Lisez Épître aux Éphésiens, chapitre III.
La grandeur de l’amour de Christ
«La largeur et la longueur, la profondeur et la hauteur de l’amour de Christ.»
En écoutant ces paroles de Saint Paul, on voit que les idées lui manquent pour donner une idée assez magnifique de l’amour de Jésus envers les pécheurs.
C’est qu’en effet non seulement nous, pauvres habitants de ce bas monde, mais les anges eux-mêmes, avant le sacrifice de Christ, ne pouvaient mesurer l’immensité de cette miséricorde. Il a fallu qu’elle fût déroulée devant eux par les faits de l’Évangile, pour que ces créatures célestes pussent voir seulement les bords de cet abîme de charité. Ce ne sera donc pas trop de toute notre intelligence, et surtout de tout notre cœur, pour comprendre un peu à notre tour l’amour dont nous avons été aimés.
Cet amour est LARGE, dit l’Apôtre; et en effet
LE SALUT DE CHRIST S’ADRESSE AUX HOMMES DE TOUS LES ÂGES, DE TOUTES LES INTELLIGENCES, DE TOUS LES DEGRÉS DE MORALITÉ, OU D’IMMORALITÉ.
Il n’existe pas une créature humaine qui ne puisse y atteindre; l’enfant peut déjà croire, le vieillard encore prier, l’ignorant comprendre le dévouement, le pécheur pleurer ses fautes, et tous ainsi être sauvés par Jésus-Christ.
Si le salut s’obtenait par l’accomplissement d’une œuvre, aussi facile qu’on voudra la supposer, il pourrait encore arriver qu’un homme fût dans l’impossibilité de l’accomplir.
- Ne fallût-il que faire un pas, l’enfant au berceau serait perdu, et le pécheur, repentant à son lit de mort, serait damné!
- N’y eût-il qu’un mot à prononcer, un regard à jeter, l’aveugle et le muet resteraient en dehors de ce salut.
Mais non, il n’y a qu’à CROIRE, qu'à SE CONFIER; pour cela un cœur suffit, et un homme fût-il à la fois perclus, aveugle, criminel et ignorant, qu’il posséderait encore un cœur pour se repentir et croire à son pardon.
Oui, l’amour de Christ est large, il embrasse dans son ampleur tout homme qui ne se débat pas pour échapper à ses étreintes.
La LONGUEUR de l’amour de Christ, ajoute Paul.
En effet, l’amour de Christ, manifesté dans son sacrifice, va chercher pour les sauver les hommes dans la nuit du passé et plonge ensuite dans les temps à venir.
Ce ne sont pas seulement les Zachées, les Madeleines, témoins vivants à la venue de Christ sur la terre, qui profiteront de sa mort expiatoire; c’est encore Abraham qui a vu le jour de Christ et s’en est réjoui, et les croyants à naître pour lesquels Jésus a prié.
Ainsi donc les siècles passés, les siècles à venir, tous les âges du monde peuvent regarder par la foi à Christ encore à naître et à Christ déjà mort; les rayons de la foi, comme ceux de la lumière, traversent les espaces, et, de tous les points de la circonférence, se réfléchissent pour retourner également bien au centre qui les avait lancés.
Ce ne sont donc pas les hommes d’une seule génération, mais ceux de tous les siècles, qui peuvent jouir des bienfaits de l’amour de Jésus-Christ.
Cet amour est PROFOND; oui, profond en sagesse; car il résout l’immense difficulté de PARDONNER LE PÉCHEUR SANS TOLÉRER LE PÉCHÉ; DE SAUVER ET DE SANCTIFIER.
Supposez que Christ, sans quitter son séjour de gloire et de béatitude, eût laissé tomber son pardon sur notre terre; supposez qu’il ne fût venu ni souffrir ni mourir parmi nous, quel motif aurions-nous de haïr le péché dont le pardon n’aurait rien coûté à notre Sauveur?
Comment pourrions-nous compter sur la promesse d’un Dieu promettant le pardon, lorsqu’il aurait manqué à sa menace contre nos transgressions?
Dieu ne pouvait être qu’indulgent ou sévère: indulgent, il nous encourageait au mal; sévère, il nous laissait tous tomber sous la condamnation.
Mais sa sagesse a évité ce double écueil en TRANSPORTANT LA PEINE DU PÉCHEUR CONFIANT SUR LE SAUVEUR DÉVOUÉ; et par un mystère que notre cœur féconde sans que notre intelligence le conçoive, IL NOUS A SAUVÉS PAR LA FOI et sanctifiés par la reconnaissance.
- Quiconque croira que son péché a fait couler le sang de Christ, haïra nécessairement le péché; et s’il y vit encore, c’est tout simplement qu’il ne croit pas.
Enfin cet amour du Sauveur est haut élevé, dit l’Apôtre; si haut, qu’aucun homme n’avait jusque-là pu seulement en concevoir l’idée.
Ce sont «des pensées qui n’étaient jamais montées naturellement à notre cœur.»
Étudiez toutes les religions humaines, tous les philosophes anciens et les sages modernes; écoutez ensuite ce qu’on appelle la sagesse des nations, ce bon sens partout à peu près le même, mais qui n’étant que le bon sens d’un pécheur est un sens perverti; tous vous diront, d’une manière ou d’une autre, que l'homme doit faire quelque chose pour gagner le ciel;
- ici l’on vous demandera des vertus,
- là des souffrances,
- ici des aumônes,
- ailleurs des macérations,
- mais partout on vous demandera d’escalader les hauteurs du ciel dont on vous aura plus ou moins adouci les marches.
Ainsi toutes ces intelligences humaines allant en sens contraire de l’intelligence divine, comment l’auraient-elles donc jamais atteinte?
L’homme creusant la terre, Dieu s’élevant au ciel, à quelle distance se seraient-ils rencontrés?
Mais il est un sens dans lequel cet immense amour me touche bien davantage, c’est dans celui qui se rapporte à ma propre âme.
- Oui, il est doux et sanctifiant de penser que cet amour est large, haut et profond pour moi-même; me pardonne tout, absolument tout: le passé, le présent, l’avenir, et me donne ainsi l’assurance parfaite de mon salut complet.
- Oui, il m’est doux de savoir que, quelle que soit ma faiblesse, la grâce de Dieu ne me fera jamais défaut et me suffira toujours.
- Oui, il est joyeux pour moi de me dire que Christ m’aime avant les siècles, m’aimera après les siècles, et que, d’une éternité à l’autre, il songe à moi, s’en occupe et m’attend dans son sein.
Il n’est rien de trop grand pour que je ne puisse pas l’espérer; rien de ce que je puis imaginer que Jésus ne veuille m’accorder; et mes voeux les plus vastes, mes désirs démesurés, sont devancés et dépassés par son amour, en sorte que je ne forme plus qu’un souhait, c’est que SA VOLONTÉ SOIT FAITE; pour moi c’est assez!
Lisez Épître aux Éphésiens, chapitre IV, 1 à 16.
Suivons la vérité avec charité
«Suivant la vérité avec charité.»
Ce passage est souvent cité à contresens. On met une opposition entre ces deux mots, comme s’ils devaient se servir mutuellement de limite.
- Annoncez la vérité, disent les uns; mais que ce soit avec charité.
- Recherchez la vérité, disent les autres; mais surtout la charité.
Ce qui signifie chez les premiers: prenez garde de ne pas attacher trop d’importance à la vérité; et chez les autres: la vérité ne vaut pas la charité.
Certes ce n’était pas là l’opinion de Paul, et les paroles qu’il écrit ici aux Éphésiens signifient tout autre chose.
Selon l’Apôtre, la vérité et la charité ne sont en aucune manière opposées, et l’une ne mérite aucune préférence sur l’autre; elles s’unissent, ne font qu’une, comme Jésus qui est la vérité et Dieu qui est la charité ne font qu’un.
LA VRAIE CHARITÉ CONSISTE PRÉCISÉMENT À DIRE LA VÉRITÉ, car la vérité chrétienne sauve; plus l’on sera fidèle dans l’exposition de l’Évangile, plus aussi l’on sera charitable, dans le beau sens du mot.
Voici donc ce que Saint Paul a voulu dire: Suivez la vérité, qui est charité; suivez cet Évangile qui froisse les hommes en proclamant leur corruption, mais qui ne les froisse que pour les sauver.
Plus vous serez fidèles dans l’exposition de ces doctrines, mieux vous prouverez votre amour pour les âmes; et plus cet Évangile sera reçu chez les hommes, mieux la charité se développera dans leurs cœurs.
Toutefois, il faut le reconnaître, il est des personnes qui ne sauraient parler de la foi sans lancer l’écume de leur colère contre quiconque les contredit; des hommes qui commencent toujours par injurier ceux qu’ils veulent convertir. Il faut encore avouer que d’autres prennent occasion de leurs croyances religieuses pour étaler leur orgueil et humilier ceux qui les écoutent.
Mais est-ce donc là la vérité?
Non, c’est erreur et mensonge; et à de tels hommes il ne faut pas dire: Annoncez la vérité avec plus de charité, mais simplement: Annoncez là vérité.
Une évangélisation haineuse ou orgueilleuse n’est pas plus vraie qu’elle n’est charitable; ce n’est donc pas la forme seule, mais le fond aussi qu’il faut en changer. QUAND ELLE SERA VRAIE, ELLE SERA CHARITABLE.
Ces réflexions ont plus d’importance qu’on ne le croit peut-être.
La tendance que nous combattons a pour résultat d'affaiblir le zèle et d’excuser l’indifférence; or, le danger est d’autant plus grand ici que c’est au nom de la Parole de Dieu qu’on vient au secours de notre lâcheté naturelle. C’est l’œuvre adroite de Satan citant à Jésus les mots de la Bible pour l’amener à en violer l’esprit.
Mais les exemples pris dans la vie de l’Apôtre expliqueront mieux sa pensée que le commentaire de ses paroles.
Lorsque les chrétiens judaïsants veulent transporter dans l’Évangile leur loi mosaïque, de quelles épithètes les apostrophe Paul?
Il leur crie: «Faux frères, loups dévorants, fous et docteurs des ignorants!»
Est-ce là dire la vérité avec charité, comme on l’entend de nos jours?
Non, c’est dire la vérité qui elle-même est charité, car elle sauve les âmes de ces juifs, que de puérils ménagements auraient trompées et perdues.
Quand, pour ne pas heurter les préjugés de ces juifs devenus chrétiens qui refusaient de manger avec des païens convertis, Pierre se retire de la table de ceux-ci, que fait Paul?
Il lui résiste en face et déclare à ce grand Apôtre qu’il mérite d’être censuré!
Est-ce là suivre la vérité avec charité, comme on l’explique au milieu de nous?
Non, c’est dire la vérité qui elle-même est charité, car elle coupe court à l’erreur qui eût perdu les âmes, en tolérant d’orgueilleuses prétentions.
Enfin, accusera-t-on Paul de manquer de charité, quand il se glorifie lui-même de prêcher avec hardiesse?
Qu’on écoute son langage courageux et sévère;
- aux Romains, il dit que par leur dureté et leur cœur sans repentance ils s’amassent la colère pour le jour du jugement;
- aux Corinthiens, qu’il y a parmi eux de l’envie, des dissensions, et qu’ils sont charnels;
- aux Galates, qu’ils sont des insensés;
- aux Éphésiens, qu’ils se mordent et se déchirent les uns les autres;
- et à tous, sous différentes formes, qu’ils ne sont que de misérables pécheurs, remplis d’injustices, de souillures, d’avarice, d’envie, de meurtre, de fraude et de mauvaises mœurs.
Pour que ses correspondants ne prennent pas ces accusations pour des accusations banales contre la masse du genre humain, Paul les apostrophe ainsi: «Toi donc, homme qui que tu sois, qui condamnes les autres, tu es inexcusable, puisque toi qui les condamnes, tu fais les mêmes choses.»
Et Jésus, la charité même, que disait-il à ces Pharisiens qu’il voulait cependant sauver?
«Race de vipères, conducteurs aveugles d’autres aveugles, hypocrites, sépulcres blanchis au dehors et pleins de pourriture au dedans; malheur, malheur à vous!»
Ah! ne cherchons pas être plus charitables que Dieu lui-même, ou plutôt n’abritons plus notre lâcheté sous le manteau d’une fausse indulgence; avec plus de charité nous serions plus sincères et plus hardis.
Quand nous nous taisons, ou quand nous délayons de rigides doctrines dans de flasques paroles, ce ne sont pas tant nos auditeurs, que nous-mêmes, que nous ménageons; nous sommes faibles, non pour leur épargner le poids de nos censures, mais pour nous soustraire nous-mêmes au fardeau de leurs reproches ou de leurs mépris.
Oh! Seigneur, rends-nous plus courageux, plus sincères, plus dévoués; apprends-nous à ne rien cacher de ton conseil, à dire tout entière la vérité qui sauve, et qui seule est la véritable charité.
Lisez Épître aux Éphésiens, chapitre IV, 17 à 32
Mettez-vous en colère et ne péchez point
«Mettez-vous en colère et ne péchez point.»
Il serait superflu de faire remarquer que ces paroles ne recommandent pas de se mettre en colère, mais qu’elles précautionnent celui qui a le tort d’y entrer contre le danger qu’il court dans un tel moment de tomber dans de graves péchés.
En effet, il en est de la colère comme de la vengeance; elle enivre si agréablement le cœur naturel que bien des hommes s’en font gloire, et il n’est pas rare d’entendre dire avec emphase: J’étais dans une telle fureur que je ne me possédais plus. — EN EFFET VOUS ÉTIEZ POSSÉDÉ DU DÉMON.
D’autres ne vont pas aussi loin et se contentent de se justifier en rejetant le tort sur leur tempérament. C’est mon sang, disent-ils; cela ne dépend pas de moi.
Oui, cela dépend de vous, car personne n’est tenté si ce n’est par sa propre convoitise.
- Sans doute Satan rôde autour de votre cœur;
- mais c’est TOUJOURS VOUS QUI LUI EN OUVREZ LA PORTE, et votre sang ne s’allume que parce que votre volonté y a mis le feu.
Mais c’est aux chrétiens surtout que nous nous adressons ici, et des chrétiens ne cherchent pas à justifier leur colère; ils désirent plutôt se précautionner contre ses pièges; essayons donc de venir à leur secours.
La colère est le penchant le plus humiliant de notre nature; car elle nous dépouille, momentanément du moins, de ce qui fait notre apanage, la raison.
Je ne dis pas qu’elle chasse l’Esprit de Dieu de notre sein; je ne dis pas qu’elle est inconciliable avec les dispositions qu’exige l’Évangile de paix; non, tout cela se comprend sans le dire, mais je dis qu’elle nous ravale au niveau de la brute et que cette seule pensée devrait nous prémunir contre ses emportements.
Pour un homme calme rien de plus hideux qu’un homme irrité; on se sent honteux pour lui;on voudrait le soustraire à tous les regards, l’arracher à lui-même et le lier comme un fou pour l’instant de sa furie.
Rien ne rappelle mieux la bête féroce, ébranlant de ses griffes impuissantes les barreaux de sa cage, que l’homme, l’œil en feu, le point fermé et la bouche écumante; le fou n’inspire que de la pitié, l’homme en colère inspire à la fois la pitié et le mépris; et tandis qu’il croit exciter l'étonnement, la terreur, peut-être l’admiration, il ne fait que jeter dans l’esprit de ses frères une juste défiance qui l’accompagnera le reste de ses jours.
Un fait digue de remarque,
- c’est qu’on se repent toujours de ce qu’on a fait dans un moment d’irritation; tandis que tel autre péché laisse des souvenirs séduisants, celui-ci ne laisse que des regrets; on se sent humilié devant ceux qui en ont été témoins, et humilié encore devant soi-même quand on s’y abandonne dans la solitude.
C’est qu’alors nos méchancetés sont doublement coupables; nous les accomplissons sans profit, pour le stupide plaisir de faire le mal; comme pour braver le Dieu qui nous le défend; comme pour tendre une main d’association à l’ennemi de nos âmes.
Ah! que serait-ce de nous si notre Dieu avait cédé, je ne dis pas à la colère mais à sa juste indignation, lorsque nous n’étions.que pécheurs?
Nous aujourd’hui héritiers du Ciel, serions à cette heure une proie assurée de l’enfer! Quel homme nous a outragés comme nous avons outragé notre Créateur?
Et si notre Père céleste s’est réconcilié avec nous, comment ne nous réconcilions-nous pas avec l’homme qui allume chez nous la colère la plus légitime?
Ne devrions-nous pas nous estimer heureux d’avoir un frère à pardonner, une injure à oublier, notre patience à exercer, pour témoigner à ce Dieu d’amour et de pardon que nous nous sommes formés à son école, et que nous, comme Lui, nous savons être miséricordieux, doux et calmes aux heures même où des cœurs inconvertis s’enorgueillissent d’être irrités?
Sans doute notre longanimité ne nous obtiendra guère les applaudissements d’un monde dont la vengeance fait la gloire et les délices; mais ce qui vaut mieux, elle nous vaudra l’approbation de Dieu et de notre conscience dans cette vie, en attendant qu’elle nous conduise à la paix joyeuse qui règne dons les Cieux.
Lisez Épître aux Éphésiens, chapitre V, 1 à 17
Rachetez le temps
«Rachetez le temps,»
C'est ce que nous dit l’Apôtre; en d’autres termes:
- Accomplissez à l'instant même non seulement la tâche du jour,
- mais, s’il est possible, encore celle que vous avez négligée la veille, et arrivez ainsi à retrouver vos HEURES, vos JOURS et vos ANNÉES perdues dans l’inaction ou dans le péché.
Rien de plus précieux que le temps; c’est le premier élément de la vie, l’étoffe indispensable de tout ouvrage humain; rien ne le remplace, tandis qu’avec lui on remplace bien des choses.
Les richesses spirituelles elles-mêmes, bien qu’elles puissent nous être données instantanément de Dieu, exigent, d’après la marche ordinaire que suit le Seigneur, du temps pour être reçues; bien que le Saint-Esprit descende du ciel sur les ailes de la colombe et avec la rapidité de la lumière, encore faut-il du temps pour en sentir la nécessité, pour étudier la Parole divine qui nous l’offre et pour le demander enfin.
Aussi nous le répétons,
RIEN N’EST PLUS PRÉCIEUX QUE LE TEMPS.
Et cependant, ce bien, le plus précieux de tous, est celui que nous prodiguons avec le moins de regret.
- Nous l’employons sans peine à mille petites oeuvres inutiles;
- nous le gaspillons dans tous les coins de nos demeures,
- nous le laissons tomber et se perdre sur toutes les frivolités qui passent sous nos yeux ou frappent notre oreille;
- nous donnons notre temps à qui veut le prendre;
- il suffit qu’un homme s’approche, nous parle du beau temps et de la pluie, pour que, si bon lui semble, nous perdions une heure à lui parler de la pluie et du beau temps.
Nous faisons si peu de cas du temps, que nous lui préférons toutes les misères de ce monde; qu’on nous demande une obole, nous la refuserons peut-être; mais qu’on nous demande une heure, nous l’accorderons sans beaucoup de peine, je ne dis pas pour une œuvre utile, mais pour la dernière futilité.
Écoutez plutôt les conversations oiseuses qui bourdonnent autour de vous, suivez les pas qui s’égarent au hasard à votre entour et que le plus léger incident attarde ou pousse dans une autre direction.
Comptez les minutes passées à tourner sur soi-même, à changer les objets de place, et vous serez effrayés de la part immense que vous aurez retranchée de votre vie.
Si vous voulez mieux sentir que c’est bien là du temps perdu, supposez que ces conversations, ces incidents, ces allées et venues, ces arrangements ou dérangements successifs n’aient pas eu lieu, et vous reconnaîtrez que votre vie eût coulé tout aussi bien, que vos affaires sérieuses n’en eussent pas plus mal marché; que dis-je? Tout s’en fût mieux trouvé, car vous auriez eu le double d’heures pour accomplir la même tâche!
- Si tant de frivolités peuvent être retranchées de votre vie sans en déranger l’économie, elles y étaient donc de trop, et le temps que vous leur avez donné était donc un temps perdu.
Le plus sûr moyen de perdre beaucoup de temps, c’est de renvoyer au lendemain l’œuvre exécutable à l’instant même.
Aussi ce moyen est-il celui que nous employons le plus habituellement.
C’est un dialogue entre la conscience et Satan.
La conscience nous dit: «Voilà une bonne œuvre à faire;»
Satan nous répond: «Oui, prends-en note, et tu la feras demain.»
Le jour suivant, l’œuvre échappe ou revient à la pensée.
Dans le premier cas, non seulement nous avons perdu à la renvoyer le temps que nous aurions pu employer à la faire, mais encore nous avons commis un péché de plus EN APPROUVANT LE BIEN ET NE L’ACCOMPLISSANT PAS.
Dans le second, celui où le souvenir de l’œuvre projetée nous revient, la conversation intérieure recommence:
«C’est à ce jour que tu as renvoyé l’exécution de cette œuvre, nous crie la conscience.»
«Mais puisque tu l’as renvoyée hier à aujourd’hui,» reprend Satan, «pourquoi ne la renverrais-tu pas d’aujourd’hui à demain?»
Et ainsi de suite.
Chacun de nous pourrait citer des affaires qu’il renvoie de jour en jour depuis des années, et, de plus, trouver dans ces mêmes années de retard dix fois plus de temps perdu qu’il n’en aurait fallu pour accomplir les œuvres négligées.
Ce n’est pas précisément que nous, chrétiens, dissipions nos heures dans l’oisiveté ou dans des distractions mondaines. Non. Mais:
- Nous administrons mal notre temps en faisant le bien.
- Nous le faisons sans ordre;
- Nous choisissons l’œuvre la plus facile et la plus agréable, au lieu de mettre la main sur la plus prochaine ou la plus importante.
- Nous nous payons volontiers de cette excuse, que ce que nous faisons est bien, sans nous demander si ce que nous laissons ne serait pas mieux.
Remarquez bien qu’il n’est pas question d’agir avec hâte ou de mener deux œuvres à la fois; non, à chaque jour suffit sa peine.
Mais c’est précisément parce qu’à chaque jour suffit sa peine qu’il ne faut pas renvoyer à demain la peine d’aujourd’hui.
Ce dont il s’agit, c’est de travailler avec suite, avec ordre, sans relâche, ou du moins de ne prendre le repos qu’après la fatigue et de mettre chaque chose à sa place.
Ce dont il s’agit surtout, c’est de supprimer de nos occupations journalières ces mille petits riens qui dévorent nos heures, comme ces mauvaises herbes qui occupent la place des bonnes et diminuent d’autant la moisson. «Laissez les morts ensevelir leurs morts,» nous dit Christ. «Rachetez le temps,» ajoute l’Apôtre.
Oui, rachetons-le, car l’heure vient où l’Ange, posant un pied sur la terre et l’autre sur l’Océan, criera en levant la main au Ciel:
«Il n’y a plus de temps! il n’y a plus de temps!»
Lisez Épître aux Éphésiens, chapitre V, 18 à 23
La joie chrétienne
Paul nous exhorte ici à «nous entretenir par des cantiques et des chants spirituels, psalmodiant dans notre cœur.»
Le Psalmiste, s’adressant à l’assemblée du peuple de Dieu, avait déjà dit: «Chantez et psalmodiez au Seigneur;» et enfin Jean, dans l’Apocalypse, nous représente les habitants des Cieux comme entonnant les louanges de Dieu.
Sans entrer dans un examen minutieux de ces passages, on peut en tirer sans effort cette conséquence que la religion chrétienne, comme la venue du Sauveur, doit être regardée selon l’expression des Anges, comme un sujet de joie.
Est-ce bien ainsi qu’on l’envisage en général!
N’est-ce pas plutôt comme un objet de tristesse et d’ennui?
Hélas! les uns s’en détournent comme d'un lit de mort et les autres la suivent comme un cortège funèbre.
Ceux-ci, pour embrasser la foi, pensent devoir changer de figure, de ton, de contenance; ceux-là ne se croiraient pas chrétiens s’ils ne se disaient malheureux.
Aussi, voyez, dans les tableaux d’église et les livres de piété d’une autre communion, comme on leur représente les saints amaigris par le jeûne, dévorés par la tentation, couverts de cilices (Tunique, ceinture de crin ou d'étoffe rude, garnie éventuellement de clous ou de pointes de fer à l'intérieur et portée sur la chair par mortification - Lexilogos), entourés de disciplines et de têtes de morts. Qui voudrait se convertir avec une telle perspective pour fruit de la conversion? Ce n’est pas nous.
D’où vient donc ce contraste entre la joie que l’Évangile veut porter dans le cœur et la tristesse qu’on trouve chez tant de chrétiens?
C’est que les uns ne comprennent pas cet Évangile et pensent que le Ciel ne peut s’obtenir qu’à force de difficultés vaincues; en sorte que toujours, en crainte de n’être pas au bout de leur tâche, ils tremblent et pleurent jusqu’à la porte de l’éternité.
Ah! s’ils avaient compris:
- QUE DIEU NE VEND PAS LE CIEL, MAIS LE DONNE;
- QU’IL NE FAIT PAS RACHETER LES PÉCHÉS, MAIS LES EFFACE.
S’ils avaient compris que ce ne sont pas les œuvres de l’homme, mais LA GRÂCE DE DIEU QUI SAUVE, ils sentiraient bien vite leur tristesse se changer en joie et leurs craintes en espérances, ou plutôt en douce certitude que ce Ciel leur appartient.
D’autres ont accepté la grâce: aussi marchent-ils déjà dans la voie de la sanctification. Mais leur vieil homme les tire encore en sens contraire. Ils voudraient accorder à Dieu le moins et au monde le plus possible.
Ainsi déchirés par deux efforts contraires, ils souffrent au point de séparation. Tout ce qu’ils cèdent au Seigneur leur coûte un regret; tout ce qu’ils accordent au monde leur coûte un remords.
Aussi ne prient-ils Dieu qu’avec effort, ne lisent-ils sa Parole qu’avec langueur et ne se rendent-ils dans sa maison qu’à pas lents. Si ces chrétiens avaient deux dimanches par semaine à sanctifier, ils mourraient d’ennui!
- Que feront-ils donc au Ciel où la vie se passe dans un éternel dimanche à chanter et louer le Seigneur?
Ah! quand donc comprendront-ils que l’union avec Christ n’admet aucun partage adultère, et qu’il n’y aura de joie pour eux que le jour où ils se donneront sans réserve à celui qui sans réserve s’est donné pour eux!
Oui, il est aussi pénible au voyageur de marcher avec une seule épine dans sa chaussure que les pieds nus sur les pierres du chemin; il est aussi cuisant de nourrir une seule passion dans l’Évangile que de s’abandonner à toutes dans le monde.
Si vous l’avez espéré autrement, la faute en est bien à vous; car Christ vous a toujours dit qu’on ne peut pas servir deux maîtres; qu’il faut au besoin se couper un membre pour sauver le corps, et vivre saints comme notre Père céleste est saint.
Oui, c’est là qu’est la joie, et, bien que cela nous paraisse un paradoxe dans notre état de langueur, il n’y a de bonheur véritable que dans la sainteté.
On comprend sans doute que nous ne prétendons pas autoriser la joie mondaine et dire qu’on peut traiter légèrement les objets éternels et saints de la vie à venir. Nous savons même qu’il est une tristesse selon Dieu; mais:
- observez que cette tristesse est surtout dans l’enfance du chrétien, lorsque celui-ci souffre encore de son état de corruption, le déplore et y attend un remède;
- remarquez que cette tristesse vient du péché et non du salut, de nous-mêmes et non de Dieu, et que, nous détachant toujours plus du mal pour nous approcher du bien.
Contemplant toujours de plus près la grâce et l’amour du Seigneur, nous devons aussi toujours plus sécher nos larmes et marcher par le sentier de la paix vers la couronne de joie. La vie du chrétien a trois périodes:
1. La tristesse du péché où il tombe à l’époque de son enfantement spirituel;
2. La paix où il entre en apprenant qu’il est sauvé par la simple foi;
3. Et enfin la joie, dernier fruit de cette foi portée jusqu’à l’assurance du salut.
Le péché viendra peut-être encore troubler cette heureuse sérénité; mais ce sera comme le nuage d’été qui, léger et rapide, traverse un ciel radieux et n’attriste l’œil qu’un instant.
Bientôt le soleil de la grâce reparaît, sèche ses larmes, met la joie dans son cœur et soutient sa marche dans la voie de la sainteté, même à travers les pièges de la tentation.
Lisez Épître aux Éphésiens, chapitre VI
Rapports réciproques selon le Seigneur
Saint Paul, en exhortant les enfants à honorer leurs parents, les parents à instruire leurs enfants, les serviteurs à obéir à leurs maîtres, et les maîtres à ménager leurs serviteurs, Saint Paul pose toujours cette restriction, «selon le Seigneur,» en sorte que ce n’est pas aux hommes que les uns se soumettent, mais à Dieu; comme ce ne sont pas les ordres de leurs semblables que les autres exécutent, mais les ordres d’un Être à tous supérieur.
En envisageant ainsi les diverses relations sociales, on voit disparaître tout ce que leurs inégalités ont de blessant; il n’est pas plus honorable d’être père que fils, pas plus méritant d’être maître que serviteur; pas plus honteux d’obéir que de commander.
Parents et maîtres, en commandant, obéissent; qu’ils restent donc humbles; comme enfants et serviteurs, en se soumettant aux hommes, ne relèvent que de Dieu; qu’ils sentent donc la dignité d’un tel service.
- Dans un sens il n’y a parmi nous ni maîtres, ni esclaves; ni fils, ni pères; IL N’Y A QUE DES ENFANTS DE DIEU.
Cette pensée est bien propre à modérer les ordres de ceux que Dieu a haut placés dans la société.
Qu’êtes-vous, parents, magistrats et monarques? De simples domestiques de votre Créateur. Votre autorité ne vous est pas propre; vous ne faites que servir. Malheur à vous si vous substituez aux ordres saints que vous êtes chargés de transmettre les ordres capricieux de votre propre volonté.
La verge que vous levez sur les autres tombera sur vous; votre autorité n’est pas un privilège, mais un fardeau.
D’un autre côté cette même pensée est bien propre à relever la dignité de ceux qui obéissent, en leur montrant que les ordres qu’ils exécutent sont ceux d’un Dieu.
Il est vrai que les dépositaires de cette autorité n’en usent pas toujours comme l’aurait voulu Celui dont ils sont les représentants; mais alors même qu’ils seraient durs et tyranniques, c’est être agréable au Seigneur lui-même que de se soumettre à ces maîtres fâcheux.
Cette pensée ennoblit aussi les fonctions les plus humbles, en les considérant comme mises au service du Créateur des cieux et de la terre.
Ce n’est plus seulement pour vivre que l’obscur agriculteur laboure ses champs: c’est avant tout pour accomplir la volonté de Dieu; et l’humble servante qui noue et dénoue la courroie des souliers de son maître, dans un esprit d’obéissance au Seigneur, n’est rien moins qu’une servante de Dieu.
Depuis des siècles, de grands politiques rêvent l’égalité des hommes sur la terre.
La voilà l’égalité!
C’est la seule possible; bien mieux, c’est la seule réelle, la seule qui relève les humbles et humilie les orgueilleux.
L’égalité que vous chercheriez dans la fortune et les droits politiques, fût-elle possible, laisserait encore subsister l'aiguillon qui nous blesse dans la main d’autrui: l’orgueil; et cet orgueil nous irriterait tout aussi bien alors chez notre égal qu’aujourd’hui chez notre supérieur.
- Ce n’est donc pas la condition sociale de l’homme, mais son cœur qu’il faut changer pour réaliser cette égalité qui ferait de la race humaine une famille de frères.
En écoutant ce qui précède, peut-être chacun de nous a-t-il dit amen dans son cœur.
Les maîtres ont pensé que les serviteurs devraient en effet leur obéir comme à Christ; et les serviteurs, que les maîtres feraient bien de se rappeler qu’ils ont un Seigneur dans les Cieux.
Les uns et les autres ont parfaitement raison; mais les uns et les autres devraient tourner le feuillet, lire la seconde moitié du passage qu’ils citent, et se dire, s’ils commandent, qu’ils doivent modérer leurs menaces; s’ils obéissent, qu’ils doivent le faire de bon coeur.
Je dirai même que la partie du précepte que chacun rappelle est précisément celle qu’il pourrait oublier sans danger; et celle qu’il oublie, celle qu’il lui importait le plus de se rappeler.
Il en est toujours ainsi:
- nous ne voulons voir dans nos obligations mutuelles que NOS droits et les devoirs des AUTRES, triste preuve que nous ne commandons ni n’obéissons en vue de Dieu, mais en vue de nous-mêmes.
- Ah! grandissons nos pensées, nos sentiments;
- plaçons-nous à la hauteur d’où nous parle l’Évangile;
- mettons-nous en rapport avec Dieu;
- sachons voir le ciel du bas de cette terre et contempler Notre Seigneur à travers les obscures occupations que nous imposent les hommes.
- Obéissons même à des pères exigeants, à des maîtres fâcheux;
- supportons patiemment des serviteurs faibles, des enfants difficiles,
- et nous aurons en même temps avancé nous-mêmes et poussé les autres dans les sentiers du Seigneur.
Lisez Épître aux Philippiens, chapitre I
Le désir de rester et le désir de partir
Entre le jeune homme, riche d’illusions, qui tient fortement à la vie, et le vieillard désabusé qui désire la mort, le monde place le philosophe, vivant sans désirs, mourant sans regrets, mettant sa sagesse dans son indifférence pour la vie et la mort.
Le chrétien qui n’est ici ni ce jeune homme, ni ce vieillard, n’est pas plus ce philosophe.
C’est ici que la foi évangélique montre sa supériorité sur toute doctrine humaine, comme c’est ici qu’elle est souvent mal comprise.
On s’imagine volontiers qu’être chrétien, c’est être triste, ne jouir de rien, avoir le monde en haine et soupirer après le Ciel par dégoût de la terre.
Non, et un mot de Saint Paul caractérise bien le sentiment habituel qu’inspire la foi chrétienne. L’Apôtre ne dit pas qu’il craigne également de vivre et de mourir, mais qu’il désire également les deux;
- mourir, non pour quitter ce monde, mais pour être avec Christ;
- vivre, non pour fuir la mort, mais pour faire ici-bas du bien à ses frères.
Ce ne sont donc pas deux appréhensions, mais deux désirs; leur ensemble ne constitue pas l’indifférence, mais le bonheur. Et, s’il en est ainsi, où donc est cette tristesse que vous redoutez dans la foi?
Ah! c’est que vous ne la comprenez pas!
Oui, il y a de la joie et une joie bien vive à voir devant soi des jours à dépenser pour ses frères, pour son Dieu! à se jeter dans la vie active comme dans un océan sans bords, où sur chaque point on trouve l’occasion d’une main à tendre, d’un cri à jeter pour sauver une âme du naufrage!
Comment ne pas être heureux de se savoir le compagnon d’œuvre d’un Dieu! de se dire: Ma parole, ma prière, pèsent peut-être une éternité!
- Oui, quand le Seigneur a béni dans le passé quelques-uns de ces travaux, on éprouve des tressaillements d’allégresse à se sentir encore quelques jours de vie à dépenser au service de ses frères et de son Sauveur:
L’EXISTENCE LA PLUS PÉNIBLE PARAÎT DOUCE, COURONNÉE DE TELS SUCCÈS.
Et cependant, au milieu de ces travaux, à la veille de ces succès, on se sent prêt à partir sans attendre le lendemain. Que dis-je, prêt!
On désire ce départ, on ne voit pas la mort, mais la vie, qui est derrière; on ne regrette pas ce qu’on laisse, mais on soupire après Christ qu’on va rejoindre.
C’était pour son service qu’on restait ici-bas, c’est encore pour son service qu’on monte là-haut.
C’est toujours Lui, et partout Lui; tandis que l’incrédule repousse la pensée du sépulcre, le chrétien la recherche; tandis que le premier frissonne d’avance à l’idée de la terre froide, le second se réchauffe en songeant à un Ciel radieux;
- l’un voit involontairement ces vers, futurs compagnons de sa poussière;
- l’autre contemple ces multitudes d’anges au milieu desquels bientôt il ira se mêler. COMMENT REDOUTERAIT-IL DE PARTIR?
Soit donc qu’il reste, soit qu’il parte, le chrétien est toujours satisfait, non par un principe d’insensibilité, au contraire, par un principe d’amour; non parce qu’en restant ou en partant il échappe à un malheur, mais parce que, dans les deux cas, il touche à la félicité.
Avec de tels sentiments, Saint-Paul est heureux dans toutes les positions.
Aussi n’écrivit-il peut-être jamais une lettre qui respirât mieux la paix, la joie, que celle aux Philippiens; et cependant cette lettre est datée du fond d’un cachot, tracée d’une main chargée de fers!
L’Apôtre dit même qu’il ne voit dans ses liens, rendus célèbres dans tout le prétoire, qu’une chaîne de plus pour attacher les cœurs à Jésus-Christ.
Ainsi, non seulement le chrétien se réjouit de rester ici-bas, mais il se réjouit d’y rester même dans les souffrances qui peuvent contribuer à la gloire de Dieu ou à sa propre sanctification.
- Tout lui est bon, tout profitable;
- tout concourt à son bien spirituel;
- l’abondance et la santé le servent en le rendant capable de soulager les malheureux;
- tout comme la misère et la maladie le secondent en le poussant vers le Ciel; où l’attend son Sauveur?
Cherchez une position de fortune qui puisse affliger le racheté de Jésus-Christ, vous ne la trouverez pas tant qu’il se tiendra collé à son Maître et qu’il évitera le péché.
La sainteté est son remède souverain; il dépend de lui d’en user et d’être heureux, comme il n’est au pouvoir d’aucun homme de l’attrister.
Oui, Seigneur, ton joug est doux et ton fardeau léger; car maintenant nous ne marchons plus, mais nous courons dans tes commandements.
Laisse-nous ici-bas, ou bien rappelle-nous vers toi; main tiens-nous dans les douceurs du bien-être, ou fais-nous goûter l’amertume de la privation; TON NOM SERA TOUJOURS BÉNI!
Mais en tous cas, Seigneur, AUGMENTE NOTRE FOI, afin que, comme l’Apôtre, nous puissions nous sentir également:
- pressés de partir pour être avec toi,
- ou de rester pour faire quelque bien à tes enfants.
Lisez Épître aux Philippiens, chapitre II
Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement
Nous voudrions consacrer toutes ces méditations à l’édification directe de ceux qui les parcourent; et cependant de temps à autre nous nous voyons contraints en quelque sorte à changer de terrain pour entrer, comme aujourd’hui, sous celui de l’explication d’un passage difficile.
Mais nous supplions ceux qui nous écoutent de se rappeler que:
La science acquise pour elle-même enfle le cœur,
et qu’il n’est utile de savoir qu’afin de pratiquer.
Les uns soutiennent que le salut vient de la grâce de Dieu, et ils citent ces paroles: «C’est Dieu qui produit en vous le vouloir et l’exécution.»
D’autres affirment que le salut vient des œuvres de l’homme, et amènent en preuve ces mots: «Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement.»
Il faut le reconnaître de part et d’autre, ces deux citations semblent venir chacune parfaitement à l’appui de l’une des deux doctrines contraires, et nous comprenons que de part et d’autre on les présente de bonne foi.
Cependant LA BIBLE NE PEUT SE CONTREDIRE: si l’une de ces deux paroles est bien comprise, l’autre l’est mal; mais laquelle? C’est ce que nous allons bientôt découvrir.
Remarquez d’abord une circonstance qui doit encore augmenter votre étonnement: ces deux passages se touchent dans l’Épître, ou plutôt ils n’en font qu’un seul, que voici:
- «Travaillez à votre propre salut avec crainte et tremblement, car (remarquez ce mot), car c’est Dieu qui produit en vous avec efficace le vouloir et l’exécution selon son bon plaisir.»
Le lien entre ces deux idées ne vous semble-t-il pas étrange?
Pourquoi travailler avec crainte et tremblement, puisque Dieu est là pour faire fructifier le travail de nos mains?
Cette objection est fondée, ce raisonnement est juste, oui, juste dans le cœur de celui qui pourrait dire aussi: «Restons dans le péché, afin que la grâce abonde.»
Mais ce n’est pas à cet homme que s’adresse Saint Paul:
- c’est à ses chers Philippiens,
- c’est à Lydie, dont l’Esprit-Saint avait ouvert le cœur pour la rendre attentive à sa parole;
- c’est au geôlier, qui, tout tremblant, avait dit: que faut-il que je fasse pour être sauvé;
- c’est à ces chrétiens touchés de l'amour de Christ et pleins du Saint-Esprit que s’adresse l’Apôtre.
Ainsi tâchez de vous mettre à leur place, efforcez-vous de revêtir ces saintes dispositions qui font dire au commencement du chapitre: «S’il y a quelques consolations en Christ, s’il y a quelque soulagement dans la charité, s’il y a quelque affection cordiale et quelque compassion, rendez ma joie parfaite, étant en bonne intelligence, ayant une même charité, étant bien unis ensemble, ayant les mêmes sentiments;» écoutez avec un cœur ému de reconnaissance et plein de foi, et vous comprendrez les rapports de sentiments que Saint Paul établit entre deux pensées en apparence discordantes.
Voici:
– Si vous aviez un roi pour hôte dans votre demeure, ne croiriez-vous pas devoir être encore plus actifs que d’ordinaire pour tout tenir en bon ordre?
– Si ce monarque, descendu dans votre maison, se plaçait à vos côtés pour accomplir votre tâche, ne vous sentiriez-vous pas aiguillonnés par sa présence?
– S’il plaçait entre vos mains un royal et puissant instrument pour rendre vos propres efforts efficaces, ne vous croiriez-vous pas chargés d’une plus grande responsabilité par cela seul que vous agissez avec le secours de votre roi?
Eh bien, de même Paul vous rappelle que DIEU EST PRÈS DE VOUS; qu’il vous a donné pour agir LES FORCES DE SON SAINT-ESPRIT, et, afin que vous sentiez mieux la grandeur de ces privilèges, il vous dit: Pourriez-vous négliger de tels secours?
Seriez-vous lâches quand Dieu est là?
Bien au contraire!
Puisque votre œuvre est soutenue de Dieu,
elle ne risque plus d'être vaine.
Celui qui sème, incertain s’il recueillera, peut travailler languissamment; mais vous, vous êtes assurés de la récolte: Dieu laboure et sème AVEC vous.
Courage donc, courage, et prenez garde de mépriser le concours d’un tel ouvrier; ce serait l’insulter que de négliger les ressources qu’il nous donne; une crainte filiale convient en présence de Dieu, et un saint tremblement sied bien à celui qui ne voudrait pas laisser perdre la plus légère faveur d’un tel compagnon d’œuvre.
Ainsi compris, ce passage n’est-il pas simple, naturel, beau, sublime?
Oui, sans doute; car il vient du cœur et ne peut être apprécié que par le cœur.
Bien malheureux celui qui ne le sentirait pas ainsi; car il lui manquerait encore l’élément d’amour que le Saint-Esprit dépose dans l’homme pour en faire un chrétien.
En agissant de la sorte, nous ne serons pas des enfants de Dieu, comme le dit ensuite l’Apôtre, uniquement par la raison que nous ferons des œuvres selon la volonté de Dieu; mais nous serons encore ses enfants dans ce sens que NOS ŒUVRES VIENDRONT DE LUI, seront accomplies par SES forces mises en nous; nos œuvres seront les SIENNES, ou plutôt NOUS SERONS SON ŒUVRE, SES CRÉATURES, SES ENFANTS.
Lisez Épître aux Philippiens, chapitre III
Contradiction apparente dans les doctrines chrétiennes
La chaîne du raisonnement dans ce chapitre se compose de trois anneaux:
1. Si l’homme naturel, appuyé sur sa propre justice, compte obtenir le Ciel, combien plus le chrétien peut-il y compter, lui qui s’appuie sur la justice parfaite de Dieu; voilà le premier.
2. Cette confiance produit une véritable résurrection spirituelle: voilà le second.
3. Enfin, plus cette confiance s’accroît, plus le chrétien se sanctifie, jusqu’à ce que la confiance touche à la certitude, et que la sainteté soit ainsi portée jusqu’à la perfection.
Et maintenant admirez la sagesse de Dieu en plaçant ainsi le don du salut avant celui de la sainteté: l’homme qui compte gagner le ciel par ses mérites non seulement songera à sa conduite pour le lendemain, mais encore se rappellera sa conduite de la veille; car si les bonnes oeuvres à accomplir peuvent contribuer à son salut, les mauvaises déjà accomplies peuvent le mettre en péril.
Il peut se réjouir du bien qu’il désire faire, mais il doit craindre pour le mal déjà fait.
Ce sera donc un regard porté tantôt en avant, tantôt en arrière; un moment brillant d’espérance, un moment scintillant de larmes, et finalement bien des heures perdues dans l’appréhension et bien des souffrances imposées sans résultat pour sa sanctification.
Aussi n’est-ce pas là ce que fait l’Apôtre.
Lui ne regarde jamais en arrière pour s’attrister sur ses fautes. Pourquoi?
Parce qu’ils les sait toutes et COMPLÈTEMENT EFFACÉES.
Au contraire il porte constamment ses regards en avant et avec plaisir. Pourquoi?
Parce que RIEN NE L’INQUIÈTE DANS LE PASSÉ.
Dès qu’un jour est écoulé, l’Apôtre le laisse tomber dans l’oubli, car ce jour est déjà purifié; ainsi il n’en trouve que plus de force, que plus (qu’on me permette le mot) d’élasticité pour marcher en avant.
Oui, en avant, en avant! Voilà le cri dont il s’anime sans cesse; il marche, il gravit, il monte à l’assaut de la sainteté, sans s’inquiéter des faux pas laissés derrière lui; la victoire lui est assurée, pourquoi donc craindre? Et précisément parce que sa victoire est certaine, Paul avance avec courage pour saisir la palme du vainqueur.
Ainsi disparaît cette apparente contradiction que quelques-uns peut-être ont cru voir dans ce passage où Paul déclare qu’il ne se persuade pas avoir atteint le but, et où cependant il dit: «Nous qui sommes parfaits.»
Oui, nous sommes parfaits dans ce sens que NOUS SOMMES PARFAITEMENT SAUVÉS; dans ce sens encore (conséquence du premier) que, complètement sauvés, nous ne pouvons manquer de parvenir à la sainteté complète ici-bas ou dans le ciel.
Toutefois avec une telle conviction nous pouvons reconnaître qu’aujourd’hui nous sommes encore loin de ce but élevé, il n’y a pas opposition entre ces deux termes; on peut bien être assuré de parvenir et n’être pas encore arrivé.
Loin de se repousser, ces deux pensées se complètent et s’appuient.
Dieu n’a donc pas mis de contradiction entre les diverses déclarations de sa Parole; c’est nous qui les y portons en examinant à froid chaque page de l’Évangile, en voulant disséquer chaque idée, chaque phrase, chaque mot.
Dieu jette les paroles dans notre cœur,
et nous les recevons dans notre tête.
Il s’adresse à nous comme à ses enfants,
et nous l’écoutons comme ses juges.
Faut-il donc s’étonner que nos yeux curieux finissent par découvrir la paille imaginaire qu’ils cherchent et qu’ensuite fatigués de cet examen microscopique, ils ne puissent plus voir la poutre réelle qui les offusque?
- Oui, la Bible est toute harmonie pour quiconque la lit avec FOI et CANDEUR;
- mais elle est pleine de questions épineuses pour quiconque avec le scalpel de la critique veut déchiqueter ses doctrines.
L’Évangile est une fleur brillante et suave pour qui le contemple et le respire dans son parfait ensemble; il n’est plus que tige, pétales, étamines, qui tombent et se dessèchent pour le botaniste froid et incrédule.
Dieu ne se laisse pas juger par ses ennemis,
mais il se laisse voir face à face par ses enfants.
Prenons donc ces paroles de Saint Paul dans leur ensemble; croyons l’Apôtre quand il nous dit que NOUS SOMMES PARFAITEMENT SAUVÉS, et cependant, ou plutôt précisément à cause de cela, ne nous persuadons pas avoir atteint le dernier terme de la sainteté;
- laissons les choses qui sont derrière, vie pécheresse que Jésus a pardonné,
- et courons vers celles qui sont en avant, vie chrétienne que l’Esprit sanctifiera.
Ainsi, le regard toujours fixé vers le but, nous ne verrons ici-bas que des hommes à instruire, des frères à aimer, et là-haut qu’un Dieu à connaître et une éternité à vivre.
Lisez Épître aux Philippiens, chapitre IV
Paul accepte des Philippiens des secours qu’il refuse ailleurs
Nous avons vu ailleurs Paul, occupé le jour à prêcher l'Évangile, travailler la nuit de ses mains, plutôt que d’accepter de la part des églises l’eau et le pain, soutien de sa chétive existence.
lci nous le voyons, au contraire, rappeler qu’il a reçu et recevoit encore des secours des Philippiens, et même leur adresser peur cela des encouragements.
Comment expliquer une telle différence dans la conduite de l’Apôtre?
Par le même principe:
- Paul songe au bien de ses frères et s’oublie lui-même;
prenez cette clef et vous pénétrerez toujours facilement dans son cœur et dans sa vie.
En effet, pourquoi a-t-il refusé d’accepter aucun secours temporel des Corinthiens, bien que, d’après lui-même, tout ouvrier fût digne de son salaire?
Parce qu’il voulait leur prouver, par son désintéressement, la sincérité de sa foi, et les amener ainsi eux-mêmes au salut qui est en Jésus-Christ.
Et pourquoi le même Apôtre se réjouit-il d’être secouru par les Philippiens, lui qui sait, dit-il, vivre dans les privations, comme dans l’abondance?
Parce qu’il voit dans leur offrande non pas tant un adoucissement à ses propres souffrances, qu’une preuve de la foi de ses frères, et par conséquent de leur salut.
Il ne se réjouit pas parce qu’il a reçu, mais parce que les Philippiens ont donné.
II lui importe peu d’être secouru, mais beaucoup que les autres soient secourables; écoutez plutôt ses paroles:
«Ce n’est pas que je cherche les présents; mais je cherche à faire abonder les fruits qui vous en doivent revenir.»
Quelle charité ingénieuse! quel oubli de soi-même!
Aussi Paul peut-il écrire, sans étonner personne, ces paroles qui, dans la bouche du plus saint d’entre nous, étonneraient tout le monde: «SOYEZ MES IMITATEURS.»
Mais hélas! nous n’imitons guère mieux Paul, que nous ne suivons Jésus-Christ; et si l’on voulait chercher aussi la clef qui ouvre le plus facilement notre cœur, qui explique le plus grand nombre d’actions dans notre vie, ce n’est pas de l’intérêt des autres, mais de notre propre intérêt, qu’elle serait forgée.
- Que l’homme du monde n’agisse que par égoïsme, cela ce conçoit;
- que nous-mêmes, chrétiens, nous nous ressentions encore souvent de notre vieille nature, ce n’est pas non plus ce qui étonne;
- mais ce que nous voulons signaler, ce sont ces mobiles bâtards qui nous dirigent jusque dans nos bonnes actions.
Oui, nous faisons quelquefois le bien; oui, nous le faisons même par moment, dans un esprit de foi et de charité; mais je ne sais comment s’y prend Satan, à côté de nos motifs avouables, il jette presque toujours quelques motifs honteux.
C’est un mélange que nous-mêmes serions incapables d’analyser.
Dans une décision à prendre, le plateau de la conscience semble vouloir l’emporter; toutefois, le poids de la charité n’y suffit pas; nous découvrons alors dans un coin de notre cœur un motif intéressé, nous l’y joignons, la balance penche, et nous faisons le bien.
Non, nous ne savons pas nous dévouer sans faire un retour sur nous-mêmes; nous nous demandons encore ce que la charité nous rapportera; nous lui prêtons plutôt que de lui donner; heureux encore quand nous ne comptons pas sur de gros intérêts!
- Et que les plus aveugles d’entre nous n’aillent pas se dire qu’ils n’ont jamais fait le compte de ce que leur rapporterait leur vertu, en or et en argent; car ce n’est pas ce dont il s’agit.
Notre égoïsme est plus raffiné, plus subtil, plus adroit; si adroit que par moment il nous trompe nous-mêmes.
Ainsi, ce n’est pas un intérêt matériel que nous cherchons dans notre dévouement, c’est la gloire; peut-être pas la gloire qui vient du monde, mais celle que donne l’Église; ou bien encore, si ce n’est ni intérêt ni vanité, c’est dévouement dans le véritable sens de ce mot, mais un dévouement si bien calculé, que nous ne nous jetons dans le torrent qu’après en avoir mesuré la profondeur, et tenant d’une main prudente la corde qui, au besoin nous ramènera sur le rivage; encore, avançons-nous avec assez de calme, pour nous dire: «Nous irons jusque-là et pas plus loin.»
Je crains à cette heure qu’on ne me réponde qu’une charité plus pure, possible à Dieu, est impossible à l’homme.
Hélas! mes frères, c’est la charité de Saint Paul, homme comme nous.
Ne cherchons donc plus d’excuse; confessons plutôt le peu que nous sommes, ne mesurons pas sur nous-mêmes la stature à laquelle l’homme peut atteindre.
La vérité est que nous manquons de charité; si nous en avons aux yeux des hommes, c’est qu’ils nous jugent sur nos dehors menteurs; au fond nous sommes égoïstes; nous pérorons sur le dévouement, mais nous ne savons pas nous dévouer.
Mon Dieu, mon Dieu, toi qui es charité, oh! apprends-nous donc à aimer!
Qu’une fois nous fassions enfin l’expérience de la douceur qu’il y a à se donner TOUT ENTIER, SANS RÉSERVE; à vivre d’amour comme d’autres vivent de calcul; à être heureux dans nos frères, comme d’autres sont heureux en eux-mêmes.
SEIGNEUR, FAIS-NOUS COMPRENDRE ET PRATIQUER LA CHARITÉ.
Lisez Épître aux Colossiens, chapitre I
Toutes choses ont été créées par Lui et pour Lui
Si je posais cette question à un enfant: Par qui toutes choses ont-elles été faites?
Il me répondrait sans doute: Par Dieu.
Si j’ajoutais: Par qui sont-elles conservées?
Par Dieu, dirait-il encore.
Enfin si je demandais: Pour la gloire de qui?
De Dieu, dirait-il toujours.
En répondant ainsi, ce petit être aurait reconnu que Christ est Dieu, car il est dit ici de notre Sauveur:
Par lui toutes choses ont été créées;
par lui toutes choses sont conservées,
et c’est pour lui que toutes choses ont été faites.
Si Christ n’est pas Dieu, qu’on nous dise ce qui reste au véritable Dieu quand Christ a tout fait, tout conservé et tout en vue de lui; quand il a été le principe, le milieu et la fin, l’alpha et l’oméga?
Il faut que la démangeaison de dire des choses nouvelles et étranges soit bien forte chez l’homme, pour qu’après de telles paroles on ait encore pu mettre en question l’éternelle divinité du Sauveur!
Et remarquez que toutes ces choses créées par Jésus et conservées pour lui ne sont pas, comme quelques-uns l’ont supposé, seulement les choses qui concernent le salut; mais TOUTES CHOSES SANS EXCEPTION, car l’Apôtre dit:
- Toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles.
Encore une fois, si une créature a fait cela, qu’est-il donc resté à faire au Créateur?
C’est ici un triste exemple de ce que peut produire l’esprit de dispute; ou plutôt c’est ici une preuve de ce qu’affirme ailleurs le même Apôtre, que
CE N’EST QUE PAR LE SAINT-ESPRIT
QUE JÉSUS PEUT ÊTRE VÉRITABLEMENT RECONNU POUR LE SEIGNEUR.
Il y a dans l’homme naturel, qui cependant ne veut pas rejeter la Bible, un désir secret de rabaisser Christ; il semble qu’il ait peur de trop lui devoir ou qu’il ait honte de l’accepter pour son Dieu.
Oui, celui qui trace ces lignes en parle par expérience, et se rappelle le temps où c’était pour lui une joie que de découvrir dans sa Bible une parole qui déprimât Christ; il lui semblait grandir lui-même de tout ce qu’il enlevait à Jésus; et, il se le rappelle aussi, ce sentiment était partagé par plus d’un de ses compagnons d’études, comme lui, futurs serviteurs de Jésus-Christ!
Tel est l’homme naturel, il se trouve humilié de la grandeur de son Maître; il lutte avec son Créateur, et, comme le dit l’Apôtre dans ce même chapitre, cet homme est ennemi de Dieu, il n’est donc pas étonnant qu’il se plaise à le nier en Jésus-Christ.
Une inconséquence nous a toujours vivement frappé chez ceux qui repoussent la divinité de Christ, tout en conservant le nom de chrétien: c’est qu’ils consentent à donner le nom de frères à des hommes qu’ils devraient regarder comme des idolâtres.
En effet, quant à nous, nous adorons Christ; si Christ est une créature, nous sommes coupables d’idolâtrie.
Comment donc n’en êtes-vous pas épouvantés pour nous?
Comment consentez-vous à dire que nous sommes de la même religion?
Comment ne nous repoussez-vous pas avec horreur?
Ah! c’est que la vérité exerce son influence même sur ceux qui la nient; elle se défend elle-même, et si elle n’entre pas malgré l’homme dans son coeur, du moins reste-t-elle debout et altière devant lui; c’est que ceux qui disent ne pas la croire, ne sont pas même certains de leur incrédulité; ils n’oseraient jurer dans leur âme et devant Dieu ce qu’ils affirment des lèvres et devant les hommes.
Aussi la plupart de ceux qui repoussent l’éternelle divinité de Christ ont-ils peine à l’avouer. On ne sait pourquoi, mais ils ne parlent pas volontiers de ce sujet.
Ensuite ceux qui la nient, s’efforcent, comme pour apaiser ceux que leur doctrine révolte, de remplacer l’idée par des paroles. Ils prodigueront à Christ tous les titres que vous voudrez; il sera le fils de Dieu, l’être divin, le Seigneur même; mais ne les obligez pas à définir ces mots, car au fond il faudrait avouer qu’après tout, pour eux, Christ est une créature, créature divinisée, mais enfin une créature.
- Puisqu’il n’y a pas de terme moyen et que
- Christ doit être créature ou créateur,
- homme ou Dieu,
- puisqu’il doit fléchir le genou devant un autre ou le voir fléchir devant lui,
- comprenez donc que la distance est immense, que la doctrine est fondamentale, et que L’ADMETTRE OU LA REPOUSSER C’EST ÊTRE OU N’ÊTRE PAS CHRÉTIEN.
Ici une réflexion se présente, c’est que vous qui niez la divinité de Christ vous ne sauriez dire que votre opinion soit bien arrêtée.
Vous n’oseriez affirmer que vous n’en changerez jamais.
Eh bien! ceux pour qui Christ est Dieu peuvent au contraire vous dire qu’ils sont profondément convaincus; que leur croyance est inébranlable et qu’ils sont assurés d’y vivre et d’y mourir!
Cela ne vous prouve-t-il rien?
N’y a-t-il pas là du moins un motif pour vous défier de vous-mêmes, et pour accorder quelque confiance à vos frères?
Dieu bénisse cette pensée pour votre âme et qu’il en fasse la première lueur pour vous conduire à la grande doctrine de la divinité de Jésus-Christ!
Lisez Épître aux Colossiens, chapitre II
La dévotion volontaire et non requise
On rencontre çà et là dans la Bible une condamnation si claire des erreurs modernes d’une communion chrétienne, qu’on ne peut s’empêcher de croire que l’Esprit-Saint, dirigeant la plume de Paul, n’ait eu en vue l’époque où nous vivons aussi bien que celle où vivait l’Apôtre.
Par exemple, qui ne reconnaîtrait pas le romanisme dans ces doctrines ici censurées:
- Rendre un culte aux anges,
- observer des jours de fête,
- condamner quelqu’un pour le manger et pour le boire,
- enfin pratiquer toutes ces choses qui ont une apparence de sagesse en dévotion volontaire, en ce qu’elles n’épargnent pas le corps et n’ont pas d’égard au rassasiement de la chair?
En lisant ces mots ne vous vient-il pas à l’esprit:
- le culte des saints,
- l’observation des jours fériés,
- la distinction du gras et du maigre,
- les pénitences,
- les macérations, les cilices (Tunique, ceinture de crin ou d'étoffe rude, garnie éventuellement de clous ou de pointes de fer à l'intérieur et portée sur la chair par mortification - Lexilogos),
- toutes dévotions volontaires qui en effet n’épargnent pas le corps et n’ont pas d’égards au rassasiement de la chair?
Grâces à Dieu, nous n’avons pas à combattre chez les membres de nos églises de telles énormités; mais comme ces superstitions prennent leur racine dans le cœur naturel, examinons si, sous une forme différente, elles ne reparaissent pas en nous-mêmes.
Le principe de toutes les observances que Paul combat ici est dans LA PRÉTENTION DE L’HOMME DE FAIRE QUELQUE CHOSE DE MÉRITOIRE.
Ici ce ne sont plus les bonnes œuvres, mais les œuvres volontaires; offrandes que Dieu ne demande pas, et qu’on tient d’autant plus à lui présenter, car on se persuade qu’alors il en sera redevable envers celui qui les prend à sa charge.
Une fois sur ce terrain, on sort bien vite de l’esprit du christianisme: dans l’Évangile tout est privilège pour l’homme:
- le salut, la prière, la sainteté;
mais l’homme dénature tout cela et en fait autant de devoirs:
- il prie par obéissance; il se sanctifie par ordre, et il se laisse sauver!
Ainsi nous qui acceptons un salut gratuit n’avons plus la ressource de croire à la valeur des macérations et des pèlerinages; nous parvenons cependant à mettre nos mérites dans des prières récitées matin et soir, dans un culte domestique plus ou moins régulier, dans une fréquentation assidue de nos temples, dans un repos absolu du dimanche, dans notre soin à éviter ou à prendre telle ou telle formule de langage.
- Toutes ces choses sont bonnes sans doute, mais:
- C’EST L’ESPRIT DANS LEQUEL NOUS LES ACCOMPLISSONS QUI EST MAUVAIS.
Nous en sommes presque fiers; il semble qu’en les faisant nous rendions service à Dieu ou que du moins Dieu doive être content de notre obéissance.
Non, non; ce n’est pas là l’esprit du christianisme; c’est encore de la propre justice, c’est encore orgueil et vanité; et pour mesurer tout le danger de cette tendance, écoutons l’Apôtre.
En faisant cela, dit-il, «on ne retient pas le Chef,» c’est-à-dire on éloigne Christ, on l’oublie, on l’amoindrit.
Toute la place qu’on donne aux anges et aux saints est prise dans notre cœur sur celle qui appartient au Sauveur.
- Dès lors ce n’est plus la vie de Dieu qui se développe en nous, car ce n’est plus en lui que nous allons chercher nos forces, puiser notre sève.
Nous isolons nos pratiques du grand but, LA SANCTIFICATION; nous les accomplissons sur la terre sans élever notre pensée au ciel. Aussi nous laissent-elles comme elles nous ont pris; froids, indifférents et de plus fatigués pour les avoir accomplies; en les commençant nous nous sommes mis en rapport avec la lettre de la Bible, avec la personnalité du prédicateur, avec le bruit de nos lèvres; rien de tout cela ne nous a enlevés à ce monde, nous sommes restés plongés dans la matière, même en nous occupant de choses spirituelles.
Nous avons RETENU LA FORME ET OUBLIÉ LE FOND; ou, comme le dit Paul, gardé l’apparence de sagesse et négligé Jésus-Christ.
Ce n’est pas tout:
l’Apôtre ajoute que ces pratiques non seulement éloignent du Chef de l’Église, mais encore qu’elles n’ont qu’une apparente humilité; ce qui revient à dire une humilité fausse ou feinte, et finalement l’orgueil de l’humilité.
Oui, c'est le propre des pratiques volontaires, que de conduire à la satisfaction de soi-même.
- On retourne sur soi l’encensoir qu’on avait allumé en l’honneur de Dieu;
- on se sait gré des moindres œuvres;
- on compte, amoncelle et montre ses sacrifices, comme Ezéchias ses trésors;
- on se crée des mérites imaginaires,
- on finit par refuser gloire à Dieu comme Hérode applaudi par les hommes et frappé par le Seigneur!
Mais à la place de cette piété éparpillée sur les anges et les saints, à la place de ces observances méritoires et de ces dévotions volontaires, mettons cette adoration spirituelle, concentrant toutes les forces de notre âme sur un objet unique, Jésus-Christ.
Loin de voir dans la prière, la sanctification et l’amour chrétien, des devoirs à remplir, sachons y reconnaître autant de privilèges qui nous unissent au ciel et nous rendent semblables à Dieu; et alors, comme le dit encore l’Apôtre, tout le corps de nos pensées et de notre vie, étant fourni et ajusté ensemble par les jointures de l’esprit et les liaisons de l’amour, grandira d’un accroissement de Dieu.
Tout en nous élevant à Dieu et en traversant le milieu de la matière sans s’y arrêter, tout ira vivre en Dieu; ou plutôt ce ne sera plus nous qui vivrons, mais Dieu qui vivra en nous; et nous porterons alors dans notre propre cœur la source intarissable de toute sainteté comme de tout bonheur.
Lisez Épître aux Colossiens, chapitre III
Le christianisme laisse subsister les distinctions sociales
Il n’y a, dans la nouvelle créature que l’Évangile forme en nous, ni grec, ni juif, ni esclave, ni maître.
Mais remarquez bien que c’est dans la nouvelle créature, c’est-à-dire dans l’être spirituel que s'effacent ces distinctions, et que ce n’est pas dire qu’elles doivent pour cela disparaître de la société.
La fin du chapitre, au contraire, suppose que chacun reste à la place prise avant sa conversion, car l’Apôtre y prescrit des devoirs spéciaux à chaque classe; en particulier, aux serviteurs et aux maîtres.
Il s’agit donc bien de dispositions toutes morales qui fassent oublier aux chrétiens le lustre de leur patrie, la hauteur de leur rang, pour ne se rappeler qu’une chose, la fraternité établie par Jésus entre de pauvres pécheurs, rois ou sujets sur cette terre, mais appelés à vivre confondus les uns avec les autres dans le ciel, pendant une éternité.
Ce n’est pas toujours dans un sens aussi spirituel qu’on entend ces paroles; et pour preuve, remarquez que c’est presque toujours au bas de l’échelle sociale qu’on les adresse au sommet; comme sur tous les points intermédiaires on paraît croire que ceux qui sont au-dessus devraient oublier leur rang pour descendre dans ceux de leurs censeurs; qui sait? Et peut-être élever leurs censeurs à leur place!
D’un autre côté, quand ces mêmes hommes ne regardent plus au-dessus, mais au-dessous d’eux, et qu’ainsi, par comparaison, ils se trouvent être les supérieurs, ils veulent non seulement maintenir leur supériorité dans les rapports sociaux où elle est inévitable, mais encore la transporter dans les relations spirituelles où elle n’a plus de sens.
Le riche désire qu’on marque sa place dans l’église comme dans le monde; que son influence l’emporte parmi des frères comme au milieu des incrédules. Malheur à qui l’oublierait et aurait la bonhomie de prendre trop au sérieux la fraternité chrétienne!
On consentira bien à vous tendre la main dans une enceinte religieuse, mais on vous la retirera sur la place publique; on vous sourira devant des frères, mais on vous gardera un visage froid devant des étrangers.
Tel qui vous aborde en particulier vous tient à distance en public.
Qui sait encore?
Peut-être cet homme n’est-il venu chercher dans l’église qu’un piédestal, et si vous l’eussiez mis trop près de la porte, il eût mieux aimé sortir!
Pauvre créature, qui croit se grandir et ne réussit qu’à se faire mépriser!
Eh! ne comprenez-vous pas qu’en vous disant chrétien, vous avez fait profession de sentir votre misère, et que dès lors vous avez donné le droit de vous blâmer à ceux dont vous réclamez l’encens?
Il fallait rester ce que vous étiez, incrédule, et où vous étiez, dans le monde; alors vos anciens frères vous auraient accordé ce que les nouveaux doivent vous refuser. Là du moins vos ridicules fussent passés inaperçus, car il n’y aurait plus eu de contradiction entre votre profession de foi chrétienne et vos prétentions à la grandeur mondaine. Vous n’êtes venu chercher ici que des juges plus clairvoyants et plus impitoyables.
C’est vrai, pensez-vous sans doute, en reportant vos pensées sur tel de vos supérieurs qui vous a peut-être humilié. Mais c’est vrai, pense aussi votre voisin en songeant à vous-même qui avez voulu lui faire sentir votre prétendue supériorité.
Comme Saint Paul aux Corinthiens, nous pouvons dire: «Il n’y a parmi nous ni beaucoup de nobles ni beaucoup de puissants.»
- Cependant tous se croient quelque chose,
- et l’indigent sait encore en trouver un plus pauvre pour en exiger une certaine considération.
Combien de serviteurs qui voudraient rappeler à leur maître qu’en Christ il n’y a plus ni esclave ni libre, et qui l’oublient eux-mêmes devant d’autres serviteurs de plus bas étage!
Combien qui font racheter à de plus faibles les humiliations qu’ils reçoivent de plus forts!
Combien qui se créent une grandeur mesquine, se contentent d’en parler et se passeraient même de la réalité pourvu qu’on pût les voir entourés de son ombre!
Oh! vanité des vanités, absurdité de l’orgueil, deux fois folle et coupable chez des chrétiens!
- Eh! Jésus n’avait pas un lieu où reposer sa tête!
- Eh! Jésus dit: Je suis humble de cœur, je suis parmi vous comme celui qui sert!
- Eh! Jésus en un même jour lave les pieds à ses Apôtres, souffre les crachats jetés à sa figure et meurt sur la croix des esclaves!
- Eh! de ce Jésus humble de cœur, errant, méprisé, anéanti, nous, orgueilleux disciples, nous nous disons les imitateurs!
- Eh! nous ne rougissons pas de telles contradictions!
- Eh! nous prêchons aux autres!
Oh! mon Dieu, mon Dieu! ouvre nos yeux, humilie nos cœurs, et retourne contre nous-mêmes le fer de ces paroles que nous dirigeons sur nos frères.
Lisez Épître aux Colossiens, chapitre IV
Que votre parole soit assaisonnée de sel avec grâce
Quand Paul nous demande que notre parole soit toujours assaisonnée de sel avec grâce, il ne veut pas dire sans doute qu’elle doive être piquante et gracieuse, comme le goût de nos jours pourrait porter quelques-uns à le comprendre; mais que notre parole doit être accompagnée du sel de la SAGESSE et de la grâce de la CHARITÉ; sagesse et charité qui ne peuvent nous venir que de Dieu.
C’est nous dire indirectement qu’avant de parler nous devons prier, et qu’en parlant nous devons donner à ce que nous disons tous les soins dont nous sommes capables.
- Ainsi, pour parler avec sagesse, il nous faudra non seulement prier, mais encore réfléchir.
La première pensée n’est pas toujours la meilleure; du moins n’est-elle pas toujours claire et précise.
En la retournant dans notre esprit, nous la polirons en en émoussant les angles tranchants, et la présenterons sous sa face la plus saillante. Ainsi encore le premier mouvement est souvent inspiré par la passion; les paroles qu’il lance blessent au lieu de gagner les cœurs.
Il faudra donc les tempérer, les retenir, les changer peut-être, jusqu’à ce qu’un meilleur sentiment vienne leur donner un parfum chrétien de grâce et d’amour.
Mais s’il est difficile de parler, il faudra bien souvent se taire, diront peut-être quelques-uns.
C’est vrai, et ce sera le premier fruit du conseil de l’Apôtre. Se taire n’est ni le plus aisé ni le moins convenable.
Nous prononçons chaque jour tant de paroles inutiles, tant de vaines répétitions, qu’en les retranchant, du moins nous obtiendrons une oreille plus attentive peur ce qui nous restera d’important à dire.
Il est des personnes qui parlent tant, qu’on ne les écoute plus.
- Elles ne paraissent pas même s’en apercevoir, et il semble que leur voix soit une musique qu’elles se plaisent à écouter.
- D’autres répètent si volontiers ce qu’ils vous ont déjà dit cent fois, qu’on sait d’avance par cœur le récit qu’ils vont faire.
- D’autres laissent couler de leurs lèvres un flot intarissable qui ne leur accorde pas la moindre intermittence pour la réflexion.
Ceux-ci réfléchissent tout en parlant; ils avancent une idée et la retirent; énoncent un plan à haute voix, et à haute voix le modifient; si bien qu’ils se contredisent eux-mêmes et perdent toute confiance.
Ceux-là sont si impatients d’ouvrir la bouche, qu’ils vous coupent à chaque instant la parole; et, lorsqu’ils ont commencé, ils ne vous laissent plus la possibilité de répondre.
Tous ces parleurs sans sagesse et sans grâce croient persuader; ils ne font que fatiguer; ils pensent vous convaincre, et ils vous irritent; ils réussissent parfaitement à vous mettre dans l’esprit le contraire de ce qu’ils disent.
On le leur a peut-être déjà fait remarquer plus d’une fois, mais ils sont si peu faits à écouter, et ils éprouvent un si grand besoin de répondre, qu’ils préféreront se justifier en parlant encore, que d’avouer leur ridicule en gardant le silence.
À ces traits, qui voudra se reconnaître?
Personne, peut-être; mais tous y reconnaîtront leurs frères, premier indice que ce sont eux-mêmes que nous avons dépeints; car, comme nos parleurs, ils songent avant tout à se justifier.
Celui dont, au contraire, la parole est habituellement ornée de grâce et de sagesse, sent toujours mieux le prix du silence et de la réflexion.
- On regrette bien rarement de s’être tu, et bien souvent d’avoir parlé, car ce qu’on a dit de moins on peut encore l’ajouter; mais ce qu’on a dit de trop on ne peut plus le retirer.
Après avoir énoncé le précepte, Paul en donne le motif: «Il faut que votre parole soit assaisonnée de sel et de grâce, afin, dit-il, que vous sachiez comment répondre à chacun.»
Ainsi les mêmes choses doivent être dites à chacun d’une manière différente, selon son âge, son intelligence, son caractère; ou, pour résumer cette pensée,
- C’est en vue des autres et non de nous-mêmes que nous devons répondre;
- C’est pour les persuader, et non pour nous donner raison;
- Pour les éclairer, et non pour les éblouir;
- Pour leur faire du bien, et non pour satisfaire notre vanité.
Nous croyons qu’en effet, pour avoir oublié cette sage réflexion, on parle bien souvent en pure perte; on désire pérorer, et l’on n’est pas compris.
On s’exprime avec des gens simples dans des termes et avec des idées qui, sans être meilleurs, sont plus recherchés, et font briller le parleur sans éclairer ceux qui l'écoutent.
Un chrétien distingué par sa foi et par sa science se posait à cet égard une règle bien facile à suivre: c’était de parler toujours avec la plus grande simplicité, sachant bien que si LES PAROLES SIMPLES SONT COMPRISES PAR LES SAVANTS, les discours savants ne sont pas compris par les simples, et que le moyen d’être entendu de tous c’est de parier aux plus petits.
La simplicité dans le langage aura un autre avantage, ce sera de nous obliger à dire des choses qui en vaillent la peine, et d’avoir le bon sens pour nous.
Une niaiserie habillée de grands mots impose parfois à certaines personnes et au parleur lui-même. Mais dépouillez-la de ses ornements pour l’exprimer en mots vulgaires, et vous saurez au juste ce qu'elle vaut.
Enfin, en jetant les yeux sur les versets qui précèdent, nous verrons qu’il s’agit ici surtout de nos paroles religieuses, et plus particulièrement de ce que nous aurons à répondre à ceux qui s’enquièrent de notre foi.
Ici nos paroles ont une portée immense.
Bien choisies, elles peuvent ouvrir la porte du salut.
Réduites à un partage d’habitude, elles peuvent la fermer.
Pesons donc nos discours en face d’une telle responsabilité; puisons-les dans la Parole, seule infaillible; accompagnons-les de prières, et surtout prononçons-les avec une humilité telle, que nous nous fassions oublier nous-mêmes de ceux qui nous écoutent, pour fixer leur attention uniquement sur ce que nous avons à leur dire de leur salut, de leur Dieu, du ciel et de l’éternité.
Lisez 1ère Épître aux Thessaloniciens, chapitre I
L'extension du christianisme expliquée par l'intervention de Dieu
Un homme sans fortune, sans influence, traverse en artisan les villes d’Asie et de Grèce.
Tous les sept jours il se rend au milieu d’une nombreuse assemblée pour annoncer une doctrine nouvelle et prêcher une sévère morale; ici cet homme est repoussé, là frappé, ailleurs jeté dans un cachot; à Éphèse sa présence excite une émeute, à Philippes il est mis en prison; de Thessalonique il est obligé de fuir en secret; et cependant, dans cette course rapide, il sème dans toutes ces cités des églises qui embrassent sa doctrine et pratiquent sa morale!
Supposez qu’aujourd’hui un mahométan vienne parcourir nos villes de France en prêchant le Coran.
Supposez que nos populations le poursuivent de leurs moqueries, et nos magistrats de leurs condamnations, mais que ce prédicateur musulman échappe enfin à toutes ces poursuites.
Pensez-vous qu’en rentrant à Constantinople il ait à écrire à de nombreuses mosquées par lui fondées dans notre patrie?
Voilà cependant ce qu’a fait Saint Paul! Et qu’on ne dise pas que la comparaison n’est pas équitable; qu’autant l’état de l’Asie était favorable au christianisme, autant celui de la France le serait peu à l’adoption de la foi mahométane; car nous croyons précisément le contraire.
Non, avant de tenir compte des dispositions accidentelles des temps et des lieux, il faut tenir compte des dispositions fondamentales du cœur humain. Or, à cet égard la religion de Mahomet a bien plus de chance de nous plaire et de se faire accepter que celle de Jésus-Christ.
L’une flatte nos goûts, l’autre les combat; et si le succès de l’entreprise musulmane que nous avons supposée est peu probable, celui de l’œuvre chrétienne, soutenue par des forces humaines, était impossible.
À vrai dire, d’autres religions que la religion chrétienne se sont établies dans le monde; mais on n’a pas assez remarqué la différence immense qui sépare leurs établissements de celui du christianisme.
Une croyance quelconque tombe au milieu d’un peuple et y prend racine, je le conçois sans peine. Supposez même la plus absurde superstition, et je ne m’étonnerai pas encore de son succès, par la raison que cette foi nouvelle n’a pas de prétention exclusive: c’est un nouveau Dieu ajouté à tant d’autres, un culte et des autels de plus.
Croit qui veut, et même, en admettant la foi nouvelle, rien n’empêche de conserver l’ancienne dans le même cœur. Mais du christianisme, il en était tout autrement:
LE DIEU DE LA BIBLE EST UN DIEU JALOUX
QUI NE TOLÈRE POINT D’AUTRE DIEU.
Le Sauveur de Saint Paul était, selon lui, le seul qui sauvât; pour croire en Jéhova, il fallait détrôner Jupiter, Neptune, Cérès et toutes les divinités.
Ce n’est pas tout: dans cet Évangile, on ne choisit pas selon son caprice; il faut tout admettre. Devant cette morale, on ne reste pas ce qu’on était jadis; il faut renaître. En sorte que, pour édifier la foi chrétienne chez un homme, comme au milieu d'un peuple, il faut tout démolir à ses côtés.
Point de partage, point d’accommodement: l’exclusivisme le plus absolu. Aussi, partout où il se présente, le vrai christianisme effraie toutes les erreurs, toutes les superstitions, toutes les impostures qui reconnaissent que si leur antagoniste prend racine, elles seront elles-mêmes extirpées.
Dès lors, quelles tempêtes de passions ne devait pas soulever la doctrine qu’apportait Paul au milieu de mille autres croyances se supportant toutes mutuellement comme bonnes et vraies!
Que d’intérêts elles froissaient!
- Prêtres qui vivaient de l’autel,
- scribes qui vendaient leur science religieuse,
- Démétrius qui reproduisait les idoles,
- princes et magistrats qui étayaient leur puissance des superstitions reçues!
Tout était obstacle à la parole de l’Apôtre, et cependant l’Apôtre a vaincu! ou plutôt Dieu a vaincu pour lui; et nous pouvons le croire quand il rappelle ici aux Thessaloniciens que sa prédication au milieu d’eux n’a pas été seulement en paroles, mais aussi en Vertu, en Saint-Esprit, en preuves convaincantes, et, comme il le dit ailleurs, en prodiges et en miracles.
Telle est la seule explication possible à l’établissement de tant d‘églises au milieu d’un tel peuple, en si peu d’années et par de si faibles instruments.
Toutefois, nous le sentons, ces preuves elles-mêmes ne peuvent être rendues efficaces QUE par le Saint-Esprit; comprises par toutes les intelligences, elles ne descendent pas dans tous les cœurs, et, après les avoir indiquées, nous éprouvons le besoin de prier le Seigneur d’en bénir l’exposition pour ceux qui les ont entendues.
C’est toujours la prédication de Saint Paul: elle ne peut être crue sur la parole de l’homme; il lui faut L’ACTION DE L’ESPRIT-SAINT.
Si elle ne vous a pas encore convaincus, n’en soyez donc pas surpris; mais demandez à Dieu ce que l’homme ne saurait vous donner.
Lisez 1ère Épître aux Thessaloniciens, chapitre II
Pourquoi les Juifs ne voulaient-ils pas qu'on évangélisât les Gentils?
«Les Juifs nous empêchent de parler aux Gentils,» dit Saint Paul.
Ce n’est pas ici un accident de la prédication de l’Apôtre qui n’ait eu lieu qu’à Thessalonique; ce fait caractéristique se reproduisait au contraire dans toutes les villes païennes où les Juifs avaient une synagogue, et où, par conséquent, en descendant de la chaire de Moïse, Paul pouvait encore parler dans la rue aux Gentils du Messie promis et venu.
Ce fait si général mérite donc d’être étudié.
Pourquoi les Juifs pouvaient-ils être irrités d’entendre leur foi prêchée aux païens?
Nous n’en concevons que deux causes possibles: la jalousie ou l’incrédulité.
- Les uns étaient jaloux de leur privilège de nation choisie de Dieu, et s’irritaient à la pensée d’un Messie qui mettait sur la même ligne le peuple élu et la tourbe des peuples. Tels, les Juifs d’Antioche, qui, voyant la foule des Gentils attentive à la parole de l’Apôtre, blasphèment, dit Saint Luc, et sont remplis d’envie.
- Les autres, sans croire à Moïse, s’irritaient qu’on ne le leur prêchât pas à eux exclusivement, parce qu’ils craignaient d’attirer sur leur peuple les persécutions des princes et des prêtres païens intéressés à défendre les croyances, bases de l’autel et du trône.
