Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE DOUZIÈME.

LES GALATES — LUC

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I. Les Galates. — Leur origine. — Leur caractère. — Comment ils reçurent Paul. 

II. L'écharde en la chair. — Conjectures. — Paul et la souffrance. — Rien du stoïcisme. — Il prie. — Exaucé ou non, même conclusion tirée. 

III. Troas. — Luc. — Ce qu'on sait de lui. — Son premier nous. — Départ pour l'Europe.


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 I

Paul s'arrêta plus longtemps en Galatie, où nous le verrons de nouveau à son troisième voyage. Point de détails dans les Actes; peu dans l'épître aux Galates. Mais l'ensemble de cette épître fait foi de l'intérêt tout particulier avec lequel l'apôtre avait évangélisé ce peuple, d'origine et de mœurs tout autres que ses voisins de l'Asie-Mineure. Il y avait environ trois cents ans que des tribus gauloises, ou plutôt germaniques, étaient venues s'établir entre la Bithynie, la Phrygie, la Cappadoce et le Pont; il y en avait environ deux cents que le pays était soumis aux Romains. Mais ni la domination romaine, ni la civilisation asiatique, n'avaient effacé, chez ce peuple, son caractère primitif; Jérôme, trois siècles après Paul, affirme avoir entendu dans le pays la langue des bords du Rhin. Quand la langue se conserve avec cette ténacité, c'est que l'esprit subsiste. Il est donc permis de penser que Paul trouva là quelque chose de ce besoin d'émotions sérieuses, de cette poétique profondeur que Tacite attribue aux populations germaniques; il paraîtrait même, d'après l'épître, que l'apôtre subit en quelque mesure l'influence de cet entourage exceptionnel. «Vous, dit-il aux Galates (III, 1), devant qui Jésus-Christ a été peint si vivement, qu'il a été comme crucifié parmi vous.» On sent que l'apôtre n'a pas craint d'appeler l'imagination au secours de la raison et de la conscience. Il ne le ferait pas avec les Grecs, nourris de fables; il l'a fait avec ces vieux Germains dont le cœur poétique, malgré des mœurs probablement, assez rudes, allait au-devant de l'Évangile.

Aussi fut-il accueilli comme il ne l'avait encore été nulle part. «Vous m'avez reçu, leur écrit-il (IV, 14-15), comme un ange de Dieu, comme Jésus-Christ lui-même... Je vous rends ce témoignage que, si c'eût été possible, vous vous seriez arraché les yeux pour me les donner.» Il est vrai que, lorsque Paul rappelle cet accueil, c'est pour le mettre tristement en contraste, comme nous le verrons ailleurs, avec l'infidélité des Galates, séduits par de faux docteurs, rebelles envers celui qui les a enfantés à Jésus-Christ; néanmoins, au plus fort de ses reproches à ceux pour qui il «souffre de nouveau, dit-il, les douleurs de l'enfantement,» on sent, non seulement qu'il les aime encore, mais qu'il compte encore sur leur amour.


II

La même épître et les mêmes passages éclaircissent, nous semble-t-il, un point sur lequel on a beaucoup discuté.

Paul, dans une autre épître, après avoir rappelé par combien de grâces éclatantes Dieu lui a confirmé sa vocation, ajoute (2 Cor. XII, 7): «Aussi m'a-t-il été donné comme une écharde en ma chair, un ange de Satan pour me souffleter, de peur que je ne m'enorgueillisse.» Qu'était-ce que cette écharde, cette épine ou cette aiguille, car le mot grec signifie toute espèce de corps aigu introduit dans la chair, et y demeurant?

On a fait des suppositions fort étranges, toutes basées sur ce que l'apôtre, disait-on, parle mystérieusement de cette infirmité. Le mystère, à y regarder de près, n'existe pas. Même dans l'épître aux Corinthiens, si la chose est une énigme pour nous, nous pouvons déjà voir qu'elle n'en était pas une pour ceux à qui l'apôtre écrit, car le tout revient à: «Voilà pourquoi Dieu m'a frappé de ce mal dont vous m'avez vu affligé.» Vu, disons-nous; et c'est là-dessus que nous allons à l'épître aux Galates, d'après laquelle on ne peut guère douter que le mal ne fût extérieur, visible. Lorsque, dit-il (IV, 14), il est arrivé chez eux, ils n'ont pas «méprisé ni repoussé avec dégoût l'épreuve que je subissais en ma chair.» Or, c'est après cela que Paul ajoute: «Vous vous seriez arraché les yeux pour me les donner.» Ces derniers mots ne seraient-ils pas la clef de l'énigme? Une maladie des yeux n'est-elle pas ce qui répond le mieux à tous ces indices réunis? Elle justifie beaucoup mieux qu'un mal plus étendu le mot d'écharde en la chair, souffrance aiguë, mais locale. Elle explique suffisamment cet aspect pénible, repoussant, auquel les Galates ont su ne pas s'arrêter; elle enlève, enfin, ce qu'il y aurait d'étrange dans cette idée de s'arracher les yeux, non pas pour quelqu'un, ce qui se dit quelquefois, mais pour les donner à quelqu'un, ce qui ne se dit jamais, et suppose, par conséquent, un cas réel, des yeux malades qu'on voudrait pouvoir remplacer par d'autres. 

