La cause de la crainte, c’est le péché
À la vue du démoniaque Légion guéri et paisiblement assis aux pieds de Jésus, les témoins de ce miracle ont peur.
Peur! et de quoi?
À l’ouïe de cette nouvelle répandue aux alentours, les Gadaréniens arrivent et prient Jésus de se retirer de leur pays; car ils ont une grande crainte.
De la crainte! et pourquoi?
N’y avait-il pas dans cette guérison miraculeuse, signe évident de l’intervention divine, un puissant motif de se réjouir?
Ceux qui en avaient été les spectateurs n’avaient-ils pas eux-mêmes des maladies en leurs corps, des péchés sur leur conscience?
◦ Comment donc l’idée de demander leur propre guérison ne leur vient-elle pas? Comment, au lieu de trembler de peur, ne tressaillent-ils pas d’allégresse?
La source de leur crainte est évidemment dans leur état de péché. Il est en effet tout naturel que, lorsqu’un homme se trouve d’une manière inattendue placé en présence de Dieu, ou d’un de ses envoyés, il fasse un retour sur lui-même, se demande ce qu’il vaut devant son juge, et quel arrêt il peut en attendre.
Or, comme tout homme, quel qu’il soit, et à quelque heure que vienne le message divin, retrouve bien vite entassés dans sa mémoire les péchés de sa vie passée, il est tout simple encore qu’il craigne et qu’il tremble.
Ce n’est donc pas sur ce point que porte notre étonnement, mais bien sûr celui-ci: pourquoi les Gadaréniens, en face d’une manifestation éclatante de la grâce de Dieu, ne demandent-ils pas à leur tour une faveur pour eux-mêmes, et en particulier le pardon de ces péchés qui, précisément à cette heure, les font trembler devant l'envoyé céleste?
Ah! c’est que sans doute, bien qu’angoissés par leurs fautes,
◦ Ils ne veulent cependant pas renoncer à la passion qui les a fait naître, et dès lors ils n’oseraient implorer le pardon d’un péché qu’ils comptent commettre encore;
◦ ils sentent que demander leur guérison dans le passé serait aussi la demander pour l’avenir!
Ce serait aller au delà de leur désir; car ils prétendent nourrir encore, au sens littéral comme au sens figuré, de ces animaux immondes dont la loi interdit la chair, et que Jésus vient de précipiter au fond de l'abîme.
Dès lors, ce qu’ils ont de mieux à faire, CE N’EST PAS D’IMPLORER LEUR GUÉRISON, MAIS D’ÉLOIGNER LE MÉDECIN IMPORTUN ET SES REMÈDES AMERS AU PALAIS DU PÉCHEUR.
Voilà précisément aussi ce qui nous tient nous-mêmes éloignés de Jésus, ce qui nous fait fermer sa Parole, repousser sa pensée et fuir la prière.
Oui, tout en déplorant nos fautes, même tout en désirant en être pardonnés, nous voudrions conserver dans un coin de notre cœur un des fils du Serpent séducteur que nous caressons encore avec plaisir, et dont nous serions bien fâchés d'être délivrés.
Nous demanderons, s’il le faut, la guérison de toutes nos maladies spirituelles, cette faiblesse seule exceptée, et c’est elle précisément qui se place comme un interdit entre nous et le Seigneur, nous dégoûte de sa présence, et nous empêche de le prier.
Si quelqu’un en doute, nous lui proposons de faire une expérience: qu’il cherche d’abord dans les replis de son cœur la passion qui le domine le plus habituellement, et qu’il se demande ensuite si VÉRITABLEMENT, SINCÈREMENT, il consentirait à en être radicalement guéri; s’il voudrait prendre à l’heure même un remède infaillible, une boisson souveraine qui coupât net et pour toujours la fièvre de son goût favori; dites, dites, le voudriez-vous?
Pesez bien votre réponse!
Sondez-vous bien au fond, étudiez bien vos secrets désirs?
Voudriez-vous être instantanément guéri de votre vice de prédilection que nous ne pouvons nommer, mais que vous connaissez bien?
Je ne le pense pas; et c’est pourquoi:
◦ vous ne pouvez prier,
◦ vous ne vous plaisez pas en la présence de Dieu,
◦ la lecture de la Bible vous pèse;
◦ plus d’une fois, pendant ce culte domestique, il vous arrive d’en attendre la fin avec une certaine impatience;
◦ c’est pourquoi à cette heure même vous êtes mal à l’aise:
Non, vous ne voulez pas être radicalement guéri,
et guéri sur TOUS les points.
Eh! quel besoin le Seigneur a-t-il donc de nous pour que nous marchandions ainsi avec Lui?
Est-ce Lui qu’il enrichit, en nous donnant ses grâces?
Est-ce Lui qu’il guérit, quand Il nous pardonne?
Est-ce pour Lui qu’il vient à nous, et par amour pour Lui qu’il nous aime?
Non; c’est nous, et nous seuls, qui gagnons à sa présence et à ses pardons; mais il faut choisir:
Jésus ne veut pas nous pardonner à moitié, nous sauver à moitié;
ou plutôt,
Il ne veut pas nous pardonner et nous sauver
tout en nous laissant encore à demi-plongés dans le bourbier du mal.
◦ Aucun pacte n'est possible entre Dieu et Satan!
◦ Aucun mélange admissible entre la sainteté et le péché.
◦ On ne peut pas plus, dans cette vie, être chrétien et marcher un pied dans l’Évangile et un pied dans le monde.
◦ On ne pourra être sauvé dans la vie à venir et vivre les pieds dans le Ciel et le cœur dans l’Enfer.
Renoncement à nous-mêmes
Dans les vérités qui en font l’essence, le christianisme est un renversement complet de nos idées naturelles.
◦ Ainsi, il est très vrai que naturellement nous sommes enclins à penser que Dieu doit nous récompenser en raison de nos mérites, et cependant, d’après l’Évangile, Dieu nous fait grâce à proportion de nos péchés.
◦ Enfin, Jésus lui-même nous dit, dans le chapitre que nous venons de lire, que «quiconque voudra sauver sa vie,» c’est-à-dire SE LA CONSACRER À SOI-MÊME, la perdra, tandis que «quiconque la perdra pour l’amour de Jésus,» c’est-à-dire SE DÉVOUERA À SON SERVICE, «la sauvera, au contraire.»
◦ Ainsi il est certain que naturellement nous nous attendons à voir le coupable subir lui-même la conséquence de sa faute; et toutefois, selon l’Évangile, c’est un autre, c’est le Saint, c’est Christ qui expie les fautes commises par nous-mêmes.
Cela veut-il dire que Jésus-Christ récompensera du prix d’une vie éternelle et bienheureuse le sacrifice de notre vie passagère, employée à faire son œuvre?
Non, ce serait encore le travail suivi de son salaire, idée naturelle, pensée humaine toute contraire à l’Évangile.
La vie éternelle est DONNÉE à l’homme PAR JÉSUS avant que la vie terrestre ait été consacrée à Jésus par l’homme; le don du salut fait par Christ est la semence qui produit le dévouement du chrétien; comment donc le dévouement produirait-il le salut?
Mais quelque étrange que cela puisse paraître, voici ce que signifient les paroles de Jésus: quiconque se dévoue à Lui dès ici-bas trouve dans ce dévouement lui-même la vie, le bonheur, la récompense qu’il n’y avait pas cherchés; en s’oubliant, il se retrouve; en travaillant pour Christ, il travaille pour lui; son œuvre se transforme en plaisir; le dévouement porte en lui-même sa volupté, c’est une passion généreuse qui renouvelle l’être même qu’elle dévore, c’est un feu qui se nourrit de sa flamme; c'est...
Mais le dévouement est impossible à décrire, impossible à comprendre, il faut se dévouer pour savoir combien il est doux de vivre dans un autre, surtout quand cet autre est Jésus, Dieu et Sauveur.
◦ Si nous sommes encore incapables de ce dévouement complet que Jésus nous demande, efforçons-nous du moins, pour y mieux parvenir, de contempler quelle serait notre vie du moment où nous l’accepterions.
Du jour où nous consentons à nous donner complètement au Seigneur, à nous demander constamment ce qui, de notre part, lui serait agréable, il est évident que nous nous déchargeons sur lui du soin de nous-mêmes.
Plus d’inquiétudes pour le lendemain, plus de craintes de la mort, plus de tourments pour nos péchés passés, car ils sont pardonnés, ni pour ceux à venir, puisque nous n’avons plus la pensée d’en commettre.
Nous nous sommes chargés des affaires de notre Dieu;
mais Dieu s’est chargé de nos affaires;
Ainsi notre activité changeant de principe, perdant son égoïsme pour s’inspirer de l’amour, devient douce, savoureuse, paisible, et nous retrouvons pleine de joies pour nous cette même vie, que nous pensions avoir sacrifiée au Seigneur.
Ce n’est pas tout:
En renonçant à notre œuvre pour nous charger de l’œuvre de Dieu, ou plutôt en faisant de son œuvre la nôtre, nous sentons nos idées et nos affections s’élever, s’agrandir et se mettre en rapport avec nos nouveaux intérêts.
Ce n’est plus de nous, pauvres et chétives créatures que nous pensons le jour, et que nous rêvons la nuit; c’est de Dieu, Créateur de l’univers et de sa gloire; c’est de l’humanité entière et du salut des âmes; nous ne traitons plus de la terre et du temps, nous traitons du ciel et de l’éternité; les transactions politiques d’un royaume ne sont pas à la hauteur du salut éternel d’une âme.
La seule pensée que nous sommes OUVRIERS AVEC DIEU dans l’œuvre la plus grande, la plus belle, la régénération du monde, double en nous le sentiment de la vie, élève notre cœur, élargit notre intelligence, grandit tout notre être, et porte à chacun de nos instants, avec un nouveau devoir, une nouvelle jouissance.
Nous désirons encore vivre, mais c’est pour avoir plus d’heures à consacrer au Seigneur; et quand il nous faudra mourir, nous ne regretterons pas de n’avoir pas assez savouré cette existence, mais de ne l’avoir pas assez complètement dépensée au service de Jésus.
Maintenant, que Dieu nous laisse ou nous retire: pour nous, qu’importe! nous ne désirons qu’une chose, le servir; si nous ne le servons plus sur cette terre, ce sera dans les cieux. Encore du dévouement, encore du bonheur!
Voilà ce qui pourrait être; mais, hélas! voilà ce qui n’est pas, ou du moins ce que nous n’éprouvons que par moments.
Oh! que le Seigneur nous multiplie de telles heures, qu’il nous en donne des jours, des mois, des années; qu’il en compose toute notre existence, et que vivre soit pour nous à l’avenir se dévouer à Lui.
Nous sommes naturellement despotes
Nous sommes naturellement despotes. Cette assertion générale peut surprendre; cependant nous la croyons fondée; et, pour convaincre ceux qui en doutent encore, étudions-nous de près.
Voyez d’abord les Apôtres.
Ils rencontrent un homme qui fait le bien au nom de Jésus; mais, parce que cet homme ne marche pas avec eux, ils l’entravent dans sa sainte occupation. N’est-ce pas du despotisme, que de vouloir contraindre un frère à nous imiter jusque dans nos mouvements, et à n’agir qu'en notre compagnie?
Mais suivons le récit.
Arrivés près d’un bourg samaritain qu’ils désirent traverser avec leur Maître, les Apôtres en sont repoussés par les habitants. Indignés de cette conduite, ils veulent faire de cendre le feu du ciel sur des hommes qui osent leur refuser l’hospitalité.
N’est-ce pas encore de la tyrannie et de la plus révoltante, que de prétendre soumettre des étrangers à son service et de les punir pour un refus qui est, après tout, dans leur droit?
Et remarquez que ce qui justifie probablement cette conduite aux yeux des Apôtres se trouve précisément ce qui la rend plus condamnable aux yeux de Jésus.
◦ C’est par zèle qu’ils disent avoir empêché l’homme qui marchait solitaire en chassant les démons,
◦ et par zèle qu’ils appellent la Colère céleste sur ceux qui repoussent Jésus-Christ.
Mais dans l’une et l’autre circonstance, le Maître les censure, et leur répond:
«Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés!»
L’application de la conduite des Apôtres se présente si naturelle et si facile, qu’il semble presque inutile de la développer ici.
De tout temps, des disciples de Jésus ou du moins des hommes qui en portaient le nom se sont montrés jaloux du bien accompli sans leur participation, ou à côté de leur église; comme de tout temps, quand ils en ont eu le pouvoir, ils ont persécuté ceux qui prétendaient adorer Dieu à Garizim plutôt qu’à Jérusalem ou à Jérusalem plutôt qu’à Garizim.
Mais laissons ces vagues applications aux temps passés; ne nous arrêtons pas même à celles que de nos jours on pourrait faire à des hommes blâmant telle œuvre, bonne, mais à eux étrangère; s’irritant de toute volonté rebelle à leur volonté, et qui broierait volontiers sous leurs pieds les moissons chrétiennes qui n’ont pas été semées de leurs mains;
◦ venons-en à nous-mêmes, à nous simples individus, à nous petits, ignorés,
◦ et voyons si nous ne sommes pas aussi entachés de cet esprit dominateur.
Il est vrai que nous n’appelons le feu du ciel sur aucun peuple, et que nous n’entravons aucun homme faisant des miracles; savez-vous pourquoi?
Parce que nous n’en avons ni la force, ni l’occasion.
Notre tyrannie est plus mesquine parce que nos circonstances sont plus petites.
Mais voyez ce que nous faisons déjà dans notre étroite sphère:
◦ Jetez un regard sur notre intérieur où chacun tend à exercer librement sa propre volonté et à fléchir la volonté d’autrui;
◦ Voyez ces contestations journalières entre des époux ou des frères;
◦ ces luttes où la victoire reste toujours au plus entêté,
◦ ces discussions où les esprits s’aigrissent parce que tous prétendent également et sans y réussir, imposer leurs idées;
◦ ces injures attirées sur quiconque résiste et veut marcher de sa propre impulsion.
◦ Regardez au dehors, comme nous sommes prompts à condamner un homme qui n’a pas voulu prendre nos conseils, à critiquer une œuvre qui n’est pas faite sur nos plans.
Il semble en vérité que nous ayons le monopole de tout ce qui est vrai, de tout ce qui est bon, qu’il n’y ait qu’à nous écouter ou à nous suivre pour réussir, et qu'il suffise de s’éloigner de nous pour s’égarer.
Pour que le bien soit bien, il doit être jeté dans notre moule; toute action qui n’est pas nôtre est plus ou moins imparfaite; elle doit être refondue.
Si du moins nous nous disions que les autres aussi bien que nous se croient dans la vérité; comme nous, sont sincères; comme nous, ont quelque intelligence et quelque piété.
◦ Mais non; dès qu’ils ne suivent pas notre ornière; nous soupçonnons leur droiture, incriminons leurs intentions; heureux encore si nous n’entravons pas leur marche, heureux si, abrités sous le manteau du zèle, nous ne prétendons pas faire le bien en les empêchant eux-mêmes de l’accomplir!
Eh bien! c’est là de la tyrannie, mesquine parce que nous n’avons pas la force de la faire plus grande; mais de la tyrannie, criante, car elle est non seulement injuste, mais encore antipathique à l’esprit de Christ au nom duquel nous l’exerçons.
◦ Quoi! Jésus lui-même permet à un homme de chasser les démons, sans l’obliger à le suivre;
◦ il passe outre quand des Samaritains lui refusent l’hospitalité,
◦ il parle même de sauver leurs amis;
et nous, en son nom, nous ne permettrons pas à des hommes, nos égaux ou nos frères, d’exercer librement leur volonté, comme nous voulons exercer la nôtre?
Nous serions plus zélés que le Maître, ou plutôt nous voudrions être plus maîtres que lui?
Ah! que cet excès de prétention nous ouvre enfin les yeux et nous remette à notre place; or cette place est marquée par Jésus, précisément dans le passage que nous venons de lire.
Quand les Apôtres entrent en dispute pour savoir quel est le plus grand parmi eux (car il en est toujours ainsi, les dominateurs, après s’être accordés pour dominer ceux du dehors, veulent encore se dominer les uns les autres,) Jésus, plaçant un enfant au milieu d’eux, leur dit: «Celui qui est le plus petit d’entre vous, c’est celui qui sera grand.»
Si donc vous voulez être le plus grand dans le ciel,
prenez votre véritable place,
et soyez le plus petit sur la terre.
Les choses cachées aux sages et révélées aux enfants
Jésus dit: «Je te loue, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et que tu les as révélées aux petits enfants.»
Il faut que ce soit là pour nous une bien douce vérité, car il nous est dit que c’est avec un tressaillement de joie que Jésus prononça ces paroles.
Cherchons donc ce qu’elles peuvent avoir de si précieux. D’abord fixons-en bien le sens:
◦ ces choses dont parle Jésus sont sans doute les choses évangéliques, les doctrines du salut;
◦ les sages et les intelligents que Jésus nomme sont évidemment les hommes qui prétendent comprendre la vérité religieuse avec le secours de la sagesse et de l’intelligence humaines,
◦ et enfin les petits enfants ici mentionnés doivent être par contre ceux qui, savants ou ignorants, se reconnaissent impuissants par eux-mêmes pour découvrir cette même vérité qu’alors ils se laissent révéler.
Ainsi les paroles de Jésus reviennent à ceci: la plus forte intelligence, laissée à ses propres forces, ne saurait s’élever jusqu’aux vérités chrétiennes; tandis que la plus faible, aidée du secours de Dieu, y parvient sans effort.
Les hommes de génie qui ont mesuré la terre, décrit les cieux, compté les astres, peuvent fort bien ne pas comprendre l’Évangile qu’un simple pâtre et qu’un pauvre artisan saisissent parfaitement; il suffit pour cela que Dieu ait parlé aux uns et non aux autres; or ce Dieu est assez puissant pour se faire aussi facilement comprendre de David, berger, que de Salomon, roi; et ses motifs pour distribuer ses grâces ne sont pas puisés dans l’étendue de notre esprit, mais dans les dispositions de notre cœur.
Et maintenant voyez quelles précieuses conséquences découlent de cette vérité.
Êtes-vous trop jeunes pour que votre intelligence puisse encore saisir les sciences humaines?
◦ Réjouissez-vous cependant, car Dieu peut déjà vous révéler la science divine, et vous donner dès à présent, petits enfants, qui peut-être écoutez ces paroles, assis sur les genoux de votre mère, vous donner dès à présent, par les lumières de son Saint-Esprit, la joie de son salut.
Êtes-vous trop âgés pour étudier les livres des philosophes et craignez-vous de mourir avant d’avoir seulement compris ce que d’autres ont passé leur vie à méditer et à écrire?
◦ Rassurez-vous encore: votre intelligence fût-elle plus affaiblie, votre âge plus avancé, eussiez-vous déjà un pied dans la tombe, Dieu peut encore vous révéler son amour et vous faire accepter son pardon.
Êtes-vous trop pauvres, trop occupés, trop bornés pour espérer de jamais arriver à un grand développement intellectuel?
◦ Qu’importe, qu'importe! À vous pauvres, à vous manœuvres, à vous ignorants qui sentez votre faiblesse, ce Dieu peut montrer sa gloire, expliquer ses desseins, faire goûter sa bonté et saisir sa grandeur.
Ce n’est pas vous qui aurez à vous élever par vos propres efforts, c’est lui qui vous portera sur les ailes de son Esprit; et, qui que vous puissiez être, vous comprendrez bien ce que Dieu fait comprendre à de petits enfants.
Mais hélas! c’est précisément ici que se trouve la difficulté: personne ne veut être un petit enfant, pas même devant Dieu!
– De même que le plus grand obstacle que rencontre un professeur dans les sciences humaines n’est pas toujours la faiblesse de l’intelligence de son élève, mais au contraire la PRÉSOMPTION qui empêche cet élève d’écouter la pensée de son maître.
– De même l’obstacle que Dieu rencontre à se révéler aux hommes n’est pas l’incapacité de ces hommes pour comprendre les leçons de son Saint-Esprit, mais au contraire leur PRÉTENTION de tout saisir même avant que cet Esprit ait soufflé, et leur manque d’attention et de respect quand leur parle le Seigneur.
Plus humble, l’enfant serait plus attentif et comprendrait mieux son professeur; plus humble aussi l’homme tendrait une oreille plus attentive et saisirait enfin la pensée de son Dieu.
◦ Tout le mal vient donc de ce que ni l’homme, ni l’élève ne veulent être de petits enfants.
Il est vrai qu’il se trouve des chrétiens qui ont reconnu la nécessité de se laisser instruire par le Seigneur et qui, devenus petits à leurs propres yeux, ont écouté et compris la révélation des grandes vérités évangéliques, faite à leur cœur par le Saint-Esprit.
Mais encore ici la prétention à la grandeur propre, à l’intelligence propre reparaît à travers l’humble manteau du croyant.
◦ On ne s’enfle plus au nom de sa propre sagesse, mais au nom de la sagesse qu’on a reçue d’en haut.
◦ On a écouté quelques instants le divin instructeur; mais, comme s'il en avait dit assez, on a fermé l’oreille pour achever la leçon soi-même.
Parlons sans figure: des chrétiens, qui sous la conduite du Saint-Esprit sont arrivés à l’intelligence du salut par Jésus-Christ, se sont crus dès lors en état de se conduire eux-mêmes; ils ont réfléchi, comparé, pesé les systèmes religieux; ils en ont choisi un, si encore ils ne s’en sont pas fait un eux-mêmes, et avec ce plan théologique bien arrêté, ils se sont placés devant la Bible pour s’instruire et devant Dieu pour lui demander de les éclairer; ou, pour parler plus exactement:
ils sont venus puiser dans la Parole sainte des arguments pour étayer leur propre pensée:
◦ si un mot, un verset leur a paru les justifier, ils s’en sont emparés, comme d’une arme;
◦ si telle autre phrase leur a semblé les contredire, ils en ont tordu le sens;
◦ et finalement ce sont eux, qui imposent leur pensée à la Bible et non la Bible qui se soumet la leur.
Un tel abus porte avec lui sa punition: chacun de ces petits théologiens, épris de sa perspicacité spirituelle, veut mettre en saillie le trait de lettre, la simple virgule qu’il croit avoir découvert; il fait de son point, imperceptible à l’horizon, un nuage qui s’étend, grandit, envahit le ciel évangélique où brillaient encore pour lui quelques rayons; alors le soleil de l’Esprit disparaît; le présomptueux tombe et va se perdre dans LE GOUFFRE DE L’ORGUEIL SPIRITUEL, dont il ne sortira peut-être que pour retomber dans LE GOUFFRE, non moins profond DE L’INDIFFÉRENCE OU DE L’INCRÉDULITÉ.
Heureux, bienheureux celui qui veut rester petit enfant devant Dieu, devant l’Église, devant ses amis, devant sa famille, et qui pour cela commence par rester petit à ses propres yeux!
Fausse interprétation de ces mots: «Fais cela et tu vivras.»
Une parole de la Bible, isolée de ce qui la précède et de ce qui la suit, risque parfois de dire le contraire de ce qu’elle signifie dans l’ensemble du passage.
C’est ainsi que cette réponse de Jésus au docteur demandant ce qu’il faut faire pour hériter de la vie éternelle: «Fais cela et tu vivras,» signifie, selon qu’on l’extrait du texte, ou qu'on l’y laisse enchâssée, que l’homme peut se sauver par lui-même ou qu’il ne le peut pas.
Étudions cet exemple pour nous apprendre comment on doit user de la Bible et comment on risque aussi d’en abuser.
Un docteur adresse à Jésus cette question (et, remarque l’Évangéliste, dans l'intention coupable de l’éprouver): «Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle?»
Puisque Jésus est le Fils de Dieu, nous devons supposer qu’il pénètre la pensée de cet homme et que sa réponse sera faite en vue de le confondre. C’est en effet ce qui arrive: le Sauveur, après avoir amené le docteur à dire que la foi impose l’amour de Dieu et du prochain, lui répond: «Fais cela et tu vivras.» Ce qui, APPLIQUÉ À LUI MÊME, car c’est pour lui-même qu’il fait la question, revient à dire: puisque, pour obtenir la vie éternelle, tu dois aimer Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même, juge si tu en es digne, toi qui me hais jusqu’à me tendre un piège!
Le docteur le comprend bien ainsi; car, repris dans sa conscience et s’avouant qu’il n’a pas toujours aimé son prochain, il veut cependant «paraître juste,» nous dit l'Évangéliste; aveu indirect, mais clair, qu’il ne l’est pas. Voulant donc paraître juste, le docteur dit à Jésus: «Qui est mon prochain.»
Comment la réponse du Sauveur pourra-t-elle justifier le questionneur?
Ce ne sera qu’en restreignant la qualité de prochain à une certaine classe d’hommes que le docteur puisse prétendre avoir aimés; si, par exemple, Jésus limite l'amour du prochain à l’amour des membres de sa famille, de sa nation ou de ses frères en la foi, cet Israélite espère pouvoir dire qu’il a aimé tous ces hommes, et ainsi se faire reconnaître pour juste.
Mais le Sauveur devinant encore sa ruse la déjoue encore, et la déjoue d’autant mieux qu'il semble mieux l’ignorer.
Il raconte au docteur l’histoire d’un Juif secouru par un Samaritain, et délaissé par ses compatriotes; d’où il résulte que le prochain de tout homme, c’est même l’homme d’une nation et d’une foi différentes, même un étranger, même un païen, même un ennemi.
En d’autres termes, Jésus enseigne au docteur que le prochain, ce sont tous les hommes, et lui fait sentir par là qu’il manque de cet amour sans bornes; qu’ainsi il n’a pas accompli la loi, et qu’enfin il n’héritera pas par ses œuvres, comme il le prétend, de l’éternelle félicité.
Le but poursuivi par Jésus est donc celui-ci: faire sentir à cet homme son impuissance pour se sauver lui-même, afin de le porter à chercher ailleurs son salut.
Nous sommes donc bien loin de l'interprétation qui faisait de sa loi le moyen d’arriver au Ciel, et, quoique par un détour, nous voici ramenés à l’absolue nécessité de la grâce.
Combien d’autres passages de la Parole de Dieu que les hommes tordent à leur perdition, et qui rentreraient dans l’unité de la foi si l’on savait, ou plutôt si l’on voulait, les étudier à leur place, entourés du cortège de circonstances qui les expliquent!
On a exprimé, sous une forme peut-être un peu tranchante, une grande vérité; on a dit de la Bible:
◦ «La division en versets et en chapitres est la source de bien des hérésies.»
Sans doute la source est dans notre cœur; et ces coupures multipliées sur le terrain de la Bible n’ont été que des canaux pour répandre l’erreur; mais il n’en est pas moins vrai que cette division factice, à côté de grands avantages, a de grands dangers, et que nous devons nous tenir en garde contre tout morcellement de la pensée divine.
◦ Lisons donc la sainte Parole avec suite;
◦ jugeons-la dans son ensemble,
◦ rapprochons de son milieu sa fin et son commencement;
◦ éclairons ses passages obscurs pour nous en les étudiant à la lumière de passages plus lumineux;
◦ et surtout, pour n’y pas jeter d’ombre, tenons-nous en garde contre nos désirs de lui trouver un sens plutôt qu’un autre.
◦ Ne ternissons pas le miroir de la vérité, jusqu’à ce qu’il ne nous renvoie plus que la quantité de lumière que notre œil se plaît à supporter;
◦ retenons devant lui notre plus léger souffle, afin qu’il nous renvoie plus pur tout le dessein de Dieu.
Le faux docteur pour nous le plus dangereux, ce n’est pas l’incrédule, ce n’est pas l’hérétique, c’est nous-mêmes; car si, grâce à Dieu, nous avons peur des premiers, par la ruse de Satan , nous sommes enclins à écouter le second, en sorte que
NOUS RISQUONS SOUVENT DE CROIRE
PLUS EN NOUS QU’EN LA PAROLE DU SEIGNEUR.
Notre modération n’est que l’amour de nos aises
Le Sauveur guérit un démoniaque. Les Juifs attribuent ce miracle à la puissance de Béelzébul, prince des démons.
Jésus leur fait sentir qu’il est absurde de supposer que Satan détruise lui-même son ouvrage, et que la seule conclusion raisonnable à tirer, c’est que le démoniaque a été guéri par la puissance de Dieu.
◦ Dans ce combat entre Dieu et Satan, il faut que l’homme prenne parti; il ne peut rester spectateur indifférent, car son indifférence même serait déjà contre Jésus.
Tel est le sens de ce passage, où les pensées se succèdent si rapides qu’il est peut-être difficile pour quelques-uns d’en saisir l’enchaînement.
Et cependant cette position intermédiaire entre le vice et la sainteté, entre le zèle et le relâchement, ce terme moyen que le monde appelle la sagesse et qui serait bien mieux nommé la tiédeur, est aussi celui que bien des chrétiens prennent de préférence.
Cette position n’a pour eux ni les tourments d’une conscience angoissée par le péché, ni la fatigue de la vie remplie par le dévouement; les saints et le monde, Dieu et Satan, le ciel et l’enfer se livrent autour d’eux des combats;
◦ mais eux regardent faire, assis paisiblement loin du champ de bataille, discutant les chances de succès, jetant leur blâme aux uns et aux autres, et se félicitant eux-mêmes de leur propre modération.
Eh bien! sachez-le, ce n’est pas de la modération, c’est l’amour de vos aises.
La crainte de la fatigue vous retient loin du combat.
Vous n’avez ni le courage du bien, ni l’énergie du mal; votre Dieu, c’est le repos; votre volupté, la paresse; votre péché, la lâcheté!
En vain vous vous déguisez tout cela à vous-mêmes, et cherchez à le cacher aux autres; ces autres vous pénètrent et vous dévoilent à vos propres yeux.
◦ Votre indifférence abritera vos biens terrestres,
▪ mais elle ne calmera pas votre conscience;
◦ votre modération vous gagnera bien l’estime du monde,
▪ mais elle vous aliénera l’estime des chrétiens;
plus vous serez ainsi modérés, plus le monde vous aimera, jusqu’à ce que cette mollesse vous attire enfin l'opprobre des saints.
Mais que dis-je?
Il s’agit bien de l’estime du monde ou de l’approbation des chrétiens!
Qu’importe après tout ce que les hommes, les meilleurs même, penseront de vous?
IL S’AGIT DE SAVOIR CE QU’EN PENSE LE SEIGNEUR; et lui-même va vous l’apprendre; lui-même va juger votre prétendue neutralité: «Vous» qui n’êtes pas pour moi, dit-il, «vous êtes contre moi; vous qui n’assemblez pas, vous dispersez, vous n’êtes ni froids, ni bouillants; plût à Dieu que vous fussiez froids! Mais vous êtes tièdes, et je vous vomirai de ma bouche.»
Ainsi donc les timides, les prudents, les sages de ce monde se trouvent enrôlés malgré eux; ils pensaient n'être d’aucun parti, mais ils se trompent; et comme Jésus leur déclare que s’ils ne sont pas du sien, il faut bien qu’ils soient de celui de Satan.
Voilà ce qu’il faut enfin et absolument reconnaître; il n’y en a que deux, et quand on a choisi, il est IMPOSSIBLE DE NE PAS AGIR DANS LA POSITION DE SON CHOIX.
Celui qui n’avance pas dans la foi et dans la sainteté recule.
C’est ce que Jésus fait comprendre par la parabole qui suit immédiatement:
Quand un homme est délivré d’un mauvais esprit, s’il reste alors vide de bonnes choses, l’esprit malin revient accompagné de sept autres, et la nouvelle condition de cet homme est pire que la première.
Donc, pas de neutralité possible, pas d’immobilité tenable; il faut reculer ou avancer, devenir pire ou meilleur; car:
s’endormir où l’on se trouve, c’est déjà croupir dans le mal
et abandonner Jésus-Christ.
Eh quoi! notre Seigneur et Maître serait venu sur la terre pour détruire l’empire du mal sur nous et sur nos frères; nous verrions aujourd'hui Jésus dans le ciel, ses enfants sur la terre combattre vaillamment pour étendre le royaume de Dieu en eux et autour d’eux; nous prétendrions même dire du fond du cœur: «que ton règne vienne,» et nous ne nous jetterions pas dans cette lutte contre le mal?
Nous laisserions lâchement tomber les coups sur nos frères; nous n’aurions aucune pitié de ceux que Satan étouffe dans ses serres!
Ah! encore une fois, prenons-y garde!
De tels indices ne prouvent pas seulement que nous sommes indifférents au triomphe de notre Maître; mais encore qu’il n’est pas notre Maître, que nous ne sommes pas ses enfants, parce que DES FILS NE PEUVENT PAS VOIR FRAPPER LEUR PÈRE ET RESTER CALMES ET IMMOBILES SOUS PRÉTEXTE DE MODÉRATION.
Disons-nous-le donc bien:
◦ Si nous refusons de nous classer, Jésus nous classe d’avance,
◦ si nous ne voulons pas être franchement et complètement pour lui, Il nous le déclare: nous sommes pour Satan.
Voyez si vous pouvez vivre et vous endormir dans cette pensée.
Capernaüm plus maltraitée que Sodome
Par une bizarrerie de sa nature, il semble que l’homme estime les choses, moins d’après leur valeur qu’en raison de leur rareté. Plus il se voit rapproché d’un bien, plus il le dédaigne; plus il s’en croit éloigné, plus il le convoite.
Il en est ainsi des biens spirituels, comme des biens terrestres. Jésus nous donne plus d'un exemple de cette vérité.
◦ La reine du Midi, nous dit-il, vint jadis du bout du monde pour entendre la sagesse de Salomon;
mais aujourd'hui les enfants d’Israël ne veulent pas même tendre l’oreille à la sagesse bien plus grande du Fils de Dieu qui passe à côté d’eux.
◦ Les habitants de Ninive se convertirent à la voix du seul prophète qui leur ait jamais été envoyé,
tandis que la génération perverse des Pharisiens reste incrédule après avoir lu Moïse, entendu Jean-Baptiste et vu les prodiges du Sauveur.
◦ Les habitants de Sichem, ville étrangère, pressent Jésus de rester au milieu d’eux;
les habitants de Nazareth, sa patrie, le chassent au contraire de leur ville, en disant: «N’est-ce pas le fils du charpentier.»
Ce que Jésus disait de son temps, nous pouvons le dire du nôtre.
À la place de Tyr et de Sidon, mettez les païens de nos jours; voyez ces Ninivites modernes qui, dès qu’ils ont entendu la voix d’un Jonas, missionnaire, se réveillent et crient: Que ferons-nous?
Voyez ces sauvages de l’Océanie et du sud de l’Afrique APPRÉCIER MIEUX QUE NOUS CETTE BONNE NOUVELLE que nous leur envoyons sans la garder, lire avidement cette Bible fermée dans nos demeures, marcher des heures entières pour aller entendre un ministre de Christ prêchant chez nous au désert, remplir des temples vides dans nos hameaux et dans nos cités; enfin faire leur tout de cet Évangile de salut mis par nous au rang de nos nombreuses affaires!
Jetez ensuite un regard d’un autre côté.
Siècle et contrée furent-ils jamais mieux partagés que les nôtres?
Les Bibles furent-elles jamais plus abondantes et plus vivement poussées jusque dans nos mains?
Les ouvrages pieux qui l’expliquent furent-ils jamais plus faciles à trouver, plus attrayants à lire?
Les sociétés religieuses pour exciter le zèle, jamais plus multipliées?
Les pasteurs fidèles, jamais plus nombreux?
Enfin les lumières furent-elles jamais plus vives et les encouragements plus puissants qu’à l’époque et dans les contrées où nous vivons?
Et cependant, que de langueur dans les membres de l’Église!
On ne peut pas dire que nous laissions tout cela complètement de côté, mais nous nous en occupons en hommes saturés qui goûtent du bout des lèvres à la plus savoureuse liqueur.
Comme les Pharisiens dont parle ici Jésus;
◦ nous nous inquiétons du vase
et non du trésor qu’il renferme;
◦ nous discourons sur l’éloquence du prédicateur chrétien,
au lieu de scruter sa pensée;
◦ nous discutons sur le gouvernement de l’Église,
bien plus que sur le salut des âmes;
◦ et si nous parlons de la seule chose nécessaire, c’est pour savoir comment nous la ferons accepter des autres,
et non comment nous nous l’appliquerons à nous-mêmes.
Tout en un mot: NOUS NOUS OCCUPONS DU DEHORS ET NON DU DEDANS; et même de cette nourriture raffinée, pétrie de nos mains délicates, nous sommes déjà rassasiés; nous désirons de nouveau d’autres occupations, d'autres biens, je dirais presque d’autres distractions!
Qui sait si dans nos moments de lassitude nous n’allons pas jusqu’à convoiter la position religieuse de ceux qui sont moins bien partagés que nous, par cela seul que cette position serait pour nous étrange?
Qui sait si nous n’avons jamais soupiré après la cabane de l’Indien converti ou du Hottentot chrétien, tout en foulant les perles que l’Évangile jette ici sous nos pieds?
Tel est l’homme, ou disons plutôt tels sommes nous. Quelle misère! quelle folie! et cependant quelle indéniable vérité!
Ah! si l’abondance des biens nous a rendus prodigues et insouciants, si l’amour de Dieu n’a fait que nous endurcir, et si nous ne sommes plus accessibles à la douce reconnaissance, peut-être le serons-nous encore à la juste terreur!
Écoutons donc Jésus tonnant contre Capernaüm et Bethsaïda, car c’est à nous aussi que sous d’autres noms il pourrait dire: Malheur à vous!
Si les lumières qui ont été répandues au milieu de vous l'avaient été au milieu de Pékin ou de Constantinople, il y a longtemps que ces villes se seraient converties, couvertes d’un sac et assises sur la cendre!
Les sauvages de Tahiti, les cannibales de l’Afrique s’élèveront au jour du jugement contre vous, et vous condamneront, car ils se sont repentis à la prédication de quelques rares missionnaires!
Seigneur, ouvre donc nos yeux, amollis nos cœurs, et rends-nous sensibles à tout ce que tu as fait pour nous!
Donne-nous de compter les talents que tu nous as confiés, et de rougir de honte en les voyant rouillés entre nos mains.
Nous avons beaucoup reçu;
que nous nous souvenions qu’il nous sera beaucoup redemandé!
Annoncer l'Évangile toujours et partout
Dans le précédent chapitre, Jésus reproche aux Pharisiens tous leurs vices, et il leur crie à plusieurs reprises: Malheur, malheur, malheur à vous! Aussi Scribes et Pharisiens cherchent-ils dans les paroles du Sauveur un moyen de l’accuser.
Les Apôtres pouvaient s’en effrayer, et alors leur Maître, pour les prémunir contre toute crainte, leur adresse une exhortation que nous pouvons développer ainsi: «Ne soyez point hypocrites comme eux, ayez le courage de dire toute la vérité. Ne les craignez pas, ils ne peuvent, après tout, tuer que votre corps, tandis que Dieu pourrait tuer votre âme!»
Et d’ailleurs, pouvez-vous croire que Dieu vous abandonnera quand vous défendrez sa cause, «Lui qui nourrit les oiseaux de l’air et revêt les lis des champs?»
Voilà la suite des idées par lesquelles Jésus commence ses discours, et que nous ferons bien d’examiner de plus près, car nous aussi sommes ses disciples, chargés de dire toute la vérité; comme de notre temps aussi se trouvent des Scribes et des Pharisiens qui ne veulent pas l’entendre.
Ne semble-t-il pas d’abord étrange que les hommes puissent refuser d’entendre la vérité, quand il s’agit de religion, eux qui désirent si vivement la connaître dans toute autre science?
Il en est cependant bien ainsi, et la raison en est facile à saisir:
L’Évangile, avant d’être une Bonne Nouvelle, est une dure vérité!
Il déclare à l’homme qu’il est méchant, et ainsi blesse son orgueil; il lui demande de changer complètement de vie, et par là contrarie sa passion.
Aussi, voyez-vous qu’on peut discourir surtout dans un livre, dans un salon, sur la place publique, et trouver des auditeurs attentifs et bienveillants; mais qu’on ne peut parler de l’Évangile sans fatiguer le lecteur, chasser l’auditoire, et faire sourire le passant; si l’on insiste, on emporte, on blesse, on irrite, on se fait des ennemis, on s’attire des moqueurs; nouveaux Pharisiens qui seraient bienheureux s’ils pouvaient vous prendre en faute pour vous accuser vous-mêmes.
En face de ces hommes, quel est notre devoir?
De dire à haute voix ce que Jésus nous a dit tout bas par son esprit; de crier à plein gosier ce que dans le secret nous a révélé sa Bible, enfin de placer le flambeau de l’Évangile devant ceux mêmes dont il offusque le plus vivement les yeux.
Mais, dira l’un, c’est parfaitement inutile; ce monde est plongé.si profond dans l’incrédulité et le péché, que c’est perdre son temps que de lui annoncer un Christ, un Évangile qu’il a déjà mis au rang des rêveries.
◦ C’est possible, mais ce n’est pas notre affaire; s’il plaît à Dieu de répandre sa semence par notre main, nous devons la jeter en terre, dût-elle tomber sur le grand chemin. Comme Paul ou Apollos, semons toujours sans regarder en avant ou en arrière, mais en levant les yeux au ciel pour que Dieu donne l’accroissement.
Mais, dira peut-être un autre, ils se moqueront de moi, si je parle du ciel à des hommes tellement préoccupés de la terre; si je jette mon Évangile sur leur table de jeu ou de débauche, je crains bien de passer à leurs yeux pour un extravagant.
◦ C’est possible; mais mieux vaut braver la honte des hommes que la bonté de Dieu, et Jésus nous dit ici même: «Quiconque me reniera devant les hommes sera renié devant mon Père et ses anges.»
Mais, dira sans doute un troisième, si j’ose parler de l’Évangile devant cet homme qui me fournit des moyens d’existence, lorsque je sais qu'il ne l’aime pas et que je l’importune en paraissant lui donner des leçons, il finira par me chasser de sa présence, par me retirer mon gagne-pain, et j’aurais exposé mes faibles ressources sans avancer son salut.
◦ C’est encore possible; peut-être même altérera-t-on votre santé, abrégera-t-on votre vie, et selon l’expression de Jésus, tuera-t-on votre corps; mais ce même Jésus vous rappelle qu’il en est un qu’il faut encore plus craindre, celui qui peut envoyer l’âme immortelle dans la géhenne!
Mais enfin, diront des chrétiens, nous l’avons déjà fait; nous avons parlé du Sauveur et l’on n’a pas voulu nous entendre; quand nous avons insisté, on nous a repoussés, maltraités de toutes les manières.
◦ C’est possible, ou plutôt c’est heureux, car Jésus vous dit: «Réjouissez-vous quand vous êtes persécutés à cause de moi; vous êtes bienheureux si les hommes disent du mal de vous, car votre récompense est grande dans le Ciel!»
Ainsi personne ne nie les difficultés que nous opposons; Jésus même les prévoit, les annonce, et nous dit cependant de parler et de crier jusque sur les toits les paroles de son Évangile.
Maintenant c’est à nous de choisir:
◦ entre la honte qui vient des hommes et la honte qui descendra de Dieu;
◦ entre la mort du corps et la perte de l’âme,
◦ entre la persécution des méchants sur la terre ou l’anathème du Seigneur dans les cieux.
Mais que parlons-nous de persécutions, de perte de la vie, de haine du monde?
Le Dieu qui nous prépare des trônes dans le ciel nous oubliera-t-il donc, en attendant, sur la terre?
Ne prend-il pas soin même des petits passereaux dont cinq se vendent deux pites?
Et s'il en prend soin, nous négligera-t-il, nous qui valons plus que beaucoup de passereaux?
Le Dieu qui a formé l’herbe n’a-t-il pas créé notre corps?
Et s’il revêt le lis des champs, nous laissera-t-il sans pain et sans vêtement?
Oh! gens de petite foi que nous sommes, qui croyons à un Sauveur de notre âme, et qui ne voulons pas croire à un conservateur de notre corps!
Sentons donc cette folie, reconnaissons la justesse de cette accusation: notre foi n’égale pas en grosseur un grain de sénevé! et allons puiser ensuite à sa source, dans la prière, ce courage qui nous fera dire avec joie, par notre vie comme par nos paroles:
◦ Oui, il existe un Sauveur offert à tous, reçu par nous, et dont nous n’avons pas plus honte dans ce monde, à côté des incrédules, que nous n’en rougirons dans le ciel, loin des réprouvés!
Ne crains point petit troupeau
Jésus est à cette heure dans un lieu où il s’était rendu pour se mettre en prière.
◦ Ses Apôtres sont auprès de lui et écoutent ses leçons;
◦ les Pharisiens et les Scribes arrivent et épient ses paroles;
◦ le peuple en grande foule vient de toutes parts.
Quand ce peuple, plus curieux de ses miracles qu’intéressé par ses discours, et ces grands, plus désireux de l’accuser que de le comprendre, quand ces milliers d’hommes l’entourent, lui et ses Apôtres, Jésus dit à ceux-ci, sans doute effrayés à la vue de tant de sages et de tant de peuple: «Ne crains rien, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le royaume.»
Ces encouragements, bien nécessaires sans doute pour rassurer douze pauvres pêcheurs du lac de Génésareth, hommes sans science, sans fortune, timides même, ne le sont pas moins de nos jours pour soutenir les chrétiens placés au milieu de la foule indifférente ou hostile.
Étudions donc ces paroles une à une, pour en extraire le suc doux et fortifiant.
Quand nous méditons sur les magnifiques promesses de vie et de bonheur que nous fait l’Évangile, à nous qui croyons en Jésus-Christ, nous risquons parfois de nous étonner et de dire:
Est-il bien possible que nous, le petit nombre, ayons été seuls choisis dans ces multitudes innombrables, et que, plus que les autres, nous soyons pardonnés et sauvés?
Ne serait-ce pas une folle imagination?
Dieu peut-il faire de si grandes choses pour nous si peu nombreux?
Voici la réponse: «Ne crains point petit troupeau.»
Vous le voyez: Jésus nous appelle «petit troupeau;» Il savait donc que ses enfants, dans tous les siècles, seraient peu nombreux, et c’est probablement pour cela qu’il les rassure.
Vous n’êtes que quelques-uns, mais n’importe!
LE GRAND NOMBRE N’EST PAS UN MOTIF DÉTERMINANT POUR DIEU.
Il ne lui en coûte pas plus de donner un ciel qu’une terre, une vie éternelle qu’une vie de quatre jours, la félicité que l’espérance; et s’il a jugé qu’il valût la peine de donner à chacun de vous la terre, le temps, la foi, pourquoi ne vaudrait-il pas la peine à ses yeux de vous donner, à tous réunis, le ciel, l’éternité et le bonheur?
Sa puissance est assez vaste, son amour assez grand pour que le bien d’une seule créature soit pour lui un motif déterminant.
Mais une autre crainte s’élève quelquefois dans nos cœurs: ce n’est pas tant le petit nombre des chrétiens que la petitesse de chacun d’eux qui nous effraie.
Comment, en me considérant en moi-même, moi, chétive créature, étroit de cœur, débile d’esprit, moi qui passe si vite dans le temps, sans laisser même de trace dans l’espace, comment puis-je penser que le Créateur de l’Univers me destine une place à côté de lui, parmi ses anges, sur le trône de son Fils, et veuille me remplir de son Esprit?
La réponse est toujours celle du Berger qui nous nomme son «troupeau.»
Quelle distance entre l’homme qui garde un troupeau et les brebis qui le composent! Ce berger, bien que petit comparé à Dieu, est grand comparé à la brute privée de raison et de conscience; et cependant il la conduit, il l’aime, l’appelle par son nom, la soigne, la porte sur son sein!
Jésus, en nous comparant à de simples brebis, et lui à leur berger, ne montre-t-il pas ainsi qu’il a mesuré toute la distance qui nous sépare de Dieu et qu’il n’a pas voulu que cette distance nous effrayât?
D’ailleurs, si nous y réfléchissons bien, n’y a-t-il pas plus de distance du néant dont nous avons été tirés à l’existence que nous avons, que de cette existence à la vie éternelle qui nous est promise?
De rien que nous étions, Dieu a fait quelque chose; pourquoi sa puissance et son amour ne pourraient-ils pas, à plus forte raison, du peu que nous sommes, faire quelque chose de plus grand?
Ah! regardons en arrière, et nous oserons ensuite regarder en avant!
Enfin il est encore une circonstance en nous qui pourrait contrister nos espérances: en admettant que Dieu soit assez bon et assez puissant pour nous donner l’éternelle félicité, malgré notre petit nombre de chrétiens et malgré notre petitesse personnelle, n’avons-nous pas, hélas! un motif de craindre que ces bienveillantes intentions à notre égard n'aient été changées par nos désobéissances à sa loi naturelle ou écrite?
En un mot nos péchés, nos péchés horribles et nombreux, n’ont-ils pas fermé le Ciel que Dieu nous avait ouvert?
Cette fois, oui! nous avons raison de nous affliger et de craindre, et même ce n’est qu’autant que notre affliction aura été profonde, notre crainte vive, que nous pourrons comprendre ce que Jésus va nous dire.
Si donc véritablement vous tremblez à cause de vos iniquités, sachez que ce n’est pas pour vos mérites que Dieu vous donne le royaume. Jésus vous dit que c’est parce que cela «a plu à votre Père;» c'est SA volonté, SON bon plaisir, cela lui plaît; voilà le seul motif de son don tout gratuit et de votre bonheur tout immérité.
Comment dès lors pourriez-vous craindre?
La volonté de Dieu risque-t-elle de changer?
Quelqu’un peut-il s’opposer à ce qui lui plaît?
Et vos péchés fussent-ils rouges comme le cramoisi, ne peut-il pas, lui, les blanchir comme la neige?
Fussent-ils nombreux comme les grains de sable du rivage, ne peut-il, lui, les jeter au fond de la mer?
Ah! sans doute notre misère est grande, mais LA MISÉRICORDE DE DIEU EST PLUS GRANDE ENCORE! et c’est sur elle uniquement que repose notre espérance.
Non, point de mérite en nous, mais uniquement son bon vouloir; voilà pourquoi nous n’avons rien à craindre et tout à attendre
Oh! mon Dieu, mon Dieu, élargis notre coeur pour qu’il comprenne mieux ton amour. Chasses-en la crainte, mets-y la confiance, afin que, joyeux en la foi, il puisse à son tour t’aimer et t’obéir, se donner à toi et à nos frères, te rendre grâce et se sanctifier!
L'incertitude de la vie
On entend chaque jour des hommes se plaindre de la fragilité et de l’incertitude de cette vie; et toutefois cette incertitude voulue par le Créateur est, à le bien prendre, un véritable bienfait.
Rien n’éloigne plus de Dieu les cœurs inconvertis que la prospérité, même passagère; que serait-ce donc si cette prospérité pouvait leur être garantie pendant une longue vie?
Représentez-vous une société d’hommes assurés de ne pouvoir, avant le terme fixe de cent ans, ni mourir, ni souffrir, ni jamais manquer de pain, de vêtement ou d'asile: quelle pensez-vous que serait la conduite de tels hommes à l’abri pour un siècle de tout fâcheux événement?
Il me semble les voir se plonger dans les plaisirs dont les excès ne sont plus à craindre, vivre dans l’oisiveté qui n’amène plus la pauvreté, mais qui reste la mère de tous les vices; braver Dieu et la mort, qui sont encore si loin, et les plus sages renvoyer à la dernière période de leur existence toute pensée sérieuse, toute idée de conversion.
Mais du moment que la misère, la souffrance, la mort peuvent nous saisir à dix, à vingt comme à cent ans, voyez comme tout change de face: l’homme ne peut tomber dans l’insouciance, sans avoir à redouter les étreintes du besoin; il ne peut se livrer aux voluptés, sans trembler sur leurs suites, et l’incertitude d’une mort, possible à toute heure, le place à toute heure en face du jugement de Dieu.
S’il porte ses regards sur la foule qui l’entoure, cette grêle de maux descendant sur ses frères de tout rang et de tout âge l’avertit qu’un de ces grêlons meurtriers tombé à ses côtés aurait bien pu tomber sur lui-même et le renverser sanglant.
Si l’incertitude de la vie et l'épreuve toujours pendante sur nos têtes ne produisent pas ces effets sur nos esprits, tel est du moins le but auquel le Seigneur les destine, et telle est aussi la sévère leçon que nous donnent les lignes sacrées que nous venons de lire.
Des Galiléens, persuadés qu’ils n’ont d’autre souverain que l’Éternel et qu’ils ne doivent rien à César, se rendent au temple de Jérusalem pour offrir à Dieu leur sacrifice d’action de grâce.
Durent-ils jamais se croire mieux à l’abri de tout danger?
Cependant les soldats de Pilate pénètrent dans l’enceinte, s’approchent de l’autel, massacrent ces Galiléens et mêlent leur sang au sang des taureaux offerts par eux en sacrifice.
Cette nouvelle se répand dans tous les quartiers de Jérusalem, bientôt vole de bouche en bouche, et dans toutes les parties de la Judée; quelques hommes arrivent vers Jésus, lui racontent ce triste événement, lui parlent de Pilate irrité, des soldats en armes, des Galiléens gisant sur le parvis, de l’autel ensanglanté et du temple retentissant des cris du peuple en épouvante; mais ils racontent tout cela sans songer un seul instant à faire un retour sur eux-mêmes.
Alors Jésus, les rappelant au véritable but de cet avertissement terrible, leur demande s’ils pensent que ces Galiléens fussent plus coupables que d’autres, plus coupables qu’eux-mêmes, et il termine en leur déclarant que tel doit être leur propre sort s’ils ne se convertissent.
Mais, comme l’intervention de Pilate dans cette tragédie pouvait empêcher les Juifs d’y voir un événement conduit par la Providence, Jésus évoque un autre souvenir.
Non loin du temple de Jérusalem étaient la tour et le réservoir de Siloé; les Juifs venus pour remplir leurs devoirs religieux dans le temple, avant d’y entrer, descendaient au réservoir pour y faire les ablutions ordonnées par la loi.
Un jour la tour s’ébranle, croule et ensevelit sous ses ruines dix-huit Israélites.
Ici la main de Dieu n’est-elle pas visible? et, «pensez-vous, dit Jésus à ceux qui l’écoutent, que ces dix-huit fussent plus coupables que tous les habitants de Jérusalem? Non, répète-t-il encore, mais, si vous ne vous repentez, vous périrez de la même manière.»
En écoutant le récit de ces calamités publiques fait à Jésus, nous croyons entendre ceux qu’on nous a faits à nous-mêmes d’événements inattendus arrivés de nos jours.
◦ Tout à coup on nous apporte la nouvelle d’une grande catastrophe: les vents ont soufflé, et vingt navires couverts d’âmes vivantes sont descendus dans l’abîme.
◦ Une étincelle s’est élevée au milieu des ténèbres de la nuit, et une ville entière a été réduite en cendres; ses habitants, assis aujourd’hui sur des ruines, expirent de misère et de faim.
◦ La terre a tremblé, une contrée s’est, entr’ouverte, et dix mille hommes ont passé en quelques secondes dans l’éternité.
À ces nouvelles tout le monde s’agite, s’étonne, écoute, parle, interroge, répète; tous veulent savoir le pourquoi, le comment; combien il y a eu de morts, combien il reste de vivants; mais, hélas! presque personne ne se dit:
La même terre me porte,
les mêmes dangers m’entourent,
un même Dieu règne sur moi
et les mêmes péchés remplissent ma vie!
Écoutons, écoutons donc Jésus qui vient interrompre nos relations des malheurs survenus à nos frères, et tournons nos regards sur nous-mêmes:
◦ Les vents n’ont pas soufflé pour la dernière fois,
◦ d’autres étincelles peuvent jaillir,
◦ la terre peut encore trembler,
◦ et nous, surpris, être engloutis comme nos frères déjà morts à nos côtés.
Hâtons-nous donc, dans l'incertitude du jour, de faire notre paix avec Dieu, de régler nos affaires; tenons-nous prêts, veillons, et surtout, si le péché pèse sur notre conscience, allons décharger notre conscience dans le sein de Jésus;
◦ quand nous aurons reçu ce pardon certifié par le Saint-Esprit à notre cœur,
◦ quand nous pourrons dire que nous vivons selon la piété;
Adviennent alors les vents et la tempête, l’incendie et les flammes, nous sommes prêts à paraître, et notre mort, nouveau bienfait pour nous-mêmes, sera peut-être, encore pour les autres un avertissement salutaire.
Qu’en attendant, la mort des autres soit un avertissement pour nous-mêmes!
Ceux qui crient : Seigneur, et ceux qui font la volonté de Dieu
N’est-il pas bien étrange de voir, dans le tableau que Jésus nous présente ici du jugement dernier, des hommes venir jusque devant le tribunal de Dieu DEMANDER UNE RÉCOMPENSE LORSQU’ILS MÉRITENT UN CHÂTIMENT?
Et répondre au Seigneur qui leur refuse l’entrée du ciel: «N’avons-nous pas mangé et bu en ta présence? Toi-même n’as-tu pas enseigné dans nos rues?»
Si de telles illusions sont encore possibles de l’autre côté de la tombe, combien plus devons-nous supposer qu’elles existent de ce côté, et par conséquent avec quelle triste conviction nous pouvons dire:
◦ Il se trouve sur la terre, aujourd’hui, vivant au milieu de nous, des hommes qui se croient enfants de Dieu et qui ne le sont pas; qui s’imaginent devoir entrer dans la vie et qui vont à la mort!
Mais ici se présente une question importante: sommes-nous, ou ne sommes-nous pas du nombre de ceux qui s’abusent ainsi sur leur propre compte?
1. Nous croyons être sauvés, c’est bien; jamais la pensée que nous-mêmes pourrions être condamnés ne nous vient à l’esprit; c’est encore bien; les véritables enfants de Dieu pensent ainsi; ils possèdent même l’assurance de leur salut;
2. Mais il est des hommes qui se font illusion et qui pensent de même, en sorte que cette persuasion commune ne prouve encore rien pour nous;
SOMMES-NOUS DU NOMBRE DES PREMIERS OU DU NOMBRE DES SECONDS?
Nous avons bu et mangé en la présence du Seigneur, c’est-à-dire, pour prendre ces paroles dans leur sens le plus relevé,
◦ Nous avons communié à sa table, de la main d’un de ses ministres, à côté de chrétiens fidèles qui nous appelaient frères;
◦ nous avons écouté les paroles de Jésus, enseignées dans nos temples et dans nos maisons;
◦ nous affirmons avoir compris et goûté ces enseignements.
Mais que prouve notre sincère affirmation de tout cela?
Rien, car c’est précisément la réponse que font au Seigneur ceux qu’il repousse: «Nous avons bu et mangé en ta présence; tu as enseigné dans nos rues.»
Il est vrai que nous avons en notre faveur le témoignage de nos pasteurs et de nos frères, mais que valent ces témoignages quand le nôtre ne suffit pas?
Si nous nous faisons illusion sur nous-mêmes, nous qui pensons nous connaître si bien, ces frères et ces pasteurs ne peuvent-ils, à plus forte raison, se tromper sur notre compte?
Il y a plus:
Dans un passage parallèle à celui-ci, Jésus fait répondre à ces hommes qui se sont abusés dans leurs espérances: «Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé, c’est-à-dire, n’avons-nous pas parlé, prêché en ton nom? N’avons-nous pas fait des miracles, c’est-à-dire, n’avons-nous pas instruit et converti des âmes en ton nom?»
Et cependant à ces hommes aussi, le Seigneur répond: «Retirez-vous de moi.»
On peut donc connaître l’Évangile, l’enseigner à d’autres, opérer même des conversions, et ne pas être finalement soi-même converti, en un mot se faire encore illusion!
Oh! que cette pensée est sérieuse, effrayante! comme elle tombe d’aplomb et pèse sur la conscience coupable qui n’est pas entièrement étouffée! Que nos désirs fassent donc silence et que cette conscience seule écoute et prononce.
Tout en nous accordant à nous-mêmes qu’il est possible que nous soyons sauvés, avouons-nous qu’il se pourrait bien aussi que, sur ce point capital, nous nous fissions illusion.
Ensuite, cherchons un signe indubitable auquel nous puissions reconnaître ce qu’il en est.
Ce signe, Jésus le présente dans les paroles mêmes que nous venons de lire. On lui fait cette question: «N’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés?»
Il répond: «Faites effort pour entrer par la porte étroite;» et dans le passage parallèle il ajoute: «Car la porte est étroite, qui mène à la vie, et il y en a peu qui la trouvent; tandis que la porte large mène à la perdition, et il en est beaucoup qui passent par elle.»
Enfin, ailleurs, il résume ainsi cette pensée: «Il y en a beaucoup d’appelés et peu d’élus.»
Voilà donc le signe auquel nous jugerons sûrement si nous, sommes sauvés: n’est-ce qu’au prix de beaucoup de vigilance et d’efforts que nous sommes parvenus à suivre la ligne de conduite où nous nous maintenons?
Ou bien notre vie nous est-elle commode et facile?
Nous rappelons-nous avoir, à une époque, de notre vie, quitté la voie naturelle que tout le monde suit pour entrer par la porte difficile de l’Évangile, et, depuis lors, marchons-nous dans un sentier étroit, sans dévier ni à droite ni à gauche, sans poser le pied sur la route spacieuse où se promène la foule?
Résumons, comme Jésus, cette pensée:
◦ Vivons-nous comme un petit nombre d’hommes d’élite sur la terre,
ou comme la multitude qui ne se distingue ni par le bien ni par le mal?
Si l’on faisait deux catégories dans notre ville, dans notre patrie, l’une dans laquelle ou ne dût admettre que quelques noms, l’autre où l’on inscrivit la grande majorité, dans laquelle des deux prendrions-nous place?
Toute la question est là; il s’agit de savoir si nous brillons par nos vertus sur nos alentours, comme un phare sur une montagne, ou si nous sommes confondus dans la foule des honnêtes gens qui se font illusion et que personne ne songe à distinguer de leurs voisins.
Nous seuls pouvons résoudre cette question pour nous-mêmes, car, si quelqu’un le tentait à notre place, nous penserions peut-être qu’il se trompe. C’est à nous, à nous-mêmes de prononcer!
Mais toi, Seigneur, tu le sais; dis-le-nous donc par ton Esprit!
Si nous sommes véritablement du nombre de tes enfants, augmente notre confiance, afin que nous puissions te servir avec plus de joie et plus d’amour.
Mais si nous sommes encore de ceux du dehors, oh! révèle-le-nous aussi tandis qu’il en est temps encore.
Dissipe l’illusion répandue par le péché, déchire le voile tissé par l’orgueil; que nous nous voyions tels que nous sommes, afin que, réveillés de notre fausse sécurité, nous mesurions le danger, nous changions de route, et qu'à l’avenir nous ne marchions plus qu’appuyés sur ton bras tout- puissant.
Il est plus doux de donner que de recevoir
«Quand tu fais un dîner, nous dit Jésus, n’invite point tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni tes riches voisins, de peur qu’ils ne te convient à leur tour, et que la pareille ne te soit rendue; mais, quand tu feras un festin, convie les pauvres, les impotents, les boiteux, les aveugles, et tu seras bienheureux de ce qu’ils n’ont pas de quoi te rendre la pareille; car la pareille te sera rendue dans la résurrection des justes.»
Donner afin de recevoir, c’est de l’égoïsme; mais ce n’est pas précisément contre cette passion que Jésus s’élève ici.
Sans doute, rendre un service au riche, qui pourra vous témoigner sa reconnaissance par un retour, est un plaisir; mais en accorder un au pauvre, qui ne pourra pas nous rendre la pareille, est un plaisir plus grand encore.
C’est la pensée de Saint Paul, qui lui-même l’attribue au Seigneur: «Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir.»
Oui, il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir, ou plutôt c’est un bonheur d’une nature toute différente:
◦ le bonheur de recevoir tient de l’avarice,
◦ celui de donner tient du dévouement;
◦ l'un est un calcul, l’autre un sentiment.
Il est vrai qu’on peut recevoir d’un être bien-aimé, et recevoir alors avec joie ce qui est un don de l’amour; mais il est plus doux encore de donner à cet être.
L’oubli de soi-même, si peu pratiqué, ne peut s’analyser et se faire comprendre à quiconque ne s’est jamais oublié; mais d’autres nous comprendront quand nous essaierons de dire que ce bonheur a quelque chose d’étranger à la terre, de noble, de doux, d’infini, de céleste, dirai-je, qui nous transporte hors de nous-mêmes pour nous associer aux autres êtres, élargir notre sphère de jouissances, et l’élargir d’autant plus que nous nous oublions davantage, et que nous enserrons plus d’êtres dans notre dévouement.
Le bonheur de recevoir, au contraire, quelque pur qu’il puisse être, nous ramène sur nous-mêmes; il est plus vif si vous voulez, mais aussi plus âcre; plus palpable, mais plus grossier.
L’être qui recevrait toujours sans donner jamais marcherait inévitablement à l’égoïsme; celui qui donnerait toujours sans jamais recevoir, s’il lui était possible, toucherait à la souveraine félicité.
Mais, quoiqu’on puisse dire des joies qu’on éprouve à donner, on ne persuadera jamais personne, et l’homme préférera recevoir, aussi longtemps que la nature terrestre de son cœur ne sera pas changée par une influence venue du ciel.
L’homme inconverti peut bien soupçonner quelque joie dans un sentiment dont, malgré sa déchéance, il conserve encore quelque souvenir; mais ces soupçons n’iront pas jusqu’à lui donner le désir, encore bien moins la force de se dévouer pour être heureux.
Le chrétien seul, le chrétien racheté de ses péchés, enrichi de l’éternité, assuré de l’amour de son Dieu, désintéressé d'avance de tous les sacrifices qu’il peut faire ici-bas, peut seul mettre sa joie dans l’oubli de lui-même, dans une sollicitude constante pour ses frères.
A le bien prendre, ses sacrifices n’en sont pas parce que la distinction entre lui et les autres a disparu: quand il donne, c’est une de ses mains qui verse dans l’autre; c’est un frère qui prête à un frère; le bien ne sort pas de la famille.
Et d’ailleurs, il sait que, si lui-même en a besoin, son Père céleste lui rendra au centuple dès cette terre ce qu’il aura donné. On le voit:
le bonheur de donner est vrai, noble et grand;
mais il n’est possible que dans la foi.
Oui, il est plus doux de donner que de recevoir; et s’il en faut encore une preuve, la voici éclatante.
Que fait Dieu, créateur de l’univers et auteur de l’Évangile?
Il donne, donne constamment, sans jamais recevoir; il nous a donné ce monde, donné la vie, donné la santé, donné des parents, donné tout ce que nous possédons ici-bas.
Et pouvons-nous penser que Dieu n’a pas su choisir pour lui la souveraine félicité?
Vient-il, pour être heureux, nous demander quelque bien en échange de ses dons?
Ah! cette pensée seule nous ouvre l’intelligence de l'Évangile, de la bonne nouvelle du salut où tout est don, tout est grâce de la part de ce Dieu.
Oui, Dieu verse à grands flots sur nos têtes le pardon de nos fautes, les dons de son Esprit, la sanctification de notre vie, la promesse du ciel, l’assurance de l’éternité, et un jour, bientôt, il nous mettra gratuitement en possession de ces dons magnifiques, jusqu’à la fin des siècles; ou plutôt, sans se lasser et sans fin, il nous donnera encore la vie, la joie, l’amour, le bonheur.
Il n’attend rien de nous; il nous dit de croire, mais lui-même donne encore cette foi à quiconque la demande, et la met dans le cœur de quiconque ne la repousse pas obstinément jusqu’à la fin.
◦ Donner, toujours donner, rien que donner, sans jamais recevoir, voilà la vie de notre Dieu!
Ne voudrions-nous pas aussi participer à cette vie, goûter ce bonheur, et puiser à la source de la félicité divine?
Oui, Jésus nous y appelle; il le demande lui-même: «Mon père, que tous soient un, ainsi que toi, Père, tu es en moi.»
C’est à nous maintenant à dire amen du fond du cœur à cette prière, jusqu’à ce que Dieu l’exauce, et nous en donne, par son Esprit, le témoignage dans notre cœur.
La modération dans la piété
Il est de ces mots magiques qui enlèvent presque toujours les suffrages, même lorsqu’ils sont prononcés à contresens; tel est celui de modération.
Le sage s’en sert, le paresseux en profite, le lâche s’en abrite; et sous prétexte d’être modéré, on devient infidèle et coupable.
Qu’on regarde de près cet étalage de vertu, et l’on verra qu’il ne brille qu’à la faveur d’un abus de langage; on est dupe d’une expression mal employée.
La modération est belle, sans doute, dans le triomphe, dans le privilège, dans la jouissance d'un bien terrestre quelconque; mais ce mot n’a plus de sens quand il s’agit de devoir et de sainteté; le même motif qui doit nous modérer dans le premier cas doit nous pousser à une activité toujours croissante dans le second; il faut être modéré dans les plaisirs, précisément pour être d’autant plus actif dans l’accomplissement des devoirs, jusqu’à ce que nous arrivions à remplacer les uns par les autres et à retirer une joie de ce qui jadis nous coûtait une douleur.
C’est donc se contredire dans les termes qu’on emploie que de dire:
◦ Qu’il faut être modéré dans le bien,
◦ aimer Dieu modérément,
◦ lui obéir modérément,
◦ se sanctifier et croire avec modération.
Jésus dit tout autre chose: écoutons seulement les quelques paroles qu’il prononce à la fin de ce chapitre:
◦ «Si quelqu’un veut venir vers moi et ne hait pas son père et sa mère, et sa femme et ses enfants, et ses frères et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple.»
Prenez ces paroles dans leur esprit, et non pas à la lettre; il restera toujours que nous devons préférer Jésus à toute notre famille et à nous-mêmes, tout abandonner, tout sacrifier plutôt que de manquer à notre amour envers lui. —
Est ça là de la modération dans l’obéissance?
Mais poursuivons.
◦ «Et quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pas après moi, ne peut être mon disciple.»
Quand il parlait ainsi, Jésus se dirigeait sur Jérusalem pour gravir le Calvaire.
Ne faisons pas, si vous voulez, de la vie chrétienne une crucifixion inévitable et constante; toujours est-il que, d’après cet ordre, nous devons être prêts à charger notre croix, et à mourir pour Jésus, comme il est mort pour nous.
Est-ce là de la modération dans le sacrifice?
Poursuivons encore.
◦ «Vous êtes le sel de la terre; mais si le sel devient insipide, avec quoi le salera-t-on? Il n’est plus propre ni pour la terre, ni pour le fumier; mais on le jette dehors.»
Disciples de Jésus-Christ, notre Maître nous compare au sel qui est incorruptible et qui préserve ce qui l'entoure de la corruption; c’est-à-dire que, non seulement nous devons devenir les êtres les plus saints de la terre, mais encore si purs, si saints, que notre exemple contraigne les autres à se sanctifier.
Nous devons différer du monde, comme le sel diffère en saveur des aliments douceâtres qu’il est destiné à conserver et à vivifier.
Je le demande encore: pour être des flambeaux sur une haute montagne, faut-il de la modération dans la sainteté?
Non, non; une telle modération est de la lâcheté; c’est Satan, déguisé en ange de lumière, qui nous la conseille.
Apprenons à découvrir les ruses cachées dans son mielleux langage. Or, voici comment d’ordinaire il nous parle: «Le mieux est l’ennemi du bien.»
◦ Mensonge! car Jésus répond: «Soyez parfaits» comme votre Père céleste est parfait;»
◦ Saint Paul: «Tendez à la perfection,»
◦ et saint Pierre: «Ajoutez à votre foi la vertu, à la vertu la science, à la science la tempérance, à la tempérance la patience, à la patience la piété, à la piété l’amour fraternel, à l’amour fraternel la charité.»
Le modéré dit: «Il ne faut pas se singulariser; il ne faut rien exagérer.»
◦ Mensonge! car Jésus reproche au contraire aux Pharisiens «de ne rien faire d’extraordinaire;» et l’exagération dans la piété est impossible, puisque, avant d'y atteindre, il faudrait dépasser la perfection.
Le modéré dit: «On ne peut pas toujours prier; d’ailleurs qui travaille prie.»
◦ Mensonge! car Saint Paul dit: «Priez sans cesse.»
Le modéré dit: «Nous ne sommes pas des saints.»
◦ Ce qui signifie: «On ne peut pas exiger de nous de vivre en saints; tandis qu’il faudrait conclure: Nous avons donc à nous sanctifier.»
Le modéré dit: «Dieu sait de quoi nous sommes faits.»
◦ Oui, sans doute, Il le sait, et c’est pourquoi ce Dieu, connaissant notre profonde faiblesse, nous invite à demander son secours, bien loin de nous autoriser à rester faibles, ce qu’on voudrait nous faire entendre.
Le modéré dit: «Charité bien ordonnée commence par soi-même; chacun pour soi, et Dieu pour tous.»
◦ Effroyable mensonge, qui justifie l’égoïsme au nom de la religion, et enlève à l'Évangile ce qui en fait l’essence, l’amour du prochain poussé jusqu’à l’oubli de soi-même.
Ce n’est pas toujours sous des maximes aussi grossières que se cachent la lâcheté, la faiblesse et la peur; ces filles du mensonge savent parfois choisir un langage plus spécieux, des raisons plus subtiles, des prétextes plus habiles; mais si celui qui les entend parler veut en même temps écouter le premier cri de sa conscience, il saura bien découvrir le piège caché sous le feuillage trompeur de cette modération.
Non, aussi longtemps que nous sommes sur cette terre, notre tâche de chrétiens sera de grandir en foi, en zèle, en sainteté jusqu’à ce que nous soyons parvenus à la stature parfaite de Jésus-Christ; c’est par cette croissance que nous prouverons notre vie, et c’est dans ce progrès que nous trouverons nos joies; il faut que toujours actifs, comme toujours en prière, nous puissions dire avec Saint Paul:
◦ «Je ne suis pas» arrivé à la perfection; mais je tâche d’y parvenir, oubliant les choses qui sont derrière moi, pour marcher en avant.»
Et qu’on ne s’imagine pas que pour cela le chrétien doive entrer dans une fièvre d’activité, qui nuirait à sa sanctification, loin de la seconder. Non: mais ce que le chrétien peut et doit faire, c’est de marcher d’un pas égal, ferme et paisible dans une voie directe dont le but est la perfection.
Il ne nous est pas dit que Jésus se soit hâté de parler ou d’agir une seule fois; mais nous le voyons agir constamment, parler dans toutes les occasions, et, sans s’arrêter jamais, aller de lieu en lieu faisant du bien jusqu’à la rencontre de Golgotha!
Joie des anges à la conversion d’un pécheur
Élevons nos pensées à la hauteur où les porte ici Jésus; contemplons dans un ciel infini d’innombrables créatures, heureuses de la présence de Dieu et cependant jetant encore un regard sur nous souffrant ici-bas.
Tandis que ces milliers d’anges, d’archanges et de séraphins fixent ensemble leurs pensées et leurs yeux sur un coin de notre terre, un des pauvres pécheurs qui l’habite se convertit, et aussitôt des chants d’allégresse retentissent sous la voûte des cieux.
◦ Il est sauvé! s’écrient des millions de voix célestes, il est sauvé! c’est un frère de plus pour nous, lui aussi partagera notre éternité et notre bonheur: qu’il vienne, qu’il vienne bientôt prendre place à son côté et répéter avec nous: gloire, gloire à Dieu!
Je le demande: cette pensée que le ciel se réjouit à la nouvelle de sa conversion, n’est-elle pas bien propre à ouvrir le cœur du pécheur repentant aux plus douces émotions et à le rendre heureux lui-même en songeant à la joie qu’il fait naître?
Telle est en effet la merveilleuse dispensation de l’Évangile qui multiplie notre existence, en nous faisant vivre encore de la vie des autres, et qui accroît nos joies en proportion du nombre d’êtres que nous aimons et qui nous aiment.
Admirable sagesse de Dieu qui, en appelant de nouveaux êtres à l’existence, non seulement donne le bonheur à de nouvelles créatures, mais ajoute encore à la félicité de celles déjà heureuses!
La simplicité, la grandeur de cette pensée en révèle la divinité: en effet comparez-la à la pensée humaine, et vous sentirez la beauté de la première par son opposition à la seconde.
◦ L’homme en dehors du christianisme ne jouit que de lui-même et de ce qu’il possède, en sorte que son bonheur est nécessairement borné.
◦ Dans l’Évangile, au contraire, le chrétien, par le lien de l’amour, est heureux de la félicité de milliers d’êtres, et ainsi son bonheur, répété autant de fois qu’il existe de créatures heureuses, est en quelque sorte un bonheur infini.
L’homme du monde se sent frustré de ce qu’on accorde à d’autres; le chrétien, par l’amour qu’il leur porte, jouit même des bienfaits répandus sur eux.
En donnant, l’homme du monde s’appauvrit; en donnant, le chrétien ne fait que déplacer sa richesse, il la possède encore dans le bien-être qu’elle procure à autrui.
Oui, être heureux du bonheur des autres, voilà le grand secret de la félicité chrétienne, voilà le bonheur des anges; que dis je? Voilà le bonheur de Dieu!
Dieu est amour, nous est-il dit; or Dieu est heureux, devons-nous nécessairement penser; c’est donc dans son amour qu’il puise son bonheur, c’est en créant sans cesse de nouveaux êtres, les douant de facultés, les comblant de bienfaits, qu’il satisfait sa nature aimante. Aussi, voyez les multitudes de créatures dont il peuple l’espace: ces armées éternelles dans les cieux; ces générations passagères, mais toujours renouvelées sur la terre, ces myriades de mondes, sans doute habités comme le nôtre; enfin cette vie, ces joies, ce bonheur qui pullulent dans l’espace infini.
Pourquoi Dieu créerait-il sans cesse, pourquoi jetterait-il les jouissances à pleine main dans l’univers, si créer et douer n’étaient pas pour lui les plus douces occupations?
Mais, si des anges qui se réjouissent à la conversion d’un pécheur, vous avez peine à vous élever au Dieu qui se plaît à répandre partout la vie, le mouvement et l’être, redescendez sur la terre et lisez dans un cœur d’homme chrétien; rappelez-vous seulement ce que vous-mêmes avez éprouve à la nouvelle inattendue qu'un malheureux pécheur, pour lequel vous aviez prié peut-être, s’est enfin converti.
Cet homme vivait depuis longtemps dans le désordre, il se faisait gloire de son incrédulité. Mais tout à coup vous apprenez qu’un rayon de la grâce est tombé dans son cœur, que cet Évangile, jadis l’objet de ses moqueries, est devenu celui de sa vénération, que ses blasphèmes se sont changés en bénédictions, que le lion s’est fait petit enfant, que le débauché s’est réformé et que maintenant il marche sans honte sous la bannière du crucifié.
Il vous écrit, il vous parle; mais c’est un langage tout nouveau parce que lui-même est un nouvel être. Dites: votre cœur fut-il jamais plus délicieusement remué qu’à l’instant où vous parvint cette nouvelle! fûtes-vous jamais plus heureux que par la conversion et le bonheur d’un autre?
Eh bien! comprenons par là la nature du bonheur qui nous attend dans le Ciel où nous avons des milliers d’anges amis qui nous connaissent aujourd’hui et que nous connaîtrons un jour, et tendons à ce bonheur dès ici-bas; il est mis à notre portée, nous pouvons le saisir:
◦ pour être heureux, aimons non pas quelques êtres privilégiés qui nous comblent de soins et d’affection; mais; comme Dieu et les anges, aimons le pécheur, l'inconnu, l'indifférent, l’idolâtre qui vivent loin de nous, et travaillons par nos prières, nos sacrifices et nos efforts, à leur conversion.
Chaque pécheur ramené est un nouvel ami que nous nous faisons pour l’éternité, et qui dès ici-bas peut nous faire participer à la joie des anges et à la félicité de Dieu.
L'enfant prodigue
Il est impossible de concevoir une image de bonté, de patience, de douceur, plus parfaite que celle que Jésus nous présente ici de notre Dieu, sous le nom d’un père de famille; suivons-en les traits, l'un après l’autre, et que la contemplation de cette figure aimante contribue à faire de nous, sous l’influence de l'Esprit-Saint, des fils reconnaissants.
L’enfant prodigue demande la part du bien qui doit lui revenir.
Son père, sans lui présenter d’observations qui aient valu la peine de nous être rapportées, satisfait son désir.
Ce père ignore-t-il donc les dangers que court son enfant en devenant si jeune son maître et possesseur d’une fortune?
Non sans doute; mais il sait aussi qu’il est de ces vérités que l'expérience seule enseigne à la jeunesse, et qu’on perd son temps à vouloir communiquer par des paroles. Il sait que trop restreindre la liberté d'un subordonné, c’est donner à celui-ci un plus vif désir de l’élargir, et le pousser ainsi à de nouvelles fautes.
Il laisse donc partir son fils, mais sans l’oublier et bien convaincu que l’adversité le persuadera mieux que tous les discours.
Mais voyez avec quelle anxiété il attend son retour!
Il semble qu’à chaque instant il lève les regards autour de lui, pour s’assurer s’il ne l’aperçoit pas déjà au loin; car, lorsque l’enfant prodigue, couvert de haillons, revient, la tête baissée, les traits amaigris, avant même qu’il ait vu ce père qu’il cherche, C’EST CE PÈRE LUI-MÊME QUI LE DÉCOUVRE LE PREMIER, sent bondir son cœur, court au-devant de lui, se jette à son cou et le couvre de baisers et de larmes.
Ne croirait-on pas que ce vieillard soit le coupable qui implore son pardon?
Cette condescendance ne remue-t-elle pas profondément le cœur?
Et conçoit-on une scène plus attendrissante que celle d’un père pleurant de joie, suspendu au cou de son fils et lui prodiguant ses caresses, avant même que ce fils ait ouvert la bouche pour témoigner son repentir?
Telle est cependant la conduite de notre Père céleste à notre égard.
Nous n’avons peut-être pas encore conçu nous-mêmes une première pensée de retour, c’est lui qui la jette dans notre cœur.
Quand il nous fait faire un pas à sa rencontre:
◦ c’est encore lui qui s’avance vers nous;
◦ c’est son amour qui nous attire,
◦ c’est son amour qui le pousse; des deux côtés
◦ c’est toujours lui qui nous rapproche;
◦ et quand nous consentons à ne pas résister, quand nous voulons bien ne pas fermer nos bras, ne pas repousser ses avances:
il se précipite dans notre cœur, l’inonde de larmes, de joie, de son Saint-Esprit, et nous console avant que nous ayons senti l’amertume du repentir.
Combien de pères, après les premiers moments donnés à l’émotion, auraient cru devoir prendre un air sévère et faire entendre à leur enfant de justes reproches! Mais, chez le père de l’enfant prodigue, rien de semblable.
Son fils lui confesse ses fautes: «J’ai péché contre le Ciel et contre toi»; et aussitôt le père semble vouloir lui épargner de nouveaux aveux; il appelle ses serviteurs, fait apporter la plus belle robe, demande un anneau d'or, ordonne un splendide repas et veut que toute la maison avec lui se réjouisse.
Quelle délicatesse dans cet amour qui efface même jusqu’au souvenir des torts d’un fils coupable et qui cherche en quelque sorte à noyer dans les joies du ciel les regrets du coupable repentant!
◦ «Vos péchés fussent-ils rouges comme le cramoisi, dit l’Éternel, ils seront blanchis comme la neige;»
◦ «Je les jette au profond de la mer;» Je les oublie pour ne me rappeler que mon amour;
◦ «mon enfant, donne-moi ton cœur;» assieds-toi à ma droite et reste éternellement heureux dans ma maison «où toute larme est essuyée,» tout souvenir pénible effacé.
Le frère aîné arrive; il s’informe du sujet de la fête; en l'apprenant il s’en irrite et se montre aussi impitoyable que son père a été miséricordieux.
Encore un fils coupable qui mérite d’être censuré, lui qui ose blâmer l’auteur de ses jours; et cependant encore un fils coupable au-devant duquel le père court lui-même!
Le vieillard sort de la maison, vient trouver l’enfant boudeur et le prie (l’entendez-vous?), le prie d’entrer.
Ce n’est pas tout; le fils aîné expose ses prétendus griefs; le père, loin de répondre qu’il est le maître de ses biens, lui dit avec douceur:
«Mon fils, tu es toujours avec moi et tout ce que j'ai est à toi; mais il fallait bien faire un festin et se réjouir quand ton frère que voilà était mort et qu'il est ressuscité, quand il était perdu et qu’il est retrouvé.»
Patient envers le pécheur, bon envers le chrétien, notre Dieu se montre envers tous et toujours tendre père:
◦ attendant celui qui tarde,
◦ courant au-devant de celui qui revient,
◦ consolant celui qui se repent,
◦ s’expliquant et se faisant mieux comprendre de l’enfant soumis qui ne s’était pas fait encore une juste idée de son amour.
Oh! si nous voulions enfin nous montrer les dignes fils d’un tel père!
Si nous voulions seulement ne pas repousser ses caresses, ses bienfaits, son amour, combien nous serions plus heureux!
Mais hélas! nous sommes encore terrestres et nous avons à chaque instant besoin d’être de nouveau soulevés par la prière vers ce Dieu que nous ne devrions jamais quitter. Prions-le donc encore, et demandons-lui de nous révéler tout son amour pour nous apprendre à mieux l'aimer!
L'économe infidèle et les richesses injustes
Un livre tombé feuille après feuille, durant l’espace de seize siècles, de la plume de trente auteurs divers; un livre écrit dans un pays où les moeurs, le climat, les lois, tout était différent de ce qui se voit au milieu de nous; enfin, un livre terminé il y a près de deux mille ans, et rédigé en d’autres langues que celle dans laquelle nous le lisons, un tel livre doit inévitablement renfermer des difficultés pour la majorité des lecteurs; s’il y a quelque chose de surprenant, c’est que la Bible, dont nous venons de décrire les destinées, RESTE ENCORE AUSSI ACCESSIBLE À TOUTES LES INTELLIGENCES; et pour nous expliquer tant de clarté après tant de causes de ténèbres, il faut nécessairement admettre l’intervention de Dieu dans la rédaction de ce Livre.
Malgré toutes ces excellentes raisons pour ne pas être surpris à la rencontre de quelques difficultés, nous avons peine à nous défendre d’un certain mouvement d’incrédulité, lorsque nous tombons sur un de ces passages qui laissent une objection dans notre esprit.
Nous voudrions l’éclaircir; mais, comme nous commençons par douter, il nous devient plus obscur encore, et nos doutes se fortifient jusqu’à ce qu’enfin un rayon de l’Esprit-Saint vienne projeter sur ces lignes profondes sa vive clarté, et nous faire rougir de n’avoir pas été plus humbles.
Le fragment de chapitre que nous venons de lire présente deux exemples de ces difficultés qui peuvent arrêter un moment, et que nous examinerons pour apprendre à recevoir une autre fois, avec plus de confiance, ce que nous ne comprenons pas pleinement, de prime abord, dans la Parole de Dieu.
On s'étonne, en lisant la parabole de l’économe infidèle, que Jésus puisse nous présenter, comme modèle à suivre, un homme qui, pour se faire des amis, commet des injustices; on s’étonne aussi que son Maître ici représentant Dieu, après avoir censuré cet économe pour son infidélité, puisse lui donner un éloge pour ses nouvelles ruses.
Est-ce donc ce que fit ce serviteur que nous devons faire?
Et notre Dieu est-il ce qu’était son seigneur?
Voilà peut-être des objections qui se sont élevées dans l’esprit de plus d’un lecteur de cette parabole.
Si vous y voulez une réponse, remarquez que JÉSUS PEINT LES HOMMES TELS QU’ILS SONT, et que ce n’est pas ici la conduite morale de l’économe qu’il nous propose en exemple, mais son habileté dans la conduite des affaires.
Voici sa pensée:
Cette habileté que les hommes du siècle mettent à faire le mal,
▪ vous enfants de Dieu, mettez-la donc à faire le bien;
ils méditent, prévoient, calculent; méditez, prévoyez, calculez comme eux;
▪ eux pour le monde, vous pour le Ciel;
eux pour le péché,
▪ vous pour la sainteté;
en un mot: soyez actifs et vigilants dans une autre sphère, avec un autre esprit, mais enfin, actifs et vigilants comme les enfants du siècle.
Quelques lignes plus bas une nouvelle difficulté s’élève:
«Faites-vous des amis avec des richesses injustes,» nous dit le Seigneur.
Qu’est-ce à dire?
Jésus nous conseille-t-il donc d’acquérir des richesses par de mauvais moyens, pour acheter le Ciel?
Ou bien nous engage-t-il dans le même but à répandre en aumônes des biens que nous aurions déjà mal acquis?
Dans les deux cas, le conseil serait étrange et bien opposé à l’esprit du reste de l’Évangile. Mais une lecture plus attentive et un peu de réflexion conduisent bien vite à comprendre que l’expression de «richesses injustes,» mise ici en opposition avec celle de «richesses véritables,» signifie richesses fausses, mensongères, trompeuses, comme le sont les hommes injustes;
◦ c’est donc la passion de l’homme transportée à son objet qui fait dire à Jésus que la richesse est injuste, qu’elle trompe ceux qui se confient en elle.
Voyez comme dès lors le passage devient clair et satisfaisant:
Si vous avez été fidèles dans les richesses fausses,
on vous confiera des richesses véritables;
ce qui est en parfaite harmonie avec la pensée précédente: «Celui qui est fidèle dans les petites choses, sera fidèle dans les grandes.»
Voilà comment un peu d’attention et surtout beaucoup d’humilité conduisent à mieux comprendre la Parole divine et illumine ce qui d’abord s’enveloppait d'obscurité.
Que ces exemples nous servent de leçon à l’avenir.
Quand un mot, une pensée, une doctrine, nous paraissent difficiles, sachons attendre sans les juger.
Disons-nous, au contraire, qu’en elles-mêmes ces choses sont vraies, mais que notre esprit trop étroit ne peut les concevoir.
Attendons s’il le faut, ou cherchons ailleurs avec confiance un passage plus facile pour nous expliquer celui qui nous arrête. Si l’éclaircissement de cette difficulté est utile à notre salut, ou peut avancer notre sanctification, soyons bien assurés que Dieu ne nous laissera pas sans lumière, et qu’au jour et à l’heure convenables la vérité brillera, subite et radieuse, à nos regards étonnés.
Alors nous bénirons Dieu de nous l’avoir cachée d’abord, pour nous la faire mieux saisir plus tard.
Plus l’obscurité première aura été profonde, plus la lumière finale sera éclatante, notre foi ravivée, notre cœur réjoui; et si nous devions quitter ce monde sans pénétrer jamais le sens de telle ou telle parole divine, disons-nous bien qu’il ne nous était pas nécessaire de le connaître sur la terre, et qu’il vaut mieux pour nous qu'il nous soit expliqué par le fait même dans les Cieux.
Lazare et le mauvais riche
Dans la parabole que nous venons de lire, un pauvre meurt et monte au Ciel; un riche meurt et descend en enfer.
Il est inutile sans doute de faire remarquer que ce n’est pas en raison de leur pauvreté ou de leur richesse que ces deux hommes furent ainsi traités, mais bien à cause de l’usage qu’ils en avaient fait.
◦ Le riche avait employé son or à se nourrir avec recherche et se vêtir avec splendeur, tout en laissant Lazare dans la misère et la douleur;
◦ le pauvre avait supporté ses épreuves avec patience et résignation.
Mais pourquoi Jésus ne nous présente-t-il pas aussi le pendant de ce tableau, celui d’un riche faisant un bon usage de ses biens, et d’un indigent méprisant les avertissements de Dieu?
C’est que sans doute la première scène se retrouve plus habituellement dans la vie, et qu’il y a une pente naturelle de la fortune à son mauvais emploi; comme il existe un lien entre la pauvreté et les dispositions pieuses.
◦ Dans un sens, être riche est une charge, être pauvre est un soulagement;
◦ être riche porte à l’orgueil, être pauvre à l’humilité;
◦ l’or fait oublier Dieu,
◦ le besoin le fait prier;
et s’il fallait choisir entre les deux extrêmes, certes un ami sage et chrétien demanderait pour nous la pauvreté comme la moins dangereuse pour notre salut et notre sanctification.
Ce souhait d’un ami pour nous est-il aussi le nôtre pour nous-mêmes?
Quelqu’un a-t-il jamais désiré la pauvreté?
Que dis-je?
Y a-t-il quelqu'un qui n’ait pas une fois convoité la richesse?
Hélas! c’est le vœu de tous nos jours, l’occupation de toute notre vie.
Et n’allons pas répondre que non, que nos prétentions se bornent à gagner notre pain quotidien; car j’en prends notre conscience à témoin: tous nous désirons accroître notre fortune quelle qu’elle soit déjà; tous nous faisons quelques efforts pour acquérir des ressources au delà de nos besoins,
Et s’il en est qui ne songent pas au superflu,
c’est qu’ils sont assez occupés à chercher le nécessaire.
Mais, s’il n’y avait qu’un vœu à former, soyez certain que le plus indigent accepterait, avec ses périls, la position du riche de la parabole.
– Pauvre aveugle! qui ne contemple dans l’avenir qu’il convoite que ces vêtements splendides, cette table abondante, cette maison commode!
– Pauvre aveugle! qui porte ses regards jusque sur la manière dont il sera enseveli, qui voit d’avance le cortège nombreux qui l’accompagne, la pierre orgueilleuse qui doit le couvrir, et qui n’aperçoit pas au delà les tourments de l’enfer et ne pressent pas cette soif ardente qu’un abîme infranchissable sépare de la goutte d’eau fraîche!
Tel est le vœu journalier du pauvre; il soupire après la tentation qui conduit au péché.
Mais le riche est-il plus sage?
◦ Lui, qui se plaît à narrer aux indigents les pièges de la fortune, se précautionne-t-il pour ne pas y tomber?
◦ Fuit-il le luxe, la bonne chère, le superflu?
◦ Les Lazare venus affamés à sa porte s’en retournent-ils rassasiés?
◦ Ne trouve-t-on pas, au contraire, assez souvent chez nos riches chrétiens cette recherche de leurs aises qui leur semble toute simple, et que les pauvres, leurs spectateurs, jugent excessive?
◦ Ce luxe de vêtements ou d’intérieur qui s’efforce de se christianiser par les objets auxquels il s’applique?
◦ Cette table exquise, sous prétexte qu’il faut user des fruits de la terre que Dieu répand autour de nous, mais qui, chargée d’autres fruits, venant aussi de Dieu, moins précieux et plus abondants, aurait pu laisser tomber plus de miettes sur le pauvre?
– Pauvres riches chrétiens! qui ne voient pas en eux-mêmes ce qui frappe si vivement les yeux de l’indigent, et qui se croient simples parce qu’ils ont toujours été somptueux!
– Pauvres riches chrétiens! qui, tout en secourant plus d’un Lazare, ne songent pas que leur devoir serait d’en secourir un plus grand nombre et qu’il n’y a de limites légitimes à leur charité que celles qu’y pose leur fortune.
– Pauvres riches chrétiens! qui imitent le riche de la parabole, tout en prenant parti pour son Lazare!
Oh! qu’il est difficile, qu’il est dangereux de posséder la fortune! Tels sont les riches; qui sait ce que nous, pauvres, serions à leur place?
Hélas! nous ne sommes pas pétris d’une autre boue; il n’est que trop probable que nous agirions comme ils agissent; et si quelqu’un de nous ose affirmer que pour son compte il ferait mieux, cette pensée présomptueuse est déjà l’indice qu’il ferait pire.
Songeons plutôt à plaindre ceux que nous blâmons, à prier pour eux; surtout demandons à Dieu de nous apprendre à être contents de notre sort, à mieux apprécier la position obscure, qui nous préserve de mille tentations et nous épargne tant de péchés.
◦ Si nous sommes un jour fortunés, rappelons-nous alors ce que nous pensions jadis de ceux qui possèdent la fortune; si quelqu’un de nous l’est déjà, qu’il remarque bien que le riche condamné par la parabole ne fut NI INJUSTE, NI IMPUR, NI MÉCHANT; mais que seulement il se revêtait de fin lin, et se traitait avec magnificence, tandis qu’il laissait Lazare impotent souffrir le froid et la faim, couché sur le seuil de sa porte.
Qu’il remarque surtout que tous deux moururent, que dès lors les rôles furent changés, et CHANGÉS POUR L'ÉTERNITÉ!
Les dix lépreux
Dix lépreux, dont neuf sont Juifs et un seul Samaritain, se présentent à Jésus, et lui demandent de les soulager.
Jésus leur dit d’aller trouver le grand-prêtre, et, chemin faisant, les dix malheureux sont guéris.
Un seul s'arrête et retourne vers le Sauveur pour lui témoigner sa reconnaissance.
Les autres, sans s’émouvoir ni s’étonner du bienfait qu’ils ont reçu, continuent leur marche, et vont on ne sait où.
Or, ce lépreux, seul reconnaissant, était précisément, nous apprend Jésus, le Samaritain, un étranger; tandis que les neuf que le Sauveur ne sait où prendre, ceux qui ne sont pas même venus pour le remercier, sont des Juifs, enfants de la maison.
Il faut que les Juifs aient eu grand besoin d’une semblable leçon, car Jésus la leur donne bien des fois.
◦ Ici, c’est un Samaritain qui, seul, revient vers ce Sauveur, que neuf Juifs oublient;
◦ là, c’est un autre enfant de Samarie qui se montre charitable envers un malheureux qu’un lévite et un grand-prêtre laissent expirant sur la route.
◦ Ailleurs, c’est une femme syro-phénicienne, ou un centenier romain, dont la foi ne trouve pas son égale dans tout Israël.
◦ Plus loin, ce sont les habitants de Sichem qui convient Jésus à rester au milieu d’eux, tandis que les Gadaréniens l’avaient prié de se retirer de leur sein, bien que, dans les deux cas, Jésus eût fait un miracle en leur faveur.
◦ Enfin, bien des fois le Sauveur déclare aux prêtres, aux scribes, aux pharisiens, tous juifs, qu’il en viendra d’Orient et d’Occident qui seront à table avec Abraham dans le Ciel, tandis que les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres de dehors, où se feront entendre les pleurs et les grincements de dents.
Cette différence dans la manière dont les Juifs d’un côté, les citoyens de Samarie, de Sidon ou de Rome de l’autre, reçoivent les bienfaits de Jésus; ce contraste entre l’ingratitude des enfants et la reconnaissance des étrangers, s’est vu de tous les temps.
Ainsi nous, élevés dans un pays chrétien, enfants de chrétiens, fréquentant depuis l’enfance des écoles et des églises chrétiennes; nous, lisant la Bible, priant le vrai Dieu, NOUS SENTONS BIEN MOINS VIVEMENT COMBIEN EST MAGNIFIQUE LE SALUT DE L’ÉVANGILE, que ne le sentent ces pauvres et ignorants sauvages dont nos missionnaires nous apprennent chaque jour la conversion.
Voyez:
◦ ici, ce sont des églises désertes, des Bibles fermées;
et dans l’Océanie, ce sont des églises combles, des Bibles apprises par cœur.
◦ Ici, on à peine à sacrifier à la profession du christianisme quelques habitudes mondaines,
tandis qu’au sud de l’Afrique, pour recevoir le baptême, des hommes renoncent à la rapine, à la débauche, à l’anthropophagie, vices et crimes au milieu desquels ils sont nés, et qu’une longue habitude avait transformés chez eux en seconde nature.
◦ Chez nous, l’Évangile prend dans la vie une place à côté de mille autres intérêts;
chez eux, l’Évangile devient la grande affaire de la vie. Ils sont heureux d’un lambeau de livre qu’on leur cède, d’une prédication qu’on leur fait entendre, d’un alphabet qu’on leur enseigne pour apprendre à épeler la Bible;
et à nous, il n’est pas même venu dans la pensée que ce fussent là des bienfaits; en sorte que, si Jésus descendait aujourd’hui sur la terre, nous, chrétiens de naissance, serions dans ses discours les anciens Juifs, fiers et dédaigneux, et ces sauvages, les Samaritains, humbles et reconnaissants.
Un phénomène qui revient le même, à des époques si diverses, doit tenir à des causes semblables. Cherchons donc celles qui l’amenèrent chez les Juifs, et nous saurons celles qui le produisent chez nous.
Les Juifs, comme peuple, avaient été l’objet de tant de bienfaits de Dieu, qu’ils avaient fini par se croire, par cela seul qu’ils étaient Juifs, plus dignes et plus saints que les autres peuples, ou plutôt ils s’estimaient les seuls dignes et les seuls saints.
Quand ils avaient dit: Nous sommes «enfants d’Abraham,» ils pensaient avoir produit un titre incontestable à la protection divine, et ils attendaient comme une rémunération ce que Dieu ne leur donnait qu’en pure grâce.
Ne serait-ce pas aussi là notre cas?
Ne nous semble-t-il pas que l’Évangile nous appartienne mieux qu’aux peuples étrangers auxquels nous l’envoyons?
Ne croyons-nous pas être, à plus juste titre qu’eux, enfants de la maison?
Ne nous considérons-nous pas, en quelque sorte, comme leurs protecteurs naturels et leurs supérieurs nés?
Que chacun s’examine et réponde en lui-même à ces questions, et voie si:
par une ruse de son cœur,
il n’aurait pas aussi changé un salut gratuit en une récompense méritée.
Une seconde cause de l’indifférence des Juifs à la vue des miracles et des instructions de Jésus, c’est que de tout temps ils avaient eu des prophètes et s’étaient sentis sous une protection spéciale, même dans leur dure captivité; ainsi habitués à ces bienfaits, ils ne les apprécient plus à leur juste valeur; dignes fils de leurs pères qui, fatigués même de la manne dans le désert, l’avait méprisée comme les pierres du chemin.
HÉLAS! NOUS AUSSI, HABITUÉS DEPUIS DES ANNÉES AUX DOUX SONS DE L’ÉVANGILE,
– nous y prenons déjà moins de plaisir.
– Nous sommes las d’entendre les mêmes promesses,
– nous nous fatiguons de la même perspective sur le Ciel.
– Jésus nous a sauvés; mais il y a si longtemps que nous le savons!
– Le Saint-Esprit nous est offert; mais on nous l’a déjà tant répété!
Ennuyés des biens que nous avons reçus, nous voudrions du nouveau, et nous nous retrouvons à peu près aussi froids qu’avant d’avoir connu le Seigneur.
Oui, nous sommes rassasiés, et voilà ce qui nous empêche de sentir la saveur des biens spirituels que Dieu nous a donnés.
Ah! prenons-y garde, ce mal est pire que la soif et que la faim!
Celui qui se sent altéré et affamé a la ressource de demander;
MAIS
celui qui perd chaque jour le goût de la nourriture
ne trouve bientôt plus de remède, et meurt de langueur.
A la venue de Christ il en sera comme au temps de Noé
Combien peu l’expérience du passé sert aux hommes du présent!
Il semble que chaque génération s’estime d'une nature supérieure à la précédente et s’imagine devoir échapper aux vicissitudes qu’elle contemple dans la vie de ses pères; il faut que la catastrophe vienne, tombe, écrase l’homme pour le convaincre qu’il peut en être atteint; alors il racontera son histoire en exemple à ses enfants; ses enfants l’écouteront, n’en profiteront pas; et ainsi, jusqu’à la fin!
◦ Adam avait sans doute plus d’une fois redit à ses fils que sa désobéissance lui avait attiré la malédiction de Dieu; et cependant l’aîné tue le second, comme si ce Dieu vengeur n’existait plus.
Les histoires d’Adam et de Caïn, racontées de génération en génération, durent d’autant plus occuper les esprits qu’elles ouvraient les annales criminelles du genre humain; et, toutefois, au milieu de ces récits de la désobéissance de l’homme et des châtiments du Seigneur,
◦ Les peuples se plongent dans le mal,
◦ les enfants de Dieu se corrompent et s’unissent aux enfants du monde,
◦ la malice de leurs descendants couvre la terre,
◦ l’imagination de leurs pensées n’est plus que mal en tout temps.
Au milieu de ces désordres, ils s’attendent si peu à voir se renouveler la vengeance divine, qu’ils se marient, boivent et mangent paisiblement, à la voix tonnante de Noé, jusqu’au jour où le grand abîme s’ouvre et les engloutit sous les débris de leurs festins!
Le souvenir de cette nouvelle catastrophe, facilement conservé au sein de l’immobile Orient, ne peut être ignoré de la peuplade assise sur les bords de la mer Morte à l’époque d’Abraham, et cependant Sodome et Gomorrhe méconnaissent jusqu’à des envoyés célestes; frappés d’aveuglement, ils courent encore au crime, et ce n’est que lorsque le soufre et le feu pleuvent sur leurs têtes qu’ils se persuadent enfin que
La colère de Dieu, pour être longtemps contenue, n’est pourtant pas éteinte,
et qu’elle éclate comme la foudre au milieu d’un jour serein, bruyante, terrible, inattendue!
Les exemples d’Adam, de Caïn, des contemporains de Noé, des habitants de Sodome et tant d’autres sont transcrits par Moïse et les prophètes, rassemblés dans un livre, lus devant le peuple pendant deux mille ans; Jésus vient lui-même dire encore aux Pharisiens qui violent les commandements de Dieu: «Il en sera un jour du Fils de l’homme comme au temps de Noé et de Loth; il apparaîtra comme l’éclair, vu en même temps d’un bout du ciel à l’autre;» et malgré ces avertissements, les Pharisiens et les Scribes, le peuple et les prêtres se moquent de Jésus, le crucifient, persécutent les Apôtres et se livrent à leurs plaisirs, à leurs affaires, avec la plus profonde sécurité, jusqu’à ce que tout à coup ils se trouvent enveloppés dans Jérusalem, assiégés, affamés, brûlés, massacrés, et qu’il n’en reste plus qu’un petit nombre pour reconnaître qu’eux aussi pouvaient tomber sous la malédiction différée de Jéhova.
À notre tour, quel effet produit sur nous le récit de toutes ces catastrophes?
Il faut le dire: l’effet d’histoires si vieilles, survenues à des hommes si différents de nous, par des dispensations si exceptionnelles, que nous restons parfaitement rassurés à leur récit, et bien loin de songer que nous ayons nous-mêmes rien de semblable à craindre.
Eh bien! pour nous mieux convaincre, prenons un exemple plus près de nous, chez nos amis dans notre famille.
Dans quelles circonstances la mort est-elle venue fondre sur eux?
N’est-ce pas au milieu de projets restés inachevés?
N’avaient-ils pas marié leur fils ou leur fille le mois précédent?
N’étaient-ils pas la veille encore assis à une table, et quelques heures auparavant, debout, .un travail à la main?
Enfin combien de fois n’avons nous pas été surpris par la nouvelle d’une mort, ou plutôt, quand la nouvelle d’une mort ne nous a-t-elle pas surpris?
Qu'est-ce donc qui nous rassure sur nous-mêmes?
◦ Serait-ce parce que nous formons encore des projets, marions nos enfants, buvons et mangeons, plantons une vigne ou construisons un édifice?
◦ Serait-ce parce qu’il nous reste quelques travaux à terminer ici-bas, que la mort différera d’une heure de nous appeler là-haut devant le tribunal de Dieu?
Inconcevable illusion!
Parce que le soleil brille aujourd’hui sur nos têtes, tout aussi éclatant qu’hier, parce que le printemps fleurit tout aussi beau que l’an passé, il nous semble que nous devons infailliblement les accompagner dans leur cours!
Mais le retour des jours et des saisons se continue depuis soixante siècles, et depuis lors des centaines de générations sont disparues!
Nous laisserons-nous donc prendre à cette marche constante et infatigable de la nature et des affaires humaines?
Ah! c’est au plus fort du courant que nous serons engloutis!
Aujourd’hui comme demain, la main de Dieu seule nous supporte sur le flot de la vie; nous enfoncerons à l’instant même où il la retirera, et pour cela il ne consultera ni les saisons, ni nos affaires, ni notre âge, ni nos désirs.
Tenons-nous donc prêts;
veillons, les reins ceints,
car le jour du Seigneur, comme un larron, vient inattendu au milieu de la nuit.
Le juge inique
Encore une de ces similitudes que nous risquons bien d’interpréter à contresens si, nous arrêtant aux détails qui sont à la surface, nous n’allons pas de suite à la pensée générale, qui est au fond.
Ce n’est pas que la parabole du juge inique soit imparfaite; non, mais notre esprit imparfait lui-même pourrait la mal comprendre; et, si nous savons nous placer au point de vue de Jésus, c’est précisément ce qui nous faisait paraître cette similitude étrange qui nous en fera mieux sentir la justesse et la force.
Résumons-la d’abord:
Un juge inique, qui ne craint ni Dieu, ni les hommes, laisse une pauvre veuve lui demander longtemps justice sans faire droit à sa requête; mais à la fin, importuné pas ses demandes, il se décide, non par un esprit d’équité, pas même par respect humain, mais uniquement pour se débarrasser de ses importunités, à prononcer sur la cause de cette femme.
De là Jésus conclut que Dieu doit nécessairement exaucer ses élus.
Si l’on prend les détails de la parabole pour les comparer aux détails du sujet qu’elle figure, on sera blessé sur chaque point du rapprochement:
◦ les élus du Seigneur seront représentés par une femme à procès;
◦ le Dieu saint deviendra un juge inique;
◦ et le principe de ses bienfaits, un désir égoïste de se défaire de nos importunités.
Évidemment ce ne peut être là la pensée du Sauveur.
Il faut donc nous élever plus haut et prendre la parabole dans son ensemble; alors le raisonnement du Sauveur est celui-ci:
◦ Si un homme rend la justice,
à plus forte raison un Dieu la rendra-t-il;
◦ si un juge inique fait parfois des actions utiles à d’autres,
combien plus le Dieu saint n’en fera-t-il pas?
◦ Si le premier cède au faible motif de l’importunité,
combien mieux le Seigneur ne suivra-t-il pas l’impulsion de son amour?
◦ Et enfin, si un juge impitoyable a égard aux larmes d’une pauvre et faible veuve,
Dieu ne tiendra-t-il aucun compte de ses nombreux et saints élus?
En deux mots:
Si l’homme faible et méchant exauce une prière,
comment le Dieu puissant et bon ne l’exaucera-t-il pas?
À ce point de vue, tout change d’aspect dans la parabole: plus le juge est inique, son motif vil et la cause de la veuve mesquine, plus aussi le raisonnement prend de force pour établir qu’un Dieu bon, juste et saint, doit faire beaucoup plus et beaucoup mieux en faveur de ceux qui lui demandent la sainteté.
Cette similitude revient exactement à cette autre parole si simple et si puissante de Jésus:
◦ «Quel est l’homme d’entre vous qui donne une pierre à son fils lui demandant du pain, ou qui lui donne un serpent quand il lui demande un poisson? Si donc vous, tout méchants que vous êtes, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père céleste donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent?»
Oui, il est impossible que Dieu n’exauce pas les bonnes prières de ses enfants: le raisonnement de Jésus le prouve avec une telle évidence qu’on n’ose pas y ajouter une pensée, et qu’en y réfléchissant on reste confondu de sa propre incrédulité à l’égard de la prière.
Dieu existe-t-il, oui ou non?
Entend-il, Lui, qui a fait l’oreille?
Voit-il, Lui, qui a formé l’œil?
A-t-il un cœur et des entrailles, Lui, qui nous en a donné à nous-mêmes?
Et s’il a eu la puissance de nous créer, n’aura-t-il pas celle de nous soutenir?
S’il nous accorde chaque jour les biens temporels qui peuvent nous exposer contre son désir à la tentation, nous refusera-t-il les biens spirituels qui nous sanctifieront selon sa volonté?
Non, ces raisons sont si claires, si simples, que nous n’avons pas le courage d’insister. Toutefois, écoutez:
On raconte qu’un enfant, malade depuis de longues années, s’était obstiné à taire ses souffrances, bien que son père l’eût engagé souvent à venir, au besoin, chercher auprès de lui des remèdes appropriés à chacun de ses maux.
Mais un jour le fils, vaincu par la violence de la douleur, se décide à recourir à la bonté de l’auteur de ses jours; il le fait appeler près de sa couche, lui dépeint ses douleurs et le supplie d’avoir pitié de lui. Alors le tendre père lui présente une coupe, l’enfant boit et tombe mort! La coupe contenait du poison!
Cette histoire vous semble-t-elle vraisemblable?
Non, elle est absurde! elle est impossible! La croire, c’est calomnier la nature humaine, et surtout méconnaître le cœur d'un père!
◦ Eh bien! en dire autant de Dieu, soutenir que notre Père céleste n’exauce pas et même trompe ses enfants qui le supplient, ce n’est pas une calomnie, c’est un blasphème, c’est une monstruosité!
Non, non, ce n’est pas Dieu qui refuse d’exaucer ceux qui le prient; C’EST NOUS QUI NE VOULONS PAS LE PRIER, parce que nous n’avons pas de confiance en notre Créateur, ou plutôt parce que nous ne désirons pas véritablement les biens spirituels qu’il veut nous donner.
Oh! si son ciel était plein d’or et d’argent, et qu’il eût promis à nos prières de verser ces trésors sur nos têtes, nous aurions bien déjà essayé de ces prières, et une fois repoussés, nous serions bien revenus à la charge!
Mais non; c’est le Saint-Esprit que Dieu nous offre, c’est le Saint-Esprit que nous ne demandons guère et que nous désirons encore moins:
EST-IL DONC ÉTONNANT QUE NOUS NE L’OBTENIONS PAS?
La force des préjugés
Jésus, se dirigeant sur la Ville sainte, dit à plusieurs reprises à ses Apôtres:
◦ «Nous montons à Jérusalem, et toutes les choses écrites par les prophètes, touchant le Fils de l’homme, vont être accomplies. Car il sera livré aux Gentils, on se moquera de lui, il sera outragé, et on lui crachera au visage. Après qu’ils l’auront fouetté, ils le feront mourir, et le troisième jour il ressuscitera.»
Ces paroles ne sont-elles pas aussi claires qu'on peut le désirer?
Cependant, nous dit l’Évangéliste, «les Apôtres n’entendirent rien à tout cela; ce discours leur était si obscur, qu’ils ne comprenaient point ce que Jésus leur disait.»
Ce que nous ne comprenons point, nous, aujourd’hui, c’est que les Apôtres n’aient pas alors compris Jésus!
Son langage est si simple, ses déclarations si positives, et elles ont été déjà si souvent répétées! Ces disciples ont vu d’ailleurs tant de fois les Pharisiens tendre des pièges à leur Maître pour le faire mourir, que cette animosité des Juifs devrait cependant bien être une explication suffisante de ces prédictions elles-mêmes, déjà si faciles à comprendre!
Mais non; loin de prévoir la mort prochaine de Jésus, les Douze se préoccupent de son règne dans ce monde et de la place qu’ils occuperont, eux, auprès de son trône.
Qui donc peut boucher ainsi leur intelligence?
Hélas! c’est le préjugé, l’opinion bien arrêtée d’avance qu’il ne doit pas en être ainsi. Simon-Pierre et son frère, les deux fils de Zébédée, Matthieu le péager et leurs collègues, avant d'être Apôtres, avaient été de simples Israélites; ils avaient dès leur enfance entendu dire, dans la synagogue et au foyer domestique, qu’un Messie glorieux viendrait délivrer leur nation, conquérir le monde et régner avec eux sur l’univers.
Pour les Apôtres, Jésus est le Messie devant réaliser ces grandes espérances de prospérité matérielle; ce Messie même a beau leur dire qu’il n’en sera pas ainsi, que son règne n'est pas de ce monde, qu’eux-mêmes seront persécutés, que lui s’en va mourir; rien, rien ne peut ouvrir leurs yeux; ils veulent absolument que leur Maître soit un roi terrestre, puissant et glorieux; et contre cette opinion bien arrêtée viennent tomber inintelligibles, comme contre une oreille d’airain, toutes les explications du Sauveur.
Tel est l’aveuglement produit par le stupide préjugé!
Mais rappelons-nous les effets de ce préjugé, dont nous avons été nous-mêmes les témoins.
Il nous est arrivé, peut-être, d’exposer nos vues sur l’Évangile, ou sur tout autre sujet, à des hommes obstinément attachés aux principes qu’ils s’étaient formés ou qu’ils avaient reçus dans leur enfance, et qui, en tout cas, différaient des nôtres.
Mais nous avons parlé en vain, et nous sommes restés tout étonnés de leur incapacité pour saisir nos doctrines, et confondus de l’absurdité de celles qu’ils nous ont eux-mêmes exposées.
D’où vient tout cela?
Peut-être d’une seule opinion erronée, ACCEPTÉE SANS EXAMEN depuis longtemps, et qui fausse depuis lors tout ce qu’on présente... à leur esprit, allais-je dire.
Mais pourquoi ne dirai-je pas au nôtre?
Nous croyons nos voisins sous l’empire du préjugé; eux de même nous croient sous l’empire du préjugé; l’erreur est d’un côté, la vérité de l’autre; mais duquel?
Eh! pourquoi donc ne nous ferions-nous pas la question que nous voudrions qu’ils se fissent eux-mêmes?
Oui, voilà ce que chacun de nous devrait se dire: c’est que lui, lui-même, est peut-être sous l’influence de quelque faux principe qui obscurcit son intelligence et l’empêche de saisir de nouvelles vérités.
Rappelons-nous, en effet, ce qui nous arrive, par exemple, quelquefois en ouvrant la Bible à une page que nous avions déjà lue. Notre pensée devance nos yeux et nos lèvres; nous n’avons pas encore parcouru le passage, que son sens, ou plutôt le sens que nous lui attribuons, est déjà présent à notre esprit; en sorte que ce ne sont pas les mots placés sous nos yeux qui nous donnent l’intelligence de ce que nous lisons, mais
C’EST NOTRE INTERPRÉTATION ARRÊTÉE D’AVANCE QUI S’IMPOSE À LA BIBLE.
Combien de pages ainsi lues et relues à l’ombre de nos préjugés, sans lumière, sans joie, sans saveur, et qui nous auraient éclairés et réjouis, si nous avions voulu en écouter les paroles avec l’oreille attentive et le cœur humble du jeune élève qui vient à l’école de Jésus pour être instruit, et non pour réciter une orgueilleuse leçon!
Ce qui est vrai de la lecture de la Bible est encore vrai de l’audition d'un discours chrétien ou d’un entretien entre frères.
C’est toujours notre esprit prévenu qui écoute:
◦ il choisit telle pensée, non parce qu’elle est vraie, mais parce qu’elle est conforme aux siennes;
◦ il en repousse telle autre, non parce qu’elle est fausse, mais parce qu’elle blesse sa manière de sentir.
Comment s’instruire en s’écoutant soi-même?
C’est impossible!
Oh! avec quelle profonde sagesse Jésus nous dit dans ce même chapitre: «que le royaume de Dieu n’est ouvert qu’à ceux qui le reçoivent comme de petits enfants,» à ceux qui se sentent vides de science, qui sont exempts de préjugés et surtout humbles de cœur!
Ne nous contentons donc pas de nous lamenter contre le préjugé en général; mais cherchons-le là précisément où nous le supposons le moins, où nos frères l’aperçoivent si bien; là enfin où nous en recevons le plus grand dommage, c’est-à-dire en nous-mêmes!
Il est de l’essence du caractère chrétien de se délier de son propre jugement, d’avoir meilleure opinion des autres que de soi-même, et surtout de sentir son propre néant intellectuel et moral devant Dieu.
En nous tenant en garde contre nos propres idées, nous ne perdrons jamais grand-chose, et nous pourrons beaucoup gagner, car nous aurons rendu notre intelligence plus accessible à l’instruction que Dieu veut nous donner par sa bonne Parole et son Saint-Esprit.
Zachée
Comment s'opère une conversion?
Telle est la question que bien des hommes se sont adressée, soit qu’ils aient douté de la réalité chez les autres, soit qu’ils aient désiré pour eux sa réalisation. Or, l’histoire de Zachée va leur répondre.
L’existence de cet homme se partage en deux périodes bien distinctes:
1. La première, où, chef des péagers, il s'enrichit par des exactions et des rapines, et où, comme tout péager, il mène une mauvaise vie.
C’est le témoignage que ses concitoyens lui rendent, et que lui même accepte par son silence en face de ses accusateurs et par ses aveux en présence de Jésus. Tel est Zachée jusqu’au jour où le Sauveur entre dans Jéricho.
2. La seconde partie de sa vie est tout autre: Zachée recherche Jésus, le reçoit dans sa maison, est prêt à distribuer aux pauvres la moitié de ses grands biens, et à restituer au quadruple tout ce dont il a pu jadis s’emparer injustement; c’est ce que confirme Jésus en déclarant Zachée un digne fils d’Abraham et un élu de Dieu.
Entre ces deux époques si différentes de la vie d’un même homme, que s'est-il passé?
Jésus a appelé Zachée, est entré dans sa maison et lui a déclaré qu’il était sauvé.
C’est tout!
Mais aussitôt, cet appel du Maître et ce salut donné par Jésus font naître dans le coeur du pécheur une joie féconde en bonnes œuvres. Zachée n’a pas plus tôt entendu la voix du Seigneur, qu’il s’élance du haut de ce sycomore où la simple curiosité l’avait fait monter, et court plein d’allégresse mettre sa demeure à la disposition de son Sauveur.
S’il vient annoncer à Jésus son intention de consacrer la moitié de sa fortune à soulager les indigents et le reste à réparer ses injustices, ce n’est pas vanterie de sa part: car Jésus, Fils de Dieu, connaît trop bien le cœur humain pour s’y tromper, et Jésus lui donne un éloge.
Non, mais:
C’est chez un pécheur pardonné
le besoin d’exprimer sa reconnaissance,
de manifester sa joie,
de témoigner son amour.
Tout en deux mots: Jésus déclare à Zachée qu’il est sauvé; dès lors Zachée, heureux, exprime son bonheur en répandant des bienfaits sur ses frères; sa joie produit sa charité.
Voilà donc comment s’accomplit la conversion du chrétien: Jésus soulage sa conscience du poids de ses péchés; il lui donne, non pas l’espoir, mais l'assurance d’une éternelle félicité, et cela à l'instant même: «Aujourd’hui,» dit-il aux Pharisiens en parlant de Zachée, «aujourd'hui le salut est entré dans cette maison;» et cette simple mais profonde assurance de pardon fait tressaillir le coeur, le bouleverse, le convertit;
◦ d’un homme, elle fait un chrétien;
◦ d’un pécheur, elle fait un saint,
◦ sous la bénédiction du Saint-Esprit.
Remarquez bien que les nouveaux sentiments et la nouvelle conduite de Zachée n’existent pas avant l’entrée du salut éternel dans sa maison, car c’est à son sujet que Jésus dit qu’il est venu chercher «ce qui était perdu.»
C’est donc dans son état de perdition que le Sauveur a pris cet homme, et ce n’est qu’après avoir été tiré de l’abîme, après avoir été sauvé, que Zachée, jadis pécheur, peut donner une nouvelle direction à son existence.
Remarquez que c’est AVEC Jésus que ce salut est entré chez le chef des péagers, et que ce n’est que lorsque le Sauveur est déjà son hôte, que Zachée prend la résolution de changer de vie.
Eh! comment pourrait-il en être autrement?
Comment le pécheur de goût et d’habitude aurait-il trouvé en lui-même le désir ou la force de se réformer, quand il était le plus profondément enraciné dans ses vices?
Alors, ami de l’argent et du plaisir, comment aurait-il pu se sentir porté vers un Dieu saint et juste, qui lui demanderait compte de son passé sans rien lui promettre pour son avenir?
Non; mais du moment où Jésus lui donne le pardon, lui donne la vie éternelle, se donne lui-même pour lui assurer le salut, dès lors comment aussi Zachée resterait-il froid en face de si grands témoignages d’amour?
Telle est donc la voie qui conduit à la conversion:
CETTE VOIE EST OUVERTE, non par nous, mais PAR JÉSUS; son but, le salut, est atteint, non par nos œuvres, mais PAR LA GRÂCE DU SEIGNEUR, et ce n’est que lorsque cette grâce nous est assurée qu’elle féconde en nous de saintes dispositions, et produit des œuvres abondantes; ce n’est donc que lorsque nous aurons reçu complet et gratuit le salut de Christ, que notre cœur sera régénéré.
On comprend maintenant quelle est l’erreur de ces hommes, chrétiens encore faibles, si du moins ils sont déjà chrétiens, qui tombent dans le découragement, et doutent de leur salut, parce que leur vie n'est pas assez pure, leur zèle assez ardent, leur amour pour Dieu et pour les hommes assez vivant et dévoué:
◦ Ils veulent voir les fruits avant d’avoir planté l’arbre,
◦ atteindre la sainteté avant d’avoir reçu l’élan du salut.
Sans doute l’erreur ne serait pas moins grande si l’on prétendait croire sans aimer; et Jésus répondrait alors: «On connaît l’arbre à son fruit.»
Mais nous ne parlons pas ici pour des hypocrites, qui nient par leur vie la foi qu’ils affirment par leurs lèvres; nous parlons pour des hommes qui, droits et sincères, ont cependant le tort d’attendre pour croire à leur salut d’avoir sanctifié leur vie.
Non, non, chers frères, CROYEZ D’ABORD que vous êtes sauvés; sauvés par la foi, sauvés par grâce, réjouissez-vous de ce don inestimable, et quand vous saurez que «rien au monde ne peut vous séparer de l’amour que Dieu vous a témoigné en Jésus-Christ,»
◦ Alors vous saurez que votre salut acquis ne peut plus se perdre; lorsque vous verrez par la foi les trônes que Dieu vous a dressés d’avance pour l’éternité,
◦ alors une nouvelle perspective s’ouvrira devant vos yeux, réjouira votre cœur, ennoblira vos pensées et peuplera votre vie d’actions pures, saintes et dévouées, car le salut était entré déjà dans sa maison, quand Zachée conçut sa première pensée de justice, d’amour et de sainteté.
L'entrée triomphale touche à Golgotha !
Jamais un plus beau triomphe ne fut décerné à Jésus que celui dont l’entoure la foule de ses disciples et du peuple à sa dernière entrée à Jérusalem.
◦ Une monture lui est envoyée,
◦ les habitants de la Ville sainte viennent à sa rencontre;
◦ les uns détachent des rameaux de palmiers, et en jonchent la route,
◦ les autres étendent leurs vêtements sur son passage,
◦ tous crient: «Gloire, gloire au Fils de David; gloire, gloire à Celui qui vient au nom du Seigneur!»
À peine a-t-il traversé la porte que la ville s’émeut; les uns demandent: Qui arrive, pourquoi ces cris, cet enthousiasme, cette marche triomphale?
Les autres répondent: c’est Jésus le Prophète!
Cette parole répétée de bouche en bouche par des milliers d’Israélites, venus de tous les points de la Judée à Jérusalem avec l’espérance d’y voir le Sauveur, cette parole excite une allégresse générale;
◦ la foule afflue de toutes parts;
◦ la foule accompagne Jésus au temple,
◦ les marchands obéissent à ses ordres,
◦ le peuple écoute ses enseignements,
◦ les enfants chantent ses louanges,
◦ et les Pharisiens eux-mêmes restent confondus en présence d’un succès qui ronge leur cœur d’envie.
Ne semble-t-il pas que Jésus approche d'un triomphe final, que le vœu populaire va vaincre enfin ses puissants ennemis et mettre entre ses mains la double autorité du Grand-Prêtre et du monarque?
Et cependant Jésus touche à Golgotha!
◦ Un traître se trouve, de faux témoins s’élèvent, un jugement se prononce:
◦ Jésus passe de la monture du prophète à la croix de l’esclave!
Image frappante de la vie du chrétien, où l’abaissement n’est jamais plus prochain qu’au milieu de l’exaltation la plus haute et même la plus pure!
Examinez votre propre histoire:
◦ n’est-il pas vrai que, lorsque vous étiez heureux dans un sentiment de communion avec Dieu,
◦ lorsque la charité vous était devenue facile et la prière douce;
◦ lorsque vous vous sentiez comme porté sur les ailes du Saint-Esprit,
◦ et que vous pensiez devoir être aisément maintenu dans cet état de béatitude,
Vous avez tout à coup glissé, vous êtes tombé dans un piége inaperçu et vous êtes trouvé, à votre grande surprise, livré au doute et au péché?
N’est-il pas vrai qu’au sein d’une prospérité temporelle, lorsque vous ne songiez qu’à bénir Dieu pour vous et pour les vôtres, et ne formiez plus aucun désir, pas même celui de conserver une félicité qui vous paraissait trop bien assise pour être jamais ébranlée, n’est-il pas vrai que c’est dans ce moment de profonde sécurité qu’est venu fondre sur vous le trait d’adversité le plus imprévu et lé plus acéré?
Oui, vos souvenirs ont déjà répondu!
Eh bien! consolez-vous: vous n’avez fait que RENOUVELER L’EXPÉRIENCE DE VOTRE MAÎTRE; et sachez qu’il vous en reste encore une à répéter après lui.
La voici:
Jésus est pris, jugé, condamné, mis à mort et scellé sous une pierre.
Tout espoir s'est évanoui dans le cœur de ses amis.
Les saintes femmes viennent le troisième jour pour embaumer son corps; ses Apôtres, craignant les Juifs, vont cacher leurs larmes dans une chambre haute, lorsque sa résurrection, non moins inattendue que sa mort, vient tout changer de face.
Jésus est ressuscité! ce nouveau cri vole de bouche en bouche, et répand partout une joie d’autant plus vive qu’elle était inespérée.
◦ Pierre et Jean courent précipitamment au sépulcre et admirent;
◦ les Disciples d’Emmaüs sentent brûler leurs cœurs,
◦ les femmes sont dans le ravissement, et répètent à l’envi qu’elles ont vu Jésus ressuscité.
Mais cette fois le triomphe est définitif
et la joie ne risque plus de se transformer en pleurs.
Maintenant les Apôtres revenant sur le passé, se rappelant les paroles de Jésus, s'expliquant les prophéties de Moïse et d’Ésaïe, les Apôtres comprennent que la mort de la croix n’était pas pour Jésus un supplice honteux, mais un pas de plus dans une marche triomphale commencée sur la terre, poursuivie à travers le sépulcre, pour aboutir aux cieux.
Et c’est là ce que nous-mêmes avons besoin d’apprendre.
Si nous sommes enfants de Dieu, nous n’avons plus rien à craindre;
◦ les revers qui pourront nous être dispensés ne sont que des voies détournées, mais qui, finalement, doivent conduire au triomphe.
◦ La douleur n’est plus un châtiment, mais une épreuve pour nous purifier;
◦ une chute même devient une expérience qui nous préservera d’une nouvelle chute à l’avenir.
Tous les maux concourent aux succès de celui qui aimé le Seigneur, et si Dieu jette sur son passage maladies, humiliations, pauvreté, pertes d’amis, de parents, de fortune, ce n’est pas pour déchirer ses pieds, mais pour les fortifier, que Dieu sème ainsi d’écueils la voie étroite du chrétien.
Courage donc dans l’affliction, mais aussi humilité dans le triomphe.
Dans les deux cas nous sommes également près d’un changement d’état.
◦ La chute nous menace, si nous sommes prospères;
◦ le triomphe nous attend, si nous sommes éprouvés.
Tenons-nous, sans inquiétude et sans orgueil, constamment sous la main de notre Dieu, ACCEPTANT TOUT, COMME VENANT DE LUI; et tout, comme arrivant POUR NOTRE PLUS GRAND BIEN.
Nous seuls pourrions entraver ses miséricordieux projets à notre égard par notre impatience ou notre orgueil; que notre activité se borne donc à chercher et accepter sa volonté.
Et n’en avons-nous pas déjà fait l'expérience?
N'avons-nous pas été bien des fois tout à coup retirés de l’angoisse, comme tout à l’heure nous nous rappelions y avoir été subitement plongés?
Notre délivrance ne nous a-t-elle pas semblé miraculeuse, et à son heure même n’avons-nous pas vu, à travers le nuage des événements, une clarté partir du Ciel et nous montrer en quelque sorte la main de notre Dieu?
Avec notre danger s’est évanoui le souvenir de la vision; mais revienne l’épreuve, et reviendra le secours, car NOTRE DIEU EST LE MÊME HIER ET AUJOURD'HUI.
Reposons-nous avec confiance sur le sein d'un Père qui n’a pas de plus grande sollicitude que celle que lui inspirent ses enfants.
Sagesse des réponses de Jésus
Pour apprécier toute la sagesse de la réponse de Jésus à ceux qui viennent lui demander si l’on doit, oui ou non, payer le tribut à César, il faut connaître quel est le piège que ces hommes lui tendent.
La Judée est sous une domination étrangère que le peuple juif supporte avec une impatience d’autant plus grande qu’il attend chaque jour un Messie conquérant qui le délivre, et qu’une partie de ce peuple croit déjà voir ce Messie en Jésus.
Mais, en même temps, le César qui réside à Rome, a placé en Palestine un gouverneur pour le représenter et faire respecter ses droits et son autorité.
Voici donc maintenant en quoi consiste le piège que les Pharisiens tendent au Seigneur, en lui faisant poser une question insidieuse:
1. Si Jésus, pensent-ils, répond qu'il faut payer le tribut, il sanctionnera par là l’autorité étrangère que le peuple déteste, et ainsi lui-même tombera sous le coup de cette haine; alors nous pourrons l’arrêter sans craindre une émeute populaire.
2. S’il déclare que, au contraire, le tribut ne doit pas être payé à l’empereur romain, nous l’accuserons devant le gouverneur, représentant du monarque, d’avoir poussé le peuple à refuser l’impôt, et même d’avoir songé à s’emparer du pouvoir suprême.
Dans les deux cas, il se sera fait un puissant ennemi: le peuple juif, ou le gouverneur romain que dès lors nous aurons en aide pour le faire mourir.
On le voit, les Pharisiens sont adroits; mais Jésus est encore plus prudent.
Il demande à voir un denier qu'il place sous les yeux de tous, il oblige ses ennemis à dire eux-mêmes que l’image et l’inscription empreintes sur cette monnaie, acceptée par la Judée, sont de César, et alors, après avoir ainsi contraint ses adversaires à lui fournir son argument, il ne lui reste qu’à tirer cette conclusion:
«Rendez à César ce qui appartient à César;»
et pour mettre à sa pensée la restriction qui le justifiera auprès du peuple juif, sans le rendre coupable aux yeux du gouverneur romain, il ajoute:
«Et à Dieu ce qui appartient à Dieu.»
Ainsi les agents provocateurs eurent la bouche fermée, et le peuple redoubla d’admiration.
Mais, en répondant avec une prudence qui confond ses ennemis, Jésus nous donne en même temps dans cette parabole un enseignement qui mérite d’être étudié.
En y faisant bien attention, on voit que la réponse du Sauveur est en quelque sorte un refus de résoudre la question politique qu’on lui adresse; car on lui a demandé un oui ou un non; mais Lui donne en quelque sorte l’un et l’autre, à la faveur d’une distinction.
De là résulte pour nous une leçon:
◦ C’est que le disciple de Jésus, ses ministres surtout, doivent se tenir éloignés, en tant qu’ouvriers dans la vigne du Sauveur, de toute intervention dans les intérêts matériels des familles ou des peuples.
◦ Ils ont mieux à faire que cela; leur œuvre spirituelle risquerait d’y perdre son désintéressement, ou du moins son éclat.
Aussi Jésus avait-il déjà répondu, dans une autre occasion, à celui qui le priait de partager entre lui et son frère un héritage: «Ô homme! qui m’a établi pour être juge ou faire des partages?»
Mais, si Jésus refuse de répondre à la question qu’on lui pose, il en résout une autre:
– il distingue entre les droits de César et les droits de Dieu,
– il les sépare pour les placer dans deux sphères qui n’ont rien de commun.
N’y a-t-il pas là un enseignement susceptible, sans doute, d’être diversement interprété, mais dont finalement le sens incontestable est LA DISTINCTION ENTRE LES AFFAIRES DE L’ÉTAT ET CELLES DE L’ÉGLISE?
Sans trancher ici une aussi vaste question, rappelons-nous, toutefois, la direction dans laquelle Jésus place ici nos esprits.
Mais la leçon la plus touchante que renferment ces paroles est celle du désintéressement de Jésus.
Pour que les Grands lui aient posé cette question, il faut bien qu’il y ait eu quelques chances pour lui de se faire accepter, s’il l’eût désiré, comme roi par la nation; si Jésus eût été un ambitieux, il eût certainement aperçu ces chances, et même se les fut probablement exagérées, lui qui en était l’objet.
Mais non, Jésus referme lui-même la voie qu’on lui ouvre vers le trône, comme jadis, au désert il avait refusé d’être proclamé roi par cinq mille hommes, et comme plus tard nous l’entendrons dire: «Mon royaume n’est pas de ce monde.»
Sans doute, nous ne sommes pas surpris de cette absence complète d’ambition, car nous regardons Jésus comme le Fils de Dieu; mais combien doivent en être étonnés ceux qui ne le considèrent encore que comme un homme! Ne devraient-ils pas apprendre à reconnaître un être divin dans celui qui n’a pas eu même la plus noble des faiblesses humaines, l’ambition?
Aussi, cette sage réponse de Jésus nous rappelle-t-elle ces paroles d’autres espions envoyés par les mêmes Pharisiens: «Jamais homme ne parla comme cet homme,» et nous fait-elle ajouter nous-mêmes:
Jamais homme n’agit, ni ne pensa comme cet homme;
C’EST POURQUOI, C’EST UN DIEU.
Autorité de la Parole de Dieu
Habitués que nous sommes à exiger de l’homme, orateur faillible, de longs discours et des preuves surabondantes, avant d’admettre ses assertions, nous sommes parfois entraînés, oubliant la différence des deux autorités, à user de la même exigence envers l’infaillible Parole de Dieu.
◦ En chaire, par exemple, le prédicateur doit nous apporter passage sur passage pour nous convaincre de l’orthodoxie de sa doctrine.
◦ Dans nos conversations religieuses, nous dirons volontiers à celui qui nous cite une parole biblique, qu’un seul verset ne suffit pas.
◦ Dans nos propres lectures de l’Écriture-Sainte, lorsqu’une déclaration claire, forte, mais nouvelle pour nous, se présente, nous hésitons à en tenir compte et préférons l’oublier que de renoncer à notre préjugé.
Dans ces diverses occasions, nous demandons, pour nous rendre à l’opinion contraire, qu’on nous accable de citations, comme si chacune d'elle venait ajouter un nouveau poids dans le plateau de la balancé qui doit enlever dans l’autre notre tenace conviction.
Il y a là quelque chose de respectable: le désir d’être éclairé d’une lumière abondante et vive; mais il s’y trouve aussi un tort et un danger.
En effet, quand Dieu a parlé une seule fois, sa parole ne doit-elle pas être tenue pour aussi ferme que s’il l’avait vingt fois répétée?
Si, par exemple, Noé était exigé que Dieu vint lui renouveler l’ordre de construire l’arche, si Lot avait attendu que le Seigneur lui mandât de nouveaux anges, Lot et Noé n’eussent-ils pas infailliblement péri?
Tout ce que nous pouvons donc raisonnablement demander, c’est qu’un enseignement soit clair et non qu’il soit réitéré.
Quand Dieu a parlé, sa promesse ou sa menace est plus forte que celle que tout un peuple d'hommes aurait successivement répétée.
◦ Les malédictions prononcées une seule fois par les Lévites, au nom de l’Éternel, sur le mont Hébal, se sont accomplies jusqu'au dernier iota,
◦ tandis que l’amen redit par dss milliers d’Israélites au pied de la colline fut des milliers de fois violé.
Aussi, voyez de quelle autorité est pour Jésus une seule déclaration des Saintes-Écritures:
◦ «L’Éternel a dit, je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob; or, l’Éternel n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.»
Quelqu’un de nous eût-il jamais songé à chercher dans cette citation une preuve de la résurrection des morts?
Et s'il avait cru l’y trouver, se fût-il contenté d’elle seule?
Non sans doute!
Cependant c’est ce que fait Jésus. C’est que le Fils de Dieu accorde à cette parole UNE AUTORITÉ SANS LIMITE, comme ailleurs pour tout raisonnement il se borne à dire:
«IL EST ÉCRIT»
Quelques lignes plus bas, nous trouvons un second exemple de cette autorité décisive donnée à une simple et unique déclaration, même à une déclaration indirecte de la Parole de Dieu.
Jésus veut prouver aux Juifs que le Messie ne doit pas être un homme comme ils le pensent, mais bien le Fils de Dieu. Pour cela il ne fait pas de longs discours, il n’emprunte pas un argument à chacun des prophètes; mais il rappelle un seul mot du Psalmiste: «Le Seigneur a dit à mon Seigneur, assieds-toi à ma droite;» et à cette courte citation il ajoute ce court raisonnement: «Si donc David appelle le Messie son Seigneur, comment est-il son fils?»
Voilà l’autorité, voilà le respect, voilà la force qu’il faut laisser à la Sainte-Écriture, si nous voulons qu’elle ait enfin quelque empire sur nous; mais:
◦ si nous contestons avec chacune de ses pages,
◦ si nous affaiblissons chacun de ses mots,
◦ si nous noyons dans les flots de flasques commentaires sa sève vivifiante,
Comment voulons-nous qu’elle nous nourrisse, nous redresse, nous fasse porter des fruits?
C’est impossible, et C’EST PARCE QUE NOUS ASSIMILONS LA PAROLE DE DIEU À LA PAROLE DE L’HOMME, qu’elle nous laisse calmes alors qu’elle devrait nous faire trembler de crainte ou tressaillir de joie.
Supposez qu’à l’instant même la voûte du ciel s’entrouvre sur nos têtes et qu’une voix nous fasse entendre ces paroles:
◦ «Fils des hommes, il y a une résurrection, et de ces deux choses l’une doit infailliblement vous arriver: vous monterez dans le Ciel avec les anges, ou descendrez dans l'abîme vers Satan»
Croyez-vous que cette parole ne fût pas suffisante pour bouleverser tout votre être et changer toute votre vie?
Et cependant cette pensée a été vingt fois exprimée par Jésus Sauveur; elle revient sous mille formes dans cette Bible, inspirée de Dieu:
Pourquoi donc cela ne nous suffit-il pas?
Pourquoi nous faut-il tant de répétitions, tant d’exhortations?
Oh! mon Dieu, quelle n’est pas notre incrédulité, si tout un volume de tes déclarations n’est pas un témoignage assez puissant pour nous convaincre!
Ah! si tu eusses été plus avare de tes dons, peut-être en eussions-nous été moins dédaigneux!
Comme l’enfant gâté, nous gaspillons le pain de ta Parole, trop abondant dans ta maison; nous le méprisons parce que tu le places à nos côtés, dans nos mains et jusque sur nos lèvres!
Pardonne, Seigneur, pardonne et ouvre nos yeux sur notre folle ingratitude, comme sur ta sainte prodigalité!
Fais-nous apprécier ta Parole,
que désormais elle soit une lampe à nos pieds,
un cordial pour notre cœur
et un appui pour nos espérances jusque dans l’Éternité!
Etablissement et progrès merveilleux du christianisme
Pour l'homme impartial qui médite sur l’établissement si rapide du christianisme par douze Apôtres ignorants et pauvres, c’est-à-dire sur la plus gigantesque des entreprises accomplie par le plus faible des instruments, chaque jour s’élève, de la contemplation de ce fait merveilleux, un nouveau sujet d’admiration.
Sous quelque face qu’il étudie ce phénomène, quelque supposition qu’il admette, toujours jaillit la même, la seule explication possible:
Ce triomphe final du christianisme ne s’explique que par l’intervention de Dieu.
La nation juive en général et les Apôtres de Jésus-Christ en particulier s’attendaient, nous l’avons déjà dit, à voir paraître un Messie conquérant qui donnât à Israël la domination de l’Univers.
Dans l’entretien même que nous venons de lire les disciples adressent à leur Maître une question qui nous les montre encore préoccupés de ce règne prochain de Jésus sur la terre. «Quels seront les signes de ton avènement?» disent-ils à Jésus dans l’Évangile selon saint Matthieu.
Ainsi donc jusqu’à la veille de la mort du Sauveur, jusqu’au moment de leur propre dispersion, les Apôtres s’attendent à un triomphe temporel qui les place autour du trône du Seigneur venant dans sa gloire.
À ces brillantes espérances, comment répond Jésus?
◦ Par des prédictions de ruine pour Jérusalem,
◦ de persécution pour les chrétiens,
◦ de mort violente pour ses Apôtres;
◦ de guerre, famine, peste, destruction de fond en comble: VOILÀ POUR LA VILLE SAINTE!
▪ Vous serez haïs de tous,
▪ livrés par vos parents,
▪ mis en prison,
▪ traînés devant les tribunaux, mis à mort: VOILÀ POUR SES DISCIPLES.
Et tandis que les Apôtres si ambitieux écoutent ces prédictions, subissent les maux qu’elles dénoncent, et meurent en martyrs, le christianisme étend chaque jour ses triomphes!
Comment s’expliquer ce phénomène extraordinaire?
Les Apôtres, après avoir longtemps prêché l’Évangile, pouvaient-ils se faire illusion sur le résultat final, espérer encore des honneurs, des richesses, du pouvoir, après une longue et pénible lutte?
Non, car leur Maître leur avait clairement prédit le contraire et promis la persécution et le dernier supplice.
Ces Apôtres, à leur point de départ, étaient-ils de leur nature des hommes assez spirituels, assez détachés du monde pour accepter volontiers une vie de tourments dans l’espoir d’une éternité bienheureuse?
Non, car nous venons de les voir profondément enracinés dans le terrain du préjugé qui faisait attendre à Israël un règne temporel et glorieux.
◦ Hommes terrestres, s’il en fut jamais, comment donc ont-ils été tout à coup amenés à se contenter de promesses célestes?
◦ Hommes timides et faibles, comment sont-ils subitement transformés en courageux confesseurs et en martyrs dévoués?
◦ Et finalement comment leur cause s'est-elle élevée au milieu des instruments d’oppression qui en auraient brisé, anéanti tant d’autres?
L’homme impartial a déjà répondu; LA FORCE DE DIEU S'ACCOMPLISSAIT DANS LEUR INFIRMITÉ; vases de terre, ces hommes portaient, en eux, un trésor, le Saint-Esprit qui parlait par leur bouche pour gagner les coeurs, qui faisait des prodiges par leurs mains pour convaincre les esprits; et:
Plus ces Apôtres étaient naturellement faibles et charnels,
mieux la présence de l’Esprit divin se trahit dans leur oeuvre.
Oh! bénissons Dieu d’avoir ainsi mis en évidence la vérité de sa sainte religion et placé notre foi sur une aussi ferme base.
Nous pouvons dire de notre esprit ce que Jean disait de ses yeux et de ses mains; il a vu et touché le rocher de notre salut!
Mais cet Esprit divin, agissant sur les Apôtres et leur faisant supporter patiemment les plus rudes épreuves, NOUS A-T-IL NOUS-MÊMES RENDUS CAPABLES DE QUELQUE CHOSE DE SEMBLABLE?
Si Jésus nous annonçait à nous, pour demain, la haine de tous les hommes, la trahison de nos parents, la poursuite des tribunaux, les ténèbres des cachots et la mort du martyre, sentons-nous à cette heure en nous, une énergie suffisante pour affronter alors tant de douleurs?
Non, mille lois non; ces dangers où il va de nos aises, de notre santé, de notre vie, tout cela nous semble d’un autre temps; tout cela nous paraît beau chez les autres, mais impossible chez nous; et si Dieu voulait nous soumettre à l’épreuve, lui seul sait si nous y résisterions!
Qu’en faut-il conclure?
Que l’Esprit de Dieu a perdu sa force chez les chrétiens de nos jours?
Non, les persécutions supportées au loin par nos frères récemment amenés à la foi, le martyre accepté par nos missionnaires et même la vie de dévouement de quelques chrétiens au milieu de nous, sont là pour démontrer que
L’ESPRIT DE DIEU EST LE MÊME HIER, AUJOURD’HUI ET ÉTERNELLEMENT.
Si nous avons pu le croire un moment dégénéré, c’est que nous n’avons pas voulu ouvrir les yeux sur notre propre compte et reconnaître que notre manque d’énergie vient de l’absence en nous de l’Esprit-Saint qui la donne.
Si nous n’avons pas reçu cet Esprit, c’est que nous ne l’avons pas demandé.
Sans doute nous n’en avons pas besoin pour supporter aujourd’hui des persécutions qui paraissent bien éloignées de nous, mais nous serait-il inutile pour sanctifier notre vie, activer notre zèle et faire de chacun de nous, sinon un apôtre martyr, mais du moins un disciple dévoué, pour répandre l’Évangile autour de nous?
◦ Ne nous endormons donc pas dans une fausse sécurité, appelons l’Esprit de Dieu; qu’il nous ranime, nous fasse vivre, nous transforme, comme il a ranimé, vivifié et transformé les premiers disciples de Jésus-Christ.
Accomplissement de la prophétie sur la ruine de Jérusalem
Au milieu de sa prédiction relative aux Juifs et à la ruine de leur ville, Jésus dit:
◦ «Ils tomberont sous le tranchant de l’épée; ils seront menés captifs parmi tous les peuples; Jérusalem sera foulée par les nations jusqu’à ce que les temps des nations soient accomplis.»
Suivons maintenant, l’histoire à la main, l’accomplissement de chacun des détails de cette prophétie,
«Ils tomberont sous le tranchant de l’épée,» dit d’abord Jésus-Christ.
Or, quarante ans plus tard, l’empereur romain fit la guerre aux Juifs, les poursuivit dans leurs bourgs, assiégea leur capitale, dont il incendia le temple, affama les habitants et détruisit par le glaive les malheureux restes échappés à la peste ou au fer de leurs propres concitoyens.
Ce n’est pas la Bible, ce ne sont pas des auteurs chrétiens qui racontent ces faits et constatent ainsi l’exactitude de la prédiction de Jésus-Christ: c’est JOSÉPHE, historien juif, ENNEMI DES CHRÉTIENS; ce sont des auteurs païens vivant à Rome ou en Asie; et c’est de la bouche même de ses adversaires que le christianisme reçoit la confirmation de sa vérité.
«Ils seront menés captifs,» ajoute le Sauveur.
Moïse avait donné sur ce point des détails qui méritent d’être notés: «L’Éternel te fera retourner sur des vaisseaux en Égypte, pour faire le chemin dont je t’ai dit: il ne t’arrivera plus de le voir, et vous vous vendrez là pour être esclaves, et il n’y aura personne qui vous achète.»
Or, l’histoire rapporte que, pendant cette guerre d’extermination qui eut lieu deux mille ans après cette prédiction de Moïse, quatre-vingt-dix mille Juifs furent conduits par mer en Égypte, pour y être vendus comme esclaves; mais que ne trouvant pas assez d’acheteurs, en raison de leur grand nombre, une partie de cette multitude y mourut de misère et de faim.
Quelle précision dans l'accomplissement!
◦ «Sur des vaisseaux,» avait dit Moïse; «par mer,» raconte l’histoire;
◦ «esclaves en Égypte, qu’ils ne devaient plus revoir,» dit la prédiction; oui, «esclaves en Égypte,» où ils périrent en arrivant, répond l’événement;
◦ «où il n’y aura personne qui vous achète,» annonce le Deutéronome; «où ils ne trouvèrent pas d’acheteur,» déclare l’historien.
Mais reprenons la prédiction même de Jésus-Christ.
«Emmenés dans toutes les nations,» dit le Sauveur.
C’est en effet sur tous les points de la terre que les Juifs furent dispersés, et qu’ils le sont encore aujourd’hui, en sorte que l’accomplissement de la prophétie, commencé il y a dix-huit siècles, se poursuit de nos jours et sous nos yeux.
«Jérusalem sera foulée par les nations.»
C’est en effet par des nations étrangères au christianisme que Jérusalem a, depuis lors, été habitée et possédée. Romains, Grecs, Arabes, Turcs, l’ont tour à tour soumise à leur domination; et toute la chrétienté conjurée a fait de vains efforts pour garder le berceau de sa foi et la tombe de son Dieu.
«Jusqu’à ce que les temps des nations soient accomplis,» dit enfin le Sauveur.
Ce dernier trait de la prophétie est encore à réaliser dans l’histoire; mais les événements contemporains semblent déjà le préparer.
Cette déclaration, que les nations doivent fouler Jérusalem, jusqu’à ce que leurs temps soient accomplis, bien comprise, signifie que les nations posséderont Jérusalem jusqu’au rétablissement des Juifs dans leur ancienne patrie.
Or, c’est ce qu’on peut présager en voyant d’un côté les Turcs demeurer encore possesseurs de cette ville, et de l’autre les restes d’Israël s’agiter déjà, et rêver leur retour dans la Terre-Sainte.
◦ (Ces lignes ont été écrite en 1848 et nous permettent de comparer avec ce qu'il en est aujourd'hui. Note de la bibliothèque «Regard»).
Ici des Juifs, toujours Juifs, se dirigent plus nombreux que jamais vers Jérusalem.
◦ Là, des enfants d’Abraham convertis à l’Évangile restent toutefois unis entre eux et séparés des autres chrétiens, comme s’ils attendaient le jour fixé pour rentrer, en masse et comme nation, dans la terre une seconde fois promise.
◦ De toutes parts les puissances chrétiennes allègent le joug de ces malheureux et même les traitent à l’égal de leurs autres sujets.
◦ Tout présage un retour prochain par une voie encore mystérieuse, mais assez courte pour qu’on puisse dire que les nations ont foulé Jérusalem jusqu’à l’époque où les Juifs y seront rétablis.
Je le demande, est-il possible de fixer son attention sur tous les détails de cette prophétie minutieusement vérifiés par l’histoire, sans être frappé d’admiration?
Peut-on, après un tel examen, ne pas se sentir ébranlé si l’on est incrédule, et rempli de joie si l’on croit déjà?
Et cependant ce n’est là que l’examen d’un seul verset; que serait-ce donc si nous avions le temps et l’espace pour superposer tous les points des prédictions de Christ, de Moïse, d’Ésaïe et de tous les autres prophètes, relatives à la nation juive, sur les points correspondants de l’histoire de ce peuple?
Quel faisceau de lumières tomberait alors dans notre esprit, et comme cette étude serait largement récompensée!
Étudions donc Moïse et les Prophètes; car si Jésus a dit qu’un mort ressuscité ne persuaderait pas mieux que leur lecture, ce n’est pas que le miracle d’une résurrection ne puisse convaincre; c’est, au contraire, que Moïse et les Prophètes, bien examinés, présentent au lecteur attentif des prodiges tout aussi éclatants que celui d’une résurrection.
Oui, lisons la prophétie pour fortifier notre foi, et nous conduire à l’intelligence des événements qui se préparent; mais faisons cette étude avec humilité et avec prière; que ce soit l’Esprit de Dieu qui nous remplisse de sa sagesse, et non notre propre esprit qui s’enfle de notre propre science, et alors ce que nous apprendrons ne restera pas à l’état de connaissance spéculative, mais se transformera en activité et sainteté de vie.
Satan entra dans Judas
Dans le récit que nous venons de lire, nous voyons trois forces solliciter le cœur de l’homme:
1. Satan d’abord, qui entre dans le cœur de Judas et demande à cribler les Apôtres;
2. Dieu que Jésus prie et qui relève Simon Pierre;
3. Enfin l’homme veillant sur lui-même, puisque Jésus ordonne à son disciple, quand il sera converti, de raffermir ses frères.
Ainsi Dieu, notre volonté et Satan concourent ensemble à donner une direction à notre vie.
Mais comment ces trois actions se coordonnent-elles?
Si deux êtres puissants et distincts de nous nous poussent l’un à droite, l’autre à gauche, en quoi consiste notre part d’action? Et quelle est notre responsabilité?
Telles sont les questions qui s’élèvent sur ce sujet; questions difficiles, sans doute, si nous voulons construire une théorie satisfaisante de tous points pour l’esprit, mais faciles, au contraire, si nous nous contentons de lumières suffisantes pour la pratique.
Ne disons qu’un mot de la première pour laisser plus d’espace à la seconde.
Que Dieu d’un côté, et que Satan, de l’autre, sollicitent notre cœur, l’un au bien, l’autre au mal, c’est ce que dit et redit la Parole de vérité; ensuite, que nous soyons appelés à jouer un rôle actif dans ce drame sérieux et terrible qui se passe en nous, c’est ce que prouvent mille exhortations de la même Parole.
Mais quel est ce rôle pour nous? Voilà toute la question!
Or, nous croyons qu’il consiste à résister au malin esprit
et à laisser agir l’Esprit-Saint.
Uniquement frappés de cette pensée, que Satan nous pousse au mal, peut-être pourrions-nous dire que nous sommes irresponsables des fautes qu’une puissance occulte nous fait commettre.
Mais notre objection tombe dès que l'Évangile nous impose LE DEVOIR DE RÉSISTER.
En vain dirions-nous qu’on nous a appelés et séduits, Dieu nous dirait toujours que nous avons répondu à ces appels, cédé à ces tentations, et qu’ainsi nous sommes complices et coupables comme la sentinelle qui permet à l’ennemi d’entrer dans la forteresse, dans la pensée de partager avec lui le butin.
D’un autre côté, si nous laissons l’Esprit de Dieu agir sur nous, il nous sanctifie, mais remarquons-le bien, sans que nous puissions pour cela nous attribuer le mérite de cette sanctification, car c’est Dieu lui-même qui la met en nous.
Si, au contraire, nous repoussons cette action de l’Esprit, c’est par UN EFFET DE NOTRE VOLONTÉ PROPRE, et nous devenons encore coupables et dignes de condamnation. Toujours donc notre responsabilité reparaît dans le bien par nous combattu, comme dans le mal par nous accepté.
Ainsi se concilie cette triple action, qui d’abord paraît difficile à comprendre:
1. Satan pousse au mal,
2. Dieu au bien,
3. et l’homme a pour tâche de résister au premier et de céder au second.
Ainsi chacun a sa part, sans dénier la part des autres.
Mais, supposez qu’un chrétien ne se soit jamais avisé de chercher une explication théorique de ces difficultés, sera-t-il pour cela arrêté dans la pratique?
Non, grâce à Dieu!
Sans s’inquiéter de concilier les prétendues oppositions que l'homme voit dans la Parole divine, lui saura prendre dans cette Parole une arme appropriée à chaque combat.
◦ Quand il se sentira faible, il se rappellera cette promesse: «Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous l’accordera.»
◦ Quand il se verra tenté, il se souviendra de cette exhortation: «Résistez au diable, et il s’enfuira de vous.»
◦ Si jamais quelqu’un songeait à dire qu’il ne peut résister à la puissance de Satan, sa conscience lui rappellerait cette déclaration: «Chacun est tenté quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise.»
Dans la pratique, plus de difficultés; mais la prière et la vigilance marchant de front, s’appuyant l’une l’autre, et produisant le courage et l’humilité.
Judas l’Iscariot tomba sous les coups du démon; mais il sentit si bien sa coupable participation, que, par une restitution, il voulut effacer son crime, et qu’il n’eut recours au suicide que pour échapper au sentiment du désespoir.
Pierre sentit si bien, après la résurrection de son Maître, que l’amour pour Jésus, rallumé dans son cœur, n’était pas sa propre œuvre, que, trois fois interrogé s’il aimait le Sauveur, ce ne fut qu’en baissant la tête avec tristesse qu’il répondit; «Seigneur, tu connais toutes choses, et tu sais que je t’aime.»
Et nous-mêmes, ne nous sentons-nous pas repris dans notre conscience après avoir cédé à l’impulsion violente vers le mal qui nous vient du dehors?
Quand nous sommes de bonne foi avec nous-mêmes, ne reconnaissons-nous pas la participation de Satan, en même temps que nous confessons notre complicité?
D’un autre côté, quand nous avons eu la première pensée d’une bonne action, n’avons-nous pas eu la conscience qu’elle nous était inspirée?
Ne l’avons-nous pas sentie se glisser dans notre cœur, nous tomber dans l’esprit sans que nous sachions d’où, ni comment?
Et en réalisant cette bonne pensée, ne nous sommes-nous pas encore sentis soutenus de telle sorte, que nous faisions avec joie ce qui, dans un autre moment, nous eût été impossible?
Avouons donc ces deux actions étrangères sur notre pauvre cœur, luttons contre l’une, laissons agir l’autre;
◦ ne nous excusons pas d’avoir cédé à la première,
◦ et ne soyons pas fiers d’avoir agi sous la seconde;
car, encore une fois, quand nous faisons le mal, nous sommes complices de Satan; quand nous faisons le bien, c’est Dieu qui le fait en nous.
Mais réjouissons-nous en pensant que la victoire finale nous appartient.
«NE CRAIGNEZ POINT,» nous dit Jésus, «J’AI VAINCU LE MONDE;» et notre ennemi doit être bientôt lié dans des chaînes d’éternité.
Dévouement de Jésus
Si le spectacle d’une vie dévouée est doux à contempler, il l’est bien plus encore quand l’être qui se dévoue est lui-même malheureux et souffrant.
Qu’une mère riche et en santé consacre toutes ses pensées à sa jeune famille, votre cœur en sera réjoui; mais que cette mère, malade et pauvre, se prive le jour de nourriture, la nuit de repos pour ajouter au bien-être de son enfant, et vous sentirez couler sur votre joue des larmes d’attendrissement et d’admiration.
Telle est la vie de Jésus pendant ses derniers jours.
◦ Lorsqu’au commencement de son ministère, encore sans ennemis et sans entrave, il convoquait le peuple sur la montagne pour l’instruire, dans le désert pour le nourrir par un miracle, dans ses villes pour guérir ses malades; lorsqu’il allait ainsi, libre et admiré de tous, de lieu en lieu, faisant du bien, vous étiez déjà captivés par cette charité sans borne.
◦ Mais à cette heure où la faveur populaire s’est enfuie, où ses Apôtres se dispersent, où Judas le trahit, où le sanhédrin délibère, où les soldats prennent leurs armes pour conduire l’accusé de Caïphe à Pilate, de Pilate à Golgotha; dans ce moment où Jésus semble succomber à sa propre douleur, où des grumeaux de sang coulent de son corps courbé en prière, venez voir ce martyr s’oubliant lui-même et priant pour ses disciples!
Son cœur est plein d’amertume à la pensée de la coupe qui se prépare pour lui, et cependant il se relève et interrompt sa prière pour aller exhorter ses Apôtres. Toutefois, comme les Douze sont ses amis, on comprend encore que, Maître dévoué, il se perde lui-même de vue pour songer à eux; mais, un instant plus tard, voyez le même Jésus s’occuper avec amour et compassion d’un misérable traître.
Judas s’approche, le baise pour le désigner à ses bourreaux, et Jésus, sa victime, pour le rappeler à sa conscience comme pour essayer encore sur lui l’effet de sa tendre charité, lui dit: «Mon ami, que veux-tu? Judas, tu me trahis donc par un baiser!»
Des mains du déicide, Jésus tombe dans celles de ses satellites; un de ses disciples, n’écoutant que son zèle inconsidéré, frappe de l’épée un serviteur du Grand-Prêtre, et Jésus, loin d’applaudir à son défenseur, s’occupe encore de guérir l’esclave venu pour le saisir.
Il adresse quelques mots à cette troupe, non pour en obtenir son élargissement, mais pour la faire rentrer en elle-même et lui donner une dernière leçon. Il leur révèle que leur œuvre est celle de Satan, afin qu’un jour, plus calmes et repentants, ils puissent se rappeler ces paroles, et trouver alors le salut dans Celui qu’ils insultent et maltraitent aujourd’hui.
Jésus arrive devant ses juges.
Les soldats l'accablent d’injures, les prêtres de questions, les valets de crachats et de soufflets; on pourrait le croire tout absorbé dans sa propre souffrance, mais non, il pense à son bouillant Apôtre, il l’entend le renier pour la troisième fois, et, loin de se plaindre, il se retourne lentement, lui jette un tendre et long regard, et ramène ainsi le parjure au repentir.
Oh! quel admirable dévouement!
Abandonné de ses amis, entouré de bourreaux, à quelques heures de la mort, Jésus s’oublie pour ses disciples et pour ses ennemis, exhorte les uns, instruit les autres, prie pour tous, et quand la dernière goutte de son sang tombe expiatoire sur la terre, son dernier soupir monte en prière vers les Cieux.
Et nous, ses disciples, nous, ses imitateurs, quand est-ce que nous nous dépensons pour nos frères?
Est-ce dans la santé et dans la maladie?
Dans la prospérité et dans l’adversité?
Hélas! le contraste est si grand entre nous et notre Maître, que faire un tel rapprochement paraît une dérision!
◦ Nous aimons le bien, oui; nous le faisons parfois, c’est encore vrai. Mais remarquez comme pour l’accomplir nous prenons nos aises; pour peu qu’il nous gêne, nous le renvoyons au lendemain, nous en abrégeons la tâche.
◦ Nous commençons par parler de tout ce que nous ferions si nous étions dans de meilleures circonstances; ensuite nous justifions la faiblesse de nos dons par l’exiguïté de nos ressources; et enfin nous renvoyons le dévouement à l’époque ou nos moyens se seront accrus.
◦ Nous accorderions bien un secours à ce pauvre; mais, après tout, ne sommes-nous pas pauvres aussi, et ne faut-il pas d’abord songer à soi?
◦ Nous irions bien visiter et consoler ce malade; mais le soin de notre propre santé n’exige-t-il pas lui-même que nous restions à la maison?
◦ À ceux qui se plaignent de leurs épreuves, nous répondons en nous plaignant des nôtres; nous ne voulons pas les comprendre, et s’ils nous y forcent, nous disons au devoir clairement reconnu ce que Félix disait à Paul: «Pour le moment va-t’en, une autre fois je te rappellerai.»
Oh! Jésus, qu’il est aisé d’admirer ta vie!
Qu’il est difficile de l’imiter!
Nous t’aimons jusqu’à pleurer à l’ouïe de ta Parole, mais non pas jusqu’à obéir à tes ordres; nous sommes tes disciples, ici, paisibles, quand un devoir immédiat et pénible ne nous appelle pas.
Nous ne le serons peut-être plus dans une heure, quand l’oeuvre à faire sera sous nos yeux.
◦ Seigneur, pardonne; Seigneur, aie pitié; Seigneur, donne-nous des forces et que nous apprenions enfin par ton exemple à nous dévouer dans la santé comme dans la maladie, dans la prospérité comme dans l’infortune, et s’il le faut, à nous dévouer, comme toi, jusqu’à la mort!
La mort de Christ est un sacrifice et non pas un martyre
Des hommes qui n’ont accepté la révélation qu’après avoir ABAISSÉ SES DOCTRINES AU NIVEAU DE LEUR SUPERFICIELLE INTELLIGENCE ont fait de la mort du Sauveur, que l’Évangile nous présente comme l’expiation volontaire et libre de nos péchés, UN SIMPLE MARTYRE.
S’il en est ainsi, la mort de Christ est donc un supplice accepté, et non un supplice cherché; or, c’est précisément le contraire que démontre à chaque pas le récit que nous venons de lire.
Après avoir plusieurs fois parlé de la nécessité de ses souffrances et de sa mort, Jésus se dirige sur Jérusalem, non pas conduit par ses Apôtres qui marchent attristés derrière lui, non pas entraîné par les Pharisiens et les Grands-Prêtres qui redoutent son arrivée au milieu d’un peuple son admirateur; mais:
◦ Il se dirige sur Jérusalem VOLONTAIREMENT, pour venir mourir à Golgotha.
Si Jésus ne sacrifie pas sa vie à l’impérieuse obligation d’effacer nos péchés, pourquoi donc courir ainsi au devant d’un supplice qu’il peut éviter?
Si cette mort volontaire n’est pas une expiation, elle n’est pas mieux un martyre, c’est un suicide coupable devant Dieu.
Suivons Jésus pas à pas, depuis l’heure où il s’est volontairement livré aux soldats qui, frappés d’épouvante, n’osent pas le saisir, et venons avec lui devant le sanhédrin.
Là, de faux témoins sont cherchés et trouvés; mais, comme ils se contredisent, ils sont écartés.
Alors le Grand-Prêtre interroge Jésus, espérant tirer de ses paroles un motif de condamnation. Que Jésus se borne à garder un prudent silence, comme il l’a fait d’autres fois devant les scribes lui tendant des pièges, et Jésus est sauvé; car les armes légales manquent dès lors à ses juges pour le frapper. Mais non; à cette question insidieuse:
«Es-tu le Fils de Dieu?»
Le Sauveur réplique:
«JE LE SUIS.»
Pourquoi donc parler devant le Grand-Prêtre qui mendie un prétexte à sa sentence, et se taire devant de faux témoins, ses accusateurs, si ce n’est parce que Jésus cherche encore la mort qui devait nous sauver?
Conduit devant Pilate, Jésus reste muet, quand celui-ci lui fait des questions inspirées par le désir de lui conserver la vie; mais lorsque le gouverneur lui dit:
«Es-tu le Roi des Juifs,» seule prétention qui pût donner une apparence de culpabilité à un accusé devant le représentant de César.
Jésus répond:
«Tu le dis.»
Or, remarquez que les Juifs l’accusent précisément d’usurper la souveraine autorité de l’Empereur, de pousser le peuple à refuser le tribut, et qu’ainsi se prétendre roi des Juifs, c’est venir à l’appui de l’accusation et demander sa sentence de mort.
Du tribunal de Pilate, Jésus se rend au palais d’Hérode, depuis longtemps désireux de le voir. Si Jésus est simplement un envoyé de Dieu, et non pas l’Agneau qui doit nécessairement «être immolé pour ôter les péchés du monde,» quel sera son devoir devant ce monarque et sa cour?
D’opérer des prodiges qui puissent le convertir, ou du moins de prononcer quelques paroles d’exhortation ou de menace; de lui parler comme à ses disciples, ou comme aux Pharisiens; mais enfin de parler à Hérode, élu ou réprouvé, à Hérode qui l’interroge avec instance et dont la faveur peut lui sauver la vie.
Au lieu de cela Jésus garde un silence profond, obstiné, dirais-je, si je ne savais qu’il veut la mort et la demande en quelque sorte à ses juges, comme à ses bourreaux.
Cette conduite si différente de celle qu’aurait dû tenir le juste défendant sa vie pour la consacrer à ses frères et à son Dieu, ne prouve-t-elle pas jusqu’à la dernière évidence que Jésus, comme il le dit lui-même, «DEVAIT MOURIR,» selon les prophéties, afin que «SON SANG RÉPANDU FÛT EN RÉMISSION DES PÉCHÉS À PLUSIEURS?»
Une dernière réflexion achèvera d’éclaircir notre pensée.
Dans les premiers siècles du christianisme, les martyrs furent nombreux; l’histoire nous apprend même, que parmi ces courageux confesseurs qui aimaient mieux être jetés aux bêtes que de renier leur foi, il s’en trouva d’assez téméraires pour aller au-devant de cette mort violente, afin d’être plus tôt mis en possession de la gloire du Ciel.
Or, je le demande, une telle conduite n’a-t-elle pas quelque chose de blâmable?
Sans doute, et la postérité en a jugé ainsi.
Eh bien! si la mort de Jésus n’est qu’un simple martyre, sa conduite est également répréhensible, car il a cherché, désiré, demandé le supplice qu’il pouvait et devait éviter; sa mort n’est ni si belle, ni si pure que celle d’un Étienne ou d’un Paul qui ont disputé leur vie à leurs bourreaux autant qu’ils l’ont pu, afin d’être plus longtemps utiles à leurs frères.
Mais, pourquoi poursuivre aussi longtemps une supposition qui se réfute elle-même?
Seigneur, tu sais que nous ne l’avons admise un seul instant que pour la repousser ensuite.
Oui, nous croyons que ta mort nous était nécessaire;
◦ Que c’est «par tes meurtrissures, que nous avons la guérison;»
◦ Que tu es «l’Agneau immolé qui ôtes les péchés du monde»
◦ et que, si tu restes brebis muette, c’est par dévouement pour nous.
Oh! sois-en béni. Sauveur, sois-en bénit Ton sacrifice nous procure la paix de l’âme, nous décharge de nos péchés, nous ouvre le Ciel, nous le donne et nous y porte pour une éternité.
Aussi, maintenant, Seigneur Jésus, rachetés à un si grand prix:
Nous voulons vivre et mourir pour toi
qui as vécu et qui es mort pour nous.
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