Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VINGT-NEUVIÈME.

JÉRUSALEM

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I. Arrivée à Jérusalem. — Demande étrange. — Paul consent. — Explications. 

II. Émeute dans le temple. — Éclaircissements historiques. — Le tribun. — Impressions de Paul. — Il demande à parler au peuple. 

III. Ce que croyait le tribun. — Discours de Paul. — Fureur des Juifs. — Paul dans la citadelle. 

IV. Paul devant le Sanhédrin. — Coups. — «Muraille blanchie!» — Observations. — Discours de Paul. — Pharisiens et Sadducéens. 

V. Tumulte. — Les soldats emmènent Paul. — Vision et consolation. — Conspiration des quarante. — Le neveu de Paul. — Il est conduit à Césarée.


***

I

Ils partirent donc pour Jérusalem, accompagnés de quelques chrétiens de Césarée. Parmi eux était Mnason, originaire de Chypre, mais établi à Jérusalem, car c'était chez lui, ajoute l'historien (Act. XXI, 16), que Paul et ses compagnons devaient loger.

«Les frères, poursuit-il, nous reçurent avec joie. Le lendemain, Paul vint avec nous chez Jaques, et tous les Anciens s'y assemblèrent.» Les apôtres n'étaient donc pas à Jérusalem. Où étaient-ils? Nous l'ignorons, car tout ce que la tradition nous en dit est très peu sûr. Mais remarquons, d'abord, l'entière fraternité que ce récit constate entre Paul et les chefs de l'Église de Jérusalem, que nous ne pouvons pas ne pas supposer d'accord eux-mêmes avec ceux des apôtres qui avaient vécu parmi eux; confirmation, par conséquent, après bien des années, de ce que nous avons dit précédemment sur ce sujet. «Après les avoir embrassés, nous dit Luc (Act. XXI, 19-20), il leur raconta en détail tout ce que Dieu avait fait parmi les Gentils par son ministère; ce qu'ayant entendu, ils glorifièrent le Seigneur.»

Mais cet accueil, cette joie, ces actions de grâces à Dieu pour les travaux de Paul, ne peuvent que nous faire trouver assez étrange la demande que ces mêmes hommes vont immédiatement lui adresser. «Tu vois, lui disent-ils, combien il y a de milliers de Juifs qui ont cru, et ils sont tous (cependant) zélés pour la Loi,» tous persuadés que la conversion à l'Évangile n'entraîne pas, pour les Juifs de naissance, l'abolition des cérémonies de la Loi. «Or, ils ont entendu dire que tu enseignes aux Juifs qui sont parmi les Gentils de renoncer à Moïse, leur disant de ne point circoncire leurs enfants, et de ne pas se conformer aux coutumes (mosaïques).» Il y avait du vrai et du faux dans ces rapports. D'une part, Paul considérait le règne de la Loi comme fini, et nous pouvons bien penser que, lorsqu'il rencontrait des Juifs prêts à entrer dans ce point de vue, il leur conseillait franchement d'être tout entiers à l'Évangile; mais, d'autre part, nous avons vu qu'il reconnaissait aux «faibles» le droit d'agir selon leurs scrupules, et qu'il recommandait aux «forts» de ne pas les scandaliser en affectant de ne rien garder de la Loi. Les Anciens de Jérusalem, mieux informés que le commun des fidèles, connaissaient ces dispositions de Paul; il leur parut que le meilleur moyen de dissiper toutes les défiances serait que Paul se soumît lui-même, publiquement, à l'observation d'une de ces «coutumes» qu'on l'accusait de proscrire. «Fais donc ce que nous allons te dire. Nous avons quatre hommes qui se sont imposé un vœu. Prends-les avec toi, purifie-toi avec eux et subviens aux frais (du sacrifice), afin qu'ils se rasent la tête,» et toi aussi, en signe du vœu. Il s'agissait donc de ce même vœu que nous avons vu Paul accomplir volontairement en Grèce; mais l'explication que nous donnâmes alors de sa conduite pourrait bien, peut-être avec raison, être jugée insuffisante ici. On s'étonne de voir Paul entrer sans résistance dans le plan conçu par ces hommes; il y consent, non pas, sans doute, contre sa conscience, puisqu'il a toujours admis le devoir de ne pas scandaliser les faibles, mais par une condescendance un peu trop calculée, semble-t-il, du moins chez ceux qui la conseillent.

Pour juger en toute justice, il faudrait mieux connaître et les sollicitations auxquelles il crut devoir céder, et l'état de l'Église à ce moment. Dans le peu qui nous est raconté, on démêle, chez les Anciens, une sorte de frayeur à la pensée de cette «multitude» qui infailliblement s'assemblera, disent-ils (XXI, 22), quand elle saura que Paul est à Jérusalem. Cette multitude, ce sont des chrétiens, sans doute, mais imbus, en grand nombre, d'idées judaïsantes, et persuadés que l'Église de Jérusalem est spécialement tenue de conserver l'ancienne Loi. Ajoutez les Juifs encore Juifs, mais inclinant au christianisme, et qu'il ne faut pas rebuter. Qui peut dire ce qu'une situation pareille créait d'embarras aux chefs de l'Église? Qui peut dire, par conséquent, jusqu'à quel point ils purent faire à l'apôtre un devoir de leur en épargner de nouveaux? Lui-même, après tout ce qu'il avait fait pour maintenir Jérusalem dans l'unité de l'Église, après cette collecte sur laquelle il avait compté pour aplanir les divergences, et qui, sûrement, avait produit un excellent effet, — pouvait-il maintenant ne pas reculer à la pensée de compromettre l'œuvre eu repoussant le désir des Anciens? D'ailleurs, si le récit, toujours bref, ne mentionne de sa part aucune résistance, nous n'avons pas, pour cela, le droit de conclure qu'il n'en ait opposé aucune. Et si, enfin, il était démontré que sa condescendance envers les faibles et les amis des faibles alla, cette fois, un peu trop loin, nous ne voyons pas comment celui qui a tant prêché la charité serait condamnable pour l'avoir, une fois, outrepassée. Le résultat, du reste, ne devait pas être atteint; Paul allait être prisonnier avant la cérémonie finale. Que devons-nous voir là? Un châtiment infligé de Dieu à l'apôtre? Nous ne le pouvons. Mais que Dieu ait voulu, en ne lui permettant pas d'achever, manifester sa désapprobation du moyen conseillé par les Anciens, — nous ne l'affirmons point, mais nous n'oserions le nier. Dieu allait les briser bientôt, avec un éclat terrible, ces compromis entre le judaïsme et l'Évangile, entre la Loi et la Grâce. La ruine de Jérusalem et la dispersion du peuple forcèrent les judaïsants de choisir entre Moïse et Jésus-Christ. Ce qui restait, au deuxième siècle, de partisans de cette alliance, se joignit aux Ébionites, qui voyaient en Jésus un prophète, un second Moïse, mais rien de plus, et qui, peu à peu, rentrèrent dans le judaïsme.


