Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VINGT-SIXIÈME.

LA RÉDEMPTION

----------

 I. La théologie de saint Paul. — La rédemption chez qui croira comme lui. — Réalité du mystère. — Obscurités; clartés. — Paul croit, mais n'explique pas. — Imitons-le. 

II.  Dans l'épître aux Hébreux, malgré quelques apparences contraires, même réserve.


***

 

Si nous n'avions aussi, soit dans cette épître, soit dans les autres, abordé quelques-unes des questions générales qui se rencontraient sur notre route, ce serait ici le moment de jeter un regard d'ensemble sur la théologie de saint Paul. Nous en avons eu la pensée; mais nous avons bientôt pu nous convaincre qu'à moins d'entrer dans des développements considérables, nous ne pouvions guère que répéter ce que nous avions dit chemin faisant. Une autre voie s'offrait: ôter de leurs diverses places ces considérations plus générales, et les réunir ici. Plusieurs de nos lecteurs préféreraient, nous le savons, cette forme; d'autres, probablement, y trouveraient moins d'intérêt. Laissons donc chaque question à la place où l'amène la suite de nos récits ou de nos analyses. Elles ont là, d'ailleurs, quelque chose de plus vivant, et elles y ont gagné plus d'une fois, nous l'espérons, en clarté.

Il y a cependant une question que nous n'avons encore spécialement abordée nulle part, et, cela, parce qu'elle était partout, — celle de la rédemption.

Qu'était-ce donc que la rédemption pour saint Paul? Et pour écarter d'emblée ce qui pourrait nous entraîner trop loin, qu'est-ce que la rédemption pour un chrétien qui se sera mis avec saint Paul en pleine communion de sentiments et de pensées?

Ce chrétien s'abandonnera, comme l'apôtre, aux impressions de reconnaissance et de joie que ne peut pas ne pas produire l'assurance reçue d'une réconciliation et d'un pardon; mais sa pensée ne se portera pas seulement sur cette réconciliation et ce pardon, fruits de la rédemption: elle embrassera la rédemption elle-même, fait historique en tant qu'ayant eu lieu sur la terre, fait divin entant qu'arrêté d'avance dans les conseils de Dieu, annoncé parles prophètes, accompli, sur la terre, non par un homme ni un ange, mais par le Fils de Dieu. Ce chrétien ne sera donc pas de ceux qui réduisent la rédemption à un simple acte de l'amour de Dieu, et la mort de Jésus à une simple preuve de cet amour; il croira fermement que la mort de Jésus-Christ avait, dans le plan de Dieu, sa raison d'être, et que, entre la rédemption et cette mort, il y a un rapport profond, intime, indissoluble déjà lorsque la croix ne se dressait encore qu'aux yeux étonnés des prophètes, indissoluble à jamais depuis qu'elle s'est dressée en Golgotha. Christ crucifié, «scandale aux Juifs, folie aux Grecs,» ce ne sera pas seulement un défi à l'orgueil des sages, un contraste entre l'infamie de la croix et l'éclat des triomphes promis à l'Évangile; ce sera, très réellement, Christ «mort pour nos péchés,» Christ «se donnant soi-même pour nos péchés.» La rédemption sera donc, pour ce chrétien, une œuvre positive, non pas figurée, mais opérée par le sacrifice du Christ.

Mais si ce chrétien veut être fidèle jusqu'au bout à la théologie ou plutôt à la foi de Paul, il saura ne pas placer ici les pourquoi, les comment qui ont égaré tant d'âmes, soit en donnant à leur foi un caractère tout spéculatif, soit en les entourant d'écueils sur lesquels leur foi faisait naufrage. Cette relation mystérieuse que Paul admet, sent, adore, entre la rédemption et la mort sanglante du Christ, — il ne cherche ni à l'expliquer, ni à la comprendre. Quand il fait du Christ (1 Cor.XV, 45-49) le second Adam, sauvant ce que le premier a perdu, voilà, au point de vue de l'humanité du Christ, un rapprochement d'une vérité frappante; mais, ce rapprochement, il ne le donnera point comme explication du mystère. Quand il nous montre Jésus (Phil. II, 8) «se rendant obéissant jusqu'à la mort, jusqu'à la mort même de la croix,» il nous autorise bien à voir dans l'obéissance de Jésus la contrepartie de la désobéissance d'Adam; mais ce n'est encore pas l'explication de la rédemption même, du rôle et de la valeur du sang divin qui a coulé. Paul se promène et nous promène par tous les abords du sanctuaire, recueillant pour lui-même et nous invitant à recueillir tout ce que sa raison y voit de grand, tout ce que son cœur y trouve d'émouvant, de divin; mais le sanctuaire même, mais le lieu très-saint, mais la rédemption dans son essence, mais le mystère tel qu'il s'est consommé entre le Père et le Fils, — il ne l'abordera pas. C'est une de ces «choses ineffables» dont il a eu peut-être l'intuition le jour où il fut «ravi au troisième ciel,», mais qu'il n'est pas possible à l'homme, même à un saint Paul, d'exprimer. Imitons donc cette réserve, bien autrement nécessaire chez nous que chez un apôtre honoré de révélations si hautes; et tout en reconnaissant que le désir de connaître, d'expliquer, ne saurait avoir ici-bas un plus sublime objet, puisque cet objet, même au ciel, nous ouvrira encore des contemplations infinies, — sachons nous contenter de ce que la foi peut en saisir.


II

L'épître aux Hébreux contredit-elle ce que nous venons de dire? Pourrait-on la considérer comme encourageant des recherches sur ce que nous avons appelé l'essence de la rédemption?

Si elle nous paraissait avoir cette portée, nous rétracterions les observations qui précèdent. Que cette épître soit ou non de saint Paul, elle a, comme apostolique et canonique, une autorité tellement grande, que nous ne pourrions, sans déchirer le Nouveau-Testament, condamner au nom de saint Paul ce qui serait enseigné dans cet écrit. Mais l'embarras n'existe pas; l'épître aux Hébreux, pas plus que l'épître aux Romains, ne nous conduit sur ce terrain que Dieu, disions-nous, s'est réservé. La rédemption par le sang de Christ, c'est, chez Paul, un acte dont l'homme pécheur s'approprie l'efficace par la foi. Dans l'épître aux Hébreux, que voyons-nous? Elle relève un côté non moins vrai, non moins divin, de la mort expiatoire du Christ; elle s'autorise des formes de l'ancienne alliance pour voir en lui un nouveau souverain sacrificateur, offrant à Dieu, non pas, comme l'ancien, le sang d'animaux immolés, mais son propre sang, et le portant de sa main dans un «lieu très-saint» tout autrement saint que celui qu'on appelait de ce nom sur la terre. Mais cette belle image n'est pas mieux un système que les déclarations plus sobres de l'épître aux Romains. C'est toujours le côté extérieur et humain de la grande œuvre, le seul que nos yeux humains perçoivent, et le comment de la rédemption n'y est pas livré davantage à notre curiosité, à nos systèmes. — Nous n'avons donc rien à retrancher des conseils que nous donne la réserve de Paul, en même temps que sa foi nous trace le sillon lumineux où s'élancera la nôtre.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant