Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME.

DEUX DES ÉPÎTRES PASTORALES

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I. La première à Timothée. — L'épître à Tite. — Trois objections à l'authenticité: Date incertaine; nature des erreurs que l'auteur signale; style. — Réfutation. — Quand on a vécu avec saint Paul. 

II. Timothée à Éphèse. — Les fables; les généalogies. — Point de religion vraie que celle qui sanctifie. — Application de ce principe à tous. — Évêques; anciens; diacres; Timothée. — Ce qu'il a à faire auprès de chacun. 

III. L'épître a Tite. — L'île de Crète. — Conduite à tenir. — Ramener les Crétois à la vraie source de la sanctification. 


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L'embarras d'assigner une date aux deux épîtres a été quelquefois un argument contre leur authenticité. Pauvre argument, qui se retournait de lui-même. Est-ce que le premier soin d'un faussaire n'aurait pas été précisément de nous épargner cet embarras, choisissant dans la vie de Paul un moment où les deux épîtres s'encadreraient sans peine?

Mais d'autres objections ont été faites. On a cru voir dans les recommandations de Paul des traces d'un état de choses qui n'exista que plus tard. Ces faux docteurs contre lesquels il s'élève, ce ne sont plus, a-t-on dit, les judaïsants de l'épître aux Galates, mais des hommes mêlant aux doctrines judaïsantes les théories et les rêves de l'ascétisme oriental. — Cela est vrai; mais si nous prenons les détails, nous les trouvons bien peu différents de ceux que nous avons vu Paul signaler aux Corinthiens dans une épître d'une date certaine, d'une authenticité inattaquable. «Dans les derniers temps, dit-il (I, Tim. IV, 1-3), quelques-uns se détacheront de la foi, s'attachant à des esprits séducteurs et à des doctrines de démons... défendant de se marier, commandant de s'abstenir de viandes que Dieu a créées afin que les fidèles en usent avec actions de grâces.» Remarquez que l'apôtre ne peint même pas ces doctrines comme arrivées à leur développement complet; c'est plus tard, à une époque dont l'Esprit de Dieu, dit-il, lui donne la prescience, que ces doctrines porteront leurs fruits empoisonnés. Il pourrait donc les avoir vues en germe, plus qu'en germe, dans l'Église d'Éphèse, plus exposée d'ailleurs que l'Église de Corinthe à l'influence des erreurs d'Orient; il pouvait les avoir trouvées en Crète comme à Éphèse. À Éphèse comme en Crète il peut avoir eu à les combattre, et, cela, non seulement à l'époque tardive où on a longtemps placé la composition des deux épîtres, mais à celle que nous avons préférée. — Rien donc, là encore, qui puisse être un indice d'inauthenticité.

On a signalé, enfin, dans les formes, dans le style, quelques particularités qui semblaient indiquer une autre plume. Ces différences sont-elles assez graves pour ne pas s'expliquer suffisamment par la nature des trois épîtres? Des trois, disons-nous maintenant, car la seconde à Timothée a été l'objet des mêmes remarques. — Nous ne le pensons pas. Entre une épître à une Église nombreuse et une épître à un jeune collègue, disciple, ami intime de celui qui écrit, des différences bien plus marquées encore pourraient ne prouver qu'une chose: la liberté, le naturel parfait avec lequel la plume s'est promenée. Prenez, dans les autres épîtres, les endroits où Paul parle de Timothée, de Tite, — et vous verrez déjà comme ces endroits se rapprochent des lettres à eux adressées. Puis, dans ces lettres mêmes, si quelques traits semblent indiquer une autre main, l'ensemble est tellement de Paul, tellement empreint de son esprit, de sa physionomie, qu'on le sent et qu'on le voit, dans ces pages, mieux encore, pour ainsi dire, que dans toute autre épître. C'est là, du reste, dans toutes ces questions d'authenticité paulinienne, un argument dont on ne peut pas ne pas user, tout en reconnaissant qu'il n'a pas pour tous la même force. Quand on a vécu avec saint Paul, on le retrouve, on le voit dans tout ce qu'il a écrit, et, à chaque page mal à propos contestée, on serait tenté, pour toute raison, de dire: «Elle est de lui, car elle est de lui.»


II

Ces trois épîtres, vulgairement dites pastorales, traitent surtout, comme ce nom l'indique, des devoirs des pasteurs. Disons quelques mots des deux premières, réservant la troisième pour l'époque où elle fut écrite.

 Paul a donc prié Timothée de rester à Éphèse pour continuer, lui absent, l'œuvre d'évangélisation, et aussi la lutte engagée contre certaines tendances dangereuses. Qu'étaient ces «fables» et ces «généalogies sans fin» qu'il indique (I, 4) sans autre explication? Les fables, qu'il appelle ailleurs «fables judaïques,», c'étaient probablement les traditions fabuleuses dont certains Juifs grossissaient l'Ancien Testament, et qui, plus tard, formèrent le Talmud; les généalogies, c'étaient leurs spéculations étranges sur la hiérarchie céleste, spéculations plus tard systématisées par les gnostiques. Que savaient-ils, que pouvaient-ils savoir de ces choses? Absolument rien, dit l'apôtre; et il oppose à ces rêveries le caractère positif, pratique, profondément moralisant, de ce «glorieux Évangile» dont il a l'honneur d'être le ministre, lui, pourtant, qui a commencé par en être l'ennemi. Il est donc lui-même une preuve que le premier caractère d'une religion vraie, c'est qu'elle soit sanctifiante. Voilà ce que Timothée ne devra jamais oublier ni laisser oublier.