II

Paul avait donc consenti. Le Nazaréat, qui durait légalement trente jours, pouvait être réduit à sept. Quand donc le Nazaréat des quatre hommes n'eut plus que sept jours à courir, Paul commença le sien, et se rendit avec eux dans le temple pour fixer le moment «où l'offrande devait être présentée pour chacun d'eux.» Mais, un des derniers jours, il fut reconnu dans le temple par quelques Juifs d'Asie-Mineure, probablement venus pour la Pentecôte, et qui ne lui pardonnaient pas ses succès dans leur pays. Ces Juifs «émurent la multitude et se saisirent de lui, criant: Hommes Israélites, aidez-nous! Voilà cet homme qui prêche en tout lieu, à tous, contre la nation, contre la loi, contre le temple; et il a même encore amené des Grecs dans le temple, et a profané ce saint lieu.» Cette dernière accusation était fausse; ils avaient vu avec lui, dans la ville, Trophime d'Éphèse, et ils en concluaient qu'il avait dû le mener aussi dans le temple, ce qui veut dire ici dans le parvis intérieur, à l'entrée duquel un écriteau rappelait aux païens la défense de pénétrer plus avant. Cette défense était absolue; les Juifs affirmaient avoir le droit de mettre à mort tout païen, fut-il Romain, qui l'enfreindrait, et il paraît que l'autorité romaine, toujours attentive à ne pas blesser les sentiments religieux des peuples conquis, se prêtait assez sérieusement à maintenir l'inviolabilité du temple. Paul avait donc commis un très grand crime en y introduisant — à ce qu'on croyait — un chrétien d'Éphèse, un païen, car Trophime, à leurs yeux, n'avait pas cessé de l'être; et quant à nous, tout en reconnaissant que la véritable cause de leur fureur n'était pas là, nous devons reconnaître ce que pouvait avoir d'irritant et de douloureux, pour ces pauvres gens, la pensée que ce même homme qui avait ébranlé la Loi dans les colonies juives, venait maintenant souiller le temple en y amenant un païen. Nous comprenons aussi, par conséquent, que cette accusation ait violemment ému la foule. Chrétien comme beaucoup de chrétiens de Jérusalem, Paul n'aurait pas été exposé à des violences; les formes judaïsantes dissimulaient l'opposition entre l'Évangile et la Loi. Près de vingt ans avaient passé sur l'émotion produite par son premier retour à Jérusalem après Damas; la multitude ne le connaissait pas, ni même, à ce qu'il paraît, son histoire, car nous les voyons s'étonner de l'entendre parler hébreu. Mais les accusations des Juifs d'Asie étaient plus que suffisantes pour soulever un grand orage.

De l'intérieur du temple, où on l'avait saisi, l'agitation passa très vite au-dehors, et une foule de gens vinrent prêter main-forte à ceux qui déjà le traînaient vers le parvis extérieur. Était-il seul contre tous? L'historien dit qu'une fois dehors «ils cherchaient à le tuer,» ce qui semble indiquer qu'ils rencontraient pourtant quelques obstacles, soit que quelques amis se fussent trouvés avec lui, soit que quelques Juifs plus humains s'opposassent à l'exécution du projet. Le tumulte allait donc croissant, lorsqu'enfin parurent des soldats, et, à leur tête, accompagné de quelques centurions, — le tribun de la cohorte romaine qui tenait garnison tout près du temple, dans la citadelle Antonia. À la vue des soldats, «ils cessèrent de battre Paul;», mais le tribun, en le tirant de leurs mains, commanda «qu'on le liât de deux chaînes,» et demanda ensuite «qui il était et ce qu'il avait fait.» Encore une des traditions de la politique romaine: les chaînes d'abord, pour plaire au peuple; l'enquête ensuite, mais conduite selon les clameurs du peuple. Tout cela s'était vu, vingt cinq ans auparavant, sous Pilate. Mais l'enquête, au premier moment, fut impossible. «Les uns criaient une chose, et les autres une autre,» et il est probable, en effet, que bien peu auraient été en état de dire exactement de quoi Paul était accusé. Le tribun, «ne pouvant rien apprendre de certain, ordonna qu'on le menât dans la citadelle.» Mais la foule put croire que c'était pour lui enlever sa proie. Elle se précipite, à la suite des soldats, vers les degrés qui conduisent du parvis à la citadelle. Des hurlements, des cris de mort retentissent; les soldats qui entourent Paul sont un moment obligés de le porter, soit que les chaînes l'empêchassent de marcher assez vite, soit qu'il se refusât à paraître fuir devant l'émeute.

Qu'on serait heureux de lire, dans quelqu'une de ses épîtres, le récit de ses impressions à ce moment! Comme l'histoire de son Maître devait lui revenir à la mémoire! Comme il devait la suivre pas à pas tandis que se déroulait la sienne au milieu des mêmes clameurs et presque dans les mêmes lieux! Et quand nous le supposons, dans ce moment terrible, capable encore de se souvenir, de réfléchir, nous ne disons rien que n'autorise le sang-froid dont il allait faire preuve. À peine, est-il au haut de l'escalier, qu'au lieu de mettre au plus vite la porte de la citadelle entre la multitude et lui, il demande au tribun la permission de parler à cette multitude. «Malheur à moi si je n'évangélise!» avait-il écrit aux Corinthiens; et voici que, à quelques pas du temple, sur ces degrés au bas desquels se rue la foule furieuse, Dieu lui a préparé comme une tribune d'un nouveau genre, d'où sa parole sera d'autant plus éloquente, et, dirions-nous volontiers, d'autant plus libre, que ses bras sont chargés de chaînes.


III

Le tribun lui accorda donc sa demande, non sans montrer une fois de plus à quel point il était peu au courant de la question. Il s'imaginait avoir mis la main sur un certain Juif d'Égypte, qui, peu auparavant, avait excité des troubles. Ses folles prophéties avaient amené une multitude de Juifs sur le Mont des Oliviers, d'où il leur promettait un miraculeux spectacle, la chute des murailles de la ville. De là, avec quatre mille d'entre eux, il avait couru le pays, mêlant le brigandage au fanatisme. Félix, le gouverneur, les avait mis en déroute; mais le chef avait échappé. Quel état que celui de ce malheureux pays! Et comme les Juifs semblaient, par leurs divisions, leurs désordres, préparer volontairement les voies à qui viendrait détruire cette nationalité déjà en ruines!

Paul, du haut des degrés, fait donc signe qu'il veut parler. Les clameurs diminuent, puis se taisent; «et quand ils entendirent qu'il parlait en langue hébraïque (et non en grec), ils firent encore plus de silence,» peut-être uniquement parce qu'ils comprenaient mieux, peut-être aussi parce que cette langue, en leur révélant un compatriote, les disposait à ne pas le trouver aussi coupable que l'avaient prétendu les Juifs d'Asie.

Il commence par leur dire ce qu'il était avant sa conversion, Juif de naissance, élevé aux pieds de Gamaliel, zélé pour le Dieu de ses pères, «comme vous l'êtes tous aujourd'hui,» ajoute-t-il, ce que sans doute ils prirent pour un éloge, à moins que le ton de l'apôtre ne leur eût dit l'amertume cachée de ces mots. Il leur raconte ensuite ce qu'il a fait contre «cette secte,» et, enfin, le miraculeux événement qui a changé le persécuteur en un chrétien. Nous avons déjà eu, au commencement de son histoire, à étudier ce récit; nous n'y reviendrons donc pas. Ce qui le distingue, avons-nous dit, des deux autres récits du même fait, c'est l'importance donnée aux paroles d'Ananias, dont le nom connu et respecté pouvait avec succès être invoqué devant cette foule. Au récit de sa conversion, Paul ajoute celui de la vision qu'il eut dans le temple peu de jours après qu'il fût revenu, converti, à Jérusalem. Nous avons aussi analysé ce morceau. Remarquons donc seulement, ici, comme il était bien à sa place et menait droit au but.

Que veut l'apôtre? Il veut qu'on se dise qu'un tel changement, dans un homme, annonce le doigt de Dieu. Il ne le dira pas directement; il se représentera s'étonnant devant le Seigneur, il y a déjà vingt ans, qu'on ne tirât pas cette conclusion. «Ils savent pourtant, Seigneur, que... etc.» Et il est clair que cette argumentation, maintenant racontée comme déjà vieille de vingt ans, comme présentée au Seigneur même, arrive d'autant plus forte à ceux qui renouvellent l'incrédulité d'alors. Elle les touchera peu; il le sait bien. Ils n'interrompent cependant pas; mais lorsque, continuant son récit, l'apôtre ajoute que le Seigneur lui réitéra l'ordre de partir, lui déclara que, vu l'endurcissement des Juifs, il allait l'envoyer vers les Gentils, — alors ce fut une nouvelle tempête de cris de mort. Le plus grand des crimes, à leurs yeux, c'était de supposer que Dieu pût cesser d'être leur Dieu; et cette étrange prétention se compliquait, à ce moment, d'un fait non moins étrange: c'était à un païen qu'ils demandaient de punir Paul pour avoir dit que Dieu l'avait envoyé vers les païens. Ils criaient: «Ôte du monde un tel homme, car il n'est pas juste qu'il vive!» Et «ils secouaient leurs vêtements, et ils lançaient de la poussière en l'air,» comme pour assouvir sur n'importe quoi cette haine dont l'objet était hors de leur atteinte.

