Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE QUATORZIÈME.

THESSALONIQUE — BÉRÉE.

----------

I. Les compagnons de Paul. — Thessalonique. — Trois sabbats. — Détails incertains. — Zèle et charité de l'apôtre. — Docilité et affection des Thessaloniciens. — Paul travaillant de ses mains. — Observations. 

II. Émeute contre Paul. — Accusation variant selon les villes. — Exactitude de l'historien. — Départ de Paul. — Quelques détails tirés de sa première épître aux Thessaloniciens. 

III. Bérée. — Meilleur accueil. — Juifs étudiant, cherchant. — Intention droite; erreur pourtant. — La lettre et l'esprit. — Adversaires venus de Thessalonique. — Départ de Paul. — Questions au sujet de ce voyage.

 

***

 

Luc et Timothée, moins compromis, avaient pu rester à Philippes, et travaillèrent sans doute activement à consolider, à étendre l'œuvre; nous avons déjà vu quel témoignage Paul rendait au zèle de Timothée, en tout temps, pour les Philippiens. Timothée rejoignit Paul à Thessalonique ou à Bérée; Luc, un peu plus tard. Il n'est pas toujours facile de bien savoir lesquels des compagnons de l'apôtre sont ou ne sont pas avec lui. L'historien ne les nomme que si quelque circonstance l'y appelle, et, quant à ce qui le concerne lui-même, ce n'est que lorsqu'il dit nous qu'on peut être sûr de sa présence, mais sans pouvoir toujours conclure, quand ce mot n'y est pas, qu'il soit absent. Les épîtres ne nous fournissent non plus, à ce sujet, que des données souvent insuffisantes. Paul nommera bien, presque toujours, ceux qui sont à ce moment avec lui; mais leur présence à ce moment ne prouve pas toujours leur présence avant, leur présence après, et le moment même, d'ailleurs, nous est rarement bien connu. De là des recherches qui ont beaucoup exercé la sagacité des critiques, et dont nous ne parlerons que dans les cas d'une importance réelle.

Paul et Silas (Act. XVII, 1), «après avoir traversé Amphipolis et Apollonie, arrivèrent à Thessalonique.» Ici encore, peu de détails dans les Actes. Deux épîtres y suppléent; mais comme ces épîtres touchent à des questions graves, nous n'y prendrons, pour le moment, que ce qui se rapporte au séjour même de l'apôtre parmi les Thessaloniciens.

Thessalonique étant une ville de commerce, les Juifs y étaient nombreux et avaient une synagogue. Paul s'y rendit, et, trois sabbats de suite «il discuta avec eux sur les Écritures, montrant et prouvant qu'il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât des morts, et disant: «Ce Christ, c'est Jésus que je vous annonce.» Nous voilà donc en pleine démonstration scripturaire, et c'est bien ainsi que l'apôtre devait parler dans une synagogue; mais il ressort évidemment de la première épître, et même déjà, si l'on y regarde bien, de la suite du récit, que l'intervalle de ces trois sabbats fut rempli par de très actives et très pressantes prédications de Paul en dehors du cercle juif. Il se représente lui-même arrivant à Thessalonique tout plein de cette ardeur que la persécution venait d'allumer, à Philippes, dans son âme. «Vous savez, mes frères, dit-il (II, 1-2), que notre arrivée parmi vous n'a pas été sans efficace, mais que, après avoir souffert et avoir été maltraités, comme vous le savez, à Philippes, nous avons pris courage en notre Dieu pour vous annoncer, au milieu d'une grande lutte, l'Évangile de Dieu.»

Grande lutte, en effet, car l'implacable parti juif se trouvait là dans toute sa force, prêt, comme ailleurs, à s'unir aux païens contre les messagers de l'Évangile. On se trompe, croyons-nous, quand on parle de ces «trois sabbats» pour limiter à trois semaines le séjour de Paul dans cette ville. Ces trois sabbats, auxquels on lui permet de parler dans la synagogue, indiquent plutôt, au contraire, un temps relativement calme, antérieur, par conséquent, à ces conversions nombreuses qui allaient exciter la colère du parti juif. «Quelques-uns des Juifs, est-il dit (Act. XVII, 4), furent persuadés, et se joignirent à Paul et à Silas, ainsi qu'un grand nombre des Grecs pieux.» Quoique ce dernier mot indique ordinairement les prosélytes demi-juifs, Paul, écrivant aux Thessaloniciens, leur parle plutôt comme à des païens devenus chrétiens sans passer par le judaïsme. Tout le monde sait, leur dit-il (I. 9), «quel accès nous avons eu auprès de vous, et comment vous vous êtes détournés des idoles vers Dieu.» Il paraît donc qu'un grand nombre, sinon tous, étaient dans ce cas, ainsi que ces «premières femmes» de la ville, dont les Actes parlent aussi comme ayant été converties. Mais laissons les détails; c'est de l'ensemble que nous verrons Paul se féliciter, comme d'une preuve éclatante que Dieu travaillait avec lui. «Notre Évangile, dira-t-il (I, 5), ne vous a pas été prêché seulement en paroles, mais en puissance, en Esprit-Saint, en pleine force convainquante,» expressions dont il serait impossible de conserver, dans une version correcte, la riche et brusque énergie.

Mais tout en travaillant avec cette ardeur indomptable, tout en maniant si puissamment, contre les ennemis de l'Évangile, le glaive de la Parole, il a été, pour les âmes dociles, plein d'indulgence et d'amour. «Comme une nourrice prend soin de ses propres enfants, de même, dans notre tendresse pour vous, nous aurions voulu vous donner, non seulement l'Évangile de Dieu, mais encore nos propres vies, tant vous nous étiez devenus chers.» Eux, de leur côté, quelle affection pour lui et pour son compagnon d'œuvre! Quelle confiance! quel respect! «La Parole de Dieu que nous vous avons prêchée, vous l'avez accueillie, non comme une parole d'hommes, mais, ainsi qu'elle l'est réellement, comme Parole de Dieu.» Et tous ces heureux souvenirs, l'apôtre ne les évoque pas, comme dans l'épître aux Galates, pour les mettre en regard d'infidélités récentes. S'il a quelques reproches à adresser aux Thessaloniciens, c'est, comme nous le verrons, au sujet de certains écarts où les a entraînés l'ardeur même de leur foi et de leur espérance.

Un autre détail intéressant du séjour de Paul dans cette ville, c'est la résolution prise par lui de travailler de ses mains pour vivre, et de n'être ainsi «à charge» à personne. Il est cependant possible que cette résolution datât d'auparavant, et même d'assez longtemps; s'il la mentionne pour la première fois dans ses épîtres aux Thessaloniciens, c'est que ces épîtres sont, du moins à notre connaissance, les premières qu'il ait écrites. Ne nous figurons pas, d'ailleurs, une résolution invariable, absolue; il n'y a que les petits esprits qui se font gloire de transformer en lois ce que la conscience ne prescrit pas absolument, et c'est à Thessalonique même (Phil. IV, 16) que nous voyons l'apôtre accepter les dons des Philippiens. Jésus n'avait-il pas dit à ses disciples: «Ne prenez ni or, ni argent; l'ouvrier mérite sa nourriture?» Paul lui-même ne dira-t-il pas aux Corinthiens (I Cor. IX, 14): «Le Seigneur a prescrit que ceux qui prêchent l'Évangile, vivent de l'Évangile?» Mais il ajoutera: «Pour moi, je n'ai usé d'aucun de ces droits.» Voilà donc ce qu'il dit aussi aux Thessaloniciens (II, 9): «C'est en travaillant nuit et jour, afin de n'être à charge à aucun de vous, que nous vous avons prêché l'Évangile de Dieu.» Et dans la seconde épître (III, 8): «Nous n'avons mangé gratuitement le pain de personne.» Et en prenant congé (Actes XX, 34) des fidèles d'Éphèse: «Vous savez que ce sont les mains que voilà qui ont pourvu à mes besoins et à ceux de mes compagnons.» Ainsi, sans poser une règle qu'il sait bien ne pouvoir être absolue, pas même pour lui, il tient à ce que la prédication de l'Évangile soit pure de toute apparence d'intérêt, et puisqu'il a, lui, dans son métier de faiseur de tentes, un moyen de gagner sa vie, — partout où il le pourra, il la gagnera. Ce que le pharisien avait appris pour ne s'en jamais servir peut-être, le prédicateur de l'Évangile s'en servira joyeusement. Il travaillera le jour; il travaillera surtout la nuit, car il ne faudrait assurément pas que le travail matériel absorbât les heures réclamées par l'évangélisation. C'est évidemment ce que l'apôtre veut dire lorsqu'il dit: «Nuit et jour.»


II

Telle était donc, comme moyens et comme résultats, l'œuvre que le parti juif allait essayer de renverser. «Ayant recruté par les rues quelques hommes de rien, ils provoquèrent un rassemblement, agitèrent la ville, et, s'étant portés vers la maison de Jason (où demeuraient Paul et Silas), ils les cherchaient pour les conduire devant le peuple. Ne les ayant pas trouvés, ils traînèrent Jason et quelques frères devant les Politarques, criant: Ces gens qui ont bouleversé le monde, les voilà maintenant ici. C'est Jason qui les loge. Tous, ils agissent contre les édits de l'empereur, disant qu'il y a un autre roi, Jésus.» Ainsi, selon les villes, l'accusation varie. À Philippes, où les accusateurs sont des païens, les accusés sont «des Juifs;» à Thessalonique, où les meneurs sont des Juifs, mais ne pourraient, comme Juifs, rien obtenir, voici venir, un peu modifiée, la vieille accusation des Juifs de Jérusalem contre Jésus. Paul ne s'est pas dit roi, mais il annonce un autre roi. Crime de lèse-majesté.

On pourrait remarquer aussi avec quelle exactitude, probablement sans y songer, mais parce qu'il a vu, parce qu'il sait, l'auteur caractérise l'organisation politique des deux villes. À Philippes, colonie romaine, ville romaine, deux stratèges ou préteurs, magistrature romaine, formes romaines; ce sont des licteurs qui portent l'ordre de mettre Paul en liberté. À Thessalonique, ville libre, c'est-à-dire ayant conservé le caractère d'une petite république enclavée dans l'empire, c'est devant le peuple qu'on veut mener Paul et Silas. Ce nom de Politarques, donné aux magistrats, et qui ne se retrouve dans aucun autre auteur, a été retrouvé, à Thessalonique même, dans une inscription. À Philippes, cité romaine, les accusateurs arguent de ce que, étant romains, ils ne peuvent laisser entamer ni altérer la religion de l'État; à Thessalonique, ville libre, mais libre à condition de se montrer rigoureusement fidèle au chef de l'empire, les accusateurs exploitent la crainte du danger auquel on s'exposerait en laissant proclamer un autre roi. Il serait difficile d'imaginer un accord plus parfait que celui de tous ces détails, et un historien mieux informé.

Ce fut donc avec beaucoup d'émotion que les magistrats et le peuple entendirent parler de ce prétendu nouveau roi. Comme l'historien n'ajoute pas qu'on refusa d'écouter les chrétiens, il est probable que Jason put expliquer aux magistrats le malentendu qu'on exploitait. On le relâcha donc, moyennant caution, lui et les autres.

Mais Paul et Silas, que l'émeute avait inutilement cherchés, pouvaient, le lendemain, courir de graves dangers; aussi, la nuit venue, leurs amis les firent partir. L'historien ne nommant pas Timothée, on peut conclure ou que Timothée n'avait pas encore rejoint Paul, ou qu'il put rester dans la ville; mais le chagrin que Paul exprime, dans la première épître, en rappelant ce brusque départ, indiquerait plutôt qu'il n'eut pas la consolation de laisser l'œuvre aux mains de son bien-aimé disciple. Arraché à ce champ qui se couvrait d'une si riche moisson, il ne lui restait, nous dit-il, que l'espoir d'y retourner bientôt. Mais cet espoir ne devait pas se réaliser. «Pour nous, frères, écrit-il aux Thessaloniciens (II, 17-18), ayant été séparés de vous — rendus orphelins, dit le texte — pour un peu de temps, de visage et non de cœur, nous avons d'autant plus vivement aspiré, dans une grande ardeur, à revoir votre visage. Deux fois donc nous avons voulu, je parle de moi, Paul, aller vers vous; mais Satan m'en a empêché.» Et il rappelle ensuite comme quoi, n'y pouvant tenir, il a mieux aimé rester seul à Athènes et leur envoyer Timothée, afin, dit-il, qu'il les fortifiât au milieu des tribulations que lui, Paul, leur avait prédites, et qu'il pensait bien ne leur avoir pas été épargnées depuis son départ. Mais Timothée, ajoute-t-il, vient de le rejoindre à Corinthe. «Il nous a donné de bonnes nouvelles de votre foi et de votre charité, et comme quoi vous conservez de nous un bon et constant souvenir, désirant nous voir comme aussi nous désirons vous voir... Que Dieu lui-même, notre Père, et Jésus, notre Seigneur, aplanissent notre route vers vous!» Ainsi se consolait, ainsi écrivait l'apôtre, quelques mois après les avoir quittés.


III

Ce fut donc en se retournant tristement, et bien des fois, du côté de Thessalonique, qu'il s'éloigna de cette ville et se dirigea vers Bérée. Là, sans que nous sachions à quoi attribuer cette exception, un bien meilleur accueil, de la part des Juifs, l'attendait. «Ils étaient, nous disent les Actes (XVII, 41), d'un caractère plus noble que ceux de Thessalonique.» Ils écoutaient avec empressement, et «chaque jour ils examinaient les Écritures, pour voir si c'était bien ainsi.» Voilà donc le même éloge donné à ceux qui furent convertis et à ceux qui ne le furent pas. C'est justice. Conversion est œuvre de Dieu, nous l'avons dit; et qui lui demandera, à Dieu, pourquoi il prend l'un et laisse l'autre? Mais tout homme qui aura sérieusement, persévéramment cherché, — nous pourrons dire de lui, comme des Béréens, qu'il a l'âme élevée, et que, s'il n'est pas encore un croyant, il est digne de l'être. Mais tout en louant les Juifs de Bérée, l'historien nous laisse entrevoir la cause qui pourrait bien avoir contribué à en maintenir bon nombre en dehors de la vérité. Nous aimons à les voir courbés sur l'antique livre, cherchant de page en page, de ligne en ligne, la justification des enseignements de l'apôtre; et cependant nous sentons qu'ils se trompent, que ce n'est pas ainsi qu'on arrive à la foi vivante qui seule accepte l'Évangile, seule s'en empare avec amour. Sans doute Jésus a dit: «Sondez les Écritures, car ce sont elles qui rendent témoignage de moi;», mais ils les sondaient tous les jours, ils passaient leur vie à cela, tous ces docteurs qui ne crurent point en lui, qui le repoussèrent, le haïrent, et Paul lui-même les avait bien longtemps sondées sans devenir chrétien. C'est qu'ils cherchaient le christianisme dans la lettre, non dans l'esprit. L'esprit les aurait conduits à Jésus-Christ, centre de l'Ancien Testament comme du Nouveau; la lettre élevait une barrière. Et c'est ainsi que, à Bérée, bon nombre de ces Juifs si bien disposés ne crurent pas, tandis que l'Évangile gagna beaucoup de cœurs auxquels le vrai Dieu était pour la première fois annoncé. 

Les Juifs de Thessalonique n'avaient pas appris sans indignation ce qui se passait à Bérée; les plus ardents s'y rendirent, et, comme chez eux, «soulevaient la multitude.» Les Actes n'ajoutent aucun détail; mais l'agitation dut être grande, puisque «les frères firent immédiatement partir Paul.» Deux circonstances mentionnées indiqueraient même un grand danger. La première, c'est que les amis de Paul le firent partir comme pour aller vers la mer; on craignait donc qu'il ne fût poursuivi, et il fallait dépister la poursuite. La seconde, c'est que l'apôtre fut escorté «jusqu'à Athènes» par quelques-uns de ses amis de Bérée; on craignait donc des embûches sur la route. Ces deux faits indiquent, en outre, que le voyage eut lieu par terre. Ajoutons cependant que l'historien ne le dit pas, et que plusieurs manuscrits ne portent pas: «Comme pour aller vers la mer,», mais: «Pour aller.» C'est donc par mer qu'aurait eu lieu le voyage, et nous aurions là un de ces voyages sur mer dont il est question dans les épîtres sans que nous sachions où les placer. Nous inclinons pourtant à maintenir le voyage par terre. Aux indices déjà notés s'en joindraient facilement quelques autres. Il n'est pas dans les habitudes de Luc de mentionner un voyage par mer sans dire où l'on s'embarque, où l'on débarque. Les amis de Paul l'accompagnent jusqu'à Athènes. Serait-ce une chose à noter s'ils étaient avec lui sur un vaisseau parti pour cette ville? Ces mots n'indiquent-ils pas un voyage dans lequel les amis de Paul auraient pu le quitter plus tôt?

C'est donc à Athènes qu'ils le quittent, chargés par lui de faire que Silas et Timothée, restés à Bérée, viennent le rejoindre au plus tôt.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant