Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE TROISIÈME.

LA QUESTION DU SURNATUREL

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I. Ce qui est aujourd'hui en cause. — Les chefs du mouvement. — Leur tactique ou leurs illusions. — Dieu; l'immortalité; l'âme. — Tantôt après, tantôt avant le christianisme, tout tombe. — Enquête à faire et marche à suivre.

II. Regarder les objections bien en face, et ne pas fuir devant des mots. — Avant de céder à On, lui demander ses titres. — La vieille apologétique. — La nouvelle. — Danger des réfutations transcendantes. — Retour au témoignage. — Pas voulu; pas pu. — Singulier milieu qu'on a prétendu trouver.

III. La discussion philosophique. — Dieu n'a pas pu vouloir. — Pur panthéisme. — Dieu n'a pas voulu. — Témérité. — L'honneur de Dieu. — On en a abusé en théologie; on en abuse en sens inverse. — Retourner l'argument.

IV. Le surnaturel, pâture d'une piété grossière. — Le surnaturel, besoin des plus nobles âmes. — Clarté projetée sur toutes les questions de cette vie et de l'autre. — Règne de l'esprit sur la matière. — Si nous en doutons, tout devient douteux. — Plus de religion possible. — Regrets; douleur. — Cherchez et vous trouverez. — Les tempêtes et la prière.


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I

Mais ajoutons quelques observations plus générales, qu'il serait impossible, aujourd'hui, de ne pas faire.

Cette ligne que nous traçons, toujours assez témérairement, nous l'avons dit, entre le naturel et le surnaturel, — beaucoup de ceux qui tiennent le plus à la tracer, à la maintenir, la respectent, en fait, très peu. S'ils n'attaquent ouvertement que ce qui est au delà, les manifestations surnaturelles de la puissance divine, — beaucoup, au fond, n'admettent pas davantage les manifestations naturelles, ordinaires, de ce pouvoir, si même ils vont jusqu'à conserver intacte l'idée d'un Dieu personnel et agissant. Le monde surnaturel est seul en cause, semble-t-il; regardez mieux, et vous verrez que ce qui est réellement nié, c'est le monde spirituel, l'âme, l'immortalité, Dieu.

Nous parlons, cela va sans dire, des chefs. Parmi la foule qui les suit, même parmi les chefs de second ordre, on trouverait des exceptions. Beaucoup de gens, en cessant de croire au surnaturel, n'ont rejeté ni Dieu, ni la Providence, ni l'âme, ni même, dans une certaine mesure, l'Évangile. Cela se maintiendra-t-il? Un certain temps, oui; indéfiniment, non, et déjà plus d'une grande chute est venue donner raison à qui disait que ni le christianisme, ni rien qu'on puisse appeler, de bonne foi, une religion, ne subsistera longtemps ainsi. Mais restons-en, pour le moment, aux chefs, et demandons qu'avant de s'abandonner à eux, on s'enquière un peu mieux de leur véritable pensée.

L'enquête n'est pas difficile. Si les auteurs dont nous parlons sont généralement plus réservés lorsqu'ils s'occupent du christianisme et du Christ, ils ont tous eu, ailleurs, des occasions d'être francs. Voyez, par exemple, celui dont nous chercherions en vain à ne jamais écrire ici le nom, bien que nous ayons résolu de nous attaquer le moins possible à tel ou tel adversaire en particulier. Que de gens ont cru et croient encore qu'en attaquant le surnaturel chrétien, M. Renan a respecté les bases de la religion naturelle, et, à certains égards, le christianisme lui-même! Que de gens ont lu avec émotion, chez lui, certaines pages d'un spiritualisme si élévé, si pur, qu'on en ferait, presque sans changement, des pages chrétiennes, très chrétiennes! Nous ne dirons pas que ce soit calcul, tactique; nous croyons, nous croirons, aussi longtemps que nous le pourrons, qu'il y a là une émotion de poète, un reflet encore sincère des idées, des souvenirs, que l'auteur rencontre sous sa plume. Mais nous ne pouvons pas ne pas savoir ce que nous savons, ce que l'auteur a dit, dans d'autres livres, clairement, formellement, crûment. Ceux donc qui se laisseraient prendre à ces quelques pages élevées, voici ce que nous leur dirons. M. Renan vous parle comme croyant en Dieu: il n'y croit pas; il est panthéiste. M. Renan vous parle comme croyant à l'immortalité de l'âme: il n'y croit pas; il a déclaré n'entendre par là que le souvenir qu'un homme laisse parmi les hommes. M. Renan vous parle comme croyant à l'âme: il n'y croit pas; son matérialisme élégant, fleuri, est aussi complet que le plus grossier. Donc, encore une fois, ne voir en lui que l'adversaire du christianisme historique, c'est ignorer sa vraie pensée, ou, pour mieux dire, c'est vouloir l'ignorer, puisqu'il l'a dite si clairement ailleurs.

On voudra bien remarquer que nous ne disons pas: «Voilà où l'a conduit, voilà où conduit nécessairement l'abandon du surnaturel chrétien.» Nous disons: «Voilà où en est réellement l'homme dont le nom résume, depuis quelques années, les attaques dirigées contre le surnaturel chrétien.» Nous constatons le fait, et le fait a pu, selon les esprits, se produire diversement. Tantôt le christianisme est tombé le premier, et, après lui, la religion dite naturelle, Dieu, l'immortalité, l'âme; tantôt c'est la religion naturelle qui, emportée la première par une philosophie dévorante, emporte le christianisme, devenu impossible. Ce dernier cas est même le plus ordinaire aujourd'hui. On ne commence pas par attaquer le christianisme; on ne se tourne contre l'édifice chrétien qu'après avoir détruit les bases de toute religion, et l'édifice, immédiatement, est à bas. Quand Dieu s'est évaporé en abstractions ou pétrifié dans la matière, il est clair que Dieu, devenu un mot, anéantit toute doctrine où c'était un être vivant, voulant, agissant, exauçant. Quand l'âme, comme Dieu, ou n'est rien, ou n'est que matière, — impossible de rien garder d'une doctrine plaçant hors d'ici-bas le but de la vie humaine.

Ceux donc chez qui la négation du surnaturel chrétien n'est qu'un des épisodes de cette démolition où disparaissent Dieu et l'âme, — nous n'avons pas à leur parler ici. Mais tous ceux qui, bien que subissant leur influence, croient encore à Dieu et à l'âme, tous ceux chez qui la foi au surnaturel chrétien, quoique ébranlée, renversée même, est néanmoins possible encore parce que les éléments subsistent, — voici la marche que nous leur indiquerons.


II

Il faut, d'abord, regarder les objections bien en face, et leur demander nettement ce qu'elles valent, ce qu'elles veulent. Si les croyants, dans leur désir de croire, se sont trop souvent payés de mots, beaucoup de gens aussi ne sont devenus incrédules que pour s'être payés de mots, ou, plus souvent encore, pour avoir eu peur de certains mots. Ces mots — lumière, progrès, siècle, — il suffit qu'un homme les prononce pour qu'une question soit résolue, l'homme n'eût-il d'ailleurs qu'une très petite valeur intellectuelle et morale. Mais en eût-il, au contraire, une grande, nous n'en dirions pas moins: «Avant de vous rendre, examinez.» Étrange conseil, semble-t-il, puisque c'est précisément à la liberté, à l'examen, que les adversaires de la foi semblent nous convier. Encore des mots, hélas! sinon toujours, du moins dans bien des cas. Parmi ceux à qui on a enseigné à s'intituler libres penseurs, combien y en a-t-il qui le soient véritablement, qui aient usé, sérieusement usé, de cette liberté tant recommandée, et qui n'aient pas accepté les négations à peu près comme ils nous reprochent d'avoir accepté la foi? Soyez donc des libres penseurs, mais soyez-le tout de bon. On veut que vous vous affranchissiez de la tradition chrétienne; affranchissez-vous, en même temps, de la tradition incrédule, de l'autorité incrédule, et vous ne verrez plus aucune impossibilité philosophique à rester librement sous la tradition chrétienne, ou, si vous l'avez délaissée, à y rentrer. 

