Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE CULTE DOMESTIQUE

JUIN

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CLIIIe MÉDITATION.

Lisez Jean XVI, 1 à 15.

L’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, modèle pour les chrétiens

Le Père, le Fils et le Saint-Esprit nous sont présentés par l’Écriture dans une telle communauté d’action, qu’il est impossible d’assigner à chacun la part qu’il a prise à la création de l’univers et au salut des âmes; ou plutôt cette communauté est telle, qu’il devient évident que le Père, le Fils et l’Esprit ne sont qu’un seul et même Dieu.

Quels rapports les unissent?

Quels points les différencient?

Comment les trois personnes ne forment-elles qu’un seul être?

C’est ce que tout homme ignore; ce que la Bible ne dit pas; et dès lors c’est ce qu’il nous est inutile de savoir.

Arrêtons-nous donc à ce qui nous est révélé et tirons-en les conséquences; car:

Il y a autant de danger à prétendre arracher à la Bible plus qu’elle ne veut dire

qu’à négliger la plus claire de ses révélations.

Si nous rapprochons quelques passages semés dans l’Écriture, nous verrons que le Père «a créé le monde;», mais «créé par la Parole,» en même temps que se mouvait l’Esprit.

Nous verrons que le chrétien est à la fois:

«Né de l’Esprit;»

«Né de Dieu;»

et «créature de Jésus-Christ.

Nous verrons que:

«Christ habite en nous jusqu’à la fin du monde

Que «l’Esprit reste en nous éternellement»

et que «le Père n’abandonne jamais ses enfants

Nous y verrons que:

«Personne ne ravit ses brebis de la main de Jésus

«Ni de la main du Père»

et qu’elles «sont scellées par le Saint-Esprit

«Qui croit au Fils, croit à Celui qui l’a envoyé

«Le Saint-Esprit procède du Père

«vient de la part du Fils;»

et il accomplit l’œuvre commencée par tous deux;

«tout ce que mon Père a est à moi,» dit le Fils,

et «l’Esprit prendra de ce qui est à moi pour vous l’annoncer

Laissons là l’étude théologique que provoquent ces déclarations pour étudier les leçons pratiques qui en découlent.

Quelle harmonie entre le Père, le Fils et l’Esprit!

Quelle admirable ensemble de pensée et d'action!

Ce que l’un commence, l’autre le poursuit, le troisième l’achève; ou plutôt tous trois agissent et il n’en résulte qu’une seule action; comme le dit Jésus, ils ne font qu’un.

Voilà l’unité à laquelle aussi nous sommes appelés, nous enfants d’un seul Père, rachetés d’un seul Sauveur, élus, sanctifiés par un seul Esprit.

Comme le dit l’Apôtre, nous sommes les membres d’un même corps, et sommes appelés à ne former qu’une seule âme.

Oh! que deviendrait le monde, si cette idée se réalisait sur la terre!

Quelle joie, quel bonheur! Joie si vive, bonheur si grand que la méditation en paraît un rêve, une vaine utopie!

Mais poursuivez un instant par la pensée le changement de scène: si cette unité de sentiment et d’action s’accomplissait ici-bas:

plus de crimes, plus de vices,

plus de péchés sur la terre;

plus de malfaiteurs dans nos prisons et dans nos rues;

plus d’armées pour défendre une patrie respectée;

plus de loi humaine, la loi divine étant écrite dans le coeur;

plus de tribunaux pour rendre une justice jamais violée;

plus de juges, plus d'hommes de loi,

plus de gardiens du mien et du tien;

plus de luttes d’intérêts, de vanités, de passions;

mais une paix universelle dans le monde et dans les coeurs; une action réciproque des uns pour les autres, la vie doublée en retrouvant les heures employées maintenant à préserver les autres heures; surtout quelle douceur dans ce concours de tant d’êtres à une seule et même oeuvre, la gloire de Dieu! Et quelle douceur dans cet appui offert par tous au besoin de chacun!

La maladie et la misère ne seraient peut-être pas invinciblement bannies de ce monde; mais combien, en tous cas, elles seraient adoucies, embellies dirai-je, par les témoignages d’affection qu’elles feraient naître!

Resserrez ce trop vaste horizon, et renfermez-vous dans le tableau plus étroit d’un cercle de famille.

Plus de querelles entre époux,

de division entre frères,

d’envie entre parents;

le fils est toujours soumis,

le père toujours patient,

la mère jamais faible,

et les frères unis jusqu’à la mort.

Ce que l’un désire, l’autre le veut; c’est un combat, non d’intérêts, mais de prévenances, et l’on ne sait, en voyant agir chacun, si c’est à lui ou aux autres qu’il pense.

Mais je m’arrête; car, au milieu de ce tableau enchanteur, une triste pensée vient me saisir. J’ai voulu peindre un monde chrétien, et je m’aperçois que je n’ai fait que renverser le monde où nous vivons!

Ma description joyeuse semble une critique amère; et chaque mot chrétien, un trait aigu qui vient percer le cœur de celui qui parle et de ceux qui l’écoutent,

Comment donc a-t-il pu en être ainsi?

Je le déclare: j’ai commencé avec l’intention toute simple de peindre le monde régénéré par l'Évangile; et si, pour faire la statue du chrétien, je n’ai fait que creuser ce qui était en saillie sur nos traits, et relever les cavités, c’est en quelque sorte à mon insu, et entraîné par la facilité de l’œuvre.

Que faut-il en conclure?

Hélas! que le monde tel que nous l’avons fait est le renversement complet du monde tel qu’il devrait être, et que, pour remplir notre devoir, nous pouvons indifféremment imiter Dieu, ou faire le contraire de ce que nous faisons!

En effet, tout est COMMUN entre le Père, le Fils et l’Esprit: tout est PARTAGÉ, MORCELÉ et DISPUTÉ entre nous.

Comme l’enfant prodigue, chacun réclame sa part, et distingue entre lui et son frère, la division à l’infini est réalisée, non-seulement dans nos biens matériels où la présence des méchants sur la terre peut nous servir d’excuse, mais jusque dans nos sentiments, jusque dans nos idées.

Il semble, en vérité, que la bienveillance nous dépouille, que la sympathie nous coûte, et que nous ayons peur de dépenser notre vie en émotions pour autrui!

Nous nous disputons un projet, une idée, une simple pensée dont chacun veut avoir la gloire, et qu’il revendique comme sienne!

Le bien même, le bien accompli par les autres nous est étranger; il ne nous réjouit pas comme le bien accompli par nous-mêmes; en sorte qu’il devient évident qu’en agissant pour autrui, c’était à nous d’abord que nous avions songé.

Oh! perversité de notre cœur, abîme insondable d’égoïsme!

Mon Dieu, mon Dieu, quand nous aimerons-nous donc un peu véritablement les uns les autres?

Quand serons-nous un, entre nous, comme Jésus et Toi vous êtes un?

Hélas! ce sera quand nous laisserons ton Esprit pénétrer dans nos âmes, et nous inspirer l’amour qui t’anime toi-même.

Donne-nous donc, Seigneur, DONNE-NOUS UN NOUVEAU CŒUR, afin que nous puissions désormais nous aimer et nous unir comme les membres d’un même corps; comme un seul être n’ayant qu’une seule âme; comme toi, Père, Fils et Saint-Esprit ne faites et ne ferez éternellement qu’un!


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CLIVe MÉDITATION.

Lisez Jean XVI, 16 à 33.

Le chrétien n’est pas seul dans la solitude

L’homme naturel a peur de la solitude. S'il la rêve parfois, c’est pour une heure, et si cette heure se prolonge, il soupire déjà après son retour au milieu du bruit et du monde.

Si cet homme était satisfait par un intérieur de famille, ou s’il partageait son temps entre la retraite et la compagnie de ses semblables, on pourrait ne voir là qu’un instinct de sociabilité, donné par le Créateur à des êtres faits pour s’aimer et s’aider les uns les autres: mais non; dès que l’homme peut disposer de son temps, il se hâte de chercher auprès d’autres hommes le bruit, les plaisirs, les affaires.

Il semble que, réduit à lui-même, il se soit à charge; qu’il n’ait rien à se dire, rien à penser, ou plutôt il semble qu’il ait peur de réfléchir sur son compte. Si une circonstance imprévue l’oblige à rester complètement isolé, il fait provision de livres, d’armes, de jouets pour combler le vide que la vague du monde, en se retirant, a fait pour quelques heures.

Tel n’est pas le chrétien.

Sans doute il aime la société de ses frères qui l’édifient, il cherche même celle des incrédules que lui-même peut édifier. Mais en même temps il se plaît avec lui-même, il désire la solitude des champs ou du cabinet, autant que d’autres souhaitent les réunions bruyantes. Si la maladie, le voyage, les affaires le séparent pour un temps de toute société humaine, non seulement il s’en console, mais il trouve dans cet isolement de nouveaux plaisirs.

Cette différence de goût est surtout sensible pour l’homme qui a passé par les deux états de foi et d’incrédulité. Il se rappelle le temps où il se fuyait lui-même, et il sent qu’aujourd’hui cette horreur de la solitude est passée. C’est donc à lui surtout qu’il convient de demander l’explication de cette différence; or, en étudiant son présent et son passé, voici peut-être ce qu’il pourrait dire:

Jadis j’avais peur de la solitude parce que j’avais peur de moi-même.

Rien dans ma vie écoulée n’était bien agréable à contempler. Au contraire, mes souvenirs étaient tachés de fautes, de regrets, de remords.

Dans mon présent, je ne trouvais à méditer que mes affaires dont j’étais séparé ou fatigué.

Pour mon avenir, je construisais des espérances; mais je prévoyais aussi des mécomptes, des douleurs et la mort.

Si par moments j’oubliais tout cela, je me trouvais à vide, ne sachant que penser, et pour fuir l’ennui je cherchais la distraction dans la société.

Mais aujourd’hui tout est changé; plus de craintes sur des péchés que je sais pardonnés, plus de terreurs sur une mort qui m’ouvre la vie.

Aujourd'hui mille sujets de méditations douces et sérieuses se présentent à moi dans la solitude.

Je pèse les preuves de ma foi,

je compte les promesses de mon Dieu;

je bénis mon Sauveur,

et surtout je prie dans la solitude.

Mais ce n’est pas encore là le secret de la différence qui me fait aimer l’isolement que je fuyais jadis; et pour l’expliquer, il me faut emprunter les paroles de Jésus à ses Apôtres: «Vous me laisserez seul; mais je ne suis pas seul, parce que mon Père est avec moi.»

Oui, le fait est que je ne suis jamais seul, mon Dieu est avec moi et même il n’est jamais plus près de moi que dans la solitude; plus le monde fait silence à mes côtés, mieux j’entends la voix de mon Dieu; et plus le monde s’agite autour de moi, plus aussi la voix de mon Dieu s'affaiblit dans mon cœur.

Eh! n’allez pas croire que, lorsque j’affirme que Dieu est avec moi, ce soit là une façon de parler pour dire que je pense à lui et médite ses promesses. Non! la présence de mon Dieu dans mon cœur est réelle; je sens là l’hôte divin qui habite en moi, qui me parle, me répond, me console et m’éclaire.

Si cet état avait toujours existé chez moi, je pourrais supposer qu’il est naturel et commun à tous les hommes. Mais cet état a eu son commencement au milieu de ma vie, je me rappelle le temps où il n'existait pas; je me souviens de ce que vous appelez méditation avec soi-même, et je vous assure que la société de mon Dieu est tout autre chose.

Je sens que Dieu est là, je le sens de mon esprit, comme de ma main je touche mon corps; et cette présence est si manifeste à mon âme que je vous avoue qu’elle est la plus forte base de ma foi.

Je ne crois pas parce que les hommes m’ont prouvé la vérité de l’Évangile, mais je crois parce que Dieu en personne la témoigne dans mon cœur.

Et maintenant que la solitude s’étende autour de moi, que le monde fasse taire ses plaisirs, que les hommes ne m’envoient plus le bruit de leur science; s’il le faut même, que la mort éteigne les voix affectueuses qui murmurent près de moi dans un cercle étroit d’amis et de famille, qu’un abîme se creuse large et profond entre moi et l’univers; alors encore je ne serai pas seul, j’emporte avec moi plus que le monde, les amis, la famille; j’emporte Dieu dans mon cœur, et rien, pas même la mort, ne pourra m'arracher cette douce société.

Ô mon Dieu, mon Dieu, oui, tu suffis à mon âme: tu es là; je ne demande rien de plus.

Seulement, Seigneur, ne t’éloigne pas, sois-moi toujours plus sensible. On est si bien avec toi!

Reste-là, Seigneur, parle-moi, écoute mes prières

et réponds-y par l’envoie de tes grâces;

sois avec moi, Seigneur, comme tu étais avec Jésus-Christ.


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CLVe MÉDITATION.

Lisez Jean XVII.

Jésus a prié et prie encore pour nous

Quel émouvant spectacle pour le cœur de l’homme que celui de Dieu le Père tendant l’oreille dans les cieux à la prière de son Fils agenouillé sur la terre en faveur de quelques pauvres créatures que ce Père et son Fils s’unissent pour sauver!

Quelle douce pensée que celle-ci: le Créateur de l’univers s’occupe de moi, grain de poussière, au milieu des mondes, et son Fils éternel et divin oublie jusqu’à ses propres angoisses pour songer à mes dangers! et afin que je n’ignore pas que c’est aussi pour moi qu’il prie, pour moi qui vis aujourd’hui, deux mille ans après sa prière sacerdotale, ce compatissant Sauveur a soin d’ajouter en présence de ses Apôtres: «Je ne te prie pas seulement pour eux, mais pour ceux qui croiront en moi par leur Parole;» en sorte que je puis me dire: Quelque petit que je sois à mes propres yeux et quelque ignoré que je sois du monde, néanmoins Christ me connaît, Il me connaissait il y a dix-huit siècles, et c’est pour moi, pour moi personnellement qu’il priait alors son Père.

Mais que dis-je?

Sa prière n’a pas cessé avec sa vie terrestre; Jésus prie encore à l’instant où je parle; assis à la droite de son Père, Il lui montre son côté percé, et au nom de son sacrifice Il le supplie de me pardonner, de m’envoyer l’Esprit de sa part, de me préserver du mal et de faire sentir à mon cœur que Lui, intercesseur tout-puissant, s’occupe de moi, si faible et si indigne!

Oh! il y a dans ces pensées tombant sur l'âme, non comme de vaines paroles, mais comme autant de réalités, une douceur ineffable, et ce n’est qu’avec un tressaillement de joie qu’on les contemple!

Oui, c’est pour nous que Jésus a prié sur la terre; sa prière seule explique les grâces que nous avons reçues de son Père.

C’est quand nous ne songions pas à Lui qu’il est venu nous chercher, et que, sans que nous ayons pu nous rendre compte du comment, sans que nous y ayons donné notre coopération, presque malgré notre volonté:

DIEU EST VENU NOUS TIRER DU BOURBIER DE NOS VICES

ET DE NOTRE INCRÉDULITÉ.

Comment la vue de nos fautes n’aurait-elle pas depuis longtemps fait éclater la colère de ce Dieu de sainteté, si Jésus n’avait interposé sa sainteté et sa prière?

Oui, la prière de Jésus en faveur de nous, pauvres misérables, dont il a connu par expérience les épreuves, sa prière seule explique la compassion pour nous d’un Dieu justement irrité.

Oui, Jésus prie encore maintenant pour nous dans le Ciel et nous en avons mille témoignages.

Pourquoi Dieu nous a-t-il envoyé une grâce signalée précisément dans le temps où nous avions cessé de prier?

C’est que Jésus à celle époque priait pour nous.

Pourquoi nous a-t-il épargné une chute à l’heure même où nous caressions le péché?

Pourquoi, lorsque nous tournions autour de la tentation, lorsque nous étions décidés à satisfaire notre convoitise, une circonstance inattendue est-elle venue nous barrer le passage?

C’est que Jésus priait pour nous.

Et pourquoi par moments, au contraire, le bien nous devient-il si facile?

Pourquoi les pensées saintes abondent-elles dans nos cœurs et tombent-elles sur nous à l’improviste, comme une douce rosée d’été?

C'est qu’alors Jésus dans le Ciel prie encore pour nous.

Ah! nous ne connaissons pas tous les trésors d’amour qu’il verse sur nos têtes.

Si nos yeux pouvaient pénétrer la voûte céleste et contempler ce magnifique spectacle du Saint des saints, envoyant ses Anges sur la terre à la prière de son Fils pour nous fournir à chaque instant précisément la grâce dont nous avons besoin; si nous pouvions voir aujourd'hui ce qui s’accomplit dans le Ciel pour nous-mêmes, comme nous en serons témoins dans quelques années pour la génération suivante, ah! sans doute nous ne fermerions pas si étroitement notre cœur aux grâces que Jésus nous envoie; nous ne repousserions pas le Saint-Esprit frappant à notre porte, nous ne chasserions pas devant nous par nos mépris ou nos paroles le frère dans la foi, le serviteur de Dieu ou le saint Livre qui nous sont envoyés de la part de Jésus-Christ.

Un homme simplement vêtu se présente, une missive à la main, à la porte d’un grand de ce monde; celui-ci s’imagine qu’on lui adresse une requête et repousse l’envoyé; l’ambassadeur se retire et reporte à son roi le pli encore cacheté qui donnait un royaume et qui vient d’être refusé.

Voilà notre conduite envers Jésus!

À sa prière, un messager divin part du Ciel à notre adresse personnelle sur la terre, il nous apporte ou la lettre de grâce, ou le don d’un royaume éternel; et nous, comme si Dieu nous faisait demander l’aumône, nous fermons la porte sur son envoyé, qui retourne tout triste annoncer nos refus à Jésus priant encore pour nous!

Oh! Jésus, pardonne tant d’ingratitude; ne te lasse pas encore; prie encore, intercède encore; nous voulons joindre notre prière à la tienne; nous voulons enfin recevoir à coeur ouvert les grâces que tu nous envoies.

À cet instant prie avec nous, joins tes instances aux nôtres, assiégeons ensemble le trône de ton Père, et ne le laissons pas aller qu’il ne nous ait bénis, nous, pauvres créatures, mais CRÉATURES PAR TON SANG RACHETÉES!


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CLVIe MÉDITATION.

Lisez Jean XVIII, 1 à 27.

Reniement de Pierre

La conduite de Pierre, pendant les derniers jours de la vie terrestre du Sauveur, présente un contraste qui étonne d’abord.

À Jésus, qui lui prédit sa fuite, il répond que, loin de l’abandonner, il affrontera pour lui la prison et la mort.

Au serviteur du Grand-Prêtre qui ose porter la main sur son Maître, il porte un coup de glaive; et toutefois, après cette parole et cette action hardies, Pierre nie lâchement de connaître son bienfaiteur; il jure, il blasphème; et, autant qu’il est en lui, pour sauver sa propre vie, il pousse à la mort son ami.

Qui nous expliquera ce changement subit?

Un seul mot: la présomption!

Oui, en y regardant de près, la conduite de Pierre ne se contredit pas; les premiers actes, au contraire, expliquent les seconds; et c’est précisément parce que, sans y réfléchir et sans prier, il promet d’affronter tous les dangers, que, lorsque le danger vient, il y tombe pour ne l’avoir pas mesuré, et ne s’y être pas préparé.

Supposez que, moins bouillant et moins présomptueux, Pierre eût seulement écouté son Maître annonçant la dispersion de ses Apôtres, cette prédiction l’eût porté à réfléchir, au lieu de le pousser à répondre.

Supposez que, lorsque Jésus ajoute pour lui la prophétie d’une trahison, il se fût dit qu’après tout la chose était possible et qu’il eût prié le Sauveur de le fortifier contre cette lâcheté, sans doute le Seigneur l’eût exaucé; et si Pierre n’en avait pas eu l’assurance, du moins se fût-il éloigné du piège de la tentation.

Mais non, précisément PARCE QU’IL COMPTE SUR LUI-MÊME, il avance, parle, agit avec précipitation et tombe dans l’abîme sur lequel il n’a pas daigné jeter un seul regard.

Qu’il pleure maintenant, son Maître n’en reste pas moins condamné; qu’il pleure, Jésus n’en marche pas moins au supplice; et lui, mêlé aux femmes qui regardent de loin, peut se dire en voyant souffrir et mourir le Fils de Dieu: Moi, comme Caïphe et comme Pilate, j’ai fourni un clou pour le suspendre à ce bois!

Maintenant, que chacun de nous s’adresse cette question:

Aurais-je moi, pendant trois ans nourri de la doctrine de Jésus, et témoin de ses miracles, aurais-je au jour de l’adversité nié de le connaître?

Aurais-je juré trois fois et trois fois blasphémé?

Ou nous nous trompons beaucoup, ou chacun se répondant à lui-même dira: «Non, certes non!»

Cette réponse est la meilleure preuve qu’il aurait fallu dire: «Oui, certes oui!» Car elle-même vient de cette présomption, cause première de la chute de l’Apôtre.

Et si quelqu’un de nous persiste à croire que, mis à la place de Simon, il n’eût pas renié Jésus, qu’il se pose la question en d’autres termes, et se dise:

Aurais-je mieux fait qu’un Apôtre, qu’un Apôtre choisi par Jésus-Christ?

Ai-je vu de mes yeux ces prêtres furieux contre le Sauveur, ces soldats en armes dans la cour, et ces Pharisiens se demandant à voix basse les uns aux autres, dans l’ombre, même avant le jugement, de quelle genre de mort ils supplicieront cet homme?

Ai-je entendu tomber sur moi cette accusation: «tu es de ces gens-là,» qui, trois fois répétée par les valets des bourreaux, semble indiquer le projet arrêté de me faire aussi mourir?

Me suis-je vu moi-même à quelques heures d’un supplice lent et dégouttant de sang pendant six heures?

Suis-je bien sûr qu’alors j’aurais été plus courageux que celui qui plus tard brava le Sanhédrin, et voulut mourir crucifié la tête en bas par respect pour son Maître?

Et quand j’ai osé dire que, mis à la placé de Simon, je n’aurais pas renié Jésus-Christ, avais-je pour cela compté sûr le secours de mon Dieu?

Ne m’en étais-je pas seulement reposé sur l’indignation qu’avait excitée dans mon cœur cette seule pensée?

Oui, comme Pierre, chacun de nous a été présomptueux dans sa réponse; il est donc à croire que chacun de nous, comme Pierre, eût renié son Maître!

Plus nous nous raidirons CONTRE cette supposition,

PLUS NOUS LA RENDONS PROBABLE, car mieux nous prouvons combien nous sommes présomptueux.

Oui, la présomption est un des plus grands écueils de la vie chrétienne, comme l’humilité en est le plus sûr gardien.

La présomption s’oppose à la prière, éloigne la vigilance, empêche la réflexion et conduit droit à l’abîme qu’elle cache sous nos pas.

L’homme naturel en fait sa gloire,

le chrétien y voit sa chute;

elle peut plaire à la foule qu’elle étonne et amuse;

mais elle déplaît à Dieu qui l’abandonne à elle-même.

Plus nous tremblerons sur nous-mêmes, plus notre marche sera sûre, parce que notre œil veillera à nos pieds et notre voix appellera le secours d’en haut; nous ne partirons pas de nuit sans provision, sans arme, sans amis; et alors nous ne serons pas pris au dépourvu.

Le monde appellera peut-être toutes ces précautions de la faiblesse; l’Évangile les nomme de l’humilité, et cela doit nous suffire.

Prenons garde d’être téméraires pour paraître courageux à ceux qui nous entourent; c’est encore une des formes dont Satan revêt ses pièges.

Mieux vaut être honteux devant les hommes, et se préserver d’une faute,

que bourrelé de remords devant Dieu après l’avoir commise.

Si Pierre se fût caché derrière Jésus, ou attaché à sa robe devant Caïphe, il aurait plus tôt aperçu le regard qui le releva de sa chute, et peut-être, ainsi soutenu, ne fût-il pas tombé.

Avouons donc notre faiblesse, c’est ce qui fait notre force, et fuyons la présomption, comme la pente douce qui conduit à l’abîme.


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CLVIIe MÉDITATION.

Lisez Jean XVIII, 28 à 40.

Pilate dit à Jésus: Qu’est-ce que la vérité?

Qu’est-ce que la vérité? dit Pilate à Jésus; et sans attendre de réponse, Pilate se retire.

Cette conduite étrange est celle de bien des hommes qui n’ont pas encore accepté l'Évangile comme une révélation de Dieu.

Vous pouvez, voir ceux-ci consulter des livres, ceux-là prêter l’oreille à des prédicateurs, d’autres s’écouter eux-mêmes, et tous se dire: Qu’est-ce que la vérité? Mais sans attendre, non plus que Pilate, la réponse, ils referment le volume, s’éloignent du prédicateur, et suspendent leur propre méditation, parce qu’une feuille sèche, un insecte imperceptible ou le plus léger bruit a traversé les airs!

Et cependant il est aussi clair que le jour qu’il existe une vérité; quoi que vous supposiez, fût-ce une négation absolue, cette négation serait encore la vérité.

En second lieu, il n’est pas moins évident que la vérité religieuse, quelle quelle soit, entraîne de graves conséquences pour nous, et que, par exemple:

Notre vie ne peut pas être la même s'il existe un Dieu, ou s’il n’en existe pas.

Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous sommes morts; mais si le jugement est derrière la tombe, soyons sobres et veillons!

Voici donc trois points incontestables:

il y a une vérité;

il est pour nous du plus haut intérêt de la connaître;

et toutefois la plupart des hommes ne songent pas même à s’informer de son existence.

Si tout cela est exact, il en faut conclure que l’homme qui méprise ainsi la vérité est fou, à la lettre fou, à moins qu’on ne le suppose poussé par ses passions à la méconnaître.

Dans le premier cas, le désordre est dans l’esprit;

dans le second, il est dans le cœur;

mais, dans tous les cas possibles, un tel être est évidemment hors de l’ordre de la nature; c’est un être déchu, et c’est précisément ce qui explique pourquoi il ne peut plus par lui-même trouver la vérité.

Cette impuissance de l’homme nous conduit tout droit à supposer une révélation de Dieu.

L’Évangile se présente, et (coïncidence admirable!) le dogme qui lui sert de base est précisément l’aberration intellectuelle et morale que nous venons de découvrir.

Voyez comme il s’emboîte dans tous les angles que nous venons de rencontrer.

Il y a nécessairement une vérité, avons-nous dit, et l’Évangile affirme qu’il y a une vérité;

cette vérité est importante à connaître, avons-nous ajouté, et l’Évangile fait dépendre de sa connaissance une éternité de bonheur ou de souffrance.

L’homme naturel cependant, avons-nous dit encore, s’en inquiète fort peu, et l’Évangile nous présente entre autres l'exemple de Pilate.

De cette insouciance, nous avons déduit la folie ou le péché de l’homme, l’erreur de l’esprit et du cœur; et de même cet Évangile affirme que tous les hommes sont, pour les choses de Dieu, «dépourvus d’intelligence» et plongés dans le gouffre du mal.

C’est pourquoi, une révélation, avons-nous conclu, était nécessaire à l’homme, incapable de trouver lui-même la vérité; et c’est pourquoi, conclut aussi l’Évangile:

DIEU S’EST RÉVÉLÉ À NOUS PAR SON FILS ET SA PAROLE.

Ainsi donc tout ce que nous avions pressenti, l’Évangile l’a dit clairement, et nous a donné par là le premier indice qu’il pourrait bien être lui-même cette vérité.

Voilà du moins un motif suffisant pour prêter l’oreille à ses paroles, et pour descendre plus avant dans les détails de sa révélation.

Or tous ces détails, ou, si vous le voulez, tous ces dogmes viennent s’appuyer sur cette unique base que nous avons nous-mêmes découverte sur la terre: LE PÉCHÉ.

Oui, le péché de l’homme est un tronçon de colonne que chacun peut déterrer à ses pieds; il faut que le reste de l’édifice descende du ciel; et quand l’homme l’aura reçu pierre après pierre, et qu’il aura vu que chapiteau, couronne et fronton s’y superposent carrément, il reconnaîtra que l’œuvre est bien de Dieu, et que lui-même était bien fait pour cette œuvre.

Le salut par Christ vient et se cimente avec notre besoin de pardon;

la force du Saint-Esprit arrive et s’unit à notre impuissance:

Voilà en deux mots l’édifice du ciel assis sur sa base terrestre, et l’emboîtement parfait de toutes ces parties. Telle est la seconde preuve de la vérité du christianisme.

Il en est une troisième, plus forte que toutes les autres: celle de l’expérience.

Si la Bible est bien la vérité, elle se démontrera à votre cœur et à votre esprit;

si Jésus est bien un Sauveur, vous le reconnaîtrez à votre conscience apaisée;

si l’Esprit-Saint est bien réellement envoyé, il agira sur vous et vous serez changés.

À cette preuve d’expérience, rien à répondre; mais aussi cette preuve s’expérimente et ne s’expose pas.

Si vous la connaissez, réjouissez-vous et bénissez votre Dieu; si vous ne la connaissez pas, que les deux premières, accessibles pour vous, vous encouragent à chercher la dernière.

Pour cela, comme Pilate, demandez à la Bible: «Qu’est-ce que la vérité?» Mais, de grâce, ATTENDEZ LA RÉPONSE; lisez jusqu’au bout, lisez avec attention, surtout lisez avec prière, et Dieu tiendra pour vous la promesse qu’il a tenue pour tant d’autres; ils ont cherché, comme vous; comme eux, vous trouverez.


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CLVIIIe MÉDITATION.

Lisez Jean XIX, 1 à 22.

Jésus devant ses juges et ses bourreaux

À Jésus qui garde le silence, au lieu de se défendre, Pilate dit: «Ne parles-tu point? Ne sais tu pas que j’ai le pouvoir de te faire mourir et le pouvoir de te délivrer?»

Voilà bien le langage de l’homme qui, subordonnant sa conscience à son autorité, s’étonne que d’autres, subordonnant leurs intérêts à leur conscience, tiennent si peu compte de sa puissance.

Pauvre machine passionnée qui n’est jamais plus esclave que lorsqu’elle croit agir spontanément et qui ne voit pas que l’homme consciencieux seul fait sa propre volonté; tandis que le pécheur, privé du gouvernail de la loi divine, se trouve à toute heure entraîné dans le courant des passions étrangères!

Contemplez la scène prolongée du jugement de Jésus, et vous verrez chaque acteur venir confirmer cette vérité. Les soldats mandés pour conduire Jésus veulent lui faire sentir leur propre puissance; au strict devoir de le garder, ils ajoutent l’insulte, la raillerie, le sceptre de roseau et le diadème d’épine.

Mais, au fait ils ne font que suivre l’impulsion d’Hérode qui, le premier, avait fait jeter ironiquement la pourpre sur les épaules de Jésus; cette soldatesque croit accomplir sa volonté; elle ne fait qu’obéir au caprice d’un prince.

Observez ensuite Pilate: lui qui se vante d’avoir le droit de faire vivre ou mourir, lui qui, par trois fois, répète qu’il ne voit aucun mal en cet homme, lui qui tente tout pour le délivrer, qui en a non seulement la puissance, mais encore le désir, remarquez ce Pilate: finalement il cède et suit la volonté de la populace qui lui crie à tue-tête: «Crucifie! crucifie!»

Il se lave les mains pour témoigner son innocence de la mort de cet homme, mais par là même il constate son crime et MET EN ÉVIDENCE QU’IL AGIT CONTRE SA VOLONTÉ.

Maintenant, suivez cette populace qui pousse Pilate, et vous verrez qu’elle-même est poussée par les Grands-Prêtres.

Parce qu’elle s’agite à flots tumultueux devant le prétoire,

parce qu’elle hurle de ses mille voix,

et parce que le Gouverneur hésite en présence de l’émeute;

Elle se croit puissante, elle est fière de la victoire qu’elle va remporter; elle se dit que, quand elle voudra, elle pourra par le nombre désarmer même le dépositaire de l’autorité légale, et imposer sa propre volonté.

Mais, insensée et stupide! elle n’observe pas ces prêtres hypocrites, qui vont de groupes en groupes souffler le mot d’ordre à son oreille, la haine dans son sein, et faire d’elle, une machine populaire pour accomplir la volonté des grands!

La foule aussi croit commander et ne fait qu’obéir aux Pharisiens qui caressent sa vanité et ses passions.

Et ces Prêtres, ces Sénateurs, ces Scribes, ces Pharisiens, ligués contre le Sauveur, de qui donc remplissent-ils la volonté?

Hélas c’est bien la leur; c’est pourquoi ils sont doublement coupables.

Mais remarquez encore qu'ils se laissent conduire par Judas qui avait pris Satan pour conseiller; en sorte que ceux mêmes qui sont les plus indépendants des hommes agissent encore sous le souffle du Démon et n’ont d'autre puissance que celle que leur prête contre eux-mêmes l’éternel ennemi de leurs âmes!

Où donc est l’être vraiment fort et libre au milieu de ces volontés qui se croisent, se heurtent, se renversent et tombent devant des volontés plus vigoureuses ou mieux cachées?

C’est Jésus qui reste inébranlable, enraciné dans le bien, et qui marche à une mort volontaire.

En vain le Sanhédrin s’efforce-t-il de tirer de sa bouche une parole répréhensible pour le condamner: Jésus se tait, et les juges sont réduits à chercher de faux témoins.

En vain Pilate le pousse à saluer son autorité pour en obtenir une sentence favorable: Jésus lui dit que sa puissance n’est que d’emprunt, et, à cette déclaration, LE JUGE TREMBLE DEVANT L’ACCUSÉ.

En vain Hérode lui demande une parole ou un prodige pour amuser sa cour: Jésus garde le silence et ne veut plus faire de miracle que pour sauver le genre humain.

Le prince est contraint de fléchir devant cette inébranlable volonté qui ne lui jette que le dédain du prisonnier qu’il croyait faire agir.

Enfin, vainement les soldats, les huissiers et la foule, s’efforcent-ils, par leurs insultes et leurs coups, d’arracher une plainte, un cri, un blasphème à cette bouche dont le silence les confond et les condamne: Jésus se tait, marche, prie et meurt, exempt de péché et de faiblesse, sans avoir jamais fait que sa propre volonté.

Ainsi l’a voulu notre Dieu: aussi longtemps que nous nous tiendrons collés au devoir, nous serons libres et puissants, et même en succombant sous les coups des méchants nous ferons notre volonté.

Mais, du moment que nous détrônerons la conscience pour mettre la passion à sa place;

plus de règle sûre, plus de conduite régulière;

dès que nous nous croyons en droit de choisir notre chemin, nous sommes livrés à mille hésitations; nous faisons leur part aux difficultés, à la volonté d'autrui, aux circonstances,

et, après avoir bien marchandé avec le devoir, longtemps lutté avec nos solliciteurs, nous arriverons à mécontenter les uns, à fléchir sous les autres, et en fin de compte à ne pas même satisfaire nos propres désirs.

Honte, honte, à tant de lâcheté!

Redressons la tête, non au-dessus du ciel, mais au-dessus de la terre; non pour nous affranchir de Dieu, mais pour nous affranchir des hommes.

N’ayons qu’un Maître au lieu de vingt tyrans, et ce Maître, notre Dieu, nous rendra plus de liberté, plus de joie, plus de bonheur que si nous eussions en nous-mêmes les puissances réunies d’un Pilate, d’un Hérode, d’un Sanhédrin pour faire mourir Jésus, trois jours après ressuscité!


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CLIXe MÉDITATION.

Lisez Jean XIX, 23 à 42.

La scène de Golgotha contemplée par un incrédule et par un croyant

Remontant dans les siècles passés, je me représente un étranger traversant sur le soir, un vendredi, le mont de Golgotha pour se rendre à Jérusalem.

À la vue d’une foule joyeuse et de trois croix sanglantes, il s’arrête et contemple cet étrange spectacle; mais comme il ne peut le comprendre, il interroge, ici, un passant arrêté qui, comme lui indifférent, regarde, et là, un jeune homme au milieu de quelques femmes en pleurs.

Que font, dit-il, ces soldats, riant et jouant autour de ce manteau de pourpre, de cette longue robe et de tous ces vêtements sans maître?

Ils se partagent les dépouilles de cet homme que tu vois là condamné au dernier supplice, répond le calme spectateur.

Non, dit le jeune homme essuyant une larme, ces soldats accomplissent une prophétie écrite il y a près de mille ans, au Psaume vingt-deuxième: «Ils se partagent mes vêtements» et jettent le sort sur ma robe.» Regarde, en effet: chacun de ces soldats a pris sa part, et la robe, restée seule, est dans ce moment tirée au sort; admirable accomplissement des plus petits détails de la Parole de Dieu!

Mais que fait cet homme armé d’une branche d’hysope, à laquelle il fixe une éponge trempée dans ce vase de terre?

Il se raille du supplicié, répond le passant, et lui donne à boire du vinaigre, porté là pour ces soldats romains.

Non, reprend le jeune homme à la douce figure, il accomplit une autre prophétie de David, qui, faisant parler le Messie, a dit au Psaume soixante-neuvième: «Ils m’ont nourri de fiel et abreuvé de vinaigre

Et ce malheureux, quel crime expie-t-il sur cette croix?

Celui d’avoir usurpé le titre de roi, dit encore le curieux.

Non, répond l’adolescent, il expie les crimes de toutes les générations qui croiront en lui, et sa mort passagère va donner la vie éternelle à des millions de créatures. Entends sa dernière parole: «Tout est accompli;» et à cette heure, écoute son dernier soupir!

Mais pourquoi ces soldats brisent-ils les jambes de deux brigands, tandis qu’ils respectent les os de leur compagnon?

C’est, dit le passant, pour terminer la fête du supplice, avant de commencer la fête de Pâques, que nos grands prêtres font expédier les deux premiers, et s’ils ne touchent pas au troisième, c’est qu’il est déjà mort.

Non, ces soldats, instruments aveugles de la prophétie, accomplissent cette parole du Psalmiste: «Pas un de ses os ne sera brisé

Et pourquoi chez vous, peuple juif, qui lapidez les criminels, a-t-on choisi la croix pour faire mourir cet homme?

Parce que c’est le supplice qu’imposent aux esclaves les lois de nos maîtres, les Romains.

Non, mais parce qu’il est encore écrit: «Ils ont traversé mes pieds et mes mains, et ils regardent vers moi, qu’ils ont percé

Voilà donc les mêmes faits, vus par deux hommes différents; jugés par l’un comme des circonstances toutes vulgaires, qui ne valent pas la peine d’être regardées; et pris par l’autre pour des événements merveilleux, tels qu’il ne s’en est jamais accompli et ne s’en accomplira jamais sur la terre.

C'est ainsi que tous les jours des hommes découvrent dans le spectacle de la nature la manifestation éclatante d’un Dieu tout bon et tout puissant; tandis que d’autres n’y voient qu'un peu d’herbe, un peu d’eau, un peu de vent, éclairé d’un peu de lumière, toutes choses très ordinaires, car on les a toujours vues!

Oui, la nature et la grâce sont pleines de merveilles; sur chaque point de la Bible et de la terre brille un rayon de la Divinité. Mais, dans la grâce comme dans la nature, tout est terne, tout est silencieux, pour celui qui a des yeux pour ne point voir, et des oreilles pour ne point entendre.

Oh! si nous savions observer tout ce qui se passe de merveilleux autour de nous, combien d'événements, que nous jugeons aujourd’hui sans importance, prendraient du prix à nos yeux!

Un monde tout nouveau nous apparaîtrait à travers ce vieux monde, nous reconnaîtrions la sagesse de Dieu, où nous n’apercevons aujourd’hui que le chaos des hommes; derrière ces actions qui se pressent sur la scène, nous découvririons les fils directeurs de la Providence, et dans les plus grands comme dans les plus petits traits de l’histoire se vérifierait pour nous cette remarque: «l’homme s’agite, et Dieu le mène

Mais c'est surtout dans notre propre histoire que nous pourrions tirer du fruit d’une attentive observation.

Ici, nous nous irritons contre la rude épreuve que Dieu destine à nous sanctifier;

là, nous appelons hasard heureux la délivrance que, depuis longtemps, ce Dieu nous avait préparée;

et finalement, nous subissons le fait matériel, sans en comprendre le sens divin!

Nous voyons mourir un homme, percer ses mains de clous, abreuver sa bouche de fiel, et nous ne voyons pas, sous ces circonstances extérieures, se vérifier les prophéties et s’accomplir le salut du genre humain.

Encore une fois, regardons, écoutons, et tout autour de nous murmurera le nom de Dieu, parlera de sa Providence et réchauffera notre cœur.

Si nous fermons les yeux, le soleil n’en brillera pas moins sur nos têtes, et quand il sera derrière l’horizon, ce sera une mauvaise excuse que de dire que nous ne l’avons pas vu.

Le soleil de justice est levé; il éclaire chaque page de la Bible; la Providence de Dieu chemine; elle accompagne chaque jour de notre vie; quand notre carrière sera fournie, ce sera une mauvaise excuse aussi que de dire que nous n’avons rien vu; tout n’en aura pas moins marché, et, comme le dit Jésus, bien que dans un sens diamétralement opposé, nous pourrons dire:

«Tout, tout est accompli


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CLXe MÉDITATION.

Lisez Jean XX.

Jésus après sa résurrection

Le Sauveur est ressuscité et continue à vivre sur la terre; mais sa vie a pris un tout autre caractère.

Sans doute, avant comme après sa résurrection, Jésus est pur, saint, digne d’adoration; ce n’est donc pas dans ce sens que nous le trouvons différent de ce qu’il était jadis.

Mais comme aujourd’hui, Il se trouve dans de tout autres circonstances, son caractère se montre sous un autre aspect; en sorte que la convenance parfaite de ses actions et de ses paroles dans ces deux positions devient une preuve de plus de sa divinité.

Comparons entre elles les deux périodes de cette admirable existence, et l’on saisira mieux la remarque que nous venons de faire.

Avant sa mort, Jésus vivait constamment au milieu du peuple, fréquentait le Temple, censurait les Pharisiens, guérissait les malades; enfin se montrait actif sur tous les points de la Galilée et de la Judée.

Aujourd’hui, au contraire, ni le peuple, ni les grands ne le voient apparaître dans leur ville, ni dans leur Temple. Il n’instruit plus la foule, ne guérit plus les malades, et ce n’est même qu’à de longs intervalles qu’il accorde à ses Apôtres des apparitions, assez rares pour que l’Évangéliste prenne soin de les compter.

Pourquoi cette différence ?

Elle s’explique par la mission même que Jésus est venu remplir sur la terre. Le Sauveur est venu expier nos péchés par sa mort; sa mort est accomplie, sa mission est donc terminée, et s’il agit encore de loin en loin avec les siens, c’est comme un père de famille qui, à la veille d'un long voyage, fait ses préparatifs de départ.

Quand il se montre à ses Apôtres, c’est moins pour les instruire qu’afin de les bien convaincre de sa résurrection.

Ainsi aux deux disciples d'Emmaüs, ainsi aux saintes femmes, ainsi dans la retraite fermée des Apôtres, Il se montre, fait toucher ses mains et son côté; Il mange, non par besoin, mais pour prouver que c’est Lui, et non pas un esprit.

C’est qu’en effet il n’avait pas à instruire davantage ceux auxquels il allait envoyer le Saint-Esprit; et en se taisant Il nous montre la sincérité de sa promesse; comme plus tard l’intelligence des Apôtres, tout à coup développée, nous montrera sa promesse réalisée.

Dans ses diverses apparitions, après sa résurrection, Jésus agit par de tout autres voies que jadis.

Ainsi il donne rendez-vous en Galilée à ses Apôtres, mais sans les accompagner, comme autrefois;

Il apparaît à Marie, mais sans que Marie sache d’où Il vient;

Il arrive dans une chambre fermée, mais sans qu’on sache comment Il y est entré;

Il mange du pain et du miel, non plus pour se nourrir, mais pour constater sa résurrection.

Son existence n’a plus rien de terrestre, Il est déjà d’un autre monde, déjà glorifié; et s’il se montre encore par moments sur la terre, c’est sans y être soumis aux nécessités de la vie humaine.

C’est qu'en effet, comme Il l’avait dit en expirant, «TOUT ÉTAIT ACCOMPLI,» Il avait été fait chair et victime expiatoire; à cette heure, habitant des Cieux, Il ne fait plus que visiter la terre; ne vit plus d’elle ni sur elle.

Semblable à l’arc radieux et fugitif de Noé, Il effleure du pied notre monde, passe rapide et ne se montre que pour témoigner aux hommes l’alliance de paix.

Enfin, les instructions que Jésus donne à ses Apôtres, après sa résurrection, respirent un calme qui semble d’un autre monde. Quand jadis l’incrédulité empêchait ses Apôtres d’accomplir un miracle, Jésus s’écriait: «Ô race incrédule! jusqu’à quand vous supporterai-je?» Mais aujourd’hui, quand une incrédulité non moins grande fait dire à Thomas: «Si je ne vois la marque des clous, et si je ne mets la main dans son côté, je ne croirai point;» Jésus lui montrant ses mains percées et son côté entr’ouvert, lui dit avec douceur: «Regarde, touche et ne sois plus incrédule

Comparez encore les paroles de Jésus à Pierre avant et après sa mort lorsque, dans un mouvement de compassion que chacun de nous comprendra, Simon dit à Jésus prédisant ses prochaines souffrances: «A Dieu ne plaise, Seigneur, que cela t’arrive!» le Sauveur lui répond avec une ardeur qui étonne nôtre pauvre humanité: «Arrière de moi, Satan; tu m’es en scandale!»

Mais aujourd’hui, après sa résurrection, venez voir avec quelle douceur extrême ce même Jésus reprend une faute que nous-mêmes sentons, devoir être bien plus, grave; écoutez comment Il punit Pierre de l’avoir trois fois renié: Il lui dit par trois fois: «M’aimes-tu?»

L'allusion n’est-elle pas très-intelligible; et cependant peut-on, la concevoir plus douce?

Voilà comment la conduite de Jésus, étudiée jusque dans ses plus petits détails, se trouve en parfaite harmonie avec toutes les circonstances qu’elle traverse: toujours admirable, toujours divine; mais d’une divinité changeant d’aspect et se, colorant des objets qui l’entourent, comme le ciel étendu sur nos têtes reste toujours le ciel admirable et divin, qu’il reflète le jour la lumière du soleil, ou, la nuit, celle des étoiles.

Et maintenant, qu’on nous dise comment une plume humaine, une plume menteuse aurait pu si parfaitement approprier une vie supposée à des événements, imaginaires?

Qu’on nous dise si la réalité ne palpite pas dans chacune de ces lignes évangéliques, et si nous serions plus certains de l’existence de Jésus en la voyant passer rapide sous nos yeux, comme l’ont vue les Apôtres, qu’en l’étudiant à loisir, comme il nous est donné de le faire aujourd'hui.

Non, non, la divine clarté de l’Évangile ne manque pas plus à nos cœurs que la clarté du soleil à nos yeux; il suffit de regarder, et si un de nous était né aveugle, à lui encore il suffirait de prier pour recouvrer la vue, croire et être enfin sauvé.


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CLXIe MÉDITATION.

Lisez Jean XXI.

Le véritable repentir

Qu’est-ce que le véritable repentir, le repentir chrétien, celui qui décèle l'action de la grâce sur le coeur?

En un mot, quel est le repentir qui démontre la conversion?

La conduite de Pierre va nous répondre.

Pierre a commis une faute grave; il le sait; ses pleurs amers en sont la preuve.

Aujourd’hui, Jésus veut la lui faire sentir, et lui adresse cette simple question; «Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu?»

Cette question, bien que douce, a quelque chose de blessant, parce qu’elle suppose dans le coeur de Jésus un doute sur l’amour de son disciple.

Jadis Pierre y eût répondu avec cette véhémence qui lui avait fait dire; «Je te suivrai en prison et à la mort»

Mais aujourd’hui il est tombé; il se défie de lui-même, et, loin d’en appeler à la vivacité de ses sentiments, il invoque la toute-science de Jésus, et répond; «Seigneur, tu sais que je t’aime.»

Et comment oserait-il se fier à lui-même, lui qui a déjà pesé ce que valent ses meilleures résolutions et ses plus vifs sentiments?

Il sait bien qu’il aime son Dieu; mais jusqu'où?

C’est ce qu’il n’oserait dire; il l’ignore lui-même, et il se contente d'en appeler à ce que sait son Maître.

Tel est l’homme repentant qui vient à la foi:

il a la conscience de sa repentance;

il sait qu’elle est réelle; mais il n’ose affirmer ni qu’elle soit profonde, ni qu’elle doive être durable.

Il ne songe guère à s’en vanter, surtout il n’en parle que rarement aux autres, pas plus que Pierre, invitant ses condisciples, non à l’écouter, mais à aller prêcher avec lui.

Ce chrétien en parle à son Dieu, mais avec mesure, simplicité, et s’en rapportant à l’appréciation du Seigneur.

Jésus renouvelle sa question à son Apôtre, et pour la rendre plus significative, Il la répète dans Ies mêmes termes: «Simon-Pierre, m’aimes-tu?»

Cette insistance de Jésus semble autoriser l’Apôtre à faire des protestations plus énergiques; mais non, il se borne à répéter sa réponse.

C’est que la repentance la plus sincère est encore timide;

elle contemple plus les fautes qui l’ont amenée qu’elle n’ose se contempler elle-même;

elle pleure sur le passé, et, sans douter du présent,

elle n’a pas encore la force de s'en réjouir.

Aussi, lorsqu’un ami chrétien viendra demander à ce frère naissant s’il est bien assuré de son repentir, ce chrétien nouveau-né, comme le fils de Jonas, l’affirmera; mais sans emphase, et plutôt avec une craintive défiance.

Jésus sait, à n’en pas douter, que son Apôtre l’aime; mais il poursuit un autre but en répétant encore sa question, et pour la troisième fois II lui dit: «Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu?»

Il est impossible que Pierre n’aperçoive pas maintenant l’intention de son Maître, qui veut le punir en manifestant son doute sur son amour, et en lui rappelant la faute qui l’autorise à en douter.

Que fera Pierre?

Sa repentance est vraie; il le sait, il le sent, il ne peut en douter, lui, malgré le doute apparent de Jésus. Il répétera donc la même affirmation, en employant toutefois une expression un peu plus vive: «Seigneur, tu sais toutes choses, et tu sais que je t’aime.»

Si donc la repentance est vraie, elle pourra être vive et cependant se montrer calme; se produire sans démonstration comme sans désespoir; elle fuira ces cris, ce bruit, ces larmes publiques et bruyantes; mais en même temps, dans le secret du cabinet, elle osera dire à son Dieu: «Tu sais toutes choses, et tu sais que je t’aime!»

Enfin, rappelons la remarque de l’Évangéliste: «Pierre fut attristé de ce que le Seigneur lui avait dit pour la troisième fois: M’aimes-tu?»

Mais d’où vient sa tristesse?

Serait-ce de ce qu’il craint de n’être pas pardonné?

Non, car Jésus, par deux fois, lui a dit: «Pais mes brebis.» La tristesse de Pierre a une source plus pure: elle vient de ce que Jésus, en lui répétant trois fois sa question, lui rappelle son triple reniement, et lui témoigne son propre déplaisir.

Voilà donc aussi la source de la tristesse du chrétien repentant:

ce n’est pas d’avoir exposé son salut; non, son salut est acquis et assuré;

ce n’est pas la crainte d’avoir irrité son Dieu contre lui; non, il est pour toujours réconcilié:

ce qui l’attriste, ce n’est ni des dangers pour l’avenir, ni des remords sur le passé;

mais c’est d’avoir lui-même attristé son Dieu en faisant le mal;

c’est de s’être montré ingrat et d’avoir donné le droit de douter de son amour.

Est-ce là notre repentir, lorsque nous tombons dans quelques lourdes fautes?

Dans ce cas, ayons confiance: c’est le repentir de Pierre, le repentir chrétien, le repentir qui accompagne le salut.

Mais, au contraire, estimons-nous notre repentir profond?

En faisons-nous étalage dans le monde?

Craignons-nous en secret que nos fautes ne soient trop grandes pour être pardonnées, ou qu’elles ne nous aient fait perdre un pardon acquis par Jésus-Christ?

Alors notre repentance n’est pas chrétienne, ou, si du moins elle est selon l’Évangile, elle n’est pas encore arrivée à maturité.

Tant parler de son repentir, c’est s’en faire un mérite; comme craindre encore pour ses péchés, c’est douter des mérites de Jésus.

Le but du repentir n’est pas seulement d’amener par la foi au salut,

mais aussi à l’assurance du salut qui produit l’amour.

Et comment aimer un Sauveur qui nous laisse gémir, un Sauveur dont on n’est pas sûr, un Sauveur qui nous abandonne suspendu entre le Ciel et l’enfer?

Ne cherchons donc pas un motif de sécurité en nous, non pas même dans la valeur de notre repentir; mais UNIQUEMENT DANS LE PARDON DE CHRIST; et à ceci nous reconnaîtrons si nous croyons à la plénitude de ce pardon, si nous redoutons le péché, non pour ses conséquences funestes à notre égard, devenues impossibles, mais si nous redoutons le péché dans notre vie pour la blessure qu’il fait à la gloire de Dieu et au cœur de Jésus-Christ.


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CLXIIe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres I.

Les apôtres regardent Jésus monter au Ciel

La dernière heure que Jésus doit passer sur là terre est venue.

Les Apôtres l’ignorent.

Leur Maître les conduit sur la montagne des Oliviers. Après leur avoir promis le Saint-Esprit et donné l’ordre d'aller prêcher l’Évangile par toute la terre, il les bénit, et en les bénissant, ô prodige! Jésus, enveloppé d'une nuée, se détache lentement de la terre et s’élève vers le ciel.

Les Apôtres, stupéfaits, gardent le silence, admirent, et le suivent des yeux. Il monte, monte toujours; en sorte que la distance rend bientôt son mouvement imperceptible à la vue. N’importe, les Apôtres restent immobiles; leurs yeux sont cloués sur ce point bienheureux qu’ils aperçoivent encore.

La nuée lumineuse et son hôte divin s’enfoncent dans l’azur des cieux et disparaissent enfin au regard le plus perçant et le mieux soutenu. Mais les Apôtres, infatigables; plongent toujours leurs regards dans l’infini de l’espace, et si leur œil he peut suivre Jésus-Christ qu’au terme de son voyage, leur pensée achèvera la route!

Oh! Comme notre cœur comprend bien ce sentiment et ce regard! Sans être un des Apôtres, on peut facilement ici se mettre à leur place, pénétrer leur pensée en sondant la Sienne propre.

Jésus, notre maître, notre ami, est parti.

C’est Lui qui monte sur cette nue, Lui qui s’enfonce dans la profondeur des airs; et sans doute c’est auprès de ce Père, dont Il nous a si souvent parlé, qu’ll se rend. Je l’aperçois encore, mais c’est avec peine; ma vue se trouble; mais non, c’est Lui qui disparaît! Où est-Il maintenant?

Il touche peut-être à cette heure au terme de sa course; Il entre dans ce ciel qui a Dieu pour soleil, les anges pour étoiles, et pour atmosphère la sainteté et le bonheur. Quelle joie, quel triomphe à son entrée!

Mais quel est ce lieu que j’ai tant de peine à me figurer?

Quelle est sa forme, sa place, sa grandeur?

De quelle occupation l’éternelle journée y est-elle remplie?

De quête plaisirs le cœur peut-il y tressaillir?

Y revoit-on ses frères?

Renoue-t-on là-haut les amitiés interrompues ici-bas par la mort?

Une langue commune transmet-elle les pensées?

Y verrons-nous Dieu? Et ce Dieu, que sera-t-il à notre vue?

Oh! que ne puis-je pénétré ces mystères, que ne puis-je à l’instant, frappant du pied la terre, m’élever aussi sur la trace lumineuse de mon Maître!

Que ne puis-je quitter ce monde de douleur et de péché!

Que ne puis-je déjà vivre, aimer, jouir, comme on vit dans le Ciel, comme on aime près de Dieu, comme on jouit dans l’éternité!

«Hommes galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au Ciel?» viennent dire à cet instant deux personnages splendides de blancheur, interrompant ainsi le regard et la méditation des Apôtres.

Hélas! on sent bien, à cette seule parole, que ce n’est pas un homme, mais un Ange qui parle. Un homme aurait bien compris, lui, ce pourquoi, et il n'eût pas fait une telle question.

Mais le Seigneur ordonne,

le regret doit se taire;

le devoir, écouter.

Oui, que ce regard levé vers les Cieux redescende sur la terre.

Si nous sommes avides de bonheur, d’autres le sont aussi; et CEUX-LÀ SOUFFRENT ICI-BAS SANS ESPÉRANCE.

Nous; chrétiens;

NOUS POUVONS ATTENDRE; le ciel nous appartient:

EUX NE LE PEUVENT PAS; et s’ils meurent aujourd’hui, ILS MEURENT CONDAMNÉS.

Courons donc à leur secours, portons-leur cet Évangile, allons leur témoigner ce que nous avons vu. Peut-être nous Croiront-ils, et de nouvelles âmes seront sauvées.

Oui, c’est un danger à signaler aux chrétiens, que de se renfermer dans une vie contemplative, et de fuir le monde sous prétexte de fuir le péché, et peut-être en réalité pour mieux savourer nos espérances célestes, en secouant l’obligation qui nous appelle auprès du lit de tant d’hommes malades de vices et d’incrédulité.

Ne séparons pas ce que Dieu a joint: LE PRIVILÈGE ET LE DEVOIR!

Ou plutôt reconnaissons que c’est un privilège, et le plus grand de tous, que de redescendre sur la terre après la méditation et la prière, pour y travailler à l’avancement du règne de son Dieu autour de soi et en soi-même.

Nous contemplerons plus tard, agissons aujourd’hui;

nous jouirons un jour, sanctifions-nous maintenant,

car l’heure vient où il n’y aura plus de temps, plus de travail, plus de sanctification à accomplir.

À l’oeuvre, chrétiens, pendant cette courte vie; il nous restera toujours une éternité pour jouir et contempler!


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CLXIIIe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres II, 1 à 21.

La Pentecôte

Après le départ de Jésus, de quoi se composait toute l’Église chrétienne sur la terre?

Luc vient de l’avouer: elle se réduisait à cent vingt personnes, cent vingt personnes cachées dans une chambre haute.

Aujourd’hui, de combien de membres se trouve formée cette même Église sur cette même terre? De deux cent cinquante millions. (Le texte a été écrit en 1848)

Qui nous expliquera ce merveilleux changement?

Qui nous expliquera surtout la rapidité avec laquelle le christianisme se propagea dans les temps apostoliques, rapidité telle qu’au bout de trente ans on trouvait déjà des chrétiens sur tous les points de l’Empire romain?

Ce fait dont nous avons la preuve matérielle dans l’état actuel de la chrétienté, ce fait, si l’on veut en chercher l'explication dans des causes humaines, ne peut donner lieu qu’à une de ces trois suppositions: le christianisme s’est si rapidement établi et répandu

1. Ou par la force des armes,

2. Ou par le prestige de l’autorité,

3. Ou enfin par le profond génie de ses promoteurs.

Or, les Apôtres eurent-ils recours aux armes? Leurs plus violents ennemis ne les en ont jamais accusés: au contraire, on leur a fait un crime de se faire martyriser!

Les Apôtres mirent-ils en jeu quelques puissants ressorts politiques? Étaient-ils princes ou rois, pour captiver les peuples ignorants par le prestige de l’autorité?

Non: ils étaient, au contraire, persécutés par les rois et par les princes: Hérode fait trancher la tête à Jacques; les chefs de la synagogue emprisonnent Pierre et Jean; Néron décapite Paul.

Les Apôtres se firent-ils tribuns, pour soulever les peuples contre leurs tyrans, au nom de la liberté?

Loin de là: ils prêchèrent l’obéissance non seulement aux puissances fondées sur la justice, mais à toute puissance établie; et il est à remarquer que la nation juive, qui attendait un Messie conquérant, la nation juive qui, avant, pendant et après l’établissement du christianisme, se montra toujours disposée à suivre à la révolte les premiers instigateurs venus, et qui fut enfin écrasée par les Romains pour s’être soulevée, la nation juive n’eut jamais la pensée de conquérir sa liberté sous la bannière des Apôtres; elle fut, au contraire, leur première persécutrice, et plus d’une fois les traîna devant les proconsuls romains.

Ces Apôtres étaient-ils donc des génies qui, par la hardiesse de leur conception, la hauteur de leur intelligence, l'entraînement de leur parole, enfin par leur adresse à manier l’esprit humain, soient parvenus à s’attirer l’admiration des peuples?

En tous cas, remarquez que ces génies n’avaient pas encore compris leur Maître après avoir vécu trois ans à ses côtés:

Dix jours avant la Pentecôte, ils croyaient avoir un royaume matériel à fonder sur la terre, et non un empire spirituel à jeter dans les âmes.

Ces génies avaient fait leurs études sur la grève du lac de Génésareth, entre une barque et des filets, ou sur le comptoir d’un péager.

Ces génies «ne comprenaient pas ce que c’était que ressusciter des morts», eux qui fondèrent plus tard une religion dont ce dogme fait la hase.

Ces génies ne surent pas prévoir qu’on leur opposerait la prison et l’échafaud, et ils eurent assez peu de bon sens pour ne pas se retirer quand ils virent que leur sang devait être le ciment de leur édifice!

Ces douze génies étaient ambitieux sans doute, puisqu’ils voulaient fonder une religion à leur gloire?

Cependant ils eurent la sottise de ne travailler qu’à la gloire de leur Maître, et de s’humilier eux-mêmes; et ce qui est plus étonnant, tout ambitieux qu’ils étaient, chacun pour son propre compte, ils ne se divisèrent jamais entre eux: quand une population

gagnée à leur foi, se disait disciple de Paul ou d’Apollos, Paul se levait aussitôt et leur écrivait avec indignation: «Qui est Paul? Qui est Apollos? Rien! Vous êtes de Jésus-Christ!»

Les trois suppositions que nous venons de faire se sont une fois trouvées réalisées et réunies dans l’histoire sur des hommes aussi héritiers d’un être qui se disait Dieu devant sa mort.

Ces hommes avaient moins de prétentions que les Apôtres: chacun n’aspirait qu’à un royaume restreint; ensuite, leur tâche était bien plus facile, car l’empire qu’ils devaient se partager était déjà dans leurs mains; et pour se le conserver, ces hommes avaient l’armée la plus nombreuse qui jamais ait pesé sur la terre, les trésors les plus vastes, dépouilles de vingt rois; un courage personnel qui les avait conduits à la conquête du monde.

Or, avec tout cela, comment ont réussi ces hommes, héritiers de rois, généraux d’armées?

Hélas! en quelques jours ils se sont divisés entre eux, déchirés les uns les autres; et en peu d’années avaient déjà disparu de la terre les trônes, les familles et l’autorité dès successeurs d’Alexandre-le-Grand!

Les Apôtres de Jésus-Christ n’avaient, pour fonder leur empire, ni ces armes, ni ces trésors, ni cette autorité, ni ce génie; ils n’avaient rien, et cependant ils ont réussi.

Qui nous expliquera maintenant ce fait, aussi irrécusable qu’extraordinaire?

C’est une seule parole de la Bible:

«Le jour de la Pentecôte, ces hommes reçurent le Saint-Esprit!»

Nous pourrions éclater en justes exclamations sur l’évidence de cette démonstration, mais elle apparaît si forte, que nous aimons mieux la laisser dans toute sa simplicité, nous en reposant sur ce Saint-Esprit lui-même pour la faire pénétrer dans les cœurs et porter des fruits de foi et de sanctification.


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CLXIVe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres II, 22 à 47.

L’Église primitive se rendait agréable au peuple

Quel touchant tableau nous présente l'Église primitive! On croit lire une scène de la vie des Anges, et l’on retombe triste, en songeant au disparate qu’on eût produit soi-même au milieu d’une telle Église. . . ou, peut-être, aime-t-on mieux se dire que si les chrétiens de nos jours eussent été déplacés dans l’église de Jérusalem, soi-même, en particulier, on y eût mieux harmonisé.

C’est-à-dire que chacun de nous pense que s’il ne vit pas aussi chrétiennement qu’il le devrait, cela ne tient pas tant à lui qu’à ceux qui l’entourent, et qu’il ne lui manque pour être saint, que de vivre au milieu des saints.

Ruse de notre cœur, qui prouve bien elle-même que nous sommes loin de ressembler à ces frères dont l'un des traits caractéristiques consistait précisément à VIVRE EN CHRÉTIENS AU MILIEU DE CEUX QUI NE L’ÉTAIENT PAS «se rendant agréables au peuple,» est-il dit.

Étudions donc cette parole, et jugeons-nous ensuite à son égard.

Le peuple auquel les chrétiens primitifs se rendaient agréables n’était pas celui de leurs frères en la foi; car avec ceux-là, il est dit qu’ils partageaient leurs biens: mais c’est le peuple de Jérusalem, le peuple indifférent, le peuple incrédule, le peuple pécheur; ce même peuple qui cinquante jours auparavant avait poursuivi Jésus sur Golgotha.

Voilà le peuple auquel les chrétiens cherchaient à se rendre agréables.

Se rendre agréable ne signifie pas ici prêcher l’Évangile, car nous savons qu’annoncer Christ, c’est bien souvent déplaire.

Mais cette expression désigne ici plutôt une manière d’agir qu’une action;

une conduite plus en rapport avec les affaires de la terre qu’avec le royaume des Cieux:

un service rendu, même avant qu’il soit sollicité;

de la prévenance pour qui n'attend rien de nous;

du support pour qui est exigeant;

de la patience envers les faibles;

un accommodement aux misères de chacun,

ce sourire du cœur; cette main caressante,

cette parole douce,

et par dessus tout cette humilité qui permet aux plus petits, comme aux plus méchants, de passer près de vous sans se piquer à l’une de vos prétentions.

C’est la bonne odeur de l’Évangile répandue sur tous ceux qui approchent le chrétien, semblable à celle de la modeste fleur qui se cache sous l’herbe et envoie son parfum même à ceux qui la foulent aux pieds.

Voilà ce que faisaient les chrétiens du premier siècle; pouvons-nous dire que ceux du dix-neuvième les imitent en cela?

Nous rendons-nous agréables au peuple encore étranger à la foi?

C’est à ce peuple incrédule à répondre; lui seul peut dire si nous lui sommes agréables; car,

s’il se trompe quand il juge nos doctrines,

il ne se trompe pas quand il rend compte de l’effet que nous produisons sur lui.

Or, cet effet, nous le lui avons entendu plus d’une fois exprimer; et s’il fallait le rendre par un seul mot, c’est celui de désagréable qu'il faudrait employer.

Oui, en général, les chrétiens se rendent désagréables au monde; c’est le monde qui le dit, c’est le monde qui le sait:

DÉSAGRÉABLES par un air de juge qu’ils prennent envers ce monde, leur égal devant Dieu, et qui fait plutôt sentir la condamnation du serviteur que le pardon du Maître;

DÉSAGRÉABLES par ce ton tranchant d’autorité qui ne permet pas la réplique et qui irrite au lieu de calmer, qui éloigne au lieu d’attirer, qui fait haïr au lieu de faire aimer;

DÉSAGRÉABLES par ces saintes paroles lancées comme des dards envenimés à l’honneur du combattant et non à la gloire de Dieu;

DÉSAGRÉABLES par cet orgueil spirituel qui perce de toutes parts, et qui, semblable à la cuirasse du porc-épic, ne laisse personne s’approcher sans danger d’être blessé.

Eh! que serait-ce si ce peuple, si ce monde pouvait entendre ces conversations privées où les chrétiens parlent de ses fautes, de ses vices, avec ce plaisir du chirurgien qui dissèque et étudie, et non avec cette tendre compassion de la mère qui touche légèrement la plaie pour la laver; écouter ces prières en sa faveur, faites avec le ton du Pharisien qui dit: «Je ne suis pas comme ce péager;» oh! comme ce peuple, ce monde s’éloignerait rapidement de cet Évangile dont aujourd’hui il se contente de ne pas s’approcher.

Ah! ce n’est pas ainsi que notre Dieu se conduit à l’égard de ces mêmes hommes: son soleil brille sur tous, sa pluie tombe sur tous; Il aime ceux qui l’aiment et ceux qui le haïssent, la brebis qui s’égare est précisément celle qu’il cherche, celle après laquelle Il court:

non pour la ramener sanglante sous son fouet,

mais portée sur ses épaules.

Ayons donc quelque chose de notre Maître, si nous sommes ses disciples; ne nous montrons pas moins chrétiens en sanctifiant notre vie qu’en réclamant nos privilèges.

Le chrétien véritable s’oublie lui-même,

compatit aux misères d’autrui;

il se fait doux, humble, affable, petit;

on l’aborde avec facilité,

on lui parle avec plaisir,

on revient à lui avec empressement, et il laisse à tous un doux souvenir des rapports qu’ils ont eus avec lui.

Voilà ce que faisaient les chrétiens de la primitive Église, et voici ce que saint Luc ajoute aussitôt comme une conséquence naturelle de leur conduite:

«Et le Seigneur ajoutait tous les jours à l’Église des gens pour être sauvés.»


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CLXVe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres III.

Guérison d’un impotent par l’apôtre Pierre

Ces méditations portant chacune sur un point spécial, afin d’être mieux comprises et plus utiles, ne doivent pas dispenser ceux qui les lisent ou les écoutent de creuser eux-mêmes les passages qui ne sont pas ici développés.

La Bible est une source intarissable de science et d’édification que nous n’épuiserons jamais, pas plus que le creux de notre main, sans cesse rempli et vidé, n’épuiserait l’Océan; pas plus que notre œil, s’enfonçant toujours dans l’abîme des cieux, ne parviendrait à compter les étoiles nous apparaissant toujours plus nombreuses dans notre ascension dans l’espace.

Ainsi, les trésors que nous découvrirons dans l’Écriture sainte ne seront jamais proportionnés à ceux qui s’y trouvent, mais toujours en rapport de l’étude que nous ferons du livre; et cette étude sera fructueuse pour notre âme selon la mesure de foi, de prière et d’humilité dont nous l’aurons entourée.

Pour donner la preuve de ces richesses cachées dans la Parole de Dieu, et fournir un exemple de la manière dont on peut les découvrir, prenons un seul des versets de ce chapitre, et faisons-en jaillir, non les pensées que tout le monde peut y voir en y jetant les yeux, mais celles qui ne se laissent découvrir qu’à l’oeil qui fouille avec attention et persévérance.

Voici le verset que nous choisissons:

«Pierre lui dit: je n'ai ni or, ni argent, mais ce que j’ai, je te le donne; au nom de Jésus-Christ le Nazaréen, lève-toi et marche.»

Et d’abord examinons ces mots: «je n'ai ni or, ni argent.»

Ce ne sont pas des pièces d’or ou d’argent qu’un mendiant s’attend à recevoir; il est heureux de la plus petite monnaie de cuivre, En s’exprimant ainsi, Pierre fait donc comprendre non seulement qu’il n’a pas de l’or ou de l’argent à donner, mais encore qu’il n’en possède pas pour lui-même; en d’autres termes, il nous apprend qu’il est pauvre. Et cependant les chrétiens convertis par lui étaient déjà venus nombreux déposer leur fortune à ses pieds.

Pierre n’y avait donc pas touché; il avait donc laissé pauvres et riches se répartir ces biens selon leurs besoins, et n'avait accepté pour lui-même que le pain du jour, la couche du soir, sans même retenir la pite à donner au mendiant.

Pierre était resté pauvre à la tête de l'Église qui croissait à vue d’œil dans Jérusalem; voilà |a première leçon cachée que renferme cette parole.

Poursuivons.

«Mais ce que j’ai, je te le donne.»

«Mais», dit Pierre. Ne semble-t-il pas qu’il va donner moins que de l’or et de l’argent? Moins même que l’obole attendue?

Et cependant il donne incomparablement plus:

Il donne la santé!

C’est ainsi que le chrétien, précisément à l’inverse du monde, parle avec modestie, et agit avec largesse; promet peu, et tient beaucoup.

Exemple de modération dans le langage, telle est la seconde leçon cachée dans ce verset.

Continuons.

«Au nom de Jésus-Christ le Nazaréen.»

On se souvient que c’est pour s’être dit le Christ que Jésus a été condamné; Pierre le sait, et cependant c’est ainsi qu’il le nomme, avec une intention marquée; et ce qui le prouve, c’est qu’il avait déjà dit: «Sachez que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié.»

Il y avait donc du courage de sa part à rappeler les prétentions de son Maître, quand il aurait pu se borner à faire le miracle, et peut-être se concilier la bienveillance en parlant au seul nom de Jésus.

En second lieu, Pierre nomme le Sauveur le Nazaréen, c’est-à-dire qu’il avoue que Jésus était de cette ville d’où les Juifs n’attendaient rien de bon, et qui, disait-on, n’avait jamais produit un seul Prophète. Il y a donc encore, dans cette qualification qui donne une patrie méprisée à son Seigneur, une pensée d’humilité, comme dans celle de Christ il y en avait une de courage, et ce rapprochement de mots fait sentir que la souveraine grandeur ne craint pas de se mêler à l’infime petitesse; que Dieu n’a aucun égard aux lieux, aux temps, au rang, enfin à aucune de ces apparences qui flattent les yeux et les oreilles de l'homme.

Courage et humilité en même temps dans le même homme, voilà l’exemple qui découle ici de ces deux mots: «Christ» et «Nazaréen

«Lève-toi et marche

Ces paroles de Pierre au mendiant sont précisément les mêmes que le Sauveur adressait jadis aux paralytiques. Pierre fait sentir ici qu’il n’est que le simple Disciple de Jésus-Christ, et qu'il s'honore de l’imiter jusque dans les plus petites choses, même dans une forme de langage.

Un homme du monde, parlant de l’imitation d’un modèle humain, appellerait cela peut-être une imitation servile; mais le sentiment chrétien change la valeur des mots; et la servilité, quand il s’agit d’imiter Dieu, devient de la sainte servilité!

Non seulement le Disciple marche au but où Jésus se dirige, mais encore pose ses pieds dans l’empreinte laissée par son Maître sur la route, en sorte qu’on pourrait croire qu’un seul et même être a passé là.

Arrêtons ici le développement de ces pensées plus ou moins cachées dans ce verset qui disait déjà tant, même, au premier regard, et maintenant précautionnons-nous contre l’écueil qui borde cette étude scrutatrice de la Parole de Dieu.

Nous avons dit qu’en creusant bien le champ de L’Évangile, nous y découvrirons plus d’une perle de grand prix invisible à la surface.

Mais aussi, prenons garde de vouloir en extraire ce que Dieu n’y a pas déposé; et pour satisfaire notre curiosité et notre orgueil, de prendre les simples pierres du torrent pour des pierres précieuses; ce serait encore manquer les véritables richesses qui s’y trouvent cachées.


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CLXVIe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres IV, 1 à 22.

Pierre devant le Sanhédrin

Deux faits contraires, prouvant la même vérité, frappent dans ce récit:

1. La persistance du sanhédrin dans son incrédulité,

2. Et le changement survenu dans le caractère de Simon-Pierre.

Le sanhédrin avait déjà reconnu la réalité des miracles de Jésus, et, à propos de la résurrection de Lazare, les sénateurs avaient dit: «Que ferons-nous, cet homme accomplit beaucoup de miracles?»

Et ce qu’ils firent fut de mettre Jésus à mort, au lieu de croire en Lui.

Aujourd’hui, les Apôtres continuent l'oeuvre de leur Maître, ils opèrent aussi des prodiges; alors le même sanhédrin se répète: «Que ferons-nous à ces gens; car il est connu de tous les habitants de Jérusalem qu’un miracle s’est accompli par eux?»

Et ce qu’ils font, c'est encore de persécuter les disciples, au lieu de croire au Maître.

Conçoit-on un tel aveuglement?

Non, en vérité; et l’étrangeté de cette persistance n’est égalée que par le merveilleux du changement opéré dans Simon-Pierre.

Comparez la conduite de l’Apôtre dans deux circonstances analogues de sa vie:

1. Devant le sanhédrin réuni pour juger Jésus,

2. Et devant ce même sanhédrin assemblé pour le juger lui-même.

Dans le premier cas, Pierre n’est qu’en bas, dans la cour; il n’est interrogé que par une servante; et cependant il répond, avec lâcheté et blasphème, qu’il ne connut jamais cet homme.

Dans le second, il comparaît devant le tribunal lui-même, et dit avec hardiesse aux Grands-Prêtres: «sachez que c’est au nom de Jésus le Nazaréen, que vous avez crucifié, que cet homme a été guéri. Il n’y a point de salut en aucun autre, et la pierre rejetée par vous qui bâtissez a été faite la pierre angulaire

Et comme on lui défend d’enseigner au nom de Jésus, Pierre répond: «jugez s’il est juste de vous obéir plutôt qu’à Dieu?»

S’explique-t-on un changement à la fois aussi complet et aussi rapide?

À deux mois de distance, la lâcheté et le courage, l’ignorance des Écritures et leur juste application, la présomption et l’humilité?

Non. Et, comme nous l’avons dit, la surprise causée par cette sainte métamorphose ne trouve son égale que dans l'étonnement produit par l’incrédule persistance du sanhédrin.

Mais remarquons encore un point de ressemblance entre Pierre et le sanhédrin, qui rendra plus sensible l’opposition de leur conduite: l’Apôtre, comme les Sénateurs, était convaincu des miracles de Jésus avant de l’avoir renié, tout aussi bien qu’après l’avoir vu monter au Ciel; les prodiges du Sauveur avaient donc laissé Pierre faible, comme les prodiges des Apôtres laissent le sanhédrin incrédule; ce ne sont donc pas ces miracles qui ont fortifié l’Apôtre, pas plus qu’ils n’ont converti les Sénateurs.

Encore une fois, où donc chercher l’explication de cette obstination, d’une part, et de cette révolution, de l’autre?

Dans un seul et même fait:

LA NÉCESSITÉ DU SAINT-ESPRIT POUR CONVERTIR LE CŒUR.

Les membres du tribunal juif ne l’ont pas reçu, voilà pourquoi ils restent toujours les mêmes: incrédules en face du Maître, incrédules en face du Disciple.

Mais Pierre en a été baptisé le jour de la Pentecôte, et voilà pourquoi il est si complètement différent en face des mêmes hommes et après avoir été témoin des mêmes miracles.

Il était donc bien vrai de dire que les deux faits opposés concourent à établir la réalité d’une seule cause: L’ACTION DU SAINT-ESPRIT.

C'est là ce que nous ne saurions trop nous répéter; car ce Saint-Esprit ne fait pas seulement des miracles, tels que la guérison d’un impotent; mais il change les cœurs, comme nous venons de le voir dans l’Apôtre; et si les guérisons corporelles ont marqué les temps apostoliques, les conversions de cœurs sont offertes à tous les siècles, par conséquent au nôtre.

C’est ce même Pierre qui nous le dit, eu s’adressant aux Israélites:

«Vous recevrez le Saint-Esprit; car la promesse en a été faite à VOUS, à VOS ENFANTS et à TOUS CEUX QUI SONT LOIN.»

Eh bien, c’est nous qui sommes loin du temps où parlait l’Apôtre; c’est donc à nous aussi qu’est faite la promesse.

Non, nous ne prenons pas ces paroles assez au sérieux; nous n’avons de l’Esprit Saint que des notions vagues, parce que, le demandant peu, nous le recevons peu.

Quelques-uns de nous, qui pensent peut-être le connaître, ne le connaissent pas, et s’imaginent le trouver dans ces désirs passagers de mieux faire, cette prédilection pour la vertu, belle ou malheureuse.

Ils ne savent pas encore qu’il y a une différence du tout au tout entre avoir et n'avoir pas reçu le Saint-Esprit;

ils ne savent pas que le Saint-Esprit est un être réel, vivant, agissant en l’homme, comme une nouvelle Âme dans un vieux corps, et faisant toutes choses nouvelles dans la créature au sein de laquelle il vient établir sa demeure.

Qu’ils contemplent donc ses œuvres, et ils seront conduits à croire à son existence; surtout qu’ils le demandent, et ils le recevront; car il est offert à tous:

SI TOUS NE LE REÇOIVENT PAS, C’EST QUE QUELQUES-UNS LE REPOUSSENT;

D’autres tournent ses grâces en dissolution; et si personne ne peut s’enorgueillir pour l’avoir reçu, personne non plus ne peut se justifier en disant qu’il ne l’a pas eu dans son cœur; car:

S’il ne l’a pas, c’est qu’il l’a refusé.


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CLXVIIe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres IV, 23 à 51.

Le vrai chrétien se réjouit des succès évangéliques de ses frères

Les Apôtres Pierre et Jean, relâchés par le sanhédrin, viennent rendre compte à leurs condisciples et du miracle qu’il a plu au Seigneur d’opérer par leurs mains, et de leur comparution devant leurs juges.

À peine les autres Apôtres ont-ils entendu ce récit, qu’ils éclatent en actions de grâces et se réjouissent devant Dieu des succès de leurs frères.

Il y a dans cette joie, vive et spontanée, des triomphes obtenus par d’autres, quelque chose qui fait du bien à l’âme du lecteur, et qui, cependant paraît si simple à l’écrivain qu’il ne songe pas même à le faire remarquer.

Oui, rien n’est plus doux, rien n’est plus chrétien que cette communauté de cause, de sentiment, qui fait que chacun se réjouit de ce que les autres font de bien, et des témoignages signalés d’approbation qu’ils obtiennent de leur Dieu.

Il ne faut pour cela rien moins que le fait indiqué vers la fin du chapitre, c’est que tous ces Apôtres, tous ces disciples, tous les membres de cette Église, ne formaient qu’un coeur et qu’une âme et que personne ne disait d’aucune des choses qu’il possédait qu'elle fût à lui, mais que toutes choses étaient communes entre eux.

C’est beaucoup, sans doute, lorsqu’on possède et que les autres n’ont rien, de mettre en commun avec eux ses biens matériels, ses champs et sa fortune; mais c’est beaucoup plus encore pour le pauvre cœur humain, que de renoncer à sa gloire propre pour se réjouir de la gloire d’autrui, même quand cette gloire n’a pour but que le bien général et l’accomplissement de la volonté de Dieu.

Nous avons à cet égard tant de peine à nous défaire de notre moi, qu’il est rare qu’une bonne action accomplie par des mains étrangères ne fasse pas naître en nous l’envie d’en avoir été l’auteur, et peut-être le regret que tout autre l’ait opérée!

Il est vrai que nous nous réjouissons parfois des succès obtenus par des frères; mais, si nous voulons bien nous étudier, nous reconnaîtrons que cette joie vient plus de ce que ces frères ont quelque chose de commun avec nous et de ce qu’ainsi leur gloire rayonne sur notre personne, nos opinions, notre parti, que de toute autre cause.

Nous aimons:

que le bien se fasse, mais surtout par nos mains;

que le règne de Dieu s’avance, mais surtout sous notre influence;

que le monde se convertisse à l’Évangile, mais surtout à nos idées particulières.

Cela est si vrai, que tous nous sommes ardents sur les points secondaires qui nous distinguent de nos frères, et tous assez calmes sur les points principaux qui nous unissent; et si nous reprenons par moments notre zèle à cet égard, c’est quand il s’agit de condamner ceux qui les repoussent.

Cela est si vrai, que si d'autres frères de notre Église, de nos amis, de notre famille même, entreprennent et accomplissent SANS NOUS l’œuvre même que nous avions à cœur, notre premier mouvement est un mouvement d’envie; notre première parole, une parole de critique; et notre vœu final, un vœu sans sincérité, qui nous condamne doublement, puisque la conscience nous oblige de le faire, tandis que notre cœur n’y participe pas!

Quand on se sent animé d’un esprit si différent de celui des Apôtres, on se demande en vérité si l’on est chrétien, si l’on cherche le bien pour lui-même, et non pour en faire un instrument à son propre égoïsme! Ou plutôt on reconnaît combien est profondément vraie cette doctrine chrétienne, que l’homme est un être déchu, radicalement mauvais, et si lent à démolir son vieil homme que ses ruines cachent encore longtemps et obstruent l’édification de la nouvelle créature par le Saint-Esprit.

Et cependant quelle joie pure dans cet oubli de soi-même, qui ferait consentir le vrai chrétien à servir de marchepied à son frère, tendant à la gloire de Dieu!

Que de bonheur pour celui qui sait jouir de tout ce qui se fait de bien avec et sans lui, loin et près de sa personne, pour celui qui s’associe à tous les triomphes chrétiens, qui s’émeut à toutes les bénédictions tombant sur les autres, et qui fait son bonheur du bonheur du genre humain!

Sa vie se multiplie ou plutôt il vit partout: ce qu’il voulait faire, l’avez-vous fait?

Tant mieux, il fera autre chose et l’œuvre générale en sera plus avancée.

Avez-vous mieux réussi que lui dans une œuvre semblable?

Tant mieux, il prendra modèle sur vous et fera mieux lui-même une seconde fois; mais en attendant il se réjouit avec vous de vos succès passés, et il espère dans la charité que vous vous réjouirez avec lui de ses succès à venir.


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CLXVIIIe MEDITATION.

Lisez Actes des Apôtres V, 1 à 18.

Ananias et Saphira

Quel effrayant exemple de la juste sévérité de Dieu nous présente l’histoire d’Ananias et de Saphira!

En voyant tomber raides morts cet homme et cette femme pour une seule faute et à l’instant même où ils la commettent, on reste frappé soi-même de crainte, et l'on se demande quelle peut avoir été la nature d’une faute si gravement punie?

Pierre reproche à Ananias et à Saphira d’avoir menti à Dieu et au Saint-Esprit, deux expressions différentes qui ne désignent évidemment ici qu’une même idée.

Mais comprend-on qu’un homme qui croit en Dieu puisse espérer de le tromper comme il pourrait tromper son semblable?

Non, la seule notion de Dieu exclut la possibilité d’ignorer quelque chose; ce ne peut donc avoir été là l'intention d’Ananias. Il faut donc que, par ces mots: «MENTIR AU SAINT-ESPRIT, MENTIR À DIEU», Pierre ait voulu désigner une autre faute.

Étudions ce qui se passa, et nous saurons ce que l’Apôtre a voulu dire.

Deux époux d’accord vendent un fonds de terre, et d’accord ne déposent aux pieds des Apôtres que la moitié du prix comme en étant la totalité.

Était-ce dans l’espérance d’obtenir, par le partage qui se ferait plus tard entre tous les frères, plus qu'ils n’avaient donné?

Non, car des dons n’étaient pas faits par tout le monde: de nombreux indigents avaient part à la distribution du trésor commun, sans y avoir rien versé; en sorte qu’il ne revenait jamais au donateur, surtout au riche, une part même égale à son offrande.

Qu’avait donc voulu Ananias, en versant, comme le prix entier d’une terre, une somme qui n’en était que la moitié?

On ne peut plus faire qu’une supposition: c’est que, frappés de la bonne renommée que s’attiraient les chrétiens par leur dévouement et leur piété, les deux époux voulaient, en entrant dans cette société, participer à la bonne odeur d’amour et de sainteté dont elle jouissait dans le monde.

Voilà donc le tort, le crime, dirai-je, que le châtiment venu du Ciel prouve être en abomination devant Dieu:

C’est d’avoir simulé une foi et des sentiments qui n'étaient pas dans le cœur.

Voilà ce que Pierre appelle mentir à Dieu.

Oui, DIEU A LA FAUSSETÉ EN HORREUR, surtout quand elle se mêle à ce qui touche son ciel et son Évangile.

Que les hommes se mentent entre eux dans leurs rapports terrestres, c’est une chose odieuse à ses yeux;

mais qu’ils viennent, en quelque sorte l’insulter, Lui, dans son sanctuaire, de manière à montrer le mépris qu’ils en ont, et à faire rejaillir ce mépris sur l’œuvre sainte aux yeux de l’Église et du monde,

Voilà ce que ce Dieu a encore plus en horreur, voilà ce qu’il frappe de ses malédictions les plus terribles et les plus promptes!

Et remarquez que le mensonge d’Ananias et de Saphira n’est pas même articulé; ils ne font que déposer en silence le prix partagé, LAISSANT SUPPOSER QU’IL EST ENTIER.

Si plus tard le mensonge est prononcé, c’est parce que Pierre adresse une question; mais la réponse faite alors n’est pas le crime: ce n’en est que la manifestation aux yeux de l’Église:

Le mensonge à Dieu et à l'Esprit était commis du moment que la moitié de la somme avait été déposée aux pieds des Apôtres, et qu’Ananias, se relevant, avait demandé du regard une parole d’approbation.

Ce n’est donc pas, il faut bien se le répéter, un mensonge patent, que Dieu punit de mort; mais:

Un mensonge qui se borne à taire la vérité,

un mensonge qui se garde, entr’ouverte, une porte de derrière pour s’enfuir au besoin et laisser connaître la réalité.

Voilà le menteur que Dieu hait, foudroie et précipite dans l’éternel abîme, auprès de Satan, son père!

Hélas! après une condamnation aussi sévère,

On n'ose plus faire un retour sur soi-même;

plus examiner son cœur,

plus scruter ses aumônes,

plus se rappeler ses conversations religieuses,

plus songer à l’opinion qu’on a donnée de soi au monde, à côté de celle que le monde devrait en avoir;

On se demande en tremblant si soi-même, on n’a jamais tenté de grossir aux yeux des hommes des dons partagés par l'avarice et offerts par la vanité?

On se demande si jamais on n’a fait étalage de ses sentiments religieux; si jamais on n'en a exagéré l'expression; si jamais on ne s’est mêlé à des œuvres chrétiennes pour être vu du monde et de l’Église?

Et à toutes ces questions on n’ose pas répondre, on ferme les yeux, on se cache la figure dans les deux mains; on soupire, et des pointes aiguës pénètrent dans la conscience.

Que d’autres apprécient la distance qui sépare une telle conduite de la conduite d’Ananias et de Saphira, ou que d’autres les rapprochent et les confondent; pour nous, nous n’avons le courage ni de l’un, ni de l’autre: nous sentons notre cœur brisé, et voilà tout; nous pleurons, et rien de plus.

Mon Dieu, mon Dieu, quel abîme d’iniquité que notre cœur!

Pourquoi faut-il que chaque jour nous revenions dans la même ornière de lamentations sur nous-mêmes?

Quand donc, Seigneur, nous donneras-tu de célébrer nos victoires sur le mal, et surtout sur le mensonge, le mensonge dans les choses saintes?

Oh! viens, Seigneur, viens bientôt, non pas nous chercher, car nous tremblerions à cette heure; mais VIENS NOUS RENOUVELER PAR TON SAINT-ESPRIT, et qu’à l’avenir notre vie soit simple, nos actions droites, nos paroles vraies, nos signes non équivoques, et que tout en nous annonce, comme en toi, une profonde horreur même pour l’apparence de toute fausseté!


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CLXIXe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres V.

Mieux vaut obéira Dieu qu'aux hommes

Qu’on se représente un homme, non à Jérusalem, mais dans nos contrées, non dans l’antiquité, mais de nos jours, allant prêcher l’Évangile dans les rues et les places publiques et pour cela repris par l’autorité avec menace de punition en cas de récidive; qu’on se représente cet homme revenant à la charge, prêchant encore et cette fois condamné à passer par les verges, mais enfin relâché; qu’on le suppose encore recommençant son oeuvre interrompue jusqu’à l’heure où la puissance humaine s’empare de sa personne et le jette en prison.

À ce troisième et rude avertissement, que ce même homme aille à la porte du temple habité par ses adversaires prêcher de nouveau et prêcher toujours la vérité qui trois fois l’a fait condamner par ses juges; — je le demande, que pensera-t-on d’un tel homme?

Que c’est un fou, ou du moins un fanatique.

Qu’on se représente ensuite un tribunal composé de tout ce qu’il y a d’hommes sages, instruits, élevés en dignité, s’efforçant de persuader à cet homme qu’il pourrait en prêchant l’Évangile troubler l’ordre public, soulever les unes contre les autres les croyances opposées, ameuter les passions, froisser des intérêts; qu’on se représente ces amis de l’ordre et de la paix employant, pour convaincre ce fanatique, d’abord de simples paroles, ensuite une légère punition corporelle et n’ayant recours à la prison qu’à la dernière extrémité; — que penserait-on de ces juges?

Qu’ils ont tenu une conduite sage, prudente, non moins que légale et justement sévère.

Pour nous qui ne voulons pas nous embarrasser dans la discussion des convenances sociales et qui n’avons à parler ici que l’Évangile à la main, nous ferons remarquer que ce fou, ce fanatique dont nous parlions tout à l’heure, ce sont les Apôtres tour à tour censurés, battus, emprisonnés par les autorités réunies et revenant trois fois dire à leurs juges qui grincent des dents: «il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes;» tandis que ces hommes sages et prudents, légaux et justes, sont les membres du sanhédrin lui-même qui frappent et incarcèrent les serviteurs de Jésus-Christ.

Voilà cependant à force de sagesse, d’instruction et de profondeur dans nos jugements, à quel renversement du sens évangélique nous en sommes venus: à condamner la conduite des Apôtres, à louer celle du sanhédrin! et cela seulement parce que l’exemple est pris hors de la Bible et des temps apostoliques;

comme si la vérité changeait avec les lieux, les heures et les hommes;

comme si les actes des Apôtres nous avaient été conservés pour être lus et non pas imités;

comme si le christianisme était un thème à disputes, à sermons, à livres, et non la Parole de Dieu, ayant le droit de se faire obéir.

À ce compte, que de fanatiques dans les premiers siècles de l'Église, et que de fous dans notre grande réformation!

Ce Paul qui court pendant trente ans sans se lasser de répéter ce que le monde ne veut pas entendre, et qui par ce monde est cinq fois sanglé de coups de fouet, trois fois battu de verges, une fois lapidé, maintes fois mis en prison sans être jamais découragé, ce Paul est un fanatique!

Ces martyrs qui, plutôt que d'invoquer le nom de Vénus ou de Jupiter, meurent sur les bûchers en chantant de saints cantiques à l’honneur de Jésus-Christ, ces martyrs sont des fanatiques!

Un Luther qui se laisse condamner par le pape plutôt que de fléchir, condamner par l’empereur plutôt que de retirer une seule parole, qui réclame pour le peuple toute la Bible et rien que la Bible, cet entêté qui ne veut pas faire la plus légère concession de la vérité à l’erreur, est un insigne fanatique.

Que le monde les nomme comme bon lui semblera, il n’en restera pas moins vrai que ces fanatiques ont changé la face du monde, aboli l’esclavage, répandu la civilisation, émancipé l’intelligence, et que leur modèle est Jésus-Christ mort sous les clous de ce même sanhédrin qui aujourd’hui poursuit les Apôtres.

Plût à Dieu qu’il y eût dans notre société chrétienne plus de semblable fanatisme et de pareille folie!

Nous n’en serions pas aujourd’hui à gémir sur la faiblesse de la foi et la corruption des mœurs.

Mais peut-être avons-nous exagéré, et peut-être comprend-on mieux que nous ne l’avons dit l’imprescriptible devoir de prêcher l’Évangile?

Il n'y a qu’à voir la manière dont chacun le prêche lui-même; que dis-je, prêcher l’Évangile?

Qui y songe en dehors de la classe des hommes à cela consacrés!

Qui travaille à répandre des Bibles, en dehors d’un petit cercle de chrétiens entachés d’exagération?

Combien sont-ils dans la foule ceux qui s’occupent activement d’une manière ou d'une autre à avancer le règne de Dieu sur la terre?

On les compte; et s'ils ont quelque zèle, on en a presque honte pour eux-mêmes, on ne les comprend pas; ce sont encore là ceux que les sages et les modérés appellent fous et fanatiques.

Que serait-ce donc si, au lieu d'exposer ici, comme nous l’avons fait, la conduite des Apôtres, trois fois condamnés et trois fois tombés en récidive, nous en étions venus à développer cette pensée, que ces mêmes Apôtres battus et emprisonnés se réjouirent d'avoir été rendus dignes de souffrir des injures pour le nom de Jésus-Christ?

Hélas! où donc en sommes-nous, si la vie chrétienne ne peut plus, je ne dis pas être pratiquée, mais pas même être comprise et que, loin de pouvoir communiquer ses sentiments évangéliques, il faille se les faire pardonner?

Il n’y a plus qu'à se taire et à prier.

Mais non, chrétiens, notre affaire n’est pas d’ouvrir les cœurs, c’est d’y frapper;

nous ne sommes responsables du succès,

mais de l’action.

Pense et fasse de nous ce que voudra le monde: pour nous, pensons et agissons, comme les Apôtres, qui persévérèrent jusqu’à se réjouir d’avoir souffert pour Jésus-Christ!


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CLXXe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres VI.

Notre amour pour la perfection... chez les autres

Comme le mal est prompt à se glisser au sein des meilleures institutions!

Il y a deux jours, nous admirions les membres de l’Église primitive, mettant leurs biens en commun et vivant tous comme une famille de frères.

Hier déjà, Ananias et Saphira jetaient une ombre sur ce tableau; et aujourd’hui, c’est un cri général des Juifs-Grecs contre les Juifs-Hébreux, sur leur partialité dans la distribution des aumônes.


Triste exemple de la faiblesse de notre humanité, qui ne peut se soutenir longtemps à la hauteur où l’Esprit de Dieu lui-même la porte, et qui doit nous apprendre d’un côté, à veiller sans cesse:

pour ne pas choir si nous sommes élevés en sainteté;

et de l’autre, à ne pas nous étonner de voir bien vite des taches s’imprimer sur les meilleures institutions, et des travers se rencontrer chez les meilleurs chrétiens.

