Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME.

ÉPÎTRES AUX THESSALONICIENS

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I. Paul écrivain. — Ce qu'on éprouve en lisant ses premières pages. — Occasion et sujet. — Paul avait-il parlé d'un retour prochain du Seigneur? — Nous, les vivants. — Discussion. — Vrai sens: Ceux qui vivront. — Erreur et craintes que Paul avait en vue. — But pratique. — Travailler, veiller, se tenir prêt. 
II. Mêmes remarques sur la seconde épître. — On avait exploité son nom, défiguré sa pensée. — Revenir, en tout, au vrai. — La loi du travail. — La sanctification. — N'être ni en deçà, ni au delà de ce que Dieu veut. — Équilibre entre la raison et la foi. 

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I

Paul écrivain! Nous allons maintenant le rencontrer pour la première fois, puisque c'est de Corinthe qu'il écrivit sa première épître à nous connue; et rien d'ailleurs n'indique qu'il en eût déjà écrit d'autres. Dans toute vie d'auteur, c'est un moment intéressant que celui où on nous le montre écrivant ses premières pages; mais les premières pages d'un saint Paul, on a beau les avoir toujours connues: quand on les relit en se disant que voilà bien les premières, le début, — on ne peut se défendre d'une émotion profonde, mêlée déjà de ce qu'on éprouvera quand viendront, au contraire, les dernières.

Nous avons déjà pris, dans cette première lettre aux Thessaloniciens, tout ce qui se rapportait aux relations personnelles de l'auteur avec eux. C'est donc le fond, l'ensemble, que nous avons à étudier maintenant.

Timothée était revenu tout pénétré de leur affection pour l'apôtre, de leur persévérance au milieu d'épreuves de tout genre; mais il n'avait pu cacher à Paul que le tableau avait ses ombres. Plusieurs n'avaient pas suffisamment rompu avec les principes relâchés de la morale païenne; d'autres s'abandonnaient, dans leur foi, dans leur piété, à de dangereux écarts. Ils délaissaient ou méprisaient les travaux de leur vocation; ils se laissaient troubler par d'imprudentes inquiétudes sur la résurrection, sur l'état des âmes après la mort. La cause principale de ce trouble et de ces erreurs, c'était l'attente d'un retour prochain, très prochain, de Jésus-Christ.

Ici donc se pose une question difficile, délicate. — Jusqu'à quel point la prédication de Paul avait-elle autorisé cette attente d'un retour prochain du Seigneur?

Les uns ont nié absolument que Paul eût rien dit ni pu dire qui approchât de cette idée; d'autres, surtout de nos jours, ont voulu que ce fût la sienne, et qu'il l'eût positivement enseignée à Thessalonique.

Ce que Paul avait enseigné aux Thessaloniciens, nous ne pouvons le demander qu'aux épîtres qu'il leur a ensuite écrites. Voyons donc comment il leur parle sur ce point.

Dans la première, après avoir rappelé que la résurrection de Jésus-Christ atteste et garantit celle de tous: «Nous vous déclarons, poursuit-il (IV, 15-17), en parole du Seigneur (comme enseignement du Seigneur), que nous, les vivants, qui sommes (ou serons) laissés pour l'avènement du Seigneur, nous ne devancerons point ceux qui sont morts, car le Seigneur lui-même, à un cri de commandement, à une voix d'archange et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts en Christ ressusciteront d'abord; puis, nous, les vivants, qui sommes (ou aurons été) laissés, nous serons enlevés tous ensemble avec eux sur des nuées, dans l'air, à la rencontre du Seigneur.»

Voilà qui semble, en effet, quoique au milieu de détails évidemment figurés, indiquer positivement la croyance à un prochain avènement du Christ. Et cependant, à y regarder de près, les mots mêmes qu'on citerait les premiers à l'appui de cette interprétation peuvent être cités pour la combattre. «Nous, dit l'apôtre, qui sommes (ou serons) laissés pour l'avènement du Seigneur.» Ce nous, ce sont tous ceux à qui il écrit, et non seulement eux, mais tous les chrétiens actuellement vivants. Or, ces chrétiens, il en mourait nécessairement tous les jours quelques-uns. Comment donc l'apôtre aurait-il pu dire nous dans le sens qu'on suppose? Mortel comme tout autre homme, exposé plus que beaucoup d'autres à rencontrer prématurément la mort, comment aurait-il pu, sans absurdité, se mettre au nombre de ceux qui ne mourraient pas avant le retour du Christ? Bref, s'il avait voulu positivement enseigner que des hommes actuellement vivants vivraient encore à cette époque, il aurait dit: «Ceux de nous qui vivront,» et non pas: «Nous qui vivrons.»

Qu'a-t-il donc réellement voulu dire?

Commençons par ne pas séparer les deux questions intimement liées dans ce passage. La première est celle qui inquiétait, avons-nous dit, un certain nombre de fidèles. Se transportant au moment du retour du Christ, ils craignaient, dans leur foi mal éclairée, que le bénéfice de ce retour glorieux ne fût à peu près exclusivement pour ceux qui vivraient à cette époque; ils plaignaient les fidèles déjà morts; ils s'effrayaient de mourir avant ce grand jour. L'apôtre veut donc, avant tout, les rassurer. «Je ne veux pas, leur dit-il (IV, 13-14), que vous soyez dans l'ignorance au sujet de ceux qui sont morts, afin que vous ne soyez pas attristés comme les autres (les païens), qui n'ont pas d'espérance; car si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, de même aussi Dieu ramènera par Jésus, pour être avec lui, ceux qui sont morts.» Et c'est ici que vient ce que nous avons déjà cité, savoir que ceux qui se trouveront vivants n'auront aucun privilège sur ceux qui seront morts, puisque ceux-ci, à l'approche du Prince de la vie, se retrouveront pleins de vie. «Consolez-vous donc les uns les autres par ces paroles (par cette pensée),» ajoute l'apôtre; et cette conclusion confirme ce que nous avons dit de son intention réelle: rassurer ceux qui s'inquiétaient pour les morts, ou pour eux-mêmes s'ils mouraient avant le retour du Christ.

Il est vrai que l'apôtre n'ajoute pas formellement qu'ils ont eu tort de croire ce retour si prochain; il se borne (V,1-3) à rappeler ce qu'avait dit Jésus, que nul ne sait les temps et les moments, que le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit, — et il arrive immédiatement aux conclusions pratiques, vigilance, activité, lesquelles, il est vrai, n'excluent pas non plus positivement l'idée d'un retour prochain. Paul donc, évidemment, avait parlé d'un retour du Seigneur. Il n'avait point affirmé que ce retour fût proche, mais seulement qu'il pouvait l'être, et que, en tout cas, tous devaient vivre comme s'ils l'attendaient dans quelques jours. Nous voilà donc, quelle que fût la forme, bien près d'une idée fort simple et qui ne saurait provoquer nulle objection: travailler, veiller, se tenir prêt, vivre, enfin, comme pouvant à toute heure être appelé auprès de son maître et de son juge. Encore une fois, nous ne disons point que ce fût là toute la pensée de Paul, et que ce retour du Christ ne fût pour lui qu'une figure; nous disons qu'il avait surtout insisté sur les conséquences pratiques, et que, par cela seul, il avait condamné d'avance les recherches téméraires, les frayeurs, les divagations des chrétiens de Thessalonique.


II

Aussi, dans la seconde épître, voyez comme il parle (II, 1-3) de ceux qui, malgré la première, ont persisté à se préoccuper de ces questions inutiles, dangereuses. «Quant à ce qui concerne l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ et notre réunion à lui, nous vous prions, frères, de ne pas vous laisser facilement jeter hors de sens ni effrayer, soit par quelque (prétendue) inspiration, soit par quelque parole ou quelque lettre qu'on vous dirait venir de notre part, comme si le jour du Seigneur était tout près. Que personne ne vous égare d'aucune manière.»

