Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE TRENTE-ET-UNIÈME.

AUX COLOSSIENS; AUX ÉPHÉSIENS

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I. Trois épîtres écrites de Césarée, non de Rome. — Une objection facile à lever. — Indices graves. 

II. L'épître dite aux Éphésiens — Incertitude de l'adresse. — Deux hypothèses. — Ne serait-ce pas l'épître aux Laodicéens? 

III. L'épître aux Colossiens la complète et l'éclaircit. — Quels judaïsants l'auteur a en vue. — Leurs doctrines. — Le corps et la chair. — Ne pas confondre. 

IV. Doctrine des deux épîtres. — Jésus relevé à sa véritable place. — L'épître aux Colossiens, plus didactique; l'épître aux Éphésiens, solennel témoignage. — La pensée emportant le style. 

V. Analyse. — État déplorable dont les païens ont été délivrés. — Foi; joie. — Croiront-ils, parce que Paul est prisonnier, que la cause est perdue? — Que Dieu les affermisse!

VI. Conseils pratiques. — Les deux épîtres, cours complet de morale évangélique. — Abondance, sagesse, variété. — Ce qu'est, pour saint Paul, la charité. 

VII. Le reste des souffrances de Christ. — Discussion; sens probable. — Ce qu'est, pour lui, la souffrance. — Belle idée.


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 I

Mais nous voici devant une question controversée. Avons-nous quelqu'une des épîtres que Paul, très probablement, écrivit pendant sa captivité de Césarée? Est-ce à cette période que nous devons attribuer trois épîtres qui sont d'ailleurs, chronologiquement, inséparables, — l'épître aux Colossiens, l'épître dite aux Éphésiens, l'épître à Philémon?

On incline aujourd'hui généralement dans ce sens; il y a même lieu de s'étonner qu'on ait tant tardé à s'apercevoir combien peu l'opinion contraire était fondée. Elle ne repose, en effet, sur aucune donnée sérieuse, ni extérieure, ni fournie par les épîtres mêmes; elle n'a dû son crédit qu'à la souscription des trois épîtres, qui les dit écrites «de Rome,», mais n'a aucune autorité critique, ces mots datant du Ve siècle. Il est vrai que nous n'avons non plus, en faveur de Césarée, aucune donnée directe, absolue; mais les indices recueillis n'en forment pas moins, dans leur ensemble, une démonstration à laquelle on trouve bien peu à opposer.

L'unique objection de quelque valeur est celle qu'on a tirée de l'état dans lequel nous voyons là les Églises d'Asie-Mineure. Pouvaient-elles, nous dit-on, à la date de la captivité de Césarée, être déjà ce que ces épîtres nous les montrent?

Nous avons vu, dans une discussion du même genre, combien le développement des erreurs était rapide. Or, ici, il ne s'agit même pas, comme précédemment pour l'épître à Tite et la première à Timothée, de choisir entre deux époques passablement distantes. Moins d'un an, quelques mois, séparent la captivité de Rome de la captivité de Césarée. Or, d'après les détails que l'apôtre donne à Philémon, il y a déjà longtemps que la captivité dure; donc, s'il écrit de Césarée, c'est peu avant le départ pour Rome, peu avant la captivité de Rome. Mais, d'autre part, si c'est à Rome qu'on lui fait écrire ces épîtres, on est forcé, d'après le contenu, de les lui faire écrire dans les deux premières années, c'est-à-dire avant qu'il s'attendît à une condamnation. Voilà donc qui rapproche encore les deux époques, et nous permet de dire que les détails donnés sur les chrétiens d'Asie-Mineure peuvent aussi bien dater de Césarée que de Rome.

Arrivons aux indices plus ou moins positifs.

Il nous paraît, d'abord, que la manière dont Paul, dans ces épîtres, parle de sa captivité, indique bien plus la captivité de Césarée que les premiers temps de celle de Rome. À Rome, il fut deux ans presque libre. Il habitait, non une prison, mais (Act. XXVIII, 30) «une maison qu'il avait louée;» il pouvait, accompagné d'un soldat, aller où bon lui semblait. À Césarée, les adoucissements accordés par le gouverneur n'empêchaient pas qu'il ne fût prisonnier, à la lettre, habitant la prison, probablement enchaîné, car les Romains étaient prodigues de chaînes, au propre comme au figuré. Voilà la situation que paraissent plutôt indiquer les trois épîtres; et quand, en particulier, l'apôtre parle des services que lui a rendus Onésime, l'esclave de Philémon, ces services ont bien plus l'air d'avoir été rendus à un prisonnier, dans une prison, qu'à un captif presque libre. Il est, en outre, peu vraisemblable que l'esclave eût fui de Colosses à Rome; il est peu vraisemblable encore qu'écrivant à Philémon de si loin, Paul lui eût dit: «Je te prie de me préparer un logement.» Ces mots semblent indiquer, sinon une courte distance, du moins une arrivée assez prompte, assez directe; or, supposez l'apôtre mis en liberté à Césarée, reprenant son projet d'aller à Rome, visitant, en chemin, les Églises d'Asie Mineure, — et celle de Colosses l'arrêtera une des premières. L'épître aux Colossiens ne mentionne pas ce projet; mais comme c'est Onésime qui va la porter à Colosses en même temps que celle à son maître, et comme Tychique, compagnon d'Onésime dans ce voyage, portera aussi celle aux Éphésiens, — tout indice recueilli dans l'une des trois s'applique aux trois. Ajoutez un argument négatif, commun aux trois. Dans l'épître aux Philippiens et dans la seconde à Timothée, écrites de Rome, tout indique Rome; comment admettre que trois autres, écrites aussi de Rome, n'eussent pas un mot pour l'indiquer? Il faudrait, enfin, expliquer la présence à Rome de tous les personnages que l'apôtre nomme aux Colossiens comme l'entourant à ce moment. Or, pour cinq au moins, c'est impossible, tandis que leur présence à Césarée, si nous n'en avons pas rigoureusement la preuve, est au moins vraisemblable et ne heurte rien dans les Actes.


II

Mais venons-en aux épîtres mêmes, dont la valeur historique et religieuse est heureusement fort indépendante de ces discussions préliminaires.

Il est vrai que d'autres discussions ont menacé, de nos jours, l'authenticité d'une d'elles. L'épître aux Colossiens, inattaquable, a servi de point d'appui pour attaquer l'épître aux Éphésiens. On arguait, d'abord, des ressemblances, indices d'une contrefaçon, disait-on. Comme s'il était étrange qu'écrivant en même temps à deux Églises menacées des mêmes dangers, l'auteur eût donné les mêmes conseils et reproduit çà et là les mêmes phrases! Un faussaire ne se serait-il pas attaché, au contraire, à varier? On arguait aussi des différences. L'épître aux Éphésiens, disait-on, nous transporte en plein second siècle; elle renferme des choses qu'un gnostique seul a pu écrire. Or, ces choses, à y regarder de près, n'ont réellement du gnosticisme que ce qu'on y en a mis en s'imaginant qu'il y était. On a exploité, enfin, quelques particularités de cette épître, surtout l'incertitude de sa destination. L'indication d'Éphèse, en effet, est reconnue fausse; le contenu ne permet pas de croire que Paul s'adresse à des gens chez lesquels il ait séjourné. Nous pourrions donc demander, ici encore, si le premier soin d'un faussaire n'eût pas été de se mettre en règle à cet égard, profitant de tout ce que nous savons des rapports de l'apôtre avec les Éphésiens.

Mais nous avons, pour lever toute difficulté, le choix entre deux hypothèses. La première fait de l'épître une sorte de lettre circulaire, portée par Tychique aux Éphésiens d'abord, puis, par Tychique ou par d'autres, à toutes les Églises d'alentour. Si nous disons «aux Éphésiens d'abord,», c'est parce que nous aurions là une origine très naturelle de ce nom d'épître aux Éphésiens, si ancien et si répandu; mais nous n'avons non plus aucun motif de ne pas croire qu'elle ait été d'abord portée à d'autres, peut-être aux Laodicéens, et nous aurions, dans ce dernier cas, l'explication d'un mot de l'apôtre recommandant aux Colossiens (IV, 16) d'envoyer à Laodicée la lettre qu'ils vont recevoir, et de lire eux-mêmes la lettre de Laodicée, c'est-à-dire venant de Laodicée. Mais ceci nous conduit à la seconde hypothèse, plus simple, émise dès le second siècle, longtemps abandonnée, et à laquelle on revient beaucoup aujourd'hui: c'est que l'épître aux Éphésiens devrait s'appeler épître aux Laodicéens, Paul l'ayant adressée à ces derniers, à eux seuls. Une foule d'indices ont été recueillis; beaucoup sont assez concluants. Comme nous n'avons, d'autre part, aucune trace d'un séjour de Paul à Laodicée, l'absence de détails intimes, de salutations personnelles, s'explique suffisamment. Un seul point embarrasse. Si l'adresse primitive (I, 1) a été: «Aux saints qui sont à Laodicée,» on demande comment ce mot de Laodicée a disparu; nous disons disparu, car les plus anciens manuscrits ne le remplacent par aucun autre, d'où résulte une phrase assez bizarre, complétée plus tard par «à Éphèse.» Mais une disparition est peu probable. Croyons plutôt que l'apôtre, préoccupé déjà de l'idée que sa lettre serait lue par d'autres que les Laodicéens, n'aura pas nommé ces derniers, la lettre devant, d'ailleurs, leur arriver directement par Tychique. Dans ce cas, les mots «qui sont» ne seraient pas de lui non plus, et la phrase bizarre n'indiquerait que les tâtonnements de copistes peu judicieux.


III

Quoi qu'il en soit, le contenu des deux lettres explique assez le désir de l'apôtre que les mêmes lecteurs prennent connaissance des deux. Si quelques passages se répètent, ce qui rendrait la double lecture inutile, tout le reste, sans se répéter, se complète de l'une à l'autre, et les deux, en somme, n'en font qu'une. Si ce fut un avantage pour les lecteurs du temps, c'en est aussi un pour nous, sinon comme remède aux erreurs que l'auteur signale, et qui ont pris fin depuis longtemps, du moins comme détermination de ces erreurs. L'épître dite aux Éphésiens pouvait être, en soi, suffisamment claire pour ceux qu'elle concernait; nous, si nous n'avions l'autre, elle nous serait assez obscure, non pas dans les détails, si édifiants, si pratiques, mais certainement dans l'ensemble. Nous nous demanderions quel est le but de l'apôtre. Sous ces formes si douces, si profondément évangéliques, nous sentons une polémique; mais, encore une fois, contre quoi et contre qui? — La réponse est dans l'autre épître.

Cela ne veut pas dire que nous puissions tout expliquer. Une difficulté, entre autres, a paru grande. En quoi les judaïsants que Paul attaque différaient-ils de ceux qu'il avait précédemment attaqués, surtout dans l'épître aux Galates? — Voici, d'après l'épître aux Colossiens, ce qu'il nous paraît qu'on peut croire.

Ces judaïsants, cela va sans dire, enseignaient l'obligation d'observer les préceptes cérémoniels de la Loi, — et Paul (II, 14) leur montre Jésus abolissant, par sa mort, tous ces préceptes, «les ayant cloués à la croix,» dit-il. Mais à côté de ce matérialisme religieux s'était formé, chez les mêmes hommes, un orgueilleux spiritualisme; ils trouvaient l'Évangile trop simple dans ses doctrines, trop faible comme loi et comme instrument de progrès. Les doctrines, en conséquence, ils y mêlaient leurs spéculations mystiques sur le monde invisible, s'occupant surtout beaucoup des anges, leur rendant à peu près un culte, leur attribuant un grand pouvoir, peut-être même la création du monde, et rabaissant d'autant le pouvoir, le rôle, la nature du fils de Dieu. La loi, d'autre part, l'Évangile considéré comme loi, ils lui donnaient pour base l'idée que la matière, le corps, est la source du péché, et que c'est le corps qui doit devenir, par les macérations, la source de la justice. Or, ce n'est pas seulement cette conséquence qui est fausse; le principe ne l'est pas moins. Le corps n'est point la source du péché, et ce serait une grave erreur, dans ces questions, de confondre corps avec chair. «C'est du cœur, avait dit Jésus, que viennent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères,» et jamais Paul ne s'est départi de ce principe; jamais il n'a attaché le mal à la matière même de la chair, établissant entre la matière et l'esprit un antagonisme radical, nécessaire, absolu. La chair, pour lui, c'est le cœur charnel, irrégénéré; c'est le vieil homme par opposition au nouveau, celui que le Saint-Esprit crée en nous. Pour ce cœur charnel, pour ce vieil homme, le corps, sans doute, est fort souvent l'occasion du péché; mais vouloir qu'il en soit la cause, ce serait ou anéantir la responsabilité morale, ou entrer, comme ces hommes, dans la voie de la sanctification par le corps.


IV

Que fera donc l'apôtre? — Conséquences, principe, tout tombera devant un seul fait: l'œuvre de Christ, qui est parfaite, et par laquelle il a assuré à tout notre être, esprit, âme, corps, une entière victoire sur le péché comme sur la mort. Mais une pareille œuvre ne saurait avoir pour auteur le Christ amoindri, incomplet, des judaïsants de Colosses. L'apôtre commencera donc par le replacer à la hauteur dont ils l'ont fait descendre. Il est «l'image du Dieu invisible.» — «En lui ont été créées toutes choses dans les cieux et sur la terre, les visibles, les invisibles.» — «En lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité.» — Et ces dernières paroles (II, 9) font suite à celles où Paul montre encore une fois d'où sont venues toutes les erreurs qu'il combat. «Prenez garde que nul ne vous séduise (ne fasse de vous sa proie) par le moyen de la philosophie et d'une vaine erreur, selon la tradition des hommes, selon les rudiments du monde, et non selon Christ.»

Prenez maintenant l'épître aux Éphésiens, et vous n'aurez nulle peine à y découvrir le même but, poursuivi autrement, atteint de la même manière, c'est-à-dire par l'exposition nette et vive des vérités contraires aux erreurs que Paul a en vue. Mais, ces erreurs, il ne les formule pas, ne les indique même pas; le remède ira, de lui-même, chercher le mal au fond des esprits, des cœurs.

L'épître est donc comme un solennel témoignage de la foi de Paul en la puissance de la vérité chrétienne. Il parle à Dieu en même temps qu'aux hommes; il bénit Dieu en même temps qu'il leur montre de quoi ils ont à le bénir. Le style se ressent de ce double courant de la pensée. C'est l'enseignement devenu prière, chant de louange, adoration; c'est, comme l'a dit quelqu'un, un psaume évangélique. Mais si l'on cherchait, parmi les psaumes, ceux auxquels cette épître pourrait le mieux être comparée, il faudrait prendre les plus riches de fond, les plus poétiques de forme. Nulle part, du reste, l'apôtre n'a plus hardiment secoué le joug de l'exactitude littéraire. Il va tant que dure le souffle de son puissant enthousiasme, ne s'arrêtant que lorsqu'il est, nous ne pouvons dire fatigué, mais suffisamment sûr que sa pensée est maintenant gravée dans notre esprit, que ce qui a débordé de son âme remplit maintenant la nôtre.


V

À peine a-t-il, au début, écrit la salutation ordinaire, qu'il s'abandonne à la contemplation des biens immenses que Dieu, par Jésus-Christ, a versés du ciel sur la terre; puis, à peine a-t-il dit que ses lecteurs sont de ceux à qui ces biens furent destinés, qu'il demande au Seigneur, par une fervente prière, de leur en faire de mieux en mieux comprendre la valeur inépuisable, infinie. Mais ils ont déjà, en eux-mêmes, un moyen de la comprendre: qu'ils se rappellent seulement dans quelle corruption, quelles ténèbres, ils étaient plongés comme païens. Une alliance avait cependant eu lieu entre Dieu et les hommes; mais ils étaient, eux, en dehors de cette alliance, et, quoique adorant des dieux en foule, ils étaient «sans Dieu» dans le monde, puisqu'ils ignoraient le vrai Dieu. Maintenant ils sont dans l'alliance, car Jésus est venu qui a annoncé la paix et aux païens «qui étaient loin,» et aux Juifs «qui étaient près.» Ils sont «concitoyens des saints;» ils entrent dans la construction de l'édifice «dont la pierre angulaire est Jésus-Christ.»

Mais voici qu'un de ceux qui bâtissaient cet édifice, Paul, est prisonnier. Oublieront-ils, pour cela, que c'est lui qui a été spécialement chargé «d'annoncer parmi les Gentils les richesses incompréhensibles de Christ?» Ou bien craindront-ils que l'œuvre ne soit compromise? Dieu a son dessein, «arrêté dès avant les siècles.» Que les Gentils devenus chrétiens ne se découragent donc point «à cause des afflictions» de leur apôtre. Ces afflictions ne sont-elles pas leur gloire comme la sienne? Prisonnier, il y a une chose qu'il pourra du moins toujours faire: prier pour eux. Et aussitôt: «Je fléchis les genoux, dit-il, devant le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, afin que, selon les richesses de sa gloire, il vous donne d'être puissamment fortifiés par son Esprit... et qu'étant enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez, avec tous les saints... connaître la charité de Christ, qui surpasse toute intelligence.» Et il termine par cette doxologie magnifique: «A celui qui peut, par la puissance qui se déploie en nous, faire infiniment au delà de tout ce que nous demandons et concevons, à lui la gloire dans l'Église, par Jésus-Christ, dans tous les âges et aux siècles des siècles!»


