Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VINGTIÈME.

L'ÉPÎTRE AUX GALATES ET LA PREMIÈRE AUX CORINTHIENS

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I. État de l'Église en Galatie. — Paul établit ses droits d'apôtre. 

II. La justification par la foi. — Les Galates l'ont abandonnée. — Arguments et exhortations. 

III. État de l'Église à Corinthe. — Parti d'Apollos. — Parti de Pierre. — Parti de Christ. — Analogies modernes. 

IV. Relâchements divers. — Leçon à tirer de là. — Paul a-t-il été trop sévère? — L'idéal de l'Église. 

V. Détails divers. — L'incestueux. — Comment Paul use de l'autorité apostolique. — Épître perdue.

VI. L'impureté. — Le mariage. — État de la question à Corinthe. — Vrai sens et vraie portée des conseils de l'Apôtre. 

VII. Une difficulté dans la question de l'inspiration. 

VIII. Les sacrifices païens. — Liberté; charité. — Même principe appliqué à l'apostolat. 

IX. Les femmes dans les assemblées. — La célébration de la Cène. — Les dons spirituels. — Orgueil; ambition tout humaine. — La charité, don supérieur à tous les autres. 

X. Le don de parler en langues. — Obscur pour nous; mais Paul en parle comme d'une chose très-connue. — Ne pas confondre avec le don des langues. — À quel point de vue Paul se place. — Essai d'explication. — Humilité; charité.

XI. Le quinzième chapitre. — Difficultés. — À qui l'auteur s'adresse-t-il? — Erreurs diverses sur la résurrection. 

XII. La résurrection de Jésus-Christ. — Controverses modernes. — C'est la base historique de l'Église. — Les Apôtres auraient-ils pu prendre une autre base? — Si on l'enlève, tout croule ou croulera. — Bonheur de relire ce chapitre. — Comment nous ressusciterons. 

XIII. Fin de l'épître. — La collecte. — Salutations. 


***

Mais le voici, en attendant, obligé d'écrire une épître où le pasteur, l'apôtre, s'armera de tous ses droits. C'est l'épître aux Galates.

D'affligeants détails venaient de lui arriver sur l'état de l'Église en Galatie. Il y avait peu de temps, deux ans au plus, qu'il avait parcouru cette province, et la vivacité avec laquelle il reproche aux Galates de s'être «si promptement» détournés de la vérité, semble indiquer qu'il n'avait alors rien vu d'inquiétant. Le mal avait donc marché bien vite, et, soit que l'apôtre oublie, dans sa douleur trop vive, de mentionner les exceptions, soit qu'en effet il n'y en eût point, il parle de ce mal comme ayant envahi toute l'Église, comme la jetant tout entière en dehors de la voie évangélique.

Nous ne reviendrons pas historiquement sur la question; nous avons, à ce point de vue, étudié déjà très soigneusement cette épître. Il ne nous reste qu'à en saisir l'ensemble.

L'apôtre, on se le rappelle, commence par la justification de son apostolat. Il ne l'a reçu, dit-il, d'aucun homme, mais directement de Jésus-Christ; sa vocation à ce ministère, son initiation aux vérités qu'il devait prêcher, tout, chez lui, depuis sa conversion, a été, comme sa conversion même, indépendant des hommes et de tout homme. Ses droits subsistent donc en dehors de toute sanction humaine. Toutefois, puisque les judaïsants réclament cette sanction, il peut prouver qu'elle a été donnée. Les apôtres ont reconnu, à Jérusalem, ses droits; ils lui ont tendu la main d'association. — Voilà pour la question extérieure, officielle.


II

Vient alors la grande thèse, et le premier argument sera pris (III, 1-9) dans l'histoire même de la conversion des Galates. Est-ce par les œuvres de la Loi (par des œuvres de loi, des œuvres légales) qu'ils ont reçu l'Esprit de Dieu? N'est-ce pas par la foi à eux prêchée, de même qu'Abraham avait été justifié, non par l'observation d'une loi qui n'existait pas encore, mais par sa foi en la promesse de grâce? Une loi ne peut qu'une chose: condamner ceux qui la violent. Jésus seul pouvait effacer cette condamnation; il l'a effacée, en effet, par sa mort sur la croix. Or, cette alliance de grâce, c'est celle que Dieu avait traitée avec Abraham; la loi mosaïque, venue plus tard, ne saurait l'avoir invalidée. La loi n'a eu d'autre but que de nous servir de pédagogue jusqu'à l'accomplissement de la promesse. La promesse, en Christ, s'est accomplie; nous voilà enfants de Dieu; nous voilà, en cette qualité, libres, car les enfants d'un père libre ne sauraient être esclaves. «Et maintenant, poursuit-il (IV, 9), que vous avez connu Dieu,» Dieu comme père, Dieu dans tout son amour, «ou plutôt que vous avez été connus de lui,» puisque c'est lui qui vous a aimés le premier, «comment retournez-vous à ces faibles et pauvres rudiments, auxquels vous voulez vous assujettir de nouveau?» Il leur rappelle alors comment ils l'ont accueilli, et comme leur cœur, en l'écoutant, leur disait que c'était bien là la vérité, bien là le plan de Dieu, qui est amour. Ce n'est pas d'eux, dit-il, que serait jamais venue la pensée de se séparer de lui, d'abandonner la foi qu'il a prêchée. Ah! s'il pouvait immédiatement retourner chez eux, comme l'autorité des faux docteurs tomberait vite devant cette mutuelle affection qui se retrouverait dans toute sa force!

Mais il retourne à son argumentation; et comme c'est par l'Ancien Testament qu'on voudrait ruiner l'Évangile, c'est l'Ancien Testament qu'il appelle encore en témoignage, allégorisant ce qui nous est raconté d'Isaac, né selon la promesse, et d'Ismaël, né selon la chair, esclave comme sa mère. Ismaël, c'est le Juif, enfant de la Loi, esclave; Isaac, c'est le chrétien, enfant de la promesse, fils légitime et libre. «Cette liberté, conclut l'apôtre (V, 1), en laquelle Christ nous a rendus libres, tenez-vous-y, et ne vous soumettez pas de nouveau au joug de la servitude.»

Mais il veut, en terminant, prévenir toute exagération et toute erreur dans l'usage de cette liberté sainte. «Vous avez été appelés à la liberté, dit-il (V, 13); seulement, que la liberté ne vous soit pas une instigation à vivre selon la chair, mais asservissez-vous, par la charité, les uns aux autres.» La liberté chrétienne, c'est donc le règne de l'esprit, l'asservissement de la chair, car «ceux qui sont en Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs.» Mais qu'ils se gardent de faire succéder l'orgueil de la spiritualité à l'ancien orgueil des œuvres. «Si quelqu'un est tombé dans quelque faute, redressez-le, vous qui êtes spirituels, avec un esprit de douceur,» et, de cette manière, «portez les fardeaux les uns des autres, » mais en vous souvenant bien que les fautes d'autrui ne sauraient vous être une excuse, car, devant Dieu, «chacun portera son propre fardeau.» Viennent, enfin, quelques mots encore sur les taux docteurs, sur leurs desseins égoïstes, et Paul conjure les Galates de ne pas ajouter, par leur infidélité, à ses souffrances. «Que nul, dit-il (VI, 17), ne me fasse de la peine, car je porte sur mon corps les flétrissures du Seigneur Jésus,» coups de pierre à Lystre, coups de verges à Philippes, nobles blessures reçues dans le bon combat de la foi.


III

L'épître aux Galates était comme le programme des deux épîtres que Paul allait écrire ensuite. Dans l'une (première aux Corinthiens), il développera surtout les considérations pratiques; dans l'épître aux Romains, le dogme.

Nous avons vu l'œuvre de Corinthe passer aux mains d'Apollos. Or, au moment où Paul écrit l'épître, Apollos est auprès de lui, à Éphèse, et Paul le traite en collègue, en ami. «J'ai planté; Apollos a arrosé.» Et plus loin (XVI, 12): «Quant au frère Apollos, je l'ai fort prié d'aller vous voir.» Ainsi, quoiqu'un des partis qui divisent l'Église de Corinthe ait pris pour drapeau le nom d'Apollos, Paul n'a pas la pensée d'en accuser ce dernier, pas plus qu'il ne se croit lui-même coupable de ce que son nom est aussi devenu un drapeau. «Quand l'un dit: Moi, je suis de Paul, — et l'autre: Moi, je suis d'Apollos, — n'êtes-vous pas des hommes charnels? Qui est donc Paul et qui est Apollos, sinon des ministres (de Dieu) par le moyen desquels vous avez cru, selon que le Seigneur a donné à chacun» d'exercer ce ministère? Mais Dieu avait donné à Apollos plus qu'à Paul les dons extérieurs de l'éloquence, et, quelque sérieux que fût son christianisme, l'habile rhéteur alexandrin se retrouvait sans doute dans le prédicateur. De là l'enthousiasme des amis de la forme, nombreux, nécessairement, à Corinthe; de là, bien que la doctrine d'Apollos fût, en réalité, celle de Paul, une différence assez marquée pour que les uns fissent profession d'être «de Paul,» les autres «d'Apollos.»

Mais d'autres, à ce que nous voyons, n'étaient ni de Paul ni d'Apollos; ils étaient «de Céphas,» de Pierre. Devons-nous reconnaître là le parti judaïsant, tel que nous l'avons vu ailleurs, tel que Paul venait de le peindre dans l'épître aux Galates? Non; il en parle avec trop de douceur pour que nous puissions supposer qu'il ait en vue les mêmes hommes et les mêmes doctrines. D'ailleurs, les judaïsants se réclamaient ordinairement de Jaques, ce qui même était inexact, nous l'avons vu; les judaïsants de Corinthe se réclamant de Pierre, cela seul indiquerait des gens beaucoup plus modérés. L'apôtre ne leur reproche, comme aux deux premiers partis, qu'une chose: — d'être un parti.

Mais ce reproche va venir une quatrième fois, et nous étonner, au premier abord, beaucoup. «Moi, disent quelques-uns, je suis de Christ.» On a beaucoup discuté là-dessus. Qu'étaient ces gens? Que leur reproche réellement l'apôtre? Deux opinions peuvent être soutenues. Selon la première, ces gens péchaient par orgueil. Être de Christ, rien de mieux; mais se constituer, là-dessus, en un parti, mépriser ou condamner tout le reste, c'est, indépendamment de la charité blessée, faire du Christ un chef de parti. «Christ est-il divisé?» leur dit l'apôtre; ce qui, dans cette supposition, veut dire: «Christ est un, et toute l'Église est son corps; le vouloir tout pour vous, c'est le diviser, le déchirer.» L'autre opinion suppose qu'il s'agit d'hommes repoussant par système tout ministère apostolique, ne voulant être ni de Paul, ni d'Apollos, ni de Pierre, mais ne voulant être de Christ, ou plutôt se dire de Christ, que pour échapper à tout contrôle, et se faire une religion, une morale, surtout, selon leur gré. Sauf ce dernier point, la morale, nous pourrions dire que voilà un état de choses singulièrement analogue à ce que nous voyons aujourd'hui autour de nous. Que de gens se disant «de Christ» pour n'être ni de Paul, ni d'Apollos, ni de Pierre, ni de Jean, ni de la Bible! Mais, leur Christ, où le prennent-ils? 

Les Corinthiens de cette école pouvaient avoir connu, connaître encore, des gens qui avaient vu Jésus-Christ; tel d'entre eux pouvait l'avoir vu, entendu. Mais, aujourd'hui, encore une fois, si nous ne prenons pas celui des apôtres, celui du Nouveau-Testament, lequel prendre? De quel droit, surtout, quand nous nous en serons fabriqué un, dire: «Voilà le vrai!» — Soyons donc «de Christ;» mais, pour être de Christ, soyons de Paul, d'Apollos, de Jean, de Pierre, car, autrement, nous ne serions que de nous-mêmes, et notre Christ serait nous.


IV

Tels sont donc les quatre partis que Paul indique. Mais on s'est trompé, ce nous semble, lorsqu'on a vu dans ce qu'il en dit l'objet principal de son épître. Il est vrai que c'est par là qu'il commence. «J'ai été informé... qu'il y a des contestations parmi vous.» Il est vrai encore que, plus loin (chap. III), il y revient, démontrant avec une force nouvelle que le chrétien ne doit se donner à aucun homme, mais appartenir à Jésus-Christ. Toutefois, c'est là le cadre plutôt que le tableau, et l'on chercherait en vain, dans la plupart des chapitres, à déterminer ce qui concerne tel parti plutôt que tel autre. Les rapports parvenus à Paul étaient loin, en effet, de ne concerner que ce premier point. La vie s'affaiblissait; la discipline était en décadence; l'atmosphère impure de Corinthe pénétrait dans la maison de Dieu. Avec l'immoralité païenne arrivait l'incrédulité, et quelques-uns, parce qu'ils ne comprenaient pas la résurrection, peut-être aussi parce qu'ils ne s'en souciaient pas, en étaient venus à la nier. La sainte Cène avait perdu, comme mémorial de la mort du Christ, sa dignité, et, comme repas en commun, son caractère fraternel. Même les dons spirituels, répandus d'abord avec abondance sur l'Église de Corinthe, ce n'était plus guère qu'une source d'orgueil et de divisions. Que de misères! Et qu'il avait fallu peu de temps pour amener, pour développer tout cela! Si les Églises de l'âge apostolique nous prêchent par leurs vertus, par leur zèle, — leurs misères ne sont pas moins éloquentes comme prédication de cette nécessité perpétuelle d'un renouvellement par l'Esprit-Saint, seul puissant contre les retours du vieil homme.

