Avoir honte de Jésus-Christ
Pour avoir honte de Jésus-Christ devant les hommes, il faut le tenir pour le Fils de Dieu; car, comment un incrédule pourrait-il rougir d’un maître qu’il ne reconnaît pas?
Il repousse Jésus, mais n’en a pas honte.
Ce sont donc des chrétiens plus ou moins affermis,
ou plutôt plus ou moins faibles,
qui peuvent avoir et qui souvent ont, en effet, honte de Jésus-Christ.
– N’est-ce pas, dès lors, une chose bien étrange, qu’on puisse tenir dans son cœur un être pour le Fils de Dieu, pour le Sauveur de son âme, et en même temps rougir devant les hommes de porter son nom et d’espérer en lui?
– N’est-ce pas une bizarrerie inexplicable qu’on puisse le matin et le soir s’agenouiller devant Dieu, prier Jésus-Christ, implorer l’Esprit Saint, et, entre ces deux génuflexions, courir dans le monde pour y garder un prudent silence en face du moqueur qui tourne en ridicule ce Père, ce Fils ou ce Saint-Esprit?
– N'est-ce pas une monstruosité sans nom, qu’on puisse baser ses espérances pour l'éternité, régler les circonstances les plus graves de sa vie, s’imposer même des sacrifices d’or, de temps, de fatigue, en vue d’un Christ qu’on n’ose ni défendre contre les incrédules, ni proclamer devant les indifférents, ni même porter à la connaissance des affligés, dans la crainte de se voir repoussé et méprisé soi-même avec sa foi, son Christ et ses évangéliques exhortations?
◦ Oui, c’est là la conduite la plus inconséquente qu’il soit possible de concevoir!
◦ Voyez les hommes du monde, quel que soit leur système religieux ou philosophique, aucun d’eux n’a honte de l’avouer.
Sans doute, ils ne s’occupent guère d’y faire des prosélytes, ayant pour principes qu’il est assez indifférent d’être chrétien ou juif, déiste ou athée, pourvu qu’on soit honnête. Mais interrogez tous ces hommes, et tous vous feront volontiers connaître leur opinion.
◦ Tel vous dira qu’il croit en un Dieu et à un avenir, sans croire à l’Évangile;
◦ Tel autre, que son Dieu est l’univers et son attente le néant.
Si même vous attaquez leurs doctrines, tous vous présenteront leurs preuves, combattront vos objections, et enfin, sans hésitation ni honte, vous diront ce qu’ils croient ou ne croient pas, tandis que nous, chrétiens:
nous rougissons seuls de notre foi et de notre Dieu,
nous qui seuls possédons la vraie foi et connaissons le vrai Dieu.
Je le répète, comment expliquer cette contradiction entre nos sentiments secrets, si prononcés, et notre profession extérieure, si timide, de christianisme?
Le voici; L’Évangile se prouve au cœur, et pour nous, satisfaits de telles preuves, nous avons cru.
Mais comme cet Évangile est de sa nature folie aux yeux du monde, nous regrettons tout bas cependant notre impuissance pour en établir la vérité devant l'orgueilleuse raison; nous nous avouons même qu'il est facile, sur le terrain de l’esprit, de tourner notre foi en ridicule, et nous craignons enfin que, nous enveloppant dans le mépris qu’ils ont pour nos doctrines, les incrédules ne nous considèrent comme des intelligences faibles et étroites.
◦ Nous avons une si grande peur de perdre notre réputation d’hommes sensés dans le monde, que nous aimons mieux taire notre foi devant lui que de passer pour des fous selon l’Évangile.
Oui, triste aveu pour des chrétiens, mais aveu qu’il faut faire, puisqu’il explique notre conduite.
Nous consentirions plus volontiers à ce qu’on pensât mal de notre cœur que de notre esprit, et s’il fallait absolument choisir, nous aimerions mieux passer pour des méchants que pour des imbéciles!
Eh bien! n'aurons-nous donc pas honte, une honte profonde d’une telle préférence?
Ne nous frapperons-nous pas le front, ne nous tordrons-nous pas les mains d’être assez faibles, assez lâches pour préférer la sotte et vaine approbation d’un monde bel-esprit, à la sérieuse et douce satisfaction de notre conscience?
Ah! si nous sommes encore assez frivoles pour viser à la gloire humaine, même au prix de la paix de notre âme, et si la honte est assez pesante à notre front pour nous faire perdre de vue notre devoir de chrétien:
◦ REGARDONS À UNE HONTE PLUS GRANDE, plus longue,
à la honte que Dieu, devant ses anges, nous jettera pour une éternité,
et rougissons dès ici-bas en pensant que c’est à nous chrétiens, que Jésus a dû dire:
◦ «Quiconque aura honte de moi parmi cette race adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aura aussi honte de lui lorsqu’il viendra dans la gloire de son Père avec ses saints Anges.»
Je crois Seigneur, aide à mon incrédulité
Pour mieux apprécier le fait que nous rapporte ici l’Évangile, que chacun de nous se représente le plus cher de ses parents ou de ses amis, étendu sur un lit, malade ou mourant; qu’il suppose encore auprès de cette couche de souffrance, le Fils du Dieu tout-puissant, offrant de guérir le malade par un seul mot, pourvu que nous, son parent, nous puissions le lui demander avec confiance.
Oh! c’est là une de ces positions qu’il est impossible de se bien représenter, et qu’il faut avoir traversées soi-même pour les bien comprendre.
Quelle angoissante situation que celle de ce père!
◦ Son fils est là, torturé par la souffrance;
◦ Jésus est là, prêt à prononcer le mot qui doit le soulager;
◦ MAIS entre le malade et le Sauveur il faut que le père intervienne PAR LA FOI, qu'il fasse entendre une seule prière, qu’il éprouve un simple sentiment, qu’il croie enfin, et son fils sera guéri.
Ce père tient entre ses mains la vie et la mort de son enfant.
Il le comprend et cherche comment il pourra le sauver.
S’il ne fallait qu’espérer, la chose serait facile; mais croire, mais se confier, mais attendre comme certain un miracle, oh! c’est ce dont il n’ose encore se flatter.
Et cependant il est venu vers Jésus; il l’a même prié; il aime à se persuader qu’il est bien le fils de Dieu; mais tout cela suffit-il?
Est-ce de la foi, de la foi efficace et puissante?
Ce tendre père n’oserait l’affirmer.
Alors, jetant un coup d'œil sur son enfant comme pour puiser dans la vue de ses souffrances un nouvel élan à son amour, portant ensuite son regard sur Jésus pour s'inspirer de sa divine majesté, le malheureux père rassemble toutes les forces de son âme, et s’écrie en versant des larmes abondantes:
«JE CROIS, SEIGNEUR, AIDE À MON INCRÉDULITÉ!»
Parole admirable de vérité et de droiture! Parole qu’il est impossible d’entendre sans se dire: elle a été prononcée; un coeur l’a sentie; ce père a existé; son histoire est vraie, et Jésus l’a exaucé.
Parole où l’on sent l’amour paternel et la foi chrétienne se fécondant l’un l’autre; parole contradictoire pour l’esprit de l’incrédule ou de l’indifférent, mais lumineuse pour un croyant ou un père.
Oui, celui qui croit et qui aime peut dire avec assurance: «JE CROIS,» et ajouter en même temps avec larmes:
«AIDE-MOI, SEIGNEUR, DANS MON INCRÉDULITÉ;»
car cette confiance qu’il possède déjà, il la voudrait plus grande, et s’il doute, ce n’est pas de Jésus et de sa puissance, mais de lui-même et de sa foi.
Je crois et je prie; mais je désire croire davantage, et dans la vivacité de mon désir, je nomme la foi que je possède, de l’incrédulité.
Oui, voilà le double caractère de la foi chrétienne:
◦ se sentir elle-même et sentir sa faiblesse.
Celui qui ne croit pas, c’est celui qui pense avoir toujours cru; celui qui doute, c’est celui qui s’imagine n’avoir jamais douté. Si donc vous croyez déjà, vous le savez, et vous priez pour croire mieux et davantage.
Toutefois, il ne faudrait pas s’imaginer qu’il suffise à un homme de penser qu’il a la foi, et de confesser que sa foi est encore faible, pour qu’en effet cette foi soit la véritable.
Tout le monde vous dira, même le froid et vide formaliste: «Je crois, mais je pourrais croire encore plus.»
Non, le père dont parle l’Évangile et dont LA FOI ÉTAIT VRAIE, puisqu'elle obtint un miracle, ce père n’avoue pas seulement la faiblesse du sentiment qui l’anime, mais il s’en afflige, il en verse des larmes et appelle une telle foi, de l’incrédulité, et surtout, remarquez-le bien, IL PRIE POUR QUE CETTE FOI LUI SOIT AUGMENTÉE.
Confessons-nous donc que nous croyons peu?
Cette confession ne prouve rien; pour que nous puissions nous rassurer sur notre foi, il faut trembler sur elle, gémir, pleurer, prier pour elle.
Est-ce là ce que nous faisons?
Oh! mon Dieu, mon Dieu, que notre calme est effrayant!
Combien facilement nous prenons notre parti de ne pas assez nous confier en toi!
◦ Seigneur, viens à notre aide;
◦ Seigneur, inspire-nous la prière;
◦ Seigneur, donne-nous des larmes; nous ne croyons pas,
◦ Seigneur, aide à notre incrédulité!
Éternité des peines
«Dans le feu de la géhenne, là où leur ver ne meurt point, où leur feu ne s’éteint point;»
PAR TROIS FOIS JÉSUS RÉPÈTE SOLENNELLEMENT CES TERRIBLES PAROLES:
«Là où leur ver ne meurt point, où leur feu ne s’éteint point!»
Ce qu’il y a de plus effrayant dans le sort prédit au pécheur, mourant dans l’impénitence, ce n'est pas la nature de la peine, fût-ce d’être plongé dans un étang de souffre et de feu; mais c’est SA DURÉE SANS FIN!
Si toutes les paroles sont insuffisantes pour faire concevoir un bonheur éternel, elles le sont bien plus encore pour faire comprendre une éternelle condamnation, une roue douloureuse tournant sur elle-même, un feu s’alimentant de sa propre cendre, un ver sans cesse renaissant, et toujours, toujours attaché à sa proie, toujours, toujours rongeant sa victime!
◦ Oh! une telle pensée, suspendue devant l’imagination, la frappe, l’ébranle, et il faut que celui qui la contemple se convertisse ou l’oublie!
Non, il n'existe pas dans tout l’Évangile une vérité plus puissante pour réveiller le pécheur assoupi et le jeter tremblant aux pieds de son Sauveur.
Si l’état futur de l’impénitent devait être une peine limitée dans sa durée, quelque atroce qu’elle fût dans son intensité, on comprendrait encore que l’homme passionné ne fût pas retenu dans ses désordres par la crainte de l’encourir.
◦ Qu’est-ce, en effet, qu’une souffrance éloignée, comparée à des plaisirs présents, quand cette souffrance doit finir?
◦ Qu’est-ce qu’une douloureuse existence, même de quelques siècles, quand elle doit finalement être suivie d’un bonheur qui ne finira point?
Et puisque le péché, comme la sainteté, conduirait en définitive au Ciel, en obligeant seulement à un détour, ne vaut-il pas mieux, tout compte fait des privations qu’impose la vertu, et des plaisirs qu’assure la licence, ne vaut-il pas mieux accepter un «Purgatoire» suivi d’un Paradis avec la liberté dans ce monde, qu’un Ciel immédiat avec tant de contrainte ici-bas?
Oui, ce calcul est juste, il est selon le cœur humain, et pour en déjouer les conséquences, il n'y avait qu’un moyen, celui de l’éternité des peines s’ouvrant à la porte du tombeau.
Essayez en face de cette vérité, essayer de pactiser avec le péché, et vous verrez tout votre être s’épouvanter à la pensée d’une impossible comparaison.
Que la passion soit forte, que le péché soit doux; ce n’est que pour un temps, aurez-vous jamais le triste courage de jouer ce temps contre l’éternité?
Quelque insensé que vous puissiez être, en viendrez-vous jamais à dire qu’une vie terrestre, délicieusement pécheresse, rachète une éternité légèrement souffrante?
◦ Une éternité, fût-ce dans le repos; une éternité, fût-ce dans l’absence de toute douleur; une éternité seulement dans les ténèbres, loin d’un Dieu qu’on sait exister, loin d’un Ciel qu’on sait avoir perdu;
◦ une éternité de regrets, de remords;
◦ cette éternité satanique, aussi adoucie qu’il est possible de la concevoir, n'est-elle pas encore épouvantable et sans terme de comparaison avec la vie terrestre la plus longue, saturée des joies les plus vives?
Aussi, les hommes qui veulent continuer une vie plus ou moins facile dans ce monde ont-ils imaginé de nier l’éternité des peines.
Ils ont bien compris qu’en face de cette alternative, la conversion ou la géhenne, il n’y avait pas de comparaison possible, et que s’ils consentaient à croire au feu qui ne s’éteint point, il faudrait bien forcément se couper un bras, s’arracher un œil, plutôt que d’y tomber vivant.
Aussi ont-ils ôté à la géhenne ses flammes, au feu son éternel aliment, au ver sa vie sans fin; et tandis que Jésus dit: «Leur feu ne s’éteint point, leur ver ne meurt point;»
EUX, POUR VIVRE PLUS À L’AISE,
CHERCHENT-ILS À SE PERSUADER QUE LE FEU S’ÉTEINDRA
ET QUE LE VER MOURRA.
Tenons-nous donc en garde contre cette doctrine relâchée; croyons-en plutôt Jésus que les hommes!
Que la pensée d’une peine sans terme porte le pécheur encore irrégénéré dans les bras du Sauveur, et double la reconnaissance du chrétien sanctifié envers le Dieu qui s’est «donné pour qu’il ne périt point.»
Ce qu’on abandonne pour Jésus, il le rend au centuple même sur cette terre
À Pierre, demandant quel sera le sort de lui et de ses collègues après avoir tout quitté pour le suivre, Jésus répond qu’il n’est personne qui ait abandonné quoi que ce soit sur cette terre pour l’amour de l’Évangile, qui n’en doive retrouver cent fois plus dans ce monde.
La promesse paraît étrange d’abord, surtout quand on se rappelle que Jésus promet cent fois plus de frères, de sœurs, de mères et de maisons.
Mais cette étrangeté même donne l’explication du passage.
Toute la parenté et toutes les richesses de ce monde n’ont, après tout, de prix pour nous que par les joies qu’elles procurent à notre cœur. Or, si l’adoption de l’Évangile dans ce cœur nous donne une joie infiniment plus grande, plus vive, plus pure que tous les objets et toutes les affections terrestres, ne sera-t-il pas vrai de dire que le chrétien, même le chrétien persécuté, aura retrouvé plus qu’il n’a perdu?
Comparez, en effet, les deux positions d’un homme, d’abord incrédule, mais riche en parents et en fortune, et ensuite croyant, mais appauvri de tous ces biens terrestres; et jugez du gain immense que lui apporte sa conversion, même dans ce monde.
Représentez-vous cet homme chassé de sa patrie, dépouillé de sa fortune, séparé de sa famille; mais mis en possession de la foi en Jésus-Christ Sauveur de son âme; qu’éprouvera-t-il?
Oui, la misère a remplacé l'abondance; mais aussi l’attente du Ciel a remplacé la crainte de la mort.
Riche, mais incrédule, il torturait en vain les objets extérieurs pour en exprimer la satisfaction de ses besoins infinis de vie, de connaissance et de bonheur; croyant, mais pauvre, il porte en lui-même la source d’où jaillissent la foi vive, l’amour sans bornes, le calme de la conscience puisé dans le pardon des péchés, et par-dessus tout la communion avec son Dieu par le témoignage intérieur du Saint-Esprit.
◦ La richesse portait du pain à sa bouche;
◦ l’Évangile porte de la joie dans son cœur;
◦ des terres et des maisons lui gagnaient la considération des hommes, goutte d’eau jetée dans l’abîme de son insatiable vanité;
◦ sa vigilante piété lui vaut l'approbation de Dieu, source intarissable qui désaltère si bien l'âme.
Cet homme a-t-il perdu à cet échange? et dût-il mourir de faim, ne serait-ce pas encore dans la joie de son salut?
Pour accomplir sa tâche de chrétien, peut-être a-t-il dû s’éloigner de sa famille; supposons même qu’il ait dû la fuir pour éviter de sa part des persécutions; qu’a-t-il perdu?
Des parents pécheurs et incrédules, que jadis il regardait comme des êtres passagers, poussés vers le néant, et qui ne lui donnaient des marques d’affection qu'à travers les larmes de la maladie ou les terreurs de la tombe.
Mais par sa conversion ne les a-t-il pas retrouvés plus grands et plus précieux?
N’a-t-il pas dès lors appris à voir en eux des êtres mortels?
Son affection ne s’est-elle pas accrue et affermie à la pensée qu’elle ne serait pas éteinte par la mort?
Et ce père, cette mère bien-aimés, pour lesquels jadis il pouvait si peu de chose, n’a-t-il pas aujourd’hui acquis par sa foi le privilège de prier pour eux, et l’espérance de les amener au céleste bonheur?
Les aimera-t-il moins parce qu’il les aime pour l’éternité?
Non, non, la foi lui rend sa famille plus chère, bien qu’éloignée; et ici, comme pour la fortune, IL A RETROUVÉ PLUS QU’IL N’AVAIT PERDU.
◦ Il avait cru se dépouiller, et il s’est enrichi;
◦ il pensait avoir donné sa vie à Christ, et Christ la lui rend plus douce, plus belle, plus heureuse.
Et que serait-ce, si maintenant nous voulions tenir compte de cette vaste famille chrétienne dont la foi nous fait membres, et de ces joies que le chrétien est assuré de trouver partout où il rencontre un autre chrétien, de cette communion de sentiments si douce, de cet échange de pensées, si facile maintenant qu’un même Esprit vibre dans les deux coeurs?
Ce sont là de ces avant-goûts célestes jetés sur la terre pour faire comprendre au chrétien son avenir, et qui valent, non pas cent, non pas mille fois ceux qu’il a perdus, mais qui ne peuvent trouver ici-bas de terme de comparaison.
Apprenons donc à nous renoncer nous-mêmes, à tout donner à Christ, sachant bien qu’en lui nous retrouverons, dès ce siècle même, plus que nous n’aurons donné, et dans le siècle suivant, la vie bienheureuse et sans fin.
L’homme porte son égoïsme jusque dans l’Évangile
Par trois fois déjà, Jésus avait dit à ses Apôtres: il faut que le Fils de l’Homme soit livré aux Gentils, qu’il soit rejeté par les Sénateurs, qu’il souffre beaucoup, et enfin qu'il meure à Jérusalem, où nous montons.
Attristés par ces prédictions, ses Apôtres marchent en silence, et tandis que leur Maître, d’un pas ferme, monte à Jérusalem, eux, d’un pas ralenti par la crainte, ne le suivent que de loin.
Alors Jésus s’arrête, les attend, et leur dit encore: «Le Fils de l’Homme sera livré aux principaux Sacrificateurs et aux Scribes; ils le condamneront à la mort; ils le livreront aux Gentils; ils se moqueront de lui; ils le fouetteront; ils lui cracheront au visage, et le feront mourir.»
À ces tristes nouvelles, les Apôtres persévèrent dans leur silence: Mais quand Jésus ajoute: «Il ressuscitera le troisième jour;» s’attachant aussitôt à cette pensée de triomphe, deux Apôtres, Jacques et Jean, fils de Zébédée, s’empressent de lui demander une faveur: ils voulaient être assis à sa droite et à sa gauche quand il viendra dans sa gloire.
◦ Ainsi, quand il s'agit de souffrances, les Apôtres se taisent et ralentissent le pas.
◦ Dès qu’il est question de résurrection et de triomphes; ils répondent et courent au-devant des promesses.
Tels ne sommes-nous que trop nous-mêmes?
En acceptant l’Évangile, nous songeons plus à nous qu’à la gloire de Dieu; comme en lisant ses paroles, nous nous attachons plus à ses promesses qu’à ses exhortations.
Nous voulions bien être consolés par Christ, restaurés par les espérances de la vie à venir, rafraîchis par les joies du Saint-Esprit; mais nous avons beaucoup de peine à porter nos regards du côté des devoirs positifs, journaliers, que ce même Christ nous impose.
Il semble que nous ayons accepté la foi chrétienne comme un soulagement à nos misères, comme un moyen d’éloigner l’idée du néant ou de la condamnation, et non point comme une puissance pour relever nos mains, fortifier notre cœur et consacrer tout notre être au service de notre Sauveur et de nos frères.
◦ En sorte que lorsqu’on nous parle d’un brillant avenir, nous sommes tout attention, tout cœur, et presque fiers d’avoir senti couler une larme pieuse;
◦ tandis que si l’on nous rappelle nos devoirs de chrétiens, nous sommes attristés, nous restons en arrière, loin, bien loin de Jésus, montant à Jérusalem, où il s’en va mourir.
Serait-ce donc encore nous-mêmes et nous seuls que nous cherchons dans l’Évangile?
Serions-nous encore égoïstes jusque dans la religion de renoncement?
Notre moi n’aurait-il fait que changer de place?
Sans doute, il est impossible que nous nous perdions complètement de vue, même en face de notre Créateur; mais au moins devrions-nous commencer par sacrifier notre vie au service du Maître pour la retrouver en lui, et ce serait dans ce renoncement lui-même que se trouverait notre bonheur.
Sans doute encore, à parler juste, ce qu’on nomme DEVOIRS dans l’Évangile serait beaucoup mieux appelé PRIVILÈGES.
Mais il n’en est pas moins vrai que parmi ces privilèges, il en est qui nous plaisent, il en est qui nous répugnent;
◦ les uns, que nous appelons obligations, et que nous écartons autant que possible;
◦ les autres, que nous nommons promesses, et que nous acceptons toujours;
si bien qu’en fin de compte, ce n’est que sous bénéfice d’inventaire et en marchandant les conditions; que nous sommes chrétiens.
Ah! ce n’est pas ainsi que Jésus a fait pour nous; ce n’est pas pour Lui qu’il monte à Jérusalem; ce n'est pas pour Lui qu’il y souffre, pour Lui qu’il y meurt, mais uniquement pour nous.
Ce n’est pas sa récompense qu’il cherchait en marchant au supplice,
c’était notre salut.
Et maintenant si nous sommes véritablement ses disciples, ce n’est pas notre gloire, mais la sienne que nous devons ambitionner.
Notre bonheur, sans doute, se rencontrera sur ce chemin; mais nous ne le cueillerons qu’en marchant vers le but: le dévouement pour nos frères, et la gloire de notre Dieu.
Le figuier stérile
Sortant de Béthanie pour se rendre à Jérusalem, Jésus aperçoit de loin un figuier couvert d’un abondant feuillage. Bien que la saison de cueillir les figues ne soit pas encore venue, le Sauveur se dirige vers l’arbre, espérant y trouver quelques figues, rares, sinon abondantes, vertes, sinon en maturité. Mais il n’y trouve que des feuilles et pas un seul fruit. Alors Il maudit l’arbre; l’arbre sèche, et perd, en un seul instant, L’APPARENCE MENTEUSE qui avait appelé le Seigneur près de lui.
La leçon est claire, ne nous arrêtons pas à l’expliquer; mais aussi elle est sérieuse, fixons-la quelques instants pour mieux l’apprécier.
◦ L'apparence et la réalité, voilà ce que Dieu oppose constamment dans sa Parole.
◦ L’apparence du bien, sans sa réalité, est un péché, et s’attire de la part de Jésus une malédiction.
Tant s’en faut que cette mesure soit en usage dans notre société. Ce serait trop sans doute que de dire que l’apparence y est tout, et la réalité rien; mais du moins peut-on affirmer que l’apparence y est toujours de rigueur, et la réalité bien rarement exigée.
On regarde l’arbre de loin, on le voit couvert d’un luxuriant feuillage et l’on s’écrie: Voilà un beau figuier, sans faire un pas pour s’assurer s’il porte une seule figue.
◦ De même que nous ornons nos jardins de plaisance de certains arbres qui ne portent jamais que des fleurs, sans que nous songions seulement à leur demander des fruits;
◦ de même le monde n'exige de nous que ce qui peut plaire à ses yeux, charmer son oreille, chatouiller sa vanité;
il tient plus à nos démonstrations d’amitié qu’à notre amitié elle-même;
▪ il désire plus nos éloges que notre estime,
▪ et il accepte tous les jours nos protestations pour des actes accomplis.
Il est vrai qu’il nous paie de même en signes démonstratifs et en douces paroles; mais il n’attend guère plus de nous que nous ne lui donnons.
De cette facilité du monde à se contenter de nos semblants d’affection et de sainteté, résulte pour nous la funeste tendance à ne donner que juste ce que le monde demande: PLUS DE BONNES PAROLES QUE DE BONNES ŒUVRES; et quant à ces œuvres elles-mêmes, à tenir plus de compte de leur nombre que de leur intention; ainsi; nous, jadis clairvoyants, nous arrivons à nous contenter nous-mêmes de ce dont ce monde ce contente, jusqu’à ce qu’enfin nous devenions la dernière dupe du beau feuillage qui couvre notre vie.
Oui, nous nous séduisons nous-mêmes; cette explication seule peut atténuer un tort qui, sans elle, serait de l’hypocrisie.
◦ Nous nous payons de simulacres, parce que les hommes, les acceptent pour des réalités, et, insensés que nous sommes!
Nous poussons l’aveuglement jusqu’à croire que Dieu s’en contentera, Lui qui sonde le coeur et n’a point d’égard à l’apparence des personnes.
Ah! fixons nos regards sur la scène que nous venons de lire, et appliquons-nous-en la sérieuse leçon.
◦ Oui, Jésus un jour s’approchera de l’arbre de notre vie;
◦ sa main écartera le beau feuillage de nos paroles;
◦ son regard plongera jusqu’aux plus profondes ramifications de notre cœur;
◦ il cherchera les fruits.de notre activité.
◦ Que trouvera-t-il? Lui seul le sait!
Puisse-t-il nous le révéler dès ici-bas, EN FAISANT TOMBER NOS ILLUSIONS; et, s’il y travaille dans ce moment, puissions-nous nous-mêmes ne pas fermer les yeux à la lumière, importune mais salutaire qu’il jette dans notre conscience, et reconnaître qu’après tout, nous, lecteurs ou auditeurs de ces lignes,
◦ Nous pourrions bien être de ces figuiers stériles dont le monde vante les belles apparences,
◦ et que Jésus maudira un jour, si nous ne nous hâtons d’y appeler nous-mêmes la sève puissante du Saint-Esprit.
Les prières non exaucées
Ce n’est pas dans un seul passage de la Parole de Dieu, mais dans cent et dans mille que nous est faite cette promesse: demandez et vous recevrez.
◦ Et cependant ce n’est pas non plus une seule fois, mais cent et mille que NOUS AVONS DEMANDÉ ET QUE NOUS N’AVONS PAS REÇU.
Comment concilier cette contradiction entre la promesse de l'Évangile et l’expérience de notre vie?
D’abord, par la nature de nos demandes, qui se rapportent souvent aux biens temporels, et non aux dons spirituels, tandis que ce sont uniquement ceux-ci dont Jésus nous dit: «Tout vous sera accordé.»
En effet, dans le récit que nous venons de lire, il s’agit du pardon des péchés. Si ailleurs Jésus offre «des biens» à la prière, il a soin d’expliquer le mot dans un passage parallèle, en le remplaçant par celui-ci: «le Saint-Esprit.»
Et enfin il dit clairement, dans son discours sur la montagne:
«Cherchez le royaume des cieux et sa justice,
et les autres choses vous seront données par-dessus.»
Ne soyons donc pas étonnés de ne pas être exaucés quand nous prions dans le sens précisément contraire. «Vous demandez, dit saint Jacques, et vous ne recevez point, parce que vous demandez mal et dans la vue de fournir à vos voluptés.»
Toutefois, il faut le reconnaître: il nous est parfois arrivé de demander les dons spirituels sans cependant les obtenir. L’explication de ce fait n’est pas difficile: nous prions, il est vrai, mais avec l'esprit et non avec le cœur, comme l’exige ici Jésus.
Nous nous disons froidement: Dieu accorde ses grâces, nous en avons besoin: donc prions; et sur ce sec raisonnement nous nous mettons à genoux, nous parlons à Dieu pendant quelques minutes, et nous nous relevons exactement ce que nous étions auparavant.
Est-il donc bien étrange que le bruit de nos lèvres n’ait pas eu la puissance d’émouvoir le Seigneur?
Non, il ne le pouvait pas, pas plus que les longues et vaines répétitions des païens, pas plus que la machine à prières des Indous. Ce n’est pas là ce que Dieu nous a promis.
◦ D’après sa Parole, c’est le cœur qui doit prier,
◦ c’est de l’âme que doivent s’échapper brûlants ces soupirs inexprimables, accompagnés de larmes silencieuses;
ce sont ces ferventes prières suivies de l’action immédiate, ces prières constantes qui se mêlent à la vie et se confondent tellement avec elle, QUE LE CHRÉTIEN NE SAIT PLUS DISTINGUER DANS QUELS MOMENTS IL PRIE ET DANS QUELS MOMENTS IL AGIT; ce sont ces prières que Dieu nous a promis d’exaucer en tous points.
Or, prions-nous ainsi?
Ne semblons-nous pas, au contraire, attendre que la fontaine des grâces coule sur nous, dès que nous avons aspiré du bout des lèvres quelques faveurs dans une courte et froide invocation?
◦ Ah! ce n’est pas ainsi que priait Moïse sur Horeb, les bras tombant de fatigue;
◦ ce n’est pas ainsi que priait David, dont les yeux se fondaient en larmes;
◦ ce n’est pas ainsi même que priait Jésus, passant des nuits entières sur la montagne en saintes communications avec son Père.
Et pourquoi Dieu nous accorderait-il si facilement ce que nous lui demandons si faiblement?
Ne serait-ce pas contredire ce qu’il a déclaré?
D’ailleurs, Dieu voulut-il faire plus que nous ne lui demandons; voulut-il nous jeter à la tête les grâces dont nous ne sentons pas le prix; n’est-il pas plus que probable que nous ne les accepterions pas? N’est-ce pas même ce que nous avons déjà fait?
N’avons-nous pas plus d’une fois contristé le Saint-Esprit qui parlait dans notre cœur, et laissé dehors Jésus qui frappait pour entrer?
Dieu, en prodiguant ses offres au delà de nos demandes et de nos désirs, ne nous fournirait-il pas par cela même de nouvelles occasions d’ingratitude et de chute?
Non, non; la sagesse de Dieu, comme notre propre bien, exige que ses grâces ne soient que proportionnées à nos prières parties du fond de notre cœur.
Il ne peut et ne doit nous exaucer que dans la mesure de notre foi.
Maintenant, quelqu’un oserait-il affirmer qu’il a prié du cœur et n’a cependant pas été exaucé?
Non, ce serait dire qu’un père offre un serpent à son fils lui demandant du pain; non, ce serait dire qu’une mère ferme les yeux et se bouche les oreilles devant son enfant criant et lui tendant les bras; ce serait dire enfin qu’il n’existe pas de Dieu!
Toutefois, reconnaissons-le:
Dieu n'exauce pas toujours sur l’heure, ni de la manière qu’on lui désigne.
S’il accorde les biens spirituels demandés, c’est comme et quand il le juge bon.
Ayons donc, sur l’heure et sur la marche qu’il doit choisir pour nous exaucer, la même confiance que nous avons pour nos demandes elles-mêmes.
NE CROYONS PAS À DEMI, ET DIEU NOUS EXAUCERA COMPLÈTEMENT
La parabole des vignerons
Dans la parabole qui ouvre ce chapitre, nous voyons, sous les images d’un père de famille et de ses vignerons révoltés, Dieu et les hommes pécheurs suivre, chacun dans son sens, une ligne de conduite constamment progressive.
◦ Dieu n’envoie d’abord qu’un serviteur, ensuite plusieurs ensemble, et enfin son propre Fils; c’est la charité s’accroissant sans cesse.
◦ Mais les vignerons chassent et battent les premiers, blessent gravement ceux qui suivent, et mettent enfin à mort les derniers et le Fils bien-aimé; c’est la dureté de cœur augmentant toujours.
Ce qu’il y a d’effrayant dans la conduite de ces hommes, ce n’est pas seulement que leurs crimes se multiplient, c’est encore qu’en les commettant plus nombreux, ils s’endurcissent davantage.
Bien que leur conscience doive être plus chargée à l’époque de leurs derniers forfaits qu’au jour des premiers, cependant nous les y voyons marcher avec un égal sang-froid, et même avec plus de cruauté; quand ils chassent le premier serviteur, c’est SANS PRÉMÉDITATION, mais quand plus tard ils tuent le Fils, C’EST APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ; leur première faute ne tend qu’à retenir injustement le tribut de l'année, mais leur dernier crime a pour but de s’emparer de l’héritage tout entier.
Si bien que leur conscience se durcissant sur le sentier du vice, comme le talon du voyageur sur un chemin pierreux, ils arrivent au dernier degré de méchanceté, sans soupçonner seulement qu’ils aient aggravé leur position devant leur Seigneur.
Fidèle et triste image de l’aveuglement du pécheur, en réalité toujours pire, et cependant à ses propres yeux toujours le même; toujours plus chargé et jamais plus fatigué. Au contraire, comme d’autres s’exercent dans le bien, il s’exerce dans le mal, le trouve toujours plus doux et plus facile à faire, jusqu’à ce qu’il boive l’iniquité comme de l’eau!
Et n’allons pas nous imaginer que cet endurcissement de la conscience soit particulier aux grands pécheurs, capables, comme ces vignerons, de dérober ou de tuer:
◦ cet endurcissement se retrouve dans les petites comme dans les grandes fautes;
◦ c’est toujours l’âme qui s’accoutume à ce qu’elle pratique;
◦ c’est toujours le ressort de la conscience plus pesamment chargé qui s'affaisse sur lui-même;
ici ce sont des crimes qui l’écrasent, là ce sont de mauvaises habitudes qui le compriment; mais dans les deux séries d’expériences, le résultat reste le même pour tous:
La conscience s’endurcit dans la pratique du péché.
La cause première de ce funeste assoupissement est sans doute dans la patience avec laquelle Dieu supporte ici-bas le pécheur, dans cette miséricorde croissant durant des années dans la proportion de nos besoins et de nos fautes.
Mais, quelque prolongée que soit cette patience, vient enfin l’heure où elle cesse; quelque persévérante que soit cette miséricorde, vient au bout le moment où elle nous abandonne, et tôt ou tard, mais à un jour certain, Jésus doit nous dire: Que fera donc le Maître de la vigne, après vous avoir tant et tant supporté?
Sans doute, nous sommes loin de penser que tout cela nous concerne; mais remarquons que notre tranquillité vient précisément de la nature de la faute qu’on nous reproche ici: c’est un endurcissement.
Notre plus grand mal, c’est de ne pas sentir notre mal; en cela, semblables à ces paralytiques qui n’ont plus conscience de leurs membres morts, ou à ces impotents insensibles sur le point même que ronge la gangrène.
Ah! puisse cette pensée nous réveiller en sursaut!
Puisse ce trait de lumière pénétrer notre cœur et nous, nous tourner vers Dieu, tandis qu’il nous adresse encore ses appels de miséricorde.
Son Fils vient, non pour venger les serviteurs de son Père, mais pour nous annoncer notre pardon.
Le repousser serait le dernier terme de l’endurcissement. Jetons-nous donc à ses pieds, pleurons notre passé, marchons désormais sous son regard, et notre conscience, renouvelée, fera l’expérience inverse de celle que nous avons déjà faite:
◦ Jadis c’était le mal qui nous, devenait toujours plus doux et plus facile,
◦ à l’avenir ce seront les commandements de Dieu qui nous seront sans cesse plus légers à porter.