C’est dans ce sens que les principaux sacrificateurs, en parlant de Jésus-Christ, disent: ««Si nous le laissons faire, chacun croira en lui, et les Romains viendront, qui extermineront nous, le lieu et la nation.» Ainsi les enfants d’Abraham s’opposaient à la prédication de Saint Paul annonçant leur Messie aux nations, les uns par jalousie, les autres par incrédulité.
Que devons-nous donc penser de ceux qui, de nos jours, voient avec peine les doctrines de leur église annoncées aux étrangers?
Exactement ce que la Bible vient de nous apprendre à penser des hommes qui les ont précédés dans cette voie: c’est qu’eux aussi sont jaloux ou incrédules; eux aussi voudraient garder une supériorité sur leurs alentours; ou bien (et c’est le plus grand nombre) eux aussi, niant dans leur cœur le Christ qu’ils confessent des lèvres, s’irritent à la pensée que, pour faire changer quelques hommes de superstitions, on les expose, eux, à la réprobation des prêtres et des princes de nos jours intéressés au maintien de toute foi établie.
Ce n’est pas nous, c’est la Parole de Dieu qui les juge ainsi.
- Nouveaux Pharisiens de Jérusalem, ils ont peur des Romains par incrédulité;
- nouveaux Juifs d’Antioche, ils blasphèment et sont remplis d’envie.
Jaloux, jaloux d’être seuls dans la vérité! Jaloux d’être seuls sauvés!
Mais l’énoncé seul de cette jalousie en montre l’absurdité.
Nous comprendrions, sans l’approuver, un motif de jalousie qui en élevant les uns abaisserait les autres, qui en enrichissant ceux-ci ruinerait ceux-là; mais avez-vous donc peur que la place vous manque dans le ciel?
Craignez-vous que Dieu épuise son trésor de grâces sur tant de têtes, et qu’il n’en reste pas pour vous?
Ne croyez-vous donc le bonheur possible que réservé à un petit nombre?
Ah! vos sentiments même prouvent que vous méconnaissez complètement la nature de la religion.
En vous sauvant, Dieu n’a prétendu vous élever au-dessus de personne; d’ailleurs ses grâces sont INÉPUISABLES; son ciel est SANS LIMITES, comme les richesses de sa puissance et de son amour.
Mais non; la manière dont vous comprenez le salut prouve que vous en êtes exclus.
Tous appartenez bien à l’Église qui prêche la vérité, mais vous n’avez pas compris cette vérité, et en prétendant en fermer la porte à ceux du dehors, vous prouvez que vous-mêmes n’y êtes pas entrés.
Il est vrai que parmi ceux qui condamnent les efforts faits pour annoncer l’Évangile en dehors de notre Église, se trouvent bien moins d'envieux que d’incrédules; mais la conduite de ceux-ci n’est ni moins inconséquente ni moins coupable.
Eh quoi! vous ne croyez pas à la divinité de notre foi, et vous en supposez les succès possibles!
Vous ne voyez là que superstitions, et vous pensez que ces superstitions auront la force d’en détrôner d’autres enracinées dans un sol de longues habitudes et de puissants intérêts?
Mais c’est vous contredire; laissez donc abandonné à soi-même ce que vous appelez une erreur. Si cette œuvre vient des hommes, vous savez bien par l’expérience qu’elle ne peut subsister; mais, si malgré vos efforts elle doit réussir, prenez garde qu’il ne se trouve que vous ayez fait la guerre à Dieu.
Comment, au nom de la tolérance, nous exhortez-vous avec tant d’aigreur à garder notre foi, au lieu de la porter aux autres?
Votre devoir d’hommes tolérants ne serait-il pas de nous tolérer les premiers, nous, vos frères, et de laisser sans blâme et sans entraves nos efforts s’accomplir?
Puisque, selon vous, toutes les croyances sont bonnes, ce qui veut dire que toutes sont fausses et mauvaises, supportez donc aussi la nôtre qui nous fait un devoir de travailler à la répandre.
Tolérants pour tous, soyez-le aussi pour nous; tolérants pour des étrangers, soyez-le aussi pour votre famille....
Mais non, vous ne le serez pas malgré toutes ces observations qui sont sans portée pour vous, et qu’à la vérité nous faisons ici pour d’autres; non, vous ne tolérerez jamais une foi qui veut se communiquer, parce que sa vie condamne votre mort spirituelle, parce que sa diffusion par votre église risque de faire croire au monde que vous y contribuez, et ainsi de soulever ce monde contre vos mesquins intérêts.
À la bonne heure! avouez vos motifs; nous apprendrons à les mépriser et à ne tenir aucun compte de vos exhortations à la lâcheté par vous appelée tolérance.
Courage donc, vous chrétiens, qu’on veut entraver dans votre saint prosélytisme à la vérité.
Dieu est pour vous; que pouvez-vous craindre du monde entier coalisé contre vous?
Jésus n’a pas craint d’annoncer l’Évangile que lui seul connaissait, ni les Apôtres hésité à prêcher un Christ qu’eux seuls, douze dans un milliard d’hommes (prêché en 1848), croyaient.
Et Jésus a vaincu! et les Apôtres ont vaincu!
Vous vaincrez donc aussi, car leur cause est la vôtre; c’est la cause de Dieu.
Vous serez bien heureux quand on vous aura injuriés et persécutés à cause de votre Maître.
Réjouissez-vous alors d’avoir été dignes de souffrir pour lui, et sachez que votre récompense est grande dans le ciel où vous serez bientôt, et où vous serez délivrés de tout persécuteur.
Lisez 1ère Épître aux Thessaloniciens, chapitre III
Affection mutuelle des chrétiens
Comment se fait-il que pour des hommes qu’il connaît depuis si peu de temps, Paul ait une affection si vive que, malgré les persécutions qui l’attendent à Thessalonique, il puisse former plusieurs fois le projet d’aller voir ces nouveaux frères, prier Dieu jour et nuit de lui en fournir l’occasion, et se priver enfin du précieux concours de Timothée en l’envoyant prendre des nouvelles de ces êtres bien-aimés?
Dans notre état de société, pour se faire un ami il faut des années, et encore si des circonstances imprévues séparent les personnes: bien souvent avec les rapports cessent les amitiés.
Je le répète: comment donc Paul a-t-il pour des connaissances de si fraîche date une si vive affection?
C’est ce que des chrétiens seuls comprendront.
Lorsque deux disciples de Christ se rencontrent, quelques instants leur suffisent pour se reconnaître. Ils ne choisissent pas leur sujet de conversation, et cependant, dans tous les sujets qu’ils traitent, le premier mot les manifeste l’un à l’autre, et dès qu’ils ont reconnu qu’ils possèdent la même foi, le rapprochement est subit et complet; leurs cœurs s’ouvrent, leurs bouches sourient; déjà ils s’aiment.
- Ils parleront de tout et s’entendront sur tout.
- Ils auront en même temps la même pensée;
- ils accepteront ou repousseront ensemble l’idée émise par un tiers.
- Passant du discours à l’action, ils chercheront une œuvre commune, et comme il s’agit de servir un maître commun, ils s’entendront bientôt; comme ils marchent dans le même sens, ils ne se heurtent pas; c’est la main de l’un dans la main de l’autre qu’ils avancent et qu’ils atteignent le but.
Cette communauté de pensée et d’action; cette unité de vues, d’avenir et d’espérance; ce Maître unique, cette patrie céleste dont on est concitoyen, ce père dont on se sait tous les deux enfants, ce Sauveur dont tous deux on est frère; cette vie, ce bonheur qu’on goûtera ensemble:
- tout cet avenir d’union et d’amour développe chez ceux qui savent devoir y entrer une affection sans analogue parmi celles de cette terre, sans égale dans celles qu’un même sang fait naître.
Deux chrétiens sentent qu’ils sont amis pour l’éternité, qu’ils sont parents en Dieu et qu’ils s’aiment, comme Christ les a aimés, d’une affection vraiment désintéressée.
Cette affection entre chrétiens étonne, disons plus, scandalise ceux du dehors.
Ne la comprenant pas, ils la nomment esprit de parti; ils nous reprochent presque de nous aimer, et se plaignent que nous ne les portions pas eux-mêmes aussi haut dans notre cœur, sans songer que ces sentiments n’ont été rendus possibles que par une foi commune, et qu’il ne saurait y avoir un amour bien vif sans une réciprocité que l’incrédule ne peut nous donner.
Cet amour si vrai irrite même d’anciens amis, qui se croient délaissés parce qu’ils voient se développer en vous un attachement nouveau plus fort que celui que le temps a cimenté avec eux, bien qu’eux-mêmes ne voulussent pas être aimés du même amour et entretenus des mêmes sujets.
Oui, cet amour est doux, pur, profond...
Comment donc se fait-il que nous en recherchions si peu les jouissances?
Les chrétiens sont parfaitement assurés de sa réalité; car tous nous l’avons plus ou moins vivement ressenti, nous sommes donc d’autant plus coupables de ne pas en avoir plus souvent nourri notre cœur.
Nous, pourrions être à la fois saints et heureux; nous pourrions jouir ici-bas d’une société innombrable d’amis; nous pourrions former une grande famille dont les membres, répandus partout, se retrouveraient partout pour s’aider, s’édifier et jouir ensemble.
Mais hélas! tout en connaissant cet amour chrétien par expérience, tout en sachant quelle douceur il y a dans la communion des saints, NOUS NOUS LAISSONS ENTRAÎNER, ABSORBER PAR LE MONDE, et nous vivons comme lui, altérés de bonheur à côté d’une source jaillissante; avec cette différence que le monde ignore cette onde pure et que nous la connaissons.
Oh! chers frères, que ne secouons-nous la boue de cette terre attachée à nos pieds! et que ne vivons-nous plus complètement dans cette intimité de la foi et de l’amour!
Rompons les glaces qui nous environnent; que les cœurs s’ouvrent, qu’on se tende la main et qu’on vide son âme dans une autre âme. Il y a presque toujours plus de chaleur en nous que hors de nous.
Mais une fausse pudeur nous empêche de l’avouer; tout en nous aimant peut-être, nous n’osons pas nous le dire et nous restons à nous regarder. Faisons donc le premier pas; nos frères feront le second; ce que nous attendons d’eux, ils l’attendent de nous; déjà leur main tressaille; allons la saisir.
Étrange retenue que je ne puis définir:
- Je me sens heureux à côté d’un frère; je voudrais le lui dire et je ne l’ose pas!
- Je voudrais saisir sa main et je ne l’ose pas!
- Je voudrais le presser sur mon cœur et une fausse honte me retient!
Ah! combien d’amitiés chrétiennes nous avons peut-être perdues de la sorte; et combien nous serions coupables d’en laisser échapper d’autres désormais!
Puisque nous savons à cette heure que des frères sentent ce que nous sentons et nous attendent comme nous les attendons, allons donc à leur rencontre; commençons dès ce monde une vie d’amour que la mort du tombeau ne saurait rompre et qui dans le ciel doit durer d’éternité en éternité!
Lisez 1ère Épître aux Thessaloniciens, chapitre IV
Le travail
C’est dans la sentence portée contre la première faute de nos premiers parents que se trouvent ces paroles: «Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage.»
On peut donc regarder le travail imposé à l’homme comme une punition. Et cependant dans cette punition même Dieu a placé de véritables jouissances.
C’est toujours le même Dieu qui tire le bien du mal, et qui du crime d’Adam fait sortir pour lui et pour sa race un salut plus magnifique que le bonheur perdu.
Étudions ce trait admirable de sagesse dans la pénible condition du travail qui nous est imposé.
- Le travail est une véritable bénédiction sur cette terre et pour des êtres tels que nous.
- Il y a longtemps qu’on a dit que l’oisiveté est la mère de tous les vices.
- Tout le monde sait que l’ennui suit le désœuvrement, et l’on pourrait dire que rien n’est plus fatiguant que de ne rien faire.
Mais étudiez directement les effets du travail sur notre nature, vous serez frappés de ses nombreux et heureux résultats.
Le travail développe une de nos plus précieuses facultés, l’intelligence.
Si nous n’avions aucun besoin physique pour féconder en nous le génie inventif, notre esprit tomberait bientôt dans une assoupissante langueur qui finalement tuerait notre être moral. Aussi les peuples les plus favorisés pour le climat, ceux que la terre nourrit presque sans travail, sont-ils les moins industrieux et les moins intelligents.
Heureux de respirer un air suave, satisfaits des fruits qui pendent sous leurs mains, toujours assez abrités sous un ciel serein, ils dorment, languissent et meurent sans avoir vécu par la pensée, sans avoir même soupçonné le germe de science que recèle leur âme.
Cherchez au contraire les lieux où la nature plus avare n’accorde ses fruits qu’à des travaux pénibles et prolongés, et vous verrez que les efforts mêmes nécessités par le froid et la faim tournent finalement au développement des arts et des sciences, comme les arts et les sciences contribuent à étendre le cercle de nos jouissances intellectuelles.
Le travail, bien que notre affirmation puisse paraître d’abord étrange, le travail est lié à la conscience.
Sans qu’il puisse se rendre compte du pourquoi, le travailleur se trouve heureux d’avoir bien rempli sa journée, tandis qu’il se sent rongé de regret pour l’avoir perdue; ce n’est qu’en se promettant de mieux employer le lendemain qu’il apaise ses remords.
Le travail actif et mesuré réjouit le cœur; il y a de la satisfaction à user de ses forces, à voir naître sous sa main une œuvre, et à la contempler achevée.
Si tant d’hommes souffrent de leurs travaux, c’est à eux-mêmes ou à l’organisation de notre société, mais non au travail tel que Dieu le leur a préparé, qu’ils doivent s’en prendre.
La nourriture la plus saine, prise en trop grande abondance, ruine la santé; il en est de même de notre activité:
- N’AJOUTEZ PAS UN JOUR DE FATIGUE AUX SIX DE TRAVAIL QUE DIEU VOUS DEMANDE,
- N’allongez pas la journée que le soleil vous mesure;
- Ne la déplacez pas en passant les premières heures du jour dans le sommeil et les premières heures de la nuit dans le travail;
- Suivez à cet égard les indications de la nature et les règles de la loi révélée;
alors ce travail modéré et suffisant réjouira votre esprit sans briser votre corps.
Enfin le travail est un habile instituteur qui se fait comprendre des plus ignorants; il leur persuade l’économie, l’ordre, la prévoyance.
On ne gaspille guère le bien qu’on a soi-même amassé; on s’attache et souvent beaucoup trop au produit de ses mains; et bien que cet excès soit blâmable, Dieu en tire encore un heureux résultat, en contraignant l’avare à laisser à d’autres ce qu’il a si péniblement recueilli.
Une œuvre perdue pour son artisan ne l’est pas pour tout le monde; les fruits nourrissent encore, quand l’arbre est déjà tombé.
Il est digne de remarque que ce soit parmi les hommes les plus péniblement occupés, et occupés des travaux qui se rapprochent le plus de la nature, que Dieu a pris son peuple, et dans ce peuple, ses envoyés; les rois mêmes qu’il a créés avaient cultivé la terre, comme les Apôtres de Jésus avaient jeté le filet du pêcheur ou gardé les portes d’une ville.
Mais l’exemple qui mérite le plus d’être signalé, c’est peut-être celui que nous fournit lui-même Saint Paul dont nous parcourons les nombreuses et longues lettres.
Nous ne voulons pas parler de ses travaux apostoliques, mais de ses occupations manuelles dont lui-même était fier.
Quand je vois le plus grand des Apôtres travailler la nuit afin de prêcher le jour, et Dieu le laisser faire lorsqu’il aurait si facilement pu dispenser son serviteur de tant de fatigues, je ne puis m’empêcher de croire le travail honorable et le repos honteux.
Oui, honteux, car en fin de compte, celui qui ne fait rien dérobe à la société son contingent de peine, et bien que sa fortune le puisse soustraire à l’obligation générale, ce n’est certes pas pour cela que Dieu la lui avait confiée; les hommes le laissent libre, mais Dieu lui demandera compte de ce qu’il a dévoré, comme de ce qu’il n’a pas produit.
Il ne nous est pas dit que Jésus ait jamais travaillé; toutefois nous savons qu’il a voulu être élevé dans la boutique d’un charpentier, lui qui aurait pu choisir le trône d’un monarque glorieusement désoccupé.
Qu’on vienne maintenant nous dire qu’il est honorable de vivre de ses revenus, et glorieux de n’avoir rien à faire; qu’on nous montre comme titres de noblesse des mains inactives, et qu’on essaie de nous faire rougir des nôtres devenues calleuses à la peine; nous saurons que penser d’une grandeur que Dieu flétrit de ses censures; d’une honte qu’il honore de ses éloges, et répondre que:
MIEUX VAUT LA GLOIRE D’UN ARTISAN APÔTRE QUE CELLE D’UN ROI FAINÉANT.
Lisez 1ère Épître aux Thessaloniciens, chapitre V
Exhortez-vous l'un l'autre
«Exhortez-vous l’un l’autre,» nous dit l’Apôtre.
Cette exhortation mutuelle est bien peu connue parmi nous, si peu que le mot en paraîtra peut-être étrange.
En effet, une exhortation mutuelle nous semble un contre-sens.
L’exhortation descend ordinairement du pasteur au fidèle, du père à l’enfant, du maître au serviteur; c’est en quelque sorte la réprimande d’un supérieur à un inférieur qui n’oserait la rendre; si bien que l’exhortation comme nous l’entendons est presque toujours ennuyeuse, tandis que, telle que la recommande l’Apôtre, elle serait un plaisir pour celui qui l’adresse et un soulagement pour celui qui la reçoit.
Tâchons de la comprendre ainsi.
Nous avons tous des moments de relâchement, où l’Esprit-Saint semble nous avoir abandonnés.
Ces heures de sécheresse qui ont traversé ma journée d’hier, traverseront votre journée de demain; en sorte que les mêmes exhortations que vous m'avez adressées, je puis vous les faire entendre.
Le bien qu’elles m’ont fait, vous pouvez à votre tour l’éprouver; ce sera toujours l’Esprit de Dieu veillant chez l’un, ranimant le même Esprit assoupi chez l’autre, et cet Esprit s’entretenant avec lui-même pour notre commune édification.
Après votre exhortation, un nouveau feu m’a pénétré, et j’ai partagé vos sentiments; après les miennes, la force vous reviendra et vous vous sentirez renaître. La même pensée peut venir aujourd’hui à moi le premier, demain à vous, et nous pouvons être tour à tour incapables de la donner et très bien disposés à la recevoir.
Mais, hélas! quand un chrétien parmi nous tombe dans la langueur, les autres contristés s’éloignent comme pour respecter sa liberté, ou peut-être parce qu’ils n’osent pas l’aborder.
- On devient froid, réservé l’un vis-à-vis de l’autre;
- On renvoie à un jour plus favorable, et ce jour ne vient pas.
- En l’attendant, la foi faiblit, la charité s’en va, le zèle se perd, et l’on s’étonne ensuite de n’avoir plus une pensée commune!
Ah! pourquoi cette pusillanime retenue envers un frère que nous savons capable de nous comprendre, lui qui jadis a sympathisé avec nous?
Pourquoi ne pas lui ouvrir notre cœur, lui faire part de nos appréhensions sur son compte, sonder doucement ses plaies et y verser un baume consolateur?
Il souffre, vous serez donc le bienvenu; il déchargera ses peines dans votre sein, et il se sentira déjà soulagé; votre démarche même vous gagnera son affection.
- Il est si rare de trouver des êtres qui viennent à la rencontre de nos peines que votre parole la plus simple lui fera du bien; et quand vous aurez sa confiance, peut-être trouverez-vous des exhortations appropriées à ses besoins.
Mais on a peur l’un de l’autre; plus l’un est triste, plus l’autre est réservé, c’est-à-dire que plus le malade souffre, plus les visites du médecin sont rares, jusqu’à ce qu’enfin le malade meurt et laisse au survivant des larmes et des remords.
Oui, il faut le dire, nous avons pour les malades spirituels la répugnance que nous avons pour les malades ordinaires:
- nous refusons de les approcher; sous prétexte de les laisser tranquilles,
- nous les fuyons, sans songer qu’un impotent ne peut pas se servir lui-même et que, le pût-il, moins que tout autre il connaîtrait ce qu’il lui faut.
Cet échange d’exhortations fraternelles rappelle cette autre parole: «Confessez-vous les uns les autres;» c’est-à-dire épanchez le récit de vos faiblesses dans le cœur d’un frère qui à son tour vous retracera ses propres misères, afin que vous puissiez ensuite prier l’un pour l’autre.
- Ici ce n’est plus le fort qui vient soutenir le faible: c’est le faible cherchant l’appui du fort;
- ce n’est plus l’exhortation offerte: c’est l’exhortation demandée.
Ces deux devoirs vont au même but: le relèvement du pécheur, et Dieu veut que, lorsque nos frères ne viennent pas d'eux-mêmes nous apporter leurs secours, nous allions, nous, les provoquer en leur ouvrant notre cœur et nos plaies.
Oui, lorsque nous nous sentons misérables, allons auprès d’un ami chrétien, exposons-lui nos souffrances, et nous lui faciliterons ainsi la tâche de l’exhortation à notre égard.
Ne craignons pas d’avouer nos faiblesses; nos frères ne savent-ils pas que nous, comme eux, sommes de pauvres pécheurs?
Leur profession de foi et leur propre expérience ne les ont-elles pas disposés à l’indulgence?
Disons-leur donc ce que du reste ils savent déjà, et ils nous rendront en conseils, en prières ce que nous leur aurons donné un témoignage de confiance. Peut-être provoquerons-nous aussi des aveux de leur part qui nous consoleront en nous apprenant que notre infirmité a été aussi la leur, et comment ils en ont été guéris.
En tous cas, nous prierons ensemble, et certainement nous ne prierons pas Dieu en vain.
Voilà ce qui manque surtout à notre vie chrétienne, c’est cet échange de services spirituels qui ne peut prendre sa source que dans ce qui n’est pas moins rare parmi nous: l’ouverture de cœur, l’épanchement naïf des pensées douces ou pénibles dans le sein de nos frères.
Ici, comme pour l’expression de l’amour dont nous parlions hier, il ne faut qu’une voix qui appelle; l’écho d’une autre voix est prêt à répondre.
Soyez-en sûrs, d’autres pensent comme vous et vous écoutent; parlez, et vous serez entendus, puisque je suis votre frère et animé du même Esprit.
Croyez-moi, nous laissons ainsi se perdre des trésors de consolations, de joies, de bonheur; nous laissons se dessécher une vie que nous pourrions rendre onctueuse et douce.
Encore une fois, parlez, donnez-moi vos pensées, recevez les miennes, et que cet échange devienne lui-même sans apprêt, sans efforts, la plus efficace des exhortations.
Lisez 2 ème Épître aux Thessaloniciens, chapitre I
L'église est dans les hommes et non dans les choses
Paul adresse son épître à l’église des Thessaloniciens, et non pas de Thessalonique.
La différence est grande, car elle indique que l’Église est un ensemble d’individus, et non une propriété des lieux.
Ainsi une église quelconque, excepté l’Église spirituelle composée de toutes les générations chrétiennes passées, présentes et futures, une église spéciale quelconque naît et meurt avec les chrétiens qui la composent, et non avec les édifices, les livres, les symboles où se prêchent ses doctrines.
Il est vrai qu’ailleurs il est parlé de l’église d’Éphèse et non des Éphésiens; mais le sens de cette expression est fixé par ce troisième passage où il est dit: «l’Église qui est à Corinthe.» Ainsi les expressions s’éclairent l’une l’autre, et nous montrent toujours l’Église dans les hommes et non dans les choses.
De cette distinction bien simple découle une conséquence très importante:
- C’est que les bénédictions de Dieu reposent sur les hommes et non sur les institutions,
- sur les individus et non sur les corps.
Ses doctrines fussent-elles pures, cela ne préjuge rien pour le salut de celui qui naît au milieu d’elles; un million de membres d’une association fussent-ils sauvés, il n’en faudrait rien conclure pour le salut du seul qui resterait.
Cette réflexion montre aussi ce qu’il faut penser d’une église qui attache la durée de son existence à la durée d’une ville!
Il se peut qu’il existât jadis une église des Romains; mais en tout cas il ne peut exister aujourd’hui une église de Rome. Quand il y aura des chrétiens à Rome, il y aura là une église chrétienne; quand ils sortiront de cette ville, il n’y aura plus d’église;
L’ÉGLISE CHRÉTIENNE Y ENTRERA ET EN SORTIRA AVEC LES CHRÉTIENS.
Les édifices, le culte, les livres, les doctrines elles-mêmes sont des corps sans âme aussi longtemps que la foi des êtres vivants ne vient pas les animer.
Que cette réflexion nous serve aussi d’avertissement à nous-mêmes; car la vérité, reçue comme base de notre église, ne nous sauve pas plus que l’erreur ne sauve dans l’église d’un autre, aussi longtemps que cette vérité n’est pas appliquée à notre propre cœur.
Et cependant nous tombons souvent dans cette illusion; nous sommes fiers des avantages de la communion dans laquelle nous sommes nés; nous prenons en pitié les doctrines erronées de telle autre; et au milieu de cet orgueil et de cette pitié, nous oublions d’examiner ce qui se passe en nous, rassurés que nous sommes par la pensée que nous appartenons à la famille d’Abraham selon la chair!
Nous ne disons pas comme d’autres: «Je suis membre de l’église la plus nombreuse et la plus ancienne;», mais peut-être disons-nous: «J’appartiens à l’Église des martyrs, à l’Église qui a gardé les sacrements, à l’Église qui a conservé la succession apostolique;» sans remarquer que pour tout cela nous n’en sommes pas plus martyrs, pas plus dignes des sacrements, pas plus apostoliques; ce sont là des titres de noblesse valables aux yeux des hommes, mais nuls devant le Seigneur, qui ne tient aucun compte des aïeux,
- et qui punit chacun pour ses péchés,
- comme il ne sauve personne par la foi d’un autre.
Nous ne voulons pas méconnaître les avantages qu’il y a à naître dans cette église plutôt que dans telle autre; mais nous voudrions qu’on se rappelât mieux que ces avantages ne sont rien pour l’ensemble; qu’ils n’acquièrent de valeur pour les individus qu’au fur et à mesure que ceux-ci en font usage pour arriver à la foi.
Cette réserve faite, nous ferons encore remarquer que nous pouvons nous attacher à une église sans y rien gagner, comme aussi l’abandonner sans y rien perdre.
Ne nous éprenons donc pas trop vivement de l’institution qui a nos sympathies, et ne condamnons pas avec trop d’ardeur celle que nous ne goûtons pas.
Les forces que nous dépenserions sur ces questions d’Église seraient puisées dans une énergie que nous ferons mieux de mettre tout entière au service des grandes vérités de la foi.
Nous sommes déjà si bornés dans le temps et dans l’espace, si étroits dans nos affections et dans notre intelligence, que ce n’est pas trop de tout donner à la chose essentielle.
Soyons plus humbles, et laissons à de plus forts que nous le double fardeau de débattre en même temps les questions d’Église et de salut.
Tirons le meilleur parti de la place où nous sommes, au lieu de nous laisser séduire par cette pensée que nous ferions mieux quelque autre parti comme aussi ne nous effrayons pas trop des changements de forme qui surviennent autour de nous; car après tout DIEU RÈGNE, et nous y pouvons peu de chose; tandis qu’à nous en trop préoccuper nous risquons beaucoup.
Si l’on avait mieux suivi cette lignée de conduite, nous ne verrions pas aujourd’hui les chrétiens divisés en deux camps comme s’ils étaient las de vaincre les incrédules, et trouvaient plus de saveur dans des victoires remportées sur leurs frères.
Fixons donc nos regards:
- sur notre cœur pour l'étudier,
- sur Dieu pour le prier,
- sur le Sauveur pour lui rendre grâce,
- sur nos frères pour les aimer,
- sur le monde pour lui annoncer l’Évangile,
comme si nous étions seuls dans l’Église, seuls devant Dieu; car le Seigneur nous jugera sur NOTRE foi et sur NOTRE vie, et non sur les doctrines et l’histoire de l’Église où nous sommes nés.
Lisez 2 ème Épître aux Thessaloniciens, chapitre II
La grande apostasie
Ce chapitre contient une prophétie remarquable qui, pour être comprise, n’a besoin que d’être précisée.
D’abord remarquez que le grand événement prédit par Saint Paul est une révolte, ou, pour me servir du terme même du texte, une apostasie;
C’EST DONC DANS LE SEIN DE LA CHRÉTIENTÉ
QUE CET ÉVÉNEMENT DOIT S’ACCOMPLIR.
En second lieu, observez que cette apostasie commençait, et commençait en secret, du temps de Saint Paul, puisqu’il est dit: «Le mystère d’iniquité se forme déjà.»
Notez ensuite que ce mystère d’iniquité, commençant du temps de Paul, devait se développer durant des siècles; car il ne prendra fin, dit l’Apôtre, qu’à l’avènement du Seigneur.
Or il s’agit bien ici de l’avènement de Christ à la fin du monde, car le verset premier le désigné ainsi: «L’avènement de notre Seigneur et notre réunion avec lui.»
C’est donc depuis les jours de la primitive Église jusqu’aux derniers temps que doit durer ce mystère d’iniquité.
Ce mystère d’iniquité nous est présenté comme ourdi par l’homme de péché, le Fils de perdition.
Or, un homme vivant déjà du temps de Paul, vivant encore à la fin du monde, ne peut être qu’une série d’hommes continuant la même œuvre.
Quand Jésus dit à ses disciples qu’il est avec eux jusqu’à la fin du monde, il veut évidemment dire avec eux ou avec les disciples qui leur succéderont sur la terre.
De même, quand Paul parle d’un homme de péché qui doit accomplir un mystère d’iniquité pendant plusieurs siècles, il parle forcément d’un homme en particulier, mais aussi de ceux qui continueront son œuvre.
Qui retenait encore pour un temps ce fils de perdition au temps où parlait Saint Paul? ou, si vous voulez, qui comprimait encore l’explosion de ce mystère d’iniquité?
L’Apôtre ne le dit pas.
Toutefois on peut déjà conclure que cette opposition ne vient ni de Dieu ni des chrétiens; car celui qui l’exerce doit être détruit, et rien ne saurait détruire ni Dieu ni son Église.
C’était donc une puissance profane qui devait entraver les projets ambitieux de l’homme de péché; par exemple, la puissance des prêtres païens ou des empereurs romains.
Maintenant, à quel signe pourra-t-on reconnaître ce mystère d’iniquité?
Extrayons notre réponse textuellement de la Bible. Dieu leur enverra (à ceux qui pratiqueront ce mystère) un esprit qui donnera efficace à l’erreur; — ils croiront au mensonge; ils ne croient pas la vérité; — et ils se plaisent à l’injustice.
À quels traits reconnaîtra-t-on l’auteur de cette œuvre, homme de péché et fils de perdition?
Que Saint-Paul réponde encore lui-même: il s’assied comme un Dieu dans le temple de Dieu, voulant passer pour Dieu; — il vient avec toute sorte de puissance, des signes, de faux miracles, et avec toutes les séductions; — il sera d’abord détruit par ce qui sort de la bouche de Dieu, son souffle, ou, si vous voulez, sa Parole, et enfin il sera aboli par l’avènement du Seigneur.
Voilà textuellement ce que dit la Bible, et si pour vous la Bible est la parole de Dieu, il ne vous reste plus qu’à voir qui, depuis dix-huit siècles, a déjà commencé l’accomplissement de cette prophétie.
- Qui s’est assis comme un Dieu dans le temple de Dieu?
- Qui a déployé tant de puissance?
- Qui a prétendu montrer dans l’Église des signes et faire des miracles?
- Qui se sent fléchir sous le souffle de la Parole divine, et, comme par instinct, cherche à étouffer ce souffle, à comprimer cette Parole?
Ce mystère d’iniquité existe, puisqu’il a commencé du temps de Paul et ne doit finir qu’avec le monde.
Quel est-il donc?
Où donc est son siège?
En tout cas, remarquez que, dès que c’est une apostasie, il est ou du moins se prétend dans l’Église. Son auteur, être individuel ou collectif, existe, puisqu’il agissait déjà sous Saint Paul et ne doit expirer qu’à l’avènement du Seigneur.
Qui donc est-il cet homme qui se pose comme Dieu? et où s’assied-il dans le temple de Dieu?
Que ceux qui ont des yeux pour voir et des oreilles pour entendre voient et entendent, et bénissons le Seigneur d’avoir mis dans sa Parole des prophéties assez claires pour, à la fois, servir de sceau à sa divinité et nous prémunir contre les pièges de l’erreur.
Lisez 2 ème Épître aux Thessaloniciens, chapitre III
Le bonheur dans la paix
En commençant comme en terminant ses épîtres, Paul souhaite toujours à ses frères LA PAIX DE DIEU, et en cela ne fait que suivre l’exemple du Sauveur qui, en abordant ses disciples comme en les quittant, leur disait: «Je vous donne ma paix; que la paix soit avec vous.»
Voilà l’état normal du chrétien; un état de paix au dehors et au dedans, avec les hommes et avec lui-même.
S’il en sort, c’est toujours par la lutte que le péché soulève dans son cœur, et c’est précisément à faire cesser cette lutte qu’il doit incessamment travailler.
Ailleurs Paul dit: «Soyez toujours joyeux.»
Il semble qu’il y ait dans la joie une excitation incompatible avec la paix. Cela se peut quand il s’agit de la joie du monde; mais:
- la joie chrétienne est paisible, douce, calme; elle coule comme un fleuve large et profond, toujours abondant, jamais impétueux.
Les flots semblent avoir le temps et l’espace pour couler à leur aise; ils montent sur les rives, élargissent le courant et avancent toujours sans tumulte.
De même la joie chrétienne s’étend autour d’elle et au loin sans être pressée, sans faire bruit de son bonheur, sans éclat de rire; elle coule paisible parce qu’elle ne rencontre aucun obstacle et plonge dans l’éternité.
Toutes les dispositions de l’âme que l’Évangile nous demande tendent à cette paix.
La foi en Jésus n’a pas d’autre but ici-bas; elle calme la conscience en nous assurant le pardon des péchés.
Aussi le Sauveur est-il nommé le PRINCE DE LA PAIX.
La confiance en Dieu dans nos nécessités terrestres tend au même résultat; en nous débarrassant de ces inquiétudes du lendemain, elle contribue à nous donner la paix de l’âme. L’assurance du salut, puisée dans sa complète gratuité, enlève nos dernières appréhensions, dissipe les terreurs de la mort, et, comme le dit le même Apôtre, nous procure la paix avec Dieu.
- Aussi, plus on avance dans la voie chrétienne, mieux l’on se convainc qu’il n’y a de joie vraie et durable que dans la douce paix, fruit de l’assurance du salut.
L’homme du monde ne saurait comprendre un tel bonheur.
Pour être heureux, il lui faut sortir de lui-même, parler, chanter, crier, se jeter dans le tourbillon de la foule; le mouvement et le bruit sont les éléments de son bonheur. Aussi ses joies sont-elles fatigantes et de courte durée; il faut qu’il se reprenne pour jouir; il faut que le désir lui revienne par la privation, et encore ces joies savourées ne lui laissent-elles que la satiété et le dégoût. Aussi, quand vous lui parlez de bonheur dans la paix, il ne vous comprend pas; la paix pour lui est l’interruption des plaisirs bruyants. Il n'en veut pas; c’est à ses yeux cesser de vivre.
Pauvre aveugle qui n’a des yeux que pour la matière! d’oreilles que pour le bruit, et qui ne sait écouter ni voir ce qui se passe dans son âme!
Sans doute, en plaçant le bonheur chrétien dans la paix, nous ne prétendons pas condamner ni exclure de notre vie l’activité, même une incessante activité; mais nous pensons que cette activité peut et doit être calme, et que c’est même de son calme qu’elle tirera sa force et son prix.
Le chrétien est calme parce qu’il compte sur Dieu, et c’est précisément parce qu’il sait Dieu avec lui qu’il agit avec confiance.
Le succès lui est assuré; comment donc resterait-il dans l’inaction?
Non, la source de sa paix est aussi pour lui la source de sa vie; la paix et le travail ne s’excluent pas; ils se complètent.
Si la paix du chrétien est un fleuve, son activité est un navire qui vogue d’autant plus rapide que les eaux qui le portent sont plus profondes.
Mais hélas! nous avons beau décrire cette paix, nous sentons que nous ne pouvons la donner; nous ne saurions même faire comprendre un sentiment qui, dit Saint Paul, surpasse tout entendement.
Si du moins ces quelques mots pouvaient conduire à la mieux apprécier ceux qui l’ont déjà sentie, s’ils pouvaient amener à la désirer ceux qui ne l’ont jamais goûtée!
Mon Dieu, c’est à toi qu’il faut la demander; et, comme ton Fils et ton Apôtre, nous terminons en souhaitant ta paix à celui qui parle et à ceux qui écoutent.
Oui, Seigneur, donne-nous ta paix; ta paix, et c’est assez!
Lisez 1 ère Épître à Timothée, chapitre I
La loi donnée pour ceux qui ne peuvent se soumettre
Ce n’est pas pour les justes, mais pour les injustes, dit Paul, que la loi a été donnée.
On pourrait naturellement penser que c’est afin de les engager à la suivre; mais non, car l’Apôtre désigne ces injustes en ces termes: «Ceux qui ne peuvent se soumettre.»
Si donc Dieu a donné la loi à des hommes qui ne peuvent s’y soumettre, certes ce ne peut être dans l’espoir qu’ils feront l'impossible.
Dans quel but Dieu a-t-il donc voulu que la loi fût donnée aux méchants?
C’est afin de leur rendre plus sensible leur méchanceté, mise ainsi en présence de commandements si purs et si saints.
– La loi détermine le point culminant de la stature parfaite que l’homme devrait atteindre, et Dieu l’a envoyée à la terre pour que le méchant, passant sous son niveau, reconnût qu’il n’y atteignait pas.
– La loi, dit ailleurs le même Apôtre, présentant la même idée sous une image différente, la loi est un pédagogue qui nous conduit à Christ; c’est-à-dire un Maître si exigeant qu’il nous effraie et nous oblige à RECOURIR À LA GRÂCE un nous faisant sentir que nous manquons de justice.
– La loi, dit encore Saint Paul, a été donnée «pour faire abonder le péché;» en d’autres termes, pour rendre par sa sévérité plus manifeste que le péché abonde dans notre vie.
– La loi, pourrait-on dire enfin, est un miroir pur et fidèle devant lequel nous présentons l’image de notre vie, et où nous la voyons si souillée qu’un sentiment de honte nous saisit et nous pousse à aller laver nos taches morales dans le sang de Jésus-Christ.
Ces idées sont simples, chacun de nous les connaît.
- Comment se fait-il donc que dans la pratique nous chrétiens en tenions si peu de compte, et que nous agissions toujours d’après nos anciens principes?
- Comment chaque jour, par exemple, exhortons-nous à suivre la loi des hommes que nous savons impuissants pour s’y soumettre, n’étant pas convertis?
- Comment nous irritons-nous contre le monde quand il ne fait que des œuvres selon sa nature mauvaise?
- Comment chaque jour à nos enfants, à nos élèves, à nos serviteurs, enfin à ceux mêmes qui dépendent passagèrement de nous, offrons-nous la récompense comme un stimulant au devoir?
- Comment se fait-il même que nous les encouragions quelquefois par des motifs de vanité?
Ne savons-nous pas, par la Parole de Dieu et l’expérience de notre vie, que le bien leur est impossible, et que ce bien accompli dans des vues mondaines n’est plus le bien?
Ah! si nous y prenions garde, nous reconnaîtrions que c’est là la plus criante inconséquence; et en étudiant notre conduite de plus près, peut-être découvririons-nous que le bien, que dans ces cas nous cherchons à produire, ne nous est précieux que par le côté où il touche à nos propres intérêts.
- Nous désirons que les autres soient obéissants, probes, serviables, parce que c’est à notre profit que s’exerceront leur obéissance, leur probité et leurs bons services.
- Nous aussi chrétiens, quand cela nous convient, nous savons être utilitaires.
Soyons donc conséquents avec nous-mêmes; ne proposons pas à d’autres des motifs que nous déclarons indignes d’agir sur nous-mêmes.
Bien que nous n’offrions ces mobiles à nos frères que lorsqu’il s’agit des affaires de ce monde, c’est cependant les éloigner de la voie du salut, puisque ainsi nous leur donnons en eux-mêmes une fausse confiance.
Toutes les idées se tiennent; l’une soulève l’autre, et l’enfant que vous excitez à s’instruire dans les sciences humaines, par l’attrait de la gloire, sera par cela même plus tard éloigné de l’Évangile par la présomption que vous aurez développée en lui.
Le serviteur, l’artisan que vous aurez excités à mieux remplir leurs devoirs envers vous, par l’appât du salaire, n’en auront que plus de peine à comprendre quand on leur présentera le salut qui s’obtient par grâce; et (réflexion sérieuse) ce sera vous, chrétien, qui aurez rendu son intelligence plus obtuse.
Votre faute est d’autant plus grave que peut-être vous jouissez auprès de tous ces inconvertis d’une réputation d’homme religieux, et qu’à ce titre vos exhortations ont plus de poids sur leur esprit.
Encore une fois, soyons conséquents jusqu’au bout: appliquons nos principes religieux jusque dans les plus petits détails de la vie.
- Il n’y a pas pour le chrétien une vie matérielle et une vie spirituelle;
- des rapports d’une nature avec le monde, et des rapports d’une nature différente avec ses frères;
mais l’atmosphère évangélique doit TOUT pénétrer: l’Église, la maison, la rue, nos frères et le monde; et l’on doit nous retrouver les mêmes, que nous soyons en communication avec Dieu par la prière, ou en rapport avec un enfant dans ses jeux.
Lisez 1 ère Épître à Timothée, chapitre II
La femme sauvée en mettant des enfants au monde
Ce chapitre contient deux passages difficiles qui probablement ont plus d’une fois fixé l’attention de nos lecteurs.
Voici le premier: Dieu veut que tous les hommes soient sauvés.»
Si Dieu veut le salut de tous les hommes, a-t-on dit, et que ce Dieu soit tout-puissant, tous les hommes seront donc sauvés; mais alors que deviennent tant de déclarations sur la perte éternelle des impénitents?
Nous répondrons par cette parole d’un prophète, que Dieu ne veut pas la mort du méchant, mais sa conversion et sa vie.
Ici personne ne peut plus se méprendre; la volonté de Dieu dont il s’agit est évidemment UN DÉSIR QUI NE VA PAS JUSQU’À CONTRAINDRE L’HOMME.
Il doit donc en être de même dans le passage que nous examinons; et Saint Paul entend sans doute que Dieu désire, souhaite le salut pour tous les hommes, sans que cela signifie qu’il contraigne à le recevoir les incrédules qui le repoussent.
Le second passage difficile est à la fin du chapitre; il y est dit que la femme qui reste dans la foi et la charité sera sauvée en mettant au monde des enfants.
Évidemment l’analogie de la foi ne permet pas de voir ici une condition; le mariage ne facilite point à la femme son entrée dans le royaume de Dieu; le même Paul, dans l’épître aux Corinthiens, engage les jeunes filles qui vivaient dans ces temps difficiles, à ne pas se marier.
Qu’a donc voulu dire l’Apôtre par ces paroles, que la femme chrétienne sera sauvée en mettant des enfants au monde?
Pour le comprendre, remontons de quelques lignes.
Et d’abord ce que Paul nous dit d’Adam et d'Ève est une parenthèse qui peut être supprimée.
Le verset précédent, ainsi rapproché de celui que nous étudions, jette alors plus de lumière sur cette difficulté. En effet, Paul y dit que la femme ne doit pas se mêler d’enseigner dans l’église, ni de commander à son mari; et continuant à développer sa pensée,
- Il ajoute que la femme sera sauvée en s’occupant, non de l’église, mais de son intérieur; en remplissant ses devoirs d’épouse et de mère; et pour désigner cette vie active par un seul mot, il choisit le fait qui en est la source.
C’est donc comme s’il renvoyait chacun à sa tâche spéciale:
- Le mari à l’enseignement dans l’église,
- la femme aux soins de la maison,
- le tout en faisant remarquer que CES DEUX FONCTIONS SONT ÉGALEMENT PROPRES À CONDUIRE AU SALUT.
Une femme peut être sauvée en donnant le jour à des enfants et les élevant dans l’humilité, tout aussi bien que Paul en discourant en face des philosophes athéniens ou des seigneurs de la maison de César.
Or cette pensée est en parfaite harmonie avec tous les enseignements de l’Évangile, et cette interprétation se lie non seulement à ce qui précède, mais encore à ce qui suit.
En effet, le troisième chapitre commence par ces mots: «Il est certain que celui qui désire être évêque, désire une œuvre excellente.»
On voit que Paul est toujours dans le même sujet, le saint ministère, l’enseignement dans l’église dont il vient d’exclure la femme, et qu’il continue en disant ce que doit être le ministre de l’Évangile. Il semble que dans l’église d’Éphèse, où se trouvait Timothée lorsqu’il reçut cette lettre, il se soit trouvé des femmes qui, frappées de l'excellence du ministère évangélique, aient voulu l’exercer; et qu’en conséquence Saint Paul, tout en reconnaissant que c’était une œuvre excellente, ait voulu leur faire comprendre toutefois que ce n’était pas celle de la femme retenue dans sa maison par le soin de son mari et l’éducation de ses enfants.
Quoi qu'il en soit, le reste du chapitre est parfaitement clair sur le même sujet;
- la modestie, la pudeur, la simplicité dans les vêtements, sont désignées comme la plus belle parure de la femme.
Et ce ne sont pas là des ornements aux yeux de Dieu seul, mais encore aux yeux des hommes.
Une femme qui les rejette et les remplace par le luxe, la hardiesse et les prétentions à la science, ne sait pas qu’elle s'attire, même dans le monde, plus de blâmes que d’éloges, plus de ridicule que d’admiration; celle qui ne voudrait pas céder à des motifs chrétiens devrait encore se laisser convaincre par la sagesse humaine.
Chez la femme, rien ne choque, même ceux qui par moment les goûtent, comme l’immodestie ou la simple imitation d’un sexe qui n’est pas le sien; une parole hardie, un geste déplacé, une démarche libre font tache sur sa vie.
Malheureusement on manque de franchise pour le lui dire ailleurs; c’est pourquoi, à l’exemple de Paul, nous le lui disons ici, et nous demandons à Dieu de ne l’avoir pas fait en vain.
Lisez 1 ère Épître à Timothée, chapitre III
Le Christianisme seul moralise
Le génie de l’homme s’est appliqué avec succès à développer toutes les sciences et tous les arts, un seul excepté, la pratique de la morale.
Astronomie, médecine, physique, ont fait des pas immenses depuis six mille ans.
Mais l’art de moraliser n’est pas mieux connu de nos jours qu’au temps de nos premiers pères;
- chaque conquête dans les sciences sert de base à de nouveaux progrès;
- mais en morale, à chaque génération tout est à recommencer.
L’homme n’a encore découvert aucune méthode pour transmettre les vertus des pères aux enfants, pas plus que pour développer une seule vertu ni chez les enfants, ni chez les pères.
Ce qu’on appelle éducation en dehors du christianisme n’est que l’art de déplacer le siège du mal;
- on engage l’enfant à obéir aujourd’hui par la perspective d’être lui-même obéi plus tard;
- on lui conseille d’être pur, pour ne pas ruiner sa santé;
- de respecter la propriété d’autrui pour éviter le châtiment;
c’est-à-dire qu’on refoule sa passion sur un point apparent pour lui donner passage par une issue secrète.
L’homme ainsi moralisé fera tel acte, évitera tel autre; mais ce sera toujours poussé par le même mobile, SON PROPRE INTÉRÊT.
Le mal a été placé dans sa vie, il s’accomplit sous une forme différente, à d’autres heures, dans d’autres lieux; mais c’est toujours le mal, et son auteur n’en vaut pas mieux après une telle moralisation.
Les religions humaines ont entrepris ce que l’éducation ne pouvait faire, elles ont placé la récompense un peu plus haut pour la faire mieux briller, et le châtiment un peu plus loin pour le rendre plus terrible; mais, en ayant toujours recours à l’attrait de la récompense et à la crainte de la punition, ces religions n’ont encore rien changé dans le cœur de l’homme; elles y ont développé son vice radical, L’ÉGOÏSME.
Aussi, regardez autour de vous comme au loin (toujours en dehors de la foi chrétienne), vous trouverez peut-être des macérations, des sacrifices, même des œuvres utiles par leurs résultats; mais nulle part vous ne découvrirez une intention pure, un cœur aimant, un sentiment désintéressé.
Je n’estime guère plus
- le brahmine qui se transperce les chairs pour plaire à son idole,
- le mahométan qui va en pèlerinage à la Mecque pour mériter le ciel,
- le romain qui mortifie son corps pour effacer ses péchés,
que l’incrédule franchement égoïste qui amasse de l’or dans sa jeunesse pour en jouir dans ses vieux jours:
C’EST TOUJOURS DU CALCUL, CE N’EST PAS DE LA MORALITÉ.
Eh bien! ce qu’aucun homme n’a pu faire, le christianisme l’a fait; il a changé des cœurs et déraciné l’égoïsme, il y a substitué le dévouement et créé des vertus d’autant plus belles qu’elles sont plus obscures: telles que la patience, la douceur, l’humilité; il a purifié l’homme dans le secret de sa vie: en un mot, seule la foi chrétienne a produit la piété.
Mais lequel de ces deux progrès est le plus précieux: celui des sciences ou celui de la moralité? Ou plutôt, qui voudrait comparer une seule vertu avec tout le savoir, le dévouement avec l’astronomie, la moralité avec la peinture?
La conscience répond trop haut pour que nous ayons besoin d’insister.
Mais si le christianisme a fait seul ce que soixante générations n’ont pu produire, si son œuvre, la moralisation, est tellement supérieure à toutes les œuvres humaines, n’en faudrait-il pas conclure que l’auteur d’une œuvre surhumaine est divin? Oui.
Le christianisme est de Dieu, et, pour m’en convaincre, il me suffit de voir que ce mystère produit et produit seul la véritable piété.
La piété, voilà le fruit par excellence que doit porter le mystère chrétien. Tout mystère qui ne tend pas à ce résultat est un abîme sans fond où je crains de descendre; l’homme peut prendre quelque plaisir à y plonger son intelligence; mais c’est presque toujours au risque d’y dessécher son cœur.
S’enfoncer dans ces spéculations purement curieuses et vides de sentiment, c’est transformer une œuvre divine en une œuvre humaine, échanger de l’or contre de la paille, et, finalement, anéantir le grand mystère de piété.
Étudions donc ce mystère sous ce point de vue:
Dieu a été manifesté en chair afin de mieux nous manifester son amour;
– il a été justifié par l’Esprit qui, habitant en lui, l’a rendu capable d’accomplir tous les miracles et de revêtir toutes les vertus, et qui, descendant ensuite en nous, nous a fait croire à ces miracles et pratiquer ces vertus;
– il a été vu des anges; le grand spectacle d’un Dieu mourant pour nous, pauvres créatures, a frappé ces êtres célestes d’admiration; comment ne nous émouvrait-il pas de reconnaissance!
– Il a été prêché aux Gentils, cru dans le monde, et cette prédication si pleine de succès au milieu de tant d’obstacles, cette créance accordée par ces peuples «qui n’avaient pas vu,», mais qu’éclairait le Saint-Esprit, cette foi si promptement répandue, doit fortifier la nôtre et nous pousser à bénir Dieu pour nous y avoir appelés.
– Enfin ce Jésus, ce Fils de Dieu, a été élevé dans la gloire, mais il ne nous a laissés ici-bas que pour nous attirer après lui; en nous attendant, il intercède pour nous auprès du Père, et son œuvre d’amour continue.
Aimons donc, aimons donc celui qui nous a tant aimés, obéissons à celui qui n’est rien moins que notre Dieu; contemplons, comme les anges, son saint office, et, en attendant le ciel où nous régnerons avec lui, comme lui d’abord vivons sur la terre dans une douce et sincère piété.
Lisez 1 ère Épître à Timothée, chapitre IV
La piété a les promesses de la vie présente
Quelles sont ces promesses de la vie présente faites à la piété et dont nous parle Saint Paul?
Elles ne sauraient être relatives à des biens matériels, car rien dans le Nouveau-Testament ne justifierait cette interprétation; nous pourrions ajouter: rien non plus dans l’expérience, car nous ne voyons pas que dans le monde les hommes pieux soient mieux partagés du côté de la fortune ou de la santé que les méchants; et si parfois la piété préserve des maladies ou de la ruine qu’une vie désordonnée amène à sa suite, il n’est pas moins vrai que l’injustice enrichit, et la richesse procure de véritables jouissances, quelquefois même la santé.
Nous ne connaissons qu’un seul passage de l’Évangile qui promette quelque chose dans ce monde à la foi, et ce qu’il promet:
- c’est la simple nourriture, comme à l’oiseau des airs;
- le simple vêtement, comme au lys des champs; c’est-à-dire le strict nécessaire;
et ce qui confirme notre interprétation, c’est la prière que Jésus lui-même enseigne à ses Apôtres:
«Donne-nous notre pain quotidien.»
Si ce n’est pas la prospérité matérielle que Dieu promet sur cette terre à la piété chrétienne, qu’est-ce donc?
Une parole de Jésus peut servir de réponse: «Quiconque aura abandonné pour moi son père ou sa mère, en recevra dans cette vie cent fois autant avec des persécutions.»
Ici Jésus non seulement nous montre que LES BIENS PROMIS DANS CE MONDE À SES DISCIPLES NE SONT PAS MATÉRIELS, puisqu’il les mêle à des persécutions; mais encore il nous en indique positivement la nature:
- Ce sont des frères et des sœurs, des mères et des enfants, c’est-à-dire des affections.
Les promesses faites à la piété pour cette terre sont donc encore spirituelles; on devait s’y attendre, car dans la religion de Christ tout est amour et esprit; et si vous y faites attention pour ce siècle comme pour le siècle à venir, ces biens spirituels sont les plus précieux.
Quelles richesses comparerez-vous aux frères nombreux que la foi donne à l’homme entrant dans la grande famille chrétienne et qui lui ouvre un cœur partout où se trouve un croyant?
Quelles espérances terrestres valent les espérances d’une vie dans les cieux?
Quel festin vaut la paix de l’âme?
Quelle fête mondaine vaut la joie chrétienne qui découle de l’assurance du salut?
Quelle approbation des hommes satisfera le cœur comme l’approbation de Dieu?
Et où trouverez-vous une force humaine qui, comme la foi chrétienne, puisse braver la mort, traverser la tombe et survivre à des séparations qui plongent l’incrédulité dans le désespoir?
- Non, un peu de foi et de piété fera plus pour le bonheur de l’homme, même dans ce monde, que tous les trésors au milieu de la plus florissante santé.
L’homme réfléchi, fût-il incrédule, serait encore obligé de reconnaître la vérité de ce qui précède; mais qu’il y a loin de son simple acquiescement à l’expérience du chrétien! Aussi celui qui a goûté les biens présents de la piété voudrait-il, pour les faire apprécier à ceux qui en ignorent, non pas leur en parler, mais verser dans leur âme ces influences du Saint-Esprit, qui remplissent le cœur sans pouvoir en sortir en paroles.
- Ce regard pénétrant de la foi, qui démêle jusque dans les revers la providence de Dieu travaillant à notre bien;
- ce calme inaltérable dans la tourmente, qui se puise dans la pensée que la main de Dieu tient le gouvernail du monde;
- cette joie intarissable qui se répand sur toute la vie et dore de son soleil les plus petits brins d’herbe de notre existence;
- cette noble satisfaction à la vue du règne de Dieu progressant dans le monde, même sous l’impulsion aveugle de Satan, dont les triomphes passagers ne font qu’accomplir les prophéties et donner ainsi une preuve de plus de la divinité de notre foi;
- cette paix profonde dans les contrariétés journalières, au milieu des injustices du monde, en face de ses mépris et de sa haine;
- cette contemplation intérieure des biens à venir, de cette famille céleste, de ces amis divins, de cette vie sans vieillesse et sans mort;
Tous ces bonheurs n’accomplissent-ils pas largement les promesses faites à la piété dans ce monde?
Ah! sans doute, notre foi est bien faible, notre piété bien languissante; mais telles qu’elles sont encore nous ne voudrions pas les échanger, Dieu nous en est témoin, contre mille ans d’existence passés sur le trône de l’univers!
Que serait-ce donc si notre foi était plus vive, notre piété plus grande?
Ainsi ne formerons-nous pas de vœu plus ardent que de voir croître en nous cette foi et cette piété.
O Seigneur! c’est de TOI que tout procède, et c’est à TOI que tout nous ramène.
Nous revenons donc te demander encore en plus grande abondance ce que tu nous as déjà donné;
- augmente notre foi,
- fortifie notre piété
- et fais abonder en nous tes promesses pour la vie présente, qui seront pour nous les gages de celles de la vie à venir!
Lisez 1 ère Épître à Timothée, chapitre V.
S'occuper surtout de ses proches
Dans le courant de ce chapitre, Paul revient plusieurs fois sur l’obligation du chrétien de s’occuper surtout de sa famille; et ce qu’il dit ici des soins à donner à leurs corps, il l’avait dit dans on précédent chapitre de sa sollicitude à veiller sur le salut de leurs âmes.
Cette recommandation est en si parfait accord avec ce que nous indique la nature, qu’il est inutile d’y insister ici.
Qui secourra un parent, si ce n’est un parent?
Comment un homme gouvernera-t-il l’Église, s’il néglige ses enfants?
Et cependant, ces préceptes si simples sont tous les jours violés au milieu de nous; et, qu’on me comprenne bien, je dis NOUS, CHRÉTIENS.
C’est une chose tout ordinaire que de voir un homme, obligeant pour des étrangers, manquer d’obligeance pour sa famille; généreux dans le monde, injuste dans sa maison.
Tantôt par faiblesse, tantôt par vanité, il accorde au dehors précisément ce que son caractère, bien connu au dedans, lui permet d’y refuser. C’est probablement de tels hommes qui, pour se justifier, ont inventé le proverbe: qu’il ne faut jamais prêter à un ami ou obliger un parent, si l’on ne veut pas faire des ingrats.
Ne serait-ce pas plutôt parce que vous ne trouvez pas la même saveur, la même gloire à faire du bien aux vôtres qui le recevraient comme leur étant dû, qu’à des étrangers obligés de vous en rendre grâce?
Sondez votre coeur, et répondez!
Si tout cela ne doit guère surprendre de la part des gens du monde, du moins a-t-on le droit de s’en étonner en le rencontrant chez des chrétiens.
Mais peut-être ces accusations portent-elles ici à faux?
Écoutez:
- Vous êtes dans la foi, j’en conviens;
- vous vous êtes souvent occupés de répandre l’Évangile autour de vous, je le crois;
- vous avez même accordé vos dons à des sociétés chrétiennes, peut-être avez-vous joint vos travaux aux leurs, je le reconnais encore.
Mais dites-nous, cet Évangile, que peut-être vous avez annoncé vous-mêmes dans votre ville et fait prêcher à l’étranger par vos missionnaires, l’avez-vous annoncé dans votre intérieur?
En avez-vous entretenu vos enfants, votre épouse, vos serviteurs, vos voisins, ceux enfin que vous heurtiez chaque jour, à chaque pas, et qui vous barraient en quelque sorte le passage quand vous alliez évangéliser plus loin?
Précisons encore plus nos questions:
Avez-vous un culte domestique?
Priez-vous avec vos enfants?
Donnez-vous des conseils chrétiens à vos serviteurs?
Lisez-vous la Bible à votre voisin ignorant?
Étrange conduite!
Nous évangélisons le monde, et nous oublions notre famille! nos regards portent si haut, que nous ne voyons plus à nos pieds; l’âme d’un sauvage nous est plus précieuse que celle de nos enfants...
Non, non, la conséquence est trop absurde pour que le principe soit vrai; et cependant, si le fait que nous signalons est certain, il faudra bien l’expliquer d’une autre manière; or il est une explication qui met tout d’accord:
Nous négligeons le salut de notre famille parce que nous manquons de foi,
et nous évangélisons au dehors par vanité ou par respect humain.
Si vous prétendez que cela n’est pas vrai de vous, répondez donc quand on vous demande pourquoi vous aidez à faire annoncer l’Évangile à des Hottentots, tandis que vous ne songes pas à en parler vous-même à vos parents?
Mais peut-être en est-il à qui ces reproches ne sauraient s’appliquer, qui exhortent leur famille, placent la Parole de Dieu entre les mains de leurs serviteurs et la répandent dans leurs alentours.
Toutefois, à ceux-ci mêmes nous ferons une question:
Votre conduite est-elle aussi profondément empreinte de christianisme dans votre intérieur que dans le monde?
Y avez-vous la même douceur, la même humilité?
S’il n’en est pas ainsi, qu’est-ce donc que votre évangélisation de paroles dans votre maison, sinon une forme imposée par les convenances et peut-être une allure de l’orgueil?
Et qu’est-ce que vos vertus dans le monde, sinon de faux semblants inspirés par la vanité?
Ce qui fait illusion, c’est que ces sentiments chrétiens dépensés au dehors ont une certaine chaleur, une espèce de sincérité. Mais, tout en accordant cela, nous maintenons que l’expression en est presque toujours exagérée par le désir de les montrer; en sorte qu’on s’abuse soi-même, et l’on est satisfait d’un effort factice qui, au lieu d’enrichir l’âme, l’appauvrit pour les heures passées ensuite dans la solitude ou au foyer domestique.
Oh! quel abîme de mystères que notre coeur!
Combien nous sommes obligés d’y descendre souvent et de le sonder longtemps avant d’en connaître la profondeur et les détours!
Commençons donc par être plus simples, nous nous comprendrons mieux; montrons-nous partout tels que nous sommes, et notre conduite dans notre famille ne contrastera plus autant avec notre conduite dans le monde.
Peut-être alors reconnaîtrons-nous que nous faisons aussi mal ici que là, mais du moins nous en deviendrons plus humbles, et nous ne dépenserons plus en boursouflure au dehors le peu d’énergie dont nous avons besoin au dedans; et lorsque nous aurons ainsi commencé par faire du bien aux nôtres, nous en ferons avec plus de sincérité et même avec plus d’abondance à ceux qui nous sont étrangers.
Lisez 1 ère Épître à Timothée, chapitre VI.
Ne pas mépriser son maître sous prétexte que c'est un frère
«Que ceux qui ont des fidèles pour maîtres ne les méprisent point, sous prétexte qu’ils sont leurs frères.»
Si nous ne savions pas d’où cette phrase a été tirée, ne pourrions-nous pas la croire extraite d’une exhortation pastorale écrite de nos jours?
Ces serviteurs qui méprisent leurs maîtres, ou qui du moins veulent les traiter comme leurs égaux, ne sont-ils pas parmi nous?
Oui, et la foi chrétienne, dont le plus beau résultat est d’abaisser les prétentions même des plus grands et des plus dignes, semble avoir produit CHEZ LES PLUS PETITS L’EFFET PRÉCISÉMENT CONTRAIRE; on croirait qu’ils ne l’aient embrassée qu’afin d’être quelque chose aux yeux de quelqu’un, et que, désespérés d’être jamais remarqués dans le monde, ils aient voulu du moins se mettre en vue dans l’Église.
- Ne pouvant se grandir, ils s’efforcent d’abaisser les sommités qui les offusquent; rang, fortune, science ne sont plus rien selon eux; il n’y a de grand à leurs yeux que les hommes qui méprisent tout cela, c'est-à-dire qu’eux-mêmes.
Cette prétention de niveler à notre hauteur tout ce qui nous dépasse n’est pas particulière aux serviteurs; elle se retrouve chez tous les chrétiens; car chaque classe rencontre dans l’Église une classe qui lui est supérieure et se plaît à lui rappeler ce qu’une plus basse lui crie à elle-même: Que Dieu ne tient aucun compte des apparences sociales et que dans la république chrétienne tous les citoyens sont frères.
Mais enfin, dira-t-on, n’est-il pas vrai que tous les chrétiens sont frères; que, d’après l’Évangile, les premiers seront les derniers, et que les grands doivent même devenir les serviteurs des autres, à l’exemple de Jésus-Christ?
Oui, tous les chrétiens sont frères et doivent s’aimer comme tels, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient tous égaux entre eux;
dans une famille même, il y a un frère aîné qui souvent remplace le père,
et si vous abusez du mot frère, je coupe court à cet abus en vous rappelant que JÉSUS SE DIT AUSSI LE FRÈRE DE SES DISCIPLES; pour cela vous direz-vous l’égal de Jésus-Christ?
Nous pouvons être tous égaux devant Dieu sans effacer la distinction des rangs établis parmi les hommes.
Cette inégalité de condition sur la terre ne déterminera sans doute pas notre place dans le ciel; mais elle est elle-même consacrée par Dieu, qui a dicté des devoirs différents pour les serviteurs et pour les maîtres, les fidèles et les pasteurs, les citoyens et les monarques:
- dire que nous sommes tous pécheurs par nature, tous sauvés par la grâce,
- ne signifie pas que les uns pris sur les degrés élevés de la société doivent en descendre pour marcher à côté et de la même allure que ceux qui sont placés sur les dernières marches.
Oui, la foi doit humilier le chrétien, mais aussi bien le serviteur que le maître, non moins le sujet que le monarque; si bien que chacun, occupé de sa propre affaire, n’a pas à s’inquiéter si les autres sont orgueilleux, mais s'il l’est lui-même.
Quand Jésus parle d’abaisser les grands et d’élever les petits, ce n’est pas aux petits qu’il s’adresse pour les engager à se grandir, mais aux grands pour les exhorter à se diminuer; en sorte que, lorsque vous vous plaignez des prétentions des autres et cherchez à vous élever jusqu’à eux, vous faites précisément le contraire de ce que Jésus vous demande:
CE N’EST PAS VOUS HUMILIER, C’EST VOUS ENORGUEILLIR.
Étrange aveuglement qui au nom même d’un devoir le transgresse!
Incroyable orgueil d’un petit être qui prend la place de Dieu pour condamner ses semblables et qui crie: «Je ne sois inférieur à personne» pour prouver son humilité!
Ah! regardez plus à vous-même et moins à vos supérieurs; voyez si vous êtes à leur égard ce que vous devez être, et non s’ils sont au vôtre ce que vous les voudriez.
Le seul changement que l’Évangile doive apporter dans vos relations, c’est, dit Saint Paul, que vous serviez d’autant mieux ce supérieur, puisque vous êtes chrétien et que sa propre foi est une preuve que lui-même est le bien-aimé de Dieu.
Cependant, que le supérieur écoute lui-même ce que Saint Paul ajoute en parlant des maîtres chrétiens: «Ils ont soin de faire du bien à leurs serviteurs.»
Ici comme partout les devoirs sont RÉCIPROQUES et peut-être les torts le sont-ils aussi.
Les serviteurs mépriseraient moins les maîtres,
si les maîtres méprisaient moins les serviteurs.
Que les uns et les autres cherchent donc en eux-mêmes la cause première du manque d’égards dont ils se plaignent, et que tous s’abaissent sous la puissante main de Dieu.
Lisez 2 ème Épître à Timothée, chapitre I.
Paul ambassadeur
Un homme, se disant ambassadeur d’un grand roi, est jeté comme imposteur au fond d’une prison. Il apprend que son procès s’informe et que ses juges sont à la veille de prononcer la sentence de mort.
Dans ce moment, il adresse une lettre à un ami, dépositaire de tous ses secrets. Cette lettre est interceptée par la justice. Je le demande: ne deviendra-t-elle pas la pièce la plus importante du procès?
Ne va-t-on pas, en la lisant, surprendre la vérité dans l’épanchement d’un ami, innocent ou coupable, dans le coeur de son ami, innocent ou complice? Sans doute.
Eh bien! cette lettre est ouverte et lue; elle parle de l’ambassade du prisonnier comme d’une réalité; l’accusé y exhorte son correspondant à prendre sa place, à se présenter à la même cour avec les mêmes titres.
Je le demande: n’est-ce pas la preuve la plus claire que cet homme est l’ambassadeur qu’il dit être?
S’il eût été un imposteur, n’eût-il pas, écrivant en secret à un intime, laissé paraître quelque trace de son imposture, quelque regret d’avoir joué le rôle qui l’a conduit en prison, quelques paroles de dépit contre ses juges, quelque prière à cet ami de venir à son secours, quelque indice d’un nouveau stratagème à tenter pour le délivrer?
Enfin, s’il était imposteur, serait-il possible que rien, absolument rien dans cette correspondance avec son complice ne vint trahir son secret?
Non, et si dans un épanchement de son coeur il se dit encore et avec simplicité l’envoyé d’un roi, c’est qu’un roi l’a bien réellement envoyé.
Ce que nous venons de dire n’est que l’histoire de Saint Paul.
L’Apôtre se donne pour l’ambassadeur de Christ; l’empereur Néron ne veut pas croire à cette ambassade et jette Paul en prison pour y attendre le supplice.
Paul le sait; il écrit à Timothée son meilleur ami, lui annonce sa mort prochaine, déclare qu’elle est causée par ses prétentions à l’apostolat; et cependant il parle encore comme si ces prétentions étaient fondées, et il exhorte son disciple à lui succéder.
Il n’exprime aucun regret sur sa vie passée; il dit, au contraire, avoir combattu le bon combat; il parle d’une couronne qui l’attend au delà de la tombe; enfin il écrit en secret, comme il l’aurait fait en public; il parle à son ami, comme s’il était réellement ambassadeur.
Ce fait ne prouve-t-il rien?
Ou plutôt n’est-ce pas là la plus forte preuve de la sincérité de l’Apôtre, de la réalité de sa mission, et, pour tout dire, une preuve aussi admirable qu’inattendue de la vérité du christianisme? Nous le pensons.
Mais écoutons l’Apôtre lui-même:
- «Pour moi, je vais être immolé, et le temps de mon départ approche; j’ai combattu le bon combat, la couronne de justice m’est réservée.
- Cette parole est certaine, que si nous mourons avec Jésus, nous vivrons avec lui. Souviens-toi qu’il est ressuscité des morts selon mon Évangile, pour lequel je souffre jusqu’à être lié comme un malfaiteur.»
Est-ce là le langage d’un intrigant écrivant à son complice, ou celui d’un martyr de la vérité s’adressant à son compagnon d’oeuvre?
En lisant les Épîtres, nous n’avons pas assez présent à l’esprit leur caractère de lettres particulières. Sans doute Dieu a voulu que ces écrits nous fussent utiles, mais encore est-il certain que ceux qui les ont tracés ne pensaient guère à nous. Cela est surtout vrai des Épîtres adressés à des individus, à Tite, à Timothée, à Philémon.
Si nous y songions quand nous en parcourons les pages, nous remarquerions bien souvent telles traces de vérité qui nous échappent; et puisque nous sommes sur ce sujet, signalons-en un second exemple.
Supposer un instant que cette même lettre ne soit pas d’un envoyé de Dieu, mais d’un imposteur qui ait voulu établir telle doctrine en vue d’une église existante ou à venir.
N’est-il pas probable que quelques mots y trahiront son désir secret?
Que, par exemple, l’écrivain cessera de parler à son correspondant supposé, pour s’adresser directement à ceux qu’il a réellement en vue?
Eh bien! qu’on lise encore cette épître avec cette pensée arrêtée d’avance et qu’on y cherche quelque chose de ce genre; nous en sommes convaincu (car nous en avons fait l’expérience nous-mêmes), on n’y trouvera rien de semblable; tout au contraire y concorde avec la supposition que les faits sont vrais.
Paul y parle beaucoup de souffrances; cela doit être, il est dans les fers, et va mourir; il recommande à son correspondant de fuir les désirs de la jeunesse; et nous savons d’ailleurs que Timothée est un jeune homme; il lui donne les directions nécessaires à un prédicateur de l’Évangile; et nous savons que Timothée était entré dans le saint ministère; il l’engage à se hâter pour venir le voir comme s’il avait peur qu’il n’arrivât trop tard; il le prie de lui apporter son manteau et ses livres, comme l’écrirait un de nous à un ami qui devrait lire seul et déchirer ensuite notre feuille de papier. Rien ne trahit dans cette épître la pensée qu’elle pourra tomber en d’autres mains.
Loin de là, tout y décèle une lettre détachée d’une correspondance intime entre deux amis.
Mais nous le sentons: ce sont là de ces découvertes qu’il faut faire soi-même pour en apprécier toute la valeur.
- Aussi chacun de nous fera-t-il bien de relire cette épître avec attention, surtout avec prière, et nous ne pensons pas qu’il le fasse sans fruit pour son édification.
Lisez 2 ème Épître à Timothée, chapitre II.
Réprimer les disputes de mots
Paul exhorte Timothée à réprimer les disputes de mots, les discours inutiles et les questions folles, toutes choses inspirées par l’amour de la contestation.
Le genre humain n’est pas encore guéri de cette maladie, et les chrétiens eux-mêmes en sont atteints au XIXe siècle (et au 21e) comme au Ier.
Si l’on ne voulait que s’entendre, on s’épargnerait tant de peines! Mais non, on veut disputer par amour de la dispute, et peut-être le moyen le plus efficace pour gagner un homme à une opinion serait-il de soutenir l’opinion contraire.
C’est ordinairement quand une église est déjà réveillée, lorsque tout le monde est d’accord sur les points principaux, que s’élèvent ces disputes de mots, ces assauts de paroles, cette guerre à coups de langue non moins meurtrière que celle à coups de fer; car, dit Saint Paul, il y a du venin d’aspic sous leurs lèvres.
Avant d’aller plus loin, faisons une distinction essentielle: Paul ne condamne pas tous ceux qui discutent, car il se condamnerait lui-même; mais il désapprouve:
- ceux qui discutent par amour pour la contestation;
- ceux qui discutent non pour convaincre, mais pour vaincre;
- ceux qui s’attachent aux mots, non aux pensées;
- qui cherchent le côté faible de votre défense pour y enfoncer le glaive de leur langue;
- qui vous attribueraient volontiers la pensée que vous n’avez pas, pour vous écraser avec celle que vous avez;
- enfin qui, au besoin, changeraient d'opinion pour se procurer le plaisir de vous contredire.
Paul a tout exprimé par un mot; il s’agit de CEUX QUI AIMENT, QUI SE PLAISENT À DISPUTER.
À de tels hommes, nous voudrions pouvoir dire:
Vous détruisez votre propre oeuvre; vous marchez à contresens de votre but.
Car enfin, que voulez-vous?
Vous convaincre ou vous faire admirer?
Dans les deux cas, l’expérience vous démontre que vous perdez votre temps. Convenez-en: vous n’avez jamais convaincu personne. Non, personne ne vous a dit après vous avoir écouté: «Vous avez raison et moi tort.»
Vous n’avez jamais appris que plus tard tel opposant se soit rendu à votre avis.
Peut-être avez-vous su au contraire qu’il était un peu plus enraciné dans sa propre opinion; ainsi vous n’avez réussi qu’à l’éloigner davantage de ce que vous croyez être la vérité. Si vous en doutiez encore, je vous renverrais à ces chants de victoire entonnés de part et d’autre après la bataille, à ces antipathies devenues d’autant plus vives qu’on s’est plus longtemps expliqué, et enfin à ces luttes d’action arrivant après les luttes de paroles.
Pour contre-épreuve de cette vérité, je vous ferai remarquer qu’on n’a commencé de s’entendre que du moment qu’on a cessé de discuter; lorsque les esprits les plus calmes ont découvert, chacun de son côté, ce qu’ils n’avaient pas voulu voir quand on le leur montrait.
Nous avons une présomption telle (et peut-être est-ce une loi de notre nature), que nous n’adoptons guère que les idées par nous-mêmes découvertes, ou du moins que celles qu’on nous suggère sans nous les imposer.
C’est là l’histoire de nos églises depuis vingt ans.
Nous avons entendu souiller la bourrasque des disputes renversant tout sur son passage, tout excepté les convictions mêmes contre lesquelles elle était déchaînée: livres, journaux, brochures, réunions, on s’est tout jeté mutuellement à la tête; mais il n’en est pas des esprits comme des corps.
Plus vivement on les heurte, plus ils se redressent; et ce n’a été que plus tard, en temps de paix, lorsque personne ne s’y attendait plus, qu’on a vu revenir à soi en amis ses anciens adversaires.
C’est qu’il n’y a guère qu’un argument qui convainque, c’est la vie chrétienne; celui-là frappe sans bruit, frappe sans blesser et gagne l’esprit en passant par le coeur. Cette preuve est de bonne dispute, ou plutôt c’est la démonstration des chrétiens qui n’aiment pas à disputer.
S’il est en notre pouvoir de nous garder de cet esprit de dispute, nous ne pouvons pas toujours échapper aux attaques de ceux qui en sont animés.
Mais dans ce cas même il est encore en notre puissance d’en amoindrir les tristes effets en restant calmes, cédant autant que le permet la vérité, et respectant la liberté des autres même jusque dans leurs erreurs.
- Le disputeur ne prend son point que dans la résistance: ne lui résistez pas, il sera bien contraint de tomber à vos pieds.
Il est vrai que cette conduite est difficile. Le guerrier sauvage aime mieux lancer la flèche que d’en parer le coup; mais:
LE CHRÉTIEN N’EST PAS UN SOLDAT ENVOYÉ À LA GUERRE POUR TUER,
C’EST UN AMBASSADEUR CHARGÉ DE PROPOSER LA PAIX,
un héraut porteur de bonnes nouvelles,
un médecin appelé pour panser les blessés.
Revêtons l’amour de Christ, et il nous sera facile de ne plus disputer.
Lisez 2 ème Épître à Timothée, chapitre III.
L'orgueilleuse humilité
Certes aucun de nous n’oserait dire à ses frères: imitez-moi; soyez comme moi, doux, charitables, patients; ou si par impossible ces paroles nous échappaient, nous craindrions vivement qu’elles ne nous aient fait passer pour orgueilleux.
Et cependant Paul disant aux Corinthiens: soyez mes imitateurs, et à Timothée: tu connais ma foi, ma douceur, ma charité, ma patience; Paul reste parfaitement humble à nos yeux.
Pourquoi deux jugements si opposés sur la même conduite tenue par nous ou par l’Apôtre?
C’est que nous avons la conscience que cette parole toute simple dans la bouche de Paul serait une vanterie sur nos lèvres. En nous taisant même, nous sommes plus prétentieux que l’Apôtre en se proposant pour modèle.
C’est donc tout autre chose de singer l’humilité ou de la posséder.
Quand on en manque, vainement on se pare de ses couleurs; on reste nu à ses propres yeux et aux yeux des autres; et quand on l’a réellement, on ne songe plus à déguiser des prétentions qu’on n’a pas.
Les précautions de l’homme qui veut à la fois professer le christianisme et donner une bonne opinion de lui-même, ses précautions pour paraître humbles sont vraiment chose curieuse à étudier.
Il ne parle pas de ce qu’il a fait, mais de ce qu’il lui a été donné de faire; il écoute patiemment la narration des oeuvres d’un autre, mais c’est pour y coudre celle de ses propres oeuvres; non pas, dit-il, à sa gloire, mais à la gloire du Seigneur.
- Un jour, il s’accuse d’avoir en un défaut, pour arriver à dire qu’il l’a vaincu.
- Une autre fois, il raconte un fait à la louange d’un frère, afin de placer son propre nom dans un coin du récit.
- Pour mieux cacher son but, il commencera, s’il le faut, par s’abaisser un moment jusqu’à ce qu’il se relève et se hausse sur la pointe des pieds.
Jamais il ne vous dira: Je suis doux, humble, charitable; mais il racontera ses oeuvres de douceur, d’humilité et d’amour en exprimant son regret qu’elles ne soient pas plus grandes.
Vous comprenez maintenant pourquoi un tel homme n’oserait pas dire comme Saint Paul: «Tu connais ma conduite;» c’est qu’il aurait trop peur de mettre son orgueil à découvert. Or, comme personne de nous n’oserait tenir en toute simplicité le langage de l’Apôtre, j’en conclus que personne de nous n’est comme lui exempt de cette vanité qui craint d’être mise à nu et raillée.
CETTE ORGUEILLEUSE HUMILITÉ, si commune au milieu de nous, frappe de stérilité toute notre vie morale; elle nous enseigne à produire l’oeuvre sans regarder à l’intention, à plâtrer notre conduite de vertus qui ne sont pas dans notre coeur.
Bien que nos frères soient intéressés à ne pas s’y tromper, ils s’y trompent parfois, et nous, heureux de nos succès, nous parvenons à nous estimer nous-mêmes!
Faudrait-il donc, pour avoir réellement les vertus chrétiennes, qu’à l’exemple de Saint Paul nous parlassions ouvertement de notre foi, de notre douceur, de notre charité?
Non; mais il faudrait que nous puissions le faire sans songer à mal, sans étonner ceux qui nous connaîtraient.
En fixant l’attention sur ces paroles de l’Apôtre, nous n’avons pas eu l’intention de les proposer en exemple, mais de faire sentir qu’aucun de nous n’oserait les prononcer; et cela, non parce qu’il serait fâché de s’offrir comme modèle, mais parce qu’il craindrait d’en laisser percer la prétention.
Si nous voulons être sincères avec nous-mêmes, si nous voulons être sages au jugement de Dieu, et non à celui des hommes, nous reconnaîtrons que NOTRE VIE CHRÉTIENNE EST TOUTE À RECOMMENCER; nous avons à donner une autre base à toutes nos vertus, à nous mettre en face du Dieu qui sonde les coeurs et qui n’a point égard aux apparences.
Alors nous nous sentirons plus petits, plus arriérés; mais dans notre anéantissement nous trouverons une paix que nous n’avons pas dans la persuasion de nos prétendus progrès.
Ce n’est pas l’humilité qui abaisse dans le royaume de Dieu, c’est l’exaltation, bien au contraire. Celui qui recommence son oeuvre pour la mieux faire est ici plus certainement chrétien que celui qui la continue, satisfait de son passé.
Non seulement ceux qui se croient déjà quelque chose ne sont rien, mais ceux qui se méprisent le plus sont les plus grands. Humilions-nous donc dans notre esprit; nous ne nous estimerons jamais aussi petits que nous le sommes; surtout ne nous payons pas nous-mêmes de faux semblants, d'actes extérieurs, de belles paroles; mais:
CREUSONS AU FOND DE NOTRE ÂME, ET VOYONS S’IL Y A QUELQUE RÉALITÉ.
Si l’amour s’y trouve, ne nous inquiétons pas, il portera ses fruits; mais s’il y manque, disons-nous bien que nos actes les plus brillants ne sont qu’un vain feuillage qui cache notre stérilité.
Septembre | Table des matières Liste des titres du mois d'octobre | Novembre |