On s'est demandé si l'épître n'était pas trop sévère, si Paul, du moins, n'avait pas trop généralisé ses reproches. Il est permis, sans doute, de supposer que tous ne les méritaient pas également; une Église dont tous les membres auraient été ce que Paul, dans quelques endroits, semble dire, Paul ne lui aurait pas parlé avec cette ardente affection qu'il exprime en d'autres endroits. Mais, plus il l'aime, plus il se croit en droit de la vouloir irrépréhensible et sans tache. Il part donc de l'idée que toute Église est responsable des fautes qui se commettent dans son sein. C'est à tous qu'il reprochera (chap. V) le crime de l'incestueux; à tous encore qu'il reprochera, soit de profaner la Cène, soit, dans un tout autre ordre de choses, d'avoir des procès et de les porter devant les tribunaux païens. Il ne voit qu'une chose: c'est que l'Église n'a pas mis un terme à ces désordres, n'a pas compris qu'elle en était responsable devant les païens qui l'observent et devant Dieu qui la jugera. Paul aurait-il parlé de même d'une Église plus nombreuse, comprenant, par exemple, tous les habitants d'une ville, d'un pays? Ces devoirs qu'il impose à une communauté naissante, ces droits qu'il lui accorde sur chacun de ses membres, devons-nous les considérer comme les devoirs et les droits de toute Église en tout temps? Grave question. Contentons-nous d'exprimer une conviction basée sur tout ce que nous savons et voyons de notre apôtre: c'est qu'il n'aurait jamais demandé, en aucun temps, que le raisonnable et le possible. — C'est ce qu'il demande aux Corinthiens, et la seconde épître nous montrera qu'il avait frappé juste.


V

Maintenant, reprenons l'ensemble. Paul, d'abord, comme pour constater que rien n'est encore perdu, rappelle aux Corinthiens les grâces qu'ils ont reçues. «Dieu est fidèle;» Dieu ne permettra pas qu'ils périssent.

Ils sont divisés; qu'ils se rapprochent. Ils sont de Paul, d'Apollos, de Céphas; qu'ils soient de Christ, tous de Christ, puisque c'est Christ qui a été crucifié pour eux.

Quant à lui, c'est ce qu'il leur a prêché, simplement, rudement. Il les a mis en face du grand mystère de miséricorde et d'amour, scandale aux Juifs, folie aux Grecs, insondable à l'homme charnel, clair et réjouissant pour celui que l'esprit de Dieu a transformé.

Mais (chap. III) s'ils disent: «Je suis de Paul, d'Apollos,» — n'est-ce pas l'homme charnel, inintelligent, qui revient? Paul, Apollos, n'ont été que des ouvriers bâtissant le temple de Dieu. Ce temple, c'est vous. Malheur à vous si vous le détruisez!

Que chacun donc (chap. IV) nous regarde comme des serviteurs de Jésus-Christ, rien de plus, mais rien de moins. Je ne veux ni m'élever, abusant de mes droits, ni m'abaisser devant ceux qui les méprisent. Bientôt j'irai vers vous. Faudra-t-il que ce soit avec la verge?

Alors vient (chap. V) cette triste affaire de l'inceste. Voilà donc ce qu'a toléré une Église qui se croit spirituelle et pure. «Absent de corps, présent d'esprit,» l'apôtre se réunit, par la pensée, à cette Église, et, faisant en son nom ce qu'elle a eu le tort de ne pas faire, il décide «de livrer cet homme à Satan.» Est-ce une malédiction? Non, car il ajoute: «Pour la destruction de la chair, afin que l’âme soit sauvée au jour du Seigneur Jésus.» Repoussé de l'Église, rejeté dans le monde, qui est l'empire de Satan, il s'effrayera, le malheureux, de sa chute; il voudra rentrer en grâce. La chair sera domptée, l'âme sauvée.

Mais remarquons, là-dessus, encore une chose, complément de ce que nous avons dit sur la discipline en ces temps. Au moment même où il rappelle énergiquement l'autorité que Dieu lui a confiée, il tient à ne l'exercer qu'avec le concours de l'Église. Ainsi fera-t-il encore, dans la seconde épître, quand il s'agira de la réhabilitation de ce même homme. Ce n'est pas lui, mais l'Église avec lui, toute l'Église, qui juge, condamne, absout. Si ce n'est pas là non plus un exemple qui puisse être suivi à la lettre en toute Église, en tout temps, c'est au moins une preuve que le peuple chrétien, l'Église, doit avoir, autant que possible, ses droits comme ses devoirs.

Quelques mots du même chapitre (verset 9) nous montrent que l'apôtre avait déjà écrit une lettre aux Corinthiens, lettre, à ce qu'il paraît, peu importante, puisque dans celle-ci, où tant de questions sont abordées, il n'a à la rappeler que sur un point. Mais ce point nous révèle encore une fois en lui l'ennemi des extrêmes, l'homme sachant tenir compte de tout. Il avait défendu toute communication avec les impudiques, et quelques chrétiens avaient entendu cela des païens comme des chrétiens. Non, dit l'apôtre. Celui que vous devez fuir, c'est le soi-disant chrétien qui souille l'Église par ses vices; mais, les vicieux du dehors, — si le train vulgaire de la vie vous met en rapport avec eux, n'allez pas, pour cela, vous croire souillés.


VI

Mais dans le chapitre suivant, après quelques mots sur les procès, il revient sur cette question de l'impureté, toujours grave, grave surtout au milieu des désordres de ce monde païen auquel les chrétiens sont mêlés. Dans ce qu'il dit du mal, point de détails; il ne se complaît pas à ces tableaux, et il n'exposera pas ses lecteurs à s'y complaire. Dans ce qu'il dit du remède, point de détails non plus, point, surtout, de casuistique, mais un principe unique, grand, fécond: Votre corps est le temple du Saint-Esprit. Ce n'est donc pas seulement votre âme que le sang de Jésus a rachetée; votre corps, comme elle, est appelé à la pureté, à la sainteté, et comme il appartenait, par sa nature, à tous les vices, il a été, dans ce sens, racheté comme elle. «Glorifiez donc Dieu dans votre corps et dans votre âme, qui appartiennent (également) à Dieu.»