Nous avons un tel amour de la perfection chez les autres ou dans les œuvres auxquelles nous avions d’abord accordé notre admiration, qu’il nous est toujours pénible d’avoir à rabattre de notre opinion première, et il en résulte l’un de ces deux maux;

1. Ou bien nous fermons les yeux sur les défauts qui nous blessaient d’abord, pour n’avoir pas à rabaisser ces hommes et ces œuvres dans notre esprit;

2. Ou bien à cause de leurs imperfections, nous repoussons ces œuvres et ces hommes.

Dans le premier cas, nous devenons aveugles; dans le second, nous devenons injustes.

Ces réflexions ne sont que trop applicables aux détails de notre vie; si chacun veut s’étudier, il le reconnaîtra pour lui-même, et peut-être apprendra-t-il à moins exiger de toutes choses où l’homme met la main.

En effet, que firent les Apôtres distributeurs des aumônes, à l’ouïe des plaintes des Juifs-Grecs sur l’inégale répartition des aumônes?

Renversèrent-ils l’institution destinée à soulager les veuves?

Non!

Se plaignirent-ils eux-mêmes d’avoir été exposés au soupçon, eux qui servaient aux tables?

Non plus.

Mais, tout en conservant leur affection à ceux qui se plaignent et à ceux dont on se plaint, tout en maintenant l’institution établie, ils s’occupent de faire disparaître les imperfections qui s’y sont manifestées. Ils se déchargent de la distribution, non par paresse, mais pour vaquer au contraire à des œuvres plus importantes et plus pénibles; ensuite ils provoquent un choix d’hommes intègres, fait par la multitude de l’Église, de telle sorte qu’à l’avenir personne n’ait plus sujet de se plaindre, et que l’intégrité préside à la distribution des aumônes.

Ainsi les plaintes se calmèrent et la proposition plut à toute l’assemblée.

Voilà donc ce que nous devrions faire nous-mêmes:

améliorer et non détruire;

corriger, et non frapper;

et si nous n’en avons ni le courage, ni la force, du moins supporter dans le bien les imperfections qui ne l’empêchent pas de mériter nos sympathies.

Et prenons-y garde! Ce prétendu amour de la perfection chez autrui, cette loupe de notre critique qui va toujours cherchant ailleurs ce qui serait susceptible d’amélioration, pourrait bien s’expliquer par un principe aussi mauvais que nous le croyons pur.

Cette critique, toujours si facile à couler de la source abondante de notre coeur, alors même qu’elle est fondée, pourrait bien n’être que de la médisance; et ce blâme jeté à une oeuvre chrétienne imparfaite, qu’un prétexte pour n’avoir pas à la seconder.

Car, si nous avions un véritable amour du mieux, nous commencerions par l’introduire en nous-mêmes, et nous mettrions à sa base:

«LA CHARITÉ PATIENTE QUI EXCUSE TOUT, CROIT TOUT, ESPÈRE TOUT, SUPPORTE TOUT

Quant aux Apôtres, après avoir agi et prié pour instituer les sept diacres, ils poursuivirent leur œuvre de prédication, et l’institution qu’ils venaient de placer sur un nouveau pied marcha si bien que l’exemple de l’Église, comme la prédication des Apôtres, attira une foule de disciples, et dans leur nombre ces sacrificateurs que nous avons vus naguère les plus cruels ennemis de Jésus.

Certes, ces hommes ne se seraient pas convertis si les Apôtres, au lieu de soutenir l’œuvre commencée, étaient allés raconter à ces Juifs, encore incrédules, les germes de division qui semblaient vouloir se développer au milieu d’eux.

De même, ce ne sera pas en déversant notre blâme sur telle ou telle entreprise chrétienne, que nous avancerons le règne de Dieu dans le monde.

Imitons donc les Apôtres qui supportent les plaintes;

les diacres qui donnent leur service;

et, s’il le faut, imitons Étienne qui bientôt va sacrifier sa vie au maintien d’une œuvre que nous étions d’abord disposés à blâmer!


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CLXXIe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres VII, 1 à 53.

Étienne devant le Sanhédrin

Accusé par de faux témoins d’avoir blasphémé contre la loi de Dieu, Étienne est traduit devant le sanhédrin, et là, prononce un discours resté inachevé.

Cette dernière circonstance doit nécessairement jeter quelque ombre sur le dessin général de cette belle oraison; toutefois elle reste assez complète pour qu’il soit possible d’y remarquer deux choses:

1. D’abord qu’Étienne, en narrant avec respect l’histoire du peuple de Dieu, de son prophète Moïse et de son serviteur Salomon, n’a pas pu, comme on l’en accuse, blasphémer contre la loi donnée par le premier de ces deux hommes, ni contre le temple édifié par le second.

2. Ensuite, en citant le rejet de Joseph par les Patriarches;

le rejet de Moïse par un simple Israélite en Égypte, et par tout le peuple dans le désert;

le rejet de la loi de Sinaï, dédaignée pour un veau d’or;

le rejet du tabernacle de l’Éternel pour l’adoption du tabernacle de Moloch, Étienne montre à ses juges que leurs pères ont toujours été les mêmes, toujours repoussant les envoyés de Dieu et ses bienfaits,

et il termine alors par cette énergique application: «vous êtes bien les dignes fils de vos pères, gens de col raide, incirconcis de cœur et d’oreille, qui rejetez aussi le Saint-Esprit!»

Ainsi compris, ce discours est admirable, même au simple point de vue de l’éloquence; car il oblige ses auditeurs à l’écouter longtemps sans pouvoir deviner où l'orateur en veut venir; et quand les preuves sent amoncelées, un seul mot décoché suffit pour les faire tomber, comme une grêle de traits, sur la tête de ses juges et de ses ennemis: «vous êtes bien tels que vos pères!»

Mais ce n’est pas à ce point de vue que nous voulons étudier les paroles d’Étienne: une circonstance, bien autrement remarquable, fera seule l’objet de nos réflexions.

Le discours d’Étienne est bien moins une défense de sa personne qu’une attaque contre ses juges et ses ennemis; mais une attaque dirigée de telle sorte qu’elle puisse avoir pour résultat de les éclairer et de les sauver.

Comme tout prédicateur chrétien, Étienne commence par faire sentir à ses auditeurs leur état de péché; il leur annonce ensuite Jésus le juste, et sans doute il les aurait pressés de le recevoir pour Sauveur, si leur rage infernale ne fût pas venue l’interrompre.

Et remarquez que cette noble conduite d’un homme qui s'oublie soi-même pour songer à ses ennemis n’est pas la conduite d’Étienne seulement, mais aussi:

La conduite de Jésus devant les Pharisiens, lui tendant des pièges et recevant cette réponse: «Que celui de vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle;»

La conduite de Pierre et de Jean devant le sanhédrin, leur enjoignant de se taire, et leur entendant dire: «il n’y a de salut par aucun autre que par Jésus-Christ

La conduite de Paul devant Félix, lui demandant de l’argent, et surpris de l’ouïr lui prêcher «la justice, la continence et le jugement;»

Enfin, la conduite de ce même Apôtre devant Agrippa, l’interrogeant par pure curiosité, et tellement impressionné de l’interpellation chaleureuse de Paul, qu’il lui répond: «Tu me persuades presque d’être chrétien

C'est donc la conduite normale du chrétien.

Rapprochez, de cette manière de se défendre devant un tribunal, les plaidoiries humaines, et mesures la distance: autant la première était généreuse, autant celles-ci sont égoïstes.

Quand avez-vous entendu un accusé se charger de la cause de ses accusateurs, et, au risque de tomber sous leurs coups, leur tendre une main sur le bord de l’abîme?

Quand avez-vous vu un prévenu accepter contre lui de faux témoins et les presser, non de se rétracter, mais de se convertir à Dieu?

Non, nos accusés pour se défendre accusent eux-mêmes; et ils s’estimeraient heureux de faire retomber leurs chaînes sur ceux qui les en ont chargés.

On se rirait dans le monde d’un homme qui devant les tribunaux parlerait avec intérêt et compassion des méchants qui le poursuivent; on nommerait cela de la niaiserie. Eh bien! cette niaiserie que notre siècle n’a plus assez de grandeur d'âme pour comprendre, est de l’héroïsme! ou plutôt de la simple charité chrétienne.

Oh! secouons donc le joug de la basse moralité de notre temps!

Élevons-nous à la hauteur des sentiments chrétiens!

Sachons que ce doit être une chose tout ordinaire pour les disciples de Jésus et les frères de Pierre, d’Étienne et de Paul, que de s’oublier eux-mêmes sur cette terre, pour SONGER AU SALUT ÉTERNEL DES ÂMES, même des âmes de ceux qui veulent tuer leur corps.


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CLXXIIe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres VII, 54 à 60.

Le martyre d’Étienne

La mort, ou plutôt le martyre d’Étienne, rappelle involontairement la mort de Jésus-Christ.

Bien que les circonstances accessoires, les paroles, le genre de supplice soient différents, le fond reste le même; et, par son étude, nous pouvons apprendre à la fois comment nous pouvons imiter notre Maître dans l’esprit de sa conduite, sans le copier dans la lettre de ses actions.

Jésus devant le sanhédrin ne s’était pas défendu; il avait bien plutôt aidé à sa condamnation, en se disant le Fils de Dieu.

De même Étienne s’inquiète assez peu de repousser l'accusation de blasphème, mais beaucoup de confesser que son crime a été et est encore de prêcher Jésus-Christ.

Jésus, sur la croix, prie;

Étienne, sous les pierres, prie.

Jésus demande «à son Père de recevoir son esprit;»

Étienne demande «au Seigneur Jésus de recevoir son esprit

Jésus, au milieu des soldats qui lui transpercent les mains, des prêtres qui se moquent de Lui, du peuple qui Lui crie des injures, s’écrie; «Mon Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font.»

De même Étienne, à côté du souverain sacrificateur, qui, aidé de ses collègues, l’a traîné hors de la ville pour le lapider; en face des faux témoins qui le dépouillent et d’un Saul fanatique, Étienne, à genoux au milieu de ces hommes, meurtri sous les coups de leurs pierres tranchantes, et au moment où la dernière va lui faire exhaler le dernier soupir, Étienne recueille ses forces et s’écrie: «Seigneur, ne leur impute point ce péché!» 

Voilà le Maître et voilà le Disciple. Peut-on mieux se conformer à l’esprit sans copier la lettre? Et peut-on mieux montrer ainsi qu’on est animé des vrais sentiments du chrétien, sans en afficher les actes avec formalisme?

Non, sans doute; et cependant, il faut le dire, c’est exactement le contraire qui se voit au milieu de nous:

NOTRE IMITATION DE CHRIST NE PART PAS D’UN ÉLAN DE NOTRE CŒUR,

mais d’une froide réflexion de notre esprit!

Notre imitation est moins dans notre vie secrète que dans notre vie publique, moins dans nos actes que dans nos discours.

Notre imitation a quelque chose de tendu, de théâtral qui parle aux yeux du monde, ferme la bouche de nos adversaires, MAIS NE TOUCHE LE CŒUR DE PERSONNE.

À Dieu ne plaise que nous prétendions qu’il en soit de tous et toujours ainsi.

Non, parfois notre imitation de Jésus est plus vraie, plus pure; mais ici la faiblesse de notre imitation se montre d’une autre manière: nous pensons volontiers que Christ étant un être à part, nous n’avons pas, nous simples, disciples, à faire aussi bien que le Maître.

Erreur; et l’histoire d’Étienne le montre.

Étienne a confessé la vérité, comme Jésus-Christ, et aussi fortement que Jésus-Christ, devant les mêmes hommes, en courant les mêmes dangers;

Étienne a prié son Dieu au milieu de souffrances tout aussi aiguës que celles de Jésus-Christ;

Étienne a demandé le pardon de ses bourreaux, et jusqu’au dernier soupir, comme Jésus-Christ.

Ce n’est donc pas une image effacée, mais une reproduction burinée, que doit être notre imitation.

Qu’on ne dise pas qu’il est impossible de marcher de si près sur les traces du Fils de Dieu: cela est possible, puisqu’un homme, Étienne, l’a fait; puisque, plus tard, Jacques, Pierre, Paul et Jean , hommes aussi, l’ont accompli.

Et qu’on ne déplace pas la question, en répondant que les Apôtres étaient des êtres à part, comme on a déjà dit que Jésus était un être à part; car Étienne n’était pas Apôtre, mais un simple diacre.

Pour que cette excuse fût admissible, il faudrait ajouter que les chrétiens du premier siècle étaient des hommes à part. Que dis-je? Cette concession même ne sauverait pas de la difficulté; car d’autres fidèles imitateurs de Jésus-Christ se sont montrés dans tous les siècles; en sorte que, pour nous donner raison, il faudrait dire que tous les vrais disciples de Jésus-Christ sont des hommes à part, que nous ne sommes pas tenus d’imiter!

La vérité est que le même Esprit,

l’Esprit-Saint, qui animait Jésus, Étienne, Paul, les martyrs et les chrétiens de tous les temps,

peut descendre en nous et nous rendre capables de la même perfection,

SI NOUS NE LE CONTRISTONS ET NE LE REPOUSSONS PAS QUAND IL SE PRÉSENTE À NOTRE CŒUR.


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CLXXIIIe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres VIII, 1 à 24.

Simon le magicien

En lisant l’histoire de Simon le Magicien, qui d’abord croit, et demande ensuite à prix d’argent le don du Saint-Esprit pour en faire commerce, on reste étonné non seulement qu’un homme ait pu avoir une telle pensée, mais surtout que cet homme ait cru véritablement en Jésus-Christ.

Mais qu’on relise le texte, et l’on verra qu’il n’est pas dit que Simon crut en Jésus-Christ, mais seulement qu’il crut aussi;» c’est-à-dire, comme les Samaritains dont il vient d’être parlé.

Et il est dit de ceux-ci qu’ils crurent à Philippe, ce qui ne peut, être pris dans le même sens que croire en Jésus-Christ, et doit signifier simplement qu’ils eurent confiance en cet Apôtre;

c’était le chemin pour arriver à la foi, mais ce n’était pas encore la foi!

Peut-être Simon ne voyait-il jusque-là, dans Philippe, qu’un magicien plus habile que lui.

Comment en effet un homme, s’il n’est insensé, pourrait-il jamais supposer que le Dieu créateur des cieux et de la terre pût souiller sa majesté jusqu’à seconder l’avarice et l’orgueil?

Non, le méchant lui-même tremble à la pensée du vrai Dieu; et pour l’insulter, il faut d’abord qu’il n’y croie pas. Aussi pensons-nous fermement que la source de la demande de Simon n’est autre que l’incrédulité.

Mais son indigne pensée est-elle donc si rare?

N’y a-t-il de nos jours et parmi nous rien d’analogue?

Personne qui fasse métier des choses saintes et cherche plus en elles le pain du corps que celui de l’âme?

Personne qui, sans faire commerce de religion, mêle cependant l’idée religieuse à son commerce pour le faciliter?

Personne qui spécule sur la foi des autres pour en tirer parti?

Personne qui soit bien aise de jouir d’une réputation évangélique, et que des intérêts mondains aient poussé, de concert avec la foi, dans l’Église de Christ?

Hélas! Hélas! ces questions sont si délicates, elles soulèvent des accusations si terribles que celui qui les pose n’ose pas les résoudre.

Que chacun s’examine en silence et voie s'il n’est pas, dans une mesure ou dans une autre, coupable de simonie.

Nous n’avons jusqu’ici fait sentir l’odieux que de cette pensée: vendre, tirer parti des choses saintes; mais ce n’est cependant pas la face que Pierre met en saillie; ce que l’Apôtre reproche à Simon, c’est moins la pensée de revendre que celle d’acheter le don du Saint-Esprit.

Et qu’on ne se laisse pas tromper par le mot «argent» qu’ajoute Pierre, comme s’il était criminel de prétendre acheter le don de Dieu pour de l’argent, et qu’il fût loisible de l’acheter au prix de tout autre objet.

Non, ce qu’il y a de répréhensible, c’est, avant tout, D’AVOIR VOULU ACHETER LE DON DE DIEU.

Acheter le don, ces deux mots se repoussent: UN OBJET DONNÉ N’EST PAS VENDU PAR CELUI QUI LE CÈDE; il n’est donc pas acheté par celui qui le reçoit.

Supposez que Simon eût dit à Pierre: vends-moi le don du Saint-Esprit contre une semaine de jeûne, un mois de pureté, une année de tempérance, enfin au prix de quelques vertus; pensez-vous que son offre eût été acceptable?

Ne restait-il pas toujours l’odieux de prétendre PAYER AU SEIGNEUR CE QUE LE SEIGNEUR VOULAIT DONNER?

N'était-ce pas toujours rabaisser, humilier, souiller sa gloire, et même l’en dépouiller pour s’en revêtir soi-même?

N’était-ce pas toujours l'ingratitude qui ne veut pas se charger du fardeau de la reconnaissance?

Voilà pourquoi nous croyons que le salut est gratuit et que la prétention de le payer, même au prix d’une vie sainte, est un outrage fait à celui qui nous dit: vous êtes «justifiés gratuitement par ma grâce, par la rédemption qui est en Jésus-Christ.»

Non, Seigneur, nous n’avons pas la prétention de payer tes dons inestimables, mais puisque tu nous as tant et tant donné:

Nous nous sentons pressés du besoin de t’exprimer notre reconnaissance par la sainteté de notre vie, et notre bonheur s’accroîtra de cette pensée qu’en nous sanctifiant nous le serons agréables et que nous répondrons à ton amour.


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CLXXIVe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres VIII, 26 à 40.

L’officier de la reine de Candace

L’administration de l’univers par la Providence est couverte d’un voile qui, parfois soulevé, laisse l’esprit en extase devant les admirables moyens dont se sert le Seigneur.

Si nos faibles regards pouvaient un instant traverser ce voile et contempler Dieu disposant nos circonstances à venir, notre cœur serait ému d’une sainte reconnaissance et rempli d’une foi profonde.

Pour le comprendre, étudions l'histoire de l’Eunuque éthiopien.

Transportons-nous par la pensée à la cour de la reine de Candace, à l’époque où son officier était encore plongé dans le paganisme, et demandons-nous quelle probabilité humaine il y avait alors pour que ce païen, serviteur et courtisan, arrivât jamais à la foi chrétienne. Et cependant, par un moyen qui ne nous est pas révélé, mais qu’on peut supposer avoir été ta lecture de l’Ancien-Testament, déjà traduit et répandu en Égypte, ce païen arrive d’abord à la connaissance du vrai Dieu, ce qui l’amène à Jérusalem pour l’adorer.

Voilà le premier pas dirigé par le Seigneur, mais dirigé dans une route ténébreuse, dont l’Eunuque ne peut encore apercevoir le but lointain.

Après avoir adoré, il remonte sur son char, quitte la ville sainte, choisit, pour être plus paisible dans sa lecture, la route de Gaza-la-Déserte, et se plonge dans la méditation de ce passage d'Ésaïe: «Il a été mené comme une brebis à la boucherie; et, de même qu’un agneau muet devant celui qui le tond, il n’a pas ouvert la bouche.»

Que signifient ces paroles?

Qui les expliquera?

Telle est la perplexité de l'Eunuque; et voyez maintenant la bonté de Dieu à son égard: Il envoie son Esprit à Philippe, pour lui dire de se rendre sur la route de Gaza. Philippe part, arrive. Il est là, porteur du salut, et l'Eunuque n’en sait rien.

Toujours poussé par le même Esprit, Philippe s’approche du char, entre en conversation avec l’officier, et explique au prosélyte la prophétie relative à la mort de Jésus. La lumière pénètre dans le cœur de l’Eunuque; il croit, il est converti.

Tout cela sans doute lui paraît bien simple: il a rencontré un homme sur la route; il l’a questionné, et il a cru. Mais quelle ne serait pas son admiration et sa reconnaissance, s’il savait que, pour l’amener là, Dieu a fait descendre son Esprit du Ciel, voyager son Apôtre, et pénétrer dans son propre cœur l’intelligence de la prophétie!