VI

C'est à partir de là que viennent les conseils pratiques, conséquences, comme toujours, des grandes doctrines de la foi; c'est aussi à partir de là que les deux épîtres se rejoignent. Aux Colossiens, Paul leur dira (III, 1): «Si donc vous êtes ressuscités avec Christ, cherchez les choses qui sont en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu.» Aux Éphésiens (IV, 1): «Je vous conjure donc, moi qui suis prisonnier pour le Seigneur, de vous conduire d'une manière digne de la vocation dont vous avez été appelés.» C'est, au fond, la même transition, conduisant aux mêmes idées; mais si quelques passages vont se trouver à peu près identiques, non seulement il n'y a pas lieu, comme nous l'avons dit, de s'en étonner, mais il y a lieu d'admirer, en maint endroit, la riche diversité que l'auteur a su introduire, ou, plutôt, car il n'y a évidemment pas songé, qui a coulé d'elle-même du riche trésor de son cœur. Ces cinq chapitres (deux de l'épître aux Colossiens, trois de l'autre) forment un cours complet de morale évangélique. Humilité, sanctification, prière, usage de tous les moyens de progrès, charité sous toutes ses formes, devoirs de tous envers tous, devoirs particuliers des époux, des pères et mères, des enfants, des serviteurs, des maîtres, — tout y est, tout y apparaît dans sa liaison intime avec les hautes vérités que l'apôtre vient d'exposer, tout s'anime et tout vit de cette puissante vie que la foi créera chez le chrétien. Point de petits devoirs, car tous découlent de la même grande et sainte loi; point de petites fautes, puisque toutes, comme désobéissances, offensent Dieu dans sa grandeur, et, comme ingratitudes, dans son infinie bonté.

Paul ne dit pas littéralement cela, mais il fait mieux que de le dire: il nous force de nous le dire nous-mêmes. Et comme il jette, en passant, même à travers les plus simples détails, ces mots qui illuminent tout le champ de la vie chrétienne! Point de paroles déshonnêtes, car ce serait «consister le Saint-Esprit.» Point de ces œuvres qui se cachent, car nous devons marcher «comme des enfants de lumière.» Point d'illusion sur les choses de la terre, comme si la vie était là; notre vie «est cachée avec Christ en Dieu.» Point de prétextes pour ne pas combattre le mal, même armé de toute la puissance du prince des ténèbres, car nous avons pour ce combat «toutes les armes de Dieu.» Paul se complaît dans cette dernière image. Il énumère ces «armes de Dieu» qui sont les nôtres; et quoiqu'il n'ait sûrement pas couru après une minutieuse exactitude, son «bouclier de la foi» et son «épée de l'Esprit» resteront à jamais d'une vérité frappante. Mais quelle image encore, frappante, touchante, que celle qui nous montrera, dans l'union du Christ et de son Église, le type du mariage chrétien! Comme les deux choses, mutuellement, s'éclairent! Comme le mariage sort de là plus grand, plus saint! Comme l'amour de Christ pour son Église nous devient, par cette comparaison avec le mariage, plus saisissable, plus humain, sans cesser, pour cela, d'être divin! Voyez, enfin, — car il faut se borner et l'on pourrait tout citer, — voyez que d'aperçus nouveaux, que de formes neuves, saisissantes, dans ce vieux sujet que l'apôtre, pourrait-on croire, a déjà épuisé plus d'une fois, — la charité! Une image, surtout, lui fournit les plus heureux développements. L'Église est un corps dont Jésus-Christ n'est pas seulement la tête, mais l'âme; les chrétiens sont les membres de ce corps. La charité est donc tout autre chose qu'un lien s'établissant entre nous par la pensée d'une commune origine, d'intérêts communs et de devoirs réciproques. C'est l'âme même de ce corps dont chacun de nous est un des membres; c'est la vie divine qui circule en tous et en chacun.


VII

Parmi cette foule d'idées, il en est une qui a été quelquefois mal comprise; et comme elle se lie aux circonstances où se trouvait l'apôtre, nous devons en dire quelques mots.

«Je me réjouis maintenant, dit-il aux Colossiens (I, 24), dans les souffrances que j'endure pour vous, et j'achève de souffrir en ma chair le reste des afflictions de Jésus pour son corps, qui est l'Église.»

On s'est demandé ce que voulait dire ce reste. Jésus a souffert tout ce qu'il avait à souffrir, et personne ne s'est jamais plus nettement exprimé que Paul sur la valeur infinie de ses souffrances, de sa mort. Et cependant, ici, on dirait que Jésus lui a légué quelques souffrances qui étaient encore nécessaires, et que lui, Jésus, n'a pas endurées. Contradiction donc, semble-t-il. Comment l'expliquerons-nous?

On a supposé que ces «afflictions de Christ» signifiaient simplement «afflictions pour Christ,» pour l'Évangile. Paul, croyons-nous, dit plus que cela. D'autres ont vu, dans ce «reste des afflictions de Christ,» les afflictions spéciales que Christ n'a en effet pas souffertes, la captivité, par exemple, soufferte actuellement par l'apôtre. Mais, alors, la difficulté subsiste; Paul ferait de sa captivité un complément de l'œuvre du Christ. Ne serait-il pas possible, laissant aux mots leur sens ordinaire et naturel, de distinguer, dans les souffrances du Christ, deux caractères, dont l'apôtre, ici, n'aura envisagé qu'un? Christ a souffert pour nos péchés, et ses souffrances, à ce point de vue, ont une valeur rédemptrice qui n'a appartenu et ne pouvait appartenir qu'à elles; mais le fait même d'avoir souffert, d'être mort, est un fait humain et imitable, se reproduisant chez quiconque souffre et meurt pour la vérité. «Christ a souffert, dit saint Pierre, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces.» Paul donc a suivi cet exemple; il souffre; il est heureux d'avoir été appelé à souffrir. Mais dans quel but souffre-t-il?

Encore une fois, ce n'est pas pour fonder, pour sauver l'Église, ce qui a été l'œuvre du Sauveur, mais pour l'étendre sur la terre, pour lui recruter des enfants, ce qui est l'œuvre de l'apôtre. Dira-t-on que ce mot «le reste des afflictions de Christ» paraît pourtant indiquer des afflictions de même nature et produisant un même résultat? Mais ce mot, que nous employons à défaut d'un autre, est inexact, du moins si on y attache ce sens. Le mot grec ne signifie pas proprement «ce qui reste,», mais «ce qui vient après, ce qui résulte comme conséquence immédiate,» — et voilà qui rentre pleinement dans notre explication. Si Jésus n'avait pas souffert, n'avait pas accompli son œuvre, il est clair que l'apôtre n'aurait pas à souffrir; si l'apôtre ne souffrait pas, c'est-à-dire n'avait pas affronté la souffrance, il est clair que l'œuvre du Christ, bien que complète et parfaite, serait restée, non seulement incomplète, mais nulle, pour tous ceux à qui elle n'a été connue que grâce aux travaux, grâce aux souffrances de Paul. Voilà donc, une fois la difficulté levée, un aperçu plein d'intérêt sur la manière dont l'apôtre envisageait ses souffrances. Tout ce qu'il en a dit et dans cette épître et dans les autres, nous pourrions maintenant le grouper autour de ce passage, et nous aurions le plus complet exposé des relations que la souffrance établit entre le chrétien et Jésus-Christ. D'un côté, rien de commun: Jésus reste la victime unique, parfaite; de l'autre, communauté, glorieuse et sainte unité. Paul ne s'arrêtera donc pas à cette pensée élémentaire, tout humaine, que peut concevoir le disciple et le serviteur de n'importe qui: «Mon maître a souffert; pourquoi ne souffrirais-je pas?» Il y a, chez lui, bien davantage; il y a tout ce que pouvait ajouter à cette pensée la nature même du lien dès longtemps établi entre un serviteur tel que Paul et un maître tel que Jésus. Ce ne sera donc pas simplement analogie, mais union, communion. Les souffrances du Christ, quoique passées, persistent, vivent, chez son disciple. «Nous portons partout dans notre corps la mort du Seigneur Jésus,» écrit-il (2 Cor. IV, 10). Mais ce même disciple qui souffre ainsi avec Jésus, — il sait, il sent que Jésus aussi souffre avec lui. «Pourquoi me persécutes-tu?» avait dit le Seigneur à Paul; et cette parole qui lui était si souvent revenue à la mémoire comme un amer et humiliant souvenir, lui revenait, dans ses souffrances, comme une consolation et une gloire. Persécuté maintenant, son maître était donc persécuté avec lui; prisonnier, enchaîné, Jésus partageait sa prison, portait ses chaînes. Vienne le supplice un jour, — et il pourra presque se dire que son maître meurt avec lui, pour ne pas lui laisser traverser seul les horreurs de la tombe.

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