Ce grand et beau principe, quelques chrétiens de Corinthe s'étaient imaginé le rendre plus beau encore en y faisant rentrer l'interdiction du mariage. Ils avaient pourtant écrit à l'apôtre pour lui demander son avis. De là le chapitre vu, qui a été souvent fort mal compris.

Rétablissez d'abord la position. — Est-ce un sujet que Paul ait abordé de lui-même et comme faisant partie de l'enseignement divin? Non. Quelques Corinthiens lui ont demandé son avis, et il ne le donnera qu'en disant (25) qu'il n'a sur ce point «aucune prescription du Seigneur.» Il ajoute, à la vérité, qu'il croit son avis bon, qu'il ne pense pas que Dieu lui en laissât exprimer un mauvais. Mais remarquez, là-dessus, qu'il s'adresse à des gens pieux, d'intention droite, auxquels il veut accorder le plus possible; et quant à ce qu'il accorde, gardez-vous d'en mesurer la portée sur ce qu'on a enseigné après lui, et, disait-on, d'après lui. Voyez de près, non pas seulement ce qu'il accorde, mais aussi et surtout ce qu'il refuse, car là est le correctif.

Ces gens parlaient de proscrire le mariage. — Paul remet fermement et invariablement l'affaire sur le terrain de la liberté chrétienne. Ces gens prêchaient le célibat comme plus pur, en soi, que le mariage. — Paul écarte absolument cette idée. «Tout est pur, dira-t-il ailleurs (Tite I, 15), pour ceux qui sont purs;» et il ne dit ici pas autre chose. Le célibat, comme le mariage, est pur ou impur, saint ou non, selon les sentiments qu'il produit ou qu'il développe.

Cela étant, voici le sens du chapitre.

Paul aurait eu (il le dit plus loin, IX, 5) le droit de se marier. Il ne l'a pas fait, et, prévoyant les persécutions qui vont assaillir l'Église, il préférerait (7) que tous fussent libres, comme lui, de tout lien terrestre. Est-ce un ordre qu'il donne? Non; un tel ordre serait l'abolition du mariage, dont il va parler, peu après, comme d'une institution sainte, divine. C'est donc un simple avis sur l'avantage qu'il peut y avoir, en certains temps, à n'être pas marié; c'est le conseil de faire entrer cette considération en compte lorsqu'on voudra ou se marier, ou marier ses enfants. Paul a tellement peur qu'on n'exagère la portée de ses paroles, qu'il répétera jusqu'à six fois (9, 17, 28, 36, 38, 39), sous des formes diverses, que chacun, devant Dieu, dans ces matières, est libre. Mais dès qu'il aborde le sujet du mariage même, de la sainteté et de l'indissolubilité du mariage, — alors, quittant au plus vite ce rôle de simple conseiller dans lequel il s'était momentanément renfermé: «Quant à ceux qui sont mariés, dit-il (10), ce que je leur prescris, non pas moi, mais le Seigneur, c'est... etc.» Ainsi, contre le mariage, simples conseils tirés, non de la supériorité du célibat en soi, mais de la perspective des épreuves qui menacent l'Église; pour le mariage, — loi divine, hautement et formellement rappelée.


VII

Mais ce chapitre a encore été l'occasion de difficultés d'un autre genre.

Nous venons de voir Paul tantôt conseillant, tantôt ordonnant. Les conseils, c'est lui, dit-il, qui les donne; les ordres, c'est le Seigneur. Il ne se croyait donc pas, ont observé, là-dessus, quelques critiques, toujours guidé par l'Esprit de Dieu. Quand l'était-il? Quand ne l'était-il pas? Il a soin, ici, de nous avertir; ailleurs, point d'avertissement. Comment distinguer les endroits?

Cette difficulté, si on ne la grossit pas, n'en est pas une. Il faut donc, d'abord, ne pas faire dire à Paul plus qu'il ne dit. Après avoir (12) formulé pour la seconde fois la distinction entre le Seigneur et lui, il n'en dit pas moins (17): «C'est ainsi que j'ordonne dans toutes les Églises.» Il n'estimait donc pas que par cette forme exceptionnelle il abdiquât son autorité d'apôtre. Un prince abdique-t-il son autorité de prince parce qu'il jugera bon, dans certains cas, de n'en pas user? Son autorité ne s'exerce-t-elle pas, au fond, par le fait même de laisser libres ceux à qui il aurait le droit de prescrire? Ainsi en est-il de l'apôtre. Quand il conseille au lieu de prescrire, il ne dit nullement que les lumières lui manquent, que Dieu le laisse momentanément sans secours, mais seulement que, Dieu n'ayant rien prescrit sur ce point, il ne prescrira rien non plus. L'inspiration ne lui fait point défaut; c'est elle qui lui enseigne que Dieu a jugé bon, dans le cas présent, de laisser à la piété de chacun le soin de régler sa conduite. C'est ce qu'il fera, lui, Paul, ajoutant simplement — comme conseils, il le faut bien, puisque des ordres seraient maintenant une contradiction, — les directions que lui fournit sa propre expérience. Bref: «Dieu, dans ces questions, vous laisse libres comme il m'a laissé libre. Si vous voulez savoir comment j'ai usé de ma liberté, et comment, par conséquent, je vous conseille d'user de la vôtre, le voici.» — Tel est le résumé de ce chapitre


VIII

L'idée de liberté domine encore dans les trois chapitres suivants, mais limitée, cette fois, par un autre grand principe, la charité.

Il s'agissait des sacrifices païens, et des viandes qui en provenaient. Ces viandes, les chrétiens avaient souvent occasion d'en manger, soit chez des païens, soit chez eux, car il était d'usage d'écouler au marché ce qui ne s'employait pas dans le sacrifice même ou dans les repas sacrés. De là, dans l'Église de Corinthe, un sujet de contestation. Les chrétiens d'origine juive voyaient là une abominable souillure; les autres, ou du moins quelques-uns, non seulement ne s'en faisaient pas scrupule, mais affectaient de préférer ces viandes, comme pour bien montrer que les dieux du paganisme, à leurs yeux, n'étaient rien.

Vous avez raison, leur dit l'apôtre; les dieux du paganisme ne sont rien. Comment souilleraient-ils quoi que ce soit? Pourtant, prenez garde. «La connaissance enfle, mais la charité édifie.» Vous vous êtes montrés gens éclairés; vous êtes-vous montrés gens charitables? Non. Vous avez manqué de charité, doublement même. Ceux de vos frères qui ne se laissent pas ébranler par votre exemple, vous les scandalisez profondément; ceux qui se laissent ébranler, mais par faiblesse, les voilà, grâce à vous, agissant contre leur conscience. Moi, «si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai plutôt jamais de viande.»