Le tribun jugea bon de mettre fin à ces folies; il fit entrer Paul dans la forteresse. Mais il n'avait rien compris à cette scène, rien compris au discours de Paul, soit à cause de la langue, soit à cause des choses mêmes, et, sans même essayer de l'interroger paisiblement, il commanda «qu'on lui donnât la question par le fouet, afin de savoir pour quelle cause ils criaient ainsi contre lui.» Déjà on le liait pour exécuter cet ordre, lorsqu'il dit au centurion qui en était chargé: «Est-ce qu'il vous est permis de flageller un citoyen romain, et sans jugement encore?» Le centurion courut vers le tribun. «Prends garde à ce que tu vas faire! Cet homme est citoyen romain.» Le tribun revint. «Es-tu citoyen romain?» Oui, dit Paul. Moi, reprit le tribun, j'ai acheté ce titre, et même fort cher. Moi, dit Paul, je l'ai eu par ma naissance. Alors, comme jadis les magistrats de Philippes, ils furent tous effrayés, le tribun d'avoir donné l'ordre, les soldats mêmes d'avoir été sur le point de l'exécuter. Il est probable que le tribun n'aurait pas demandé mieux que de relâcher son prisonnier; mais, responsable de la tranquillité publique, et obligé, d'ailleurs, de respecter ce fantôme de souveraineté que les Romains laissaient à la nation, il ordonna, le lendemain, que le Sanhédrin s'assemblât, et que Paul y fût amené.


IV

Quoique l'émeute de la veille fût l'œuvre de la multitude, le Sanhédrin ne se montra, en majorité, du moins, ni plus réservé, ni plus juste. À peine l'apôtre eut-il ouvert la bouche, déclarant qu'il avait vécu devant Dieu «en toute bonne conscience,» que le souverain sacrificateur, Ananias, ordonna «de le frapper au visage,» ou, plus exactement, «sur la bouche,» ce qui était d'usage, paraît-il, comme châtiment immédiat à infliger aux blasphémateurs. L'apôtre aurait mieux accepté une condamnation à mort que cette brutale et ignominieuse violence. «Dieu te frappera toi-même, s'écria-t-il, muraille blanchie! Tu sièges pour me juger selon la Loi, et, au mépris de la Loi, tu ordonnes qu'on me frappe.» Quelques-uns, alors: «Injuries-tu, lui dirent-ils, le souverain sacrificateur de Dieu?» Et Paul: «Mes frères, je ne savais pas que ce fût le souverain sacrificateur, car il est écrit: Tu n'injurieras pas un chef de ton peuple.»

Beaucoup de gens ont lu ce récit sans se douter des discussions auxquelles il a donné lieu entre critiques. Les uns ont accusé Paul de violence d'abord, lorsqu'il s'adresse au grand-prêtre, de ruse ensuite, et même de mensonge, lorsqu'il déclare avoir ignoré que ce fût lui; les autres, pour l'excuser, ont eu recours à des arguments de toute espèce, fort étranges parfois. — Il eût mieux valu commencer par voir si les accusations étaient fondées.

Celle, d'abord, de violence, sur quoi repose-t-elle? — Uniquement sur ce que Jésus, frappé aussi au visage, ne parla point ainsi. Hélas! si nous nous mettons à condamner tout ce qui ne reproduira pas exactement la divine patience du Sauveur, à qui ferons-nous grâce? Ici, d'ailleurs, la comparaison n'est pas exacte. Quand Jésus, aux jours de sa Passion, reçut des coups au visage, ce ne fut pas, comme Paul, sur l'ordre exprès d'un de ses juges; et si Caïphe avait donné cet ordre, pouvons-nous affirmer que Jésus ne lui eût rien dit sur cet oubli scandaleux de sa dignité de grand-prêtre et de ses devoirs de juge? La «muraille blanchie» n'est-elle pas une réminiscence des «sépulcres blanchis,» mot de Jésus?

