Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE ONZIÈME.

TIMOTHÉE — EPAPHRAS

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I. Projet de visiter les Églises d'Asie Mineure. — Discussion avec Barnabas. — Nulle trace plus tard. I

II. Paul «fortifiant les Églises.» — Leurs progrès. — Timothée. — Son enfance. — Sa jeunesse. — Vive affection de Paul. — Confiance entière, absolue. — Timothée avait déjà travaillé. — Ce qu'on attendait de lui. 

III. Timothée circoncis. — Paul se mit-il en contradiction avec lui-même? 

IV. La Phrygie. — Epaphras. — Ce que Paul dit de lui aux Colossiens. — Est-ce lui qui est appelé plus tard Epaphrodite? — Une page de l'épître aux Philippiens. — Paul notre contemporain. 


***

Paul donc — que la visite de Pierre ait eu lieu alors ou plus tard, car nous n'avons pas prétendu fixer l'époque — ne resta pas longtemps, nous est-il dit (Actes XV, 36), à Antioche. «Retournons, disait-il à Barnabas, visiter les frères dans toutes les villes où nous avons annoncé la Parole du Seigneur, et voyons où ils en sont.» Qui aurait cru qu'un dissentiment quelconque pût s'élever, à ce moment, entre ces deux grands ouvriers de la même œuvre? Mais, redisons-le, l'homme est toujours l'homme. Barnabas accepte avec joie la proposition de Paul; seulement, il voudrait emmener celui qui les a quittés lors de leur premier voyage, et, puisque Marc demande à partir encore avec eux, nous devons supposer qu'il s'est repenti de sa conduite, et qu'il promet plus de persévérance. On voudrait donc — s'il est permis d'avoir un avis dans une affaire dont si peu de détails nous sont connus — que Paul se montrât facile; on regrette de lui voir appliquer rigoureusement à Marc le mot du Maître: «Celui qui met la main à la charrue, et regarde en arrière, n'est point propre» à l'œuvre du Seigneur. Mais, comme tous les hommes qui jamais ne «regardent en arrière,» Paul était, de nature, peu indulgent pour cette faiblesse; Barnabas, de son côté, l'était peut-être trop envers son jeune parent, et, comme toujours, un extrême put contribuer à en amener un autre. Quoi qu'il en soit, on est heureux de n'avoir qu'à regarder plus loin pour voir le nuage dissipé. Barnabas, Paul en parlera (1 Cor. IX, 6) comme d'un apôtre dévoué, possédant toute son estime et toute son affection; Marc, nous le retrouvons parmi les compagnons de Paul lui-même. Paul, prisonnier à Rome, écrit à Timothée de lui amener Marc, qui, dit-il, lui est «utile pour le ministère.» Il salue, de la part de Marc, les Colossiens, leur recommandant de l'accueillir, et, dans l’épître à Philémon, il le nomme encore parmi ses «collaborateurs.»

Paul et Barnabas ne purent donc, à Antioche, s'entendre, et «Barnabas, prenant Marc avec lui, s'embarqua pour l'île de Chypre.» Paul, de son côté, «ayant fait choix de Silas, partit, après avoir été recommandé par les frères à la grâce du Seigneur.»

Aucun détail ne nous est donné sur les travaux de Barnabas. Seulement, d'après la manière dont Paul parle de lui aux Corinthiens, on juge qu'il devait être fort connu de ces derniers, soit qu'il eût travaillé dans leur pays, soit que son nom fût venu jusqu'à eux avec le récit de grands travaux. L'Évangile, en somme, gagna peut-être à la séparation des deux apôtres, assez forts l'un et l'autre, quoique inégalement, pour porter, chacun, toute la charge.


II

Paul avait pour principe (Rom. XV, 20) de ne pas cultiver le champ d'autrui; et quoique l'île de Chypre eût été précédemment son champ aussi bien que celui de Barnabas, il le laissa à son collègue, et alla parcourir les villes qu'ils avaient évangélisées ensuite, ou que lui, Paul, avait d'abord évangélisées seul. «Il parcourait (Act. XV, 41) la Syrie et la Cilicie, fortifiant les Églises; puis il se rendit aussi à Derbe etàLystre.» Fortifiant les Églises. Voilà tout ce qui nous est dit, et tout ce que nous savons. Il est clair que cela ne veut pas dire seulement qu'il exhortait les chrétiens de ces villes, renonçant momentanément à l'œuvre missionnaire. Cette œuvre, d'ailleurs, en ces temps, était celle de tous; la présence même de l'apôtre ne pouvait qu'augmenter cette puissance d'expansion qui était celle de toute Église, tant petite fût-elle. Aussi nous est-il dit, un peu plus loin, que non seulement elles «s'affermissaient dans la foi,», mais «croissaient en nombre chaque jour.»

Si nous manquons de détails sur cet accroissement, nous assistons, à Derbe, à une des rencontres dont l'apôtre eut le plus constamment à bénir Dieu.

Là donc était un jeune chrétien, Timothée, que son aïeule Lois, puis sa mère Eunice, juives pieuses, avaient admirablement préparé dès son enfance, par une étude intelligente de l'Ancien Testament, à recevoir l'Évangile. «Dès l'enfance, lui écrit l'apôtre (2 Tim. III, 15), tu as connu les Lettres sacrées, qui pouvaient te rendre sage pour le salut par la foi en Jésus-Christ,» ou, plus exactement: «Te rendre savant vers le salut,» te fournir les moyens de t'approcher de l'Évangile lorsqu'il te serait présenté. Cette foi en Jésus-Christ, qui est devenue celle du jeune homme, Paul la place, en quelque sorte, sous le patronage vénéré de cette aïeule et de cette mère qu'il paraît avoir personnellement connues, probablement dans son premier voyage; il ne dit pourtant pas que ce soit lui qui ait converti Timothée. Mais si le jeune homme ne fut pas proprement son fils en la foi, jamais fils adoptif ne fut plus cher à l'homme devenu son père, et ne répondit mieux à son amour. Tous les noms qui peuvent le mieux exprimer cette union intime, indissoluble, Paul les lui donnera. C'est «mon enfant légitime en la foi;» c'est «mon enfant bien-aimé,», car le texte porte mon enfant et non mon fils, comme disent, plus froidement, nos versions. Il lui écrit (II Tim. I, 3): «Je conserve de toi un perpétuel souvenir, dans mes prières nuit et jour,» et ce souvenir lui est si cher, qu'il en bénit Dieu comme d'une grâce. Il se rappelle, ajoute-t-il, les larmes de Timothée, sans doute lorsqu'ils se sont séparés, et il désire ardemment le revoir «afin d'être rempli de joie» dans sa captivité, dans ses souffrances, dont il l'invite à prendre sa part «comme un bon soldat de Jésus-Christ.» Et que dire de la familiarité touchante d'un détail tel que celui-ci, au milieu des exhortations les plus graves (I Tim. V, 23): «Ne continue pas à ne boire que de l'eau, mais use d'un peu de vin, à cause de ton estomac et de tes incommodités fréquentes!» Mais ce n'était pas seulement de l'affection; c'était une confiance entière, absolue. «J'espère, écrit-il aux Philippiens (II, 19 et suiv.), vous envoyer incessamment Timothée... Beaucoup d'autres recherchent leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ; mais lui, vous savez qu'il a été mis à l'épreuve, s'assujettissant avec moi, comme un fils sous son père, au service de l'Évangile.» Ainsi, tout en parlant de lui comme d'un fils, il le traite, auprès des Églises, comme un collègue, un égal. Quand Timothée est avec lui, le nom de Timothée figure, en tête des épîtres, à côté de celui de Paul, et c'est déjà ce qui a lieu dans la première aux Thessaloniciens, écrite si peu de temps après que Paul l'eut associé à ses travaux.

Il est vrai que Timothée avait déjà auparavant travaillé à la propagation de l'Évangile. «Les frères de Lystre et d'Icone lui rendaient un bon témoignage,» disent les Actes; et si nous complétons par les épîtres ce renseignement un peu vague, nous sommes conduits à penser que Timothée, à peine converti, avait déployé un zèle et des dons extraordinaires. Paul parle même (I Tim. I, 8) de prophéties dont il avait été l'objet, soit qu'on eût simplement jugé, sur ses débuts, de ce qu'il devait être un jour, soit, plutôt, que Dieu eût en effet révélé à quelques fidèles quel serviteur il s'était préparé en Timothée. C'est aussi à une «prophétie,» à une inspiration spéciale, que Paul attribue  la résolution prise par les Anciens de Derbe de consacrer solennellement Timothée aux fonctions de l'apostolat. Paul prit part à cette consécration, car il dit, dans un endroit, que Timothée a reçu «l'imposition des mains de l'assemblée des Anciens,» et il dit ailleurs «l'imposition de mes mains.» Il parle aussi (I Tim. VI, 12) de la «belle confession» que Timothée a faite «devant de nombreux témoins,» et ces témoins sont probablement les Anciens eux-mêmes, avec toute l'assemblée assistant à la cérémonie; mais on a aussi supposé qu'il s'agissait de quelque autre circonstance, périlleuse peut-être, ce qui expliquerait pourquoi Paul rappelle, peu après, la «belle confession» de Jésus-Christ devant Pilate.


III

Au milieu de tous ces détails si relevés, si noblement chrétiens, on est surpris d'en trouver un qui semble en contradiction flagrante avec les principes de Paul.

Fils d'une mère juive mais d'un père païen, Timothée n'avait pas été circoncis. Paul, «à cause des Juifs qui étaient dans ces contrées,» consentit à ce qu'il le fût. Or, nous l'avons vu, il s'était absolument refusé, malgré les judaïsants, à y consentir pour Tite.

Observons donc d'abord que ce dernier, né païen, n'était tenu, selon Paul, à aucune observance juive, tandis que Timothée, élevé dans le judaïsme, n'avait dû qu'à une circonstance particulière, exceptionnelle, de ne pas en porter le signe. Sans son père, païen, n'eût-il pas été circoncis? Paul put donc penser qu'un refus serait considéré comme élargissant illicitement le décret de Jérusalem. Un juif non circoncis! Un juif exempté de l'être! Il est vrai que ce juif n'est plus un juif, puisque le voilà chrétien; mais n'importe: c'est comme juif qu'il est devenu chrétien, et il n'avait pas le droit d'être juif autrement qu'un autre. Bref, pour tout enfant d'Abraham, c'est la circoncision qui seule conduit légitimement à l'Évangile. Que Paul trouvât ce raisonnement bon, c'est fort douteux; lui qui a dit (I Cor. VII, 19-20): «La circoncision n'est rien, l'incirconcision n'est rien... Que chacun demeure en l'état où il était quand il a été appelé,» — il ne pouvait penser que rien manquât à Timothée pour appartenir à Jésus-Christ. Mais l'argument contraire avait pourtant une certaine valeur historique, nationale. Paul jugea donc que les circonstances permettaient d'y avoir égard, et que le décret de Jérusalem, interprété, dans ce cas, un peu étroitement, serait mieux reçu, à l'avenir, de ceux qui le trouvaient trop large. Et c'était là en effet, à ce moment, une des grandes préoccupations de l'apôtre. Quoique le décret ne fût pas entièrement selon son cœur, il y voyait un progrès vers la pure idée chrétienne, et même, en regard des judaïsants, un grand progrès; aussi, dans toutes les villes qu'il traverse, il transmet (Act. XVI, 4) «les résolutions arrêtées par les Apôtres et les Anciens de Jérusalem,» et il en recommande l'observation. Là donc est l'explication de sa conduite. Par une concession beaucoup moins grave que celle qu'il aurait faite à l'occasion de Tite, il affermissait dans sa main l'arme préparée contre ceux à qui cette concession semblait faite. Qui sait, d'ailleurs, si d'autres circonstances n'avaient pas influé encore sur sa détermination? Quand un esprit ainsi logique semble se mettre en contradiction avec lui-même, le simple bon sens, même à défaut de justice, ordonne de supposer qu'il doit avoir eu de bonnes raisons.


IV

Paul partit donc accompagné de Silas et de Timothée. Le Saint-Esprit, nous disent les Actes, les empêcha d'aller évangéliser l'Asie (l'Asie proconsulaire, partie ouest de l'Asie-Mineure), et nous lisons peu après (XVI, 7) que «l'Esprit de Jésus» les empêcha d'entrer en Bithynie. Ces mots n'impliquent pas une révélation proprement dite, et peuvent s'entendre simplement de résolutions prises, devant Dieu, dans le sentiment profond de sa présence et de son aide.

Ils entrèrent donc dans la Phrygie, et, nous est-il dit, la «traversèrent.» Il paraît, en effet, qu'ils s'y arrêtèrent peu Elle allait être le champ de travail d'Epaphras, disciple de Paul, qui fonda les Églises de Colosses, d'Hiérapolis et de Laodicée. Epaphras est encore un nom cher à l'apôtre, et que nous retrouvons, dans ses épîtres, entouré des plus touchants témoignages. Il rappellera aux Colossiens (I, 7) ces jours où ils ont «entendu et reçu la grâce de Dieu dans toute sa vérité,» l'ayant apprise, ajoute-t-il, «d'Epaphras, notre bien-aimé compagnon de service,» et ce dernier mot peut aussi signifier «de captivité,», car Paul est en ce moment prisonnier, et Epaphras (Philém. 23) est auprès de lui. À la fin de l'épître, en leur transmettant les salutations d'Epaphras, — Epaphras, leur dit-il, fondateur de leurs Églises, ne cesse de penser à elles, «luttant continuellement pour vous dans ses prières.» Est-ce de lui qu'il est question, dans l'épître aux Philippiens, sous le nom d'Epaphrodite? On l'a souvent pensé, les deux noms pouvant être le même, comme Silas et Silvain, et les détails pouvant, à la rigueur, s'accorder. Ainsi, par exemple, Paul parle d'Epaphrodite (Phil. II, 25) comme lui ayant été envoyé par les Philippiens pour pourvoir à ses besoins; d'où résulterait, semble-t-il, qu'Epaphrodite était de l'Église de Philippes. Mais Paul, en même temps, l'appelle «mon compagnon d'œuvre et de combat,» et rien n'empêche, dès lors, que l'Epaphrodite envoyé à Paul ne fût son ancien disciple Epaphras, l'apôtre de la Phrygie, fixé maintenant en Grèce. Mais, après tout, qu'importe?

L'épître aux Philippiens aura toujours fourni un trait de plus au tableau de ces amitiés saintes que créait le bon combat de la foi; et il est doux de rencontrer sous la plume de Paul, quelquefois rude, ces passages qui nous montrent une âme si profondément aimante. Epaphrodite ou Epaphras, voici ce que Paul ajoute après avoir dit aux Philippiens qu'il vient de le leur renvoyer: «Il soupirait après vous tous; il se désespérait de ce que vous aviez entendu dire qu'il avait été malade. Il l'a été, en effet, et même tout près de la mort; mais Dieu a eu pitié de lui, et non pas seulement de lui, mais aussi de moi, afin que je n'eusse pas tristesse sur tristesse. Je me suis donc d'autant plus empressé de vous le renvoyer, afin que, le revoyant, vous redeveniez joyeux, et que, moi-même, je sois moins triste. Accueillez-le donc, dans le Seigneur, avec une joie entière, et honorez quiconque lui ressemble, car c'est pour l'œuvre de Christ qu'il a été à la mort, ne ménageant pas sa vie pour suppléer à votre absence dans les services qu'il me rendait.»

On voudrait connaître en détail ces «services» rendus à Paul, prisonnier, et dans lesquels Epaphrodite avait prodigué ses forces. Mais quelle délicatesse dans la reconnaissance de l'apôtre! Quelle touchante habileté à partager cette reconnaissance entre celui qui a rendu personnellement les services, et ceux qui l'ont envoyé pour les rendre! C'est un de ces passages où l'intérêt historique se double d'un autre intérêt, tout actuel. L'homme qui a écrit ces lignes n'est plus pour nous un homme d'il y a dix-huit siècles: il est d'hier, d'aujourd'hui; il parle comme nous parlons, il sent comme nous sentons, ou, plutôt, comme nous voudrions savoir parler, savoir sentir; sa parole nous enveloppe comme d'une atmosphère où toutes les délicatesses de l'affection humaine se mêlent aux plus nobles effusions de la foi.


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