Vient alors une discussion plus relevée, où l'apôtre aborde concurremment la question de la liberté chrétienne et celle des attaques dont son apostolat vient d'être l'objet à Corinthe. La transition (sous-entendue, comme c'est souvent le cas chez lui), serait donc: «Ce n'est pas seulement à propos de viandes, mais en tout, qu'un chrétien doit savoir se relâcher de son droit.» Il entre donc brusquement (IX, 1) en matière. N'est-il pas apôtre? N'est-il pas libre autant que qui que ce soit? N'aurait-il pas pu, comme un autre, se marier, se faire entretenir, lui et la femme devenue sa compagne, par les Églises qu'il a évangélisées? Mais non. «Quoique je sois libre, dit-il (19-22), à l'égard de tous, je me suis asservi à tous, afin d'en gagner un plus grand nombre... Je me suis fait tout à tous, afin d'en sauver au moins quelques-uns.» Ces sacrifices, d'ailleurs, rentrent dans l'œuvre de son propre salut, non pas comme mérites, mais comme domptant le vieil homme. «Je traite durement mon corps et je le tiens assujetti, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même rejeté.» Oui, rejeté, tout apôtre qu'il est. Les Israélites, au désert, avaient tous eu part à une même délivrance, et beaucoup, cependant, se détournèrent, périrent... «Que celui qui est debout prenne donc garde qu'il ne tombe!» Et après quelques réflexions nouvelles sur la questions des souillures païennes: «Tout m'est permis, conclut-il (X, 23-31), mais tout n'édifie pas. Que personne ne cherche son avantage particulier, mais chacun celui d'autrui... Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque autre chose, faites tout en vue de la gloire de Dieu,» c'est-à-dire en considérant avant tout comment vous pourrez le mieux inspirer autour de vous le respect et l'amour de Dieu. Voilà la règle suprême dans les choses vulgaires de la vie.


IX

Cette règle, Paul l'applique immédiatement à un détail auquel les mœurs du temps donnaient une grande importance. Quelques femmes chrétiennes avaient paru dans les assemblées sans voile. Elles se fondaient, sans doute, sur le principe de la liberté chrétienne, sur l'égalité de la femme et de l'homme devant Dieu; elles oubliaient que c'est Dieu qui, par les instincts mêmes dont il a doué la femme, par l'auréole de pudeur dont il lui a inspiré de s'entourer, lui prescrit de s'assujettir à toutes les convenances raisonnables que l'usage pourra déterminer. Que la femme donc, dans les assemblées publiques, reste voilée; que l'homme y soit tête nue, car, pour lui, c'est à la fois dignité personnelle et respect envers Dieu.

Mais Paul a entendu dire qu'il y a dans les assemblées, à Corinthe, de bien autres désordres. Ces divisions qui troublent l'Église au dehors; elles ne s'arrêtent pas sur le seuil des lieux de prière. À défaut de querelles, voici les riches d'un côté et les pauvres de l'autre, les uns transformant l'agape en un festin, les autres mangeant chétivement, tristement, peut-être envieusement. Et c'est là-dessus que la Cène a lieu! L'apôtre, pour les ramener au sentiment de ce qu'elle doit être, leur rappelle comment le Seigneur l'institua. Que nul donc n'y prenne part sans un sérieux examen de ses sentiments et de sa vie, car quiconque, à ce repas sacré, «mange et boit indignement, mange et boit sa propre condamnation, ne discernant point le corps du Seigneur.»

Les chapitres suivants ont un autre genre d'intérêt. Nous y voyons avec quelle largesse Dieu avait répandu sur son Église les plus beaux dons de son Esprit, — et comme quoi l'homme est toujours l'homme, cherchant sa gloire et non celle de Dieu. On les demandait, ces dons, avec une ardeur toute terrestre; on les faisait valoir comme des talents tout humains; on choisissait, pour les cultiver de préférence, les plus brillants et les plus admirés. Que va donc faire l'apôtre?

À ceux qui se glorifient de leurs dons, méprisant les dons inférieurs, méprisant quiconque en est réduit à ceux-là, — Paul leur rappelle que l'Église est un corps unique, le corps de Christ, et que, comme dans tout corps vivant, si les membres ont des fonctions diverses, tous, cependant, reçoivent d'un même esprit l'impulsion qui les fait agir. Chacun donc, dans l'Église, est-ce que Dieu l'a fait, possède ce que Dieu lui a donné. Que nul ne méprise ses frères, et que chacun travaille, en toute humilité, selon ses forces.

À ceux qui ambitionnent les dons les plus brillants, — Paul leur dira que Dieu ne prodigue pas ces dons-là, et les réserve à ses principaux ouvriers. Tous ne sont pas apôtres, prophètes ou docteurs; tous ne feront pas des miracles, ne gouverneront pas l'Église, ne parleront pas ce mystérieux langage par lequel s'expriment les élans d'une piété surnaturelle. Mais il y a des dons que tous peuvent et doivent désirer, solliciter, — «et je vais, ajoute l'apôtre (XII, 31), vous montrer une voie plus excellente encore» que toutes les autres, voie pour arriver à ces dons, voie pour les faire tous fructifier pour la gloire de Dieu, pour le salut de vos frères, pour le vôtre.

Cette voie, c'est la charité; — et nous voici à ce chapitre célèbre qui n'est pas de ceux qu'on analyse. Il faudrait le transcrire tout entier. Et à quoi bon? Qui ne le sait par cœur? Mais rappelons-nous la place qu'il occupe, et comment il a été amené. C'est à ce point de vue qu'il faut se placer pour le bien comprendre. La richesse des détails a souvent nui, nous semble-t-il, à l'intelligence de l'ensemble. Paul n'a pas seulement voulu faire un portrait de la charité, mais lui tracer son rôle dans la vie de l'individu et de l'Église.


X

Mais autant ce chapitre est clair, autant le suivant l'est peu, puisqu'il nous met en face de cette grande question du don des langues, tant de fois étudiée, tant de fois résolue, et toujours, pourtant, à résoudre. C'est dire assez que nous ne prétendons pas en donner une solution définitive.

Une chose nous frappe cependant, et cette chose n'a peut-être pas été assez remarquée: c'est que l'apôtre ne parle aucunement du don des langues comme d'un fait particulièrement miraculeux, mystérieux. Précédemment déjà (XII, 28-30), il disait: «Dieu a établi dans l'Église premièrement des apôtres, secondement... etc. Puis des miracles, des dons de guérison, des secours, des dons d'administration, des variétés de langues. Tous sont-ils apôtres? Tous sont-ils... etc. Tous ont-ils les dons de guérison? Tous parlent-ils en langues?» Et maintenant (XIV, 1-3): «Recherchez avec ardeur, dit-il, les dons spirituels, mais surtout celui de prophétiser (de prêcher), car celui qui parle en langue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu... Mais celui qui prophétise (qui prêche) édifie, exhorte et console les hommes par ses paroles.» Dans tous ces endroits, dans tous les autres où il est question de ces langues, on sent un homme qui parle aux Corinthiens d'une chose à eux bien connue, ordinaire, presque vulgaire; évidemment il faudrait peu, quelques mots, un mot, pour que le fait nous devînt clair, aussi clair, du moins, que les autres faits énumérés concurremment. Mais, ce peu, où le prendre? — Avant de le chercher, tirons du moins une conclusion préliminaire: c'est que nous sommes sûrs de n'être pas en présence d'une légende. Ce ton si parfaitement naturel, cette absence de toute explication, preuve évidente que les lecteurs n'en avaient pas besoin, et, d'autre part, l'inattaquable authenticité de l'épître, — tout est d'accord pour nous dispenser de prouver la réalité du phénomène. Une seule question reste: En quoi consistait-il?

Un premier pas à faire, c'est de ne pas mêler ce qui nous est dit ici du don des langues, ou plutôt du don de parler en langues, avec ce qui nous est dit, au commencement des Actes, du don des langues accordé aux apôtres. Affirmer qu'il n'y eût, entre les deux choses, aucun rapport, ce serait peut-être aller trop loin; quelques auteurs inclinent à voir dans le parler en langues une modification du don des langues. Mais, ce dernier don soulevant des difficultés encore plus grandes, il vaut mieux ne pas y chercher l'explication de l'autre, et rester dans le champ de l'épître aux Corinthiens.

Là, que voyons-nous? 

Une comparaison établie par l'apôtre entre le parler en langue, la glossolalie, comme on dit aujourd'hui, et la prophétie ou prédication. Sur quel terrain la comparaison s'établit-elle?

Les Corinthiens l'établissaient sur le terrain de l'orgueil spirituel; Paul la transporte sur celui de la charité. Les Corinthiens regardaient la glossolalie comme la preuve d'un état spirituel plus avancé, d'une communication plus intime avec le monde invisible. Paul ne dit pas qu'ils aient tort en cela; le tort qu'ils ont, c'est de rechercher ce don par orgueil, et de l'exercer, dans les assemblées, avec une sorte d'égoïsme, oubliant que celui qui s'y abandonne en public n'édifie, à la longue, que lui-même, puisque ses frères ne le comprennent pas. Ce dernier trait est donc bien positif: la langue ou les langues parlées dans cet état particulier de l'esprit et du cœur, n'étaient pas comprises des assistants; — et l'orateur gardait cependant la conscience de lui-même, l'intelligence, jusqu'à un certain point, de ses paroles, puisqu'elles étaient pour lui édification et prière. Paul, d'ailleurs, admet pleinement la possibilité d'une interprétation, d'une traduction des discours ainsi prononcés, interprétation ou traduction qui sera faite soit par l'orateur lui-même, soit par quelque autre frère ayant le don d'interpréter; preuve nouvelle que ces discours ne se composaient pas de sons inarticulés et absolument inintelligibles. «Je désire, dira-t-il (XIV, 5), que vous parliez tous en langues,» c'est-à-dire que vous ayez tous ce don, puisque c'est, en soi, la marque d'un grand développement spirituel; mais «je désire encore plus que vous prophétisiez,», car la prédication, telle que ce mot prophétiser la suppose, indique un état spirituel tout aussi avancé, et a, de plus, l'avantage d'édifier l'Église plus directement, plus simplement.

La glossolalie était donc l'expression, l'explosion, si l'on veut, d'un état de l'âme, état produit concurremment par l'action naturelle de la foi, de la piété, et l'action plus ou moins surnaturelle, plus ou moins forte, de l'Esprit-Saint. Le fidèle, à certains moments, soit dans la solitude, soit dans l'atmosphère excitante d'une assemblée nombreuse, se sentait plus particulièrement saisi par la grandeur des objets de sa foi. C'était contemplation, joie intime, communion vivante, paix et trouble, et de là résultait une sorte de conversation avec Dieu, un mélange de pensées, de sentiments, de prières, d'actions de grâces, et, quant à la forme, de mots, d'exclamations, de silences, de chant aussi, car Paul (XIV, 15) en fait mention. Tout cela aurait pu, chez tel ou tel, n'être qu'un jeu; mais Paul n'aborde pas cette pensée, ce qui permet de croire qu'en accusant d'orgueil ceux qui donnaient à l'Église le spectacle de ces manifestations, il était néanmoins convaincu de leur bonne foi. Mais ce qu'il n'admet pas, c'est que ces manifestations ne pussent pas être contenues. «Les esprits des prophètes, dit-il (XIV, 32), sont soumis aux prophètes.» L'Esprit Saint ne se substitue jamais tellement à l'esprit de l'homme, que l'homme puisse dire qu'il n'a pas été libre, et attribuer à l'Esprit de Dieu des manifestations qui auront troublé plus qu'édifié. «Dieu n'est pas un Dieu de confusion, mais de paix.» Ainsi, même en présence d'un don qu'il attribue sans hésiter à l'Esprit de Dieu, Paul reste l'homme de la piété sage, modeste, habituée à juger toutes choses au point de vue de l'édification sérieuse et solide. Ce qu'il demande aux Corinthiens, il s'en est fait une loi pour lui-même. «Je rends grâces à mon Dieu, dit-il (XIV, 18), de ce que je parle en langues plus que vous tous.» Mais de quoi rend-il grâces? D'avoir pu, dans les assemblées, donner cette preuve éclatante de sa foi, de son ardeur? Non. S'il est heureux, fier, c'est d'être en possession du don même, manifestation de Dieu en lui, nullement de pouvoir s'en faire honneur en l'exerçant.

Dans les assemblées des fidèles, «j'aimerais mieux, dit-il, prononcer cinq paroles par mon intelligence (cinq paroles intelligibles pour moi et pour autrui), afin d'instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langue (par glossolalie).» Encore une fois, il a le don et il est heureux de l'avoir; il savoure mieux que personne ces moments, dira-t-il ailleurs (Rom. VIII, 26), où «l'Esprit de Dieu s'unit à nous pour subvenir à notre faiblesse,» et où «l'Esprit lui-même intercède pour nous par des soupirs qui ne se peuvent exprimer.» Mais, ces soupirs que la parole humaine ne peut rendre, il les renferme dans son âme, bien sûr que Dieu, qui les a inspirés, les entend et les comprend. Ils pourront bien, sans doute, dans une certaine mesure, se retrouver dans sa prédication, l'animant, la vivifiant, contribuant à mettre les âmes en contact avec l'Esprit-Saint, comme l'est déjà la sienne; mais autant il sera heureux de ce résultat béni, autant il évitera de le chercher par ces formes insolites, facilement étranges, où c'est l'homme, après tout, non l'Esprit de Dieu, qui joue le rôle principal. Toutefois, de même qu'il a dit ailleurs: «N'éteignez pas l'Esprit,» il dira maintenant, en terminant: «N'empêchez pas qu'on parle eu langues;» ne vous opposez pas trop absolument à des manifestations qui pourraient être, dans certains cas, des marques éclatantes de la présence et du secours de Dieu.


