaché aucune valeur à cet acte, mais que, dans le second, d’autres prétendaient lui donner du poids dans l’affaire du salut.

De même, s’il reprend Pierre pour s’être retiré de la table des Gentils à l’arrivée des Juifs, lui, Paul, qui dans une autre circonstance avait consenti, par égard pour ces mêmes Juifs, à remplir un vœu dans le temple de Jérusalem, c’est qu’en se rasant la tête il avait simplement voulu montrer qu’il ne rejetait pas Moïse, tandis que Pierre, s’écartant de la table des païens convertis, avait donné à croire qu’il regardait la pureté légale comme un mérite dans un racheté de Jésus-Christ.

Enfin, si ce Paul, qui résiste ici aux judaïsants, avait pourtant dit ailleurs qu’il se faisait «tout à tous,» c’est que, disposé à céder lorsque sa concession ne compromettait pas le glorieux salut de Christ par un mélange impur d’œuvres humaines, il résistait avec fermeté dès qu’on voulait entamer l’intégrité de l’Évangile de grâce.

Sur ce point, point central, point unique du salut, l’Évangile est donc absolu, radical, inconciliable avec toute autre prétention.

Mais pourquoi Paul ne se contente-t-il pas de dire une fois pour toutes?

Pourquoi donc y revient-il si souvent?

C’est qu’il n’y a rien à quoi l’homme tienne autant qu’à sa prétention de mériter.

Nous avons vu des chrétiens de Rome, de Galatie, de Jérusalem, céder tous jadis à ce triste penchant, comme nous voyons encore aujourd’hui des hommes, tout en acceptant Christ pour Sauveur, mendier cependant la permission d’ajouter quelque chose de leur fonds à ce salut complet.

N’est-ce pas assez d’indices de la profondeur de la gangrène qui nous ronge le cœur, de notre vice originel, et faut-il encore s’étonner que Saint Paul porte le fer rouge dans le fond de notre plaie?

Non, non, on ne saurait trop le redire à notre orgueil, polype haché en mille morceaux et toujours renaissant:


le salut est gratuit,

complètement gratuit, rien que gratuit,


comme le déclarent surabondamment ces paroles empruntées à la Bible elle-même:

S’il est possible de dire plus, qu’on nous apprenne comment!


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CCLXIXe MÉDITATION.

Lisez Épître aux Galates chapitre III.

Si nous sommes sauvés par la grâce, pourquoi donc la loi nous a-t-elle été donnée?


Si nous sommes sauvés par la grâce, pourquoi donc la loi nous a-t-elle été donnée?

Voilà l'objection qu’examine Saint Paul dans ce chapitre, et en voici la solution:

La loi nous a été donnée comme on donne au criminel le code qui le condamne, afin que, comparant sa vie à chaque article, il puisse se convaincre qu'il mérite d'être condamné.

Si ce criminel n’avait jamais eu pour guide que ses propres notions de justice, il aurait pu, méconnaissant l’énormité de ses crimes et la gravité de la peine qu’il encourt, transgresser telle loi spéciale du royaume; mais dès qu’il a eu sous les yeux la loi écrite, il ne peut plus arguer de son ignorance ni mettre en doute la justice de sa condamnation.

De même, si l’homme n’avait eu pour conducteur que sa conscience, il aurait pu ne pas savoir, par exemple, que la convoitise lui était interdite, ou que se faire une idole était un crime devant Dieu. Mais, en face du Décalogue, cet homme ne peut plus s’excuser par son ignorance; en rapprochant sa vie de la loi de Dieu, il se sent plus vivement pécheur, et ce sentiment plus vif l’amène enfin à accepter la grâce qui lui est offerte en Jésus-Christ.

Voilà ce que signifient ces paroles de l’Apôtre: «La loi a été un conducteur pour nous amener à Christ, conducteur qui nous tire en sens contraire, il est vrai, mais qui nous fait arriver cependant au but, précisément parce que ses exigences nous donnent la pensée d’échapper à ses menaces en nous réfugiant dans les bras d’un Sauveur.»

Cette solution, donnée par Saint Paul pour expliquer l’intervention de la loi dans un salut qui devait s’accomplir par la grâce, nous met sur la voie de la solution d’une seconde difficulté soulevée de nos jours:

Pourquoi, dit-on, Jésus-Christ est-il venu si tard sauver le genre humain?