La pite de la veuve
Une pauvre mendiante de nos rues, versant à sa sortie d’une église dans le tronc des pauvres la seule aumône qu’elle aurait reçue dans la journée, nous paraîtrait sans doute bien digne d’admiration.
Cependant, cette charité qu’on pourrait dire héroïque, n’égalerait pas encore celle de la femme israélite déposant ici son quadrin.
Elle est veuve, nous dit Jésus, c’est nous apprendre qu’elle était seule et délaissée; son offrande est prise sur son nécessaire; il y a plus: c’est tout ce qu’elle avait pour vivre, ajoute le Seigneur; en sorte qu’à la lettre, on peut se représenter cette pauvre femme rentrant dans son réduit et souffrant de la privation qu’elle vient de s’imposer pour soulager ses frères.
En même temps que Jésus relève le faible don de cette femme, il rabaisse les brillantes offrandes des riches qui l’entourent, et cela parce que, pour donner, LA VEUVE A PRIS SUR SON NÉCESSAIRE, tandis que LE RICHE N’A FAIT QUE RETRANCHER À SON SUPERFLU.
◦ La règle qui ressort de ces paroles est donc celle-ci: nous devons faire l’aumône en proportion de nos ressources; voilà le strict devoir, et si l’on est louable pour aller au delà, en est coupable pour faire moins.
On ne peut disconvenir d’un fait, c’est qu’en général les riches donnent plus que les pauvres; mais il faut reconnaître en même temps que ce plus n’est pas en rapport avec le plus de leur fortune, et que finalement CE QU’ILS DONNENT LEUR COÛTE PEU À SACRIFIER.
Il semble que la richesse endurcisse et que l’indigence attendrisse le cœur.
C’est dans les classes inférieures de la société que la charité revêt ses caractères les plus touchants;
◦ le pauvre vous recevra à sa table,
▪ le riche ne vous donnera que son argent;
◦ le pauvre se gênera dans son réduit pour vous y faire place,
▪ le riche vous enverra chercher ailleurs un gîte à ses frais;
◦ le pauvre soignera vos malades, bandera vos plaies, veillera au chevet de votre lit;
▪ le riche, hélas! fera faire tout cela.
Oui, disons-le, c’est au-dessous de nous, plus souvent qu’au-dessus, que nous avons trouvé des modèles de charité, et pour l’abondance des dons, et pour la délicatesse du sentiment; tandis que les uns paient de leur or, les autres paient de leurs personnes.
Dans laquelle de ces deux classes chacun de nous peut-il se placer?
Dieu le sait.
Toutefois, il est vrai que le choix ne nous est pas toujours laissé, et que bien souvent le pauvre donne son temps parce qu’il n’a pas d’argent à donner; et que le riche offre son argent, parce que sa personne est plus utilement employée autre part.
Ainsi revenons donc à la règle posée par Jésus, de donner en raison de sa fortune.
Cette règle est-elle généralement suivie?
Non; loin, bien loin de là; et si nous suivons une règle dans nos offrandes pour les œuvres de bienfaisance ou d’évangélisation, c’est bien plutôt celle-ci: NOUS DONNONS À PROPORTION DE CE QUE LES AUTRES ONT DONNÉ POUR LE MÊME OBJET.
Notre première question aux collecteurs de dons, ou notre premier regard sur la liste qu’ils nous présentent, se porte sur les sommes versées par d’autres.
Si le donateur qui nous précède est plus riche que nous, nous pensons être autorisés à moins faire que lui; s’il est plus pauvre, nous aurions honte de ne pas faire plus; en sorte que nos motifs, tantôt puisés dans l’avarice, tantôt dans la vanité, ne le sont que bien rarement dans le besoin des indigents, ou dans l’étendue de nos ressources.
Eh! que nous importe ce que font les autres!
Plaçons-nous directement en face de l’œuvre à laquelle Dieu nous sollicite de prendre part.
Si le riche a peu donné, c'est une raison pour nous de donner davantage.
Nulle part l’Évangile ne nous mesure aux autres hommes,
mais partout au devoir.
Jamais Jésus ne fait pour nous à proportion de ce qu’ont fait ses prédécesseurs, envoyés de Dieu; mais il nous donne tout ce qu’il a: sa vie, pour nous obtenir le plus grand des dons: l’éternité.
Ah! si nous avions reçu ses promesses dans nos cœurs, ce ne serait pas aux aumônes des hommes plus ou moins égoïstes, que nous comparerions nos offrandes, ce ne serait pas même à nos ressources, mais aux nécessités du pauvre; et dussions-nous parfois en souffrir, nous verserions aussi dans le tronc du Temple une part du quadrin qui nous reste pour vivre!
L’immutabilité de la justice divine 10 mars
«Depuis le commencement de la création, il n’y a jamais eu une telle affliction et il n’y en aura jamais de semblable.»
C’est de l’épouvantable ruine de Jérusalem que Jésus parlait ainsi; et avant que la génération, vivant alors, fût éteinte, un écrivain juif, témoin oculaire de cette catastrophe unique dans l’histoire, racontait aux peuples étonnés
◦ Que Jérusalem avait été assiégée par une armée romaine;
◦ Que ses habitants, divisés en trois partis, s’étaient entretués;
◦ Que la famine avait été si complète, que des mères avaient été conduites par les tourments de la faim à dévorer leurs propres enfants;
◦ Qu’un million de victimes étaient tombées;
◦ Que le temple avait été incendié, la ville détruite, et le soc de la charrue promené dans son enceinte en signe de complète destruction!
Il faudrait un volume pour redire en détail toutes les particularités de ce siège, qui vinrent successivement vérifier chaque verset, chaque mot des prophéties de Moïse et de Jésus sur la ruine de Jérusalem.
Mais ce qui nous frappe le plus, c’est moins encore l’accomplissement littéral de la prophétie, que la mesure que ce fait nous donne de L’INEXORABLE JUSTICE DE DIEU, une fois qu’elle s’appesantit sur l’homme.
Nous pouvons nous faire une idée assez exacte des miséricordes de Dieu envers le pécheur repentant, car la Bible est pleine de ses témoignages; mais peut-être n’avons-nous qu'une notion imparfaite de sa justice, que nous ne voyons pas aussi souvent s’exercer durant une existence terrestre où ce Dieu supporte, attend, appelle le coupable et retarde toujours la punition.
Pour bien juger de sa sévérité, rappelons donc les rares exemples où Dieu ait puni dès ici-bas les iniquités, et nous serons comme frappés de stupeur!
– Depuis Adam jusqu’à Noé, Dieu supporte, et rien ne nous étonne; mais sa justice arrive, le monde entier est enseveli sous les eaux; et nous sommes consternés.
– Depuis Noé à Lot, le Seigneur use de patience, et tout nous semble marcher dans l’ordre; mais sa justice se réveille: Sodome, Gomorrhe, et cinq autres villes, sont à la fois et subitement englouties dans un étang de soufre et de flammes; et nous restons glacés d’effroi.
– Depuis Abraham jusqu’à Jérémie, Dieu allège les coups de sa verge, et les prospérités passagères du peuple nous semblent chose toute simple; mais la justice parle: le peuple entier est conduit en esclavage, et nous nous lamentons avec le prophète.
– Enfin, du retour de la captivité à la mort du Sauveur, les Juifs semblent vivre en paix avec Dieu, chose à nos yeux toute naturelle; mais quand les rues de Jérusalem ruissellent de sang, quand ses édifices enflammés tombent et écrasent le reste d’un million d’hommes, nous sommes épouvantés et tremblants. Cependant ce n’est non plus ici que la justice de Dieu.
Nos longs étonnements à l’ouïe de toutes ces catastrophes, ne viendraient-ils pas de ce que nous avons de cette justice des notions inexactes, et que nous attendons de Dieu une longanimité qui s’étende jusque dans ses jugements?
Ne serait-ce pas que, habitués aux doux sons de ses paroles paternelles, nous avons peine à croire qu’il puisse frapper un jour l’enfant qu’il caresse aujourd’hui?
Prenons-y garde! S’il en était ainsi, c’est nous-mêmes qui nous serions séduits, car:
La Bible qui nous raconte les bontés sans fin de notre Dieu, est la même Bible qui fait briller de loin en loin son glaive sur l’histoire des peuples, et qui nous montre à ses lueurs la terre submergée, Sodome engloutie et Jérusalem ruinée de fond en comble!
N’effaçons donc pas ces pages de la Parole de Dieu.
Si nous aimons à méditer sur sa miséricorde, N’OUBLIONS PAS SA JUSTICE, et que de temps à autre notre conscience, comme une sentinelle vigilante, nous crie cette Parole de Jésus:
«VEILLEZ! JE VOUS LE DIS À TOUS; VEILLEZ!»
Veillez!
Jésus remonte toujours aux principes.
Pour nous conduire à la pratique du bien, il ne nous dit pas d’entrée d’agir, mais de PRIER; de même pour nous faire échapper au mal, il ne nous recommande pas de combattre d’abord, mais de VEILLER.
◦ Oui, après la prière, la vigilance est le grand secret de la vie chrétienne.
Elle épargne des luttes, ce qui vaut mieux que bien des chances de victoire; car pour n’être pas vaincu, le plus sûr est de fuir le combat, et c’est précisément ce que Jésus nous conseille en nous disant: VEILLEZ.
Mais ce conseil n’est pas, en général, de notre goût. Forts de nos bonnes intentions, rassurés par notre aversion instinctive pour le mal encore éloigné, nous nous laissons volontiers aborder par la tentation.
◦ Il semble en vérité que nous trouvions une certaine volupté à jouer avec l’instrument qui peut nous blesser où nous donner la mort. Aussi qu’arrive-t-il?
C’est qu’au moment où nous y songeons le moins, notre main faiblit, un éblouissement passe devant nos yeux, la tête nous tourne, et nous tombons sur le glaive que nous pensions examiner en simples spectateurs.
Ensuite nous sommes tout étonnés, tout honteux de notre chute. Nous parlons de la violence de la tentation, de l’irrésistibilité de nos penchants. Si nous avions veillé, certes nous n’en serions pas venus là.
◦ La tentation, combattue dès son apparition, eût été facilement vaincue, et le mal finalement épargné.
◦ Le péché est d’abord un jeune enfant qui paraît si faible, si innocent, qu’on ne s’en défie guère; mais son développement est vraiment magique, et il est sur nous avant que nous ayons eu le temps d’y songer.
Comme Jésus, remontons donc aux principes; cherchons là cause de ce manque de vigilance, et nous la trouverons dans notre présomption.
Nous ne nous défions pas assez de nous-mêmes, nous ne nous disons pas assez que nous sommes radicalement impuissants; et de là, notre témérité ou notre sommeil sur les bords du gouffre de nos passions.
D’un autre côté, nous ne sommes pas assez vivement pénétrés de cette pensée que c’est Satan, Satan en personne qui rôde autour de nous, nous sollicite au mal et nous pousse dans l’abîme; nous ne nous disons pas assez que nous avons à faire à forte partie; et ainsi, présumant de nous-mêmes, dédaigneux de l’ennemi, nous sommes doublement exposés à des défaites aussi complètes qu’inattendues.
VEILLONS, veillons donc afin de n’avoir pas à combattre.
Celui qui connaît bien notre nature, Jésus, dans l’Oraison dominicale, avant cette demande: «délivre-nous du mal,» nous enseigne à faire celle-ci: «préserve-nous de la tentation.»
La tentation, voilà l’arme la plus terrible de Satan, car elle frappe en restant invisible; comme la vigilance est contre elle le bouclier le plus sûr, parce qu’il tient l’ennemi éloigné.
Cette vigilance pour éloigner la tentation parait à quelques esprits de la pusillanimité, elle leur semble nous humilier mal à propos; il y aurait à leurs yeux plus de courage à marcher la tête haute et d’un air de noble confiance.
Il est possible qu’il y ait dans cette conduite une certaine satisfaction intérieure, mais certes, une telle satisfaction n’est pas selon l’Évangile; c’est toujours de l’orgueil recherchant sa propre justice sous le nom de dignité.
Quand il s’agit du péché,
la honte n’est pas d’éviter le combat;
c’est d’être vaincu.
La gloire du chrétien, c'est l’humilité!
Plus il s’y plonge, plus il grandit, et ce n’est que lorsqu’il se sera complètement anéanti qu’il sera quelque chose.
Laissons donc là la gloriole des luttes suivies de victoires; c’est Satan qui nous la conseille; c'est Goliath qui nous appelle à la bataille; retirons-nous dans nos tentes et veillons pour tenir l’ennemi éloigné.
S’il faut absolument combattre un jour, Dieu nous enverra son puissant Esprit; alors, comme David, c’est en son nom que nous prendrons les armes; mais:
JUSQUE-LÀ VEILLONS ET PRIONS.
L’huile précieuse répandue sur la tête de Jésus
Lorsque pour la première fois vous avez lu l'histoire de cette femme, brisant ce vase d’albâtre pour répandre un parfum d’une valeur de trois cents deniers sur la chevelure du Sauveur, n’est-il pas vrai qu’avant d’avoir entendu Jésus louer cette action, et les Apôtres la blâmer, vous aviez déjà jugé vous-même cet acte, une grande prodigalité?
◦ De ce parfum répandu, que revenait-il à Jésus?
◦ Rien! tandis que sa valeur recueillie eût soutenu bien des familles indigentes!
Oui, soyons sincères; cherchons à bien démêler quel a été notre premier mouvement, et nous reconnaîtrons que c’était un mouvement de surprise, presque un sentiment de regret; comme les Apôtres, nous nous sommes dit: «on aurait pu distribuer trois cents deniers aux pauvres.»
Ce raisonnement est juste; toutefois, mettons-nous par la pensée à la place de Marie, et peut-être jugerons-nous moins froidement son action.
Marie croit en Jésus; c’est-à-dire qu’elle se considère par lui pardonnée de tous ses péchés, et mise en possession du Ciel sans que jamais elle puisse le perdre.
Cette pensée a profondément pénétré dans son cœur, car nous voyons ailleurs que sa foi est assez ferme pour obtenir la résurrection d’un mort.
Maintenant, si vous ne le pouvez par le cœur, essayez par l'imagination de mesurer la joie qu’inonde un être vivement animé de cette persuasion;
◦ une femme qui voit dans le Ciel ouvert, sa place marquée!
◦ Une femme qui sait qu’elle a été tant et tant aimée par le Sauveur, que dans quelques jours II va mourir pour elle!
Dites quelle reconnaissance ne doit pas remplir le tendre cœur de cette pauvre femme.
Et si sa reconnaissance n’est pas un sentiment stérile, que peut faire Marie pour l’exprimer à son Maître, pour donner une forme saisissante à son sentiment, pour manifester enfin ce qui se passe en elle, que peut-elle faire pour le Fils de Dieu, qui n’a besoin ni d’or, ni d’argent, qui ne manque ni de vêtements, ni de pain, ni de serviteurs; que peut-elle faire pour lui témoigner vivement cette reconnaissance?
Ah! je le comprends: pleine d’amour, tourmentée du besoin de le manifester, et portant dans sa demeure ses regards autour d’elle pour y chercher l’objet le moins indigne du Seigneur, elle saisit ce vase d’albâtre, son joyau le plus précieux, et dans un saint transport, elle se dit que ce trésor, si péniblement acquis, elle le versera jusqu’à la dernière goutte sur la tête de son Maître; il faut que son Sauveur sache que rien ne lui coûte, et dût-elle paraître, aux yeux secs et aux cœurs froids, commettre une folie, elle satisfera le désir de son âme, elle donnera jour à l’effusion de ses doux sentiments.
◦ Le vase est pris, apporté, rompu, le parfum coule, et Jésus sait maintenant combien il est aimé!
Si nous en avons le courage, blâmons encore cette femme!
Ah! c’est nous qu'il faudrait blâmer, nous dont l’amour est si raisonnable, la reconnaissance si mesurée, nous qui enregistrons chacune des miettes de notre vie, de nos aises, de notre fortune que nous laissons tomber pour le Seigneur.
C’est contre nous qu’il faudrait s’indigner, nous qui n’avançons que stimulés par l’aiguillon du devoir, nous qui nous faisons traîner sur la route étroite, tandis que, rachetés à si grand prix, enrichis du Ciel, de Dieu, de l’éternité, NOUS DEVRIONS TROUVER DE LA JOIE ET DU BONHEUR DANS LE SACRIFICE DE NOUS-MÊMES, et courir légers et joyeux dans les commandements du Seigneur.
Que dois-je faire?
Voilà la plus haute question à laquelle s’élève notre christianisme; tandis que notre cœur devrait s’élancer et dire: que m’est-il permis de sacrifier?
Ah! si nous aimions véritablement, nous eussions eu une intelligence plus juste de la conduite de Marie; notre premier mouvement eût été une douce satisfaction et notre seul regret de n’avoir pas été à sa place pour faire ce qu'elle a fait.
Eh bien! il en est temps encore. Jésus est aussi notre Sauveur; il vit encore, bien que dans les deux.
Consacrons-lui toute notre vie, rompons le vase de pierre de notre égoïsme, et répandons sur ses enfants le parfum précieux de notre amour.
Nous n’avons plus le Fils de Dieu sur la terre; mais, comme il l'a prédit, nous y avons toujours des pauvres; et puisque c’est en leur faveur que nous nous sommes d'abord prononcés, que ce soit sur eux que tombent aujourd’hui en bienfaits l’expression de notre amour pour Jésus.
Mais prenons garde!
C’est avec le parfum de Marie que les Apôtres auraient voulu faire l’aumône; et à ceci nous reconnaîtrons la sincérité de notre charité, si nous désirons soulager nos frères malheureux,
◦ Non avec les biens que prodiguent les autres hommes,
◦ mais avec le peu de richesses que nous possédons nous-mêmes.
C’est là que le Seigneur nous attend; c’est là qu’il jugera si véritablement nous sommes siens!
La conscience des méchants
Quelque perverti que soit un homme, il sentira toujours, plus ou moins vif, l’aiguillon de sa conscience.
◦ Il peut bien l'émousser, mais jamais le rompre, jamais l’arracher de ses chairs.
◦ Il peut perdre ses sens, ses facultés, sa moralité jusqu’à descendre au niveau de la brute; mais ce qui l’en distinguera toujours, c'est le lumignon de sa conscience, fumant encore malgré tous ses efforts pour l’étouffer sous ses passions et ses crimes.
Véritable doigt de Dieu qui nous montre clairement un monde de justes rétributions!
Mais pour nous mieux convaincre de la ténacité de cette conscience, même chez le méchant, suivons-en les effets chez les persécuteurs de Jésus.
Et d’abord Judas, l’instrument de Satan, Judas, le plus odieux des criminels, le plus infâme des traîtres. Judas, dont on peut dire, sans crainte de manquer de charité, qu’il a mérité et obtenu l’éternelle damnation; Judas, quelque perverti qu’il soit, arrivé dans le jardin, tremble encore en secret devant son Maître sans défense, lui qui se sent soutenu par une troupe armée d'épées et de bâtons, car il ne s’en approche qu’avec une caresse hypocrite, et en recommandant bien aux soldats de le saisir et «l’emmener sûrement.»
◦ SÛREMENT! comme si Jésus risquait d’échapper aux soldats, et de venir lui reprocher sa lâcheté ou le punir de son crime.
◦ SÛREMENT! comme si la brebis pouvait se défendre contre la main qui la mène à la boucherie, et de son faible bêlement épouvanter l’homme armé du couteau déjà ensanglanté.
◦ SÛREMENT! ah! ce mot met à nu ce qui se passe en Judas: nous voyons son coeur battre, son sang se précipiter, la crainte le saisir, et tout cela parce que, même chez le plus grand criminel, la conscience a parlé.
Suivons, d’un autre côté, la conduite des sénateurs et des prêtres qui vont juger le Sauveur.
Nous le savons déjà, leur véritable motif, pour se défaire de sa personne, sont les dures vérités que Jésus leur a fait entendre en face du peuple; ils le haïssent parce qu’il leur a cent fois arraché de la figure le masque d’hypocrisie dont ils se couvraient pour obtenir gloire et fortune.
Maintenant ils sont seuls; ils ont un intérêt commun; ils sont maîtres, maîtres absolus de condamner le Sauveur; et cependant, voyez que de précautions, de détours, de ruses, de ménagements ils emploient pour tromper leur propre conscience.
◦ C’est de nuit qu’ils envoient à sa recherche, non pas un ou deux hommes au service du sanhédrin, mais une troupe de soldats et de serviteurs.
◦ Quand Jésus est à la barre de leur tribunal, quand sa sentence est déjà portée dans leurs cœurs, ils s’efforcent de retenir encore la forme de la justice qu’ils outragent; ils cherchent de faux témoins; les premiers ne suffisant pas, ils en cherchent d’autres, et quand ils semblent réduits à le condamner sans aucune forme de procès, ils imaginent d’aller demander à Jésus lui-même un aveu qui puisse au moins donner le change à leur conscience, et servir de prétexte à une condamnation qu’ils désirent et craignent de prononcer.
◦ Jésus leur jette cet aveu plus complet qu’ils n’osaient l’espérer, et cependant encore, comme pour couvrir la voix du remords, les juges vocifèrent tous ensemble, et le Grand-Prêtre déchire ses vêtements.
◦ Il n’est pas jusqu’à cette tourbe de soldats et d’esclaves qui ne sente l’aiguillon de la conscience; aussi, pour s’étourdir passent-ils de la garde paisible qu’on leur impose, aux outrages les plus lâches contre leur prisonnier. Ils lui bandent les yeux; lui crachent à la figure; et, avec l’éclat de rire de l’ignoble raillerie, lui disent: «devine!»
Telle n’est pas la conduite du fort contre le faible, du juste contre le criminel; mais telle est bien celle du coupable, impuissant, même au milieu de ses triomphes, pour étouffer dans le bruit la voix intérieure et divine, qui le poursuit de ses reproches importuns.
Et maintenant, admirez la bonté et la sagesse de Dieu, jusque dans les cris de cette conscience chez le méchant.
Il semble que les remords ne soient qu’une punition du crime qui les fait naître; et cependant c’en est au contraire le miséricordieux prédicateur.
◦ Si Dieu a voulu que le pécheur souffrît dans sa conscience en accomplissant le mal,
c’est précisément pour l’en détacher par la souffrance, et l’engager à chercher la paix ailleurs.
La position la plus terrible serait celle où Dieu, abandonnant le coupable à lui-même, le laisserait jouir en paix des fruits de son péché. Aussi est-ce le dernier terme du malheur et du crime, que de ne pas sentir les tourments du remords. Si cet état pouvait complètement se réaliser, ce serait la plus grande preuve que Dieu nous aurait abandonnés.
ÉCOUTONS DONC CETTE CONSCIENCE, bénissons Dieu des souffrances dont elle nous aiguillonne, et prenons garde de ne pas nous y habituer; sachons voir la main paternelle de Dieu là même où jusqu’à ce jour, peut-être, nous n’avions aperçu que des traces de sa justice et de sa sévérité.
La pente du mal conduit à des abîmes
En lisant la condamnation de Jésus, on est étonné de voir les prêtres, Pilate et le peuple lui-même y concourir, déterminés par d’aussi faibles motifs.
Sans doute le crime est toujours crime; mais quand l'homme s’y décide, poussé par des intérêts puissants, sans approuver sa conduite, on se l’explique cependant. Ici rien de semblable; Sacrificateurs et Scribes livrent Jésus à la mort, au dire du gouverneur lui-même, uniquement par envie; humiliés de voir le peuple écouter Jésus plutôt qu’eux-mêmes dans le temple, ils en conçoivent un violent dépit, souhaitent sa mort, la préparent; et ce simple mouvement d’envie les conduit à l’assassinat!
Chez Pilate, la disproportion entre le mobile et la conséquence est non moins excessive.
Pilate n’a reçu aucun mal de Jésus; il le croit innocent, il fait même plusieurs tentatives pour lui rendre la vie et la liberté. Comment passe-t-il donc subitement à la résolution de le faire mourir?
Un autre Évangéliste nous l’apprend; c’est qu’une voix partie du sein de la foule s’est écriée: «Si tu délivres celui-ci, tu n’es point ami de César; car quiconque se fait roi est ennemi de César.»
Oui, c’est en entendant cette parole sans autorité, cette accusation sans fondement, que le représentant de l’empereur faiblit, et livre Jésus pour être crucifié! Ainsi donc chez Pilate, une crainte vague, chimérique, que lui, gouverneur romain, ne fût accusé de soutenir la cause d’un pauvre Juif contre le maître du monde, cette crainte absurde le porte d’un seul bond au meurtre d’un innocent.
Et quant au peuple, comment s’expliquer sa conduite inconstante?
En supposant que les voix qui criaient hier: «Hosanna! gloire au fils de David!» ne soient pas celles qui sollicitent aujourd’hui la mort de Jésus, cette populace amoncelée devant
le tribunal de Pilate n’est-elle pas du moins la même qui, dans les rues de Jérusalem, courait après Jésus pour être témoin de ses miracles?
N’est-ce pas le même peuple qui, dans le temple, admirait ses discours, et dont la présence seule contenait la main des Grands, prête à saisir le Sauveur?
◦ Comment donc les satellites des Pharisiens qui, venus hier pour arrêter Jésus, ne l’avaient pas osé, et s’en étaient retournés disant: «Jamais homme n’a parlé comme cet homme;»
◦ Comment le serviteur du Grand-Prêtre dont Jésus avait miraculeusement guéri l’oreille, comment de tels hommes s’agitent-ils, en foule onduleuse et bruyante, devant le prétoire, et vocifèrent-ils ces mots jusqu’à effrayer Pilate: «Crucifie! crucifie!»
◦ et quand le gouverneur veut leur opposer une dernière objection, comment ces hommes sont-ils assez acharnés contre Jésus pour répéter avec un redoublement de fureur; «Crucifie! crucifie?»
Hélas! rien au monde n’explique une telle contradiction, si ce n’est ce triste besoin de la nature humaine qui se trouve surtout chez le peuple, ce besoin d’éprouver de fortes émotions.
Pour de tels hommes, le spectacle d’un jugement est un plaisir celui d’un supplice, une fête; dans ce moment, ils jouissent du premier: ils espèrent et demandent le second.
Comme le goût du sang anime le tigre qui lèche la main de son maître, la vue de Jésus, au front ensanglanté par une couronne d’épines, au corps meurtri par des coups de fouet, réveille chez la populace cette soif meurtrière; et pour la satisfaire, ces hommes réclament une croix, des clous et un marteau.
◦ Hier, pour être vivement émus, ils demandaient à Jésus un miracle; aujourd’hui, par le même,besoin, ils demandent sa mort.
◦ Hier, pour assister à un beau spectacle, ils se rendaient à Béthanie, où Lazare allait ressusciter; aujourd’hui, par le même désir de scènes émouvantes, ils courent à Golgotha, où Jésus va mourir.
Suivez-les au pied de la croix, et vous les verrez rire et se moquer à la vue d’un martyr, comme on a vu naguère une populace danser de joie autour d’un monceau de suppliciés! Oui, le peuple est le même dans tous les temps: il fera tout, il donnera tout pour des spectacles, doux ou horribles, attendrissants ou sévères, mais du moins émouvants.
Ainsi, quand nous cherchons dans le cœur des coupables les faibles et premiers ressorts mis en jeu pour en venir au plus épouvantable de tous les crimes, nous trouvons:
◦ chez Pilate une crainte vague et chimérique,
◦ chez les prêtres un simple mouvement d’envie,
◦ et chez le peuple un simple désir d’émotion.
Voilà donc comment Satan nous conduit aux fautes les plus graves.
Il sait bien que s’il se présentait à nous de face, nous le repousserions avec horreur; mais plus rusé que nous ne sommes vigilants, il nous aborde de côté.
Nous frémirions, si l’on nous proposait d’être injustes sous le nom de larrons, ou d’être violents sous le nom de meurtriers; et toutefois, poussés par de petites passions, nous marchons à l’injustice; animés d’un sentiment de colère, nous nous approchons de la violence; et, chose étrange! C’EST PRESQUE TOUJOURS PAR DES CAUSES INFIMES QUE NOUS TOMBONS DE NOS PLUS LOURDES CHUTES.
Rien n’est inconséquent comme les passions; aussi devons-nous veiller sur les plus faibles, et comme le dit l’Apôtre, fuir non seulement le mal, mais encore son apparence; non seulement le vice dégoûtant, mais aussi le plus léger péché.
Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix
À Jésus suspendu à la croix, le peuple, les prêtres, les sénateurs et les brigands crient tour à tour: «Si tu es le fils de Dieu, descends de la croix, et nous croirons en toi.»
Rien ne semble plus légitime, plus raisonnable que ce voeu.
Cependant Jésus ne l'exauce pas. Aussi les Juifs continuent-ils à se moquer et à dire? «Il sauve les autres, et ne peut se sauver lui-même!»
Sans entrer dans cet esprit de raillerie, et, au contraire, avec les meilleures intentions, peut-être regrettons-nous aussi que Jésus ne soit pas descendu de la croix pour confondre les uns et convaincre les autres; peut-être même pensons-nous que ce dernier prodige eût été un heureux appui donné à notre propre foi.
◦ Tel est le raisonnement de la sagesse humaine, qui demande des miracles et qui se scandalise de la folie de la croix.
Mais supposons que Jésus, les pieds et les mains cloués au bois, s’en fût aisément détaché à la vue du peuple étonné, qu’en serait-il résulté?
L’histoire de ce même peuple nous l'apprend.
◦ Comme il y a quelques jours, à la vue d’un sourd-muet guéri miraculeusement par Jésus, les Pharisiens auraient dit au Fils de Dieu descendant sans effort de la croix: tu opères des prodiges par le pouvoir de Belzébul; et fiers de cette absurde explication, ils ne s’en seraient pas plus convertis.
◦ Comme ils le firent quelques heures plus tard, à la vue de Golgotha tremblant, du voile déchiré, des morts ressuscités et du ciel obscurci, les prêtres, en voyant Jésus descendre plein de vie de la croix ensanglantée, au lieu de croire, seraient restés indifférents et seraient allés demander à Pilate des soldats, non plus pour garder le sépulcre, mais pour crucifier le Sauveur de nouveau et plus solidement!
Mais si d’après la conduite déjà connue de ces hommes, on ne voulait pas conclure encore qu’ils eussent tenu celle que nous venons de leur attribuer, qu’on écoute avec quels accents de moquerie ils s’adressent à Jésus.
Ce n’est pas la parole d’un Nathanaël, d’un Thomas demandant sincèrement un miracle avant d’accorder leur confiance; non, c’est l’expression de l’ironie exigeant ce qu’elle juge impossible, c’est «en hochant la tête» qu’ils crient à celui qu’ils estiment un imposteur: «Christ, roi d’Israël, descends maintenant de la croix, afin que nous le voyions et que nous croyions!»
Ah! vous avez trop de haine pour croire, trop de prévention pour comprendre, trop d’orgueil pour vous soumettre; TOUS LES MIRACLES SONT IMPUISSANTS POUR OUVRIR LES YEUX ET LES OREILLES QUE LA PASSION APPESANTIT, et vos cruelles railleries témoignent assez s’il y a de la passion dans vos cœurs!
Mais alors même que tous les spectateurs de Golgotha, Pharisiens, prêtres et peuples, se fussent laissés persuader par Jésus descendant de la croix, qu’en serait-il résulté pour eux et pour le genre humain entier?
Que Jésus n’étant pas mort, nous ne serions pas pardonnés, et qu’il nous faudrait aller expier dans d’éternels tourments les fautes que ce Sauveur a rachetées sur cette croix dont il n’est pas descendu.
VOILÀ QUEL SERAIT LE FRUIT DU MIRACLE DEMANDÉ.
Voilà le résultat de la courte vue de la sagesse humaine!
Ô mon Dieu! combien ta folie est plus sage et plus miséricordieuse!
Apprends-nous donc Seigneur, à nous confier plus complètement en toi; que cet exemple d’un voeu insensé, formé par les Juifs, répété par nous-mêmes, nous montre enfin qu’alors même que nous ne comprenons pas toujours tes voies, tes voies n’en sont pas moins admirables.
Oui, Seigneur, nous te rendons grâce maintenant de ce que Jésus, au lieu de confondre les moqueurs, a mieux aimé leur laisser dans sa mort un dernier moyen de salut, et nous comprenons enfin que ce n’est qu’après l’avoir vu rendre le dernier soupir, que la foule juive a pu se frapper la poitrine, et le centenier romain s’écrier:
«Cet homme était vraiment le Fils de Dieu!»
L'incrédulité des Apôtres
Après une vie remplie de miracles telle que le fut celle du Sauveur, ce qu’il y a de plus étonnant n’est pas sa résurrection, mais l’incrédulité avec laquelle la nouvelle en est accueillie par ses Apôtres.
◦ Plusieurs femmes viennent au sépulcre, le trouvent vide, voient un ange, parlent à Jésus lui-même; ces femmes racontent tout cela aux Apôtres avec l’émotion la plus vive; et ceux-ci, jadis témoins de tant de prodiges de leur Maître, ne veulent pas les croire!
◦ Deux d’entre eux se rendant à la campagne, rencontrent le Sauveur, parlent avec lui, marchent avec lui, mangent avec lui; ils narrent ensuite tout cela avec détail à leurs collègues; et ceux-ci ne veulent pas les croire!
◦ Enfin Jésus se montre à tous, un seul excepté, réunis dans un lieu fermé; il leur adresse la parole, leur montre ses mains percées, souffle sur eux le Saint-Esprit; ces dix Apôtres rendent compte au onzième de ce qu’ils ont vu de leurs yeux, touché de leurs mains et senti dans leur coeur; et Thomas ne veut pas les croire!
Il faut que Jésus revienne, se montre à lui, lui parle, lui présente ses mains percées, place son doigt dans son côté encore ouvert, pour qu’il se rende enfin à l'évidence.
Conçoit-on des hommes plus difficiles à persuader, plus lents à croire?
Non, et rendons-en grâces à Dieu, car cette incrédulité des Apôtres, que Jésus a pu leur reprocher, se transforme pour nous, chrétiens, qui en lisons l’histoire, eu un véritable bienfait.
Nous y trouvons une preuve que ce n’est pas à la légère que de tels hommes se sont laissés persuader, et que si plus tard ces Apôtres, si défiants des autres et d’eux-mêmes, sont enfin arrivés à proclamer la vérité des faits évangéliques et à se faire martyriser pour leur rendre témoignage, il a fallu qu’ils eussent, pour en venir là, des preuves toutes-puissantes, celles des sens, celle de la vue et du toucher.
Il y a plus, cet aveu de l’incrédulité des Apôtres, fait par les quatre Évangélistes, dont deux sont eux-mêmes Apôtres, et dont les deux autres sont leurs amis, cet aveu montre clairement la sincérité des écrivains.
On ne s’accuse pas à plaisir; on ne se fait pas adresser des reproches de dureté de cœur par son Maître et par la postérité, sans y être poussé par la vérité du fait, et jamais un narrateur n’est plus digne de foi que lorsqu’il témoigne contre lui-même ou contre son meilleur ami.
Oui, les Évangélistes, Apôtres ou compagnons des Apôtres, nous disant que les onze refusèrent jusqu’à trois fois de croire, et s’attirèrent, de la part de Jésus, le reproche d’hommes incrédules et durs de cœur, nous montrent jusqu’à l’évidence que leurs écrits sous l’expression naïve de la vérité, et que dès lors Jésus est bien ressuscité!
Enfin, cette incrédulité des Apôtres porte avec elle un cachet de vérité dont nous sommes nous-mêmes, hélas! la triste contre-épreuve.