On objecte que Paul s'est pourtant reconnu coupable. «Je ne savais pas que ce fût le souverain sacrificateur.» Puisqu'il s'excuse, il s'accuse. — Mais de quoi s'accuse-t-il? D'avoir ainsi parlé? Non; il dit seulement n'avoir pas su qu'il parlât au «chef de son peuple.» Il ne se rétracte donc pas, et, au fond, il aggrave même le reproche, puisqu'il donne à entendre qu'il se serait tû par respect pour la dignité du grand-prêtre, mais sans changer d'avis sur sa conduite.

Mais, a-t-on dit encore, cette excuse, quelle qu'en fût la portée, était-elle sincère? Paul avait-il pu ne pas reconnaître le grand-prêtre à son costume, à la place qu'il occupait comme président du Sanhédrin? — La réponse est dans l'objection même. Si Ananias, en ce moment, avait présidé l'assemblée, s'il eût été assis, en*costume de grand-prêtre, à sa place ordinaire et en face de l'accusé, l'excuse donnée n'eût pas été seulement un mensonge, mais une palpable absurdité. Il faut donc nécessairement supposer que quelque circonstance expliquait l'erreur, expliquait l'excuse. Cette circonstance, nous n'essaierons pas de la trouver; mais, encore une fois, il serait absurde de penser que le grand-prêtre eût déjà parlé à Paul, eût été vu de Paul dans le costume ou le rôle de grand-prêtre, — et que Paul ou un Juif quelconque eût pu prétendre ne l'avoir pas reconnu.

D'autres détails encore manquent probablement dans ce récit; l'auteur, selon son usage, n'indique que les traits saillants et s'inquiète peu des intervalles. Ici donc, nous avons le commencement de la séance, marqué par l'incident dont nous venons de parler, puis, sans transition, la fin. On peut, il est vrai, admettre aussi que le premier incident fut aussitôt suivi du second, Paul ayant interjeté brusquement ce qui allait diviser l'assemblée.

Il savait que ces hommes, d'accord contre l'Évangile et contre lui, ne l'étaient point du tout entre eux. Les Pharisiens croyaient à une résurrection, à l'immortalité de l'âme, à un monde spirituel et invisible; les Sadducéens, sans être absolument matérialistes, niaient tout cela, ou à peu près. Ni les uns ni les autres ne voulant suivre Paul sur le terrain de l'Évangile, il jeta la question sur le terrain de leurs discussions ordinaires. «Frères, dit-il (Act. XXIII, 6), je suis Pharisien, fils de Pharisien; c'est à cause de l'espérance et de la résurrection des morts que je suis mis en jugement.» Il ne dit pas, comme on a souvent traduit: «L'espérance de la résurrection;» la résurrection n'était point pour lui une espérance, mais une attente certaine, inébranlable. Ce mot donc, l'espérance, employé ici absolument, signifiait l'attente, l'attente d'un avenir, par opposition à l'opinion de ceux qui n'attendaient rien, ni sous la forme ensuite mentionnée (résurrection des morts), ni sous aucune autre. Paul ne s'était pas trompé. À peine eut-il prononcé ces paroles, que la division éclata, et que les Pharisiens, sinon tous, du moins quelques-uns, furent entraînés à le défendre. «Nous ne trouvons, disaient-ils, aucun mal en cet homme; si un esprit ou un ange lui a parlé, ne combattons pas contre Dieu.»

En le défendant contre les Sadducéens, les Pharisiens se trouvent l'avoir défendu encore contre ceux qui l'ont accusé d'avoir dissimulé, presque menti, en réduisant son christianisme à la croyance en une résurrection. «Si un esprit ou un ange lui a parlé,» disent les Pharisiens. Il avait donc commencé, comme la veille, par raconter sa conversion, par l'attribuer ouvertement à l'apparition et aux paroles de Jésus ressuscité; ou si nous devons admettre qu'il ne dit en effet, dans le Sanhédrin, que ce qui nous est rapporté, les paroles des Pharisiens suffiront encore à montrer qu'on savait assez, parmi eux, ce qu'il était, ce qu'il prêchait. À quoi lui au rait servi de dissimuler, d'amoindrir? Il n'a donc nullement l'intention de faire croire que son ministère se réduise à prêcher la résurrection; il ne veut que montrer, entre les Pharisiens et lui, un terrain commun sur lequel ils seront forcés d'être ses alliés.


