Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VINGT-ET-UNIÈME.

ÉPHÈSE ENCORE

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I. Guérisons miraculeuses. — Paul combattant la superstition et la magie. — Succès obtenu. 

II. Faits qui manquent. — L'émeute; Démétrius. — Les Asiarques. — On apaise l'émeute. — Départ de Paul. 

III. Était-il déjà retourné en Grèce? — Importance de la question. — Place à trouver pour deux des épîtres dites pastorales. — Probabilités; arguments. 

***

 

 Nous avons vu Paul caractériser son séjour à Éphèse par ces deux traits: «Grande porte ouverte, adversaires nombreux.» Les deux mots étaient de plus en plus vrais.

D'abord, quant à la «grande porte,» Dieu permit qu'aux moyens ordinaires de succès il s'en joignît d'extraordinaires. Des guérisons miraculeuses s'opéraient (Act. XIX, 11 et suiv.) à la voix de Paul; même des linges qui avaient simplement touché son corps, soulageaient et guérissaient des malades. Or, à Ephèse se trouvaient, encore plus accrédités qu'ailleurs, quelques-uns de ces exorcistes juifs qui se disaient, eux aussi, en possession d'un pouvoir miraculeux; seulement, ce pouvoir résidait dans des formules mystérieuses attribuées à Salomon. Dans leur ignorante bonne foi, ils ne savent attribuer les miracles de Paul qu'à une formule plus puissante, et, n'osant la lui demander, ils se mettent, à tout hasard, à exorciser des malades «au nom de ce Jésus que Paul prêche.» Un des malades était, à ce qu'il paraît, dans une de ces crises où la fureur n'exclut pas une certaine lucidité, et, tout en se jetant sur les malheureux exorcistes: «Je connais Jésus, criait-il, et je sais qui est Paul; mais vous, qui êtes-vous?» Paul profita de l'impression produite pour combattre énergiquement cette foi aux arts magiques qui avait tant de racines à Éphèse, et dont les chrétiens mêmes, à ce qu'il semble, ne se débarrassaient pas facilement. Beaucoup se décidèrent à brûler ce qu'ils possédaient de ces livres mystérieux dont Éphèse était la grande officine. On en détruisit, disent les Actes, pour «cinquante mille d'argent,» ce qui laisse indécis s'il s'agit là du denier juif ou de la drachme grecque. Dans ce dernier cas, qui est le plus probable, la somme s'élèverait à environ cinquante mille francs. Ceux qui ont trouvé ce chiffre inadmissible n'ont pas songé que ces livres étaient des manuscrits, que les manuscrits étaient fort chers, et que ceux-ci devaient l'être encore plus à cause de leur valeur exceptionnelle comme livres magiques. La somme indiquée n'en suppose donc point un si grand nombre que le récit puisse être accusé d'exagération. «Et c'est ainsi, ajoute l'historien, que la Parole du Seigneur allait s'étendant vigoureusement.»


II

Mais les adversaires veillaient; et si nous recueillons dans les épîtres ce que Paul rapporte ou fait entendre des dangers qu'il a courus à Éphèse, il devient évident que l'émeute racontée seule dans les Actes n'est qu'un des épisodes de cette longue lutte. Ce n'est même probablement pas à cette émeute que Paul fait allusion lorsqu'il écrit (1 Cor. XV, 32): «Si c'est selon l'homme (humainement, terrestrement) que j'ai combattu contre les bêtes à Éphèse, quel avantage m'en revient-il ?» Ce passage, il est vrai, ne peut être pris à la lettre; un combat dans l'amphithéâtre, comme ceux où plus tard périrent tant de chrétiens, aurait laissé de bien autres traces que cette rapide mention, et, quel que soit le laconisme ordinaire des Actes, il n'est pas admissible que l'auteur eût omis un pareil fait. Mais cette figure, puisque c'en est une, ne peut se rapporter qu'à une émeute où l'apôtre aurait failli périr. Il y en eut donc au moins une avant celle dont les détails se trouvent dans les Actes, puisque celle-ci n'eut lieu que vers la fin du séjour de Paul, par conséquent après qu'il eut écrit aux Corinthiens.