Bien des choses ressortent de ces lignes. Il est clair, d'abord, qu'on avait exploité le nom de Paul, soit de bonne foi, croyant développer sa pensée, soit frauduleusement, en supposant une lettre de lui. Il est clair encore que l'interprétation de sa pensée avait pris, chez quelques-uns, les formes de l'inspiration, de l'enthousiasme prophétique. Mais ce qui est surtout clair, d'après la manière dont l'apôtre répudie ces exagérations, c'est qu'il défie les plus enthousiastes d'oser affirmer qu'il ait donné lieu, lui, à leurs rêveries. S'il a parlé avec chaleur, avec des images vives, du jour où Christ reviendra dans sa gloire, — il a parlé aussi de tout ce qui doit arriver auparavant, de cette longue lutte qui va se développer, dans le monde, entre l'erreur et la vérité, entre le mal et le bien. «Ne vous souvenez-vous pas, ajoute-t-il (II, 5), que lorsque j'étais chez vous, je vous disais ces choses?» Il a donc tout ramené, chez eux comme maintenant dans sa lettre, sur le terrain d'une sage réserve, du bon sens et de la pratique.

C'est avec non moins de sagesse qu'il traitera tous les autres points.

S'agit-il, par exemple, des gens qui se croyaient trop spirituels pour travailler, ou qui, par paresse, exploitaient dans ce sens l'idée de spiritualité: — «Si quelqu'un ne veut pas travailler, dira l'apôtre (II Thess. II, 10), qu'il ne mange pas non plus.»

S'agit-il de ceux qui persistaient à s'accorder, en morale, les facilités du paganisme, ou qui, plus sérieux, mais se trompant sur ce que doit être la vraie foi, se contentaient de croire et ne songeaient pas à faire: — «Abstenez-vous, leur dira-t-il (I Thess. V, 22), de toute espèce (ou de toute apparence) de mal.» — Ce que Dieu veut, dira-t-il encore (IV, 3-7), c'est votre sanctification, et que vous vous absteniez de l'impureté; c'est que chacun de vous sache posséder son corps dans la sainteté et dans l'honnêteté... Ce n'est pas à l'impureté que Dieu nous a appelés, mais à la sanctification.» Et comme Dieu seul peut opérer cette sanctification que Paul demande: — «Que le Dieu de paix lui-même, leur dit-il (V, 23), vous sanctifie parfaitement, et que tout ce qui est en vous, l'esprit, l'âme et le corps, soit conservé irrépréhensible pour le jour de l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ.»

Et que d'exhortations, chemin faisant, à la paix, à la charité, à la persévérance, à la patience! Que de mots heureux et profonds! Mais il faudrait, pour les recueillir, reproduire tout ce que nous avons dit sur les sentiments dont ces épîtres sont une si touchante et si vivante expression. Les conseils, les reproches, sont mêlés et comme fondus dans ce tissu d'amour chrétien et de paternels souvenirs. Paul a même beaucoup moins l'air d'un père ou d'un maître qui se plaint, que d'un frère dont le pieux amour-propre voudrait voir irréprochables, parfaits, ceux que Dieu lui a permis d'initier à la vie de la foi. Forcé de combattre en même temps le relâchement des uns et l'étroitesse ou le zèle inconsidéré des autres, il évite avec soin de mettre ceux-ci trop en garde contre les élans de la piété, de la foi, car il sait que les premiers verraient là un encouragement à leur tiédeur. «N'éteignez pas l'Esprit, dira-t-il donc (I Thess. V, 19-21); ne méprisez pas les prophéties; examinez toutes choses, et retenez ce qui est bon.» Précieux conseil en toute question de vie chrétienne. L'un verra partout l'esprit de Dieu; l'autre l'éteint, autant qu'il est en lui, c'est-à-dire ne veut le voir nulle part. L'un croit à tous les rêves; l'autre voit partout des rêves. L'un n'examine rien, et admet tout; l'autre examine, et n'admet rien. Paul est plus sage en sa philosophie. Il ne s'exposera pas à compromettre, chez les autres, l'heureux équilibre qu'il a maintenu, chez lui, entre la raison et la foi. 

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