Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L’HEUREUSE FAMILLE.

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Publiée d'abord sous le titre:

Une Famille de St-Gervais.


SIMILITUDE.

Non, Madame, je ne peux pas venir demain matin, parce que c'est dimanche. Ma grand-mère ne le voudrait pas,... et... moi non plus.

C'est ce que répondit, il y a peu de jours, André, garçon de dix ans, à Mme, N***, qui lui demandait, un samedi après midi, de revenir le lendemain, de bonne heure, pour lui faire une ou deux commissions.

Cette dame N*** n'est cependant pas une femme sans religion; tant s'en faut. Elle a sa Bible, son Nouveau-Testament, ses Psaumes et quelques autres livres de piété, qu'elle lit de temps en temps, surtout quand elle est malade. Elle est aussi passablement assidue aux services de l'église. Chaque dimanche, à peu près, elle va une fois au sermon; toujours deux fois, les jours de communion et de jeûne; et même de temps en temps elle se rend à la prière, dans la semaine.

Mais, toute bonne chrétienne qu'elle pense être, il paraît qu'il ne lui est pas encore arrivé ce dont parlait le Sauveur au conseiller Nicodème, lorsqu'il lui disait que si quelqu'un n'est né de nouveau, il ne verra pas le royaume de Dieu. (Jean III.)

Sans doute personne ne connaît le fond des cœurs, si ce n'est Dieu seul; et c'est bien à tort qu'on décide légèrement que telle ou telle personne n'est pas convertie; mais, cependant, c'est aux fruits, dit la Bible, qu'on connaît la qualité de l'arbre, et c'est la conduite de Mme N*** qui fait craindre qu'elle ne soit chrétienne qu'au-dehors. Toutefois, l'on ne doit le dire qu'avec beaucoup de réserve.

Quoi qu'il en soit, elle fut choquée de la réponse d'André et lui répliqua, avec un peu d'aigreur: Crois-tu que je ne sache pas, aussi bien que toi et ta grand-mère, qu'on ne travaille pas le dimanche? M'as-tu jamais vu ouvrir ma boutique, ce jour-là; et même par la porte de derrière? Si vous avez de la religion, j'en ai aussi, et tout autant que qui que ce soit; et ce n'est ni à toi, ni à personne, à me montrer mon devoir. — Va! Tu peux le dire, de ma part, à ta grand-mère

André ne répondit rien et s'en alla.

Qu'as-tu donc? lui dit son parrain, qui le rencontra sur la rue. Tu as l'air fâché. Que t'a-t-on fait?

André. C'est Mme N*** qui m'a fait une semonce, parce que je lui ai dit que je ne voulais pas lui faire ses commissions demain matin.

Le parrain. Et cela pourquoi, s'il te plaît?

André. Parce que c'est dimanche, et qu'on ne doit pas travailler ce jour-là.

Le parrain, en ricanant. La belle histoire! Veux-tu bien te taire, avec tes momeries! Est-ce travailler, que faire une ou deux commissions? Et d'ailleurs, comment veux-tu qu'on t'emploie, si tu refuses l'ouvrage? As-tu des rentes, pour que tu fasses ainsi le fainéant?

André rougissait et ne disait rien. Il aurait bien voulu s'échapper, mais son parrain lui faisait peur et il craignait de le mettre en colère. Enfin il dit, à demi-voix: Dieu veut qu'on sanctifie le Jour du repos, et...

Le parrain, avec irritation. Eh! qui te dit le contraire? Eh! qui t'empêche à toi, et à ton père, et à ta grand-mère, et à toute ta sainte famille, d'être, si cela vous fait plaisir, tout le jour à l'église ou à genoux, et de chanter vos psaumes et vos cantiques jusqu'à vous enrouer? T'ai-je jamais empêché de le faire? Mais, écoute-moi bien, mon filleul: moi, je te dis que toute votre belle religion n'empêchera pas que vous n'ayez besoin de gagner; et ce n'est pas dans les feuillets de la Bible qu'on trouve les francs. Tu m'as compris, n'est-ce pas?

André ne répondit rien non plus; mais au premier pas que fit son parrain, il s'enfuit à toutes jambes chez sa grand-mère, où il arriva hors d'haleine.

Qu'as-tu, mon garçon? lui dit cette bonne parente, en le voyant entrer tout ému.

André lui raconta toute son aventure, et finit en disant: Cela m'est égal. J'aime mieux avoir faim, que désobéir au bon Dieu. N'est-ce pas, grand-mère, que cela vaut mieux?

La grand-maman, en prenant dans son panier une lettre ouverte. Tiens, mon fils: lis toi-même cette lettre de ton brave et digne père. Je viens de la recevoir par une occasion. Elle te réjouira le cœur et te dira aussi ce qui vaut le mieux, d'avoir faim, ou de désobéir à Dieu.

Une lettre de papa! s'écriait André en sautant de joie. C'est déjà la troisième. Oh! que dit-elle?


***

LETTRE DU PÈRE D'ANDRÉ.


«Hambourg, 3 décembre 1836.

«Bonne et chère mère, que la grâce de notre Seigneur Jésus soit toujours avant toute chose! Amen!

«Quoique je t'aie écrit, il y a peu de jours, je profite de l'occasion favorable d'un monsieur qui part, dans une heure, pour Lyon, et je t'envoie ici quelques nouveaux détails sur ma situation présente.

«Grâce à Dieu, il y a du mieux, beaucoup de mieux, et je commence à voir de mes yeux, ce que je savais bien, du reste, par la Sainte Écriture, que ceux qui s'attendent à l'Éternel ne seront pas confus. Je t'ai déjà dit comment j'étais arrivé ici assez malade, et comment au bout de peu de semaines, j'avais à peu près épuisé toutes mes ressources. Je t'ai aussi raconté comment j'avais été renvoyé du premier comptoir, puis du second, où je m'étais présenté, et cela, parce que j'avais refusé de m'y rendre le matin du dimanche, de six à huit heures, pour y copier des lettres.

«Je ne connaissais personne de pieux ici, et je gémissais en pensant qu'il en était peut-être à Hambourg comme à Genève, où j'avais été chassé de ma place, pour la même cause. Je t'assure, ma bonne mère, que j'ai passé quinze longs jours bien péniblement, et que même, (tu me pardonneras ce que je vais te dire, comme aussi Dieu me l'a pardonné!) oui, que même je me suis demandé, et plus d'une fois, si le dimanche devait être gardé aussi rigidement ici que chez ma mère, et si la Bible le demandait des Chrétiens, aussi bien que des Juifs, avant notre Seigneur.

«O chère mère! que j'ai été faible! Et cependant, quoiqu'il y eût cette affreuse tentation dans mon cœur, toujours il se trouvait en moi une persuasion que je devais vivre ici comme chez toi, et qu'il me fallait tout souffrir, plutôt que de ne pas sanctifier le Jour du Seigneur. Je ne te l'ai pas écrit; mais il faut que je te le dise, puisque c'est maintenant fini: pendant dix jours, je n'ai vécu que d'une livre de pain par jour; et cependant je travaillais de toute ma force chez un marbrier, où je polissais des pierres, et où je gagnais bien une assez bonne journée; mais je m'étais endetté, pendant que j'étais malade, et je devais d'abord payer ce que je devais.

«Que de fois j'ai prié Dieu! Et toi aussi, bonne mère, et mes chers enfants avec toi, vous avez prié souvent aussi pour moi; et le Seigneur m'a secouru.

«Il y a dix jours, que le contremaître de l'atelier me dit qu'il m'attendrait le lendemain matin, qui était un dimanche, pour que j'allasse avec lui jusqu'au chantier, y choisir des blocs de marbre. Je fis d'entrée quelques difficultés; sur quoi, du ton le plus dur, il me déclara qu'il ne pouvait plus m'employer dans la semaine, si le dimanche je lui refusais un si léger service.

O chère mère! si tu savais quel combat eut lieu dans ma conscience! Enfin je me rappelai, ou plutôt ce fut le bon Dieu qui me les répéta, les dernières paroles que tu me dis, à mon départ, quand j'allais descendre au bateau à vapeur: Antoine! me dis-tu, souviens-toi des commandements de l'Éternel. Garde-les, cher enfant, et tu prospéreras! — Oui, bonne maman, ta voix, dans ce moment difficile, se fit entendre à mon cœur; et grâce, grâce à Dieu, je fus fortifié; et je pus répondre au contremaître, que j'aimais mieux avoir faim, que de mépriser la loi de l'Éternel; et je reçus mon congé!»

Pauvre papa! pauvre et cher papa! s'écria André, tout en larmes. Le voilà encore sans ouvrage! Oh! que cela me fait de peine!

Continue la lettre, dit la grand-maman, et vois, mon enfant, que Dieu n'a pas oublié celui qui a gardé sa loi. Lis seulement tout le reste.