Comment se traduira donc (chap. II), dans la vie générale de l'Église, cette tendance-là, seule chrétienne? — Par des prières de tous pour tous, demandant à Dieu de sauver, par la connaissance de la vérité, tous les hommes. Il trace ensuite, incidemment, le rôle de la femme chrétienne dans cette vaste association des âmes. Il arrive, enfin, à ceux qui seront chargés de la direction de l'Église. Charge «excellente» que celle des «évêques» ou anciens, — car Paul emploie indifféremment ces deux mots. Mais il faut (chap. III) que tout homme aspirant à cette charge puisse être, comme homme, comme chef de famille, un modèle pour l'Église, et, au-dehors, un témoignage vivant de la sainteté de l'Évangile. Tels doivent être aussi, quoique moins en vue, les diacres.

Anciens, diacres, simples fidèles, considérés tous ensemble comme un corps unique, l'Église, ont aussi, dans le plan de Dieu, une charge unique: ils sont «la colonne et l'appui de la vérité,» et la vérité se résume dans le mystère de la manifestation de Dieu en Jésus-Christ. Voilà donc (chap. IV) l'arche sainte que Timothée, à Éphèse, est appelé à protéger contre les mains ignorantes, superstitieuses ou impures, qui s'arrogent le droit de la porter.

Que Timothée soit donc un modèle de foi, de charité, de pureté. Que nul ne puisse avoir la pensée de le trouver trop jeune pour une si haute mission. Qu'il sache (chap. V), sans que jamais son autorité en souffre, être avec les gens âgés comme un fils, avec les jeunes comme un frère. Qu'il veille, en particulier, sur les abus auxquels donne lieu l'état des veuves, et l'organisation établie eu leur faveur.

Paul revient ensuite aux anciens. Trois fonctions leur sont assignées: présider (administrer), prêcher, enseigner. Le même homme pourra ne pas les remplir toutes les trois; mais Paul admet le principe d'un salaire pour quiconque y consacrera une portion notable de son temps. Timothée, en vertu de l'autorité apostolique dont Paul l'a investi, est au-dessus d'eux; qu'il sache concilier ses droits avec la considération dont ils ont besoin d'être entourés. Mais point de faiblesse d'aucun genre. «Conserve-toi pur,» lui dit l'apôtre; et comme ce mot lui rappelle une précaution peut-être excessive que Timothée a prise pour échapper à toute apparence vicieuse, c'est là que vient le conseil de se remettre à boire un peu de vin. Nous avons déjà cité ce détail en parlant de son affection pour Timothée; ici, nous le noterions volontiers comme un indice précieux, s'il en fallait encore, de l'authenticité de cette épître. Quel faussaire aurait eu l'idée de jeter là un semblable incident?

Viennent enfin (chap. VI) les exhortations diverses que Timothée aura à développer auprès des esclaves, des maîtres, des pauvres, des riches. Mais, pour être écouté de tous, qu'il soit un «homme de Dieu,» qu'il «saisisse la vie éternelle à laquelle il a été appelé,» qu'il garde fidèlement «le dépôt» qui lui a été confié, le garantissant des altérations téméraires d'une science qui n'est que ténèbres et orgueil. — Le premier conseil de l'apôtre est donc aussi le dernier.


III

L'épître à Tite nous arrêtera peu, car elle reproduit plusieurs parties de celle que nous venons d'analyser.

La Crète, jadis célèbre par la sagesse de ses lois, s'était peu à peu dégradée par la piraterie et par d'incessantes guerres; soumise ensuite aux Romains, elle avait joint les vices de la paix à ceux de cet état demi-barbare, et Paul rappelle (I, 12), comme toujours plus vrai, un vers injurieux d'un de leurs anciens poètes, Epiménide, qui avait passé pour un prophète. Cette grossière corruption, les Juifs nombreux qui habitaient l'île en avaient été plus ou moins atteints. Ils étaient, d'autre part, fort adonnés à ces prétendues sciences dont nous avons parlé dans l'autre épître, et ceux qui étaient entrés dans l'Église n'avaient pas manqué d'y apporter leur bagage de «généalogies» et de «fables.»

Cette réunion de circonstances nous explique le ton plus rude avec lequel l'apôtre parle d'eux. «Reprends-les vigoureusement, dit-il à Tite (I, 13-16), afin qu'ils deviennent sains en la foi... En eux sont souillés et l'esprit et la conscience; ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renient par leurs œuvres.»

Le bon choix des anciens sera donc tout particulièrement important dans ces Églises, et Paul insiste plus encore que dans l'épître à Timothée sur les garanties à chercher. Il résume ensuite en quelques lignes ce que Tite devra exiger de tous, vieillards, femmes âgées, jeunes femmes, jeunes hommes, dont il devra surtout être le modèle, esclaves enfin et serviteurs. Mais qu'il ne leur laisse pas croire qu'ils pourront, d'eux-mêmes, briser le joug du péché. C'est l'œuvre de la grâce, et la grâce est en Jésus-Christ. «Lorsque, dit-il (III, 4-6), la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour envers les hommes ont été manifestés, il nous a sauvés, non en conséquence d'œuvres de justice que nous ayons faites nous-mêmes, mais par sa propre miséricorde, par une ablution régénératrice, par un renouvellement d'Esprit-Saint, qu'il a richement versé sur nous par Jésus-Christ notre Sauveur.» Voilà la source des œuvres, des vraies œuvres chrétiennes, comme aussi de toute doctrine utile et sanctifiante, — et les Crétois ont plus besoin que personne qu'on le leur rappelle incessamment.

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