Ces misères, d'ailleurs, quelles qu'elles fussent, ne purent que leur fournir l'occasion d'étudier et d'admirer, chez l'apôtre, la puissance de l'esprit sur la chair. Ils virent que la souffrance ne diminuait en rien son zèle; ils purent d'autant mieux apprécier son dévouement, qu'ils ne l'entendaient pas, comme les stoïciens, braver la douleur, se vanter d'y être insensible. Cette écharde en sa chair dont il parlera aux Corinthiens, il a, dira-t-il (2 Cor. XII 8), demandé à Dieu de l'en délivrer; il l'a demandé trois fois, allusion peut-être à trois circonstances dans lesquelles la souffrance était devenue intolérable. Il voudrait donc souffrir moins; il le demande ouvertement, itérativement, et il ne cherche point à cacher qu'il l'a demandé. Mais voici le côté plus relevé; voici son stoïcisme, à lui. Si Dieu l'exauce, si l’écharde en la chair est enlevée, il en conclura une seule chose: c'est que Dieu attend de lui encore plus d'activité, encore plus de dévouement. Si Dieu — et ce fut le cas — ne l'exauce pas, il comprendra que Dieu veut manifester en lui, dans sa faiblesse, dans sa misère, la puissance de sa grâce. Et voilà, en effet, ce qu'il comprit. Dieu, dit-il, lui a répondu: «Ma grâce te suffit.» Et rattachant vigoureusement cette idée à ce qu'il a dit plus haut de ses travaux, de son zèle, du saint orgueil qui lui est permis, — c'est, ajoutera-t-il, dans ses infirmités, dans ses misères, qu'il veut se glorifier désormais, puisque c'est par elles qu'il aura et qu'il fournira la preuve que «la force de Christ habite» en lui. «Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort.» — Telle fut donc la preuve qu'il offrit aux Galates, chez lesquels, à ce qu'il paraît, il était arrivé plus malade, plus souffrant, qu'il ne l'avait encore été.


III

En prêchant à ces hommes venus du fond de l'Europe, Paul avait commencé, en quelque sorte, l'évangélisation de ce vieux monde qui allait devenir la terre de l'Évangile, tandis que l'Orient cesserait de l'être. Paul n'avait cependant pas, du moins pour le moment, l'intention de quitter l'Asie-Mineure, où tant de provinces étaient encore à évangéliser. Mais Dieu avait ses desseins. Paul est conduit, à travers la Mysie, jusqu'à Troas, où un bras de mer le sépare seul de l'Europe. Là, pendant un séjour dont nous ignorons la durée, mais qui ne dut pas être long, il s'adjoignit un nouveau compagnon, l'historien futur de ses travaux. «Luc, le médecin, qui m'est très-cher, vous salue,» écrit-il plus tard aux Colossiens. Luc était donc médecin et non pas peintre, comme le veut la tradition, qui s'inquiète peu, en général, de rester d'accord avec l'histoire. Elle veut aussi que Luc eût étudié à Antioche et eût été converti dans cette ville, ce qui peut être vrai; mais les Actes se taisent absolument sur son passé. «Nous nous disposâmes, dit-il (XVI, 10), à nous rendre en Macédoine.» C'est ce nous qui tout à coup nous révèle, à Troas, la présence de Luc parmi les compagnons de Paul. Mais cet humble mot qui se glisse là, comme si l'auteur eût craint d'employer même une ligne à se présenter aux lecteurs, ce mot n'en est que plus intéressant comme début d'une si longue histoire, celle des rapports indissolubles qui allaient unir Luc et l'apôtre. Quand Paul écrira de Rome sa seconde épître à Timothée, énumérant tristement ceux que l'infidélité ou d'autres causes ont éloignés de lui: «Luc, dira-t-il, est seul avec moi.» Luc a donc eu l'honneur et le bonheur de consoler seul, pendant quelque temps, le prisonnier qui attendait le martyre. 

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