«J'étais bien abattu, poursuivit André, en lisant à haute voix, et je m'acheminais tristement vers ma demeure, quand je fus abordé par un monsieur, qui me dit, avec une sorte d'affection: N'êtes-vous pas, Monsieur, cet étranger, ce Genevois, qu'on a renvoyé du comptoir, (qu'il nomma,) parce qu'il refusait de travailler le dimanche? Je lui dis aussitôt tout ce qu'il en était; sur quoi il demanda si je pouvais surveiller une fabrique et y tenir quelques écritures. Je lui répondis selon ce que je savais et pouvais, et il me dit de me rendre chez lui, le lundi suivant, à huit heures du matin. Je m'y présentai; et après m'avoir dit qu'il lui fallait, avant tout, un commis qui craignît Dieu, qui fût chrétien, il m'engagea pour toute une année, en me promettant un appointement très-honorable, dont il me donna tout de suite une partie, en me disant: Voici vos arrhes. Que Dieu bénisse votre travail, et qu'il vous console!»

André ne put lire davantage; il se jeta dans les bras de sa grand-mère, en sanglotant, et en répétant: Ce bon papa! ce bon papa! il n'a donc plus de souci, à présent, et il n'a plus faim! Oh! grand-mère! que le bon Dieu est bon! Ah! moi aussi, je veux être vrai chrétien, comme papa. Oui, je veux garder ses commandements; et si l'on me renvoie du cabinet où je dois entrer, eh bien! Dieu ne m'oubliera pas non plus!

En ce moment le parrain d'André entra, et il fut un peu surpris de ce qu'il voyait. Y a-t-il quelque mauvaise nouvelle? Demanda-t-il. De quoi pleures-tu, André? De qui est cette lettre? Est-ce de ton père, peut-être? Lui est-il arrivé quelque malheur?

La grand-maman dit en peu de mots ce qu'il en était, et ajouta, à dessein, qu'elle était bien heureuse de voir qu'André non plus ne voulait pas violer les commandements de Dieu.

À la bonne heure! dit le parrain en prenant une chaise; mais, en attendant, il faudra qu'il se conduise bien dans son cabinet. Je viens de parler, dans ce moment même, à son bourgeois, (car, item, cela me regarde!) et j'espère bien qu'André ne démentira pas ce que j'ai promis.

La grand-mère. Avez-vous dit qu'il irait au cabinet le dimanche?

Le parrain. Je ne l'ai pas dit, mais cela s'entend. Il n'y a pas un cabinet, de tous ceux que je connais, où les apprentis n'aillent pas le dimanche matin, au moins jusqu'à l'heure du sermon. Et aussi n'y a-t-il point là de mal, je pense!

André baissait la tête; il n'osait parler, et il attendait que sa grand-mère répondît pour lui. Elle le fit, en disant avec douceur, mais avec décision; Antoine m'a remis ses deux enfants: je suis leur mère; et tant que je vivrai, et si Dieu m'en fait la grâce, je ne permettrai pas qu'ils transgressent le saint commandement de l'Éternel.

Le commandement de l'Éternel! de l'Éternel! grommela le parrain, avec humeur... Est-ce que Dieu veut qu'on crève de faim pour le servir?

Papa a mieux aimé avoir faim, s'écria André, en se collant contre sa grand-mère, plutôt que de désobéir à Dieu, et moi....

Toi, dit le parrain, avec un geste de menace, tu feras ce qu'on t'ordonnera, et pas autre chose.

La grand-mère, avec fermeté. Eh bien! c'est Dieu qui lui ordonne de sanctifier le dimanche; et son père aussi le lui commande. Tenez, lisez: voici ce qu'il dit à la fin de sa lettre: «Que Dieu l'enseigne aussi à André et à Julie. Oui, que ces chers enfants craignent l'Éternel, et que, quoi qu'il puisse leur en arriver, ils refusent de travailler le dimanche. C'est Dieu qui nous le commande, et c'est aussi ma plus expresse volonté!» Cela est positif, je pense.

Eh bien! dit le parrain en se levant et avec colère, puisqu'il en est ainsi, je me décharge de toute responsabilité, quant à mon filleul. Faites à votre guise. Voyez vous-même son bourgeois; et s'il refuse de recevoir André, du moins ce ne sera pas sur moi que le reproche en tombera. — Et il prit la porte en répétant que cette belle religion ne leur donnerait pas à manger.

Que vais-je faire? dit André, quand son parrain fut parti. Dis, bonne grand-maman, que feras-tu?

Mon enfant, dit la servante du Seigneur, sois en paix. Le Seigneur qui m'a aidée dans l'apprentissage de ta sœur, est fidèle. Je lui ai demandé sa protection pour toi aussi; et tu l'auras, sois-en sûr.

André, avec inquiétude. Ah! grand-mère! Julie a été adressée à cette bonne dame,.... tu sais;.... et c'est elle qui lv placée où elle est. Mais moi, je n'ai personne.

La grand-mère, avec bonté. Hé! je te prie, qui est-ce qui m'a fait connaître cette dame, et qui est-ce qui a touché son cœur envers moi? N'est-ce pas notre bon Sauveur?

André, un peu confus. C'est bien vrai, cependant; car je me rappelle cette lettre qu'elle te répondit, et où elle t'appelait sa chère sœur en Jésus.

La grand-mère, en embrassant André. Tu vois donc, cher fils, que ce fut Jésus qui me dirigea et qui me fit réussir. Eh bien! notre Sauveur est tout aussi bon et tout aussi puissant aujourd'hui; et c'est ce que tu verras de tes yeux.

Allons, ajouta-t-elle, il faut que j'agisse. Reste ici. Il fait encore jour: je veux aller voir ce bourgeois à qui ton parrain a parlé. Peut-être Dieu lui touchera-t-il le cœur.

II faut qu'on sache, et qu'on en bénisse le Seigneur, qu'il y a dans le quartier où ceci se passait, un bon nombre de pères de famille et de chefs d'atelier, qui sentent déjà la nécessité de revenir à la pure religion de nos pères, et par conséquent à la Bible, qui en est le trésor. Dans ces derniers temps, les pasteurs de cette paroisse ont doublé de zèle et d'efforts, pour ranimer dans les familles le respect pour les Saintes Écritures et la sanctification du dimanche, et ils ont réussi, à beaucoup d'égards, dans cette bonne entreprise. Des comités d'hommes et de dames se tiennent; des écoles de divers genres sont soutenues et prospèrent; et quoiqu'il y ait encore bien de l'incrédulité chez plusieurs, et surtout de fâcheux préjugés contre ceux des chrétiens qui ont tout à fait rompu avec le monde, cependant on a lieu d'espérer que la réforme commencée ne s'arrêtera pas, et que, dans peu d'années, peut-être, le dimanche ne sera plus profané, ni dans les ateliers, ni dans le sein des familles.

Le bourgeois que la grand-mère d'André allait voir, était précisément le mari de la dame à qui cet enfant venait de refuser les commissions du dimanche. Sa femme lui avait déjà porté ses plaintes sur son futur apprenti, en tâchant de lui faire comprendre, qu'on ne devait pas introduire dans le cabinet un enfant qui ne ferait que critiquer tout ce qui s'y passerait, et qui ne pourrait que donner aux autres apprentis l'exemple de l'insubordination.

M. N*** avait bien écouté sa femme, mais il n'avait pas entièrement approuvé ses remarques, et lorsque la grand-mère d'André se présenta, il se sentit tout disposé à la bien recevoir. Il l'accueillit donc avec respect, et après l'avoir fait asseoir, il lui demanda quel était le sujet de sa visite. Je pense, ajouta-t-il aussitôt, que c'est votre petit-fils André. Son parrain m'a déjà parlé de cet enfant et de son apprentissage chez moi: et je suis tout prêt à lui être utile; car j'estime particulièrement son père, et... vous aussi, Madame.

La grand-mère. Je vous suis bien obligée, Monsieur! Dieu veuille que cet enfant ressemble en effet à son père, surtout dans sa piété! Et c'est pour cela même que je suis venue auprès de vous. Le parrain d'André m'a dit que vos apprentis travaillent chez vous le dimanche matin, et,... je viens vous dire que mon petit-fils ne pourra pas le faire.

Monsieur N*** comprit bien qu'il allait avoir une discussion avec la chrétienne qui lui parlait, et il ne s'y refusa pas; désireux qu'il était de l'entendre et de savoir tout ce qu'elle avait à dire.

Vous pensez donc, Madame, reprit-il, que j'ai tort d'ouvrir mon atelier, même deux ou trois heures seulement, le dimanche matin?

La grand-mère. Ah! Monsieur, je pense que dans le ciel les chrétiens ne feront que la volonté de Dieu, et que si nous sommes chrétiens, nous devons la faire autant que possible, dès à présent.

M. N***. Sans doute; mais est-ce agir contre la volonté de Dieu que mettre en ordre des outils, ou nettoyer un atelier ou terminer quelque ouvrage pressé? Ne reste-t-il pas assez de temps, ensuite, pour aller à l'église?

La grand-mère. Si Dieu nous a dit de ne pas voler, nous désobéissons à Dieu, même quand nous ne prenons que très peu de chose; et s'il nous a dit de sanctifier le jour de son Repos, nous faisons mal et nous péchons, même en ne le profanant que pendant une heure.

M. N***. Cependant, Madame, n'avons-nous pas à présent bien plus de liberté, quant au Jour du repos, qu'autrefois, sous la loi des Juifs? Et si je vais à l'église le dimanche, après avoir fermé mes ateliers, ne croyez-vous pas que je sanctifie ce jour-là?

La grand-mère. Sous la loi des Juifs, comme maintenant, Monsieur, Dieu demandait à ses enfants qu'ils aimassent l'Éternel leur Dieu de tout leur cœur et de toute leur pensée; et je crois que si l'on aime Dieu sincèrement, on ne cherchera pas à diminuer de quelque chose, ni son commandement, ni l'obéissance qu'on lui doit.

M. N***. Quoi! sans se permettre, le dimanche, ni fêtes, ni plaisirs! L'Évangile est-il donc si rigide?

La grand-mère. Ah! Monsieur, l'Évangile est une loi d'amour et non pas de contrainte. Si Dieu veut que nous le servions, c'est pour notre bonheur, et non pas pour le sien, qu'il nous l'ordonne; et si nous sommes les rachetés de Jésus, pouvons-nous l'aimer trop, et trop nous séparer des péchés et du train du monde? Non, non, Monsieur; et comme la neige ne peut jamais être trop blanche, jamais, non plus, notre âme ne peut être trop pure. Le Seigneur Jésus doit être servi de bon cœur, ou ne l'être pas du tout.

M. N***. soupira et dit: Mais, chère Madame, cela ne rend-il pas la vie bien triste?

La grand-mère, avec feu. Bien triste, dites-vous? Eh! je vous prie, le ciel est-il donc une demeure triste? Et qu'y fait-on autre chose qu'aimer Dieu et le servir?

M. N***. Mais enfin, cela demande des sacrifices, des renoncements, des privations; et tout cela, vous l'avouerez, n'est pas fort gai.

La grand-mère. Ah! Monsieur, si le canard des marais devenait un aigle, ce ne serait pas un sacrifice pour lui que de voler au plus haut du ciel; ni un renoncement et une privation que de ne plus habiter parmi les roseaux.

Je ne suis donc encore qu'un canard, dit M. M. N***, en souriant; car je sens bien que les marais et les roseaux de ce monde me plaisent, et même beaucoup. Mais, cependant, Madame, quoique je ne voie pas ces choses-là comme vous les voyez, je... respecte, je vous assure, votre conviction; et puisque vous me demandez qu'André, votre petit-fils, ne vienne pas à l'atelier le dimanche, j'y consens très volontiers, et je ne lui en parlerai jamais. Qu'il soit seulement assidu, docile et fidèle, et, s'il plaît à Dieu, je... serai pour lui un bon maître, et... un ami; car je vous l'ai dit, j'estime beaucoup son père. C'est un digne homme.

On peut comprendre quelle était la joie de la bonne grand-maman, et quelle fut celle d'André, lorsqu'il apprit tout ce qu'avait dit et promis M. N***. Tu vois bien, lui dit sa grand-mère, que la bonne dame n'était pas la seule qui pût nous aider, et que le Seigneur Jésus a bien su m'ouvrir cette porte, qui nous semblait fermée à double tour.

C'est bien vrai! dit André avec sentiment. Mais, pourtant, grand-mère, ce monsieur-là ne t'a pas appelée sa chère sœur en Jésus, comme avait fait la bonne dame?

Non, mon garçon! répondit la vraie chrétienne; pas encore: mais cela peut venir, et peut-être bientôt. Dieu est tout-puissant, et sa grâce en a bien gagné d'autres et de bien plus opposés. Rappelle-toi Saul de Tarse, et vois ce que Jésus peut faire. —, Mais dépêche-toi, cher enfant, de mettre tout en ordre: arrange ce bois; frotte la table, et nettoie tes souliers. Ta sœur va bientôt revenir de sa journée et dès qu'elle arrivera, nous lirons la Bible et nous ferons la prière. Ah! nous avons besoin de remercier Dieu, André. Cette lettre de ton père et la bonté de ton bourgeois sont de grands bienfaits. Non, ne soyons pas ingrats, car Dieu nous a fait du bien!

Ce bon Dieu en préparait aussi pour la maison de M. N***. Dès que la grand-maman d'André fut partie, il raconta à sa femme tout ce qui s'était passé, et quoique celle-ci semblât douter de la sincérité de cette religion-là, comme elle l'appelait, il n'en fit pas moins plusieurs remarques très sérieuses sur la nécessité de craindre Dieu de se convertir, et d'être, enfin, de vrais et de bons chrétiens.

Mme. N***. ne répliqua rien, ce qui surprit son mari, et lui fit penser que quelque chose de nouveau se passait en elle. Avant de se coucher, il posa la grande Bible sur la table, ce qu'il n'avait pas fait depuis des années, et il en lut quelque portion. Le lendemain, lorsqu'à la pointe du jour il entendit le bruit que les apprentis faisaient dans l'atelier, en l'arrangeant, il se sentit si peu à son aise, qu'il sortit de la maison et alla se promener, tout pensif, sur le boulevard.

Le parrain d'André, qui se dirigeait vers la porte de la ville, portant son fusil de chasse et suivi de son chien, l'y trouva, et lui dit, en l'abordant: A propos, Michel! je dois te dire que je n'ai plus rien à faire quant à mon filleul, dont je t'ai parlé, hier encore. Ce sont des fanatiques, et je les laisse. Sa grand-mère viendra te voir, je pense. Tu t'arrangeras avec elle, si tu peux.

Je l'ai vue hier au soir, répondit M. *** d'un ton sérieux. Tout est réglé.

Le parrain. Vraiment! A-t-elIe donc permis qu'André vienne au cabinet le dimanche? car, avec moi, elle n'a pas voulu en entendre parler.

M. N***. C'est moi qui lui ai dit qu'André n'est pas obligé d'y venir.

Le parrain. Toi; Michel! tu lui as dit cela? Et alors, que vas-tu faire avec tes deux autres apprentis?

M. N***. en fronçant le sourcil. Si cela me plaît, je leur dirai la même chose.

Le parrain. La même chose! Tiens! quel nouveau! Et alors, dis-moi, feras-tu le même compliment à tes ouvriers? Vas-tu, par hasard, fermer ton atelier le dimanche? Pour ce coup-ci, ce serait un peu fort.

M. N***, à moitié impatienté. Du moins, ne serait-ce pas plus mauvais que... d'aller à la chasse.

Le parrain, tout étonné. Est-ce bien toi, Michel, qui me dis cela! Eh! mon ami, que t'arrive-t-il? Dis-moi, tomberais-tu dans la momerie?

M. N***. avec gravité. Je ne m'embarrasse, moi, ni de momerie, ni d'autre chose. Ce que je veux faire, c'est d'être chrétien, si je peux.

Le parrain. En voici bien d'une autre! Et alors, que feras-tu de ton Rousseau et de ton Voltaire, que lu as achetés, il n'y a pas six mois, et que tu as fait relier si proprement?

M. N***. Si je les jette au feu, tu n'y perdras rien; encore moins qu'en brûlant ta poudre aujourd'hui.

Le parrain, en ricanant. Il paraît que tu te fais le protecteur des lièvres et des perdrix; et je comprends, à cette heure, pourquoi l'on ne te voit plus ni au café, ni au billard, et presque jamais au cercle. Mon pauvre Michel, cela me fait bien de la peine. Je te croyais plus de force d'esprit et plus d'indépendance. Adieu.

M. N***, en l'arrêtant. Encore un ou deux mots, s'il te plaît. Tu vas à la chasse, et tu ne sais pas si tu en reviendras; mais ce que tu sais bien, c'est qu'il y a un commandement de Dieu qui dit: Souviens-toi du Jour du repos, pour le sanctifier.

Le parrain, avec dépit. Bah! bah ! laisse-moi tranquille! Je ne fais de mal à personne; et d'ailleurs, si j'ai envie de prier, je puis le faire aussi bien dans un champ ou dans un bois, qu'entre quatre murailles.

M. N***, en le retenant de force. Non, non; cela n'est pas vrai. Je le disais aussi, mais je me mentais à moi-même. Non, on ne prie pas Dieu quand on se moque de sa loi; et, tu as beau dire et beau te défendre, je suis sûr que tu aurais peur de mourir, tel que tu es.

Le parrain, fièrement. Moi! et pourquoi? Suis-je un coquin? À qui ai-je jamais fait tort d'un sou? Ai-je de mauvaises mœurs, et suis-je un fainéant? Et d'ailleurs, vois-tu, je ne suis pas de ceux qui parlent de Dieu comme d'un tyran. Moi, je crois qu'il est tout bon, et qu'il n'ira pas me punir, parce que, après avoir travaillé comme un forçat toute la semaine, je vais prendre l'air aujourd'hui. Crois-moi, Michel, ne te laisse pas hébéter par cette sainte. Sois chrétien si tu veux; mais ne deviens pas piétiste.

M. N***. Tu m'en donnerais le désir, si... je ne l'avais déjà. Non, non, je ne veux plus de cette vie d'incrédule, pour ne pas dire de fou, et pis encore. Et quant à cette sainte, dont tu te défies, moi, je crois que si nous mourons tous trois aujourd'hui, elle n'aura pas, dans l'autre monde, la plus mauvaise place.

Le parrain haussa les épaules, siffla son chien, et gagna la campagne.

C'était ainsi que la conscience de M. N***. commençait à se réveiller, et celle de sa femme n'était pas plus tranquille.

Cette dame, si religieuse et si contente d'elle-même, lorsqu'elle avait repris André, n'avait pu dormir de toute la nuit. Ce que la grand-mère de cet enfant avait dit à M. N***, lui revenait sans cesse à l'esprit, comme une accusation; et le matin, quand elle entendit aussi le bruit qui se faisait dans l'atelier, elle ne fut pas plus à son aise que son mari; mais elle ne lui en dit rien, quelque envie qu'elle eût de reprendre la conversation de la veille.

M. N***. rentra après huit heures, pour déjeuner. Il était silencieux et concentré; et au grand étonnement de sa femme, il dit qu'il voulait aller à l'église; qu'il avait fait bien des réflexions depuis le soir précédent; qu'il ne se sentait pas tranquille; que peut-être il avait été jusqu'alors un incrédule; qu'il voulait désormais lire la Bible; que toute cette indifférence pour la religion où il avait vécu, ne menait finalement à rien de bon; que ni le cercle, ni le café, ni les fêtes du dimanche, ni les bravades contre la bible et ceux qui la croient, ne le tranquilliseraient au lit de mort; qu'après tout, il aimait mieux avoir le cœur en paix avec Dieu, que de tant manger, boire et chanter, avec une bande de moqueurs et de libertins; et que, s'il avait besoin d'amis, les premiers qu'il choisirait seraient le père d'André et sa digne mère.

Mme N*** était demeurée debout, immobile et sans voix, devant son mari, pendant qu'il prononçait toutes ces sentences, avec autant de calme que de vigueur; et quand il se tut, elle n'eut aucune parole à lui répondre, et se contenta de dire à voix basse: J'ai toujours dit que la religion est une bonne chose; aussi j'en ai toujours eu beaucoup.

Oui, oui, ma bonne, reprit M. N*** en se levant, et en passant dans une autre chambre, cela est vrai; mais je commence à croire que tu t'es trompée tout autant, et peut-être plus, que moi. Allons! que Dieu nous soit en aide à l'un et à l'autre! Voilà la première cloche qui sonne; préparons-nous pour l'église: j'ai besoin d'y aller.

Ce fut M. B*** qui prêcha, et son discours montra, avec beaucoup de clarté et de force, la nécessité de la Régénération de l'âme par le Saint-Esprit. Il prouva, soit par les Écritures, soit par l'expérience:


Il termina par une solennelle exhortation à s'examiner soi-même, afin de s'assurer si l'on est en effet régénéré par l'Esprit-Saint, et si la religion que l'on professe n'est point seulement celle des formalistes et des pharisiens, lesquels, s'écria-t-il, n'hériteront pas le royaume des cieux, malgré tous leurs beaux dehors de piété.

Ces dernières paroles tombèrent comme une pierre de moulin sur la conscience de Mme N***, et son mari, sans y penser, lui toucha le coude du sien, comme pour lui dire: Entends-tu?

Elle avait en effet entendu; aussi, contre sa coutume, quitta-t-elle son banc et sortit-elle du temple, sans faire ni salutations, ni compliments à ses voisines, et sans dire un seul mot sur le discours du prédicateur.

La grand-mère d'André, avec cet enfant et sa sœur, se trouva à côté de Mme N*** comme elle descendait les degrés de la grande porte. Mme N*** salua affectueusement la grand-mère, dont elle prit une main, qu'elle pressa dans la sienne.

C'est une grande bonté de Dieu pour nous, dit la grand-mère, que de nous faire entendre ainsi sa Parole. Ah! qu'il veuille la bénir pour nos âmes!

Elle a été bien sérieuse, ajouta Mme N***, et nous devons y penser.

Si vous le désirez, poursuivit la grand-maman, je vous prêterai un traité-religieux sur le même sujet. Je crois qu'il pourra vous intéresser.

Mme N*** remercia la grand-maman, qui lui dit qu'elle allait le lui envoyer par sa petite fille Julie.

Julie est une jeune fille de quatorze à quinze ans, élevée jusqu'à l'âge de dix ans par sa mère, qui était une douce et fidèle servante du Sauveur, et qui, en mourant, remit cette chère fille, avec son frère André, aux soins de sa belle-mère, qui, sous le regard de Dieu, les reçut comme un précieux et cher dépôt.

Julie a été élevée d'après la Bible. Dès sa première enfance, elle montra beaucoup de goût pour ce saint Livre, dont elle apprenait, chaque jour, cinq ou six versets, qu'elle récitait à sa mère, le matin, avant la prière de famille. Cette Parole a été bénie pour son âme. Julie est chrétienne, et cette brebis du Bon Berger est la joie de sa famille, aussi bien qu'un modèle de piété, de sagesse, et de diligence, pour les jeunes filles qui sont en apprentissage avec elle.

Voici, Madame, dit-elle à Mme N***, en lui présentant le traité sur la Régénération, le livre que ma grand-maman vous envoie. Elle m'a chargée de vous dire, aussi, que vous feriez bien, tout en le lisant, de chercher, dans la Bible, les passages de la Sainte Écriture qui sont indiqués dans cet écrit. Ma grand-maman dit qu'en faisant cela, on étudie la Parole de Dieu, et qu'on s'assure, en même temps, que ce qu'enseigne le traité est bien conforme à ce que Dieu a dit.

Ah! dit Mme N***, en faisant asseoir Julie, je ne connais pas la Bible aussi bien que vous, mon enfant; et cela me donnera du travail. Mais, enfin, le conseil est bon, et j'essaierai. Mais, je vous prie, parlez-moi de vous-même: oui, dites-moi comment vous êtes heureuse.

Julie. Ah! je le suis en effet, par la bonté de Dieu. Depuis ma conversion, c'est-à-dire depuis environ quatre ans, j'ai été, je pense, la plus heureuse des jeunes filles de Genève.

Mme N***, avec curiosité. Votre conversion, dites-vous! Mais expliquez-moi bien comment cela s'est fait; oui, ce que vous avez éprouvé; ce que c'est, enfin, qu'être converti?

Julie. Je ne pense pas qu'il me soit arrivé rien d'extraordinaire, et qui n'arrive de même à tous les enfants de Dieu. À présent, par la grâce infinie de Dieu, je suis soumise au Seigneur Jésus, ce que je n'étais pas auparavant.

Mme N***. Comment, Mademoiselle Julie! vous qui avez été élevée en quelque sorte sur les genoux du Sauveur! Car j'ai beaucoup connu votre douce et pieuse mère. Ah! c'était elle qui était chrétienne tout de bon! Quelle femme et quelle mère!

Julie. Ah! oui, quelle bonne mère! et que je serai heureuse de la revoir au ciel, auprès du Sauveur! Mais, je le sais bien: quoique ma bonne maman m'ait élevée, comme vous le dites, sur les genoux du Seigneur Jésus, je n'étais pas encore convertie, cependant, lorsque maman nous quitta pour aller vers Dieu.

Mme N***. Cependant, ma fille, vous lisiez la Bible, vous l'appreniez même par cœur; vous étiez aussi rangée et aussi sage que possible, et jamais l'église ne s'ouvrait, sans que vous n'y fussiez avec votre mère. Votre grand-maman était alors au canton de Vaud. Ah! Dieu ne vous avait pas encore affligés!

Julie. Il ne l'a fait que pour notre bien; et pour moi, comment ne le glorifierais-je pas, puisque c'est alors qu'il m'a convertie à son cher Fils, notre Sauveur!

