Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE TRENTE-SIXIÈME.

UN GRAND PROBLÈME

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I. Paul a-t-il été deux fois captif? — Tradition sans autorité réelle. — Hypothèse dont on peut se passer. — Clément de Rome. — Seconde épître à Timothée. 

II. Ce que paraît indiquer la fin des Actes. — Impossibilité de remplir authentiquement d'autres années. — Impossibilité de croire que la seconde épître à Timothée soit postérieure à 64. 


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Une tradition fort ancienne veut que Paul, au bout des deux ans, ait été mis en liberté. Il serait alors retourné en Orient, aurait visité les Églises, aurait laissé Timothée à Éphèse, Tite en Crète. De là, passant ou ne passant pas par Rome, il aurait fait ce voyage en Espagne que nous avons vu être un de ses vœux, — et ce serait en revenant d'Espagne qu'il aurait été arrêté, emprisonné de nouveau à Rome, et, enfin, mis à mort. 

 Voilà le système. — Nous dirons le pour et le contre.

Mais le pour, à y regarder de près, se réduit à la tradition qui affirme, et à certaines convenances, chronologiques ou autres, dont aucune ne s'impose assez absolument pour devenir une véritable preuve. Nous avons déjà vu que l'épître à Tite et la première à Timothée, qui semblaient si impérieusement indiquer un nouveau voyage en Orient, peuvent trouver leur place à une époque antérieure. Le voyage en Espagne n'a pour lui, dans tout le volume, que le désir exprimé par l'apôtre, désir qui ne prouve rien quant à l'exécution. Quelques mots de Clément de Rome, dans son épître aux Corinthiens, ont passé longtemps pour une mention formelle, qui, sous la plume d'un contemporain, d'un compagnon d'œuvre de saint Paul, suffirait en effet pour écarter toute discussion. Mais les mots eux-mêmes sont discutables, et le morceau entier est d'un caractère vague, hyperbolique, qui interdit de presser le sens des détails. Rien de formel non plus chez les écrivains postérieurs, jusqu'au moment où ils se mettent à enregistrer la tradition sans lui demander ses titres. Aussi ce voyage est-il aujourd'hui abandonné par beaucoup de ceux mêmes qui croient devoir maintenir l'autre, le voyage en Orient, comme nécessaire à l'explication des épîtres.

Or, la seule pour laquelle nous aurions encore à montrer que cette nécessité n'existe pas, c'est la seconde à Timothée; celle aux Philippiens est hors de cause, ne renfermant rien qui ait pu paraître une allusion à ce voyage.

Prenez donc la seconde à Timothée, et voyez comme tout peut s'expliquer autrement. Quand l'apôtre (IV, 17) dit qu'il a été «tiré de la gueule du lion,» le contexte n'indique point une mise en liberté, mais seulement le bon effet produit par son premier plaidoyer devant le tribunal de l'empereur. Quand il parle de faits qui ont lieu à Éphèse, rien, dans le contexte, n'indique qu'il ait été lui-même dernièrement dans cette ville. Quand il prie Timothée (IV, 13) de lui apporter le manteau et les livres qu'il a laissés à Troas, rien n'empêche d'admettre que ces objets fussent à Troas depuis longtemps, depuis le voyage mentionné au chap. XX des Actes; le temps fût-il encore plus long, cela prouverait seulement que Paul n'a pas eu, depuis lors, l'occasion de faire venir ce manteau et ces livres. Quand il parle (IV, 20) de Trophime laissé malade à Milet, le mot grec peut signifier également j'ai laissé et ils ont laissé. Avec ce dernier sens, la difficulté disparaît, car il s'agit alors d'Onésiphore et d'Éraste, laissant à Milet, malade, leur compagnon de route; or, ce sens est de beaucoup préférable, car «j'ai laissé» indiquerait que Paul vient d'arriver à Rome, — et toute l'épître indique qu'il y est depuis longtemps.


II

C'est aussi à toute l'épître que l'on pourrait en appeler contre l'idée d'une délivrance antérieure. Que l'apôtre, écrivant à Timothée, ne racontât pas cette délivrance, — rien de plus naturel; Timothée l'aurait sue depuis longtemps, peut-être même en aurait été témoin. Mais que l'épître ne renferme aucune allusion à ce sujet, que la situation décrite fasse si parfaitement suite à celle que nous connaissons par les épîtres antérieures, notamment par l'épître aux Philippiens, qui, dans cette hypothèse, appartient à la première captivité, — voilà qui serait bien étonnant. Et ne pourrions-nous pas reprendre ici, à ce point de vue, la fin des Actes? Si nous ne pouvons savoir ce que Luc allait ajouter au moment où il a posé la plume, nous pouvons, du moins, relire sa dernière phrase en nous demandant à quoi elle paraît conduire. Relisez-la donc; pesez ces mots que Luc a multipliés pour nous dire combien Paul eut de liberté deux ans, — et certainement vous sentirez que la phrase allait aboutir à un contraste, qu'elle n'a pu être écrite ainsi pour arriver à la mention d'une liberté plus grande encore, d'un acquittement par l'empereur. Bref, si vous la lisiez sans savoir qu'elle est la dernière, — ce n'est pas un acquittement que vous attendriez à la suivante, mais une continuation, plus grave, de la captivité.

On objecte que si Paul eût été encore prisonnier à Rome en 64, il aurait infailliblement péri dans la persécution qui suivit l'incendie de Rome. — Mais, d'abord, est-on sûr qu'il n'ait pas péri à cette époque? La tradition, tout en le faisant mourir vers 67, a longtemps fait de lui une des victimes de la persécution de 64; on ne s'inquiétait pas d'accorder les deux assertions. A-t-on de quoi prouver que la seconde est inexacte, que Paul n'est pas mort en 64 ou 65? A-t-on de quoi remplir authentiquement d'autres années? Si la plus tardive a été le plus en faveur, c'était en vue d'une autre tradition, celle qui veut que Paul et Pierre aient subi le martyre ensemble, mais après que Pierre eut longtemps habité Rome. Rien, toutefois, ne nous oblige absolument d'affirmer que Paul ait péri dans la persécution même. Il n'était pas captif, nous l'avons déjà remarqué, comme chrétien, mais comme séditieux. Le chrétien, sans doute, s'était amplement montré pendant les deux premières années; mais s'il fut, ensuite, emprisonné tout de bon, il put continuer à n'être considéré que comme accusé politique. Tout cela, nous en convenons, est vague; mais ce serait aux partisans du voyage, de la seconde captivité, à donner des preuves positives, et nous ne pouvons être tenus qu'à montrer qu'ils n'en donnent point.

Voici, d'ailleurs, encore une objection à laquelle il est étonnant qu'on ait si peu songé, et qui ramène avec une singulière force la date la plus ancienne. Si Paul a survécu à la grande persécution, qui expliquera, qui comprendra, dans ses dernières épîtres, l'absence de toute mention, de toute allusion sur ce point? Tant de détails sur ses propres souffrances, — et pas un mot sur celles de tant d'autres! Des centaines, des milliers ont péri, — et il parlera de sa mort prochaine comme d'un fait jusqu'ici nouveau, unique! Lui que nous avons vu si empressé à louer, à bénir, non seulement ceux qui souffraient, mais ceux qui simplement travaillaient pour l'Évangile, — il oublierait absolument ceux dont les tortures ont ému jusqu'à ce grand mépriseur du christianisme et du Christ, — Tacite! A-t-on pesé cette énorme invraisemblance? Tant qu'elle subsistera, qu'on ne nous parle pas des difficultés de détail que peut soulever la négation d'une seconde captivité. Quand il y en aurait que nous ne pourrions résoudre, — l'argument resterait intact.

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