Toutefois, le prosélyte juif, transformé en disciple de Christ, éprouve encore un désir: c’est d’être baptisé. D’un autre côté, Philippe ne peut l’accompagner plus longtemps.

Que fera le Seigneur?

Nous l’avons vu: sur une route déserte et sous un climat brûlant, Il place l’eau nécessaire au baptême désiré. Admirable bonté, qui vient au-devant des plus faibles souhaits, quand ils sont inspirés par la piété!

Voilà donc la providence de Dieu agissant à découvert:

elle fait parvenir les saintes Écritures au milieu d’une cour, dans les mains d’un eunuque;

elle envoie le Saint-Esprit en Samarie, pour conduire un Apôtre sur la route ou un pécheur a besoin de lumière;

et enfin, sans laisser voir sa main à celui qu’elle éclaire, elle accomplit le salut éternel de cette pauvre créature.

Après cet exemple, douterons-nous encore de la bonne providence de Dieu à notre égard?

Ne sommes-nous pas, comme cet homme, du nombre de ses enfants?

Le Seigneur a-t-il fait pour l’Éthiopien plus qu’il ne veut faire pour nous?

Non; mais la seule différence est que la bonté de Dieu nous a permis de regarder derrière le voile ce qu’il disposait pour cet officier, et que sa sagesse nous cache ce qu’il nous prépare à nous-mêmes.

Ayons donc confiance, et rappelons-nous cette parole qu’il nous a dite:

«Une mère oublie-t-elle son enfant?

Eh bien, lors même qu’elle l’oublierait, MOI je ne l’oublierais pas.»


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CLXXVe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres IX, 1 à 21.

Conversion de Saint-Paul

Nous tombons, à l’égard de l’influence que le Saint-Esprit exerce sur les hommes, dans deux erreurs opposées:

1. Tantôt nous estimons la conversion d’un homme presque impossible, parce qu’il est trop pervers;

2. Tantôt nous pensons que la conversion de tel autre s’accomplira comme d’elle-même, tant il est de sa nature bien disposé.

Ainsi nous disons, sinon de bouche, du moins de fait: le Saint-Esprit ne saurait accomplir cette œuvre, elle est trop difficile; ou bien: cette œuvre est trop facile pour nécessiter son secours.

Dans les deux cas, c’est manquer de respect et de confiance envers le Consolateur qui doit nous conduire, non pas en ceci ou en cela, mais «en toutes choses» comme l’a dit Jésus. C’est ce qu’établira clairement la conversion de Paul, rapprochée de la conversion de l’Eunuque éthiopien.

Si nous prenons l’Eunuque sur la route de Gaza, Paul sur celle de Damas, et que nous comparions leurs positions respectives, nous serons disposés à dire que rien ne devait être plus facile que la conversion de l’Éthiopien, homme déjà pieux, lisant la Parole de Dieu, tombant sur la plus claire des prophéties; cette conversion nous paraîtra d’autant plus facile que cet homme, par sa naissance, étranger aux Juifs et à leur conduite criminelle envers Jésus, doit l’être aussi maintenant à leurs préjugés et à leur haine contre le christianisme, et qu’il n’a dû prendre du judaïsme que la connaissance du vrai Dieu, communiquée par les saintes Écritures.

Et cependant cette conversion en apparence si facile, cette conversion d’un homme faisant un long voyage pour venir adorer le Seigneur à Jérusalem; d’un homme occupé de lire la Parole sainte jusqu’au milieu d'un voyage, sous les cahots de son char;

Cette conversion ne nécessite rien moins que la descente du Saint-Esprit en Samarie,

le voyage d’un Apôtre à Gaza

et l’instruction miraculeuse d’un homme déjà pieux, ne comprenant rien à la plus claire des prophéties.

Voilà la conversion la plus facile, la plus simple, celle qui semble devoir s’opérer d’elle-même, nécessitant toutefois l’intervention directe et active du Saint-Esprit!

Qui donc maintenant osera penser qu’aucune œuvre spirituelle puisse s’accomplir sans le secours de la même intervention?

Mais peut-être, loin de croire à la facilité de la conversion de l’homme bien disposé, mettons-nous plutôt en doute la possibilité de convertir le pécheur endurci. Dans ce cas, écoutons l’histoire d’un persécuteur acharné de l’Église, disons mieux, d’un persécuteur acharné de Jésus-Christ.

Certes jamais homme ne fut plus loin de donner la moindre espérance d’arriver un jour à la foi chrétienne, que ne devait l’être celui que nous avons vu naguère présider avec calme au martyre d’Étienne, et qui, encore aujourd’hui, ne trouvant pas assez d’aliments à sa fureur dans Jérusalem, demande une autorisation pour aller en Asie à la recherche de chrétiens à tourmenter; un furieux que saint Luc nous montre ne respirant «que menace et que carnage;» un homme, enfin, qui, lui-même, dit de lui-même: «J'étais un blasphémateur, un persécuteur et un oppresseur.»

Eh bien! voyez si l’œuvre de l’Esprit en lui sera vaine ou imparfaite:

Paul est saisi, renversé, tremblant, et demande à celui qu’il persécute: «Seigneur, que faut-il que je fasse?»

Et après trois jours d’attente dans le jeûne, ce persécuteur de chrétiens prêche que Jésus est le Fils de Dieu.

Point d’hésitation, point de lenteur, point d’imperfection; mais, à l’instant même, Paul est instruit, converti, et même si bien instruit et si bien converti, qu’il est capable de convaincre les Juifs de la vérité chrétienne, qu’il ignorait et combattait hier.

L’œuvre n’est-elle pas complète?

Et cependant n’était-elle pas ardue?

Qui doutera maintenant de la puissance de l’Esprit et qui osera dire que le cas de tel ou tel pécheur scandaleux, criminel, est désespéré?

Non, tout est possible à l’Esprit, comme rien n’est possible sans lui.

Apprenons donc à ne jamais désespérer de rien avec son secours, comme à ne jamais rien présumer de nous-mêmes.

CONFIANCE EN DIEU, HUMILITÉ SUR NOUS, voilà ce que nous enseigne l’action du Saint-Esprit, toujours nécessaire et jamais impuissant.


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CLXXVIe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres IX, 22 à 43.

Caractère d'utilité, dans les miracles rapportés par le Nouveau-Testament

Dans le récit que nous venons de lire, Pierre fait deux miracles qui portent un caractère commun: non seulement ces miracles sont propres à éclairer spirituellement, mais encore d’une utilité matérielle pour les hommes qui en sont les objets:

ici, c'est un paralytique souffrant depuis huit ans qui se lève et recouvre la santé;

là, c’est une veuve pieuse qui retrouve une vie utile à elle-même et utile à ses frères.

Ce n’est pas accidentellement que ce caractère d’utilité se trouve dans les miracles de Pierre; il s’était déjà rencontré dans ceux de Jésus-Christ:

secours à la multitude défaillante dans le désert,

guérisons des malades,

résurrections des morts,

VOILÀ LES PRODIGES DU SAUVEUR.

L’observation que nous venons de faire sur les miracles du Nouveau-Testament tout entier, se vérifie encore sur ses enseignements.

Tandis que de prétendues révélations s’efforcent pour charmer l’homme, ami du merveilleux, de lui donner mille détails sur des faits et des doctrines curieuses, l’Évangile se borne à rapporter ce qui va à l’instruction pour arriver à la sanctification.

Ouvrez le Coran, et vous y trouverez des révélations étendues sur les joies impures dans le paradis de Mahomet;

ouvrez la Bible, et vous n’y trouverez que quelques lignes sur la sainte félicité dans le ciel de Jésus-Christ; parce que ce n’est pas de savoir exactement ce que nous verrons et ferons près de Dieu qui nous importe, mais bien de connaître les moyens d’y parvenir.

Aussi cette sainte Parole, sobre de détails sur la vie à venir, est-elle abondante sur la foi et la sanctification qui peuvent y conduire.

Rien d’inutile, rien de curieux, rien pour amuser ni pour plaire;

MAIS TOUT POUR ÉCLAIRER, AMÉLIORER ET RENDRE HEUREUX.

Voilà le caractère sérieux et toujours soutenu d’un livre qui par cela seul porte avec lui un cachet bien net de divinité.

Mais ce caractère utile et pratique de la sainte Écriture doit faire plus que de nous certifier sa céleste origine; il doit surtout nous apprendre à le réaliser nous-mêmes dans notre propre vie.

Et d’abord, dans notre étude de la Bible, cherchons moins les choses curieuses que les choses édifiantes.

C’est ce qu’on ne fait pas toujours.

Bien des chrétiens, une fois instruits des vérités fondamentales, éprouvent le besoin de demander à la révélation des choses nouvelles, et ils vont les chercher dans des paroles peu nombreuses, obscures peut-être, qu’ils veulent à toute force pénétrer, et dans lesquelles ils finissent par voir tout ce qu’enfante leur propre imagination; piège de Satan qui, dans la crainte qu’un homme ne travaille à se sanctifier après avoir cru, s'efforce de lui persuader que la Bible renferme des mystères profonds que lui, mieux qu’un autre, saura pénétrer.

Non, non, avant tout, Paul le dit lui-même, la sainte Écriture est utile;

utile pour enseigner,

utile pour convaincre,

et non destinée à satisfaire «la démangeaison de ceux qui veulent entendre des choses agréables, ou contester sur de folles questions

Faisons un nouveau pas.

Il est des chrétiens qui sentent parfaitement la justesse de cette dernière observation et qui s’attachent dans leur lecture, surtout au côté sanctifiant.

C’est bien; mais ce n’est pas tout, ce n’est pas même l’essentiel!

Les enseignements les plus utiles ne doivent pas seulement être étudiés, mais SURTOUT ÊTRE PRATIQUÉS.

Traduisons donc nos connaissances bibliques en vie biblique.

Il faut le confesser, l’habitude de lire et d’étudier la Bible s’est transformée chez quelques-uns de nous en un devoir isolé et indépendant de tout autre.

Nous lisons notre chapitre, nous l’approuvons, le goûtons même, et puis tout est fini; notre but est atteint: nous avons été édifiés.

C'est s’arrêter à l’entrée de la route, chargé des provisions du voyage et se dire: je suis prêt à partir, sans jamais faire un pas. Le lendemain on reprend le bâton de voyage, on ceint ses reins, on remplit son havresac et l’on en reste là.

C’est la manière la plus inconséquente et peut-être la plus commune d’user de la Parole de Dieu; nous en prenons à témoin la conscience de chacun de nous, cherchant à se rendre compte des fruits qu’a produits dans son âme la lecture plus ou moins régulière ou l’audition plus ou moins attentive de ce culte domestique.

Oh! Seigneur! je me demande à moi-même quels fruits il a portés dans le cœur de celui qui l’écrit?

Alors humilié, je courbe la tête et j’implore la grâce et ton pardon.


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CLXXVIIe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres X, 1 à 23.

L'Université du christianisme pour la divinité

Un caractère commun à toutes les révélations d’origine humaine, et qui dévoile bien leur humanité, c’est d’être conçues chacune en vue du peuple qui les a d’abord reçues.

On reconnaît là les traces d’un législateur qui, pour se faire mieux écouter sur la terre, a cru devoir parler au nom du ciel; et, par contre, on comprend alors que Dieu, législateur de l’univers, n’a pu s’adresser qu’au genre humain entier.

Or, ce caractère révélateur involontaire de l’humanité d’une doctrine, le christianisme n’en porte aucune trace. Au contraire, il affiche hautement sa prétention d’universalité, et par cela même donne un indice de sa céleste origine.

Le judaïsme, base de la foi chrétienne, semble d’abord contredire notre assertion, car les lois cérémonielles et civiles des Hébreux sont évidemment calculées pour ce peuple et son pays; il n’en faudrait pour preuve que cette circonstance, que tout Israélite devait se rendre chaque année à Jérusalem, pour adorer.

Le genre humain devenu Juif, un milliard d’hommes pouvait-il, des quatre coins du monde, venir prier dans la ville sainte?

Nous le reconnaissons donc, le judaïsme semble d’abord porter la trace d’humanité que nous avons signalée. Mais remarquez de suite que par Moïse lui-même (à l’inverse de tout législateur humain) son œuvre est déclarée passagère, transitoire; et encore ici, pour preuve unique, nous ferons remarquer que la ruine de son centre, Jérusalem, est prédite, et la destruction de son sanctuaire, le temple, annoncée.

Ainsi, l’appropriation du mosaïsme à une nation et à une contrée spéciales (dès que ce culte se déclare transitoire pour arriver au culte définitif de l’Évangile) démontre aussi bien la divinité du christianisme, que les prétentions de ce christianisme à l’universalité l’établissent elles-mêmes.

Mais, chose admirable et qui met encore plus à découvert la main de Dieu, ses destinées universelles ne furent pas d’abord aperçues par les premiers gardiens de cette révélation; bien mieux: elles ne furent pas même comprises par les Apôtres, qui devaient y marcher; et ce n’est qu’au jour et à l’heure où elles doivent prendre leur essor en sortant de l’enceinte judaïque, qu’elles sont clairement révélées du ciel à Simon-Pierre.

Ne reconnaît-on pas là l’œuvre d’hommes instruments dociles, aveugles, dirai-je, qui l’exécutent au jour le jour, sans savoir où elle doit aboutir, mais en suivant des ordres supérieurs?

Tourbe ignorante de manœuvres (grand nombre de personnes jugées sans intérêt.), dont chaque individu apporte sa pierre à l’édifice sans en connaître ni l’ordonnance générale, ni le but final que l’architecte tient cachés, et qui cependant, au fur et à mesure que leur travail avance, admirent l’œuvre du maître s’accomplissant sous leurs mains.

Telle fut l’édification du christianisme et tel est en particulier ce qui se passe dans le chapitre que nous venons de lire.

Pierre reçoit l’ordre d’annoncer l’Évangile à un premier païen.

Cet Apôtre était si loin de méditer cette conquête, que ce n’est qu’avec répugnance qu’il se décide à y marcher.

Il faut que la vision se présente trois fois et que le Seigneur ajoute l’autorité de sa voix pour vaincre ses scrupules et le faire avancer; encore, quand il est devant Corneille, a-t-il soin d’expliquer sa conduite, tant il est surpris lui-même de cette nouveauté; enfin, quand il vient à Jérusalem devant ses collègues et ses compatriotes, lui demandant de se justifier d’un tel scandale, il le fait en alléguant qu’il était TROP FAIBLE POUR S’OPPOSER À DIEU; expression qui fait bien comprendre sa répugnance instinctive.

Voilà de ces preuves, à nos yeux grandes, sublimes, de la vérité de notre sainte religion; et cependant de ces preuves perdues pour quiconque lit sans attention les Écritures, à plus forte raison pour quiconque ne les lit pas!

Oh! que le Seigneur ouvre toujours plus notre esprit pour les comprendre, et que leur divine clarté non seulement nous réjouisse, mais surtout nous sanctifie.


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CLXXVIIle MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres X, 37 à 48.

Que signifie le baptême?

Que signifie le baptême?

A-t-il une valeur spirituelle en lui-même?

Ces questions ont été résolues dans différents sens par les hommes.

Dieu veuille nous en donner le sens véritable par l’étude de sa Parole.

Il paraît, d’après l’histoire de Corneille, que le baptême n’est pas destiné à faire descendre une grâce du ciel, car ce n’est que lorsque le Saint-Esprit est descendu sur ceux qui sont rassemblés chez le centenier, que Pierre songe à les baptiser d’eau.

Il paraît, d’un autre côté par l’histoire de Simon le Magicien, que le baptême n’apporte par lui-même aucun don spirituel, car Simon est déjà baptisé et n’a pas reçu l’Esprit, puisqu’il demande l'acheter.

Ces deux faits rapprochés prouvent que le baptême n’emporte pas avec lui de grâce inhérente, car il ne changea pas Simon, et ne fut donné à Corneille qu'après son changement.

Que signifie donc le baptême s’il ne rend pas chrétien, et s’il ne met pas même forcément sur la voie de le devenir?

La conduite des Apôtres va nous répondre encore.

L’Eunuque éthiopien dit: «Qui empêche que je sois baptisé? et Philippe répond: «Si tu crois de tout ton cœur, cela t’est permis.»

L’Eunuque, en acceptant l’eau du baptême, déclare donc croire en Jésus-Christ, en d’autres termes, il se confesse chrétien.

D’un autre côté, Simon le Magicien demande le même signe, et le reçoit non parce qu’il croit en Jésus-Christ, car nous savons le contraire; mais parce qu’il déclare y croire, en d’autres termes, parce qu’il se confesse chrétien.

Ainsi le baptême est une simple déclaration d’entrée dans l’Église de Jésus-Christ, et quand il est pratiqué sur un enfant encore privé de connaissance, c’est une déclaration de la part des parents qu’ils désirent l’élever en chrétien.

À la vérité cette cérémonie doit être accompagnée de prières, et ces prières peuvent obtenir pour le baptisé des grâces spirituelles, mais ces grâces sont ici, comme partout ailleurs, LE FRUIT DE LA PRIÈRE montant au ciel, et non de l’eau tombant sur le front de l’enfant.

Qu’on ne s’étonne pas de nous voir insister sur ces détails; ils ont plus d’importance qu’on ne le suppose peut-être. Et, après l’autorité de la Bible, on nous permettra d’apporter nos propres réflexions.

La pente la plus dangereuse en religion est celle qui nous conduit à donner aux actes extérieurs une valeur intrinsèque, à croire par exemple, que parce que nous avons mangé tel aliment, ou parce que nous nous en sommes abstenus, Dieu devra nécessairement nous accorder une faveur.

Or, supposer que l’eau du baptême attire de toute nécessité une grâce quelconque, c’est entrer dans cette voie dangereuse; et une fois la porte traversée, qui sait où nous nous arrêterons.

L’histoire de tous les siècles, l’histoire de notre époque même, met en évidence la grandeur de ce péril.

C’est parce qu’on a gardé dans quelques-unes de nos églises CE MAUVAIS LEVAIN DES GRÂCES MATÉRIALISÉES, qu’on est arrivé de nos jours à mettre le salut moins dans la foi que dans les sacrements, en sorte qu’en poussant ce principe à l’extrême on peut sauver un homme malgré lui; et ce qui est pire, un homme peut se sauver sans croire ni agir en chrétien.

Non, rien de semblable dans la Bible, pas un mot, pas une phrase prise avec simplicité, qui conduise à cette tendance d’un salut matériel et obligé.

Mais tout dans ce livre est spirituel et libre; et pour le dire en passant, ce fait est une belle preuve de sa divinité. Les hommes ne pensent pas ainsi, il n’y a jamais eu que Christ pour dire:

«Dieu est esprit et vérité,

il faut que ceux qui l'adorent, l’adorent en esprit et en vérité.»


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CLXXIXe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres XI.

La persécution comme la prospérité des chrétiens, concourt à répandre l'Évangile

Nous pouvons suivre ici pas à pas la marche de la Providence conduisant le christianisme à la conquête du monde païen.

D’abord, ce sont des Grecs reçus membres de la synagogue qui, exempts des préjugés juifs, seront mieux disposés à porter l’Évangile à toutes les nations; toutefois cette heureuse disposition reste encore cachée, sans que personne même soupçonne l’intention de Dieu, en appelant ces étrangers à la foi judaïque.

Ensuite, c’est une vision révélant à Pierre qu’aucune nation n’est souillée aux yeux de l’Éternel, dès qu’elle se lave dans le sang de Jésus-Christ; et le second pas fait entrer dans l’église Corneille, sa famille et ses nombreux amis.

Mais jusqu’ici ce n’est encore qu’une porte bien étroite, et le Seigneur va l'élargir. Or, admirez la voie mystérieuse qu’il prend:

La persécution furieuse soulevée contre les chrétiens à l’occasion du martyre d’Étienne fait sortir de Jérusalem et disperse de tous côtés les chrétiens, qui, pleins de zèle et haletants sous le poids des épreuves, vont raconter aux peuples païens des alentours l’objet de leur foi, le motif de leur fuite et la cause de leurs larmes.

Ces paroles tombent comme une semence sur ces cœurs ignorants et pécheurs pour s’en élever en gerbes de lumière et de sainteté.

Alors les Disciples persécutés, comme étonnés de leur propre œuvre, y reconnaissent la main du Seigneur, et s’en réjouissent. Les yeux s’ouvrent à Jérusalem, et l’Église envoie prêcher dans Antioche Barnabas, qui, à son tour, écrasé sous le poids de l’œuvre, court chercher à Tarse Paul, pour le soulager.

Maintenant, le christianisme est éclos, l’enveloppe judaïque est brisée et l’Évangile va se répandre sur le monde entier, sans qu’un seul chrétien judaïsant songe à s’en plaindre; bien au contraire, à la grande satisfaction de tous les disciples de Christ, reconnaissant à cette heure qu’en leur Maître il n’y a ni Juifs, ni Grecs, ni Barbares, ni Scythes, mais seulement de nouvelles créatures.

N’est-ce pas un admirable spectacle que de voir concourir à l’accomplissement des décrets de Dieu tous les événements, même la persécution et le martyre de ses adorateurs?

Sans la mort d’Étienne, la persécution des chrétiens n’aurait pas eu lieu à Jérusalem;

et sans cette persécution, les chrétiens ne se seraient pas dispersés aux quatre vents pour répandre sur le monde la Parole de l’Évangile.

Mais il y a plus peut-être ici qu’une sagesse tirant parti de tout, pour avancer une cause; on croit y voir encore une préférence pour faire triompher cette cause par la persécution de ses amis; comme si ce moyen était plus efficace que tout autre.

En effet, Jésus est persécuté, et deux mois après il a trois mille disciples dans Jérusalem, où avant sa mort il n’en comptait pas cent vingt;

Étienne est persécuté, et les disciples de Jésus se multiplient si rapidement à Antioche, que c'est là qu’on songe pour la première fois à leur donner le nom de chrétiens;

Jérusalem est persécutée, et ses habitants chrétiens en sortent pour répandre, non plus sur les contrées environnantes, mais sur le monde entier, leur foi et leurs espérances.

Enfin, jamais il n’y eut plus de martyrs que dans les premiers siècles, et jamais non plus les progrès de l’Évangile ne furent aussi grands.

Quand la chrétienté fut paisible, elle oublia sa foi et croupit dans la superstition, et il fallut les persécutions subies par un Jean Huss, un Jérôme, un Luther, pour faire revivre la foi et gagner cent millions de chrétiens à la cause de la Parole de Dieu.

Aussi tout le monde a-t-il si bien remarqué cette circonstance, qu’une belle parole est devenue proverbiale, «le sang des martyrs est la semence de l’Église.»

Les incrédules eux-mêmes, frappés du même fait, l’ont confessé en l'expliquant à leur manière, et ils ont dit: persécuter une croyance quelconque, c’est lui susciter des partisans.

Cela n’est pas; ou du moins le zèle excité en faveur de l’erreur par la persécution est un zèle passager qui tombe avec la cause qui l’a fait naître; tandis que le zèle suscité par la vérité ne se nourrit pas seulement d’épreuves, mais aussi de prospérité.

Aujourd’hui les chrétiens ne sont plus persécutés en Europe; mais pour cela, l’Évangile a-t-il cessé de progresser?

N’est-ce pas, au contraire, depuis l’ère bienheureuse de paix dont nous jouissons que se sont formées les sociétés qui couvrent le monde de Bibles et de missionnaires?

Oui, si vous le voulez, la persécution peut parfois faire vivre l’erreur, mais l'oubli et même la protection la tue; tandis que, s’il existe une vérité religieuse, elle doit, par cela seul qu’elle est la vérité, vivre et grandir sous la hache comme sur le trône, sous la persécution comme dans la prospérité.

Or, c’est là le sort du christianisme, et seulement du christianisme.

Courage donc chrétiens, que rien ne vous effraie, ni l’épreuve, ni l’abondance; tout sert la cause de Dieu; tout marche à son but; il faut bien vous le dire, afin que vous ne soyez pas effrayés par les difficultés jetées sur le chemin.


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CLXXXe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres XII.

Mort d'Hérode-Agrippa

Oh! comme la louange qu’on nous donne trouve facilement le chemin de notre cœur! et cependant, combien de motifs nous avons pour la repousser! Qu’on écoute l’histoire des derniers jours d’Hérode-Agrippa.

Hérode est un monstre qui, dans le but unique de faire plaisir au peuple, veut faire mourir des chrétiens, et qui, n’ayant pu faire trancher la tête à Pierre, envoie des gardes au supplice pour ne s'être pas opposés à l’Ange du Seigneur.

Et cependant, ce monstre, qui veut faire la guerre à deux peuples, et que ces deux peuples, pour des motifs d’intérêts, veulent apaiser, est assez insensé pour se croire un être divin, parce que des flatteurs s’écrient à l’ouïe de sa parole: «Voix d’un dieu et non d’un homme!»

Oui, insensé; car le plus simple bon sens aurait pu lui dire qu’il n’est pas d’un Dieu d’amuser un peuple avec du sang humain; de massacrer des gardiens dans un mouvement de dépit, et de faire sans cause la guerre à deux nations.

Oui, insensé; car la tête la plus faible, mais saine, aurait compris que les louanges d’hommes intéressés ne sont que des flatteries; et les flatteries, des mensonges qu’on ne peut accepter qu’en fermant les yeux pour se tromper soi-même.

Oui, insensé; car la plus simple réflexion aurait pu lui faire sentir que son éloquence et toutes ses facultés étaient des dons de Dieu, et qu’à Dieu devait en retourner la gloire.

Mais non, la louange l’étourdit, l’enivre; il se croit un Dieu, et il tombe frappé par un Ange et meurt rongé des vers!

Et nous donc, sommes-nous moins sensibles aux louanges?

Sans doute personne ne songe à nous comparer à un Dieu, car nous ne sommes assis ni sur un trône de puissance, ni sur un trône de savoir; ce qu’on nous dirait dans une telle élévation et la manière dont nous le recevrions, personne ne le sait; il ne faut donc pas le mettre ici en question.

Mais dans notre humble position, ne sommes-nous pas, comme Hérode, avides d’éloges, de louanges, de flatteries, de caresses?

N’allons-nous pas jusqu’à les accepter de ceux mêmes qui ne les sentent pas?

Jusqu’à les mendier de ceux qui se taisent?

Que serait-ce donc, si l’on nous les jetait à la tête?

Leur encens nous égarerait l’esprit, et nous tomberions peut-être foudroyés comme Hérode-Agrippa!

Et cependant quelle folie, quelle folie que cet amour effréné de la louange!

Ne savons-nous pas bien, nous qui connaissons les secrets de notre vie et le fond de notre cœur, que nous ne méritons pas d’éloges?

Pourquoi donc les appeler quand ils doivent tomber sur notre conscience comme autant de reproches?

N’est-il pas évident que CEUX QUI NOUS FLATTENT NOUS TROMPENT, qu’ils poursuivent un but intéressé et qu’en les croyant nous devenons leurs dupes?

Eux aussi ont cet amour des louanges, et s’ils le compriment pour nous en encenser nous-mêmes , disons-nous bien que c’est à contrecœur, et qu’intérieurement ils se rient de l’idole qu’ils élèvent, comme jadis les prêtres païens se moquaient secrètement des dieux de pierre ou de bois qu’ils faisaient adorer.

Enfin, n’est-il pas certain que, nos œuvres eussent-elles mérité ces éloges, C’EST À DIEU ET NON PAS À NOUS QU’EN REVIENDRAIT LA GLOIRE, puisque lui seul nous a faits ce que nous sommes, et qu’un cheveu de notre tête, pas plus qu’une pensée de notre esprit, ne vient finalement de nous?

Ah! si notre folie est trop grande pour que de telles raisons puissent nous toucher, songeons du moins au terrible exemple d’Hérode, et disons-nous bien que,

Si les Anges vengeurs de la gloire de Dieu ne viennent pas nous chercher tous sur cette terre,

ils ne nous attendent pas moins au pied du tribunal du Seigneur!

Oui, rendons gloire à Dieu seul, humilions-nous complètement, et nous trouverons dans cette voie nouvelle plus de douceur, plus de joie que dans toutes les vapeurs corruptrices de l’encens.

La flatterie enivre,

l’humiliation nourrit!

Et ce qui peut nous arriver de plus heureux, c'est autant de mépris de la part du monde qu’il nous en faudra pour nous apprendre nous-mêmes à nous mépriser. Alors nous chercherons l’approbation de Dieu, et non celle des hommes; et si jamais en nous écoutant, quelqu’un s’écrie: «voix divine,» nous répondrons: «blasphème

Mais rassurons-nous; nous avons peu de dangers à craindre à cet égard: les hommes sont trop amateurs d’éloges pour eux-mêmes, pour nous en prodiguer souvent.

Mais, puisque nous avons une telle confiance en eux lorsqu’ils nous encensent,

n’en ayons pas moins lorsqu’ils nous blâment.

LEUR CRITIQUE, VOILÀ LES ÉLOGES QU’IL NOUS FAUT; elle parlera peut-être plus haut que notre conscience, et peut-être aussi sera-t-elle mieux écoutée.

Heureux donc celui qui ferme l’oreille à la louange pour l’ouvrir à la correction fraternelle, et même à la correction du monde!


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CLXXXIe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres XIII, 1 à 12

Elymas le magicien

Elymas, magicien en crédit auprès de Serge, proconsul romain, voyant son protecteur prêter l’oreille à deux Apôtres, s’interpose et s’efforce de détourner son maître de la foi.

Sans doute il allégua des raisons; mais lesquelles?

Il ne put pas dire qu’un pardon jeté par Dieu sur toutes nos fautes et un Ciel bienheureux accordé en pure grâce fussent des biens peu dignes d’attention.

Que put-il donc alléguer?

Une seule chose, c’est que tout cela n’était que superstition ou mensonge. Telle est la pensée avouée ou secrète des incrédules. Ce dont ils ont peur quand les chrétiens leur proposent leur foi, c’est de croire. Soit. Mais eux ne croient-ils rien?

Examinons.

Avant d’avoir jamais entendu parler de Christ, Serge ne croyait-il à rien d’inexplicable à sa raison?

Si bien; car, malgré toute sa sagesse, et sa prudence, il consultait un magicien dont la science mystérieuse s’imposait d’autorité. Donc le proconsul, encore étranger à la foi chrétienne, croyait à quelque chose qu’il ne pouvait expliquer.

Avant d’avoir jamais vu les Apôtres, le magicien lui-même ne croyait-il pas (ou, ce qui serait bien pire, mais ce que nous ne voulons pas supposer), ne feignait-il pas de croire à une puissance surnaturelle, divine ou diabolique, mais enfin supérieure à la raison?

Sans doute, car lui-même professait cette science occulte, la prônait, en vivait. Elymas croyait donc à quelque chose qu’il ne pouvait expliquer.

Enfin, puisque nous sommes dans l’île de Chypre et à Paphos même, demandons si les habitants de cette contrée trop fameuse ne croyaient à aucune divinité avant que Paul, et Barnabas eussent mis le pied sur le rivage?

L’histoire nous répondra qu’ils adoraient une infâme déesse dont le culte lui-même autorisait l’impureté. Les Chypriens, encore ignorants du nom de Christ, donnaient donc aussi créance à ce qu’ils ne pouvaient expliquer.

Telle est la loi de notre nature, que,

si nous ne croyons pas à la vérité, nous croirons à l’erreur.

Si nous ne sommes pas religieux, nous serons superstitieux; le philosophe le plus indépendant n’osera jamais dire que sa pensée s’arrête où s’arrêtent les sens.

Serge ne croira pas à Jésus-Christ, mais il croira à Elymas;

le philosophe ne croira pas à l’Évangile, mais il croira sa conscience, son sens intime, ses livres enfin quelque chose qui ne raisonne pas.

Regardez plutôt autour de vous, voyez cet homme qui hausse les épaules en passant devant une église évangélique: il va consulter un somnambule qui doit lui prédire l’avenir!

Voyez cette femme, esprit fort qui délaisse la Bible: elle médite avec ardeur un ouvrage sur les songes, et elle-même vous affirme sérieusement que plus d’une fois ses rêves se sont réalisés; il est vrai que selon le besoin elle en a cherché l’explication dans les semblables ou dans les contraires.

Voyez ces sages repoussant Jésus, son Évangile, son Ciel, son immortalité; et discutant entre eux sérieusement sur l’essence d’une âme qu’ils n’ont jamais vue, sur la nature d’un Créateur qu’ils n’ont jamais touché, admettre finalement, sur l’autorité de leur faible raison, des doctrines plus incroyables que celles que leur propose le christianisme, admis par vingt siècles et cent peuples divers!

Parlerons-nous encore de ces superstitions populaires, si communes parmi les incrédules de nos campagnes?

De ces sorts jetés par des sorciers;

de ces jeux de ces jeux de dés ou de cartes révélant l’avenir;

de ces mille superstitions, crues selon les localités et selon les localités repoussées!

Non, mais ce qu’il est bon de dire, c’est que nous avons vu des hommes nier Dieu dans le calme, et prier dans le danger ce bien auquel il ne croyaient pas!

Voilà l’homme, voilà l’incrédule lui-même: il faut qu’il croie, il faut qu’il nourrisse son âme; si ce n'est de pain, ce sera de paille; si ce n’est de Jésus-Christ, ce sera du Grand Albert! (livre de magie.)

Quelle preuve puissante de la nature religieuse de notre être! et en même temps quelle arme écrasante pour les incrédules!

Si nous croyons, nous chrétiens, du moins ce sont des faits et des doctrines qui changent le cœur, purifient la vie, rendent heureux et consolent; et, puisque le Créateur nous a faits croyants, nous avons une preuve de la vérité de notre foi dans l’excellence de ses fruits.

L’Évangile est la vérité, parce qu’il produit la sainteté;

c’est précisément parce que son exigence effraie les incrédules qu’ils ne veulent pas de cet Évangile.

Oh! s’il ne leur imposait pas plus d’obligations morales que n’en impose la foi aux songes et aux devins, ils l’écouteraient bien plus volontiers, ils en feraient une étude savante, favorite; l’Évangile serait la philosophie par excellence!

Mais non, il ne veut pas être cru seulement, il veut encore et surtout être pratiqué; voilà pourquoi quelques-uns le repoussent, et voilà ce qui prouve son excellence et sa divinité!


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CLXXXIIe MÉDITATION.

Lisez Actes des Apôtres, XIII, 13 à 52.

Identité de foi entre les écrivains sacrés

Un fait n’a peut-être pas été assez remarqué. Paul, qui n’avait jamais lu ni les Épîtres, encore à écrire, ni les Évangiles, encore en simples originaux dans trois ou quatre églises lointaines; Paul, qui n’avait ni vu Jésus, ni fréquenté les Apôtres, Paul prêchait cependant la même doctrine que Jésus et les Apôtres. Et ce n’était pas entre eux une simple analogie, mais une conformité si complète que les deux doctrines superposées se trouvent identiques.

Qu’on en juge en rapprochant ce que Paul expose aujourd’hui aux Juifs d’Antioche de ce qu’avait annoncé jadis Pierre aux Israélites de Jérusalem.

D’abord, l’un et l’autre affirment que Jésus est le Messie; rien d’étonnant sans doute dans ce trait général de ressemblance; mais descendez dans les détails: quels arguments présente Pierre?

C’est qu’en Jésus se sont accomplies les prophéties des Psaumes, et c’est précisément ce que Paul fait aussi remarquer.

Mais quelles prophéties? D’après Pierre, celle-ci: «Tu ne permettras point que ton saint sente la corruption.»

D'après Paul, exactement la même. Et qu’on ne pense pas que le rapport entre cette parole du Psalmiste et la résurrection du Christ fût si facile à saisir qu’il ait pu frapper naturellement deux hommes étrangers l’un à l’autre; car, s’il est vrai que la prophétie soit claire, il faut aussi se rappeler qu’à cette époque elle était tout autrement interprétée par la masse de la nation, l’appliquant à David.

Aussi Pierre a-t-il soin de dire: «Le patriarche David est mort; il a été enseveli et son sépulcre est au milieu de nous.»

Et (nouvelle coïncidence) Paul fait la même réflexion: «Certes David s’est endormi; il a été mis avec ses pères et a senti la corruption.»

Cette identité de foi entre deux hommes dont l’un a vécu avec Christ, et dont l’autre ne l’a jamais connu, dont l’un a fréquenté les Apôtres et dont l’autre en est resté éloigné, démontre que:

ces deux hommes avaient puisé leur croyance à une source commune,

celle du Saint-Esprit.

Il y a là, en même temps, une preuve puissante de la divinité de la Bible et une instruction précieuse; oui, une preuve de la divinité de la Bible, car l’accord signalé entre Pierre et Paul se retrouve entre Moïse, Samuel, David, Ésaïe, Daniel, Matthieu, Marc, Luc, Jean, Jacques et Jude.

Ces hommes, divers de temps, de caractère, de position sociale, ont cependant exposé les mêmes doctrines; et leurs écrits mis en un volume s’harmonisent si bien qu’en examinant de près et longtemps leur ensemble, on éprouve la satisfaction d’un homme qui rapproche les feuilles éparses d’un manuscrit précieux et reconnaît enfin qu’il possède un tout complet.

Mais c’est à la précieuse instruction qui découle de cette unité de foi que nous voulons donner surtout notre attention.

Bien des personnes récemment entrées dans la foi chrétienne ou qui, peut-être, en cherchent encore la porte, disent: Ah quoi reconnaîtrai-je que je suis dans la vérité de l’Évangile?

Vous le reconnaîtrez d’abord à ce que le Saint-Esprit le témoignera dans votre cœur, et ensuite à ce que votre foi sera la même que celle des chrétiens de tous les temps.

Jadis les déclarations de la Bible vous étonnaient, vous repoussaient peut-être;

aujourd’hui elles doivent vous apparaître tout autres, fraîches à votre esprit et douces à votre cœur.

Les expériences, les sentiments des écrivains sacrés doivent correspondre à vos expériences et à vos sentiments.

Il y a plus: en parcourant les écrits des chrétiens de tous les siècles, des Pères de l’Église, de nos réformateurs et des écrivains évangéliques de nos jours, vous devez y trouver exprimé ce que vous-mêmes avez senti; tandis que, si vous n’êtes pas encore dans la vérité, vous êtes même étonnés d’entendre parler de cette communion des Saints.

Vous avez bien des sentiments communs avec d’autres hommes, mais surtout quand il s’agit de nier; car ici on s’entend, même avec les indifférents, même avec les incrédules.

Hors de la foi on s’accorde pour la renverser, mais non pour ce qu’on doit mettre à sa place;

on ne se heurte pas entre soi, aussi longtemps que chacun court les champs pour combattre des ennemis épars, mais on se brise les uns contre les autres dès qu’on rentre à l’intérieur pour édifier en commun.

Chacun veut construire sa maison selon ses besoins et à sa hauteur, en sorte que lui seul peut y entrer; il n’est semblable aux autres que sur la voie publique, où tous courent et se croisent sans s’arrêter, sans se connaître et sans s’aimer.

Oui, la foi des chrétiens est la même dans tous les siècles et chez tous les peuples, parce qu’un seul et même esprit la souffle, la développe et la fait fructifier, et son dernier fruit, c’est la joie dans la sanctification, comme l’indique le dernier verset de ce chapitre que nous citerons pour terminer:

«Les disciples étaient remplis de joie et de Saint-Esprit.»





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