L'émeute qu'on nous raconte eut à la fois pour causes la superstition et l'intérêt. Un orfèvre, Démétrius, fabriquait de petits modèles d'argent du fameux temple de Diane. Il occupait beaucoup d'ouvriers. Un jour donc il les réunit, et, avec eux, «tous ceux qui travaillaient à ces sortes d'ouvrages.» Un homme, leur dit-il (Act. XIX, 26), «non seulement à Éphèse, mais dans presque toute l'Asie, a détourné par persuasion un grand nombre de gens, disant que ce ne sont pas des dieux ceux qui se font de main d'homme.» Démétrius ajoute que ce n'est pas leur métier seulement, mais le culte de Diane, mais Diane, «elle que toute l'Asie, que le monde entier vénère,» qui est en danger de périr. Alors, comme pour raffermir, avant tout, Diane elle-même, ils poussent de grands cris en son honneur; puis ils se répandent par la ville, saisissent deux des compagnons de Paul, Gaïus et Aristarque, venus de Macédoine avec lui, et les traînent au théâtre, où avaient lieu les assemblées du peuple. Paul à cette nouvelle, veut courir auprès de ses amis; mais «les disciples ne le lui permirent pas, et quelques-uns même des Asiarques, qui étaient de ses amis, envoyèrent vers lui pour le prier de ne pas se rendre au théâtre.» Les Asiarques étaient pourtant une magistrature religieuse. Délégués des villes ioniennes, ils siégeaient à Éphèse comme dans la ville sainte, centre du culte national; ils présidaient aux cérémonies du grand temple, aux jeux publics, et ce nom même d'Asiarques, chefs de l'Asie, indique assez quel haut rang ils tenaient.

Leur amitié pour Paul ne prouve pas qu'ils fussent chrétiens, mais nous montre pourtant jusqu'où l'Évangile avait accès, et, en tout cas, quelle estime Paul leur avait inspirée. Ces dispositions favorables, soit de leur part, soit de la part d'autres magistrats, apparaissent encore dans la tournure que prit l'affaire. Les Juifs, que la multitude ne distinguait pas des chrétiens, voulurent profiter de l'occasion pour séparer leur cause de celle de ces derniers; mais leur orateur, Alexandre, ne put se faire écouter, et la foule, «durant près de deux heures, cria d'une seule voix: Grande est la Diane des Éphésiens!» Les magistrats laissèrent passer ce feu; puis, un des principaux, le secrétaire de la ville, après quelques mots sur la déesse, son culte, son incontestable grandeur, ajouta que les deux hommes qu'on avait amenés n'étaient pourtant coupables ni d'avoir profané le temple, ni d'avoir blasphémé contre la déesse; que si Démétrius avait quelque plainte à faire contre quelqu'un, le proconsul était précisément à Éphèse pour tenir la cour de justice et juger les causes de ce genre; que s'il s'agissait d'une affaire à régler législativement, on devait attendre que le peuple fût légalement convoqué; que cette assemblée illégale, tumultueuse, compromettait la ville, et que les Romains pourraient bien y voir une sédition; que ce qu'on avait de mieux à faire, c'était de se retirer. — On se retira.


III

«Lorsque le tumulte eut cessé, nous disent les Actes (XX, 1), Paul, ayant fait venir les disciples et ayant pris congé d'eux, partit pour se rendre en Macédoine.»

Mais avant de le suivre dans ce nouveau voyage, nous avons à nous demander si ce n'était que la seconde fois qu'il allait visiter la Grèce. Or, de graves indices ont conduit à penser qu'un deuxième voyage avait eu lieu pendant les trois années du séjour en Asie-Mineure, et cette idée, assez nouvelle, commence à avoir beaucoup de partisans. Dans sa première lettre aux Corinthiens, écrite d'Éphèse, Paul leur parlait (XVI, 7-8) d'aller les voir après la Pentecôte; dans la seconde, il leur dit (XIII, 1) que c'est pour la troisième fois qu'il va arriver chez eux. Mais, cette seconde lettre, il la leur écrit de Macédoine avant d'être descendu jusqu'en Grèce, et ce dernier voyage est pourtant celui que les Actes placent après le départ d'Éphèse. Donc un autre voyage a dû avoir lieu pendant le séjour.

Cette solution, qui serait en soi peu importante, l'est beaucoup comme permettant d'assigner une place à deux épîtres qui ont été chronologiquement l'occasion de grands débats. Si nous ne plaçons ici la première épître à Timothée ainsi que l'épître à Tite, il faut, de toute nécessité, les renvoyer fort loin, c'est-à-dire au delà du champ historique des Actes, et la seule place possible est entre les deux captivités de Paul à Rome. Or, la question des deux captivités est de plus en plus controversée, et, d'ailleurs, une des choses qui avaient le plus contribué à faire adopter l'affirmative, c'était précisément la nécessité de trouver une place aux deux épîtres.

Si donc l'apôtre a pour quelque temps quitté Éphèse, rien de plus naturel que la lettre écrite à Timothée, peu après ce départ, pour lui rappeler toutes les recommandations que l'apôtre avait dû lui faire. Paul a évidemment quitté Timothée depuis peu, et, d'autre part, il espère, dit-il le rejoindre bientôt. Tout donc indique une absence momentanée. Ajoutez que Paul lui parle comme à un homme encore bien jeune, ayant à suppléer par beaucoup de sérieux, de prudence, à ce qu'il ne peut encore avoir d'expérience acquise et d'autorité personnelle. Nouvel indice en faveur de notre hypothèse, car l'autre date nous porte à six ou sept ans plus tard, et l'on ne comprend guère qu'après six ou sept nouvelles années de ministère, d'apostolat, Timothée pût être encore ce que cette lettre suppose.

Mêmes raisons, ou à peu près, pour l'épître à Tite. Si Paul a fait le voyage en Grèce, rien n'empêche d'admettre qu'il ait, en revenant, visité l'île de Crète; en revenant, disons-nous, car, dans l'épître à Timothée (I, 3), nous le voyons aller par le nord, par la Macédoine. Tout le reste s'arrange de soi-même. Il a laisssé Tite en Crète; de retour à Éphèse, il lui écrit. Quand il lui rappelle (I, 5) qu'il l'a chargé «de régler ce qui restait à régler,» et, en particulier, «d'établir des anciens dans chaque ville,» — voilà qui montre que Paul était resté peu dans le pays. S'il ne lui parle pas, comme à Timothée, de sa jeunesse, plusieurs détails supposent en lui un jeune homme, ce qui serait plus tard, comme pour Timothée, invraisemblable. Un seul point embarrasse: c'est quand Paul invite son disciple à venir le rejoindre à Nicopolis, en Épire, où il veut, dit-il, passer l'hiver. Nous n'avons nulle trace d'un hiver passé en Épire, mais rien non plus n'empêche de le placer dans ce voyage en Grèce que nous voyons Paul entreprendre après l'émeute d'Éphèse. L'émeute hâta son départ, mais le projet de voyage existait, et c'est de ce projet qu'il aura parlé à Tite, lui indiquant seulement la ville où il le trouverait. Si, enfin, nous ne trouvons nulle trace d'un hiver passé dans cette ville, il peut encore se faire que cette partie du plan de Paul ne se soit pas réalisée.

 Tout bien pesé, nous ne pouvons guère hésiter. Quant à la grande question des deux captivités, nous y viendrons plus tard; mais il est évident, dès à présent, que tout ce que nous recueillerons de contraire à l'idée reçue sera en faveur de celle que nous venons d'exposer. 

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