Mépris de Jésus pour la gloire humaine
Un des traits caractéristiques, qui détachent le mieux la belle figure de Jésus-Christ sur le fond des autres personnages de l’histoire évangélique, c’est le calme parfait avec lequel le Fils de Dieu reçoit également, de la part des hommes, les plus insultants mépris et les plus glorieux hommages.
◦ Après la multiplication miraculeuse des pains, la foule veut le faire roi; Jésus reste calme et refuse.
◦ Au milieu d’une de ses prédications, les Juifs ramassent des pierres pour le lapider; Jésus immobile, continue à les instruire.
Aujourd’hui nous le retrouvons précédé et suivi de tout un peuple, étendant des vêtements sous ses pas, jetant des rameaux à sa rencontre, criant tour à tour: Gloire à Dieu, gloire au Fils de David; et Jésus, toujours impassible, poursuit sa marche vers le temple où il ne sort de son calme admirable que pour chasser les vendeurs et censurer les Pharisiens.
Bientôt nous le verrons non moins indifférent aux moqueries d’Hérode, aux soufflets des soldats et aux crachats des huissiers. Et certes ce n’est pas que le cœur de Jésus fût étranger à toute émotion de joie ou de tristesse; non, ailleurs il pleure sur le tombeau de Lazare, gémit sur Jérusalem, et tressaille en rendant grâce à Dieu d’avoir instruit et sauvé les pauvres et les petits; en un mot, nous voyons Jésus s’attendrir toutes les fois qu'il est en présence d’un sentiment d’amour, de confiance, de repentir; mais jamais tant qu’il ne s’agit que des témoignages de gloire ou de honte que les hommes lui adressent. Pourquoi?
C’est ce qu’il vaut la peine de se demander.
– Serait-ce parce que la gloire ou la honte qui vient des hommes faibles, ignorants, pécheurs, ne peut guère flatter ou abaisser celui qui en est l’objet, et Jésus ne tient-il aucun compte de l’admiration ou des mépris de la race humaine, par la même raison que nous-mêmes n'attacherions guère de prix aux éloges ou aux cassures qui nous viendraient du fond d’un cachot ou du sein de la rue?
– Serait-ce aussi parce que cette gloire est non moins fragile que méprisable, et que ceux qui l’accordent, inconstants dans leurs caprices, peuvent la retirer, aujourd’hui crier: «Hosanna,» en entrant par la porte des Oliviers, et demain vociférer: «Crucifie! crucifie!» en sortant par celle du Calvaire?
– Serait-ce encore parce que cette exaltation n’ajoute rien au vrai mérite; pas plus que ces mépris ne le diminuent et que la conscience, juste juge, humilie celui qu’un monde aveugle relève, et relève celui que ce monde humilie?
– Serait-ce enfin, parce que Jésus sur la terre, type parfait du chrétien, en avait aussi revêtu l’humilité, et qu’il repoussait aussi humblement la gloire qui vient des hommes qu'il supportait patiemment leurs dédains?
Nous pouvons croire, en suivant l’esprit de l’Évangile, que c’est pour toutes ces raisons, et dès lors trouver ici, comme ailleurs, un exemple à suivre dans la conduite de notre Maître.
◦ Les hommes nous accordent-ils leurs louanges?
Restons calmes; car ce sont les louanges d’êtres inconstants, plongés, dans le péché, qui ne prouvent pas le moins du monde que nous ayons un mérite, et qui devraient plutôt nous faire rougir, en nous rappelant qu’à Dieu seul appartient la gloire et à nous la confusion de face.
◦ Les hommes nous jettent-ils leur oubli, leurs dédains et leurs insultes?
Restons calmes et passons, nous n’en serons pas moins ce que nous sommes: des rachetés de Jésus, des enfants de Dieu, des héritiers du ciel; et finalement ce ne sont pas ces juges qui distribueront les couronnes de la vie éternelle.
Si les hommes qui nous louent ou nous blâment doivent exciter un sentiment dans notre cœur, c’est un sentiment de pitié; car en nous admirant, certes, ils s'abusent; comme en nous déchirant, avant tout, ils offensent leur Dieu.
Prions pour eux; oublions leurs éloges et leurs dédains, comme Jésus, qui ne semblait s’apercevoir ni de l’admiration de tout un peuple, ni des outrages des gouverneurs et des Rois.
L’Évangile donnant la vie ou la mort
Les incrédules se plaisent à présenter cette objection: Dieu n’est-il pas injuste en attachant de si grandes faveurs à la connaissance d’un Évangile auquel tous les peuples n’ont pas un accès également facile?
On pourrait répondre; Dieu est maître absolu de ses biens, et pourvu qu’il traite les moins bien partagés avec une exacte justice, il reste libre de traiter qui bon lui semble avec plus ou moins de faveur.
Mais cette réponse, appuyée sur la souveraineté du Créateur, n’est pas facilement comprise. Écoutons-la donc exposée par la bouche de Jésus lui-même dans ces paroles:
◦ «Celui qui tombera sur cette pierre en sera brisé, et elle écrasera celui sur qui elle tombera.»
Jésus nous est à la fois représenté.
1. Comme un fondement solide sur lequel doivent reposer les espérances du fidèle,
2. Et comme une pierre de scandale où les incrédules peuvent venir se briser.
La même vérité se reproduit sous différentes images:
– Siméon dit que le Sauveur est venu «pour être une occasion de chute et de relèvement;»
– et Paul déclare que l’Évangile est «pour les uns, odeur de vie; pour les autres, odeur de mort.»
Ainsi donc, Jésus, mis à la connaissance des hommes, leur apporte infailliblement l’un de ces deux résultats: de la part de Dieu,
◦ Une faveur plus grande, OU une condamnation plus sévère;
◦ c’est un rocher qui les sauve OU les écrase;
◦ c’est une main tendue qui les tire dans le Ciel qu’ils ont perdu, OU qui leur montre plus clairement l’enfer qu’ils ont mérité,
Tout cela, selon que ces hommes reçoivent ou repoussent les grâces que Jésus vient leur offrir.
Dès lors, l’injustice apparente qui frappe au point de vue de l’incrédule disparaît, car Jésus, dans cette déclaration, ne parle en aucune manière des hommes auxquels l’Évangile n’est pas présenté; il leur laisse donc ce que, par eux-mêmes et sans lui, ils auraient obtenu; s’il aggrave une position, c’est celle de ceux qui le repoussent; mais en même temps IL SAUVE TOUS CEUX QUI LE REÇOIVENT DANS LEURS CŒURS; ainsi chacun sera traité selon ce qu’il aura reçu.
Pour nous qui connaissons le contenu de l’Évangile; pour nous sur qui des flots de lumières ont été répandus, cette vérité prend un aspect sérieux, presque effrayant!
Il n’y a dans le monde, jusqu’à ce jour, aucun peuple auquel il ait été plus accordé qu’à nous:
◦ des Bibles dans toutes les familles;
◦ des prédicateurs dans toutes les églises,
◦ la paix dans notre patrie,
◦ l’abondance dans nos maisons;
◦ l’instruction intellectuelle, morale et biblique, sous toutes les formes,
◦ la décadence des peuples païens,
◦ la prospérité des nations chrétiennes.
Tout concourt à nous éclairer, tout nous presse, nous sollicite d'ouvrir les yeux; il semble vraiment que Dieu nous fasse violence pour nous faire accepter la vérité et le salut.
Quand l’Évangile était offert à la génération précédente comme un simple code de morale, on comprend qu’il n’ait pas eu un grand attrait pour les cœurs; mais aujourd’hui, lorsque, grâce à l’effusion du Saint-Esprit répandu sur la terre, nous savons que LE SALUT DE JÉSUS EST COMPLET ET GRATUIT; que pour nous qui l’avons reçu il n’y a plus de condamnation, et que le Ciel, dès maintenant, nous appartient!
Quelle grâce nouvelle, quelle lumière plus éclatante, quelle faveur plus magnifique pourrions-nous encore attendre?
Aucune; non, aucune!
C’est pourquoi, si nous négligeons un si grand salut,
notre condition est pire que la première,
et sur nous pèse une double condamnation!
Retournons donc cette médaille évangélique tour à tour sur ses deux faces, car des deux côtés elle peut également nous instruire et nous exhorter.
◦ D’une part, nous lisons: mort éternelle!
◦ De l’autre: pardon complet, vie sans fin!
Attachons-nous à ces promesses, emparons-nous de ces privilèges, et, joyeux de les posséder, travaillons à nous sanctifier.
Que le côté effrayant de l’Évangile lui-même excite chez nous, non pas une crainte servile, mais un saint tremblement, et que nous avancions ainsi sous la double impulsion du respect et de l’amour.
L’invitation au grand festin
Si le monarque qui gouverne aujourd’hui notre patrie, nous appelait, nous, sujets obscurs de son vaste royaume, aux noces d’un de ses enfants, qui de nous songerait à refuser l’invitation?
Personne, sans doute; c'est précisément ce qui nous explique pourquoi nous refusons de nous rendre à l’appel du Monarque des Cieux, nous invitant au festin de la vie éternelle.
◦ Notre acceptation et notre refus s’expliquent l’un l’autre; nous nous rendrions au festin d’ici-bas, parce que nous aimons le monde et ses plaisirs, et nous dédaignons la fête d’en haut, encore parce que nous préférons au Ciel, la terre et ses biens.
Faire sentir la folie d'une telle préférence serait tâche facile; mais on l’a fait si souvent et si complètement en vain, que la parole découragée expire sur les lèvres au moment de le tenter encore. Aussi comprend-on bien la nécessité de cet ordre que le Roi donne à son serviteur allant convier d’autres hommes: «Contrains, contrains-les d’entrer.»
Hélas! il n’est que trop vrai, il faut que Dieu nous sollicite, nous pousse, nous contraigne à recevoir ses bienfaits. Son festin est prêt, il nous y convie; pour parler sans figure, son Ciel est ouvert, il nous appelle, et comme nous ne répondons pas à ses douces invitations, il faut qu’il en vienne à nous y jeter par l’affliction, la maladie, les revers et le dégoût de ce monde.
Il faut que son Esprit vienne heurter lui-même à la porte de notre cœur, qu’il nous y attende, si nous ne lui ouvrons pas, et qu’il frappe et refrappe chaque jour; heureux encore si nous cédons avant l’heure suprême où la salle du festin se ferme et où les invités retardataires ne trouvent plus au-dehors que les ténèbres, les pleurs et les grincements de dents!
Sans doute, nous avons pour nous justifier des prétextes nombreux et même plausibles pour notre raison séduite par notre cœur.
Des invités:
◦ un possède une métairie; comment ne pas aller la voir?
◦ Un autre a fait emplette de cinq paires de bœufs; comment ne pas les essayer?
◦ Un troisième se marie; peut-il courir à d’autres noces?
Oui, tant que vous voudrez, ces excuses sont valables; mais après tout, le roi indigné n’envoie pas moins ses troupes incendier la ville et faire périr ses habitants!
Voici donc aujourd’hui notre position: nous avons refusé de répondre à l’appel de notre Dieu, sans cependant vouloir nous mettre mal avec lui, car nous lui disons: «Je t’en prie, tiens-moi pour excusé;», mais tandis que nous courons à notre trafic, d’une part, les soldats du roi sont en marche sur notre ville; de l'autre, ses serviteurs cherchent d’autres convives sur le grand chemin, et ils les prennent «tant mauvais que bons.»
Maintenant, c’est à nous de choisir!
1. Vivre quelques heures encore au milieu de nos préoccupations terrestres pour tomber à l’improviste sous le glaive de la mort et de la condamnation,
2. ou courir sans retard à la rencontre du serviteur qui ramasse les impotents, les boiteux, les aveugles pour nous rendre avec eux au festin.
Toutefois, remarquons bien un détail de cette parabole: si «bons et mauvais» y entrent, ce n’est pas sans revêtir la robe de noces que le maître fait distribuer à la porte, et si par impossible un de nous pouvait y pénétrer, couvert de ses propres haillons, ce ne serait que pour en être honteusement chassé.
En d’autres termes, après nous avoir invités, malgré notre indignité, à prendre place dans son Ciel, Dieu nous offre encore les forces de son Saint-Esprit pour nous revêtir, dès ici-bas, des sentiments en harmonie avec un tel séjour.
◦ En acceptant l’offre de la vie éternelle, nous faisons bien voir que nous sommes «APPELÉS»
◦ mais ce n’est qu’en revêtant la sainteté que nous montrerons que nous sommes «ÉLUS.»
Admirable parabole, qui fait comprendre en même temps la bonté de Dieu pour les pécheurs et sa sévérité pour les saints; explication frappante de cette grande vérité: l’invitation comme la robe de noces, le salut comme la sanctification nous sont donnés par le Seigneur!
Démonstration sans réplique qu’il n’y a de la part de l’homme aucun mérite à recevoir, mais une effrayante culpabilité à refuser.
Seigneur, que ta bonté nous touche,
que ta sévérité nous avertisse
et que l’une comme l’autre nous contraignent enfin d’entrer!
Quel sera notre état dans le Ciel?
La Bible est extrêmement sobre de détails sur notre état futur dans le Ciel; elle se borne à nous apprendre que nous y serons heureux.
Cette sage retenue est une preuve de la divinité de ce livre.
En effet, pour parvenir au Ciel, IL NOUS IMPORTE BEAUCOUP PLUS D’EN CONNAÎTRE LE CHEMIN QUE LE SÉJOUR.
Aussi cette divine Parole, si brève quand elle décrit les joies de notre céleste patrie, devient-elle abondante lorsqu’elle explique la foi et la sainteté que le chrétien doit revêtir dès ici-bas.
Étudions, cependant, le peu de données qu’elles nous fournit sur la nature de notre existence éternelle dans les Cieux.
D’abord l’identité de notre être, notre personnalité sera conservée; en d’autres termes, ce sera bien nous-mêmes qui continuerons à vivre; sans cela, toutes les promesses, comme toutes les menaces, n’auraient plus de sens; ce ne serait plus nous, ce serait un autre qui vivrait, et dès lors nous n’aurions plus de motifs ici-bas pour espérer ou craindre.
Aussi, Jésus nous présente-t-il la vie éternelle comme commençant sur cette terre, et ne faisant que se continuer dans le céleste séjour. «Celui qui croit, dit-il, a en lui-même» et non pas aura «la vie éternelle.»
Mais cette identité ne s’arrête pas à l’âme; elle s’étend jusqu’à notre corps; Saint Paul l’établit en parlant de la résurrection: «Semé corruptible, dit-il, notre corps ressuscitera incorruptible; semé animal, il ressuscitera spirituel;» puissant motif pour conserver pur ce corps, temple du Saint-Esprit et destiné au séjour de la sainteté.
En troisième lieu, il est certain que nous reconnaîtrons dans l'autre monde ceux que nous aurons connus dans celui-ci; car Jésus nous présente le mauvais riche lui-même se préoccupant dans l’éternité de ses frères restés sur la terre, reconnaissant Lazare qu’il voit dans le ciel, et interpellant Abraham.
Ainsi, non seulement cet homme reconnaît celui qu’il a rencontré ici-bas, mais encore il apprend à connaître le Patriarche qu’il n'avait jamais vu.
◦ Si tel est le privilège d’un méchant, dès lors plongé dans la Géhenne, peut-on supposer que les élus qui se sont vus sur la terre ne se reconnaîtront pas dans les Cieux?
Enfin, nous emporterons de cette terre avec notre âme, notre corps et nos souvenirs, encore nos sentiments d’amour et nos inclinations morales.
En effet, il nous est dit que tandis que la prophétie prendra fin et que la foi sera transformée en vue, une seule chose restera éternellement: la charité, l’amour de Dieu pour sa créature et reflet de cet amour sur les créatures entre elles et sur leur Dieu.
Là se borne l’héritage que, de cette terre, nous emporterons dans les cieux.
Maintenant, pour mieux apprécier la parfaite sagesse des pensées divines, comparons-les aux idées grossières des Saducéens, plus rapprochées qu’on ne pense de nos propres idées.
Dans leur manière charnelle de juger, les Saducéens se demandent de qui la femme, unie successivement à sept maris sur la terre, sera l’épouse exclusive dans le Ciel.
De même nous, bien qu’avec d’autres sentiments que ceux de ces incrédules, nous transportons plus d’une idée terrestre dans les Cieux.
◦ L’un veut croire à la vie éternelle, parce que le désir de revoir un ami, un enfant, un époux, lui en fait un besoin.
◦ L’autre, heureux dans ce monde de ses affections de famille, se nourrit surtout de l’espoir qu’elles seront continuées au-delà du tombeau.
◦ Un troisième place d’avance son bonheur dans la connaissance des mystères et des merveilles qu’il ne peut sonder ici-bas;
en un mot, PRESQUE TOUS, NOUS RECHERCHONS LA TERRE DANS LES CIEUX; tous nous ferons donc bien d’écouter l’explication de Jésus:
«Après la résurrection, dit-il, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris; mais ils seront comme les anges de Dieu.»
Admirables réponse qui, non seulement fait disparaître la difficulté de détail soulevée par les Saducéens; mais qui s’harmonise avec tout le reste de la révélation.
En effet, pourquoi des distinctions de sexes sur la nouvelle terre, où l’on ne connaîtra plus ni la naissance, ni la mort?
Pourquoi des liens où se mêle toujours plus ou moins l’affection de la chair?
Pourquoi des rapports de famille; par exemple, de père à fils, qui établiraient la subordination dans le sens inverse de ceux qu'auront fait naître le degré de foi et de sainteté?
Pourquoi des attachements qui deviendraient douloureux s’ils pouvaient passer de la terre au ciel où nos anciens amis ne seront peut-être pas?
Non; mais à la place de toutes ces affections plus ou moins terrestres, une harmonie de sentiments tous dirigés vers notre Dieu.
C’est un trait remarquable de la Bible qu’elle parle si peu de l’amour des bienheureux les uns pour les autres, dont nous sommes nous-mêmes tant préoccupés, et qu’elle nous entretienne sans cesse de l’amour de toutes ces créatures pour leur Dieu!
◦ C’est que la créature à aimer pourrait nous manquer dans le ciel, mais que Dieu ne nous y manquera pas!
Oui, n’en doutons pas: nous connaîtrons et aimerons dans le Ciel nos amis et parents convertis sur la terre; mais rappelons-nous que nos joies les plus vives seront puisées dans notre amour et notre adoration pour le Seigneur.
Si nous n’apprécions encore qu’imparfaitement ce genre de bonheur, si c’est un motif de plus pour tourner dès ici-bas notre cœur de ce côté, et apprendre à bégayer dans ce monde ce que les anges répètent avec joie dans les Cieux:
«Saint! Saint! Saint! est le Dieu des armées!»
Le simple oui et le serment
À la faveur de quelques préceptes de Moïse, faussement interprétés, les Juifs en étaient venus à mettre entre leurs nombreuses formules de serments, des degrés d’importance et par là d’obligation.
Jurer par le nom de l’Éternel était le plus solennel des serments, et les autres engagements perdaient plus ou moins de leur valeur, selon qu’ils étaient pris au nom d’objets réputés plus ou moins sacrés, tels que le temple, la ville de Jérusalem, ou l’autel du Seigneur.
Ce que Jésus combat donc ici, ce n’est pas tant les serments en eux-mêmes que la doctrine qui établit entre eux des différences d’obligation.
◦ Selon lui toutes les promesses obligent; aussi bien celle faite au nom de l’autel que celle prononcée sur le don qu’on y dépose.
Ailleurs, Jésus va plus loin; il interdit toute espèce de serments, et VEUT QUE NOTRE PAROLE SOIT SIMPLEMENT UN OUI OU UN NON.
Remarquons, toutefois, que dans cette occasion, Jésus combattait encore le même préjugé; car il rappelle ici et le serment au nom de Dieu, considéré comme obligatoire, et les serments au nom des créatures, regardés comme moins importants.
De ce rapprochement, on peut conclure que tous les serments, quels qu’ils soient obligent également, et qu’à moins de circonstances toutes particulières et indépendantes de notre volonté, nous ne devons pas avoir recours à cette forme de langage pour affirmer ou nier, promettre ou refuser.
Un chrétien, appelé devant un tribunal, peut bien prêter le serment exigé par la loi pour ajouter plus de solennité à ses paroles, comme Jésus a souvent dit ces mots: «En vérité, en vérité,» et Saint Paul ceux-ci: «Je le déclare devant Dieu;», mais hors de ces grandes occasions, la simple affirmation doit nous suffire, et notre oui et notre non nous engager autant que toutes les protestations imaginables.
Sans doute, il serait superflu de faire remarquer la beauté du précepte qui déclare que tous les serments imposent une égale obligation. Mais il ne le sera pas peut-être de faire mieux sentir que cette forme de langage est une chose mauvaise, qui, comme le dit Jésus, est inspirée aux hommes par Satan.
◦ En effet, jurer avec plus ou moins d’énergie pour persuader de la sincérité de notre parole, ou pour donner un plus haut degré de certitude à l’accomplissement de nos promesses,
◦ c’est déclarer en d’autres termes que, lorsque nous n’avons pas recours à toutes ces démonstrations, notre sincérité n’est plus aussi complète, notre promesse n’est plus aussi sacrée;
◦ c’est dire que nous avons deux degrés de sincérité, deux mesures de véracité; c’est dire qu’il ne faut pas se fier toujours égaler ment à notre parole; si ce n’est pas même avouer que nous sommes capables de mentir et de nous parjurer! Tout cela ne vient-il pas du Malin?
Il y a plus.
De la persuasion que le serment solennel engage irrévocablement, on passe facilement à la pensée que la simple promesse engage moins, et que si rien ne peut rompre l’un, plus d’une circonstance peuvent légitimement dispenser de tenir l’autre, c’est entrer dans la doctrine des Pharisiens qui n’attachaient tant d’importance à l’engagement pris au nom de l’Éternel, que pour être en droit d’en mettre moins à celui formulé sur le nom de la ville ou du Temple. Encore une fois, tout cela ne vient-il pas du Malin?
Oui, Jésus le déclare, lui qui nous connaît si bien.
Soyons donc plus simples dans nos paroles, et pour cela soyons plus droits dans nos pensées.
Notre vigilance doit avant tout porter sur notre cœur, car c’est de là que partent, comme d’un fort, les traits enflammés de Satan. Vidons la place occupée par cet ennemi, et nous n’éprouverons plus alors le désir de manquer de sincérité, ni le besoin de recourir aux protestations;
alors notre simple parole vaudra seule une démonstration de la vérité.
Lisez MATTHIEU XXIII, 23 à 39.
Jérusalem qui tues les Prophètes
«Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui le sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu!»
Que ces paroles sont à la fois touchantes et tristes!
Comme elles peignent bien la sollicitude de Jésus pour les hommes et l’ingratitude des hommes envers Jésus!
Depuis trois ans et demi le Sauveur va de lieu en lieu faisant du bien, et partout il est méconnu par la populace ou par les grands.
S’il pardonne les péchés d’un croyant, les Pharisiens l’accusent de blasphème;
s’il ouvre les yeux d’un aveugle, les Juifs voient en lui l’envoyé de Satan;
s’il guérit un paralytique, on l’accuse de violer le sabbat.
On l’interroge, mais pour lui tendre un piège;
on le prie à dîner, mais pour censurer sa conduite.
À tout ce qu’il fait et à tout ce qu’il dit, ses ennemis cherchent une fausse interprétation, et même quand il a ressuscité Lazare, quand il n’est plus possible de nier ses miracles, on délibère et arrête que pour avoir rendu la vie il est digne de mort!
Toutes les exhortations, tous les avertissements qu’il adresse aux Juifs glissent sur leur cœur, comme l’eau glisse sur le marbre, sans y laisser de trace, et enfin aujourd’hui même, lorsque ce peuple de col raide reste là immobile devant son bienfaiteur, se creusant l’esprit afin de trouver un prétexte pour le condamner, Jésus s’écrie:
«Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu!»
Et remarquez que, lorsque Jésus parle des prophètes mis à mort, des envoyés lapidés, ce n’est pas sans faire un retour sur le sort qui l’attend; il sait qu’il sera de ce nombre, il est venu pour cela, et après avoir tenté d’instruire ses bourreaux, il courbe volontairement la tête sous leur haine pour leur fournir, à leur insu, encore un moyen de salut!
L’ami qui se sacrifie pour son ami, trouve au moins la récompense de son dévouement dans l’affection de l’être auquel il se consacre; mais ici Jésus donne sa vie pour ceux qu’il sait le mépriser et le haïr.
La pensée de mourir pour un ennemi qui vous refuse une larme, mais qui, malgré lui, vous admire, peut encore vous soutenir à l’heure du supplice; mais ici, ni la foule stupide, ni les prêtres irrités, ne soupçonnent pas même que Jésus soit mû par un sentiment généreux; à leurs yeux il expire, parce qu’il ne peut pas descendre de la croix; et ainsi, ce Sauveur consent à mourir, non seulement haï, mais encore ignoré, méconnu, pris pour un malfaiteur, au même instant où il est le plus digne d’admiration.
Une seule pensée l’anime, c’est qu’un jour ces êtres égarés pourront revenir de leur aveuglement, pleurer sur leur crime, se confier en Lui et finalement être sauvé; et soutenu par cette espérance, Jésus marche à la mort, sans pousser une plainte, sans faire un reproche, que dis-je? il marche au supplice en pleurant sur la ville déicide:
«Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses petits, et vous ne l’avez pas voulu!»
Oh! que de tels sentiments, plus faciles à comprendre qu’à dépeindre, sont supérieurs à la pauvre humanité! Comme ils dévoilent bien le Dieu caché sous une enveloppe humaine!
Qui jamais a senti et parlé avec cette noblesse et cette simplicité?
Ô Jésus! qui sommes-nous pour que tu nous aimes ainsi?
Qu’avons-nous fait pour exciter en toi une telle compassion?
Oui, Seigneur, nous aussi par nos péchés, nous sommes du nombre de ceux qui t’ont fait souffrir et mourir!
Mais voici, Seigneur; nos yeux sont pleins de larmes, nos cœurs sont émus de reconnaissance. Nous voulons aller à toi, nous placer sous tes ailes, être du nombre de ces petits que tu sauves et protèges; reçois-nous, Seigneur, reçois-nous parmi tes enfants sur cette terre; bientôt nous irons près de toi te demander la vie éternelle, fruit de ton inépuisable amour!
Prédiction de Jésus sur la ruine de Jérusalem
En lisant ce chapitre où Jésus parle en même temps de la destruction de Jérusalem et de la fin du monde, on pourrait croire que le Sauveur place ces deux faits à la même époque; mais une lecture plus attentive prouve qu'il n’en est pas ainsi.
Bien que nous ne puissions entrer ici dans de longues explications, nous ferons du moins remarquer que la confusion apparente, qui se trouve dans la réponse de Jésus aux Apôtres, avait été occasionnée par la confusion réelle qui se trouve dans la question des Apôtres à Jésus.
Les Apôtres demandent à la fois:
1. quand sera détruit le temple de Jérusalem
2. et quand viendra la fin du monde;
de même Jésus répond à la fois sur deux sujets, ce qui ne veut pas dire qu’ils doivent être contemporains.
Mais que dit le Sauveur sur l’un et sur l’autre de ces événements?
Jésus prédit que le temple de Jérusalem sera détruit; et aujourd’hui il n’y reste pas pierre sur pierre;
◦ il annonce que de faux christs viendront dans le monde; et quelques siècles plus tard, vingt faux christs s’étaient successivement présentés;
◦ enfin, il affirme que l’affliction, tombant sur cette ville, sera telle qu’on n’en aura jamais vu de semblable; et l’histoire nous apprend qu’en effet, un million d’hommes y périt durant le siège par l’épée ou la famine.
Voilà donc trois prédictions déjà réalisées.
N’est-ce pas autant de gages de la vérité de celles qui ne le sont pas encore?
Sans doute; étudions donc un instant ces prophéties, et choisissons ici de préférence celle dont l’accomplissement semble avoir déjà commencé de nos jours.
«Parce que l’iniquité, dit Jésus, se sera multipliée, la charité de plusieurs se refroidira.»
C’est bien en effet, ce que nous avons tous plus ou moins expérimenté!
NOUS VOYONS LES VICES LES PLUS HIDEUX RAMPER AUTOUR DE NOUS, les crimes les plus effrayants se multiplier au sein de notre société; chaque matin nous sommes épouvantés en apprenant quelque sanglant épisode de la veille, à tel point, que ce triste spectacle nous fait douter parfois si l’homme vaut mieux que la bête des champs, et si nous sommes bien des êtres créés à l’image de Dieu.
À la vue permanente, à l’ouïe incessante de toutes ces monstruosités, nos idées se confondent, nous perdons presque la notion du bien et du mal; nous nous demandons si nous sommes plus obligés que les autres, nous sentons faiblir pour la race humaine cette sympathie qui jadis faisait vibrer notre cœur; le mépris prend en nous la place de la charité, et la misanthropie étouffe le saint amour des âmes.
Oh! que tout cela est triste!
Mais en même temps, songeons-y bien, tout cela a été prédit!
C’EST UNE PREUVE DE PLUS DE LA VÉRITÉ DE LA BIBLE;
une raison de plus pour croire, un motif nouveau pour veiller.
Si en face de cet abîme de corruption, la charité de plusieurs doit infailliblement se refroidir, que du moins ce ne soit pas la nôtre.
Plus le monde est méchant, plus il a besoin de nos compassions, de nos secours, de nos pardons;
◦ ce ne sont pas les justes que Jésus est venu sauver, mais les injustes,
◦ et ce n’est pas au milieu des brebis qu’il envoyait ses Apôtres, mais au milieu des loups ravisseurs.
Que notre amour se proportionne donc au profond égoïsme de notre époque, qu’il croisse avec la perversité des hommes; multiplions-nous, soyons partout en même temps, puisqu’il y a tant et tant à faire, et rappelons-nous que:
la promesse de salut est pour celui-là seul qui persévère jusqu’à la fin!
La fin du monde
«Veillez, nous dit Jésus, car vous ne savez à quelle heure le Seigneur doit venir.»
«Il viendra quand vous n’y penserez point.»
«Comme un éclair, parti de l’Orient, brille tout à coup jusqu’en Occident; il en sera de même de l’avènement du Fils de l’homme!»
Toutes ces paroles nous portent à la vigilance par la pensée que la fin peut venir pour nous, tout aussi bien dans une heure que dans un siècle, et cette incertitude comme cette imminence possible du danger sont, en effet, bien propres à réveiller le serviteur alangui.
◦ Déjà, du temps de Saint Paul, s’était répandue parmi les Thessaloniciens, la croyance que le Seigneur allait venir, et cette persuasion avait jeté l’Église dans une émotion profonde.
◦ Plus tard, au moyen-âge, l’opinion que la fin du monde était proche fut répandue et reçue avec une telle confiance, que de toutes parts les populations assiégeaient les églises, abandonnaient leurs occupations, donnaient leurs biens comme si elles n’avaient plus à en jouir, et se préparaient à cette grande catastrophe par le jeûne et la prière.
◦ De nos jours, les chrétiens qui se sont beaucoup occupés de la seconde venue du Seigneur, la croient prochaine, et puisent dans cette espérance de puissants motifs de sanctification.
Dans tous ces exemples nous voyons, qu’en effet, rien n’est plus propre à réveiller notre foi et à sanctifier notre vie que l’attente de notre comparution devant Dieu.
Mais la fin du monde, la venue de Christ, le jugement dernier, sont-ils donc les seules pensées propres à produire ce résultat?
N’y a-t-il pas une catastrophe, une venue solennelle, tout aussi prochaine et non moins assurée, capable de nous tirer aussi de notre assoupissement spirituel?
La mort, notre mort, notre propre mort, n’est-elle pas à la porte?
et à force d’être certaine, a-t-elle cessé d’être importante?
Si l’on nous prouvait à n’en pouvoir douter que dans cinquante ou soixante ans le monde finira, ou que Jésus apparaîtra, ne serions-nous pas arrêtés dans nos projets, bouleversés dans nos pensées et vivement poussés dans une direction tout autre que celle de notre vie actuelle?
Eh bien! la mort, la mort de vous et de moi, la mort de nous tous, est tout aussi certaine, tout aussi rapprochée que la venue du Christ, que la fin du monde, que le jugement dernier; que dis-je?
Personne de nous ne peut dire avec assurance qu’il sera témoin sur cette terre de l’un de ces événements, tandis que:
◦ TOUS NOUS POUVONS AFFIRMER QU’INDUBITABLEMENT DANS CE MONDE, DANS CE SIÈCLE, AVANT PEU, NOUS SERONS TÉMOINS DE NOTRE PROPRE MORT.
N'est-ce pas aussi là pour nous une venue du Seigneur, une fin du monde, un jugement terrible?
Après notre mort, tout ne sera-t-il pas pour nous irrévocablement fixé?
Contemplons donc plus souvent ce moment suprême, et de ce point culminant de la vie, plongeons nos regards sur les misérables passions, les mesquins intérêts de ce monde.
◦ Que la terre est petite, vue des hauteurs du Ciel!
◦ Que la vie est courte, mesurée sur l’éternité!
◦ Que nos plaisirs sont grossiers, comparés à l’amour de Dieu!
◦ Que nos douleurs sont légères, auprès du poids immense d’une gloire infiniment excellente, et que l’état du pécheur est digne de pitié pour nous qui le voyons marcher en aveugle à sa perte éternelle!
Nous pouvons bien nous étourdir pour échapper à ces pensées; mais ces pensées, malgré nous, nous cherchent, nous pressent, et chaque jour nous enserrent dans un cercle de plus en plus étroit.
Demain notre mort ne sera pas plus assurée,
mais elle sera plus prochaine,
et notre regret de n’y avoir pas songé, plus profond.
Pensons-y donc aujourd’hui, regardons à son jour, comme l’ouvrier dans les champs interroge la hauteur du soleil, comme nous-mêmes consultons l’aiguille sur le cadran de nos demeures, et sous la bénédiction de l’Esprit-Saint:
◦ nous puiserons dans son attente l’activité, le sérieux, la sainteté qui conviennent à des chrétiens.
La parabole des talents
La parabole des talents a pour but de nous donner cet enseignement: DIEU N’EXIGE DE SES SERVITEURS QU’EN RAISON DE CE QU’IL LEUR A DONNÉ; mais il demande un compte même à celui d’entre eux qui a le moins reçu. Rien n’est plus juste.
Cependant, le serviteur auquel il n’avait été remis qu’un talent, prétextant le caractère exigeant de son maître, s’abstient de travailler afin de rester irrépréhensible. Rien n’est plus absurde qu’une telle conduite!
Ce ne sont ni dix, ni cinq, ni même un seul talent que son Seigneur lui demande comme fruit de ses travaux; mais au moins l’intérêt qu’eût produit la faible somme placée chez le banquier, si le serviteur avait eu seulement le désir et le courage de l’y porter. Que répondre à cela? Rien. Aussi le serviteur garde-t-il le silence, et nous qui lisons son histoire, approuvons-nous le jugement qui le condamne?
Notre acquiescement à sa condamnation est un indice que nous n’estimons pas que nous ayons agi comme ce serviteur, et que de nous, comme de lui, on puisse dire que l’exigence de Dieu sert de prétexte à notre inaction.
Cependant on peut l’affirmer tout aussi bien de nous que de ce serviteur!
Peut-être plus habile que lui, justifions-nous notre repos par notre propre incapacité, mais ce n’est là de notre part que DE LA PARESSE SOUS UN MANTEAU D’HUMILITÉ; car, tout en reconnaissant que les ordres du maître sont légitimes, nous prétendons, dès qu’il s’agit de nous les appliquer, que tels ou tels ne nous concernent pas, et sous prétexte d’être d’indignes serviteurs, nous secouons la tâche qui nous revient.
◦ Que puis-je, dit-on, par exemple, pour l’évangélisation du monde, moi si faible, si complètement ignoré?
◦ Que puis-je, pour le soulagement de la misère publique, moi-même si nécessiteux?
◦ Que puis-je, pour l’édification de l’Église et de la paix des familles, moi, qui ne vois personne et que personne ne consulte?
Mais à tous ces mauvais prétextes, le maître répond: Tu pouvais du moins déposer mon unique talent chez le banquier.
Jésus ne nous demande à nous pauvres, faibles, obscurs, ni cinq, ni dix talents, mais l’intérêt d’un seul.
◦ Il ne s’agit pas pour nous de répandre l’Évangile jusqu’au bout du monde, mais de le donner à notre porte.
◦ Ne parlons pas de soulager la misère publique, mais allégeons celle de notre voisin Lazare.
◦ Ne parlons pas d’édifier l’Église entière, de pacifier toutes les familles; mais bien d’édifier ceux qui nous approchent, de pacifier ceux qui vivent à nos côtés, et pour cela, nous n’avons pas besoin de prononcer de belles paroles, mais de donner l’exemple de la Vie chrétienne.
C’est parce que nous plaçons le but trop haut que nous ne l’atteignons pas, c'est parce que nous regardons trop loin que nous ne voyons pas à nos pieds. Nous estimons la tâche du chrétien grande et belle; si belle et si grande que nous n’osons y toucher.
Oui, notre tâche est grande par son ensemble, belle par ses résultats; mais elle peut être humble dans ses détails et petite dans nos travaux.
Travaillons devant nous, à nos pieds, dans notre cœur, et nous trouverons toujours à faire.
Nous exagérer nos devoirs est un piège de Satan, qui voudrait nous en dispenser; faire peu, agir en silence, est le sûr moyen de faire quelque chose.
Ce ne sont pas les hommes, mais Dieu que nous avons à contenter; et, bien que sévère, ce Maître n’exige de nous dans le cas où nous ne pourrions pas davantage, que la peine qu’aurait dû prendre son serviteur de placer son argent à intérêt.
Est-il un seul d’entre nous qui ne puisse faire cela?
Ne pouvons-nous prier dans notre cœur, veiller sur notre vie, réprimer nos lèvres, refouler nos pensées, donner une obole, sinon un talent, dire une bonne parole, sinon faire de longs discours?
Oui, le chrétien, le plus faible peut, parce que le plus faible chrétien est ouvrier avec Dieu et que Dieu ne lui demande rien dont il ne veuille en même temps lui fournir les moyens d’exécution.
Courage donc! à l’instant même demandons-nous quel bien nous pouvons accomplir dès aujourd’hui? Et à cette question faite avec sincérité, notre conscience rendra certainement une réponse que Dieu par son Esprit nous donnera la force de réaliser.
Le jugement dernier
Le langage des élus et celui des réprouvés dans le tableau du jugement final, qui vient de passer sous nos yeux, présentent une particularité bien digne de remarque: dans l’une et dans l’autre de ces réponses, adressées au Roi récompensant la charité des uns et punissant la dureté des autres, les méchants et les bons disent également: «Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim ou soif, être étranger, nu, malade, ou en prison?»
Ces paroles, exactement les mêmes, sont cependant l’expression de pensées bien différentes, selon qu’elles sortent de la bouche des réprouvés ou des élus.
C’est pour se justifier de n’avoir pas donné que les méchants les prononcent, tandis que c’est pour repousser un éloge que les justes les font entendre; et dans les deux cas, ces mêmes mots peignent admirablement bien les sentiments de ces deux classes d’hommes.
En effet, quelque nombreux que soient les bienfaits que le chrétien a déjà semés autour de lui, il les juge toujours bien rares et bien légers, comparés à ceux qu’il aurait pu et de répandre. Aussi regarde-t-il moins derrière que devant lui; il ne s’arrête pas à dérouler l'ouvrage terminé pour s’en glorifier; mais il mesure de l’œil l’immense étendue de celui qui reste inachevé, et cette vue le stimule en même temps qu’elle l’humilie.
Sans doute le chrétien ne peut pas ne pas voir le bien qu’il a fait, mais ce qui le frappe surtout, ce sont les imperfections dont il est entaché, les motifs douteux qui l’ont inspiré, et les faibles résultats qui en sont sortis.
Demain il fera plus et mieux; cependant il trouvera encore des raisons pour s’humilier; et si, en traversant la vie, comme en face de la mort, il reste paisible,
◦ ce n’est pas que la pensée de ses bonnes œuvres le rassure,
◦ mais bien parce qu’il fonde son assurance uniquement sur le pardon acquis par Jésus-Christ.
Ainsi s’explique l’étonnement de ce chrétien, lorsqu’à la porte du Ciel il s’entend dire par Jésus: «J’ai eu faim, et tu m’as donné à manger; j'ai eu soif, et tu m’as donné à boire, car toutes les fois que tu as fait ces choses pour l’un de ces petits, tu les as faites pour moi-même.»
De son côté, bien au contraire, l’homme sans charité trouve dans ce monde mille moyens de justifier sa dureté de cœur, sous le nom de prudence, et ses refus aux indigents, sous prétexte de réserver ses secours pour des hommes plus intéressants ou plus nécessiteux.
S’il faut l’en croire, ceux qui s'adressent à lui, n’en sont pas dignes; d’ailleurs lui-même a ses besoins; enfin n’a-t-il pas déjà beaucoup fait, et ne l’a-t-on pas toujours payé d’ingratitude?
Si bien, qu’en vieillissant, son cœur se rétrécit, ses prétextes se multiplient, et finalement il s’aveugle à tel point, qu’il se croit juste et charitable, alors qu’il n’est qu’avare et égoïste.
Lui aussi meurt tranquille, mais quelle tranquillité?
Aussi comprend-on sa surprise à l’ouïe de ces paroles de Jésus: «J’ai eu faim et tu ne m’as pas donné à manger; j’étais en prison et tu ne m’as pas visité;» et sa stupéfaction en entendant cet arrêt: Maudit, va au feu éternel, préparé pour le Diable et ses anges.
◦ Maintenant, ramenons nos pensées sur nous-mêmes: sommes-nous satisfaits ou mécontents des bonnes œuvres que nous avons accomplies?
◦ Si nous en sommes mécontents, est-ce par humilité ou par remords de conscience?
◦ Pouvons-nous dire en tout cas que nous les ayons accomplies, non à cause de nous-mêmes, ou des hommes, mais véritablement à cause de Jésus-Christ, en sorte que ce soit comme à ses petits, à ses enfants, à ses créatures que nous ayons porté nos secours?
Autant de questions que nous ferons bien de nous adresser à nous-mêmes, et cela dès aujourd’hui, dans la crainte qu’un jour ce soit Jésus qui les fasse, à notre grande surprise et à notre éternelle confusion!
Ô Dieu de charité, amollis nos cœurs à la vue des souffrances de corps et d’âme qui frappent chaque jour nos regards; donne-nous de les sentir comme si elles tombaient sur nous-mêmes, ou plutôt comme si Jésus notre Sauveur vivait dans les malheureux que tu places sous nos pas; et qu'au jour du jugement ce soit à nous qu’il dise:
◦ «Venez, les bénis de mon Père, possédez en héritage le royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde!»
Calme de Jésus
Tout dans la nature marche dans une paix profonde, tout y progresse dans un silence majestueux.
L’astre qui nous éclaire semble immobile à l’œil qui le contemple; les fruits qui nous nourrissent se développent avec une lenteur que la plus longue patience ne peut suivre; les flots de l’Océan s'étendent et gravissent insensiblement sur les bords de la plage.
Le fleuve coule, la forêt s’agite, l’oiseau gazouille; mais à quelques pas, leur bruit nous échappe, et ce n’est que par exception, au sein des tempêtes, comme en soulèvent les ouragans et les hommes, que l’agitation et le bruit viennent troubler l’ordre paisible et doux de l’univers.
Telle est aussi l’image de Christ au milieu des hommes qui l’entourent.
Toujours calme, toujours paisible, ses traits et sa parole portent l’empreinte du Dieu qui gouverne le monde et créa l’univers.
Au milieu des scènes les plus tumultueuses, avec les motifs les plus légitimes pour s’agiter, Jésus reste ce qu’il est dans le repos, au sein de la prière, à l’abri de tout danger.
Suivons-le pendant ces jours où une mort certaine est sans cesse devant ses yeux, où chaque pas le rapproche du Calvaire, et contemplons ce visage empreint d’une sérénité qui fait du bien à l’âme.
Au milieu d’un festin, chez Simon le lépreux, une femme survient, et, dans un sentiment d’amour et de reconnaissance, verse un parfum précieux sur les pieds de Jésus. Le Sauveur, préoccupé de sa mort prochaine, voit dans cette action comme les préparatifs anticipés de sa sépulture, et sans se plaindre comme sans donner un éloge, il regarde faire cette pieuse femme.
Les Apôtres, au contraire, comme tous les hommes, hélas! plus émus à la vue des trésors matériels qu’à celle des sentiments religieux, blâment cette prodigalité; ils vont jusqu’à s’indigner contre Madeleine; Judas regrette au nom des pauvres une valeur de trois cents deniers que convoitait son avarice.
Eh bien! comment Jésus réprime-t-il ces mauvais sentiments envers la femme qui l’honore! Par cette simple et douce parole: «LAISSEZ-LA FAIRE.» Mais de l’irritation des Apôtres, pas un mot; pour la cupidité de Judas, pas un reproche; seulement cette douce exhortation: «LAISSEZ-LA FAIRE.»
Quelques jours plus tard, la veille même de sa mort, le Sauveur institue la sainte scène, et prédit à ses Apôtres que l’un d’eux doit le trahir. Le traître déicide est là, près de sa victime, et dit: «Est-ce moi?» — «Tu l’as dit», répond Jésus avec calme, et il n’ajoute pas la plus légère plainte.
◦ Quoi! l'auteur de ma mort est là, il me touche, me regarde, me parle; dans quelques heures il va me livrer à mes bourreaux, et je ne lui reprocherai pas sa lâcheté?
◦ Et je ne le couvrirai pas de honte?
◦ Et je contiendrai ma juste indignation!
Non, sans doute, c’est ce que moi, homme, je ne saurais faire; mais Jésus, mon Maître, n’est pas un homme; et sa douceur, sa paix inaltérables, sont empreintes ici pour me servir de modèle.
Enfin, accompagnons ce Prince de la paix, ce Roi débonnaire, qui, quelques jours auparavant, entrait impassible au milieu des acclamations triomphantes dans Jérusalem, accompagnons-le encore le même soir jusqu’au jardin des Oliviers.
Il vient prier son Père; il médite, non sur la mort violente qu’il accepte, mais sur l’isolement où vont tomber après lui ses disciples; et dans sa touchante sollicitude, il les compare au troupeau de faibles brebis dont les loups viennent de dévorer le berger.
Pour les rassurer, il leur annonce sa résurrection, et il pousse la tendresse jusqu’à les prémunir contre le découragement qui suivra leur coupable abandon.
Pierre, toujours ardent, s’indigne à la pensée qu’on puisse le supposer assez lâche pour délaisser son Maître; il se récrie, il proteste, il accuse presque le Sauveur de l’avoir calomnié.
Hélas! Jésus qui aurait pu confondre d’un mot cette présomptueuse, assurance en lui rappelant la faiblesse de sa foi sur la mer de Tibériade, Jésus lui répond, non pour lui faire un reproche, mais pour le prémunir contre le désespoir; «Avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois;» et un autre Evangéliste nous apprend que ce tendre Sauveur venait de dire à ce même Apôtre: «j’ai prié pour toi, que ta foi ne défaille point; quand tu seras relevé, fortifie tes frères.»
◦ Oh! Jésus, doux et paisible Maître, source du véritable calme, donne-nous ta paix, cette paix inconnue du monde, cette paix que rien ici-bas n’altère, et que toi seul peux donner, afin que notre vie soit tranquille, que notre cœur ne se trouble point, même dans l’épreuve, même à l’approche de la mort, et que nous passions avec une joie chrétienne dans ta paisible éternité!
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Pierre et Jésus comparés
Au milieu des scènes que nous venons de lire, deux figures principales se détachent de la foule des nombreux personnages; celle de Christ et celle de Saint Pierre.
Plaçons-les l’une à côté, de l’autre, et cherchons quelques instructions dans ce rapprochement.
Mais d’abord que cette comparaison du Maître avec le disciple, de la créature avec son Créateur, ne surprenne personne.
Rappelons-nous que si Jésus est Dieu de toute éternité, cependant sur la terre il a été fait homme semblable à nous en toutes choses, excepté dans le péché.
Soumis à tous les besoins de la nature humaine, exposé même à la tentation, il peut donc, à cet égard, nous être comparé; sans cela on ne comprendrait pas que la Bible nous le présentât comme un modèle dont nous sommes appelés à suivre exactement les traces.
Comparons donc Jésus, homme, à Pierre, homme aussi bien que lui.
Nous prenons le Sauveur au Jardin des Oliviers, et déjà nous le trouvons courbé sous le poids de la tristesse, à la pensée des souffrances et du supplice qui pour lui se préparent. Il entre à Gethsemané, ses angoisses augmentent; son âme, dit-il lui-même, est saisie de tristesse jusqu’à mourir.
Il veut que ses amis veillent auprès de lui; il demande s’il est possible que ce calice d’amertume lui soit épargné; il exprime jusqu’à trois fois ce désir, et son accablement est tel, son épreuve est si forte, on pourrait presque dire sa frayeur est si grande, que son corps se couvre de grumeaux de sang.
Mais une fois «l’heure venue,» il relève la tête, parle avec calme au traître qui l’approche, reprend avec noblesse la tourbe de soldats qui l’assaillent et marche à leur rencontre. Arrivé devant le Sanhédrin, interrogé par le Grand-Prêtre, Jésus donne lui-même avec assurance le témoignage qu’on le cherche pour le faire mourir: oui je suis le Christ, le Fils de Dieu; et il attend en silence sa sentence de mort.
Le juge la porte avec colère; Jésus l’entend avec calme et au même instant trouve assez de réflexion dans son esprit, assez d’amour dans son cœur pour tourner la tête au chant du coq, et jeter un regard sur son disciple renégat, afin de le soutenir contre son désespoir.
◦ Si donc nous voulions résumer la conduite de Jésus, du mont des Oliviers au tribunal du Grand-Prêtre, nous pourrions dire que son courage et sa force vont toujours en croissant.
Maintenant prenons Pierre au même point de départ.
Sous les Oliviers, il est plein de feu et jure que ni la prison, ni la mort ne pourront le séparer de Jésus.
À Gethsemané, il est déjà moins ardent, il ne peut pas même veiller; il s’assoupit, malgré les instantes prières de son ami et de son maître.
Plus tard, transporté de colère et non de courage, il saisit un glaive et frappe; mais bientôt il ralentit le pas, laisse passer devant lui le Sauveur et ne le suit plus que de loin.
Il entre timidement dans la cour du Grand-Prêtre, et tremblant de froid et de crainte, il s’y chauffe en silence, au milieu des ennemis de Jésus.
On lui demande s’il ne connaît pas ce Galiléen; il nie être des siens.
On lui répète la même question, il s’effraie encore et affirme avec serment que Jésus lui est inconnu.
Enfin une simple servante élève pour la troisième fois le même soupçon; alors Pierre renie le Fils de Dieu avec imprécation et tombe ainsi jusqu’au dernier degré de faiblesse et de honte!
◦ Si nous voulions résumer aussi sa conduite, nous pourrions dire que, du mont des Oliviers au tribunal de Caïphe, son courage, à l’inverse de celui de Jésus, est allé sans cesse en faiblissant.
D’où vient cette différence entre Jésus et Pierre?
Comment l’un croit-il en force jusqu’à l’héroïsme et l’autre en faiblesse jusqu’à la lâcheté?
La réponse est facile: à Gethsemané:
Jésus par trois fois avait prié,
et Pierre par trois fois s’était endormi.
Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende!
Oh! mon Dieu, que ta Parole est fertile en leçons et que ses enseignements sont clairs et précieux.
Oui, Seigneur, près de toi se trouve la force, et en nous la présomption; apprends-nous donc à nous connaître, afin que nous tremblions sur nous-mêmes, et à te connaître toi-même, afin que nous allions te prier avec ardeur, avec larmes jusqu’à ce que tu nous aies fortifiés
Pilate laissant faire le mal
En écoutant le récit que nous venons de parcourir, le chrétien ne peut se défendre d’un sentiment d’intérêt en faveur de ce malheureux gouverneur romain, de ce Pilate qui consent, mais comme malgré lui, à la mort du Sauveur.
On lui sait gré d’avoir reconnu que Jésus innocent était poursuivi par l’envie; on suit avec plaisir les efforts qu’il fait pour le justifier, et ses déclarations répétées qu’il n’a trouvé en lui aucun sujet de condamnation; on aime à le voir pour sauver l’innocent saisir l’occasion que lui fournit son droit de faire grâce.
Il n'est pas jusqu’à l’avis de sa femme, jusqu’à ses ablutions de mains qui n’inspirent une certaine compassion pour cet homme se débattant contre la complicité du crime.
Ce n’est pas tout: en général, nous plaignons plus que nous ne blâmons les hommes qui, comme Pilate, se laissent entraîner dans des fautes que, livrés à eux-mêmes, ils eussent été incapables de commettre; et, passant de cette disposition indulgente envers les hommes faibles à un jugement analogue envers nous-mêmes, nous sommes assez disposés à nous excuser du mal dont nous n’avons pas pris l’initiative, mais que d’autres nous ont conduits à accomplir. «On me l’avait conseillé, dit l’homme faible; j’ai résisté d’abord; je n’ai cédé qu’à regret;» et dès lors le malheureux se croit à demi justifié.
De fait, un tel homme est doublement coupable:
◦ Coupable, comme le méchant, puisqu’il accomplit le même mal
◦ et coupable encore pour avoir mieux que lui connu, apprécié, aimé le bien et ne l’avoir pas fait.
Sans la participation des hommes faibles, les violents seraient presque toujours arrêtés dans leurs projets, et de grands maux épargnés au monde, comme sans le consentement de Pilate, la rage de Caïphe restait impuissante.
La Providence a tellement distribué les rôles dans le grand drame de l’histoire, que l’action des pervers est à chaque pas paralysée par la résistance passive de ceux qui leur refusent de les laisser faire ou passer; dès lors le mal ne devient possible que par le concours d’un certain nombre de volontés.
S’il en est ainsi, comment dire que l’homme qui acquiesce au mal est moins coupable que l’homme qui le propose?
Le bras dira-t-il à la tête: c’est toi qui m'as conseillé, tu dois porter les conséquences de la faute commune?
Et si l’homme faible tient ce langage, sera-t-il pour cela justifié devant Dieu?
La Parole de ce Dieu va nous répondre.
◦ Adam dit à l’Éternel: c’est la femme qui m’a conseillé; et cependant Adam lui-même fut maudit!
◦ Ève dit au Seigneur: c’est le serpent qui m’a séduite; et toutefois Ève elle-même fut condamnée!
◦ Roboam ne fit que suivre l’avis de ses jeunes amis, et, néanmoins, dix tribus furent retranchées à Son royaume!
Que dirons-nous encore?
◦ Ananias n’agit-il pas d’après le consentement de Saphira?
◦ Hérode ne se rendit-il pas à la prière de la fille d’Hérodias?
◦ Judas ne dut-il pas son crime aux suggestions de Satan?
Et pour tout cela, Ananias, Hérode, Judas furent-ils tenus pour innocents?
Qu’en a-t-il donc été de Pilate? ou plutôt qu’en sera-t-il de nous-mêmes, si sous prétexte qu’on est venu nous solliciter, pousser notre main, arracher notre parole, nous consentons par faiblesse au mal qu’on vient nous suggérer?
Hélas! après avoir parcouru l’histoire il est facile de répondre:
L’homme faible qui consent à aider ou laisser faire le mal,
est tout aussi coupable que celui qui le lui demande.
Devant le tribunal de Dieu, il importera peu de s’appeler Caïphe ou de se nommer Pilate.
VEILLONS DONC POUR REPOUSSER UN MAUVAIS CONSEIL AUSSI BIEN QUE POUR ÉVITER UNE MAUVAISE ACTION.
Les voies de Dieu ne sont pas nos voies
Oui, cette parole est profondément vraie: «Les voies de Dieu ne sont pas nos voies.»
Le chemin que le Seigneur prend est toujours celui auquel nous n’aurions pas songé; aussi sommes-nous étonnés quand nous voyons que par ces moyens inattendus le but est parfaitement atteint.
◦ À la première page de cet Évangile, un Sauveur nous était annoncé, et à la dernière nous n’en trouvons plus: Jésus est mort, ses Apôtres sont dispersés, ses amis sont abattus, et le plus courageux vient ensevelir leur Maître avec leur dernière espérance.
◦ Naguère ce Jésus enseignait le peuple, contenait les grands, faisait des miracles, sauvait les autres, comme disent les scribes et les sénateurs; et maintenant, exposé sur une croix, il ne peut se sauver lui-même!
◦ À son entrée triomphale à Jérusalem, la foule crie: «Hosanna! Gloire au fils de David!... » Et le lendemain ce n’est plus un libérateur, plus un roi; il déclare lui même que son règne n’est pas de ce monde.
◦ Hier il se disait le Fils unique de Dieu, il assurait avoir à son service plus de douze légions d’anges: aujourd’hui il est abandonné de ceux mêmes qu’il appelait ses disciples, et de Dieu qu’il nommait son Père.
Et qui nous apprend tout cela?
Qui nous dévoile la honte dont on le couvre?
Qui nous révèle que Jésus fut conduit en criminel à Golgotha, flagellé par des soldats, conspué par des esclaves, mis au rang des brigands et crucifié de la main des bourreaux?
Qui fait tous ces aveux et nous présente couvert d'ignominie celui qu’à la première page il voulait nous faire adorer sous le nom d’Emmanuel?
C’est Matthieu, un de ses premiers Apôtres!
Ces étranges événements ne bouleversent-ils pas toutes nos idées humaines?
Est-ce ainsi qu’on marche à la conquête de l’univers?
Est-ce ainsi qu’on délivre un peuple?
Oui, c’est ainsi que Dieu, sinon les hommes, accomplit les brillantes promesses de son Fils:
◦ cette honte, ces injures, ces souffrances, cette mort sont elles-mêmes les moyens du salut, qui semblait désespéré;
◦ cette mort est une expiation, c’est la mort de la victime tombée dans le combat qui nous donne la victoire.
À l’heure où nous estimions tout perdu, tout se trouve accompli,
et notre juge apaisé ne veut plus voir en nous que l’image de celui qui nous a rachetés.
Devant nous plus de jugement, mais un pardon; devant nous, non plus la loi, mais la grâce; et si Jésus n’a pas voulu fouler ici-bas un royaume pour nous y donner le titre de citoyens, c’est qu’il voulait NOUS FAIRE ROIS DANS L’ÉTERNITÉ.
Cette parole, une fois prononcée par les Apôtres, expliquée par le Saint-Esprit, répandue dans le monde, les voies de Dieu sont comprises; cette mort ignominieuse, ces verges flétrissantes, ces crachats insultants deviennent des sujets de gloire et s’anoblissent en tombant sur un Sauveur.
La croix, jadis signe de honte, instrument de supplice comparable à celui de nos jours qu’on n’ose pas nommer, la croix de l’esclavage se sanctifie et brille depuis dix-huit siècles comme l’étoile des nations.
Les voies de Dieu deviennent les voies des chrétiens; comme leur maître, ceux-ci apprennent à souffrir, à s’humilier, à croire, à prier pour mourir enfin au péché et vivre à la justice.
◦ La croix n’est plus pour eux une folie; c’est la sagesse de Dieu.
◦ L’homme devenu croyant ne songe plus à escalader le Ciel sur le monceau de ses mauvaises œuvres, il consent à s’y laisser transporter PAR LA FOI EN JÉSUS-CHRIST.
Telle est l’œuvre accomplie par cette mort, abîme insondable sur la voie de l’homme, mais phare lumineux qui, sur la voie de Dieu, nous montre le pécheur sauvé à l’instant même où le pécheur se croyait perdu.
Oh! Dieu, que ta sagesse est profonde, que ton amour est vaste! Que ne pouvons-nous les imiter comme nous les admirons! Transforme, Seigneur, cette connaissance en sainteté, et que notre vie porte enfin les fruits dont les germes ont été déposés en nous par ton Saint-Esprit!
Comment savez-vous que vous êtes sauvé
Le monde demande parfois au chrétien:
◦ comment il s'est assuré que les faits sur lesquels reposent sa foi sont vrais;
◦ comment il s’est convaincu que les trésors qu’il espère lui seront accordés.
◦ Comment savez-vous si Jésus est bien mort pour vos péchés,
◦ et comment savez-vous qu’il vous donnera une vie éternelle, sainte et bienheureuse?
Je sais que Jésus est mort pour mes péchés, parce qu’il n'est en moi aucun besoin plus vivement éprouvé que celui du pardon, et quand l’Évangile vient me dire: Jésus te fait grâce et te sauve, PAR CELA SEUL JE PRESSENS QUE CE LIVRE ME DIT LA VÉRITÉ.
Je sais que Jésus me donnera pour le temps et dans l’éternité une vie sainte et heureuse, parce que depuis que j'ai reçu cette promesse dans mon cœur, les prémices m’en ont été données; ce n’est plus une espérance, c’est une réalité; ce n’est plus une attente, c’est une expérience faite.
La foi est là, le Saint-Esprit est là, l’amour est là; je les sens dans mon cœur, et j’ai pour garant de l’avenir le présent même; JE SAIS QUE JÉSUS TIENDRA SA PAROLE, PARCE QU’IL LA TIENT DÉJÀ.
En les quittant, Jésus a dit à ses disciples: «Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde;» et la preuve que ces paroles sont vraies, c’est qu’en moi, son disciple, un des anneaux de la chaîne qui traverse les siècles, se réalise aujourd’hui, sans que j’en puisse douter, l’exactitude de cette promesse: «JE SUIS AVEC VOUS JUSQU’À LA FIN DU MONDE.»
◦ Que le mondain se récrie, qu’il refuse de me croire, ce n’est pas pour lui, c’est pour moi que je sens, et cela me suffit.
Mais il y a plus: cette parole que je sais accomplie en moi, s’est accomplie en d’autres.
Des chrétiens de tous les lieux et de tous les temps, ont affirmé pour eux ce que nous affirmons pour nous, c’est que Christ était avec eux.
Ces chrétiens nous ont laissé des feuilles où chacun à son tour nous a retracé sa propre expérience, et chose merveilleuse! Cette expérience, toujours incomprise par le monde, se trouve être identique chez les chrétiens des siècles les plus distants et des lieux les plus opposés, en même temps qu’elle est identique à la nôtre;
◦ eux aussi se croient sauvés;
◦ eux aussi éprouvent la paix;
◦ eux aussi sentent dans leur âme s’agiter le Saint-Esprit;
◦ et, grâces en soient rendues à Dieu, par leur expérience si souvent répétée, ils servent de contre-épreuve à la réalité et à la vérité de nos propres sentiments.
Pour dire que nous nous abusons, il faudrait dire que les chrétiens s’abusent depuis dix-huit siècles sur ce qui se passe en eux-mêmes!
Oui, Jésus est avec nous.
Toutefois, il faut aussi le dire, le sentiment de cette présence n’est pas toujours d’une égale vivacité, et nous ne sommes pas plus maîtres de le fixer dans notre coeur, que nous ne le serions de nous donner la vie, si nous n’existions pas; ou de la retenir, malgré Dieu, maintenant que nous existons.
Cette faiblesse doit nous humilier; nous rendre vigilants, car si nous ne pouvons pas disposer à notre gré de cette présence bienheureuse, de cette union si douce, nous savons cependant par expérience:
1. que le péché la suspend,
2. que la sanctification la retient,
3. et que la prière la ramène.
Nous ne sommes pas Dieu pour agir à sa place; mais nous avons reçu le précieux privilège de disposer de lui en l’appelant dans notre coeur.
Prions donc sans cesse, veillons sans nous lasser.
Ces deux mots résumeront toujours la tâche du chrétien
Immensité des dons de Dieu
Nous apprenons par un autre Évangéliste que l’appel de Pierre, de son frère et des deux fils de Zébédée, tous quatre pécheurs sur le lac de Génésareth, fut précédé d’une pêche miraculeuse qui dut convaincre ces nouveaux Apôtres, que le maître qu’ils allaient suivre était bien le Fils de Dieu.
En effet, à la vue des milliers de poissons sous le poids desquels le filet se rompait, Simon Pierre s’écria: «Seigneur, retire-toi de moi qui suis un homme pécheur.»
Quel ne dut donc pas être l’étonnement de ce même Apôtre, lorsque Jésus, au lieu de l’abandonner, lui dit: «Je te ferai pêcheur d'hommes?»
Quelle ne dut pas être sa surprise en se voyant, lui, pauvre artisan, homme ignoré, créature pécheresse, appelé à suivre, en qualité d’Apôtre, le Fils de Dieu et à travailler avec lui à la conversion du monde!
Cet étonnement ne put-il pas se changer en défiance, en doute, je dirai presque en humble incrédulité?
C’est du moins là ce qui nous arrive à nous-mêmes, faibles et coupables créatures appelées aussi par Jésus à une vie céleste, heureuse et sans fin.
Comment, moi, si petit dans l’espace, si faible dans la création, moi d’une vie si courte dans la suite des siècles, d’une ignorance si profonde au milieu des merveilles de l’univers, enfin moi, souillé dans mes pensées, dans ma vie et jusque dans mes projets, comment oserais-je espérer qu’une vie éternelle me sera donnée, que je serai transporté dans le Ciel, que j’y verrai face à face mon Créateur?
Compter sur une aussi magnifique destinée, ne serait-ce pas de ma part la plus folle des présomptions?
Et entraîné par ces réflexions qui semblent inspirées par l’humilité, nous tombons de l’espérance dans le doute, du doute dans l’incrédulité.
Mais si nous voulons mieux y réfléchir, nous comprendrons que le motif qui nous fait craindre est précisément celui qui devrait nous faire espérer.
L’humilité ne consiste pas à reconnaître que nous méritons peu,
mais à reconnaître que nous ne méritons RIEN.
Si l’offre du Ciel et de l’éternité nous paraît trop grande pour nous, c’est parce que nous la comparons à nos droits, et que nous sommes effrayés de la disproportion.
Mais si, faisant un pas de plus, nous arrivons à reconnaître que nos mérites sont, non pas faibles, mais nuls, n’espérant rien de nous, NOUS ATTENDRONS TOUT DE DIEU.
Dès lors, comment oserions-nous nous défier de cette bonté?
Dire que le don du Ciel est trop magnifique, serait dire que le Seigneur n’est pas assez miséricordieux pour le faire; dire qu’une vie éternelle est trop longue, serait dire que Dieu n’est pas assez puissant pour la donner.
◦ En un mot, vouloir amoindrir les dons, c’est rabaisser le Donateur.
Ah! s’il y a quelque chose de véritablement étrange dans tout ceci, c’est que nous mesurions Dieu sur nous-mêmes, et que, parce que nous sommes incapables de donner sans limite, nous limitions la bonté de notre Dieu.
Élevons notre esprit à la hauteur de ses pensées; montons notre cœur à l’unisson de son amour, et si nous ne pouvons le faire, parce que notre cœur et notre esprit sont trop étroits, du moins ne jugeons pas le Seigneur de l’univers d'après nous, infimes créatures; mais comparons Dieu à Dieu.
Regardons ce que pour nous il a voulu faire dans la nature, et nous comprendrons ce qu’il peut vouloir accomplir dans le règne de la grâce: c’est pour nous qu’il a créé cette terre, si vaste et si fertile, et suspendu dans les cieux l’astre qui nous éclaire et nous réchauffe. Tout cela ne vous semble-t-il pas trop grand, trop beau, pour de si faibles créatures?
Si l’on nous montrait pour la première fois les merveilles de la création, oserions-nous penser que toutes ont été faites pour nous?
Non, sans doute; et cependant les rapports admirables de cet univers avec nous-mêmes, les fruits que nous en tirons chaque jour, prouvent jusqu’à l’évidence que tout cela a été créé pour être dominé par l’homme.
Par là comprenons donc la munificence de notre Dieu et n’attendons pas moins à l’avenir qu’il ne nous a donné dans le passé.
◦ Oui, le Dieu de la grâce peut être prodigue, car les dons ne coûtent rien à son pouvoir, et l’éternité seule égale son amour!
Jésus-Christ, homme et Dieu
L’histoire de Jésus-Christ renferme deux vies distinctes: l’une humaine, l’autre divine, et qui, cependant ne peuvent être séparées l’une de l’autre, ni oubliées l’une ou l’autre sans inconvénient.
◦ Jésus parle avec une autorité qui étonne et convainc la foule; d’un mot il guérit les malades, chasse les démons, ressuscite les morts; VOILÀ LE DIEU.
◦ D’un autre côté, il éprouve le besoin d’être secouru, et il prie; à la vue des souffrances d'un lépreux, il est ému de compassion, comme nous le serions en voyant souffrir un de nos semblables; il a faim et soif, il cherche le repos, il est même soumis à la tentation; VOILÀ L’HOMME.
Et cette vie dans son ensemble, pleine à la fois de miracles et de besoins, nous présente l’image parfaite de l’Homme-Dieu.
Oui, l’oubli de l’une ou de l’autre face de cette double nature entraîne pour nous un égal danger.
◦ Si nous perdons de vue que Christ est Dieu, nous n'aurons plus assez de confiance en lui pour le prier, et nous reposer sur lui de l'accomplissement de notre salut; nous le considérerons comme un aide, non comme un Sauveur.
◦ Si nous oublions qu’il est homme, nous regarderons sa vie terrestre comme au-dessus de l’humanité, et tout en l’admirant nous ne songerons jamais à l’imiter. C’est surtout cette dernière erreur qu'il importe de combattre.
La vie de Jésus dépasse tellement notre vie en sainteté, que nous finissons par prendre ce qui est pour ce qui devrait être, et parce qu’aucun homme à notre connaissance n’a jamais atteint cette noble stature, nous en concluons qu’il ne nous est pas donné d’en approcher.
Mais remarquons qu’il ne s’agit pas de savoir ce que nous faisons, mais bien ce que nous devrions faire.
Il s’agit, non d’examiner autour de nous si les plus grands chrétiens sont arrivés à la hauteur de Christ, mais d’écouter ce que dit la Parole:
«Christ nous a laissé un modèle afin que nous suivions ses traces.»
«Soyez mes imitateurs, dit Saint Paul, comme je le suis de Jésus-Christ,»
et enfin nous apprenons ailleurs que le Seigneur a tout disposé ici-bas pour que nous parvenions «à la stature parfaite de Christ.»
Sans doute, voilà ce que nous ne sommes pas; tant s’en faut! mais il n’en est pas moins vrai que voilà ce qu’on nous demande d’être.
N’élevons donc pas entre la vie humaine de Christ et la nôtre une barrière imaginaire, afin de nous dispenser d’atteindre notre Maître.
Ne nous imaginons pas que nos prétentions modérées à la sainteté soient de l’humilité; non, C’EST DE LA PARESSE, C’EST DE LA LÂCHETÉ; nous ne nous lamentons sur notre passé que pour mieux nous excuser dans notre avenir.
◦ Dès que Christ nous est présenté comme modèle, disons-nous bien que nous pouvons le suivre, et au lieu de nous effrayer de sa haute perfection, réjouissons-nous d'être invités à marcher sur les pas du Fils de Dieu.
Il est vrai qu’en nous réjouissant d’être appelés à un tel privilège, nous pouvons craindre de rester incapables d’en jouir; mais acceptons cette humanité de Christ dans toute son étendue, et nous verrons que si, d’une part, elle nous impose une grande tâche, de l’autre, nous trouvons aussi en elle les moyens de l’accomplir.
◦ Si Jésus, vrai homme, a pleuré comme nous, souffert comme nous; s’il a été ému et tenté comme nous, il mesure donc bien toute la force de nos propres tentations, toute la faiblesse de notre humanité; il connaît donc d’avance toutes nos expériences, et dès lors il compatit à nos misères, comme il eut compassion de celles de ce pauvre lépreux.
Jésus n’est pas un juge superbe et dédaigneux, qui laisse impitoyablement tomber le glaive de la loi sur le coupable: c’est un père tendre, un Frère affectionné qui s’abaisse jusqu’à nous, petits enfants, pour nous soutenir et nous encourager.
En voyant nos combats, nos souffrances, il se rappelle les avoir supportées, et, sous l’impression de ce souvenir, il prend pitié de nous et nous offre, avec ses sympathies, son puissant secours.
Ouvrons-lui donc, sans crainte de l’offenser, notre âme fatiguée par le péché, tourmentée par la tentation, en proie à tous les mauvais désirs, et soyons sûrs que, loin de nous repousser, ce Frère nous attirera vers lui, nous prendra dans ses bras pour nous réchauffer sur son cœur.
◦ Oui, Jésus est notre Dieu; mais il est notre ami, notre Sauveur, notre avocat, en un mot, notre frère; un frère qui s’est donné pour nous sur la terre et qui, pour nous, prie encore dans les Cieux.
L’homme est-il sauvé par la foi ou par les œuvres?
Il n’est pas de question qui ait été plus souvent agitée dans l’Église que celle-ci: l’homme est-il sauvé par la foi, ou par les œuvres?
Remarquons, avant tout, qu’il n’est pas possible de trouver un terme moyen entre ces deux opinions, car le Saint-Esprit lui-même dit par la bouche de Saint Paul:
«Si c’est par la foi, ce n’est pas par les œuvres,
et si c’est par les œuvres, ce n’est pas par la foi.»
Comment donc a-t-on pu tomber dans une telle discussion, et puiser dans la même Bible des arguments à l’appui des deux opinions?
Le voici.
◦ OUI, la Parole de Dieu présente les bonnes œuvres comme le moyen d’obtenir la vie éternelle; et en même temps, oui, elle présente la foi comme le seul moyen d’être sauvé. Est-ce là une contradiction?
◦ NON; comme deux voies peuvent mener au même but, les œuvres et la foi peuvent conduire également bien à la félicité éternelle.
Mais évidemment pour arriver par un chemin, il faut le suivre, ce chemin; pour être sauvé par la foi, il faut l’avoir, cette foi; comme pour être sauvé par les œuvres, il faut posséder ces œuvres.
La question se transforme donc en celle-ci:
◦ Avons-nous la foi?
◦ Avons-nous les œuvres?
Dès lors elle est bien facile à résoudre.
Si de fait il ne se trouve aucun homme qui ait accompli les œuvres imposées par Dieu, aucun ne sera donc sauvé par elles!
À ces mêmes hommes qui auront manqué la première voie de salut, restera la seconde; condamnés pour n’avoir pas agi, ils pourront être sauvés pour avoir cru.
La question de théorie, ainsi transformée en question d’expérience, devient on ne peut plus claire, dans notre propre histoire comme dans le Nouveau-Testament.
Dans le chapitre que nous venons de lire, nous voyons que C’EST À CAUSE DE SA FOI QUE JÉSUS PARDONNE LE PARALYTIQUE.
Ainsi nous avons déjà vu et nous verrons encore de nombreux exemples où Jésus répète cette parole devenue presque une formule: «VA, TA FOI T’A SAUVÉ.»
Mais une circonstance digne de remarque, c’est que ce même
JÉSUS N’A JAMAIS DIT À UN SEUL HOMME:
Va, tes œuvres t’ont sauvé.
L’esprit de ses discours est si contraire à cette pensée, que cette expression seule nous choque; notre oreille est blessée, notre cœur froissé en entendant ces mots: Va en paix, tes œuvres t’ont sauvé.
Quoi! il y aurait des hommes sauvés par leurs mérites, et Jésus n’en aurait jamais rencontré aucun?
Quoi! il existerait des justes, et pas un ne serait venu vers lui pour recevoir son approbation?
Non, non, il n’y a qu’un seul bon, dit Jésus lui-même au jeune seigneur qui se croit capable d’accomplir la loi, et ce seul bon, «c’est Dieu.»
Si le Sauveur n’a promis la vie éternelle à personne comme récompense, c’est que personne ne l’avait méritée: «Personne, dit Saint Paul, ne sera justifié par les œuvres de la loi.»
Eh! maintenant que m’importe de savoir que les bonnes œuvres ouvrent le Ciel à moi qui sais avant tout que je n’ai pas ces œuvres?
◦ M’apprendre que les bonnes œuvres sauvent,
◦ c’est m’apprendre que je suis condamné, et c’est précisément ce que la loi fait à mon égard.
Promulguée, pour m’obtenir la vie, si je l’avais observée, il se trouve qu’elle me donne la mort pour l'avoir violée.
Mais grâces à Dieu en même temps que cette loi m’effraie, elle me pousse par la frayeur même à chercher mon salut dans ma confiance en Jésus-Christ.
Je pouvais être sauvé par la sainteté, c’est vrai; mais je n’ai jamais été que pécheur, il ne me reste donc que la foi pour dernière ancre de salut.
Oui, Seigneur, je n’en veux pas d’autre, elle seule convient à ma faiblesse, elle seule me rassure; elle seule, par la joie qu’elle me donne, peut me sanctifier.
◦ Tu m’as pardonné mes péchés, comme au paralytique; comme lui, je vais me lever à ton commandement pour faire ta volonté.
Conduite de Jésus envers Judas
Le Sauveur se choisit douze Apôtres, et dans ce choix il fait entrer Judas qu’il sait devoir le trahir.
Quelles ne durent pas être les angoisses secrètes de ce bon Maître pendant son ministère, en voyant chaque jour attaché à ses pas, assis à sa table, admis dans son intimité, un homme capable de le livrer à la mort pour trente pièces d’argent!
Suivons-Ies l’un et l’autre par la pensée:
◦ Jésus instruit le peuple, et Judas épie ses paroles pour y puiser un sujet d’accusation;
◦ Jésus se retire en prière à Gethsemané, et Judas marque la place pour venir l’arrêter;
◦ Jésus collecte des aumônes en faveur des pauvres, et Judas s’en fait le porteur pour mieux s’en emparer.
De pas en pas ces deux vies se heurtent, et le coup retentit au fond de l’âme du Sauveur, qui peut, à chaque instant, se dire: voilà l’instrument de ma mort!
Toutefois, au milieu des agitations inévitables que ces pensées jettent dans le cœur de Jésus; jamais le Maître n’adresse un reproche au disciple, jamais il ne montre contre lui un simple mouvement d’impatience; que dis-je! à la dernière Cène, Jésus parle à Judas avec calme, et une heure plus tard, quand le traître arrive, suivi de ses satellites, et dépose, comme sceau de son hypocrisie, un baiser sur le front du Sauveur, Jésus lui dit encore: «Mon ami, quel sujet t’amène?» Jésus, appeler Judas son ami? Admirable douceur! ineffable charité!
De cette conduite de Jésus envers Judas, rapprochons notre conduite envers ceux dont nous avons à nous plaindre: quelle distance, quel contraste, quelle criante opposition?
Ne demandons pas à quel degré d’exaspération nous transporteraient la présence et les caresses d’un ennemi mortel, livrant par un faux témoignage notre tête au bourreau; non, grâce à Dieu, nous ne sommes pas soumis à une telle épreuve; mais demandons-nous quelles seraient nos dispositions, pour des hommes coupables envers nous d’un manque d’égard, d’un oubli des convenances, d’une parole un peu vive; qui sait? Coupables peut-être de ne pas nous avoir assez haut placés dans son estime!
Des torts semblables, insignifiants aussi longtemps qu’ils s’adressent à d’autres, deviennent énormes dès qu’ils tombent sur nous-mêmes; que le méchant offense Dieu, nous n’en prendrons guère de souci; mais qu’il nous blesse, il est impardonnable!
Nous vieillirons peut-être, mais ce souvenir ne vieillira pas dans notre cœur, nous en reparlerons encore après des années dans le monde, et nous croirons être bien modérés en refoulant les reproches directs prêts à s’échapper de nos lèvres.
◦ Que serait-ce donc si ce malheureux, au lieu de nous avoir offensés dans le passé, se proposait de nous nuire à l’avenir?
◦ Que serait-ce si nous apprenions que tout en nous souriant, il nous déchire, tout en se disant notre ami, il machine contre nous une intrigue?
Ah! nous n’aurions pas assez de force, pas assez de paroles pour exprimer notre indignation, et toute notre clémence irait peut-être jusqu’à fuir avec horreur et pour toujours l’homme dont nous consentons à ne pas nous venger.
Est-ce là le sentiment chrétien?
Non, certainement non. C’est peu de laisser la vengeance de fait au Seigneur, il faut encore déposer toute haine, tout souvenir irritant du passé.
Le chrétien ne songe à son ennemi que pour le plaindre, s’il peut, il l’exhorte; et s’il ne le peut pas, il le recommande encore à la grâce de son Dieu.
Une telle conduite paraîtra difficile, impossible peut-être; ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle serait chrétienne, que Christ a supporté sans se plaindre, durant des années, Judas devant ses yeux; et qu’à moins de renier notre Maître, nous devons tendre à l’imiter.
Ah! les offenses nous paraissent bien plus excusables quand elles viennent de nous, et le pardon bien plus naturel quand nous le réclamons de nos frères.
Combien de fois n’avons-nous pas témoigné notre surprise que tel homme jadis, légèrement blessé par nous, ait pu conserver si longtemps le souvenir d’une piqûre si légère.
Oublions donc nous-mêmes comme nous voudrions qu’il eût lui-même oublié, ou plutôt rappelons-nous cette parole du Sauveur:
◦ «Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, Dieu vous pardonnera les vôtres; mais si vous ne leur pardonnez pas, Dieu ne vous pardonnera pas non plus!»
Cette sentence devant les yeux, qui oserait se venger?
Oh Dieu! non seulement pardonne-nous,
mais apprends-nous à pardonner.
La parenté avec Jésus
Il n’y a pas dans toute la Bible une parole plus agréable à entendre pour nous, chétives créatures, que celle prononcée par Jésus se tournant vers ses Apôtres: «Voilà mes frères, mes sœurs et ma mère.»
Cette pensée, douce et noble, surprend et charme; on l’étudie, on la répète, et toujours elle apparaît nouvelle et fraîche, versant un baume sur notre âme. Être le frère du Fils de Dieu, être la sœur de Jésus-Christ! enfin être de la famille du Créateur de l’univers et du Sauveur des hommes! Oh! cela touche le cœur, anoblit l’esprit; cela fait aimer, et donne de la dignité.
À ce premier mouvement de joie, excité par la déclaration de Jésus, succède presque une pensée de crainte.
On se surprend à douter qu’une telle parenté soit possible.
◦ Comment des êtres qui n’étaient pas hier, qui chaque jour se traînent dans le péché, dont la vue bornée ne porte pas jusqu’à demain, prétendraient-ils entrer jamais dans la famille du Saint des saints, du Seigneur des seigneurs?
Cette appréhension, qui se comprend quand on fixe ses regards sur le contraste de notre petitesse avec la grandeur de Dieu, s'affaiblit et disparaît lorsqu’on examine l’admirable moyen que Jésus nous indique pour établir cette parenté: c’est, dit-il, «de faire la volonté de Dieu.»
En effet, quoi de plus propre à rapprocher des êtres, à les mettre de niveau, à les unir d’affection, que de leur donner une même volonté?
Rassemblez des créatures d’un même âge, d’un même sexe, d’une même intelligence, d’une même passion, vous ne formerez jamais qu’une foule sans cohésion, une réunion sans sympathie; leur ressemblance sur ces divers points, en portant leurs désirs sur les mêmes objets, suscitera peut-être au milieu d’eux des rivalités, des divisions, des haines, et, finalement, il faudra séparer les prétendants pour rétablir la paix.
Mais rapprochez des hommes qui n’aient qu’une seule volonté, fussent-ils d’âges, de sexes et de goûts différents, vous les verrez se chercher, s’unir, se plaire ensemble, se façonner les uns sur les autres, se ressembler enfin comme les membres d’une famille.
Tel est le moyen que Jésus met en jeu pour mettre de l’unité et de la ressemblance dans cette famille où les hommes peuvent prendre place à côté de lui, de son Père et du Saint-Esprit.
Pour être le frère de Jésus, il n’est pas nécessaire d’être à la hauteur de son intelligence ou de sa sainteté, il suffit:
◦ de vouloir ce qu’il veut,
◦ de faire ce qu’il fait,
◦ d’aimer ce qu’il aime,
comme l’aïeul et l’arrière-petit-fils, à travers leur distance d’âge, de force, de facultés, se ressemblent et sont parents, s’aiment d’un même amour et sont également heureux.
Et d’ailleurs cette parenté réelle que Jésus nous offre d’établir avec lui, n’a-t-elle pas déjà commencé entre chrétiens sur cette terre?
Vous qui avez cru et qui avez rencontré un croyant, n’avez-vous pas senti à son approche que vous apparteniez tous deux à la même famille?
Une sympathie secrète ne vous a-t-elle pas portés l’un vers l’autre?
Ne vous êtes-vous pas compris dès les premières paroles?
Sans doute; et une heure après votre rencontre, vous aviez déjà confiance l’un à l’autre, comme avant de vous quitter vous avez reconnu que vous étiez parents, et parents pour l’éternité!
S’il en est ainsi entre nous, faibles nourrissons du même Évangile, pour le peu de pensées, d’espérances et d’amour que nous avons puisé dans son sein, comment n’en serait-il pas de même de nous avec Jésus, la source même de ces pensées, de ces espérances et de cet amour?
◦ C’est de sa vie que nous vivons; c’est sa sève qui pénètre et monte en nous, qui nous vivifie et fait, du cep et du sarment greffé, une seule et même plante.
Oui, quiconque fait la volonté de Dieu se transforme à son image, entre dans sa famille, devient frère, sœur ou mère de Jésus-Christ.
Fortifions donc cette parenté spirituelle en confondant toujours plus notre volonté avec la volonté de Dieu. Ce n’est pas seulement un conseil que Jésus nous donne, c’est une force qu’il nous offre; allons la chercher où lui-même l’a trouvée, dans le sentiment qui lui fit dire: «Mon Père, que ta volonté soit faite et non pas la mienne.»
Oui, la prière, c’est toujours là qu’il faut en revenir, car c’est elle qui lie le Ciel à la terre, la créature au Créateur, et qui du Dieu trois fois saint, Père, Fils et Saint-Esprit, fait pour nous un tendre père, un frère bien-aimé et un doux consolateur.
La parabole du Semeur
Attentivement examinée, la parabole du Semeur laisse dans l’esprit une impression sérieuse, on pourrait presque dire effrayante.
Des quatre classes d’auditeurs qu’elle place en face de la Parole de Dieu, UNE SEULE EST VRAIMENT ATTENTIVE, du moins attentive à salut, tandis que les trois autres oublieuses, à différents degrés, RESTENT SOUS LA CONDAMNATION.
Quel avertissement pour une assemblée chrétienne, ne fût-elle composée que de quatre personnes! Que chacun de nous la prenne donc au sérieux et voie à laquelle de ces classes il appartient.
◦ Ne vous est-il jamais arrivé d’entendre une lecture de la Bible dans un culte domestique, sans qu’un seul mot ait fait impression sur votre esprit, en sorte que, le livre refermé, vous étiez aussi calme qu’avant qu’il eût été ouvert?
◦ N’avez-vous pas quelquefois entendu, sans l’écouter, un discours chrétien, dont huit jours plus tard vous n’auriez pas même pu rappeler le sujet?
C’est ici le grand chemin dont parle Jésus; c’est la Parole répandue par le Semeur, enlevée par Satan.
◦ Ne vous est-il jamais arrivé d’entendre, avec un vif plaisir, de bonnes choses, de les repasser dans votre coeur, et même d’essayer de les mettre en pratique par une vie plus pure, des entretiens plus sobres et quelque activité chrétienne?
◦ Mais au milieu de votre course vers le bien, n’avez-vous pas rencontré le conseil du sage, la raillerie de l’incrédule ou peut-être l’opposition du méchant; et en face de ce conseil, de cette raillerie, de cette opposition, n’avez-vous pas abandonné vos projets, et n'êtes-vous pas rentré presque étonné de votre zèle dans votre ancienne indifférence?
C’est ici le terrain pierreux, la Parole y tombe, mais elle n’y prend pas racine, empêchée qu’elle est par l’affliction, la moquerie et le scandale du monde.
◦ Après avoir entendu, goûté, accepté l’Évangile jusqu’à en faire profession; après avoir peut-être annoncé vous-même cette vérité aux hommes, et en avoir élevé l’étendard si haut dans votre vie extérieure, n’avez-vous pas fini par vous perdre de vue vous-même en vous refusant le grain que vous fouliez?
◦ N’avez-vous pas en quelque sorte vécu pour sanctifier, conseiller, convertir les autres, négligeant de conseiller, de sanctifier votre propre personne, et cela avec une candeur étonnante?
Voilà l’épi, d’abord monté en herbe, mais bientôt étouffé; voilà les soucis du monde, la tromperie des richesses, menées d’un même pas avec une profession de l’Évangile, froide, sèche et sans fruits.
Mais peut-être ne sommes-nous dans aucune de ces trois classes, et pourrions-nous montrer des fruits que la semence de la Parole tombée sur le bon terrain de notre cœur, a fait lever dans notre vie; c’est possible, admettons que ce soit certain.
Toutefois, remarquons quelle distance dans la parabole entre le nombre de grains semé et le nombre recueilli.
Un grain en rapporte cent, l’autre soixante, et le moins actif en donne trente!
Pour parler sans figure, comprenons que si la Parole de Dieu a vraiment pénétré notre cœur, si la grâce est en nous, ce ne sont pas quelques bonnes œuvres, répandues sur les semaines de nos années qu’elle doit produire, mais des œuvres abondantes sur les jours de nos semaines, sur les heures de nos jours; ou plutôt c’est une seule œuvre, mais une œuvre incessante de dévouement à la volonté de Dieu.
On n’est pas UN PEU chrétien, l’Esprit-Saint ne convertit pas à demi; non, l’œuvre que Dieu commence il l’achève, en sorte que, si celle que nous croyons accomplie en nous, n’est pas progressive, elle n’est qu’apparente, elle n’est pas commencée!
◦ Jésus ne nous montre pas d’épis garnis de deux ou trois grains; mais des épis chargés de trente, de soixante et de cent; les autres en sont dégarnis ou meurent avec ceux qu’ils portent.
◦ Examinons donc si nos oeuvres, rares et faibles, ne seraient pas de ces grains avortés qui restent parmi la balle et qu’emporte le vent.
En terminant, Jésus dit, et nous ne pouvons mieux faire que de répéter après lui:
«Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende!»
Le grain de sénevé
Les comparaisons employées dans la Bible pour faire comprendre les phénomènes spirituels par les phénomènes physiques, sont si justes, si parfaites, que cette belle harmonie conduit à penser que les deux ordres de faits procèdent de la même source; en d’autres termes, que le Créateur des Cieux et de la terre est bien aussi l’auteur de l’Évangile.
Un examen attentif a même fait dire à des hommes profondément pieux, que certainement, en ordonnant les détails de la nature, Dieu avait eu en vue les opérations de la grâce; que, par exemple, en fixant les lois d’après lesquelles le grain de blé se sème, se développe et mûrit, non seulement il avait voulu donner une nourriture à l’homme, mais encore lui fournir un moyen de comprendre par analogie le grain de la foi, semé, développé et mûri dans le cœur.
Certes, cette vue est grande, car elle subordonne la matière à l’esprit, et fait briller la sagesse divine dans le double résultat obtenu par un seul moyen.
◦ Pour présenter un second exemple à l’appui de cette ingénieuse pensée, quoi de plus juste que la comparaison entre cet homme corrompu de sa nature, renouvelé par la grâce, et cet olivier sauvage qui, de lui-même, porte des fruits amers, mais qui, greffé sur l’olivier franc, donne des olives savoureuses?
◦ Quoi de plus exact que ce rapprochement du vent et du Saint-Esprit, qui tous deux soufflent sans qu’on sache d’où ils viennent, ni où ils vont, sans qu’on les voie, mais dont on reconnaît la présence par les effets?
◦ Quoi de plus parfait que le mot de nouvelle naissance pour faire comprendre le renouvellement du cœur par l’influence de ce même Esprit?
Cherchez, vous chrétiens, qui connaissez ces faits spirituels par votre expérience, cherchez dans le langage humain d’autres expressions pour donner une idée plus claire de ce qui s’est passé en vous; vous n’en trouverez pas, et vous serez contraints d’en revenir à l’emploi des images bibliques pour vous faire comprendre.
Arrêtons quelques instants nos pensées sur une de ces comparaisons présentées dans ce chapitre. Jésus dit:
◦ «Il en est du Royaume de Dieu, comme si un homme avait jeté de la semence en terre; soit qu’il dorme ou qu’il se lève la nuit ou le jour, la semence germe et croit sans qu’il sache comment.»
Douce et juste image de la foi déposée dans le sein de l’homme.
Le chrétien sait fort bien que cette foi est venue dans son cœur, jadis vide comme la terre inculte; il en a bien le témoignage intérieur; mais c’est tout; il ne la sent pas germer et croître.
En vain il s’observe, s’écoute, se regarde; il ne peut du jour au lendemain saisir le changement progressif qui s’opère en lui. Mais qu’il revienne plus tard sur le champ de son observation et il sera contraint de reconnaître que sa foi a grandi, qu'elle est devenue ferme sur tel point, où jadis elle était vacillante, qu’elle est plus vaste, plus claire, qu’elle illumine mieux les vérités évangéliques dont maintenant il saisit l’ensemble.
Cette foi s’est donc développée constamment, «de nuit, de jour;», mais «sans qu’il sache comment, qu’il ait veillé ou dormi,» c’est-à-dire dans son activité, comme dans le repos; pendant sa prière, comme après elle; et même (chose étonnante, mais qu’il faut bien reconnaître), même quand le chrétien n’a pas prié, les grâces lui sont venues, comme si Dieu avait voulu lui faire mieux sentir que lui même en était le souverain dispensateur, et ainsi réveiller dans son cœur une plus profonde gratitude.
Jésus continue:
◦ «Car la terre produit d’elle-même, premièrement l’herbe, ensuite l’épi, et puis le grain tout formé dans l’épi.»
C’est le principe qui se développe dans ses conséquences, c’est la foi qui, de l’intelligence, passe dans le cœur.
Alors le chrétien passe par une nouvelle transformation, il ne contemple plus, il déploie son activité; l’herbe est devenue épi.
Et chose remarquable! alors il ne lui en coûte pas plus pour agir qu’il ne lui en avait coûté pour croire; le dévouement lui est devenu facile et doux; il s’y complaît comme jadis il l’avait redouté; Jésus le dit: c’est le grain qui arrive après l’herbe, et qui arrive tout formé.
Enfin, dit le Maître:
◦ «quand le fruit est dans sa maturité on y met aussitôt la faucille.»
Quand l’homme est sanctifié, la faucille de la mort le détache de la terre pour le déposer joyeusement dans les Cieux.
Mais peut-être ce détachement joyeux de la terre n’a-t-il pas encore été réalisé dans notre expérience, et nous sentons-nous plus pressés de rester que de partir. Aussi Dieu, dans ses tendres compassions, nous laisse-t-il encore ici-bas pour achever de nous mûrir.
Remarquons donc bien ce qu’il nous reste à expérimenter: évidemment le blé n’a pas été semé, développé et mûri que dans le but d’être un jour moissonné.
La moisson n’est et ne peut être que l’époque où retentissent les chants de triomphe. De même quand la foi est réelle et vive; quand elle a produit ses fruits de sanctification, ce doit être avec joie que celui qui la possède voit arriver l’heure de la moisson céleste, puisque cette heure le porte vers son Dieu.
En sommes-nous là?
Envisageons-nous la mort comme un gain, ou du moins la voyons-nous venir sans terreur?
Non, non: nous tremblons à sa pensée, comme la tige encore faible ondule sous le vent. Preuve évidente que nous ne sommes pas mûrs et que nous avons à nous sanctifier. Hâtons-nous donc, l’été s’approche, le moissonneur armé s’avance, prenons garde de n’être pas coupés, herbe verte, à côté d’épis en pleine maturité!
Les démoniaques
Qu’étaient les démoniaques, dont il est si souvent parlé dans le Nouveau-Testament?
De simples malades, s’il faut en croire ceux qui ne croient pas la Bible; mais de véritables possédés du démon, si nous donnons confiance à la Parole de Dieu.
◦ Ces êtres malheureux reparaissent si souvent dans l’histoire évangélique, qu’on ne peut mettre en doute leur existence; ils y sont si clairement distingués des malades ordinaires, qu’on ne peut, sans tordre le texte sacré, les confondre avec eux;
◦ enfin ces esprits immondes, mais intelligents, montrent parfois une connaissance si juste de la personne et de la mission de Jésus-Christ, qu’on ne peut sans dérision voir en eux des hommes, ignorants des choses divines par nature, et de plus, affaiblis par la maladie.
D’où vient donc le doute de quelques esprits sur l’existence de ces démoniaques aux temps évangéliques?
C’est qu’on n’en voit plus de semblables aujourd’hui (!!!). Mais à ce compte, il faut douter aussi de l'existence de Jésus qui n’est plus sur la terre, et des miracles des temps bibliques, qui ne sont pas sous nos yeux; il faut dire que Dieu n’a jamais fait ce qu’il ne fait plus.
Sur ce point, comme sur tout autre, concernant les choses de Dieu, nous n’avons qu’une conduite à tenir: ÉCOUTER LA PAROLE ET CROIRE CE QU’ELLE DIT; ainsi nous arriverons à voir aux lumières de la foi ce que nous ne saisissons pas aux lueurs de notre intelligence.
L’homme se présentant sur le seuil de la Bible comme à la porte d’un souterrain, peut prendre deux partis différents, ou bien s’effrayer au premier coup d’oeil jeté sur cet abîme, et se dire: Je n’entrerai pas, ce n’est là qu’obscurité; ou bien y pénétrer avec l’espoir qu’en avançant, ses yeux se feront peu à peu à l’atmosphère du nouveau monde qu’il parcourt.
S’il est vrai que dans le premier cas il ne peut rien connaître des lieux qu’il refuse de visiter, il n’est pas moins certain que dans le second, il voit, en avançant, les objets d’abord inaperçus, se détacher les uns des autres, s’éclairer peu à peu et frapper enfin son esprit par leur grandeur et leur beauté.
◦ Plus longtemps il y séjourne, mieux il distingue, plus il voit, et il finit par se mouvoir à l’aise où d’autres, transportés tout à coup, se heurteraient à tous les angles et tomberaient à chaque pas.
Ce n’est pas tout, jusqu’ici le phénomène est naturel; la comparaison peut être poussée plus loin. Fait étrange! bonheur inattendu! plus cet homme approche du fond qu’il croyait obscur, plus la clarté devient vive autour de lui; il s’en étonne, il admire jusqu’à ce qu’il reconnaisse enfin que de ce fond même se détache et s’avance un flambeau étincelant, que le maître de ces lieux y avait déposé.
Oui, pour parler sans figure, à l’homme qui, confiant en son Dieu, entre dans la lecture de la Parole avec simplicité, qui cherche à la comprendre, non à la réfuter; à cet homme se présente bientôt une lumière plus vive que sa pâle intelligence, la lumière du Saint-Esprit!
Par elle il comprend ce qui sans elle l’aurait peut-être scandalisé.
◦ Il comprend, par exemple, pour en revenir à notre sujet, que puisque Satan est un être vivant et actif, ses anges, les démons, peuvent bien vivre et agir aussi;
◦ il comprend que si ce père du mensonge s’empare quelquefois de nos cœurs, il a bien pu jadis s’emparer des corps de nos semblables;
◦ il comprend que si les démoniaques ont existé aux temps évangéliques, et s’il n’en existe plus de nos jours (!!!), c’est qu’ils ne sont plus nécessaires pour manifester la toute-puissance de Jésus-Christ.
◦ Le chrétien comprend enfin, et c’est ici qu’il s’édifie en même temps qu’il s’éclaire, il comprend que Celui qui jadis chassait les démons du corps des possédés, peut bien aujourd’hui chasser Satan de notre cœur.
Oui, Jésus a vaincu l’ennemi de nos âmes; le lion peut bien encore rugir; mais passons avec confiance; pour nous, le lion est enchaîné.
Où s’arrête le miracle, doit commencer notre activité
La dernière circonstance du miracle que Jésus vient d’opérer, bien que petite en apparence, mérite toute notre attention.
Après avoir ressuscité la fille de Jaïrus, Jésus ordonne de lui servir à manger; c’est-à-dire que le miracle du Sauveur s’arrête là précisément, où l’action de l’homme peut commencer.
La même particularité se retrouve dans plus d’un trait de l’histoire évangélique.
◦ Le Fils de Dieu qui, sans doute, aurait pu nourrir ses Apôtres chaque jour par un nouveau prodige, leur recommandent cependant de recueillir les restes des pains par lui miraculeusement multipliés.
◦ Ailleurs, Il rend la vie à Lazare, mais II ne le débarrasse pas lui-même des bandes que des mains d’homme suffisaient à détacher.
Telle est la règle:
Jésus fait pour nous jusqu’à des miracles;
mais il ne fait rien de superflu;
où finit son œuvre, commence notre tâche.
Ces réflexions ne seront pas inutiles pour des chrétiens qui, pour fuir la présomption, tombent quelquefois dans une coupable langueur. Ils se sont dit si souvent, que d’eux-mêmes ils ne pouvaient rien sans le secours de Dieu, qu’ils en sont venus à se persuader que ce Dieu doit presque les contraindre d’agir, et qu’aussi longtemps que le bien ne leur est pas doux et facile, ils peuvent renvoyer de l’accomplir, tout en gémissant sur leur faiblesse, qui serait beaucoup mieux nommée lâcheté.
Est-ce à dire que dans l’œuvre de notre salut nous ayons à prendre notre part?
Non: notre salut, comme la résurrection de la jeune fille ou celle de Lazare, est tout entier accompli par le Sauveur.
Est-ce à dire seulement que notre sanctification, fruit de ce salut, soit en partie mise à notre charge?
Non: de son principe à sa fin, notre sanctification est l’œuvre du Saint-Esprit. Mais si nous n’avons rien à faire dans cette grande et belle œuvre, nous avons, du moins, à ne pas nous y opposer, et c’est ici que notre participation, qui consisterait à laisser Dieu agir en nous, se transforme en résistance pour l’en empêcher.
Ce n’est pas tout.
Si nous reconnaissions du moins que la lenteur de nos progrès (peut-être faudrait-il dire notre marche rétrograde) a pour cause notre mépris des secours qui nous sont accordés, on pourrait espérer qu’un jour enfin la honte nous relèverait et nous pousserait en avant.
Mais non; nous trouvons plus commode et plus tranquillisant d’attribuer notre langueur à l'absence de la grâce divine, en sorte qu’au fond c’est Dieu que nous accusons de nos propres péchés.
◦ Tel qui n’a pas agi quand il le devait, dit avec un soupir que Dieu ne l’a pas permis;
◦ tel autre qui veut rester dans le repos, déclare qu’il attend un signe de la volonté du Seigneur.
◦ Celui-ci tombe et se plaint que le secours lui ait manqué; celui-là reste dans la boue, et implore la main qui vingt fois lui a été tendue, et qu'il a toujours repoussée.
Non, ce n’est pas l’Esprit de Dieu qui nous manque pour agir,
c’est nous qui lui manquons pour l’employer.
Semblables à cet avare qui attend d’être plus riche pour user de ses biens, et qui meurt avant d’avoir touché à l’or dont personne ne peut le contraindre à se servir, nous soupirons après de nouvelles forces et nous laissons s’alanguir celles que Dieu nous a déjà données.
Ah! quand l’incrédule se justifie auprès de nous en disant que Dieu ne veut pas le convertir, nous savons bien lui répondre que c’est lui-même qui refuse d’ouvrir son cœur à l'Esprit-Saint, qui, toujours là, frappe à la porte.
Quand cet incrédule met en doute l’existence de cet Esprit, nous savons bien lui dire que nous en avons fait nous-mêmes l’expérience, et que l’Esprit de Dieu témoigne à notre esprit que nous sommes ses enfants.
C’est vrai, c’est bien.
Mais ne voyez-vous pas que ces paroles de notre bouche s’élèvent contre nous-mêmes?
Et que puisque l’Esprit de Dieu est en nous pour nous rendre témoignage, il s'y trouve aussi pour agir, et que dès lors, si nous n’agissons pas, ce n’est pas lui qui nous fait défaut, mais bien nous qui le délaissons et qui comprimons ses efforts.
Réveillons-nous donc de cet assoupissement volontaire, et ne restons pas plus longtemps sur la route, les reins ceints et les bras croisés. Comme les parents de la jeune fille, donnons à ce corps rétabli la nourriture qu’il peut maintenant supporter, et n'attendons pas, immobiles sur notre lit, que la manne du ciel vienne chercher notre main et ouvrir notre bouche.
Comme les amis de Lazare, rendons aux membres du ressuscité la liberté d’agir, et ne restons pas vivants au fond du sépulcre ouvert, jusqu’à ce que Jésus vienne nous contraindre d’en sortir. Ce Sauveur n’a pas poussé Lazare hors de la grotte; mais il lui a crié: «Sors!»
◦ Sortons donc comme lui, puisqu’aussi bien que lui nous sommes ressuscités;
◦ rompons les liens du péché avec les forces que Jésus nous rend;
◦ suivons la route qu’il nous a tracée;
◦ agissons enfin dans la vie nouvelle qu’il nous dispense; ou plutôt laissons agir en nous la grâce du Seigneur, qui, dès que nous ne la comprimerons plus, se déploiera dans notre infirmité.
Secouer la poussière de ses pieds contre ceux qui ne nous reçoivent pas
«Tous ceux qui ne vous recevront pas, dit Jésus à ses Apôtres, et qui ne vous écouteront pas, en partant de là, secouez la poussière de vos pieds en témoignage contre eux.»
Et nous, disciples du même Maître, lorsque nous rencontrons des hommes qui refusent d’entendre nos exhortations chrétiennes, que faisons-nous à leur égard?
Nous les déclarons des pécheurs endurcis, nous nous irritons contre eux; et si nous ne transformons pas nos appels repoussés en injures, du moins nous retirons-nous avec une vivacité bien autrement significative que le calme et silencieux départ des Apôtres, secouant la poussière de leurs pieds en témoignage contre une maison ou une ville.
Avons-nous donc plus à cœur de faire accepter l’Évangile que ne le demande Jésus-Christ?
Non, certainement.
Pourquoi donc cette irritation contre quiconque ne cède pas à notre activité chrétienne?
Hélas! parce qu’en la déployant nous recherchons, non la gloire de Christ, mais notre propre gloire, et que dès lors ce n’est pas sur le Sauveur, mais sur nous-mêmes que vient tomber l’affront.
Qu’une œuvre chrétienne dépérisse entre les mains de nos frères, c’est un regret pour nous sans doute; mais qu’elle périclite sous notre conduite, c’est un violent chagrin.
Ainsi nous ne sommes guère étonnés de voir tous les dimanches des centaines d’auditeurs sortir d’une église sans y avoir été convertis, et nous sommes confondus de surprise que telle personne ne se soit pas encore rendue aux puissantes raisons que nous lui avons données pour croire et se convertir.
Ces milliers d’âmes qui résistent à l’influence de la prédication publique, sont-elles donc moins précieuses que la seule qui repousse nos paroles?
Notre éloquence, nos efforts sont-ils plus grands que ceux du prédicateur, frappant depuis des années sur les mêmes cœurs et les trouvant toujours durs et froids?
◦ Non, non; répétons-le: nous sommes irrités de ce que l’incrédule résiste, non pas à l’Esprit-Saint; mais à nous, et nous sommes moins chagrins de la perte des âmes que de la perte de nos travaux.
Ah! si nous avions plus à cœur l’œuvre de Dieu et le bien spirituel de nos frères, nous trouverions bien d’autres moyens de les poursuivre.
À la parole chrétienne restée vaine, nous ferions succéder le silence calme, la charité active, la douceur, le support; et par notre vie nous gagnerions ceux que n’ont pu toucher nos discours.
La vie chrétienne est un argument auquel on ne résiste pas.
Il ne convainc pas l’esprit, mais il frappe le cœur, et tôt ou tard il se fait accepter.
L’incrédule qui refuse de vous entendre parler ne peut pas refuser de vous voir agir.
Vos exhortations lui sont importunes, mais vos services lui sont toujours agréables.
Ce que vous nommez son endurcissement, appelle votre compassion et non votre sévérité.
C’est une maladie plus grave, plus longue, serait-ce un motif pour vous de brusquer et de frapper le patient?
Non. Sachez attendre:
◦ versez de l’huile sur ces plaies cuisantes;
◦ supportez s’il le faut les cris aigus du malheureux qui souffre et dont l’esprit s’égare dans le délire de la fièvre;
◦ veillez à ses côtés en silence;
◦ épiez ses mouvements pour venir à son aide quand il en sera temps;
◦ traitez-le avec la douceur qu’exige sa faiblesse, peut-être trouverez-vous plus tard l’occasion de lui parler avec force, tout en vous faisant écouter avec plaisir.
Alors celui que vous exaspériez aujourd’hui par votre fougue, se laissera vaincre par votre amour et vous bénira des tendres soins qu’à cette heure il ne sait pas apprécier.
C’est le triomphe du chrétien de consentir à être méconnu, tout en continuant à se dévouer, comme Jésus au milieu des mépris, s’est encore dévoué et comme aujourd’hui il attend avec patience le pécheur inconverti.
◦ Oui, Seigneur, donne-nous de supporter ceux que tu supportes,
◦ d’attendre ceux que tu attends,
◦ et de verser au moins des larmes sur ceux pour lesquels tu as versé ton sang.
Purifie notre zèle, augmente notre charité; que ce soit TOI et non pas nous, TA GLOIRE et non la nôtre que nous cherchions dans nos efforts pour avancer sur la terre ton règne bienheureux.
La passion obscurcit l’intelligence
Les Apôtres voient leur Maître nourrir avec cinq pains une foule de cinq mille hommes; la multiplication s’opère sous leurs yeux; les morceaux, sans cesse renouvelés, passent par leurs mains; et, malgré tout cela, ils sont si peu frappés du miracle, que quelques heures plus tard, Jésus est obligé de le leur rappeler.
Ce fait est vraiment si étrange, qu’on reste confondu d’une telle lenteur d’intelligence; disons le mot, d’une telle stupidité.
Cependant ce qui nous étonne chez les Apôtres se renouvelle bien souvent sous nos yeux.