V

La querelle s'animait, et bientôt ce fut un grand tumulte. On l'entendait du dehors. Ce grand bruit n'était-il que celui de la discussion entre Sadducéens et Pharisiens, — ou bien Paul était-il redevenu le point de mire des arguments et des menaces? Il nous est dit seulement (XXIII, 10) que le tribun, craignant que Paul ne fut mis en pièces par eux, ordonna que les soldats descendissent pour l'enlever du milieu d'eux, et le ramener dans la citadelle. Le Sanhédrin se réunissait d'ordinaire dans un local situé près du Lieu-Saint, et dont l'accès eût été, par conséquent, interdit aux soldats romains. Mais il avait dans le grand parvis, au pied de la citadelle, un autre lieu de réunion; et ce fut là, probablement, que les soldats eurent à aller reprendre Paul.

Une sûreté meilleure que celle des murailles et des portes l'attendait dans cette prison devenue son refuge. La nuit suivante, le Seigneur lui apparut et lui dit: «Paul, aie bon courage; de même que tu as rendu témoignage de moi à Jérusalem, il faut aussi que tu me rendes témoignage à Rome.» Quand et comment? Le Seigneur ne le lui dira point encore, et Paul, d'ailleurs, ne le demandera pas. Il est prêt, et depuis longtemps, à sceller de son sang ce témoignage, à Jérusalem,s'il l'eût fallu, à Rome, s'il le faut. Mais le Seigneur a bien voulu l'avertir que ce ne serait, en tout cas, pas avant Rome. Il a donc du temps devant lui; du temps, probablement, pour souffrir, mais aussi du temps pour travailler aux affaires de son maître, et c'est tout ce qu'il demande.

Mais les Juifs ne savaient pas de quel rempart invisible Dieu venait d'entourer son serviteur; ils l'attendaient au sortir de ces murailles qui avaient arrêté leur rage. L'attente pouvait être longue; quelques-uns voulurent l'abréger. Quarante, environ, dès le lendemain matin, se réunirent, et, «s'anathématisant eux-mêmes,» disent les Actes (XXIII, 12), c'est-à-dire sous la forme la plus solennelle, la plus terrible, firent vœu de ne manger ni ne boire qu'ils n'eussent tué l'apôtre. Ce vœu, ils le communiquèrent aussitôt, ainsi que le plan pour l'accomplir, à des membres du Sanhédrin; nous disons «à des membres,» bien que l'historien semble plutôt dire tous. Mais il n'est pas admissible que tous fussent disposés à tremper dans un assassinat; l'eussent-ils été, ce ne sont pas des choses que l'on communique d'avance à un grand nombre. Il suffisait de quelques-uns pour faire voter par l'assemblée qu'on prierait le tribun d'amener Paul une seconde fois; il suffisait même qu'on s'adressât au grand-prêtre, très capable, lui, s'il faut en croire l'historien Josèphe, de prendre part à n'importe quel crime, et dont la mort violente allait vérifier, bientôt après, le mot prophétique de Paul: «Dieu te frappera toi-même!» — Paul donc serait ramené de la citadelle au Sanhédrin; les assassins se trouveraient sur la route.

Un neveu de Paul, «le fils de la sœur de Paul,» eut connaissance, nous ne savons comment, de ce projet; il pénétra jusqu'à lui et l'avertit de ce qui se tramait. Si Rome ne lui eût été montrée comme un des lieux où son maître aurait besoin de lui, il se serait probablement demandé s'il ne devait pas aller au devant du péril, laissant à Dieu de l'en délivrer ou non. Mais puisqu'il devait vivre, il jugea que c'était Dieu qui avait voulu le sauver. Il envoya ce jeune homme au tribun; le tribun comprit à quel point cet assassinat public engagerait sa responsabilité. Il résolut donc d'envoyer Paul, avec une escorte, à Césarée, où résidait le gouverneur romain. Dès le soir, quatre cents soldats et soixante-et-dix cavaliers partirent de Jérusalem, et, au milieu d'eux, à cheval, le prisonnier. Une si forte troupe semble indiquer qu'il y avait eu, dans la journée, d'autres projets que celui des quarante, et qu'on craignait un soulèvement populaire.

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