 La question du surnaturel, qui est aujourd'hui au premier rang, appelle tout particulièrement l'application de ce premier conseil. «On ne croit plus au surnaturel,» vous dit-on. Demandez qui est-ce On dont on parle; et si vous en retranchez ceux qui font nombre sans faire autorité, si vous groupez, d'autre part, non pas tous les croyants, car tous ne font pas non plus autorité, mais ceux que leurs réflexions, leurs études, ont conduit à rester croyants ou à le redevenir, — vous forcerez les non-croyants de reconnaître au moins que la question n'est point tranchée. Voilà pour vous, en tout cas, un point d'appui. Vous n'êtes plus cet homme à qui on avait fait peur de son isolement au milieu des générations présentes. Vous retrouvez le calme nécessaire pour rassembler vos raisons, et le courage pour les énoncer librement.

Ne croyez pas, du reste, qu'il faille nécessairement abandonner celles de la vieille apologétique, comme disent aujourd'hui un peu dédaigneusement, un peu imprudemment, quelques jeunes défenseurs de la vérité chrétienne. Si l'apologétique a eu quelquefois le tort de n'être pas assez philosophique, elle l'a souvent été, de nos jours, un peu trop, et, en présence d'objections positives, de celles, par exemple, que nous avons ci-dessus rencontrées, une réponse transcendante peut facilement avoir l'air d'éluder plutôt que de réfuter. Toute question, sans doute, a ses côtés transcendants, et il est bon que le christianisme se montre capable de suivre ou d'aller chercher ses adversaires dans n'importe quelle région de la pensée humaine; mais ne dédaignons pas, pour cela, le terre à terre, car c'est le plus souvent par les attaques terre à terre que l'incrédulité fait son chemin. Nous l'avons dit: au fond, les objections sont demeurées les mêmes. Voltaire ne rit plus, ou ne rit plus qu'en dedans; mais c'est toujours Voltaire. Ne craignons donc pas trop, lorsqu'il s'agit du Nouveau-Testament, de commencer, comme nos bons vieux catéchismes, par ces deux arguments inséparables: «Les apôtres n'ont pas voulu nous tromper; les apôtres n'ont pas pu nous tromper.» N'est-ce pas, en somme, contre ces deux propositions que l'incrédulité contemporaine a concentré toute sa science et toute son habileté? Il n'y a guère eu de nouveau que la prétention d'établir, chez les apôtres, un milieu entre le mensonge et la véracité. Ils ont cru sans croire, menti sans mentir; ils se sont fait une sincérité à leur usage, ou, plutôt, précisément telle qu'il la fallait absolument pour que leurs nouveaux historiens pussent repousser leur témoignage, et ne pas avoir pourtant trop l'air de les mépriser. C'était, au fond, les mépriser beaucoup; personne encore ne les avait mis si bas, ni comme intelligence, ni surtout comme conscience. Ainsi en a-t-on généralement jugé, et les deux vieilles questions sont demeurées comme le vrai terrain de ce débat. Abordez-les donc, et hardiment, avec tout ce que vous fournira l'histoire, l'étude du cœur humain, le bon sens. Vivez avec ces hommes qui seront alors de mieux en mieux, pour vous, les garants des faits évangéliques. Une démonstration intime complétera, vivifiera celle que vous aurez puisée dans leur histoire, et vous vous trouverez avoir été avec eux, en quelque sorte, témoins oculaires des faits qu'on voudrait vous faire abandonner.


III

Mais si nous insistons sur l'importance à donner — ou plutôt à rendre — aux arguments de témoignage, nous ne voulons point pour cela, nous l'avons dit, qu'on se refuse à la discussion sur le terrain philosophique.

Ce terrain a été, de nos jours, modifié. On accordait jadis, et même sans peine, que Dieu a pu vouloir des faits surnaturels; toutes les objections se concentraient sur la question subsidiaire: «Dieu les a-t-il voulus?» Aujourd'hui donc, on remonte plus haut. «Dieu n'a pas pu vouloir des faits surnaturels. Immuable, — les lois physiques, qui ne sont que l'incarnation de sa pensée, sont immuables comme lui, et lui imposent, sous peine de se contredire, l'obligation de ne les jamais suspendre. Bref, le surnaturel est impossible parce que Dieu ne peut pas le vouloir.»

Nous voilà en plein panthéisme; si ceux qui raisonnent ainsi ne sont pas tous des panthéistes, tous, en bonne logique, devraient l'être. Méfions-nous de ces argumentations basées sur ce que Dieu a  ou a pu vouloir ou ne pas vouloir. On en a singulièrement abusé en théologie; on en abuse aujourd'hui tout autant dans la dialectique de l'incrédulité. En théologie, elles avaient au moins l'avantage de maintenir solidement la doctrine d'un Dieu personnel, libre; dans les systèmes d'aujourd'hui, elles ne font qu'immobiliser, qu'anéantir l'action divine, et, par conséquent, Dieu lui-même. Ici donc pourraient revenir plusieurs de nos remarques sur la portée réelle de certaines tendances et de certaines objections. Pour saper le surnaturel, on incarne Dieu dans la nature. Pour être sûr qu'il n'a point voulu de miracles, on lui enlève la possibilité de rien vouloir en dehors des lois physiques. Ces lois ne sont plus le produit libre de sa volonté souveraine; elles sont sa volonté même, qui ne se manifeste et n'existe réellement que par elles, en elles. En vain s'efforcera-t-on, après cela, de conserver à Dieu une existence indépendante de celle de l'univers. Le mélange, l'unité, revient inévitablement, et, cette unité, c'est le panthéisme. — Voilà ce qu'on peut montrer à quiconque pose pour base que Dieu n'a pas pu vouloir le surnaturel.

Il faut donc, là-dessus, ou s'enfoncer résolument dans le panthéisme, ou en revenir simplement à: «Dieu n'a pas voulu.»

La liberté divine est au moins, alors, maintenue; Dieu, qui ne serait rien s'il n'était libre, demeure. Prenons garde, pourtant. Lui rendre sa liberté à condition qu'il n'en use pas, est-ce la lui rendre? Aussi s'empresse-t-on d'introduire un autre élément, qui sauvera, pense-t-on, les apparences. «Il est de la dignité de Dieu, nous dit-on, de ne jamais interrompre le cours des lois auxquelles il a soumis la création.» La dignité de Dieu! Méfions-nous de cette argumentation comme de l'autre. La théologie n'en a pas moins abusé; la dignité de Dieu, l'honneur de Dieu, a fait verser des flots de sang. La philosophie aurait-elle davantage le droit de s'en emparer? Sait-elle mieux ce qui est ou n'est pas, pour Dieu lui-même, de la dignité de Dieu? L'idée, d'ailleurs, pourrait facilement être retournée. Il est de la dignité du Créateur, dirions-nous, qu'il puisse, quand bon lui semble, se mettre au-dessus des lois auxquelles il a soumis la création. Il est de la dignité d'un Être souverainement intelligent qu'il puisse, quand bon lui semble, employer ou créer des moyens extraordinaires. Il est de la dignité d'un Être souverainement bon qu'il puisse ne pas l'être immuablement sous les mêmes formes. — Ce raisonnement est-il juste? Nous ne l'affirmons pas; mais on voit qu'il prouve pour nous tout autant que pour nos adversaires.


IV

Si nous ne pouvons affirmer que la question de dignité se pose pour le Créateur, pour l'être souverainement sage et bon, comme nous venons de la poser, — un fait, cependant, est incontestable: c'est que la question ainsi posée correspond à un des besoins les plus réels et les plus nobles de notre nature religieuse.

Le surnaturel, nous dit-on, ne peut être que la pâture d'une piété grossière et grossièrement exigeante. — Oui, cela s'est vu, cela se voit, témoin tant de faux miracles inventés ou acceptés par cette piété-là. Même ceux que nous proclamons vrais, cette piété-là ne les a souvent compris que comme elle comprenait les plus grossiers prestiges, les plus ridicules inventions. Mais où trouver, en religion, une chose, une seule chose, tant belle et grande soit-elle, qui n'ait été aussi rapetissée, déshonorée? Ce qu'on nous dit là des miracles, on le dirait des plus hautes doctrines, toutes devenues, en certains temps, chez certaines personnes, des sources de superstition. L'abus ne prouve donc rien. Sainement et spirituellement saisi comme affirmation de la liberté divine, du règne de l'esprit sur la matière, le surnaturel évangélique projette une précieuse clarté sur toutes les questions de cette vie et de l'autre. Cette clarté, n'allons pas nous tromper sur ce qu'elle est ou sur ce qu'elle promet. Le surnaturel ne fut pas une révélation nouvelle et supérieure; il ne nous ouvre pas, comme on l'a cru quelquefois, les secrets du monde invisible; il ne nous apprend rien de ce que Dieu ne nous a pas enseigné dans sa Parole. Mais cette souveraineté de l'esprit sur la matière, de l'invisible sur le visible, c'est ce qui peut le mieux, d'un côté, nous rappeler la loi fondamentale de notre existence ici-bas, et, de l'autre, donner comme un fondement palpable à nos espérances d'au delà. Quoique ce dernier résultat ait été souvent considéré comme découlant surtout de la résurrection de Jésus-Christ, prémices de la nôtre, dit saint Paul, il découle, non moins clair, si nous avons des yeux pour voir, de tous les autres faits où l'Esprit divin s'est montré libre, maître, dominateur. Tant que je ne verrai dans le monde que des lois fixes, absolues, qui ne garantira qu'une de ces lois brutales ne me condamne pas à disparaître tout entier? Je pourrai bien, par quelque effort de mon imagination et de mon cœur, me persuader par moments que cela ne peut être, que Dieu ne peut m'avoir créé pour m'anéantir; mais quand l'inexorable mécanisme, toujours allant, toujours courant, aura emporté ou broyé quelque élément de ma vie terrestre, santé, fortune, objets de mon affection, qui me sauvera de la désolante pensée que ce qui est emporté pêle-mêle périt aussi pêle-mêle, les biens de l'âme comme les biens terrestres, l'âme comme sa chétive enveloppe? — Voilà où me rejette l'abandon du surnaturel.

Et ce n'est pas là un tableau fait à plaisir, assombri pour les besoins de la cause. S'il est un fait qui de mieux en mieux ressort de tous les débats contemporains, c'est que, en dehors de la foi au surnaturel, il n'y a pas, il n'y a plus ce qui peut s'appeler foi. N'en jugeons pas sur ceux qui, nourris dans une atmosphère croyante, semblent garder, gardent même, tout en reniant la base, les convictions et la piété qu'elle portait. Cette philosophie qui veut être une religion, jamais elle n'en aura que l'apparence, et encore si l'on veut bien n'y regarder que de loin; les lambeaux dont elle se pare ne lui appartiennent pas, ne peuvent lui appartenir. Et voyez, d'ailleurs, comme ils tombent! Si quelques hommes plus foncièrement religieux les retiennent d'une main plus ferme et plus pieuse, d'autres, beaucoup d'autres, en sont bientôt à les lâcher sans regret. Sans regret! Pas toujours. Plus d'un gémit de cette logique impitoyable qui l'enchaîne aux choses visibles et le condamne à ne rien savoir au delà; plus d'un regrette le temps où Dieu lui parlait ce langage qui a, depuis tant de siècles, instruit et consolé l'humanité. Ah! sans doute, ces regrets ne sont pas une preuve. Si le christianisme n'est pas la vérité, nous aurions beau gémir de le voir s'éteindre; nous ne lui rendrions pas la vie, pas plus qu'on ne ressuscite un mort en le pleurant. Mais que la perspective des ténèbres qui succéderaient à sa lumière, du vide affreux qui se ferait à la place occupée par lui, nous fasse chercher, recueillir, embrasser avec toujours plus d'amour les marques éclatantes auxquelles Dieu a permis que nous y reconnussions son œuvre, sa volonté, son esprit, sa miséricorde. 

Cherchez et vous trouverez, demandez et il vous sera donné, est-il écrit; et si la chose est vraie de toute espèce de grâce, pourquoi ne le serait-elle pas de cette grâce première et fondamentale, — l'affermissement de la foi? Et qu'on ne dise pas qu'en conseillant la prière à qui chancelle, à qui doute, nous faisons un cercle vicieux. Il est toujours possible à l'homme de demander à Dieu son aide; et si le navigateur n'a pas besoin d'être un bien solide croyant pour élever son cœur vers Dieu quand il sent venir les tempêtes, pourquoi ce même élan serait-il impossible à qui navigue, incertain et troublé, parmi les écueils de la pensée, sur cet autre océan qui peut le conduire aux abîmes, ou le déposer, vainqueur, sur le Rocher des siècles?


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