Des miracles s’accomplissent et le monde n’y prend pas garde.
Ainsi les Juifs lisent chaque jour dans l’Ancien-Testament que leur Messie devait naître d’une Vierge, vivre dans le mépris, mourir les pieds et les mains percés; et toutefois, ils ne veulent pas reconnaître ce Messie en Jésus-Christ.
Ainsi les incrédules savent fort bien que les succès du christianisme, la diffusion de la Bible, la dispersion des Juifs, tous trois à l'état de prédictions dans la Bible, sont, deux mille ans plus tard, à l’état défaits sous leurs yeux, et en cela ils ne voient point de miracle, rien d’étonnant!
Des pécheurs scandaleux, convertis à l'Évangile, deviennent, par l’influence du Saint-Esprit, des hommes purs, sobres, dévoués; et le monde, en voyant ces métamorphoses, n’en est ni ému, ni frappé.
Ne sont-ce pas là autant de miracles qui, comme la multiplication des pains, devraient ouvrir les yeux?
Et leurs impassibles témoins ont-ils, moins que les Apôtres, un cœur appesanti?
Non, sans doute, aussi n’est-ce là que la vérification de ces paroles de Jésus: «S'ils n’écoutent pas Moise et les Prophètes, ils ne seraient pas plus persuadés* quand même quelqu’un des morts ressusciterait.»
En y réfléchissant plus, peut-être sera-t-on moins étonné.
La conviction que le miracle tend à former dans l’esprit, la volonté s’efforce de la détruire dans le cœur.
Nous sommes cette toile de Pénélope, avancée au jour de l’intelligence, et retardée dans la nuit de la passion. Ou pour mieux dire, l’amour du mal obscurcit l’entendement; le pécheur ne voit que ce qu’il veut voir, et il est vrai de dire que spirituellement deviennent sourds ceux qui ne veulent pas voir.
Jésus l’a dit:
◦ LES HOMMES FUIENT LA LUMIÈRE QUAND ILS VEULENT RESTER DANS LEURS ŒUVRES MAUVAISES,
◦ comme ils la cherchent dès qu’ils veulent en sortir.
Ne soyons donc pas surpris de trouver des incrédules dans le monde; que leur nombre n’ébranle pas notre foi. S’ils repoussent l’Évangile, ce n’est pas qu’ils l’aient examiné et trouvé faux, c’est parce que pour y croire, il leur en coûterait le sacrifice de leurs passions.
Oh! si cet Évangile était moins sévère, si Jésus prêchait une doctrine relâchée, combien il y aurait plus de croyants! Ce ne serait plus le petit nombre, mais la foule qui voudrait entrer, car alors la voie large serait devenue celle du salut.
Mais si l’amour du péché obscurcit l’entendement, l’amour de la sainteté, au contraire, l’illumine de nouvelles clartés:
◦ «Celui qui voudra faire la volonté de mon Père, a dit Jésus, reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu, ou si je parle de mon chef.»
Voulons-nous donc que notre foi s’accroisse?
Écartons les pierres et les épines du péché qui gênent son développement.
Ne demandons pas à voir des miracles, mais TRAVAILLONS À NOUS SANCTIFIER.
Ici comme ailleurs, les préceptes de l’Évangile semblent se contredire; après nous avoir conseillé de croire pour être saints, Jésus nous dit d’être saints afin de croire.
Mais sans nous inquiéter des contradictions apparentes de la théorie, rapportons-nous au témoignage de la pratique.
◦ Tour à tour, effet et cause, la foi et la sainteté s’entraident l’une l’autre, et de leurs mains entrelacées, portent plus doucement le chrétien dans le sein de son Dieu.
Les actes jugés par leur principe ou leur fin
L’Évangile et le monde suivent, pour juger de la valeur morale d’une action, deux voies bien différentes.
1. L’Évangile regarde avant tout au principe;
2. Le monde s’enquiert uniquement de la fin.
▪ Si l’intention est pure, l’Évangile est satisfait;
▪ si le résultat est bon, le monde est content.
Une aumône tombe-t-elle dans la main de l’indigence?
– Les hommes disent: c’est bien, un pauvre est secouru;
– Jésus, au contraire, s’informe si c’est amour ou vanité, dévouement ou calcul de la part du donateur, et selon la réponse, il déclare cette même action bonne ou mauvaise; cette aumône, charité ou péché.
Ces deux appréciations diverses d’une même œuvre nous découvrent à la fois la divinité de l’Évangile et l’humanité de toute autre morale.
En effet, si l'Évangile s’enquiert des motifs qui inspirent les actes, c’est que LES MOTIFS, INHÉRENTS À L’ÂME, VIVRONT PENDANT L’ÉTERNITÉ.
Si le monde, au contraire, ne regarde qu’aux faits, c’est que les faits, indépendamment des motifs, influent sur l’état de la société.
Chacun se préoccupe donc de son royaume:
◦ l’un du Ciel, l’autre de la terre;
◦ l’un du corps, l’autre de l’âme;
◦ l’un du temps, l’autre de l’éternité;
AINSI CHACUN MONTRE SON ORIGINE, EN DÉVOILANT SON BUT.
Nous avons à la fois la preuve que toutes les morales utilitaires viennent des hommes, comme la preuve que la morale évangélique seule vient de Dieu.
Mais la morale utilitaire est tellement dans les goûts de notre nature, que bien des hommes soi-disant chrétiens l’adoptent et prétendent même l’avoir trouvée dans l’Évangile.
C’est ainsi qu’on entend citer en sa faveur cette description du jugement dernier, où le Roi place les hommes à sa droite, ou à sa gauche, selon qu’ils ont ou n’ont pas secouru, visité, consolé Jésus dans les indigents, les malades et les prisonniers.
Et cependant cette parole montre mieux que tout ce qui précède que CE N’EST QU’À L’INTENTION QUE DIEU REGARDE.
En effet, ce ne peut être que PAR LA FOI que les chrétiens charitables voient Jésus-Christ dans la personne des malheureux; le Roi ne récompense pas les uns pour avoir secouru, et ne punit pas les autres pour avoir négligé les prisonniers, les indigents, les malades; mais pour avoir secouru ou négligé Jésus-Christ dans ces infortunés;
◦ en d’autres termes, c’est l’intention, le sentiment POUR DIEU qu’il couronne dans l’œuvre accomplie envers les hommes.
De même Jésus dit ailleurs: «Quiconque donnera un verre d’eau en mon nom en recevra la récompense;» et Saint Paul ajoute: «Alors même que je donnerais tous mes biens aux pauvres, SI JE N’AI PAS L’AMOUR, JE NE SUIS RIEN.»
Aussi, voyons-nous l’Évangile, dans la portion que nous venons d’en lire, s’élever avec force contre cette morale tout extérieure, fruit brillant au-dehors et rongé au-dedans, que les Pharisiens étalent avec tant de complaisance dans leurs demeures et dans leurs rues; ces aumônes vaniteuses, ce culte des genoux, cette purification des mains, tout ce fatras d’œuvres sans vie, sans amour et sans foi; et Jésus appelle-t-il hypocrite ce peuple qui s’approche de Dieu des lèvres, mais qui s’en éloigne de cœur.
Sans doute personne n’approuve un tel formalisme; toutefois, qu'on y regarde de près, et l’on reconnaîtra que ce formalisme, condamné par tout le monde, n’est cependant que la conséquence inévitable de la morale utilitaire approuvée par tant de gens.
Dès qu’on ne s’observe plus sur les intentions, que Dieu sonde jusqu’au fond, on devient bien vite accommodant sur les résultats, laissés au jugement des hommes si faciles à tromper.
De la morale d’actes à la morale de formes, il n’y a qu’un pas; il suffit de mettre l’apparence à la place de la réalité, et cela est toujours aisé dès qu’on n’agit plus que devant des créatures aveugles comme nous.
Il y a plus:
◦ sur cette voie on s’égare soi-même; comme l’acte suffit, on l’accomplit sans y songer, par devoir, comme une tâche; pourvu qu’on l’ait fait, on est content de soi, et l’on oublie que «tout ce qui n’est pas accompli dans la foi est un péché.»
Où en sommes-nous arrivés sur cette pente insensible, mais glissante, d’une morale oublieuse du principe, et toute préoccupée du résultat?
Que chacun de nous l’examine lui-même, la main posée sur la conscience et le genou fléchi devant Dieu.
Plus on en a besoin, moins on prie
De toutes les voix qui s’élèvent du sein de la Bible pour monter en prières devant Dieu, celle qui se fait entendre le plus habituellement est celle de Jésus-Christ.
◦ Jésus prie des nuits entières sur la montagne;
◦ Il prie à chaque miracle qu’il opère;
◦ Il prie en se mettant à table;
◦ Il prie à Golgotha;
◦ Il prie sur la croix;
◦ il prie en expirant.
Après Jésus, les Apôtres, et les Prophètes, hommes choisis de Dieu, sont ceux que nous voyons le plus souvent invoquant le Seigneur.
À chaque pas qu’il fait, Néhémie prie dans son cœur,
et Saint Paul nous dit lui-même qu’il fait sans cesse mention de ses amis dans ses prières.
De nous-mêmes on peut présumer, par cela seul que nous parcourons ces lignes, que nous ne sommes pas étrangers à la prière.
Enfin, s’il est des hommes qui ne prient jamais, ce sont les incrédules avoués et les pécheurs scandaleux.
Ces observations peuvent se généraliser ainsi: plus on en a besoin, moins on prie.
Cette vérité semble un paradoxe; mais on va la comprendre.
Pourquoi prie-t-on?
Parce qu’on éprouve le désir d’être sanctifié, et ce désir, on l’éprouve d’autant moins qu’on aime plus le péché.
Pourquoi prie-t-on encore?
Parce qu’ayant déjà été exaucé, on a confiance en l’efficacité de la prière.
◦ Il est donc tout simple que plus un homme a déjà prié, plus aussi il ait reçu de grâces, et plus, par conséquent, il acquiert d’assurance pour en demander de nouvelles; en sorte que ses prières se multiplient, non en raison de ses besoins, mais à proportion de ses richesses.
Sur cette règle, que penser de nous-mêmes, qui prions si rarement et si languissamment?
Que penser de nous, qui ne nous mettons guère à genoux qu’à l’heure dite, non parce que nous en éprouvons le besoin, mais par simple habitude; de nous, qui prions par acquit de conscience et non sous l’inspiration du cœur, qui nommons la prière un devoir et non un privilège?
Hélas! ce qu’il faut penser, c’est que nous aimons encore trop le péché pour pouvoir souvent et ardemment en demander la délivrance; ce qu’il faut penser, c’est que nous avons jusqu’à ce jour si rarement prié, véritablement prié, que nous n’avons encore fait que de rares expériences des grâces de notre Dieu, et qu’ainsi rarement exaucés, nous n’avons acquis que bien peu de foi à la prière.
Oh! si nous avions véritablement la conviction que Dieu nous entend, nous écoute, nous exauce;
◦ si nous avions l’intime persuasion que le Saint-Esprit tourne autour de notre cœur, n’attendant qu’un appel pour entrer,
◦ Si nous avions en Dieu la confiance qui fit crier à Jésus, poussant un soupir, en présence de ce sourd et muet: ォ Ephphatha, ouvre-toi;サ
ah! nous prierions plus souvent, avec plus de ferveur, avec une telle importunité, que nous ne commencerions plus une œuvre, ne prendrions plus une décision, avant d’avoir élevé nos coeurs à Dieu.
Non, non, véritablement nous ne croyons pas à l’efficacité de la prière, ou nous y croyons si peu, si faiblement, que cette foi vacillante est toujours près de s’éteindre sous le premier souffle du péché.
Mon Dieu! mon Dieu! apprends-nous à prier; donne-nous-en le premier désir, ranime, réchauffe, enflamme ce lumignon fumant encore, et que notre foi vivifiée par ton Esprit, l’appelle encore plus abondant, pour purifier entièrement notre cœur et sanctifier complètement notre vie; et Seigneur, si cette prière elle-même n’était encore qu’une prière de lèvres, ouvre toi-même notre cœur, afin que nous apprenions enfin à te prier.
Notre préférence des biens terrestres sur les célestes
Le Dieu souverainement miséricordieux de l’Évangile a fait à ceux qui se confient en lui cette magnifique promesse: Si vous cherchez avant tout le royaume de Dieu et sa justice tout le reste vous sera donné par-dessus; et telle est, en effet, la vérité que nous allons voir confirmer par la conduite de Jésus envers le peuple qu’il nourrit miraculeusement au désert.
Semblables à un troupeau de brebis dont le pasteur a été frappé et qui, dispersé sur le grand chemin, bêle après un nouveau berger pour en obtenir gîte et pâture, les Israélites, depuis longtemps privés de tout conducteur inspiré, mais confiants en leurs prophéties, attendent avec anxiété un envoyé divin.
Mais qu’espèrent-ils trouver en lui?
Un simple prophète.
Et qu’y rencontrent-ils réellement?
Le Fils unique de Dieu! Premier indice que le Seigneur nous accorde plus que nous ne savons désirer.
Mais suivons ce peuple au désert où lui-même accompagne le Sauveur.
Jésus, après avoir accompli de nombreux miracles en présence de la foule, se retire au-delà du lac de Génézareth pour prendre quelque repos.
Mais frappée de sa doctrine, émerveillée de sa puissance, la foule s’attache à ses pas, se grossit en avançant, et enfin quatre mille hommes se trouvent amoncelés autour de lui.
La plupart, pour le suivre, ont dû abandonner affaires et famille; n’importent, ils restent là.
Ils marchent depuis trois jours et sont harassés de fatigue; n’importe, ils demeurent.
Venus sans provisions, ils éprouvent les tourments de la faim; n'importe, ils persistent.
Ils sont loin de toute habitation; n’importe, ils s’assoient sur le sol du désert, et là, l’œil fixé sur Jésus, l’oreille tendue au souffle de ses lèvres, ils attendent, immobiles et patients.
Mais qu’attendent-ils du Maître?
Uniquement une parole ou un miracle.
Et que leur accorde Jésus?
Non seulement la parole et le miracle pour sauver leur âme, mais en sus les pains et les poissons multipliés pour nourrir leur corps.
◦ Nouvel indice de cette bonté de Dieu, dépassant tous nos désirs et accomplissant littéralement cette promesse: «Recherchez avant tout le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par-dessus.»
Ces exemples ne feront-ils aucune impression sur nous?
◦ Continuerons-nous encore à nous préoccuper autant de nos besoins d’ici-bas, et si peu de nos besoins d’en haut?
◦ Donnerons-nous encore longtemps à nos affaires célestes les courts loisirs que nous laissent nos travaux, nos soucis et nos plaisirs?
◦ L’éternité n’obtiendra-t-elle jamais que nos minutes, tandis que le monde dévore nos jours et nos semaines?
Ah! ce n’est pas nous que Jésus sur la terre eût entraînés au désert pour écouter sa parole pendant trois jours, nous que cette Parole écrite n’a peut-être jamais fait supporter pour l’entendre une heure de fatigue et de faim!
Ce n’est pas nous qui courons après le Royaume de Dieu et sa justice; nous qui aimons mieux consumer notre vie à la recherche de ce dont le Seigneur tient si peu de compte, qu’il le donne par-dessus.
Oui, il y a dans ce renversement de la mesure d’importance que nous devrions donner au Ciel et à la terre une démence telle, que la séduction de Satan peut seule l’expliquer.
◦ Comment, si le Démon n’était pas notre conseiller, pourrions-nous courir jour et nuit après le monde, et jour et nuit oublier Jésus-Christ?
Aussi n'y a-t-il que la puissance du Saint-Esprit qui, après nous avoir fait sentir notre folie, soit capable de nous y arracher.
Oh! prions, prions souvent, prions avec ferveur notre Dieu de REDRESSER NOS ESPRITS, de CHANGER NOS CŒURS, et de nous donner enfin la force d’être conséquents avec la foi dont nous faisons une si haute profession.
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