La raison en est bien simple: c’est qu’il fallait au genre humain le temps d’expérimenter sa faiblesse avant de pouvoir apprécier le pardon que sans cela peut-être son orgueil eût repoussé.

Il fallait du temps pour que se déroulât, aux yeux de chacun, la longue suite des crimes de sa race en confirmation de sa propre impuissance à satisfaire aux lois de la conscience et de Sinaï.

L’expérience l’a démontré, l’histoire criminelle de leurs nations a été pour les Juifs, les Grecs et les Romains, un puissant ressort pour amener ces êtres dégradés au Sauveur. D’ailleurs de longs siècles, placés entre les prophéties et leurs accomplissements, ne rendaient-ils pas plus éclatante l’intervention de Dieu?

Qui songerait aujourd’hui à se plaindre que cinq cents ans se soient écoulés entre la rédaction du cinquante-troisième chapitre d’Ésaïe annonçant la vie entière du Messie, et la réalisation de cette Vie en Jésus-Christ?

On le voit, ce n’est donc pas sans raison que le Sauveur s’est fait attendre quatre mille ans.

La solution si simple de ces observations devrait bien nous rendre plus timides à soulever de nouvelles difficultés contre la Bible, ou, du moins, plus patients dans l’attente d’une explication satisfaisante de celles que nous avons déjà rencontrées.

Le voyageur plus calme marche sans hâte, attend des secours, et finalement arrive plus vite et moins fatigué.

Or, le secours que vous pouvez attendre est assuré, prompt et puissant: c’est celui du Saint-Esprit.

Demandez-le donc, et vous verrez bientôt pénétrer par degrés, dans cet abîme de ténèbres que vous aviez cru insondable, la lumière qui, une fois répandue, ne saurait plus ni se retirer, ni pâlir.


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CCLXXe MÉDITATION.

Lisez Épître aux Galates chapitre IV.

L’allégorie d’Agar


Après avoir rappelé l’histoire d’Abraham, de Sara et de leur Servante, Paul dit, selon le texte d’une de nos versions: «Or ces choses doivent être entendues par allégorie; car ce sont les deux alliances: l’une, le mont Sinaï qui ne produit que des esclaves, et c’est Agar; car le nom d’Agar veut dire Sinaï, qui est une montagne en Arabie.»

Ces paroles semblent faire entendre que toute l’histoire d’Agar n’est qu’une allégorie préfigurant dans l’Ancien-Testament les événements qui devaient s’accomplir sous la nouvelle Économie. Cependant, soit parce que cette traduction est imparfaite, soit parce que le génie de la langue que parlait Saint Paul permet des tournures de phrases dont il faut s’éloigner dans une traduction française pour rester fidèle au sens, nous sommes persuadés que telle n'est pas la pensée de l’Apôtre.

Saint Paul a simplement voulu dire que cette histoire d’Agar fournissait une image ou, pour nous servir d’un terme emprunté à une langue moderne, une illustration bien propre à faire comprendre l’état de servitude spirituelle dans lequel restaient les juifs convertis qui prétendaient se sauver par l’accomplissement de la loi de Sinaï. Ainsi, ce qui semble ici un argument n’est qu’une comparaison.

Ce passage ainsi compris ne choque plus notre intelligence par un manque de logique, mais il étonne encore notre imagination par les rapports merveilleux qu’il présente entre les deux termes de la comparaison, Agar et Sinaï.

Cela est vrai; mais remarquez que ces rapports ne nous étonnent que parce que nous oublions que nous sommes EN FACE DU LIVRE DE DIEU.

Si nous nous l’étions rappelé, nous n’aurions vu dans cette justesse de l’allégorie qu’une preuve de plus que ce n’est pas au hasard que le nom de la servante d’Abraham a été choisi, pas plus que ce n’est au hasard qu’une montagne a été désignée pour la promulgation de la loi.

Quand Dieu imposait ce nom à cette femme et donnait cette femme pour servante à Abraham, quand il indiquait une montagne pour y publier le Décalogue, quand enfin il dirigeait l’histoire d’Agar et les événements de Sinaï, ce Dieu savait fort bien déjà que Paul devait naître et écrire une lettre, d’abord adressée aux Galates et ensuite destinée au genre humain; et dans sa prescience ce Dieu préparait à l’Apôtre, par le choix de ces lieux et de ces noms, la belle allégorie qui devait rendre sa pensée intelligible et frappante.