XI

Le quinzième chapitre présente aussi des difficultés de plus d'un genre, mais qui tiennent, la plupart, comme les précédentes, à notre ignorance des faits, d'un fait surtout, qui domine tout le chapitre. À qui s'adresse l'apôtre? À quoi a-t-il l'intention de répondre? Pouvait-il réellement y avoir, dans l'Église de Corinthe, des gens niant la résurrection, et, par conséquent, l'immortalité de l'âme, le jugement, la vie future, c'est-à-dire, en somme, toute religion? Que ces négations se soient produites, plus tard, chez des gens nés dans une Église, — il faut bien, malheureusement, l'admettre; mais que des gens devenus chrétiens depuis peu, de leur plein gré, en fussent là, — cela ne se comprend guère. Il est pourtant impossible de douter que l'apôtre, en quelques endroits, ne s'adresse à des gens niant la résurrection même, et non pas seulement, comme on l'a dit quelquefois, telle ou telle forme de résurrection; ailleurs, il est vrai, et même dans la plus grande partie du chapitre, il a plutôt en vue des gens niant la résurrection des corps. Mais, là encore, les négations paraissent avoir été de nature assez diverse. Les uns, par un spiritualisme exagéré, niaient que Dieu pût vouloir ressusciter autre chose que l'âme, et lui rendre, après la résurrection, un corps quelconque; les autres, par leurs objections contre la résurrection des corps, des mêmes corps, objections, en soi, fort sensées, ébranlaient plus ou moins l'idée même d'une résurrection, devenue solidaire d'une idée fausse, absurde. C'est peut-être à eux que Paul s'adresse lorsqu'il parle de la négation complète, et peut-être est-ce là, par conséquent, la solution historique de la première de nos difficultés. Point de chrétiens, à Corinthe, niant positivement la résurrection; mais, sans la nier, quelques-uns s'en faisaient une idée telle que les objections venaient en foule, et que, en fait, elle se trouvait niée. Cela étant, que fait l'apôtre? Avant d'en venir aux objections et de montrer qu'elles portent à faux, il voudra en combattre la conséquence extrême, que nul, peut-être, n'a formulée, mais à laquelle pourraient être conduits tous ceux qui ont formulé ou seulement entendu les objections.

Ainsi s'expliquerait la marche de ce chapitre. Dans une première partie, réfutation de ceux qui s'acheminaient à nier la résurrection, ou déjà, en fait, sans le vouloir, la niaient; dans la seconde, réfutation de toutes les objections basées sur une prétendue résurrection des corps, des mêmes corps, — et réfutation, en même temps, de ceux qui admettaient fermement la résurrection, mais la voulaient purement et absolument spirituelle. Le corps ne ressuscite point; la poudre garde la poudre. Un autre corps devient la demeure de l'âme glorifiée, et ce corps est tel que, tout en rappelant l'ancienne vie, il n'en transporte point les misères dans la nouvelle.

Mais nous pouvons ne pas nous trop inquiéter de ce qui nécessitait, à Corinthe, les instructions de l'apôtre. Ce chapitre est de ceux que l'on peut lire et méditer comme s'ils avaient été écrits de nos jours et pour nous. Il n'en est même aucun qui soit, sur certaines questions, plus actuel.


XII

Et comment, en effet, devant les négations contemporaines, notre attention n'irait-elle pas surtout chercher ce qui nous y est dit de la résurrection de Jésus-Christ? Non que l'apôtre, ailleurs, l'ait affirmée moins positivement; mais, ici, ce qui l'occupe, ce sont les conséquences, conséquences du fait s'il est admis, conséquences, s'il est nié, de cette négation.

Or, jusqu'à ces dernières années, nier la résurrection de Jésus-Christ, c'était se reconnaître en dehors du christianisme, et nul n'aurait songé à décliner cette conclusion. Voici, aujourd'hui, d'autres idées. Quelques-uns, sans nier le fait, en nient ouvertement l'importance. «Qu'avons-nous besoin de savoir si Jésus est ressuscité ou non? Nous avons sa parole; nous avons son exemple; nous le savons vivant auprès de Dieu.» D'autres nient le fait même. «Jésus, comme tout autre homme, est resté dans la tombe. Que nous importe? Sa tâche était finie.» Il y a cependant un point que les plus hardis n'oseraient nier: c'est que la tâche du Christ, finie à sa mort, disent-ils, serait restée, sans sa résurrection, sans la croyance en sa résurrection, radicalement stérile. Supprimez-la — et le christianisme, à partir de la mort du Christ, disparaît. Sans cette croyance, point d'apôtres. Les hommes que Jésus avait désignés pour le devenir restent indéfiniment dans l'état où nous les voyons le jour de sa mort, déconcertés, écrasés, conservant tout au plus un bon souvenir de celui qui les a aimés, sans doute, mais, après tout, les a trompés ou s'est lui-même grossièrement trompé. Sans cette croyance, d'autre part, point de conversions, point d'Églises, car il n'existe aucune trace d'une conversion opérée, d'une Église fondée, autrement que sur cette base. Dira-t-on que les apôtres auraient pu, auraient dû en prendre une autre? Mais il ne s'agit pas de ce qui aurait pu, de ce qui aurait dû être; il s'agit de ce que l'histoire nous montre comme ayant été toujours, partout. Donc, encore une fois, supprimez la résurrection du Christ, et vous supprimez, historiquement, l'Église, le christianisme.

Mais soit. Les apôtres auraient pu prendre une autre base. Laquelle? On serait bien embarrassé de nous en indiquer une qui ne repose pas, elle-même, sur celle-là. Et c'est ce que nous pouvons toujours répondre quand on nous parle de fonder le christianisme, aujourd'hui, autrement qu'il n'a été fondé. Ces grandes idées chrétiennes par lesquelles on nous demande de remplacer les faits chrétiens, — comment sont-elles devenues grandes, comment se sont-elles établies dans la conscience du genre humain, si ce n'est par les faits et par la croyance aux faits, lesquels faits, dans la fondation de l'Église, dans tous les progrès ultérieurs de l'Église, se groupent immuablement autour d'un seul, toujours le même, — la résurrection de Jésus-Christ!

Ainsi, ceux qui la nient et cependant prétendent ne pas renverser le christianisme, leur système revient à dire que l'édifice de la vérité chrétienne a été bâti sur un mensonge. Ceux qui prétendent seulement qu'elle a perdu désormais son importance, comme l'échafaudage une fois la maison bâtie, ils devraient, avant tout, prouver que cette croyance a en effet joué le rôle d'un échafaudage, et non, comme nous l'affirmons, celui d'une base, celui de la base. Or, c'est ce que jamais, historiquement, on ne prouvera. Dogmatiquement, pas davantage. Tout ce que les apôtres ont enseigné sur Jésus-Christ, sur la divinité de sa personne ou de sa mission, sur son rôle comme rédempteur, intercesseur ou juge; tout ce que l'Église chrétienne, par ses plus grands et ses plus pieux docteurs, a professé sur ces questions, — tout cela est resté, dix-huit siècles, fondé, enraciné sur la résurrection de Jésus-Christ. Cette indissoluble liaison n'apparaît pas moins, de nos jours, dans les négations auxquelles conduit la première. On a beau les reculer tant qu'on peut: le seul christianisme qui soit véritablement d'accord avec celle-là, c'est celui qui rejette tout ce qu'on appelait, jusqu'ici, dogmes chrétiens. A-t-il encore, après cela, le droit de s'appeler christianisme? Nous ne voulons pas soulever la question de sincérité; nous savons de combien d'illusions et d'habitudes, de sentiments divers et, en partie, respectables, cette question peut se compliquer dans un cœur d'homme. Mais il y a là un compromis qui, évidemment, ne peut durer; le moment approche où il faudra, quelque douleur qu'il en coûte, voir les choses comme elles sont et les appeler de leur vrai nom.

On ne fera, du reste, que revenir à ce que disait l'apôtre (XV, 17-18): «Si Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vaine (chimérique), vous êtes encore dans vos péchés, et ceux qui sont morts en Christ ont péri.» Donc, pour lui, si la résurrection de Jésus-Christ est niée, tout s'écroule. Jésus n'est plus ce que les apôtres ont prêché, n'est plus ce qu'il se disait lui-même. La rédemption, chimère; l'attente d'une vie éternelle et bienheureuse, chimère encore. L'humanité avait cru trouver là, devant ce tombeau vide, sa paix, son salut et sa gloire. Il faut qu'elle se remette à cheminer, dans les ténèbres, vers cet avenir inconnu qu'avait éclairé, durant des siècles, une lumière consolante, mais, comme tout le reste, chimérique.

Ah! comme on le relit avec bonheur, après ce moment d'effroi, le beau chapitre que cette lumière éclaire, et où tant de générations l'ont contemplée! La voici, d'abord, qui jaillit du tombeau même de Jésus. Jésus ressuscité a été vu de Céphas, puis des douze, puis d'un grand nombre de frères, puis de leur persécuteur, Saul de Tarse, indigne, dit-il, de cette faveur divine, mais, à partir de là, vaincu, converti, prêt à sceller de son sang cette affirmation qui changera la face du monde. Jésus ressuscité a répondu, par sa résurrection même, à toutes les difficultés, à tous les doutes. Et qui ne verrait là le plan de Dieu? «Comme tous meurent en Adam, de même tous ressusciteront en Christ.» De là, pour tous, au milieu des épreuves de la vie et des combats pour l'Évangile, cette force qu'on avait pu admirer chez l'apôtre, mais dont il fait hommage à son Sauveur ressuscité. «Je meurs tous les jours; j'en atteste mon droit de m'enorgueillir de vous (de mes travaux chez vous), droit que j'ai en Jésus-Christ notre Seigneur,» et que, sans sa résurrection, je n'aurais pas, car je n'aurais ni travaillé, ni combattu, ni vaincu.

Alors vient cette question qui troublait la foi de plusieurs. «Comment (dans quel état) ressusciteront les morts? Avec quel corps viendront-ils?» — «Insensé! répond l'apôtre, ce que tu sèmes ne reprend pas vie qu'auparavant il ne meure.» Le corps terrestre n'est que la grossière semence du corps plus pur que revêtira ton âme. «Il est semé corruptible; il ressuscite incorruptible. Il est semé méprisable; il ressuscite glorieux, il est semé infirme; il ressuscite plein de force. Il est semé corps animal; il ressuscite corps spirituel.» Et après quelques mots encore sur ces mystères qui lui ont été révélés: «Alors, dit-il, sera accomplie cette parole de l'Écriture: La mort a été engloutie en victoire,» c'est-à-dire définitivement vaincue. Mais le triomphe de Jésus-Christ a montré qu'elle pouvait l'être, et cela suffit au chrétien. Cette victoire qu'il remportera un jour, il la tient d'avance par la foi, et il la remporte, à toute heure, sur toutes les souffrances, sur toutes les frayeurs par lesquelles la mort exerce le pouvoir qui lui est laissé. «0 mort, où est ton aiguillon? ô sépulcre, où est ta victoire?» Mais Paul rappellera encore une fois, en terminant, le rapport intime, indissoluble, qui doit exister entre la doctrine de la résurrection et la vie chrétienne tout entière. «Soyez donc, frères bien-aimés, fermes, inébranlables, travaillant toujours plus abondamment à l'œuvre du Seigneur, bien sûrs que votre travail en lui n'est pas perdu.»


XIII

Le dernier chapitre nous ramène dans le champ de l'histoire. Il s'agit, d'abord, d'une collecte pour les Églises de Judée, fort pauvres, exposées à beaucoup de souffrances, et que l'apôtre, d'ailleurs, désirait probablement rattacher le plus possible, par les liens de la charité, à ces autres Églises qu'elles ne regardaient peut-être pas assez comme des sœurs. Il demande que la collecte, lorsqu'il viendra, soit prête; il verra s'il doit la porter lui-même — et c'est, comme nous le verrons, ce qu'il fit. Pour le moment, il compte rester à Éphèse jusqu'à la Pentecôte. Peut-être, d'ici-là, leur enverra-t-il Timothée. Il les remercie, en attendant, de lui avoir envoyé Stéphanas, Fortunatus et Achaïque, probablement ceux qui avaient apporté les questions et allaient emporter l'épître. Toute cette fin respire une douceur, une bonté parfaite. Il semble avoir oublié toutes les paroles sévères qu'il a été forcé d'écrire; il s'abandonne avec joie au souvenir de leur affection, à l'espoir que sa lettre la réveillera sans peine, et qu'il pourra encore une fois bénir Dieu de leur avoir fait du bien. — Quand nous en serons à l'autre épître, nous compléterons de notre mieux ce qui se rapporte à cette Église. 


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