Il est vrai qu’au récit de cette persévérance à repousser les témoignages des saintes femmes et des disciples d’Emmaüs, à la vue de la résistance obstinée d’un Thomas, nous sommes presque irrités contre ces Apôtres; et il nous semble dans ce moment, où nous sommes paisiblement occupés d’une pieuse lecture, que, mis à leur place, nous nous y serions plus dignement conduits envers notre bon Maître.
Mais il est un moyen infaillible de savoir comment nous aurions cru à cette époque: c’est de voir comment nous croyons aujourd’hui.
Et pour en bien juger, attendons que nous ayons refermé le saint Volume, que nous nous soyons relevés de dessus nos genoux et que nous soyons rentrés dans la vie active; alors:
◦ Nous verrons quelle est notre foi par nos œuvres, ou plutôt nous verrons quelle est notre incrédulité!
N’avons-nous pas vu cependant Jésus ressuscité dans la naissance et l’extension de son Église, qui couvre aujourd’hui le monde, dans la diffusion de sa Parole, dans la civilisation de l’univers?
N’est-ce pas là une résurrection aussi visible, aussi palpable que celle d’un corps sortant du Sépulcre?
Ah! ne nous étonnons pas si les Apôtres ne voulurent pas croire avant d’avoir vu, NOUS QUI, APRÈS AVOIR VU, NE CROYONS PAS ENCORE, et reconnaissons que l’histoire de notre propre cœur prouve l’exactitude de l’histoire de l’Évangile.
Et maintenant, puisque notre foi est si faible, cherchons dans les réflexions qui précèdent, un secours pour la fortifier.
◦ Oui, les Apôtres ont été lents à croire; ils n’ont donc pu nous annoncer que ce dont ils s’étaient bien assurés;
◦ oui, les Évangélistes ont parlé de leur propre dureté de cœur et de celle de leurs amis: ce sont donc des témoins sincères et dignes de foi;
◦ oui, l’incrédulité des Apôtres est un fait historique qui se prouve à notre esprit par notre propre expérience.
Donnons donc sans réserve notre confiance à un Livre qui porte un cachet de vérité si profondément empreint. Oh! que le Saint-Esprit dépose lui-même ses convictions dans notre cœur, afin qu’elles n’y soient pas stériles, qu’elles en jaillissent en actes de dévouement et d’amour, chaque jour de notre vie!
La même question recevant deux réponses différentes
Le Seigneur envoie son Ange tour à tour à Zacharie, son prêtre, et à Marie, sa servante; Il prédit à chacun un fait semblable: la naissance miraculeuse d’un fils; cette nouvelle est accueillie des deux côtés presque dans les mêmes termes.
◦ Zacharie oppose sa vieillesse et celle de sa femme à la déclaration du Seigneur,
◦ et Marie y fait objection par son état de vierge.
Cependant, malgré cette similitude de position, Dieu punit son prêtre, tandis qu’il répond avec bienveillance à sa servante. Pourquoi donc recevoir si différemment deux réponses presque semblables?
Probablement plus d’un lecteur de la Bible s’est déjà fait cette question. Il ne sera donc pas inutile d’y répondre.
Nous l’avons déjà dit, C’EST AU CŒUR QUE DIEU REGARDE, et non pas aux actes et aux paroles, signes souvent trompeurs de ce qui se passe dans le secret de nos esprits.
Les mêmes mots peuvent être dictés par deux sentiments bien différents, et induire l’homme qui les écoute dans une erreur où Dieu ne peut tomber. Ainsi, dans cette circonstance, celui qui sonde les cœurs voit de suite que
◦ Zacharie fait cette réponse parce qu’il DOUTE, et il le punit;
◦ tandis qu’il juge que Marie fait une question uniquement POUR S’ÉCLAIRER SUR CE QU’ELLE CROIT, et il lui donne l’explication demandée.
Rappelons-nous que nous serons jugés par le même Dieu qui jugea Marie et Zacharie, et qui, sans s’arrêter aux manifestations extérieures de la vie, va chercher dans le fond de nos âmes le motif de ses décisions.
Cette pensée, effrayante pour l’homme qui cherche à faire illusion à lui-même, à ses frères et à Dieu sur ses vrais sentiments, est bien douce, au contraire, pour quiconque, sentant et avouant le peu qu’il vaut, implore son pardon et les secours de l’Esprit, comme le ferait le plus grand des pécheurs.
◦ Oui, le chrétien est heureux que Dieu lise dans son cœur, car il sait que, là du moins, il y a plus et mieux qu’il ne peut dire et faire, et que si les hommes le méconnaissent, ou si les circonstances extérieures lui manquent, Dieu ne le méconnaîtra pas et le jugera sur ses intentions droites et pures.
Mais ces deux réponses de Zacharie et de Marie si rapprochées par l’expression, si distantes par la pensée, doivent aussi nous apprendre à imiter Dieu dans nos jugements.
Autant qu'il est donné à l’intelligence humaine:
◦ tâchons de pénétrer les intentions réelles des hommes en rapport avec nous;
◦ tenons moins de compte des mots,
◦ cherchons à découvrir sous leur épaisse enveloppe la véritable pensée,
et nous éviterons ainsi deux grands dangers:
1. Celui d’être dupes des hypocrites,
2. Et celui de juger trop sévèrement les hommes droits, dont la parole franche nous a peut-être blessés.
Oui, bien souvent nous donnons plus de confiance qu’elle n’en mérite à la parole d’un homme qui a su séduire notre cœur en entrant dans nos idées ou en professant une bonne opinion pour nos personnes, et qui lève ainsi un lourd impôt sur notre vanité.
D’autres fois, et plus souvent encore, nous tombons dans l’excès contraire. Jugeant toujours un homme par son langage, expression peut-être un peu rude de sa pensée, nous nous irritons d’une parole, dure par sa valeur, insignifiante par le sentiment qui la dicte, et nous traitons le malheureux, non pas en conséquence de ce qu’il a voulu dire, mais de ce qu’il a dit.
◦ Avec plus de justice et moins de susceptibilité, nous eussions rendu nos rapports plus faciles et nous tendrions peut-être aujourd'hui une main amie à celui que quelques paroles imprudentes nous ont fait repousser.
Allons donc au fond des cœurs chercher la véritable pensée, et si nous ne le pouvons pas toujours, du moins soyons indulgents envers ceux que nous pouvons supposer n’avoir pas bien compris.
Hélas! combien de fois ne nous est-il pas arrivé à nous-mêmes de regretter d’avoir prononcé une parole qu’à l’instant même nous aurions voulu retirer, parce qu’elle rendait mal notre pensée ou n’exprimait qu’une pensée passagère.
Ce qui nous arrive, arrive à d’autres, qui, comme nous, s’ils l’osaient, désavoueraient aujourd’hui ce qu’ils ont dit hier.
De l’indulgence! du support! ce sont des vertus peu brillantes: elles conviennent d’autant mieux au chrétien.
A quel âge peut-on recevoir le Saint-Esprit?
Dès les premières pages, l’Évangile met en lumière l’existence et les effets du Saint-Esprit que nous, chrétiens, laissons peut-être trop dans l’ombre.
Étudions donc ici cet Être tout-puissant:
◦ L’Inspirateur des Écritures,
◦ le principe de toute sainteté,
◦ enfin l’égal et du Fils et du Père.
Voici ce que nous en apprend le chapitre que nous venons de lire:
1. Jean-Baptiste fut rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère;
2. C’est par la vertu du Saint-Esprit que Marie conçut;
3. Élisabeth fut remplie du Saint-Esprit à l’arrivée de sa cousine;
4. Enfin Zacharie, saisi par l’Esprit-Saint, éclata, comme sa femme, en louanges à la gloire du Seigneur.
Ce quadruple retour du même Être, et dans des circonstances aussi graves, ne montre-t-il pas en même temps et sa réalité, et son importance?
Il semble que sans lui rien ne puisse s’accomplir.
◦ Comme il présida à la création de l’univers,
◦ il se retrouve à la naissance de Christ;
◦ il revient à son baptême;
◦ nous le retrouvons à la Pentecôte, préparant la création d’un monde moral par la conversion et l’inspiration des douze Apôtres.
Certes, si c’est à l’importance de l’œuvre qu’on reconnaît la grandeur de l’ouvrier, nous devons croire que le Saint-Esprit, présent et agissant à l’origine de l’univers, à la naissance du Sauveur, à la sanctification du monde chrétien, est un Être non moins puissant que Dieu, ou plutôt, comme le dit Paul, qu’il est Dieu lui-même, avec le Fils et avec le Père.
Mais à quelle époque de notre vie cet Esprit pourra-t-il nous être communiqué?
Sera-ce après notre baptême, après notre instruction religieuse, après le développement de toutes nos facultés, ou bien vers ce qu’on appelle l’âge de raison?
L’Évangile répond: «Jean-Baptiste fut rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère.»
Oui, dès le sein de sa mère; aussi nous est-il dit qu'à l’approche de Marie portant Jésus, Élisabeth sentit le petit enfant tressaillir de joie dans ses entrailles. Si un homme nous disait cela, nous pourrions être tentés de le taxer d’exagération, mais ici c’est la Bible, ou plutôt c’est le Saint-Esprit qui parle et nous affirme qu’il a rempli le cœur de Jean-Baptiste dès le sein d'Élisabeth, sa mère.
Combien cette pensée est douce! Nous pouvons espérer le don de l'Esprit pour nos enfants, quel que soit leur âge.....
Et si l’enfant peut alors être sauvé, ce n’est pas à ses prières qu’il le doit, car il n’a pas même conscience de lui-même; mais c’est à nos prières que son Salut peut être rapporté.
Quel encouragement à prier pour eux, à espérer dans toutes leurs circonstances, à tous les Âges, apporte cette pensée, que le bonheur éternel de ces êtres bien-aimés est en quelque sorte mis entre nos mains; et aussi:
◦ Quel puissant motif cette pensée nous donne pour NOUS OCCUPER DE LES INSTRUIRE, DÈS LE PLUS BAS ÂGE, des choses magnifiques de Dieu.
Oui, disons-nous-le bien, l'Évangile n’est ni trop difficile, ni trop profond pour l’enfant qui peut en bégayer les paroles, car ce n’est pas lui qui comprend, c’est le Saint-Esprit qui lui fait comprendre, et le Saint-Esprit peut lui être donné dès sa plus tendre enfance.
Remarquons ensuite que le Saint-Esprit accordé à l’enfant ne se communique pas pour cela aux parents, et qu’il faut que plus tard Élisabeth et Zacharie le reçoivent eux-mêmes. Jean-Baptiste est déjà né, déjà rempli de l’Esprit-Saint, que son père est encore frappé de mutisme pour son incrédulité.
◦ Si l’Esprit-Saint ne se communique pas de l’enfant aux parents,
◦ évidemment il ne se communiquera pas davantage des parents à l’enfant.
◦ C’EST TOUJOURS DE DIEU MÊME QU’IL VIENT, et la conversion d’un homme ne préjuge rien pour la conversion de sa famille.
Cette vérité est bonne à rappeler pour couper court à l’illusion dans laquelle l’homme se complaît quelquefois, que la sainteté ou la foi des parents met en quelque sorte à couvert leurs enfants, et que Dieu tiendra compte aux uns de ce qu’ont été les autres.
Non, rien de semblable n’est dit dans l’Évangile; s’il est parlé de bénédictions réservées à la postérité du juste, c’est parce que le juste a prié pour sa postérité; mais:
Comme le fils ne portera pas l’iniquité du père,
il ne recevra pas non plus les fruits de sa sainteté.
Ici tout est individuel; dans la famille du Précurseur, composée de trois personnes, il fallut trois effusions du Saint-Esprit. Ne comptons donc pas pour notre salut sur les dons spirituels répandus à nos côtés, et ne soyons rassurés que par ceux que nous recevrons nous-mêmes dans nos cœurs.
Enfin, pour nous assurer si l’Esprit de Dieu est ou n’est pas en nous, soyons attentifs à ses manifestations dans ceux qu’il anime déjà.
Élisabeth et Zacharie n’en furent pas plus tôt remplis, qu’ils éclatèrent en chants d’allégresse et de louanges pour le Seigneur. Oui, voilà les signes non équivoques de la présence de l’Esprit-Saint:
◦ une activité immédiate et une activité à la gloire de Dieu;
◦ une joie sainte et une joie en Dieu;
◦ en un mot, dès lors, la vie et la vie en Dieu.
En faisant un retour sur nous-mêmes, trouvons-nous une époque de notre vie où ce changement se soit opéré?
Ou bien, sommes-nous ce que nous avons toujours été?
Dans ce dernier cas, ne désespérons encore de rien; si tout ce qui précède nous paraît nouveau, étrange même, disons-nous que cette étrangeté prouve seulement que ce qui existe pour d’autres n’existe pas encore pour nous, et puisons dans cette humble réflexion le désir de prier avec ardeur et persévérance jusqu’à ce que nous recevions ces dons efficaces et puissants de l’Esprit, qui seul régénère et sanctifie les cœurs.
Jésus naît dans une étable, vit avec les pauvres, meurt sur une croix
Si dans le cours des événements ordinaires, rien n’arrive sans la volonté de Dieu, combien à plus forte raison devons-nous supposer que, dans un des événements les plus considérables qui se soient jamais vus sur la terre, la naissance d’un Sauveur pour le genre humain, tout avait été prévu et déterminé de Dieu?
Nous pouvons donc étudier jusqu’aux plus petites circonstances qui environnent le berceau de Christ, pour y chercher la pensée divine.
Or, voici ce qui frappe d’abord le regard, c’est que tout ici se passe dans les lieux et parmi des personnages, HUMBLES aux yeux de Dieu, BAS aux yeux des hommes.
◦ Le père de Jésus selon la chair est un charpentier;
◦ sa mère, fiancée d’un charpentier, doit appartenir au même rang de la société.
◦ Leur retraite, passagère il est vrai, mais par cela même plus significative, puisque Dieu l'a choisie ainsi, leur retraite est une étable,
◦ et le berceau du Fils de Dieu, une crèche.
◦ Les hommes invités par un Ange à visiter le Sauveur sont de pauvres pâtres,
◦ et enfin le signe donné par Dieu pour reconnaître le Christ, le Seigneur est celui-ci: «Qu’il sera trouvé emmailloté et couché dans une crèche.»
Certes, si ceux qui parlent du hasard pouvaient lui attribuer une de ces circonstances, il leur serait difficile de regarder encore comme disposée par lui une série d’événements qui forment un ensemble si propre à prêcher l’humilité.
Oui, Jésus notre Maître a voulu que sa naissance, comme sa vie, comme sa mort, nous fût un exemple, et que nous, ses disciples, nous comprissions que rien n’est trop petit pour ceux qui adorent un Dieu déposé à sa naissance dans une étable.
Nous avons une pente si fortement prononcée à nous croire toujours placés dans des circonstances au-dessous de nos mérites, et un désir si vif de nous élever à des destinées plus hautes, qu’il est bon que chaque jour cet Évangile, mis sous nos yeux, nous dise dans l’une de ses pages:
Ton Maître est né dans une crèche,
il a vécu parmi les péagers,
il est mort sur une croix.
Oui, conçus dans le péché, élevés au sein d’un monde corrompu, nous avons des idées si fausses sur la véritable grandeur, que les plus fortes leçons nous étaient nécessaires pour redresser notre jugement vicié.
◦ Il fallait que le Seigneur naquît de parents obscurs, pour nous convaincre qu’il n’y avait PAS PLUS DE HONTE DANS LA PAUVRETÉ QUE DE MÉRITE DANS LA FORTUNE;
◦ il fallait que des bergers fussent invités par des anges à la même fête où des mages étaient conduits par une étoile, afin que les chrétiens sentissent qu’EN PRÉSENCE DE DIEU, LES PÂTRES ET LES ROIS SONT PARFAITEMENT ÉGAUX, et que tous ont un égal besoin d’un Sauveur.
Oui, cette naissance de Christ place au même niveau tous les hommes, en les rabaissant également; et au même niveau toutes les conditions, en les élevant à la même hauteur; l’homme le plus orgueilleux est ici humilié, et la position la plus humble relevée; admirable doctrine qui, selon l’expression de Marie, «abaissant les coteaux, relevant les vallées,» conduit l’homme à chercher sa grandeur dans la sainteté et lui fait accepter l’indigence et l’obscurité aussi volontiers que la richesse et que la gloire.
Pour voir plus clairement le doigt de Dieu dans toutes les circonstances qui accompagnèrent la naissance du Sauveur, supposez un moment que tout soit changé: Jésus naît dans un palais; les rois de la terre seuls sont appelés auprès de sa couche d’or et de soie, et ce n’est que par le mouvement de fête de sa somptueuse demeure que le peuple est informé de sa naissance.
Qu’aurions-nous pu conclure de cet ensemble de circonstances, nous, chrétiens du dix-neuvième siècle, aussi bien que les bergers de Bethléem?
Hélas! que Jésus était trop grand et nous trop petits pour que nous pussions jamais l’approcher; qu’à ses yeux le rang, la fortune et le luxe sont quelque chose en eux-mêmes, et que nous, pauvres et petits, c’est-à-dire, nous, la presque totalité du genre humain, sommes, par notre misère, méprisables à ses yeux.
Dès lors l’orgueil des riches, sanctionné, écrase le pauvre, déjà si faible sur la terre. Dès lors le pauvre, refoulé dans les besoins de son coeur, s’irrite davantage, comme un fils déshérité, ou se dégrade encore plus comme un être qui sent son infériorité.
Ah! que le Dieu qui dispose des événements et des hommes est bien plus sage, bien plus juste et bien plus saint!
Pour le comprendre, il nous a fallu mettre en contraste la crèche que lui-même a choisie pour son Fils, avec le faste creux de nos propres idées, et nous avons vu qu’il n’y avait de vraie grandeur que dans la sainteté, de véritable petitesse que dans le péché. Aussi pouvons-nous reconnaître qu’à cette mesure-là nous sommes tous petits; mais, Dieu en soit loué! tous destinés à grandir.
De l’abondance du cœur, la bouche parle
«De l’abondance du cœur la bouche parle.»