Nous ne pouvons au contraire qu’admirer l’insondable sagesse dirigeant à travers les siècles les plus petits événements pour les faire entrer dans les plus vastes plans.

Prétendre qu’il ne s’occupe pas de circonstances si mesquines, c’est en définitive restreindre sa puissance; c’est supposer qu’il se fatigue comme l’homme, ou que pour lui, comme pour nous, quelque chose est grand ou petit dans l’univers!

Non, rien n’arrive que Dieu ne l’air prévu; le méchant lui-même ne fait le mal que parce que Dieu le laisse faire, et il le fait encore exactement selon la prévision du Maître; en sorte que nous pouvons être assurés que, quelque événement heureux ou malheureux qu’il nous arrive, Dieu le connaissait d’avance, et que dès lors pour toutes les circonstances possibles il nous a préparé les moyens d’accomplir sa volonté.

Rien ne doit nous surprendre, rien nous effrayer; une montagne croulât-elle sur sa base et vinssent ses débris encombrer notre voie chrétienne, nous pourrions encore être assurés que Dieu nous a préparé, à travers ces ruines, un passage que nous devons chercher par la foi et dans la paix.

Ainsi Sinaï a croulé; les deux tables de la loi brisées par nos péchés nous barrent le passage vers les cieux; mais Christ arrive, écarte ces décombres et nous trace le sentier du salut par la confiance en Lui.

Étudions donc les événements au lieu de nous en plaindre.

Un chrétien, en prenant chaque matin la feuille du jour pour y lire les luttes et les crimes des hommes, avait coutume de dire: «Voyons comment Dieu gouverne le monde;» de même SACHONS VOIR LA MAIN DE DIEU PARTOUT; car elle y est, et:


PLAÇONS-NOUS SOUS SA DIRECTION AU LIEU DE PRÉTENDRE LA DÉTOURNER.


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CCLXXIe MÉDITATION.

Lisez Épître aux Galates chapitre V.

La médisance


Rien n’est plus doux à la bouche de l’homme que la médisance.

Si vous en doutez encore, écoutez les conversations qu’on tient autour de vous, et je vous garantis que neuf fois sur dix vous entendrez dire du mal de quelqu’un.

Mais étudiez en vous-mêmes ce que vous venez de remarquer chez les autres et vous reconnaîtrez qu’au milieu d’une conversation la pensée mauvaise qui vous monte à l’esprit, après avoir tourné et retourné dans votre tête, finit presque toujours par s’échapper de votre bouche. Il semble qu’un démon vous tourmente!

Mais il y a mille manières, autres que la médisance, de déchirer et de mordre ses frères.

Il ne dira pas que cet homme se trompe, mais qu'il ment, ou du moins que c’est un opiniâtre; tandis que lui, en agissant de même, se qualifiera de persévérant.

C’est une tyrannie qui revient à dire: Tu penseras comme moi, ou je te maudirai! C’est la torture appliquée à la pensée, dans une époque où les mœurs ne permettent plus de l’infliger au corps.

Qu’on ne se méprenne pas sur notre intention: nous ne voulons pas parler ici de ces jugements portés sur la foi religieuse d’un homme. Nous savons qu’il est permis de dire avec la Bible que quiconque ne croit pas au Seigneur Jésus-Christ ne sera pas sauvé. Nous savons même qu’il est souvent possible de reconnaître et de nommer ceux qui n’ont pas cette foi.

Bien qu’il soit mal de le faire sans nécessité, ce n’est cependant pas de ces jugements que nous voulons parler, mais de ces blâmes jetés à propos d’une manière d’envisager un sujet étranger à la religion; par exemple, de sentiment, de politique, de littérature, de goût, de mode peut-être!

Oui, il est des gens qui s’irritent presque que vous puissiez vous vêtir, vous loger, vous nourrir, marcher ou agir autrement qu’ils ne font eux-mêmes. Ils ne vous contraindront pas de vive force à vous réformer d’après eux, car ils n’en ont pas le moyen; mais ils vous pousseront impitoyablement par leur censure, tombant et retombant sur vos actes aussi longtemps que vous ne les façonnerez pas sur le modèle des leurs. Ils ne vous laissent que le choix entre deux maux: accepter leur opinion, ou laisser déchirer la vôtre sous leurs morsures.

Et n’allez pas non plus vous dire, en pensant à tel ou tel de vos frères: «Cela est vrai,», car cela est vrai de vous et de moi les premiers.

Paul, qui ne saurait trop dire, dit: «Vous vous mordez, vous vous mangez les uns les autres.»

Quel compte effrayant, mon Dieu, n’aurons-nous pas à te rendre, à toi qui juges et condamnes les paroles?

Si des paroles vaines sont un sujet de condamnation, que sera-ce donc des paroles méchantes, venimeuses?

Et si nos paroles méritent des jugements si sévères, que mériteront nos actes?

Ah! Seigneur, Seigneur, n’entre pas en compte avec nous!

Pardonne-nous d’abord; change-nous ensuite, et que les paroles ne sortent plus de nos lèvres à l’avenir qu’inspirées par cette pensée que ton Fils, si plein d’amour, se nommait lui-même la Parole.


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CCLXXIIe MÉDITATION.

Lisez Épître aux Galates chapitre VI.

Ce sont les graciés qui font les œuvres


Dans ce dernier combat contre les docteurs qui voudraient ramener les Galates de la grâce à la loi, Paul dit: «Ceux qui cherchent à se rendre agréables dans ce qui regarde la chair, sont ceux qui vous contraignent d’être circoncis.»

Cette assertion ne vous semble-t-elle pas fort étrange!

Comment serait-ce se rendre agréable à l’homme que d’exiger de lui une œuvre quelconque pour arriver au salut?

L’exempter de toute tâche ne devrait-il pas être le plus sûr moyen de lui plaire?

Sans doute; mais lui demander de bonnes œuvres, c’est lui supposer des forces, des vertus, des mérites, et voilà ce qui chatouille agréablement son cœur orgueilleux. Aussi, remarquez qu’au verset suivant Paul ajoute: «Ceux qui sont circoncis (en d’autres termes, ceux qui prétendent se sauver par leurs propres œuvres), ce sont ceux-là qui n’observent point la loi.»

Pourquoi donc réclamer une tâche qu’on ne remplira pas ensuite?

Je le répète, c’est afin d’être estimé digne de l’accomplir. Combien de princes ont pris des titres guerriers et n’ont jamais voulu marcher au combat!

Mais, chose étrange! tandis que les prôneurs du salut par les œuvres se dispensent si volontiers de les accomplir, les partisans du salut par la grâce sont ceux qui s’appliquent le plus vivement à se sanctifier.

Je n’en veux qu’une preuve: Interrogez la masse des mondains, des incrédules, des malfaiteurs, descendez jusque dans nos prisons, et demandez à ces hommes comment ils pensent qu’on puisse être sauvé; c’est là surtout qu’on vous répondra que c’est en faisant de bonnes œuvres.

Et cependant ces hommes accomplissent-ils ce qu’ils préconisent? — NON.

Étudiez ensuite la vie de ceux qui célèbrent le plus haut le pouvoir de la grâce, ceux qui déplorent le plus vivement leur propre faiblesse, et vous trouverez que c’est précisément cette classe de chrétiens qui fondent des entreprises missionnaires, des institutions de charité, qui répandent l’instruction et la foi; ceux qui sont les plus scrupuleux dans leur conduite privée, ceux qui sanctifient le dimanche, condamnent le jeu, s’abstiennent de fêtes mondaines.

Dites que ces hommes ont leurs défauts, j’en conviens, et je les en blâme peut-être plus fortement que vous; mais enfin, reconnaissez qu’en plus d’un point ILS FONT LES ŒUVRES QUE LES PARTISANS DES ŒUVRES NE FONT PAS; tandis que ceux-ci n’accomplissent rien de bon qui ne se retrouve dans la vie des premiers.

Ah! combien je préfère m’avouer la maladie qui me dévore et me confier à un habile médecin! Alors j’aurai la honte, il est vrai, d’être tombé malade par ma faute, mais du moins j’acquerrai l’assurance de ma guérison.

À la fin du verset que nous étudions, Paul dit que ces mêmes hommes, qui se placent sous la loi, le font afin de n’avoir pas à souffrir pour la croix de Christ, c’est-à-dire pour le salut par la grâce.

Mais comment la foi au salut par la croix de Christ peut-elle attirer des persécutions?

L’homme ne devrait-il pas, au contraire, se réjouir de trouver une voie de salut exempte de tant de dangers, et sur laquelle Dieu le portât au but que par lui-même il ne saurait atteindre?

Un spéculateur, dans les affaires de ce monde, ne recevrait-il pas avec plaisir, en don, la fortune qu’il poursuit avec tant de fatigue et au milieu de tant d’incertitudes?

Non, il n’en voudrait peut-être pas, car il se sentirait péniblement humilié d’accepter un trésor qu’il est fier de gagner à la sueur de son front.

De même, et à plus forte raison, l’homme qui veut arriver au ciel se trouve humilié de n’y parvenir QUE porté sur la croix du Christ; il préfère l’escalader monté sur l’échafaudage de ses propres œuvres.

La reconnaissance pèse à son cœur ingrat, et il se donnera volontiers quelque peine pour n’être redevable à personne, pas même à Dieu!

Et encore trouverait-on bien plus d’hommes disposés à recevoir en don une fortune qu’un paradis; car il est certainement plus facile de reconnaître son dénuement matériel, que de s’avouer sa pauvreté morale.

L’homme est un indigent spirituel qui se plaît dans les haillons de ses vices et qui dore des couleurs de son imagination son infecte demeure pour n’avoir pas à en sortir.

À force de se répéter qu’il est riche en bonnes œuvres, il finit par le croire et arrive à la prétention d’acheter le ciel, Dieu, l’éternité!

Comble de folie! aveuglement du cœur! Non, rien, si ce n’est le Saint-Esprit, ne rendra la sagesse à ce fou, n’ouvrira les yeux de cet aveugle. Aussi, est-ce toujours et toujours à Lui qu’il en faut revenir!


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CCLXXIIIe MÉDITATION.

Lisez Épître aux Éphésiens chapitre I.

L’élection


La Bible, et en particulier le commencement de ce chapitre proclame hautement la prédestination; et cependant c’est une de ces doctrines contre lesquelles l’esprit de l’homme se soulève le plus vivement. Ce qu’on allègue pour la combattre revient à ceci:

La réponse est facile; Dieu n’a pas seulement décrété le but, mais encore les moyens; et de même qu’en créant le soleil il s’est dit que cet astre éclairerait le monde en suivant telle orbite, de même, en arrêtant le salut des Ninivites, Dieu a décrété la naissance et la mission de Jonas; bien plus, quand Jonas a voulu fuir, ce Dieu a fait fléchir sa fuite vers le rivage de ceux qu’il voulait convertir.

Ainsi, non seulement Dieu décrète le but, mais il arrête aussi les moyens.

Je sais que dès lors on pourra changer la difficulté de place et dire:

Comment accorder cette prédestination venant de Dieu avec la liberté qui rend l’homme responsable?

Je réponds d’abord que je n’en sais rien, et j’ajoute ensuite cette question:

Et vous, comment savez-vous que cette prédestination divine et cette liberté humaine ne peuvent pas se concilier ensemble?

Vous n’en savez rien, non plus que moi; il serait donc plus sage et plus humble à tous deux de baisser la tête et de dire: VOYONS, QU’EST-IL ÉCRIT?

Eh! quelle joie ne doit-ce pas être pour nous d’apprendre que non seulement Dieu veut aujourd’hui notre salut, mais qu’il l’a déjà voulu hier, l’an passé, à notre naissance, à la fondation du monde; que dis-je? Avant la création de l’univers! Ne l’aura-t-il maintenu tant de siècles que pour l’abolir demain?

Si, pour l’exécuter, il a tiré la création du néant, ne renverra-t-il pas dans le néant cette création plutôt que d’annuler sa décision première?

Ce n’est pas nous qui sommes un accident dans l’univers, c’est l’univers qui n’est qu’un accident dans notre salut. Dieu ne nous a pas sauvés parce que nous nous sommes trouvés dans ce monde, mais c’est parce qu’il avait résolu d’avance de nous sauver que ce monde a été créé!

Oh! combien ces pensées grandissent notre être! Comme elles font briller la miséricorde de Dieu! comme elles nous disposant à répondre à un si grand amour par une égale obéissance!

Oui, l’assurance que nous sommes élus nous pousse à nous sanctifier; car Paul ne dit pas seulement que nous soyons PRÉDESTINÉS À ÊTRE SAUVÉS, mais encore PRÉDESTINÉS À ÊTRE «SAINTS ET IRRÉPRÉHENSIBLES.»

Voudrions-nous sur ce point entraver le plan de notre Dieu?

Ne serons-nous pas, au contraire, heureux et fiers d’y entrer?

Et si nous n’avons pu mettre la main à la rédaction du décret ne serons-nous pas bien aises de la mettre à son exécution?

Sans doute, et ce qui achève de nous encourager, c’est la pensée que Dieu travaille AVEC nous et qu’il ne peut pas laisser inachevée l’œuvre qu’il a décrétée selon son bon plaisir.

Nous ne pouvons pas dès lors travailler en vain; courage donc, courage; le Créateur des cieux et de la terre est ouvrier AVEC nous. Une telle pensée pourrait relâcher l’activité d’un esclave, mais elle ne peut qu’accroître celle d’un fils.

Mais non, non; j’aime à croire que parmi ceux qui lisent ou entendent ces paroles, fussent-ils encore plongés dans l’incrédulité, il se trouve des élus, et c’est à eux que je m’adresse pour dire:

Oh! enfants de Dieu, sachez donc qui vous êtes! sortez d’un monde qui n’est pas votre patrie; venez au ciel qui vous appartient; sachez, sachez que Dieu vous a élus, et si jusqu’à cette heure vous l’avez ignoré, sachez encore que ce jour avait été fixé pour vous le révéler.

Sortez de la boue de cette terre;vous êtes aujourd’hui des élus, demain des bienheureux!

Élevez vos regards jusqu’à la hauteur de vos destinées, et venez rendre grâce à Dieu de vous avoir fait connaître aujourd’hui que vous êtes destinés pour le ciel, de toute éternité!


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CCLXXIVe MÉDITATION.

Lisez Épître aux Éphésiens, chapitre II.

Concordance entre les Actes et les Épîtres


Une première lecture, même superficielle, de la Bible découvre déjà certains indices de la divinité de ce livre; mais il est des preuves délicates qui ne se laissent apercevoir qu’au lecteur attentif et persévérant; de même, les merveilles de la création proclament l’existence du Créateur pour quiconque ouvre les yeux; mais elles ne racontent sa puissance et sa bonté qu’à celui qui les observe de près et longtemps.

C’est une de ces preuves qui échappent au premier regard que nous voudrions faire remarquer en passant.

Au livre des Actes des Apôtres, nous avons vu Paul, se rendant à Rome, prédire en l’an 58, aux anciens d’Éphèse, qu’après son départ de faux docteurs s’élèveraient parmi eux, et que comme des loups ravissants au milieu des troupeaux, ils annonceraient un évangile corrompu pour se faire des disciples.

Aujourd’hui dans cette Épître, c’est-à-dire six ans plus tard, Paul, emprisonné à Rome, écrit à ces mêmes Éphésiens comme si ces faux docteurs étaient déjà dans leur église.

Il ne les nomme pas, il ne les désigne pas même personnellement; mais on ne peut mettre en doute leur présence ou leur passage à Éphèse, après des allusions telles que celles-ci: «Afin que nous ne soyons plus des enfants flottants à tout vent de doctrine, par la tromperie des hommes et par leur ruse à séduire artificieusement.»

De même, dans le chapitre de ce jour, Paul répète cette parole déjà écrite aux Corinthiens, contre les faux docteurs qui prêchaient le salut par l’observation de la loi: «Vous êtes sauvés par grâce et non point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie.»

On reconnaît ici déjà cette lutte contre les judaïsants, qui devient plus évidente par la lecture du chapitre entier, où l’on voit Paul établir la parfaite égalité des Juifs et des Gentils parvenus à la foi.

Maintenant ouvrons, non plus les Épîtres de Paul, mais les écrits de Jean, et lisons, dans l’Apocalypse écrit en l’an 96, ces paroles adressées à l'église d’Éphèse: «Je sais que tu as éprouvé ceux qui se disent apôtres et ne le sont point, et que tu les as trouvés menteurs.»

Ainsi nous pouvons suivre la marche des événements:

en l’an 58, la prophétie; en 64, sa réalisation; en 96, son souvenir.

Tout n’est-il pas raconté à sa place?

L’événement ne vérifie-t-il pas la prédiction?

Et les allusions des historiens ne viennent-elles pas ensuite prouver la réalité de l’événement?

Peut-on supposer que tout cela ait été préparé d’avance?

N’est-il pas évident que de telles coïncidences résultent tout simplement de la vérité des faits?

Si quelques convictions résistaient à ce premier exemple, peut-être seront-elles entraînées par le second, que nous fournissent les mêmes passages de Saint Paul et de Saint-Jean.

En effet, tandis que Paul dans ses Épîtres censure les Corinthiens avec force; tandis qu’il appelle les Galates, insensés; il n’a pour les Éphésiens que de douces exhortations; il leur accorde même cet éloge, que le bruit de leur foi et de leur charité envers tous les saints est parvenu jusqu’à lui, au fond de sa prison.

Nous ne voulons tirer de là qu’une conclusion: c’est que la charité des Éphésiens était digne de louanges et surpassait celle des autres églises.

Eh bien! c’est précisément ce que Jean nous apprend un demi-siècle plus tard, en écrivant à celle même église: «Je connais, lui dit-il, tes œuvres, ton travail, «ta patience; mais tu as abandonné ta charité première.»

D’après Jean, la charité des Éphésiens avait donc été jadis remarquable?

C’est exactement ce qu'avait dit Paul, écrivant à l’époque rappelée par l’ami du Sauveur.

C’est ainsi que les Actes des Apôtres, l’Épître aux Éphésiens et l’Apocalypse se confirment et s’appuient mutuellement, non seulement dans une prophétie prononcée, réalisée et rappelée, mais encore dans le caractère moral de cette église, mentionné par Paul quand il existe, et rappelé par Jean lorsqu’il n’existe plus.

Je le répète, tout cela peut-il être le résultat de l’artifice?

Se peut-il qu’un ou plusieurs imposteurs aient songé à préparer une harmonie si lointaine, si indirecte, et qui est aperçue, peut-être pour la première fois, après dix-huit siècles?

Non, non, la réalité des faits seule peut rendre compte de telles coïncidences. — Si un miroir de forme circulaire, lancé contre terre, y gisait brisé en mille éclats, et que ses mille pièces, ensuite rapprochées, formassent un tout parfait, ne serait-il pas évident que le miroir avait jadis existé, et que ces fragments n’ont pas été façonnés l’un après l’autre pour faire croire à l’existence du miroir dans le passé?

Sans doute tel est le miroir de la vérité, telle est la Bible:

qu’on ne peut plus douter que le tout n’ait vécu, agi, parlé, en un mot, ne soit vrai.

Aussi, ce qui en définitive est le plus capable d’ébranler notre foi, c’est le désaccord que nous remarquons si souvent entre les principes et la conduite de certains chrétiens; comme (il est bon de nous le dire) ce qui ébranle la foi de nos frères, c’est la désharmonie qu’ils voient entre notre conduite et nos principes.

Quand nous avons été assez sincères pour rentrer en nous-mêmes, quand nous avons été choqués de nos propres inconséquences, n’est-il pas vrai que nous nous sommes pris à douter de la vérité d’une religion qui agissait avec si peu d’efficacité sur nous?

Rappelons-nous donc à l’avenir que l’harmonie est dans le christianisme lui-même, dans ses faits, ses doctrines, ses héros, et que si cette harmonie n’existe pas en nous-mêmes, ce n’est pas la faute de la religion, mais la nôtre propre; et alors, loin de mettre en doute la vérité, sachons nous humilier plus bas, prier davantage et croire avec plus de fermeté.

N’accusons pas le soleil de la faiblesse de notre vue; il ne nous manque pour l’admirer que de pouvoir le regarder en face.

De même la vérité chrétienne brillera pour nous d’un éclat d’autant plus vif que notre esprit sera plus croyant pour la comprendre et notre cœur plus pur pour la sentir.



 

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