Mme N***. Mais comment, s'il vous plaît? Que vous est-il donc arrivé?

Julie. C'est que j'aime à présent le Sauveur, tandis qu'auparavant je ne pensais presque jamais à lui. Je lisais bien la Bible; j'allais bien à l'église, et je passais bien le dimanche à la maison, et sans m'amuser; mais alors, je n'aimais pas le Seigneur Jésus. Je ne parlais jamais de lui, et je n'avais point de plaisir à le chercher dans mon cœur, ni à penser que j'irai vers lui en quittant ce monde, et que je lui serai faite semblable, comme dit l'Écriture, quand je le verrai tel qu'il est.

Mme N***. Et quand est-ce que cet amour pour Jésus a commencé dans votre cœur?

Julie. Vous savez que ma bonne maman fut malade plus de six mois. Eh bien! pendant tout ce temps-là, et à peu près chaque jour, mon bon papa m'appelait avec mon frère, le matin et le soir, vers le lit de notre mère; et là il nous parlait avec tant de bonté et tant d'amour, du Sauveur, et de la charité de Dieu; et maman nous disait des choses si belles et si tendres, surtout dans les dernières semaines, que je me sentais quelquefois comme saisie dans le cœur; et souvent, je vous assure, j'ai été pleurer en secret, dans le grenier, où j'allais me mettre à genoux et prier, quelquefois toute une heure, de suite. Enfin, ma bonne maman mourut; et ce fut quelques semaines après sa mort, que je commençai à voir que je n'étais devant Dieu qu'une pauvre pécheresse, et que j'avais besoin que le Sauveur lavât mon âme par son sang.

Mme N***. Mais, ma chère Demoiselle, qu'est-ce que cette phrase veut dire? Je l'ai lue souvent dans la Bible; mais je ne la comprends pas encore.

Julie. Cela veut dire, je pense, que comme notre Sauveur a pris sur lui nos péchés sur la croix, et qu'il y a été maudit de Dieu, comme dit l'Écriture, et immolé comme une victime, c'est sa mort qui nous a rachetés; et qu'ainsi, quand nous croyons de cœur en son sacrifice, Dieu nous pardonne nos péchés, pour l'amour de Jésus; et alors le Saint-Esprit nous fait sentir que nos péchés ont été expiés par le Sauveur, et qu'ainsi nous avons la paix avec Dieu.

Mme N***, en soupirant. J'entrevois ce que vous voulez dire, et je veux y penser. Dites à votre chère grand-maman que je suis très réjouie que votre frère entre en apprentissage chez mon mari, et que je ferai tout ce qui me sera possible pour lui et pour son bien. Dites-lui aussi, je vous prie, que je la remercie beaucoup pour le prêt de cette brochure. Je vais la lire, et je la lui reporterai moi-même; afin que je m'entretienne avec elle, aussi, sur tout ce que nous venons de dire. J'espère, Mademoiselle Julie, que j'aurai quelquefois votre visite. Que Dieu vous bénisse!

Oh! que de bien peut faire, même un enfant, s'il est sincèrement pieux, s'il aime le Sauveur! Dieu se servit autrefois d'une petite fille juive, captive, pour manifester la puissance de sa Parole, dans la guérison miraculeuse de l'idolâtre Naaman, qui devint ensuite adorateur de l'Éternel. (2 Rois V.) Ce même Dieu tout-puissant, et qui emploie de faibles moyens pour opérer les plus grandes choses, ne s'est-il point aussi servi de Julie pour la guérison de l'âme de Mme N*** et pour l'amener à connaître ce grand salut qui est en Jésus, notre Dieu-Sauveur? Qui pourrait dire qu'il n'en est pas ainsi?

Enfants chrétiens! soyez donc encouragés à montrer la foi que vous avez au Seigneur Jésus, avec cette simplicité, cette douceur, et en même temps cette franchise, que vous venez de voir chez la jeune Julie!

Mais d'abord, sentez avec reconnaissance quel bonheur c'est que d'être un des agneaux du Bon Berger.

Voyez quelle différence se trouve entre un enfant qui connaît le Sauveur, qui est élevé selon la Bible, et qui s'accoutume à vivre ici-bas comme un béni de Dieu, et un autre enfant qui est sans religion; qui ne sait pas ce que le Seigneur Jésus a fait pour nous; qui ne lit jamais la Sainte Écriture, et qui n'a que des habitudes mondaines, que des penchants pour la terre et ses vanités!

L'enfant chrétien sait, dans son cœur, qu'il est aimé de Dieu, et que Jésus son Sauveur le conduit et le garde.

L'enfant mondain, au contraire, a peur de Dieu, en redoute la présence et les châtiments, et jamais ne pense au Sauveur.

L'enfant chrétien se plaît à prier son bon Père céleste, et il lui demande son Saint-Esprit et d'être rendu sage.

L'enfant mondain ne prie jamais; il est sans Dieu et sans espérance, et son cœur est l'esclave du péché.

L'enfant chrétien se réjouit de vivre ici-bas en obéissant à Dieu et en imitant son Sauveur, dont il connaît la voix.

L'enfant mondain ne songe qu'à s'amuser, ou bien qu'à se faire louer des hommes, dont il imite les vices et les désordres.

Enfin l'enfant chrétien regarde, par l'espérance, vers le ciel, où il verra Dieu son Sauveur; il n'a pas peur de mourir, s'il est malade, parce qu'il sait qu'il est racheté et que le ciel est sa patrie.

L'enfant mondain, hélas! ne s'occupe pas plus du ciel et de sa gloire, que s'il n'y en avait point. Aussi la mort lui fait-elle horreur, et tremble-t-il à la pensée du jugement de Dieu, qui doit la suivre.

O Enfant qui lis cette histoire! sois donc chrétien! Oui, crois la Bible; crois au Seigneur Jésus; soumets-lui ton cœur; deviens son agneau, sa brebis docile; et comme Julie, comme son frère André, préfère aimer Dieu, que de plaire au monde, et le salut de ton âme, à tous les plaisirs et à tous les trésors d'ici-bas!

Julie porta donc à sa grand-maman les salutations et les remerciements de Mme M***, et lui dit aussi qu'elle avait cru voir que cette dame était bien aise d'entendre parler de Dieu et du Sauveur.

Elle ne t'a donc pas demandé de lui faire ses commissions aujourd'hui? dit André, avec un peu de malice.

Cher enfant! dit la grand-maman, avec un geste de reproche, ne juge pas, et surtout n'aie point de dépit ni de haine. Dieu est grand en conseil et merveilleux en moyens; et peut-être cette dame qui, hier au soir, t'a grondé si rudement, sera-t-elle, dès demain, pour toi, une amie qui te sera favorable.

Julie, vivement. C'est la vérité même, bonne grand-maman; car elle me l'a dit, tout à l'heure. Oui, mon frère, Mme N** m'a dit, et tu comprends bien que ç'a été sans que je le demandasse, qu'elle était très réjouie que tu entrasses en apprentissage chez son mari, et qu'elle ferait tout ce qui lui serait possible pour toi et pour ton bien. Ce sont ses propres paroles. Tu vois donc que tu aurais grand tort de conserver à son égard le moindre sentiment pénible.

La grand-mère. Oui, mon fils, tu aurais tort, et de toute manière. Chaque jour nous demandons à Dieu qu'il nous pardonne nos péchés, comme nous pardonnons à ceux qui nous offensent; comment donc pourrais-tu prier notre Père céleste de bon cœur, si tu gardais en toi quelque levain contre Mme N***? N'est-ce pas, André, que tu ne le feras pas, et que tu lui pardonnes du fond du cœur?

André pour toute réponse embrassa sa grand-maman et sa sœur; et quelques moments après, il dit, avec sentiment: Que cette dame est bonne, cependant, de vouloir bien s'intéresser ainsi à moi, qu'elle connaît à peine et qui n'ai jamais rien fait pour elle! Aussi, vous verrez, s'il plaît à Dieu, comme je tâcherai de lui obéir et de lui être agréable! Je me réjouis d'entrer chez M. N***. C'est demain matin, n'est-ce pas, grand-mère?

La grand-mère. Oui, mon enfant; mais aujourd'hui nous n'en parlerons pas. — Mais, vous ne m'avez pas récité vos versets de la Bible, ni le cantique de cette semaine. Allez donc les repasser. Pour moi, je vais lire quelques moments. — Je pense, aussi, mes enfants, que cette après-midi, après l'église, vous irez visiter votre cousin Paul. Il est assez malade depuis hier matin, et c'est aujourd'hui, surtout, que nous devons visiter les affligés. Votre cousin sera content, j'en suis sûre, que vous lui lisiez quelque portion de la Bible, et que vous lui rapportiez ce que vous aurez retenu des sermons d'aujourd'hui. Et nous ne savons pas, mes enfants, si Paul, quoiqu'il soit tout au plus de ton âge, André, ne quittera point bientôt ce monde! Le Seigneur vient à nous à toute heure. Soyez donc prêts, aussi, chers enfants; et pour cela, confiez-vous en Jésus, et soyez-lui dociles!


***

Quelle influence que celle d'une telle aïeule; oui, d'une telle piété, parlant par une telle bouche! Si rien n'est plus triste, dans une famille, que d'y voir un vieillard ne pas aimer Jésus et ne penser qu'à la terre, quelle douce autorité, quelle puissance d'amour, au contraire, y exerce un grand-papa, une grand-maman, qui honore la Parole de Dieu, qui est animé de l'Esprit de Jésus, et qui, détaché du monde et de sa vaine apparence, montre qu'il tend vers le ciel, et par ses sages avis, en enseigne le chemin à ses enfants et à leurs enfants!


Julie et André, aussi bien que leur père, connaissent ce doux empire. Leur bonne grand-maman est pour eux comme la bouche de Dieu même; et lorsque cette digne servante du Sauveur les aura quittés, pour aller vers l'Éternel, leurs âmes porteront encore les fruits de ses enseignements, et béniront sa mémoire, en marchant après elle, au sentier de la foi.

La cloche appelait de nouveau les fidèles au temple. La grand-maman avait déjà mis ses gants et pris son gros psaume, et elle attendait Julie et André qui achevaient d'écrire l'analyse du sermon du matin, qu'ils voulaient lire à Paul. Enfin, ils eurent fini; et l'aïeule et ses petits-enfants, revinrent s'asseoir avec respect dans la maison de Dieu, afin d'écouter ce que son ministre devait leur dire de sa part.

L'assemblée était peu nombreuse. Hélas! les portes de la ville avaient été plus fréquentées que celles du temple du Seigneur. La multitude était sur les chemins, dans les promenades; peut-être aussi déjà dans les tavernes et les théâtres; et ce n'était qu'à un bien petit nombre que le message du salut allait être adressé.

Mais dans ces quelques âmes attirées par la grâce du Père, il s'en trouva une qui intéressa puissamment la grand-maman et ses enfants. M. N*** aussi était revenu à l'église; et placé en face de la chaire, il avait tout l'extérieur de la plus sincère dévotion.

Ce fut sur le pardon des péchés, et sur le don de la vie éternelle en Jésus-Christ, que parla l'homme de Dieu. Son discours était simple et plein d'onction. Après avoir rappelé, en peu de mots, la condition naturelle de l'homme, et quel est le salaire du péché; après avoir dit que la sainte et juste loi de Dieu le condamne, et qu'il n'entrera pas au ciel, il exalta, avec adoration, l'amour infini du Seigneur, et insista, de la manière la plus touchante, sur cette immense charité du Père, qui a donné son Fils au monde, afin que quiconque croit en Jésus ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle.

Alors il développa le plan de la rédemption de l'Église. Il montra, par les Écritures, la divinité éternelle du Sauveur, et comment, lui, qui est Dieu au-dessus de toutes choses, béni éternellement, est venu du sein du Père jusqu'à l'homme sa créature; a pris à lui la nature humaine, mais sans péché; et s'est uni, par un mystère ineffable, à son épouse, l'Église, pour la racheter éternellement, par le sacrifice de lui-même, sur la croix.

On sentait, pendant qu'il parlait, que c'était d'un cœur plein de componction et du plus fervent amour, que sortaient ses enseignements; et lorsqu'il déplora l'égarement fatal de ceux qui ne reconnaissent pas Jésus comme l'Éternel-Dieu manifesté en chair, et qui s'exposent, par cette incrédulité, à la perte finale de leurs âmes, il fut facile de comprendre qu'il gémissait sur eux, sans les juger, et qu'il les appelait à la repentance par les accents de la charité la plus vivante.

Mais ce fut surtout quand il parla de la justification du pécheur, par la foi en Jésus, qu'il donna gloire à la miséricorde et à la justice de Dieu.

Montrant comment l'orgueil de l'homme s'élève contre l'amour du Seigneur;


Il fit voir, avec force, qu'une telle doctrine est une religion trompeuse, et que l'Évangile la réprouve et la déteste. Puis, s'adressant à un pécheur désireux d'être sauvé, il lui demanda ce qu'il voulait préférer, ou le don de l'amour de Dieu en Jésus, ou bien de refuser ce don, de mépriser le sang du Sauveur, et de se présenter, au dernier jour, devant le Juge des vivants et des morts, en lui disant: Voici mes vertus et mes œuvres: donne-moi le ciel et sa gloire, car je les ai mérités.

Malheur! s'écria-t-il alors, avec solennité, oui, malheur à l'homme qui aura négligé un si grand salut! Et si le juste n'est sauvé qu'avec peine, par le sang de Jésus et par l'Esprit éternel, ô incrédule, ô homme qui veux te justifier toi-même! où paraîtras-tu, et quelle sera ton issue, lorsque les livres seront ouverts, et qu'à côté de tes vertus humaines, se placeront, comme en bataille contre toi, et tes péchés secrets, et tes souillures cachées, et ton orgueil, et ton incrédulité, et ton superbe dédain de l'Agneau de Dieu et de son précieux sang?

À ces mots, M. N*** avait baissé la tête, et on le vit essuyer ses larmes. Quand on sortit du temple, il demeura seul; il revint chez lui tout rempli d'émotions qu'il n'avait jamais connues jusqu'alors, et s'enfermant dans sa chambre, il ouvrit la Bible, qu'il lut avec l'avidité d'un homme qui, rencontrant une source, y étanche une longue soif.

Son émotion n'avait point échappé aux regards de la grand-maman, ni à ceux de Julie. Dieu veuille, dit cette enfant à son aïeule, quand ils furent sortis de l'église, que le cher M. N*** ait été béni ce jour! As-tu vu, bonne grand-maman, comme il pleurait, à la fin du sermon? Oh! quelle joie ce serait pour nous, si son âme était aussi convertie!

Il nous faudra prier pour lui, dit André, dans notre culte de ce soir. Ah! que j'aimerais qu'il devînt chrétien! Quel bonheur ce serait pour lui, d'abord, et aussi pour moi! — Mais, dit-il à Julie, en lui prenant la main, n'oublions pas le pauvre Paul. Viens, ma sœur: nous lui raconterons tout cela, et il en sera bien réjoui.

Les enfants s'éloignèrent et leur grand-maman rentra chez elle: mais ce fut pour s'y prosterner devant le Tout-Bon, et pour lui demander qu'il abaissât son regard tout puissant sur M. N*** et sur sa femme.

Faites comme elle, vous qui souhaitez l'avancement du règne du Sauveur; vous qui désirez la conversion d'un père, d'un enfant, d'un ami! C'est à Celui qui ouvre, et personne ne ferme, c'est à Dieu, avant tout, que vous devez recourir; car c'est lui qui change et fléchit les cœurs et qui donne aussi les moyens qui convertissent les âmes. Priez donc, priez beaucoup et avec ferveur, vous qui aimez Jésus et qui dites au Père, avec sincérité: Que ton règne vienne!

La grand-maman achevait son humble et charitable oraison, lorsque quelqu'un frappa à sa porte. Elle l'ouvrit, et ce fut M. N*** lui-même qui se présenta.

Ma chère Dame, dit-il aussitôt, avec émotion, mais simplement et comme un ancien ami, j'ai entendu aujourd'hui deux sermons, et le dernier, surtout, m'a tout ému. Je ne sais ce qui se passe en moi; mais j'ai senti le besoin de venir vous parler; oui, de vous ouvrir tout mon cœur. Pouvez-vous m'entendre'?

La bonne grand-maman, toute surprise, tout émue elle-même, offrit son fauteuil à M. N***, et sans rien dire, et comme par instinct, elle alla prendre sa vieille et grosse Bible, qu'elle mit sur un guéridon, près duquel elle s'assit elle-même.

C'était en effet, dit-elle avec douceur, un enseignement bien utile, et en même temps une sommation bien sérieuse, que le sermon de cette après-midi! Ah! c'était la vérité! Il n'y a point d'autre salut pour nous, que par le sacrifice du Sauveur; que par la pure grâce de Dieu.

Non, non; le pardon des péchés ne se mérite pas! C'est Dieu seul qui le donne; et c'est gratuitement.

M. N***. Voilà ce qui m'a tout étonné, et en même temps tout ému; et quand le ministre m'a demandé, (car j'étais droit devant lui, et j'ai bien compris que c'était à moi qu'il s'adressait ;) quand il m'a demandé, avec tant de sérieux, et en même temps de bonté, si je voulais me sauver par mes vertus, et ainsi mépriser la grâce de Dieu, j'ai cru que j'allais m'évanouir, et je n'ai pu que pleurer.

Non, je vous assure, non, je ne veux ni mépriser, ni repousser ce salut et cette grâce de Dieu.... Mais je ne sais ni que penser, ni que faire. Je suis troublé et confus. Je suis dans mon esprit, comme un homme qui se réveillerait au milieu d'un brouillard; et je vous prie de m'aider, de m'enseigner, de me dire ce que Dieu veut de moi; car vous êtes.... chrétienne, vous Madame; et moi,.... hélas! je ne suis rien; rien qu'un incrédule, qu'un pauvre mondain, comme tant d'autres.

La grand-maman, avec affection. Cher Monsieur, celui-là n'est plus mort, qui déjà dit qu'il voudrait vivre. Prenez bon courage. Oui, Dieu vous a déjà visité dans sa miséricorde; car c'est une grande chose qui vient de sa grâce, que de sentir le besoin d'un Sauveur. Heureux est le malade qui déjà cherche un médecin!

M. N***. Ah! je ne l'ai guère cherché! Je sais bien que, dans ma jeunesse, j'ai été tout aussi rangé, et tout aussi honnête homme, que plusieurs autres. Non; je n'ai pas de reproches sur ma conscience, à cet égard-là. Le peu de bien que j'ai, je l'ai gagné par mon industrie, et j'espère que personne n'a jamais perdu, en travaillant pour moi. Mais tout cela, et tout le reste avec, ne me semble rien, rien, du tout. Je suis un pécheur devant Dieu; voilà ce qui m'est à présent plus clair que le jour; et c'est ce qui m'inquiète. Vous le dirai-je? c'est ce qui me fait peur. Oui, je tremble, en y pensant.

La grand-maman, avec le plus tendre intérêt. Est-ce... l'incrédulité, que vous vous reprochez surtout?

M. N***, avec un profond soupir. Je crois que oui! Ah! Madame, nous avons passé par de mauvais temps: vous le savez encore mieux que moi. Ce n'est pas avec la Bible qu'on m'a élevé. Hélas! je crois vraiment qu'elle n'était pas chez mon pauvre père. Et depuis que je suis homme, qu'ai-je pensé, et qu'ai-je fait? Ma religion? Je n'en ai point eu. À peine suis-je allé à l'église quatre ou cinq fois depuis vingt ans; et quant au dimanche, je ne l'ai vu venir, en hiver, que pour y travailler tout le jour, ou pour le passer dans les cafés et le théâtre; et dans la belle saison, que pour y faire des parties de plaisir, depuis l'aube jusqu'au milieu de là nuit. Quel train, que celui-là! Je l'ai bien un peu réformé, ces derniers temps: mais, qu'a-t-il été, durant toute ma vie!

La grand-maman. Hélas! il a été ce qu'est celui du monde, aujourd'hui. C'est comme disait Ésaïe, le prophète, quand il censurait les habitants de Jérusalem: Ils ont éclos des œufs de basilic, ils ont tissu des toiles d'araignée. Ils ne connaissent point le chemin de la paix, et ils se sont pervertis en leurs sentiers. (Ésaïe LIX.) Et cependant, grâce à Dieu! il y a bien du mieux, déjà! Ah! Monsieur, il y a trente ou quarante ans, qu'on ne nous eût pas prêché comme on l'a fait aujourd'hui! Alors on ne s'inquiétait guère que la Bible fût dans toutes les maisons; ni de nous dire que l'homme naît dans le péché et que le salut est par grâce, par la foi au sang de Jésus, notre Dieu manifesté en chair. Oui, il y a déjà bien du changement, M. N***. beaucoup, je vous assure.

M. N***. Dieu veuille qu'il s'en fasse en moi; car j'en ai bon besoin! Ah! Madame, je suis un grand pécheur!

La grand-maman, en ouvrant la Bible. Écoutez, cher Monsieur, ce qu'un grand pécheur, aussi, disait de lui-même, et de ce qui lui était arrivé: J'étais, dit-il, un blasphémateur, un persécuteur, et un oppresseur; mais j'ai obtenu miséricorde, parce que j'ai agi par ignorance, étant dans l'incrédulité. Or, (écoutez bien, cher Monsieur!) or, la grâce, (vous l'entendez: la grâce!!...) or, la grâce de notre Seigneur a surabondé, avec la foi et avec l'amour qui est en Jésus-Christ. Et encore ceci. Faites-y bien attention! Cette parole est certaine, et digne d'être entièrement reçue, que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver des pécheurs, desquels je suis le premier. Vous l'entendez, n'est-ce pas! Vous voyez qu'il se regardait comme le premier, comme le plus grand des pécheurs; et cependant, écoutez ce qu'il ajoute: Mais j'ai obtenu grâce, afin que Jésus-Christ montrât en moi, le premier, toute sa clémence, pour servir d'exemple à ceux qui viendront à croire en lui, pour avoir la vie éternelle. (1 Tim. I.) Vous l'avez entendu, Monsieur! Est-il possible d'ouïr une parole plus consolante, plus encourageante, pour vous?

M. N***. Qui était, je vous prie, ce grand pécheur qui disait cela?

La grand-maman, avec surprise. Eh! Monsieur! c'était l'apôtre St-Paul.

M. N***, avec naïveté. L'apôtre St-Paul! Je ne l'aurais jamais imaginé? Il avait donc été comme moi, un incrédule, un homme sans religion?

La grand-maman. Est-il possible, cher Monsieur, que vous ne connaissiez pas même l'histoire de Saul, le persécuteur des chrétiens, et de sa conversion miraculeuse?

M. N***. Hé! Madame, d'où la saurais-je? Je ne m'en suis jamais inquiété, et personne ne m'en parla jamais.

La grand-maman. Cependant, il y a une Bible chez vous.

M. N***. Mais à quoi m'a-t-elle servi, puisque jamais je ne l'ai ouverte, ni n'ai permis qu'on me la lût?

La grand-maman. Ah! Monsieur, commencez donc par-là. Lisez, lisez, et surtout, croyez le Livre de Dieu; sa sainte et vivante Parole. On n'est pas converti autrement. C'est la vérité de Dieu qui change le cœur. Je vous en supplie, lisez la Bible!

M. N***. Je l'ai déjà fait aujourd'hui, Madame; et... c'est cela même qui m'a fait venir ici.

La grand-maman. Comment cela, s'il vous plaît?

M. N***. J'étais si troublé, en revenant, cette après-midi, du temple, que je n'ai voulu parler à qui que ce fût. Je me suis enfermé dans ma chambre, et j'ai pris la Bible, que j'ai ouverte, et où j'ai lu la première page que je voyais. C'était dans un psaume ;.. oui,... dans le cinquante-troisième, où il est dit que les ouvriers d'iniquité n'invoquent pas Dieu et que Dieu les rendra confus; et comme je lisais et relisais ce psaume, il m'a semblé que mon cœur se fondait, et je me suis senti comme un criminel devant une sentence de mort. C'est ce qui m'a fait venir vers vous, Madame; car je ne savais à qui demander de la consolation; et tout ce que vous m'aviez dit hier au soir me revenait dans l'esprit. Voilà mon histoire: je vous l'ai toute dite.

La grand-maman. Oh! que Dieu, qui est charité, vous bénisse et vous fortifie, cher Monsieur! C'est ainsi qu'il vous attire à Jésus, et qu'il vous dit de croire en ce bon Sauveur.

M. N***. allait parler, lorsqu'on entendit les enfants qui revenaient de chez leur cousin, et qui entrèrent, tout à coup, en disant: Grand-mère! Paul est très, très-malade. Mais tout va bien: car il aime Jésus?

Julie et André virent alors M. N***, que la porte, en s'ouvrant, leur avait caché, et ils se turent, tout honteux.

C'est ton bourgeois, André! Approche, mon enfant, et salue M. N***. C'est comme notre ami qu'il est venu me voir.

André s'inclina avec respect devant M. N***, puis s'approchant de sa grand-maman, il lui dit à l'oreille: Est-il converti?

M. N*** entendit sa question; il rougit, et attirant l'enfant auprès de lui, il lui posa, avec bonté, une main sur l'épaule, et lui dit, à voix basse: Pas encore, André; mais je désire l'être; et puisque tu l'es, toi, tu me donneras l'exemple, et tu me montreras comment l'on devient chrétien.

André se tourna en fondant en larmes, et s'enfuit dans l'autre chambre. Alors Julie, s'approchant de M. N***, prit une de ses mains dans les deux siennes, et avec le respect et l'amour d'une fille pour son père, elle dit: O Monsieur! on est déjà chrétien, quand on désire l'être. Oui Monsieur! c'est Jésus, qui vous a mis cela dans le cœur! Oh! que Dieu est bon! Que Dieu est bon!


***

O charité chrétienne! amour des âmes et de leur salut! quel charme se trouve en ta voix et quelle puissance tu déploies sur nos cœurs! Oeuvre excellente et impérissable de l'Esprit éternel, tu règnes en souveraine sur nous; tu nous pénètres, tu nous captives, tu nous entraînes, tu nous rassasies de joie; et, ravis du bonheur que tu nous donnes, nous n'avons plus devant toi qu'un désir, qui est de t'écouter toujours, de ne te quitter jamais! La foi de l'enfant de Dieu, toute précieuse qu'elle est, et la sainte espérance de son âme, auront leur plénitude et prendront fin; mais toi, céleste amour! vie de Dieu et son image en ses bien-aimés, tu demeures éternellement; car l'immuable félicité des deux, c'est toi-même!

***

M. N*** était très touché. C'était la première fois, en tout le cours de sa vie, qu'il était le témoin, et surtout l'objet, d'une telle affection. Jamais, non, jamais jusqu'alors, son âme et son salut n'avaient attiré l'attention, et encore moins l'intérêt, de qui que ce fût; et jamais sa main n'avait été pressée de celle d'un ami qui, en le faisant, lui eût parlé de Jésus et de l'ineffable bonté de Dieu.

Et combien dans notre peuple n'est-il pas d'âmes qui pourraient dire qu'il en est ainsi pour elles! Que d'hommes faits, que de vieillards, à qui jamais personne ne demanda si leurs âmes connaissent le salut et si elles sont heureuses, heureuses du bonheur qui ne finira pas, du bonheur de Dieu! Quelques mots de la Bible, peut-être, dans leur enfance, puis une instruction religieuse toujours précipitée, toujours incomplète, et d'ordinaire finie avant que le cœur ait même senti ses péchés et combien moins connu Jésus et désiré sa paix, sont tout ce qu'ils ont obtenu des hommes, pour le plus haut et le plus important de leurs intérêts.

Et si ces premières impressions n'ont fait qu'effleurer leurs âmes, si elles se sont effacées, dès la jeunesse, dans les dissipations ou les affaires, ces jeunes gens, ces hommes faits, ces vieillards, ignorants qu'ils sont des choses divines et ne s'en approchant jamais, jamais, non plus, ne se sont réveillés de cet assoupissement fatal, et, comme M. N**'*, ils traversent toute leur vie, sans même qu'un ami leur ait dit: CONNAIS-TU JÉSUS, ET SERAS-TU SAUVÉ?

Genève! Genève! ne sortiras-tu pas enfin de ton insouciance, ah! nation légère! de ton incrédulité! Pères et mères de famille, chefs d'ateliers et de fabriques, et vous tous qui avez quelque autorité, quelque influence, sur ceux qui vous entourent! ne sentirez-vous pas, enfin, que vos enfants, vos apprentis, vos ouvriers, vos commis, vos serviteurs et vos servantes, ont une âme, une âme à sauver; et que vivre auprès de cette âme, sans lui montrer le ciel, sans lui parler de Jésus, c'est la mépriser, c'est la tuer?

Mais, hélas! c'est la vôtre, oui, c'est votre propre âme que vous méprisez, que vous laissez périr! Quel soin, donc, prendriez-vous de celle d'autrui, puisque la vôtre est ainsi délaissée!


***

Vous ne me condamnez donc pas, ma chère enfant? dit M. N*** à Julie. Vous ne me dites pas que je suis perdu?

André était rentré dans la chambre, en s'essuyant les yeux, et se tenant derrière la chaise de sa grand-mère, il regardait M. N*** avec attention, et ce fut aussi lui qui, à cette question de son bourgeois, s'écria: Perdu! M. N***! Perdu?! Hé! ne savez-vous donc pas que nous avons un Sauveur?

II y eut un moment de silence. M. N*** soupira, puis regardant fixement la grand-maman, il lui dit, avec beaucoup de douceur: On m'avait dit, Madame, que vous, qui êtes... des... chrétiens, vous étiez pleins d'orgueil, et que vous condamniez et repoussiez tous ceux qui ne pensent pas comme vous. Je vois, maintenant, qu'on m'a trompé.

S'il fallait, répondit la grand-mère, avec calme et profondeur, oui, s'il fallait pour retirer notre prochain de son incrédulité et de sa ruine finale, répandre notre sang et donner notre vie, je pense, qu'avec la grâce de Dieu, tout chrétien le ferait sans retard, et qu'il estimerait que mourir ainsi, ce serait mourir heureux. Mais, Monsieur, puisque le chrétien pourrait même donner sa vie pour sauver une âme, il ne doit perdre cette âme par aucun mensonge.

Il faut donc qu'il dise à l'incrédule, Tu ne crois pas; et à l'homme sans religion, Tu méprises Jésus; et à tout pécheur impénitent, Comment subsister as-tu au jugement de Dieu? Se taire alors, cher Monsieur, c'est éteindre la lampe qu'un enfant égaré dans une épaisse nuit, tient encore en sa main; c'est pousser une âme dans le précipice; c'est haïr son prochain; c'est le perdre en effet!

Et loin, loin de nous, qui connaissons la grâce et la patience de Dieu, une telle dureté pour nos concitoyens; pour qui que ce soit d'entre les hommes! Ah! si, seulement, on voulait nous écouter! On saurait bientôt, alors, que si nous crions aux pécheurs, Sauvez-vous de la colère à venir! ce n'est pas pour les y précipiter; et que quand nous les conjurons de croire en Jésus, et que nous leur disons, avec instances et avec larmes, que celui qui ne croit pas au Fils ne verra pas la vie, ce n'est pas pour les condamner et les maudire, mais afin qu'en croyant aussi, ils aient, avec nous, la paix de Dieu et l'assurance de la bienheureuse immortalité.

Je le vois, je le vois, reprit M. N***, avec effusion. Oui, c'est un mensonge, une basse, une vile calomnie. Non, l'on ne sait pas ce que vous êtes!

La grand-maman, avec douleur. Hélas, on veut l'ignorer encore, et cela parce que Jésus n'est pas encore aimé! Mais,... pourquoi gémir? Espérons de meilleures choses; car déjà il me semble que la vérité renaît dans notre paroisse, et que plus d'une famille y prend plaisir.

Et vous aussi, cher M. N***, dit la douce Julie, avec l'épanchement d'une tendre fille, et comme en priant; n'est-ce pas, vous aussi, avec Mme N***, vous voulez lire la Bible et aimer Jésus. Ah! si vous saviez combien l'on est heureux alors, je suis sûre que, dès aujourd'hui, vous ne voudriez pas d'autre bonheur. Oui, M. N***, je le sais par moi-même, et je le sens tous les jours plus, connaître Jésus-Christ, l'aimer, et tâcher de lui plaire, c'est déjà comme le ciel ici-bas.

M. N*** pleurait, et enjoignant ses mains, il dit à Julie: Heureuse est la jeune fille qui aime mieux le ciel que la terre, et Dieu plus que les plaisirs!

Oui, dit la jeune chrétienne, en se tournant vers son aïeule, dont elle prit une main, heureux sommes-nous, mon frère et moi, d'avoir eu, par la grâce de Dieu, une mère chrétienne, et de posséder encore un excellent père, qui aime le Sauveur, et une bonne grand-maman, qui nous élève avec la Bible, et qui nous montre, chaque jour, comment nous devons servir le Seigneur!


***

Maintenant, Lecteur! veuillez réfléchir, avec calme et sans prévention, sur ce tableau de quelques scènes domestiques. Remarquez ce que c'est que la foi; ce que sont les mœurs de ceux qui aiment la Bible, et qui, par conséquent, sont soumis au Fils de Dieu; puis comparant les principes, les habitudes, le train, et les dispositions des incrédules et des moqueurs, avec la paix et l'espérance des chrétiens, voyez si, à votre lit de mort, il ne vous sera pas meilleur d'avoir imité les premiers, et d'avoir eu vos enfants élevés comme le sont André et Julie, plutôt que d'avoir mis de côté le Livre de l'Éternel, ou bien de vous être contenté de n'être chrétien qu'au-dehors, sans avoir même pensé à cette nouvelle naissance, sans laquelle cependant, dit le Seigneur Jésus, nul ne verra le royaume des cieux.

La fin de toutes choses est près, pour vous, comme pour tout autre mortel; et après la mort, suit le jugement.

Lequel des deux vous sera donc préférable, en ce jour-là, ou d'avoir dit, avec les déistes et les impies, que l'Évangile est l'ouvrage des hommes, et que les chrétiens sont déçus; ou bien, d'avoir lu cet Évangile, de vous y être soumis, et d'avoir connu, dans votre âme, l'efficace du sang du Sauveur et la paix que vous venez de voir dans cette HEUREUSE FAMILLE?

FIN.

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