Les goûts d’un homme se révèlent à son langage, et il est aussi pénible de se taire sur les objets qu’on affectionne, que de parler de ceux qu’on n’aime pas.
Voyez Anne, la prophétesse, qui a pour le Seigneur un amour tel, qu'elle passe dans le Temple ses jours et ses nuits en jeûnes et en prières; de qui parle-t-elle? de Jésus, Et à qui? À tous ceux qui, dans Jérusalem, attendent la délivrance.
◦ Une pauvre veuve vient-elle au Temple se plaindre de ses infirmités?
◦ Anne lui parle de Jésus qui vient de naître.
◦ Un péager y monte-t-il se frappant la poitrine et disant: Je suis un pécheur? Anne l’entretient du Christ le Sauveur;
◦ à l’aveugle qui demande l’aumône, à la mère qui pleure son enfant, à l’Israélite qui use sa vie dans les jeûnes, à tous ceux qui cherchent une délivrance quelconque, la prophétesse annonce toujours Jésus.
C’est pour elle un besoin; elle se sent délivrée par lui, et veut faire partager aux autres le soulagement qu’elle éprouve. Quand elle est seule, elle y pense; dès qu’un Israélite s’approche, sa bouche s’ouvre, et coulent de ses lèvres les pensées qui jaillissent de son cœur.
Est-ce là ce que nous faisons nous-mêmes?
Allons-nous chercher des hommes pour répandre devant eux nos sentiments de gratitude envers le Sauveur?
En parlons-nous seulement à ceux qui nous approchent? ou même les faisons-nous connaître à ceux d’entre eux qui soupirent après une délivrance inconnue?
Non! Nous acceptons bien Christ pour notre libérateur, nous voulons bien croire et vivre en lui; mais en parler aux autres, nous semble la tâche d’un pasteur, et si nous la prenons un instant nous-mêmes, c’est dans de bien rares exceptions.
Qu’en faut-il conclure?
Hélas! que nous aimons bien peu Celui dont nous ne parlons pas. Si le cœur était vivement touché, il ne pourrait se taire; nous ne demanderions pas si c’est ou n’est pas notre affaire. Nous nous inquiéterions peu d’être capables, ou d’être favorablement écoutés.
Voyez les hommes passionnés pour leurs plaisirs ou leur profession: il faut qu’ils en entretiennent qui veut et qui ne veut pas les entendre; qu’on les écoute de bonne grâce ou avec contrainte, ils continuent toujours; ils seraient seuls qu'ils parleraient encore!
Pourquoi?
Simplement parce que leur cœur en est plein; il faut qu’ils se soulagent.
◦ Oui, de l’abondance du cœur la bouche parle; si donc nous ne parlons presque jamais de Jésus aux hommes, C’EST SIMPLEMENT QUE NOUS NE L’AIMONS PRESQUE PAS.
Dirons-nous que les nécessités de la vie nous pressent de toutes parts, et que nous avons autre chose à dire et à faire qu’à causer de Jésus à nos frères?
Vaine défaite! si nous aimions, nous trouverions du temps pour tout.
Sans négliger nos occupations terrestres, nous serions ingénieux pour en remplir de plus hautes;
à nos conversations futiles, nous substituerons des paroles sérieuses;
à une aumône d’argent, nous joindrions une parole de foi;
à un voisin, nous donnerions une Bible;
à un passant, un traité;
à un ami, avec des conseils lucratifs, des avis chrétiens.
Le nom et la pensée de Christ viendraient se mêler à toutes nos relations de société, sans nous prendre du temps, et notre tâche matérielle avancerait de front avec notre tâche évangélique.
Ne cherchons donc pas à nous justifier!
Avouons plutôt que nous n’aimons pas assez le Sauveur, que nous ne sentons pas assez le prix de son salut, et que dès lors, peu reconnaissants, nous éprouvons peu le besoin d’exprimer notre amour et notre reconnaissance.
Convenons d’abord de cette vérité; ce sera le premier pas vers une meilleure direction à donner à notre vie. Après cet aveu, PRENONS UNE RÉSOLUTION, celle de parler plus souvent à l’avenir, de ce Jésus qui apporte la délivrance à toutes les infortunes, et pour que cette résolution ne soit pas vaine, demandons dès à présent au Seigneur de la bénir.
Des pierres même, Dieu peut susciter des enfants à Abraham
Jean-Baptiste, le prédicateur de la repentance est au désert; les Israélites, peuple choisi de Dieu, se rangent autour de lui; devant ses yeux s’élèvent quelques palmiers; à ses pieds gisent quelques cailloux; et le Précurseur, montrant de la main les uns et les autres, dit à la foule juive, orgueilleuse de ses ancêtres:
◦ «Ne dites pas: nous avons Abraham pour père, car de ces pierres, que vous foulez, Dieu peut faire naître des enfants à Abraham; mais convertissez-vous, car ces arbres sans fruits, contre lesquels vous vous appuyez, seront coupés et jetés au feu.»
Ces paroles énergiques sont provoquées par la folle prétention de ces Juifs, qui croient leur nation supérieure à toutes les autres, uniquement parce qu’elle descend d’un homme choisi et approuvé de Dieu; comme si deux races, l’une noble, l’autre vile, se partageaient le genre humain! Comme si le sang qui coule dans nos veines nous donnait des vertus ou des vices! ou plutôt, comme si nous nous étions créés nous-mêmes!
Quelle folie que celle de l’orgueilleux, qui, ne pouvant être quelque chose par lui-même, va chercher ses titres de gloire dans des faits accomplis, même avant qu’il fût né!
Mais cette folie des Juifs, qui nous étonne tant, est-elle donc bien rare au milieu des chrétiens?
Aucun de nous n’est-il fier de porter un nom plutôt qu’un autre?
De descendre de tel père?
De compter dans sa famille tel personnage?
D’être né dans telle ville ou dans tel royaume?
D’être venu dans ce monde plus tôt ou plus tard, revêtu d’un corps plus ou moins gracieux ou doué de plus ou moins d’intelligence?
◦ Comme si lui-même avait choisi son père, sa patrie!
◦ Comme si, de ses propres mains, il avait pétri son corps, et du souffle de sa propre intelligence, allumé son esprit!
◦ Comme si, enfin, tout cela ne venait pas de Dieu!
Oui, cette folie est tout aussi commune de nos jours que jadis, parmi nous que parmi les Israélites; l’orgueil a toujours été la lèpre incurable du cœur humain; elle y ronge et détruit tout: la sensibilité, la justice, et jusqu’aux principes du simple bon sens.
Voyez: si nous regardons au-dessus de nos têtes, nous sommes prêts à dire avec conviction que tous les hommes sont égaux; mais si nous regardons à nos pieds, nous nous prévalons d’un nom, d’une figure d’un habit, pour établir notre supériorité!
◦ Niveleurs pour les grands, aristocrates pour le peuple, nous accepterons tour à tour tous les rôles qui tendent à nous élever...,
◦ excepté celui de chrétien, parce que l’Évangile ne nous offre d’autre grandeur qu’une profonde humilité.
Ah! profitons de l’éclair de bon sens qui traverse notre esprit, et avant de retomber dans cette folie, constatons que c’est bien la nôtre.
Après avoir gémi sur les Israélites orgueilleux, gémissons sur nous-mêmes.
Répétons-nous souvent ces mots:
«Qu’as-tu que tu ne l’aies reçu? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifies-tu?»
Mais toutes ces réflexions seront vaines, si nous n’invoquons contre nous-mêmes le secours de Celui qui donne la sève à l’arbre, qui de la pierre tire un enfant d’Abraham; mais qui ne nous changera que lorsque nous le lui demanderons avec humilité!
La déité de Jésus-Christ
Au baptême de Jésus, une voix venant du Ciel dit: «Tu es mon Fils bien-aimé.»
Que devons-nous entendre par la qualification de Fils, donnée par Dieu à Jésus-Christ?
Jésus est-il le Fils de Dieu? Au même titre qu’Adam, c’est-à-dire, pour avoir été créé par Lui?
Ou bien est-il son Fils comme ici-bas tout être est fils de son semblable, de son égal, d’un être, enfin, de la même nature que la sienne?
◦ Dans le premier cas, Jésus serait une créature;
◦ dans le second, il est Dieu.
La distance est grande; la question vaut la peine d’être examinée.
La pensée qui domine tout l’Ancien-Testament est la répression constante de l’idolâtrie.
Depuis les trois mille hommes frappés au désert pour avoir adoré le veau d’or, jusqu’aux derniers Juifs traînés en captivité à Babylone pour leur abandon du vrai Dieu, l’histoire d’Israël n’est qu’une longue série de châtiments infligés par Jéhova, dès que le peuple se fait des idoles, d’une nature ou d’une autre.
◦ Moïse répète mille fois et inscrit en tête du Décalogue les plus terribles menaces contre les idolâtres.
◦ Les Prophètes semblent avoir pour première mission d’arracher la nation à ses pratiques religieuses sur les hauts lieux.
Ce n’est pas tout.
◦ Le Dieu de l’Ancien-Testament est placé si haut au-dessus de tout homme, de toute créature, que les plus grands personnages de ce livre, même ceux choisis et approuvés de l’Éternel, s’humilient constamment devant le Seigneur:
◦ Moïse craint de mourir pour avoir entendu la voix divine;
◦ David se prosterne dans la poussière devant Dieu;
◦ Ésaïe s’appelle un homme souillé de lèvres;
◦ enfin partout une distance immense est mise entre Dieu et tous les autres êtres; et d’épouvantables malédictions pèsent sur tout idolâtre et sur toute idolâtrie.
Les précautions les plus minutieuses sont prises contre tout ce qui peut conduire à ce crime, selon Dieu, le plus grand de tous les crimes, puisqu’il détrône le Créateur des cieux et de la terre pour mettre à sa place ou bien à ses côtés une simple créature.
Voilà le sens bien clair de l’Ancien-Testament; et on pourrait dire que la pensée qui le résume:
C’EST L’ABSOLUE CONDAMNATION DE L’IDOLÂTRIE.
Maintenant, ouvrons le Nouveau-Testament, et demandons-nous aussi quelle est la pensée dominante qui le caractérise.
On peut répondre sans hésiter que le centre auquel tout vient aboutir dans ce livre, c’est Jésus-Christ et sa glorification.
◦ Jésus y est appelé le Sauveur du monde, le Seigneur, le Créateur de toutes choses, le Commencement et la Fin.
Dieu et Jésus y sont représentés assis dans les Cieux sur un seul et même trône; tout genou doit ployer devant le Fils; on y parle de la gloire, du règne et de la toute-puissance de Christ, en même temps et de la même manière que de la gloire, du règne et de la toute-puissance de Dieu.
Enfin, depuis la première page de saint Mathieu, qui lui donne le nom «d’Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous», jusqu’à la dernière page de l’Apocalypse, qui le nomme «l’Alpha et l’Oméga,» TOUT le Nouveau-Testament exalte Jésus-Christ et conduit à son adoration; et si l’on ne voulait pas reconnaître que Jésus y est clairement déclaré identique avec Dieu, il faudrait du moins avouer que dans ce livre tout tend à relever le Sauveur, à diriger les affections sur lui, comme à publier sa gloire.
Si maintenant nous supposons que Jésus ne soit pas Dieu lui-même dans le sens le plus complet du mot, et que par conséquent il ne soit qu’une créature souverainement élevée, il faudra conclure en rapprochant les deux Testaments, qu’il existe une grande, une profonde contradiction dans la Parole de Dieu.
◦ L’Ancien-Testament exècre toute idolâtrie et en condamne jusqu’à son apparence;
◦ le Nouveau-Testament, au contraire, pousse vivement à l’idolâtrie, en donnant à Jésus des titres, et demandant pour lui des sentiments et des honneurs qui ne sont dus qu’à Dieu.
Ce qu’un livre repousse, l’autre l’appelle.
Ce qu’un livre défend, l’autre le commande; ici tout pour Jéhova, là tout pour Jésus-Christ; et finalement entre les deux parties de la même Bible se trouve la plus grossière des contradictions...
à moins qu’on ne reconnaisse que Jéhova et Jésus-Christ ne sont qu’un seul et même être, et qu’on ne fasse disparaître l’opposition des deux livres en plaçant, comme saint Jean, le Père et le Fils dans le même Ciel, sur un seul et même trône, recevant ensemble les mêmes honneurs, et entendant ces paroles à tous deux adressées:
◦ «À Celui qui est assis sur le trône, et à l’Agneau soit louange, honneur, gloire et force aux siècles des siècles!»
Oui, Jésus, notre Sauveur, tu es aussi notre Dieu!
Avec ta Parole, notre cœur nous le dit; nous te devons trop, nous t’aimons trop pour ne pas t’adorer; il faut que nous te confondions avec notre Créateur, sans cela nous craindrions de détrôner ton Père.
Oui, c’est toi qui nous a créés, sauvés, et c’est encore toi qui nous feras vivre pendant une éternité.
Gloire à toi, Seigneur; gloire à toi, Père, Fils et Saint-Esprit, un seul Dieu béni éternellement
Notre obstination à repousser de dures vérités
Dans une synagogue de la ville où il fut élevé, Jésus fait entendre à ses concitoyens des paroles dures, mais vraies, qui reviennent à celles-ci:
◦ Si je ne fais pas des miracles ici dans ma patrie, comme j’en ai fait au-dehors à Capernaüm, c’est que vous ne voulez pas me considérer comme prophète; et en cela vous ne faites que continuer l’histoire du passé: Élie le prophète n’a pas été envoyé vers une veuve de sa nation, mais vers une veuve étrangère; Élisée n’a pas guéri un lépreux israélite, mais Naaman, lépreux syrien.
En entendant ce discours de Jésus, qui les assimile à ceux que le Seigneur avait jadis rejetés pour faire grâce à des étrangers, les Juifs s’irritent contre lui, le saisissent, le traînent au sommet de la montagne et veulent le précipiter!
Les faits cités par Jésus sont historiques; n’importe, ils ne veulent pas les entendre; l’application que le Sauveur leur en fait est irréprochable; n’importe, ils ne veulent rien examiner; ils s’irritent, s’emportent, s’indignent, et ils conduisent à la mort le censeur importun qui cherche à les instruire.
Il en fut toujours ainsi; il en sera toujours de même:
ON AIME MIEUX SE PERDRE QUE D’ENTENDRE DE DURES VÉRITÉS.
Voyez autour de nous que de luttes de paroles, d’où les combattants se retirent, tous se disant vainqueurs, bien qu’il soit impossible qu’un des deux partis n’ait pas été vaincu; voyez l’antipathie qu’ont pour l’Évangile les hommes qui, n’y croyant pas, devraient se contenter de le mépriser; voyez la haine du monde pour ceux qui l’annoncent comme Jésus à Nazareth.
Mais remarquez surtout l’effet produit sur nous-mêmes par des paroles dures, bien que vraies:
◦ à l’étranger qui se permet envers nous une critique, nous lançons des injures;
◦ à l’ami qui nous donne un avis, nous témoignons notre reconnaissance par des récriminations;
◦ au prédicateur qui nous instruit, mais qui nous blesse, nous disons, comme les Juifs à Jésus: commence par toi-même.
◦ Il n’est pas jusqu’à la Parole de Dieu que nous ne combattions quand elle nous fatigue, ici, en la détournant de son sens naturel, là, en restreignant ses menaces, et toujours en nous mettant à part de ceux sur qui tombent ses condamnations.
Mais de tous ces efforts que sort-il?
La vérité en est-elle moins la vérité? parce que nous nous irritons, les faits changent-ils de nature?
Élie en avait-il moins été envoyé à une veuve étrangère, et Élisée en avait-il moins guéri Naaman le Syrien, parce que les Juifs de Nazareth ne voulaient pas l’entendre dire à Jésus?
De même, les torts que nous reprochent nos amis, les prédicateurs et la Bible seront-ils moins fondés, parce que nous n’aurons pas voulu les écouter et les reconnaître?
Oh! folie, folie, que notre orgueilleux entêtement!
◦ Nous sommes heureux de fermer les yeux aujourd’hui, bien que demain la lumière plus intense doive nous forcer à les ouvrir!
◦ Nous nous plaisons à retenir une bonne opinion de nous-mêmes, dût-elle nous coûter une condamnation! et nous voulons conserver le bras gangrené, la jambe morte, au risque de perdre la vie elle-même un peu plus tard!
Ah! soyons à l’avenir plus sages que par le passé.
Dans un monde où règne le mensonge, laissons ouvertes toutes les portes par lesquelles peuvent nous arriver quelques paroles de vérité.
◦ Écoutons la Parole de Dieu qui nous menace,
◦ Écoutons la parole d’un ami qui nous conseille;
◦ Écoutons la parole d’un adversaire qui nous censure; la vérité est toujours bonne à entendre, d’où qu’elle vienne; et quand le monde dit du mal de nous, il y a toujours au fond un peu de vérité.
Si nous voulons réduire l’exagération, et retenir ce qui lui sert de base, nous retirerons encore quelque profit de ces mêmes paroles, qui, reçues avec irritation, n’auraient été pour nous qu’une occasion de chute.
Ouvrons donc les yeux, tendons l’oreille à ce qu’on dit de nous, non en bien, mais en mal, et NE CHASSONS PAS JÉSUS COMME LES NAZARÉENS, PARCE QUE SA PAROLE EST DURE; car ce Jésus, précipité du haut de la montagne, se relèverait au dernier jour pour nous condamner au nom de la même vérité.
Jamais homme ne parla comme cet homme
Un jour, les huissiers du sanhédrin, envoyés pour s’emparer de Jésus, revinrent sans avoir osé mettre la main sur lui et, pour toute justification, dirent à leur maître:
«JAMAIS HOMME NE PARLA COMME CET HOMME.»
Quel était donc le caractère distinctif du langage de Jésus?
Celui, sans doute, qu’indique le chapitre que nous venons de lire: C’est que Jésus, différant en cela des scribes, «parlait avec autorité.»
Sa parole s’imposait, elle subjuguait les cœurs; il fallait faire effort pour lui résister.
Un tel langage, en effet, n'est pas celui de l’homme.
L’homme argumente, compare, déduit, conclut, et en fin de compte, ne produit que peu d’effet par sa parole; il prouve surtout, ou plutôt il s’efforce de prouver, et chose étrange! plus il fait d’efforts, moins il convainc; il lasse, il fait naître la défiance, ou s’il produit un ébranlement, ce n’est guère que pour l’instant où l’air résonne encore du bruit de ses discours.
À côté de ces grands moyens et de ces insignifiants résultats, placez les moyens et les résultats de la parole de Jésus.
Il parle «avec autorité,» c’est-à-dire sans argumenter, sans prouver, ou, si parfois il donne des preuves, ce sont encore des déclarations de Dieu, prise dans l’Ancien-Testament.
Il est vrai que Jésus fait des miracles; mais remarquez que ce n’est pas sur ses miracles qu’il compte pour convaincre, car il dit lui-même: «Si les hommes n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, ils ne seraient pas persuadés, quand même un mort ressusciterait.»
Ce que le sauveur dit ici, les faits le démontrent: ainsi le peuple, un jour miraculeusement nourri dans le désert, court après Jésus le lendemain, non pour en recevoir instruction, mais pour lui dire: «Donnez-nous toujours de ce pain!» Tandis que si parfois cette même multitude s’étonne et admire, c’est lorsque «Jésus parle avec autorité.»
Ce qui se passait au temps du Sauveur et des Juifs, se passe encore de nos jours: les paroles de Jésus convainquent plus que ses miracles.
En effet, que chacun de nous cherche à se rendre compte comment il est arrivé à la foi chrétienne.
◦ Est-ce parce que la Parole de Dieu lui a donné des preuves mathématiques de sa divine origine?
◦ Est-ce parce qu’elle lui a démontré, par des preuves historiques, son authenticité?
Non, rien de tout cela, bien que tout cela puisse lui être présenté. Mais cette Parole s’est imposée à notre cœur par sa propre autorité, elle-même s’est servi à elle-même de lettre de créance; dès que nous l’avons écoutée avec attention et sincérité, elle a murmuré tout bas à notre oreille de doux sons, les sons inimitables d’une voix céleste et persuasive. Et, chose étonnante alors les preuves d’histoire, les arguments de logique, tous ces faits extérieurs à la sainte Parole, que nous avions peut-être déjà étudiés, mais qui ne nous avaient pas jusque-là convaincus, se sont présentés avec force et ont produit chez nous l’évidence; en sorte que ce ne sont pas les raisons venues du dehors qui ont établi l’autorité de la Parole de Jésus; mais c’est au flambeau de cette Parole d’autorité qu’est venu s’allumer le flambeau des preuves extérieures.
Et voyez ce qui se passe pour la plupart des hommes qui arrivent à la foi.
◦ Est-ce parce qu’ils ont lu l’histoire ancienne ou l’histoire moderne, que les habitants de nos campagnes croient en Jésus-Christ?
◦ Est-ce parce qu’elles ont compté et pesé les preuves de son authenticité, que les masses de nos villes ont reçu la Bible comme la Parole de Dieu?
Non; mais tous, en lisant cette Bible, ont cru; par la raison toute simple que
CETTE PAROLE ÉTANT VRAIMENT LA PAROLE DE DIEU,
Il était impossible qu’elle ne parlât pas à leur cœur avec autorité.
Consultons donc cette divine Parole avec toujours plus de confiance, toujours plus de respect; qu’elle nous parle avec autorité, et alors elle nous parlera efficacement, non seulement pour nous convaincre, mais encore pour nous sanctifier.
Jésus ordonne et défend de publier ses miracles
Jésus guérit un lépreux, et lui défend d’en rien dire à personne, en même temps qu’il lui ordonne d’aller se montrer au Sacrificateur.
Ces deux ordres semblent se contredire; nous verrons, cependant, qu’ils sont en parfaite harmonie.
Dans le passage parallèle de saint Marc, nous voyons, dès que le lépreux a divulgué sa guérison miraculeuse, une foule immense affluer de toutes parts, et venir gêner les mouvements du Sauveur dans la ville, au point de le contraindre à suspendre ses travaux, et à se retirer dans des lieux déserts.
Voilà sans doute ce que Jésus avait prévu et voulait éviter; ce n’est donc pas pour cacher sa conduite, mais au contraire pour vaquer plus librement aux travaux de son ministère, que le Sauveur avait ordonné au lépreux de garder le silence.
D’un autre côté, si Jésus envoie cet homme au Sacrificateur pour présenter l’offrande qu’exigeait la loi de tout lépreux guéri, c’est afin, dit-Il, que cela serve aux prêtres de témoignage pour bien constater la guérison miraculeuse du lépreux, et prouver la divine mission de Celui qui l’avait opérée.
C’est donc encore pour accomplir un devoir de son ministère que Jésus impose au lépreux, qui devait:
◦ se taire devant le peuple,
◦ l’obligation de parler devant le Sacrificateur.
Ainsi donc, un seul motif inspire le Sauveur quand il donne deux ordres différents: qu’il cache ou publie le bien qu’il a fait, C’EST TOUJOURS EN VUE D’AVANCER LE RÈGNE DE DIEU.
Est-ce le même motif qui nous fait publier ou cacher le bien que nous accomplissons?
Oui, quelquefois, peut-être; mais non pas toujours, bien certainement.
Si nous descendons dans notre conscience, nous reconnaîtrons ceci:
◦ Souvent nous ne parlons pas de nos œuvres, parce qu’elles sont faites;
◦ mais nous les faisons, afin d’en parler.
Peut-être ce mobile vicié de nos bonnes actions, qui n’échappe pas au monde, échappe-t-il à notre propre perspicacité; car, semblables à certain oiseau stupide poursuivi par le chasseur, nous fermons les yeux sur nous-mêmes pour n’être pas vus des autres.
Mais, encore une fois, descendons, descendons jusqu’au double et au triple fond de notre conscience, et nous avouerons que nous n’eussions pas accompli telle œuvre chrétienne, si l’écho de notre famille, de notre ville, ou de la presse, n’avait pas dû en porter la nouvelle plus loin; nous reconnaîtrons qu’il est en nous plus d’un dévouement, plus d’un sacrifice, plus d’une vertu, dont un désert n’eût pas été témoin.
Sans doute, nous n’avons pas espéré l’approbation de la multitude; peut-être même nous sommes-nous fait gloire d’être désapprouvés par elle; mais nous avons mendié l’approbation d’un petit nombre d’hommes, à nos yeux l’élite du genre humain, parce qu’ils étaient enfants de Dieu.
◦ Oui, nous faisons le bien, nous le faisons même en vue de Dieu,
◦ mais, il faut le dire, nous serions bien fâchés que le monde ne sût pas ce que nous faisons!
Voilà pourquoi nous prenons quelquefois la parole; voyons maintenant pourquoi d’autres fois nous gardons le silence.
Ces mêmes motifs humains, que nous découvrons chez les autres, nous ne pouvons guère espérer que les autres ne les soupçonnent pas en nous, et c’est afin de mieux les cacher, que nous tenons souvent secrètes nos bonnes œuvres que nous brûlons du désir de publier; nous en réprimons le récit prêt à s’échapper de nos lèvres; nous nous faisons, non pas humbles, mais modestes, uniquement pour ne pas paraître vaniteux.
◦ Mais tout en nous taisant, combien nous souhaitons qu’on nous devine!
◦ Combien nous aimerions qu’une voix indiscrète dévoilât nos mérites!
◦ Combien nous faisons de tours et de détours pour en parler, sans en rien dire!
Comme nous sommes, sinon habiles, du moins industrieux pour laisser échapper volontairement le mot qui nous trahit, et que nous voudrions ensuite paraître retirer.
Oh! qu’il nous est pénible de nous taire sur nous-mêmes, et que de prétentions encore sous un tel silence!
Oui, de même qu’en Jésus un seul motif explique les paroles et le silence, son dévouement; de même en nous, un seul mobile rend compte de notre silence et de nos paroles, la triste l’éternelle vanité!
La vanité, l’orgueil, voilà notre lèpre; mal incurable pour tous les docteurs humains; mais mal dont Jésus peut nous délivrer.
Les hommes sauront nous en décrire les ravages sur notre cœur, mais Dieu seul en possède le remède; allons donc à lui comme y vint le lépreux, afin que, comme cet homme, Jésus nous guérisse; et que, guéris, nous allions, encore comme lui, raconter au loin la gloire de notre Dieu.
Pourquoi tes disciples ne jeûnent-ils pas?
Les Pharisiens, scandalisés de voir les disciples de Jésus assis au milieu d’un festin, viennent demander pourquoi, comme eux, ils n’observent pas les jeûnes?
Jésus répond que ses disciples ne peuvent pas témoigner de la tristesse aussi longtemps qu’ils ont la joie de posséder leur Maître, et qu’ils auront raison de jeûner quand ils l’auront perdu.
◦ Ce qui revient à dire que nos actes doivent toujours être en rapport avec nos sentiments, et n’exprimer plus, ni autre chose que ce qui se passe en nous.
Pour faire mieux comprendre cette vérité, Jésus présente une double parabole: celle d’un homme assortissant la pièce d’étoffe avec l’habit qu’il veut raccommoder, ou choisissant des vaisseaux en rapport avec le vin qu’il compte y renfermer, et II fait ensuite remarquer que si l’on néglige d’approprier la forme et le fond, le vase et son contenu, on risque de tout gâter et de tout perdre.
Ainsi comprises, ces deux paraboles viennent à l’appui de la première sur des noces où les amis ne peuvent être tristes aux côtés de l’époux joyeux; et le tout signifie, dans l’application particulière concernant les Apôtres, qu’ils ne peuvent faire contraster la tristesse du jeûne sur leur visage avec la joie de la présence du Maître dans leur cœur; et dans un sens général, que les actes des chrétiens ne doivent être qu’une expression exacte de leurs sentiments.
Cette règle est sage.
En la suivant on ne court pas le risque de s’exagérer, comme le faisaient les Pharisiens, ce qu’on peut avoir de bon en soi; on ne s’expose pas surtout à remplacer le fond par la forme, et à négliger d’autant plus le premier, qu’on se tient plus collé à la seconde.
Oui, c’est un travers de bien des chrétiens, que de s’emmailloter dans les langes étroits d’une tenue extérieure, raide et toujours la même;
◦ exhortant, par exemple, sur le même ton l’enfant et le vieillard;
◦ priant leur Dieu avec un accent à part qui, toujours le même, ne rend jamais exactement des pensées chaque jour différentes;
◦ usant d’un langage d’habitude avec les hommes du monde les plus divers;
◦ adressant un reproche à des frères auxquels il échappe une parole, un sourire, un geste qui n’entrent pas dans le cadre étroit de leurs idées, ôtant ainsi toute vie, toute spontanéité à la parole et aux formes qui devraient laisser battre, à travers leur enveloppe, lent ou rapide, le cœur agité de sentiments divers.
Rien n’est plus opposé à l’esprit de l’Évangile: c’est là du judaïsme et même, du judaïsme dégénéré.
Avant tout, le Dieu de l’Évangile «est esprit et vérité;» nous devons, nous, ses enfants, être esprit et vérité:
◦ esprit, en nous préoccupant moins de tout ce qui tient à l’extérieur;
◦ vérité, en mettant toujours nos actes religieux en rapport exact avec nos sentiments.
Que celui qui croit, le dise; que celui qui doute, le dise; que celui qui aime Jésus, le dise; que celui qui se sent froid pour Lui, le dise; disons toujours, et ne disons juste que ce que nous sentons.
Pourquoi jeûnerais-je aujourd’hui, si je me sens joyeux d’être sauvé?
Et pourquoi vous parlerai-je demain de mes joyeuses espérances, si demain ma foi languit?
Ah! que j’aime bien mieux ce naïf chrétien qui, placé devant une belle page de la Bible qu’il devait expliquer, et sentant son cœur vide, dit avec simplicité: Je n’ai rien à vous dire; je suis un misérable, priez, priez pour moi, et que le Seigneur me donne des paroles!
Pensez-vous qu’à l’ouïe d’un tel aveu, l’on puisse rester longtemps froid soi-même et laisser froids les autres?
Pensez-vous qu'en entendant du haut des cieux une telle prière, Dieu puisse ne pas l’exaucer, et qu’il ne l'exaucera pas mieux qu’une vaine formule de louanges banales ou de gratitude mensongère que tant d’autres auraient alors fait entendre?
Non, non; avant tout, l’esprit, la vérité, voilà le fond de l’Évangile, voilà ce que demande Jésus à ses disciples, et voilà ce qui, d’après lui, manquait aux Pharisiens.
L’observation du sabbat
En quoi consiste l’observation du sabbat?
La loi de Dieu répond: Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier, tu ne feras aucune œuvre en ce jour.
Ainsi, lire et méditer la sainte Parole, répandre son cœur en prières et en actions de grâces devant Dieu; et, pour en avoir le temps, se décharger de tout travail manuel, de toute préoccupation d’intérêt, voilà ce qui constitue l’observation du sabbat.
◦ Le lien qui existe entre l’ordre de sanctifier ce jour et la défense d’y travailler est facile à saisir: la sanctification voilà le but, le repos tel est le moyen.
Mais les Juifs, ici comme dans tant d’autres circonstances, s’arrêtaient à mi-chemin; ils se reposaient bien durant le saint jour, mais ils s’inquiétaient fort peu de le sanctifier, et ils en étaient venus à donner une telle importance au repos, au détriment de la sanctification, que les mêmes hommes qui se scandalisaient de voir les Apôtres froisser quelques épis de blé pendant le sabbat, ne craignaient pas d’espionner eux-mêmes Jésus et d’entrer en fureur contre lui dans ce saint jour.
Sans en pousser aussi loin les fâcheuses conséquences, bien des chrétiens, de notre temps, tombent dans la même erreur et croient observer le sabbat, parce qu’ils le passent dans le repos.
Il est vrai que ceux qui attachent assez d’importance à la loi de Dieu pour se dispenser de travailler le Dimanche, s’imposent aussi l’obligation, dans ce jour, d’entendre à l'église ou de lire chez eux un discours chrétien; mais n’est-il pas vrai aussi que, ce sermon une fois écouté ou parcouru, le reste de la journée semble leur être à charge, que ce n’est qu’avec bien de la peine qu’ils traînent leur repos jusqu’au soir, et que la seule pensée qui le leur rend supportable, c’est qu’il va bientôt finir?
Voilà ce que bien des personnes appellent observer le jour du Dimanche.
Comme les Juifs, ces personnes sont dans une grave erreur: elles prennent le moyen pour le but; elles annulent le sabbat au lieu de le sanctifier.
Que faire donc, dira-t-on peut-être, après avoir reconnu la justesse de cette observation, que faire pour remplir cette longue journée?
On ne peut pas toujours prier, toujours lire, toujours chanter les louanges de Dieu.
Non, sans doute; mais pour cela s’ensuit-il qu’il n’y ait aucun autre emploi de notre temps en rapport avec le jour du Seigneur?
Ah! si nous avions un sincère désir d’utiliser nos heures désoccupées, les moyens ne nous en manqueraient pas:
◦ Nous visiterions un malade qui, moins heureux que nous, n’a pas pu se rendre à la maison de prière, et que nous pourrions facilement édifier, ne fût-ce qu’en lui répétant ce que nous avons entendu.
◦ Nous irions lire une page des Saintes-Écritures à ceux qui ne le peuvent pas, ou n’y songent pas; mais qui nous accueilleraient peut-être avec plaisir.
◦ Nous porterions dans le cercle de notre famille ou de notre voisinage une de ces conversations sérieuses que le choix du jour y ferait d’autant plus facilement accepter.
◦ Nous nous créerions une occupation chrétienne, ayant en vue nos frères, telle que la direction d’une école du Dimanche pour des enfants.
◦ Nous nous retirerions dans le secret du cabinet pour y parcourir un de ces livres utiles et intéressants qui soutiennent l’attention sans la fatiguer.
◦ Nous répandrions autour de nous ces courts écrits religieux dont l’offre nous fournirait plus d’une occasion d’entretien.
Eh! combien d’autres emplois sanctifiants de nos heures du Dimanche, qu’une connaissance de notre position spéciale pourrait seule permettre d'énumérer, et que chacun de nous trouverait bien vite lui-même, s’il en avait véritablement le désir!
OUI, C’EST CE DÉSIR QUI MANQUE, ce n’est pas l’occupation pure et sainte; et si nous ne l’éprouvons pas, nous avons d’autant plus besoin de sanctifier nos Dimanches pour l’acquérir.
Prenons donc aujourd’hui la résolution de nous créer, pour Dimanche prochain, une œuvre petite, mais chrétienne, qui sanctifie notre sabbat, et qui nous prépare à l’accomplissement d’une œuvre plus grande le Dimanche suivant.
Ne renvoyons pas toujours; commençons une fois, et que cette fois soit à présent!
Harmonie entre la vie et les préceptes de Jésus-Christ
Il y a entre les préceptes et les actions de Jésus-Christ une admirable harmonie; sa vie est le meilleur commentaire de ses discours, elle en est aussi le conseiller le plus persuasif.
Exposons par des faits cette double vérité.
Jésus nous dit: «À celui qui te frappe sur une joue, présente aussi l’autre.»
Ce précepte peut-il être suivi?
Et s’il faut y poser des limites, où les placer?
N’est-il pas également dangereux, pour la charité de le restreindre, et pour nous de l’accepter dans toute son étendue?
Quel est donc le sens exact qu’il faut y attacher?
Pour trouver la réponse à cette question, vous pourrez discuter longtemps rapprocher bien des textes sans en être finalement beaucoup plus éclairés. Mais consultez la vie de Jésus, voyez ce qu’il a fait lui-même dans une circonstance semblable, et vous aurez la solution la plus satisfaisante de cette difficulté.
Jésus devant le sanhédrin, fait au Grand-Prêtre une réponse qui déplaît à l’huissier; celui-ci lui donne un soufflet.
Jésus agit-il contre son précepte, et rend-il le mal pour le mal? Non.
Tend-il l’autre joue selon la lettre de son commandement? Pas davantage.
Mais se tournant, il dit à son agresseur: «Si j’ai mal parlé, fais voir ce que j’ai dit de mal; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu?»
Réponse admirable de modération et de noblesse! Après l’avoir entendue, quel est le simple croyant qui pourrait demander encore ce que signifie ce précepte de tendre la joue? Et quel est l’incrédule qui oserait encore s’en moquer?
Après un précepte difficile à comprendre, examinons un précepte difficile à pratiquer, et voyons comment la vie de Jésus, qui a expliqué le premier, nous persuadera de suivre le second.
Jésus dit: «Aimez vos ennemis; faites du bien à ceux qui vous haïssent; priez pour ceux qui vous persécutent.»
Le précepte est admirable, sans doute; et beaucoup d’autres après Jésus l’ont répété; toutefois, si peu d’hommes l'ont mis en action, qu’à la fin on a vu dans ces paroles une de ces maximes bonnes à conserver dans un livre pour moraliser le monde, bien que la stricte observation en fût à peu près impossible.
Mais avant de tirer cette triste conclusion, consultons la vie de Jésus; après avoir entendu prêcher notre Maître allons le voir agir. Suivons-le à Golgotha, chargé de sa croix, meurtri sous la verge, déchiré sur le bois et moqué par les prêtres, les soldats et la populace.
Que va-t-il faire maintenant qu’il n’a plus rien à perdre, lorsque la douleur devrait lui arracher des cris de désespoir et des paroles d’imprécation?
Que fera-t-il quand le bruit tumultueux de la foule, ne permet plus d’entendre ses paroles?
Écoutez! Il prie, il prie pour ses ennemis, comme il l'a commandé lui-même, et il prie en les excusant aussi bien que possible auprès de Dieu: «Mon Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font!»
Oh! que cet élan de cœur est magnanime, ou plutôt comme la divinité de Jésus y brille avec éclat! et combien le disciple chrétien haï, méprisé, persécuté, comme son Maître, se sent encouragé, après en avoir été témoin, à suivre un tel exemple!
Voilà comment la vie du Sauveur explique et justifie ses préceptes.
Si Jésus n’avait fait que parler, nous pourrions penser que sa morale est impraticable; s’il n’avait fait qu’agir, nous pourrions croire que nous ne sommes pas appelés à l’imiter: mais ses paroles et ses actes, s’empruntant un mutuel appui, nous portent ensemble à une sainte activité.
Quand donc nous ne comprendrons pas les discours de Jésus, lisons sa vie; elle nous en donnera l’explication, et si sa vie nous semblait trop élevée pour que nous puissions y atteindre, écoutons ce précepte de sa Parole:
«CHRIST VOUS À LAISSÉ UN MODÈLE, AFIN QUE VOUS SUIVIEZ SES TRACES.»
La foi du centenier
Jésus déclare qu’il n’a pas trouvé, non pas même en Israël, une foi aussi grande que celle du centenier.
Il y a donc différents degrés de foi, ou, pour parler plus clairement, des fois différentes dont une, celle du centenier, obtient même des miracles; et dont une autre, par exemple, celle des démons, qui n’obtient absolument rien.
Or, comme d’après l’Apôtre, «il n’y a qu’une seule foi» qui sauve et sanctifie;
◦ il nous importe de bien nous rendre compte des diverses manières erronnées dont on peut CROIRE INUTILEMENT en Jésus-Christ.
Le chapitre que nous venons de lire, nous en fournit une excellente occasion, puisque nous y découvrons trois espèces de foi différentes, et à l’une desquelles seulement Jésus donne son approbation; étudions-les toutes, et sachons enfin si celle que nous avons est bien celle que nous devrions avoir.
La foule qui, attirée par le bruit des miracles opérés par Jésus l’entoure quand il ressuscite le fils de la veuve de Naïn, croit, sans doute, à la puissance du Sauveur; car, si elle n’espérait pas être témoin d’un nouveau prodige, elle ne le suivrait pas ainsi, et après l’avoir vu ressusciter un mort, elle ne serait pas remplie de crainte.
◦ La foule juive croit donc à la puissance de Jésus; toutefois ce n’est pas en sa faveur que le miracle s’accomplit.
En second lieu, les Anciens qui viennent demander à Jésus d’exaucer le centenier romain, parce que, disent-ils, cet homme, «est digne qu’on lui accorde cela, lui qui aime leur nation et leur a fait construire une synagogue,» ces Anciens croient certainement à la justice de Jésus, car s’ils lui demandent un miracle pour le centenier, c'est comme une juste récompense de ses bonnes œuvres; ce mot révèle bien leur pensée: «il est digne qu’on lui accorde cela.»
◦ Ces hommes ont donc foi à la justice de Christ; cependant ce n’est pas non plus en LEUR CONSIDÉRATION que le miracle s’accomplit.
Enfin, le centenier croit aussi; mais sur quoi porte sa confiance?
Court-il après Jésus pour être témoin de sa puissance?
Non, il reste chez lui et envoie d’autres hommes vers le Sauveur.
En appelle-t-il à sa justice pour obtenir que le Fils de Dieu récompense son dévouement à la nation juive par la guérison de son serviteur?
Non, il ne parle en aucune manière de ce qu’il a fait. Mais ce qui caractérise sa conduite, c’est qu’il déclare «ne pas mériter que Jésus vienne vers lui; «bien plus, c’est qu’il se juge «indigne d’aller lui-même vers Jésus!»
Indigne de recevoir la visite, indigne de la faire, indigne de tout et plus que tous les autres, car il envoie ses amis où lui-même n’a pas osé se présenter, voilà le sentiment qui domine le centenier: c’est celui de sa profonde et complète indignité. En quoi donc a-t-il foi pour venir dès lors demander un miracle?
Ah! vous avez répondu:
◦ il a foi en la bonté toute gratuite de Jésus; il ne met aucune limite à cette miséricorde;
il espère d’autant plus d’elle, qu’il désespère plus complètement de lui-même,
et CETTE FOI GRANDE, CETTE CONFIANCE ENTIÈRE EN LA MISÉRICORDE DE JÉSUS est précisément celle que Jésus admire et à laquelle il répond par un miracle!
L’histoire de la foule, des Anciens et du centenier, est aussi notre histoire.
◦ Parmi nous, les uns croient à la puissance de Dieu, mais c’est tout; ils ne le prient pas.
◦ Les autres croient à sa justice; mais ils ne songent guère à demander des grâces.
◦ Enfin, les plus avancés sont poussés par le sentiment de leur misère spirituelle à compter sur la bonté de Dieu; mais chacun de ces derniers pose des limites, plus ou moins étroites, à cette bonté.
Presque tous disent: elle «viendra jusque-là, mais n’ira pas plus loin.» Ils n’osent pas croire, mais ils espèrent. Le pardon de leurs péchés leur paraît possible, la vie éternelle probable; mais ils ne tiennent pas tout cela pour certain, parce qu'ils ne conçoivent que restreinte, l’immense bonté de Dieu.
Oui, voilà le point le plus dangereux de notre incrédulité:
NOUS N'AVONS PAS DE LA MISÉRICORDE DIVINE D’ASSEZ LARGES IDÉES.
Comparant Dieu aux hommes au milieu desquels nous vivons, mesurant le Ciel et l’éternité sur l'espace et le temps dans lesquels nous sommes renfermés, nous avons la plus grande peine à nous figurer quelque chose d’infini, et nous restons incertains et timides, quand nous pourrions nous avancer avec confiance, appuyés sur le bras du Sauveur.
Mais voulons-nous avoir plus de confiance en la bonté du Seigneur? Ayons-en toujours moins en nous-mêmes;
moins nous compterons sur nos droits,
plus nous attendrons et obtiendrons de sa bonté.
C’est parce que le centenier ne pense pas mériter, c’est parce qu’il se croit indigne, qu’il est contraint à tout attendre de Jésus, et c'est aussi pourquoi il en obtient tout ce qu’il en attend.
Le salut est le fruit de la foi;
mais d’une foi qui ne se développe que dans l’humilité!
La pécheresse pleurant aux pieds de Jésus
Il n'y a pas dans la Bible entière une page qui expose plus clairement le plan de Dieu à notre égard, que cet épisode de l’histoire de Madeleine, et que la parabole que Jésus y ajoute pour l’expliquer.
Ceci mérite toute notre attention.
Madeleine, jadis grande pécheresse, témoigne aujourd’hui à Dieu un grand amour.
Que s’est-il passé entre ces deux époques de sa vie, et comment ces deux faits se lient-ils l’un à l’autre?
Jésus le dit, cette femme a été pardonnée de beaucoup de péchés, et ce GRAND PARDON, de la part de Dieu, provoque, de la part de Madeleine, un GRAND AMOUR.
Cette pensée est simple, juste et claire.
Toutefois, pour la faire mieux comprendre, Jésus la revêt de la forme d’une de ses paraboles: il montre un créancier faisant l'abandon à deux débiteurs insolvables de deux sommes fort différentes, et recevant en retour de chacun d’eux un amour proportionné à la dette dont il l’a déchargé.
La parabole n’est pas moins claire que l’histoire de Madeleine, qu’elle explique:
◦ c’est toujours le pardon faisant naître l’amour,
◦ toujours le bienfait produisant la reconnaissance,
et cela, dans la juste mesure de ce pardon et de ce bienfait: «Celui à qui il est moins pardonné aime moins,» dit Jésus lui-même.
Et cependant, le croirait-on?
Cette doctrine si belle, expliquée par une histoire si simple, n’a pas été comprise par tous ceux qui ont lu cette page de l’Évangile.
Les hommes sont tellement imbus de la doctrine contraire du travail obtenant sa récompense, qu’ils n’ont pas pu voir ici la doctrine de la grâce! Bien plus: ils y ont trouvé une confirmation de leurs propres idées; ils ont dit: «Vous le voyez, Madeleine en aimant beaucoup le Seigneur, en obtient le pardon de beaucoup de péchés.»
Interprétation qui renverse le sens de la parabole, et lui fait signifier: les deux débiteurs ayant inégalement aimé leur créancier, celui-ci leur a fait en conséquence l’abandon de dettes inégales. Ainsi, ce n'est plus le pardon de Dieu qui produit l’amour de l’homme, c’est l’amour de l’homme qui attire le pardon de Dieu.
Oh! si jamais nous avons été persuadés de l’aveuglement spirituel de l’esprit humain, c’est bien en entendant l’explication que nous venons de répéter!
Jamais non plus nous n’avons plus vivement senti la nécessité de recevoir, pour comprendre l’Évangile, les secours du Saint-Esprit.
◦ Ne soyons donc plus à l’avenir surpris en voyant des hommes interpréter la Parole de Dieu de DEUX MANIÈRES OPPOSÉES, puisqu’ils la lisent sous l’influence de DEUX ESPRITS DIFFÉRENTS.
Le fait, d’ailleurs, n’est pas nouveau.
Simon, qui ne veut pas croire que Jésus soit un prophète, et Madeleine, qui arrose les pieds du Sauveur de ses larmes, certes, Simon et Madeleine comprennent le même fait de deux manières bien différentes! et quand Jésus en a donné l’explication à tous les convives, tous n’en restent pas moins scandalisés, en même temps que Madeleine se retire tout aussi paisible et tout aussi croyante.
C’est qu’avant comme après l’explication de Jésus, Madeleine et les Pharisiens écoutaient, comprenaient et jugeaient avec deux esprits opposée:
◦ eux avaient l’esprit de l’homme;
◦ elle, avec l’Esprit de Dieu.
Oh! demandons à ce Dieu de nous donner toujours plus abondant cet Esprit qui nous révélera toujours mieux que tout en Lui s’obtient par pure grâce.
Pour aimer un être, il en faut être aimé, et celui qui aime le premier, ce ne peut pas être l’homme naturellement égoïste; ce ne peut être que Dieu, dont l’essence est charité.
Contemplons son amour, croyons à sa miséricorde, acceptons le pardon de nos péchés; alors, comme Madeleine, nous serons en paix, et si jadis on nous a vus, comme elle, plongés dans le péché, à l’avenir, on nous verra, comme elle, à la suite de Jésus, allant de lieu en lieu faire le bien; au pied de sa croix dressée, pleurant sur ses douleurs; à la tête de son sépulcre ouvert, nous réjouissant de sa résurrection, et, le reste de notre vie, au milieu de ses disciples, vivant dans la foi et dans la sainteté.
La foi ou la vue
C’est encore la foi que Jésus demande à ses Apôtres.
Nous ne pouvons tourner un feuillet de cette Bible, qu’il ne soit de nouveau question de cette foi.
Et cependant nous trouvons par moment assez dur de nous soumettre à cette condition; nous éprouvons quelquefois le désir de connaître, de voir, de toucher.
Pour réprimer ce désir insensé de notre esprit, il ne sera donc, pas inutile de nous arrêter quelques instants à considérer quelles peuvent être les raisons pour lesquelles DIEU NOUS IMPOSE L’OBLIGATION DE CROIRE.
Pour nous amener à la sanctification, et par la sanctification à l’éternelle félicité, Dieu avait à choisir entre ces deux chemins: la foi, ou la vue.
Puisque la première nous paraît pénible à suivre, nous eussions donc préféré la seconde?
Voyons ce qu’il résulterait de notre désir exaucé.
Soit, nous ne serons plus obligés de croire; c'est Dieu qui devra mettre sous nos yeux et dans nos mains ce qu’il voudra nous persuader.
◦ Il ne suffit plus qu’il nous dise: il existe un ciel,
▪ il faut qu’il nous le montre;
◦ ce n’est plus assez de nous promettre une vie éternelle,
▪ il faut qu’il la déroule devant nous.
◦ Quand Il nous donnera un ordre.
▪ Il devra nous en expliquer le pourquoi;
◦ quand II nous placera dans telle ou telle circonstance,
▪ il faudra qu’il nous en donne la raison.
Ainsi, pour nous en tenir à l’exemple que nous offre ici l'Évangile, Jésus aurait dû donner une réponse à ces questions faites par les Apôtres:
◦ Pourquoi nous fais-tu monter sur une barque au moment où s’élève un orage, toi, Fils de Dieu, qui pouvais prévoir la tempête?
◦ Pourquoi te livrer au sommeil, tandis qu’un danger nous menace?
◦ Pourquoi souffle ce vent?
◦ Comment se soulèvent ces flots?
À l’ouïe de ces questions des Apôtres adressées à Jésus, il me semble entendre un enfant dire à son père: Pourquoi le ciel est-il rouge, — le jour brillant, — la nuit obscure, — le feu brûlant, — et l’eau glacée; et le père, moins embarrassé pour répondre que pour se faire comprendre lui dit: Tu le sauras plus tard; en attendant, regarde ce ciel, jouis de ce jour, repose-toi la nuit, savoure cette onde fraîche et ranime tes membres près de ce feu ardent.
En d’autres termes, si Dieu ne nous conduit pas par la vue, c’est que, pour le faire, Il aurait dû à chaque instant expliquer le principe et le but de toute chose dans l’immense création, à nous, incapables de comprendre comment pousse un brin d’herbe et pourquoi souffle le vent.
Ce n’est pas tout.
Admettez un moment que nous fussions rendus capables de pénétrer tous les mystères de la nature, et qu’ainsi nous pussions voir et toucher les justes motifs que Dieu nous donnerait pour nous sanctifier: alors ce serait cette sanctification qui nous deviendrait impossible, puisque, déterminés à faire le bien par des raisons irrésistibles, nous ne serions plus des êtres libres et moraux, mais semblables à la brute conduite par le bâton, ou à la machine mue par un ressort de fer.
Pour expliquer notre pensée, reprenons la navigation sur le lac de Génésareth.
Nous qui en connaissons l’issue, nous comprenons que le but de Jésus, en faisant monter ses Apôtres sur une barque au moment de l’orage, et je dirai même LE BUT de son sommeil au plus fort du danger, ÉTAIT D’ÉPROUVER LA FOI DE SES DISCIPLES.
Supposez donc que les Apôtres eussent connu d’avance ce motif de leur Maître; supposez encore qu’ils eussent justement apprécié par la vue la puissance qui, plus tard, devait calmer les flots: ils seraient montés sur la barque sans crainte; ils auraient senti souffler les vents sans terreur, c’est vrai; mais aussi, auraient-ils vu sans reconnaissance Jésus apaiser la tempête et les ramener sains et saufs au rivage.
Or, ce qui serait arrivé aux Apôtres arriverait de même à tous les chrétiens:
◦ Le malade que Dieu laisse souffrir, incertain sur l’époque de son rétablissement, et qui, par cette incertitude même, est amené à sentir sa dépendance et à prier son Dieu; ce malade, conduit par la vue, connaissant d’avance l’heure de sa guérison, ne pourrait plus prier, plus être exaucé, et dès lors il ne sentirait plus son amour s’accroître par une délivrance inattendue.
◦ L’homme que Dieu éprouve par un revers de fortune, par une longue attente, par une série de contrariétés, en découvrant, dès l’origine, l’issue de son épreuve, ne serait plus exercé dans la patience, et par conséquent plus, par la patience, mûri pour la sanctification.
Enfin, pour que l’homme pût être conduit par la vue et non par la foi, il faudrait tout renverser dans l’économie actuelle; il faudrait que Dieu refît notre cœur et notre esprit. Que dis-je? Il devrait anéantir ce monde, pour le reconstituer sur de nouvelles bases!
Ah! que ces réflexions si simples nous fassent enfin comprendre la folie de nos prétentions et la sagesse de Dieu.
Puisque nous sommes incapables de tout voir, jugeons de la beauté de ce qui nous échappe par la beauté de ce que nos yeux voient; le Dieu de l’univers révèle la puissance de la bonté du Dieu de l’Évangile; et les expériences chrétiennes que nous avons déjà faites de la foi et de la grâce nous sont garants de la fidélité de Celui qui nous dit:
CROYEZ, CONFIEZ-VOUS,
ET VOUS VERREZ DE GRANDES CHOSES.
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