Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE DEUXIÈME.

LA CONVERSION

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I. Trois récits dans les Actes. — Différences de détail. — Si elles étaient graves, l'auteur les aurait effacées. — Analyse parallèle. — La voix entendue. — La lumière. — Le trouble des assistants. — Pourquoi juger autrement que dans toute autre histoire? — Différences d'ensemble. — Chacun des récits est ce qu'il doit être. — Analyse à ce point de vue.

II. Conviction, chez Paul, invariable. — Hypothèse d'une illusion. — Le vieux rationalisme. — Le nouveau. — Formes plus douces; conclusions bien plus radicales. — Peu à changer dans la réfutation. — Paul pouvait-il ne pas s'être fait l'objection? — L'épreuve et les périls la lui font sous toutes les formes. — Paul n'a rien d'un enthousiaste.

III. Éléments naturels. — Raison de plus pour que Paul jugeât sainement. — Ces éléments infirment-ils le miracle? — La puissance divine agit comme bon lui semble, tantôt seule, tantôt non. — Les deux aveugles. — Selon votre foi. — Paul a pu être associé à l'œuvre de sa conversion. — Que savons-nous quant aux limites du naturel et du surnaturel? — Dernière opinion de Baur sur la conversion de Paul.


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I

Laissons parler les Actes. «Comme il était en route et qu'il approchait de Damas, tout à coup une lumière venue du ciel l'enveloppa. Et étant tombé par terre, il entendit une voix qui lui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? — Mais il dit: Qui es-tu, Seigneur? — Et le Seigneur répondit: Je suis Jésus, que tu persécutes. Mais lève-toi et entre dans la ville, et l'on te dira ce qu'il faut que tu fasses. — Or, les hommes qui faisaient route avec lui s'étaient arrêtés, muets, entendant la voix, mais ne voyant personne. Cependant Paul se releva de terre, mais, les yeux ouverts, il ne voyait pas, et ses compagnons le menèrent à Damas en le conduisant par la main. Et il resta trois jours sans voir; et il ne mangeait ni ne buvait. Or, il y avait à Damas un disciple nommé Ananias; et le Seigneur lui dit dans une vision: Ananias! — Et il dit: Me voici, Seigneur. — Et le Seigneur lui dit: Lève-toi, et va dans la rue appelée Droite, et cherche dans la maison de Judas un nommé Saul, de Tarse, car, voici, il prie, et il a vu en vision un homme nommé Ananias, qui entrait et lui imposait les mains afin qu'il recouvrât la vue. — Mais Ananias répondit: Seigneur, j'ai oui dm; à bien des gens tous les maux que cet homme a faits à tes saints à Jérusalem; et il apporte ici une autorisation du chef des prêtres pour charger de chaînes tous ceux qui invoquent ton nom. — Mais le Seigneur lui dit: Va, car cet homme est pour moi un instrument de choix pour porter mon nom devant les Gentils et devant les rois, et devant les enfants d'Israël; et je lui montrerai tout ce qu'il faut qu'il souffre pour mon nom. — Ananias donc s'en alla et entra dans la maison, et, lui ayant imposé les mains, il dit: Saul, mon frère, le Seigneur m'a envoyé, le Seigneur Jésus qui t'est apparu sur la route par laquelle tu venais, afin que tu recouvres la vue, et que tu sois rempli d'Esprit saint. — Et aussitôt, il tomba de ses yeux comme des écailles, et il recouvra la vue, et, s'étant levé, il fut baptisé.» (Actes IX, 3-18.)

Voilà le récit des Actes selon le texte le plus simple, car, ce récit revenant deux fois encore (Actes XXII et XXVI), quelques manuscrits et la plupart des versions ajoutent au premier texte quelques détails pris dans les deux autres. Il y a donc, entre les trois récits, quelques différences.

Ces différences ont-elles la gravité qu'on leur a donnée, de nos jours, pour ébranler l'authenticité du grand fait raconté dans les trois récits? — Qu'on en juge.

Remarquons, d'abord, une chose: c'est que les trois récits se lisent dans le même livre. La première fois, c'est l'auteur qui parle; les deux autres, c'est Paul lui-même. Croirons-nous que l'auteur eût mis dans la bouche de Paul des détails qu'il eût considérés comme contredisant son récit à lui, l'historien? Qui l'empêchait de modifier ou le premier récit d'après les autres, ou ceux-ci d'après le premier? Donc, aux yeux de l'auteur, aucune contradiction; et quand il y en aurait quelqu'une que nous ne pourrions, nous, expliquer suffisamment, nous pourrions encore dire que l'auteur avait sûrement par-devers lui de quoi l'expliquer mieux, puisqu'il ne l'effaçait pas.

Mais nous n'avons nul besoin de cette ressource.

Dans le premier récit, il est dit que les compagnons de Paul «entendaient la voix, mais ne voyaient personne,» et, dans le second, qu'«ils virent la lumière et furent saisis de crainte, mais n'entendirent pas la voix de celui qui parlait à Paul.» — Que penser de cela?

Relisez attentivement les deux passages, et vous verrez que la voix, dans le premier, peut très bien signifier une voix, le son d'une voix, et, dans le second, les paroles prononcées par cette voix. Les compagnons de Paul entendent la voix, non les paroles; et ce dernier détail se lie fort bien à ce que Paul vient de dire qu'ils avaient été saisis de crainte à la vue de la lumière. 

Mais cette crainte, ce trouble attribué ici à la lumière, le premier récit l'attribuait à ce qu'ils ne voyaient personne et entendaient cependant une voix. Deux causes donc, très différentes. Oui, mais qui ne s'excluent nullement, et qui ont pu être assez mêlées pour que le résultat fût attribué indifféremment tout à l'une ou tout à l'autre. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que chacun des récits n'en ait mentionné qu'une.

Différence, enfin, semble-t-il, dans le résultat même. Le premier récit nous fait voir les compagnons de Paul muets de frayeur et s'arrêtant, et le troisième nous dit qu'ils tombèrent à terre. 

Nous répondrons, comme ci-dessus, que les deux faits ne s'excluent pas. Les mots, déjà, s'excluent-ils? Est-il sûr que tomber à terre ne soit pas simplement l'expression plus colorée, plus vive, de cet arrêt et de cette frayeur dont parle le premier récit? Mais acceptons le désaccord des mots. Entraînera-t-il celui des choses? Les compagnons de Paul sont-ils nécessairement tous tombés, ou n'ont-ils fait nécessairement, tous, que s'arrêter? Chaque récit peut donc être vrai de quelques-uns, et nous savons assez que c'est un usage constant, chez les Évangélistes, comme chez beaucoup d'auteurs anciens, d'attribuer à tous les personnages d'une scène ce qui a été fait ou dit par quelques-uns seulement.

Voilà pour les contradictions, car nous ne sachions pas qu'on en ait signalé d'autres. Ajoutons seulement qu'avec de semblables procédés, il est facile d'en créer. Où trouver deux récits qui, disséqués au microscope, puissent être d'accord? Et si la haute importance des saints Livres appelle inévitablement sur leurs moindres détails une attention minutieuse, oublierons-nous, pour cela, que la proportion d'importance entre les détails et l'ensemble est la même que dans un écrit quelconque? Une difficulté qui ne nous ferait pas repousser un récit de l'histoire grecque ou romaine, — pourquoi nous rendrait-elle invraisemblable, inacceptable, un récit de l'histoire apostolique?

Mais à côté des quelques différences qu'on érige en contradictions, il y en a qu'on nous signale comme des amplifications; autre obstacle à la crédibilité du tout. Ainsi, dans le second récit (Actes XXII), quand Ananias vient trouver Paul, il lui parle un peu plus longuement que dans le premier; dans le troisième (Actes XXVI), c'est Jésus qui, au moment même de son apparition miraculeuse, parle un peu plus longuement à Paul.

Qu'on relise, répondrons-nous, les trois récits, mais à leur place, dans leur cadre, et l'on verra qu'ils sont, chacun, ce qu'ils devaient être en cet endroit.

Dans le premier, c'est l'historien qui parle. Il donne l'ensemble des faits; il omet des détails et des paroles. Rien de plus naturel puisque le récit doit revenir, et revenir là où ces détails et ces paroles se lieront à la situation.

Dans le second, nous sommes à Jérusalem avec l'apôtre, devant une foule irritée. Il raconte sa conversion. Il prononce, en toute hardiesse, le nom de ce Jésus que la même foule a mis à mort. Mais doit-il, peut-il s'appesantir sur ce que Jésus glorifié lui a dit? La foule en a déjà trop; elle frémit; elle va l'interrompre. Il se hâte donc d'arriver à ce qui peut encore produire quelque impression sur elle, à cet Ananias, «homme pieux selon la loi, et à qui les Juifs de Damas rendaient tous un bon témoignage,» et qui, pourtant, est devenu chrétien. Paul s'étendra donc davantage sur ce que lui a dit Ananias; et il pourrait, sans nulle invraisemblance, s'étendre bien plus encore, car on ne peut douter qu'Ananias n'eût eu beaucoup à lui dire.

Au troisième récit, nous sommes devant Festus, le gouverneur, et devant le roi Agrippa. Le gouverneur n'est pas hostile; le roi a demandé, de lui-même, à entendre Paul, et sa curiosité est presque de l'attrait. Rien n'empêche que le récit, cette fois, ne prenne la forme d'une prédication de l'Évangile. Paul pourra donc insister davantage sur les paroles que Jésus lui a adressées. Il le montrera lui conférant cette double mission d'apôtre auprès des Juifs et d'apôtre auprès des païens. Puis: «Je ne résistai donc point, ô roi, à la vision céleste.» Et il raconte comment Dieu lui a donné, depuis lors, courage et force.


II

Ainsi, des diversités mêmes ressort la profonde unité du sentiment dont les trois récits sont l'expression. Cette mission divine, Paul est pleinement convaincu qu'il l'a reçue, miraculeusement reçue. Cette conversion qui a fait de lui un nouvel homme, Paul a la certitude qu'elle a été miraculeusement opérée par celui dont il allait être l'apôtre. Et quand les Actes nous montreraient moins clairement, chez lui, cette conviction, cette certitude, — nous la verrions assez éclater dans ses épîtres.

En présence d'une conviction pareille, une seule voie restait ouverte à qui voudrait nier le miracle. — Paul a été, de bonne foi, le jouet d'une illusion. Il s'est cru l'objet d'un miracle, et ce miracle n'était que le concours de circonstances naturelles, activant et consommant une révolution déjà commencée en lui.

Le vieux rationalisme allemand ne s'était pas même donné la peine d'arranger avec un peu d'art les éléments de la scène ainsi conçue. Paul a été renversé par un orage. Si, comme c'est probable, il était à cheval, c'est son cheval qu'un éclair aura effrayé, et le cavalier, renversé, recevant peut-être à la tête un de ces chocs qui facilement troublent l'esprit, aura eu quelques moments de délire. Il a cru recevoir le coup de la mort. Aussitôt, selon l'idée juive, il a lié à cette pensée celle d'un châtiment. Châtiment de quoi? Évidemment de ce qu'il avait fait à Jérusalem, de ce qu'il voulait faire ailleurs, de ce voyage même, entrepris pour aller chercher des victimes. Bientôt l'idée prend un corps. Seulement, ce ne sont pas ses victimes qui se dressent, sanglantes, devant lui; c'est Jésus même qui lui apparaît et lui parle: «Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu?»

Le nouveau rationalisme ne dit, au fond, pas autre chose; mais il y met plus de façons. Les conclusions qu'il a en vue sont pourtant tout autrement radicales. Il ne s'agit plus seulement d'effacer un miracle, d'effacer les miracles, laissant d'ailleurs au christianisme le caractère d'une révélation, c'est-à-dire d'un fait surnaturel et divin. Ce qu'on veut aujourd'hui pouvoir nier, ce qu'on attaque dans tout miracle attaqué, conversion de saint Paul ou résurrection de Jésus-Christ, — c'est le surnaturel en général, l'idée même d'une révélation surnaturelle, de toute révélation, par conséquent, car c'est jouer sur le mot que de continuer à l'employer lorsqu'il n'a plus rien de l'ancien sens. Mais, plus hardie quant au but, l'attaque veut paraître, dans les moyens, plus modérée, plus philosophique, surtout. De là ces habiletés dont nous parlions; de là, pour en revenir à notre apôtre, les arrangements et les adoucissements introduits dans le roman de sa conversion, substitué au simple récit des Actes. Mais écartez ces détails pittoresques; écartez ces fines analyses où le passage des réalités aux fictions est presque impossible à saisir, — et vous avez, pour tout changement, au lieu d'une chute de cheval, un accès de fièvre, un coup de soleil.

Que le nouveau rationalisme ne se figure donc pas nous avoir mis dans la nécessité de chercher ici, contre lui, des arguments tout autres que contre ses devanciers. Quand il sourit de leurs interprétations, il n'est jamais bien loin de faire aussi le procès aux siennes.

Nous demanderons donc à propos du coup de soleil, comme nous l'aurions demandé à propos de l'orage et de la chute, si Paul, d'après l'ensemble de sa vie et de ses écrits, paraît avoir été homme à se tromper sur la nature et les effets d'accidents si vulgaires. Plus vous trouverez simple de ne voir là qu'un transport au cerveau, plus il sera invraisemblable, impossible, que Paul ne se soit pas fait l'objection, que d'autres, en grand nombre, ne la lui aient pas faite, et que, l'éveil une fois donné à sa raison, à sa conscience, il n'ait pas bien vite aperçu que tout rentrait dans un phénomène naturel. De quel droit supposerions-nous, chez un tel homme, un aveuglement, une folie dont nous nous sentons, nous, si absolument incapables?

Cette objection qui certainement lui vint, que tant d'ennemis, tant d'amis aussi, très probablement, ne manquèrent pas de lui faire, — l'épreuve et les périls allaient la lui faire aussi à leur manière. Les privations, les outrages, les coups, la mort perpétuellement devant les yeux, tout lui était, chaque jour, une invitation nouvelle à bien savoir pourquoi il persistait; et ce pourquoi le ramenait nécessairement toujours au chemin de Damas, à la lumière éblouissante, à la voix entendue, au terrible et touchant: «Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu!» S'il a été, ce jour-là, le jouet d'une illusion, tout, pour lui, s'écroule. Que d'autres soient devenus chrétiens sans le concours d'aucun miracle, — il le sait bien; mais, lui, puisqu'il a commencé par ne pas douter que sa conversion ne fût miraculeuse, le moindre doute à cet égard serait, chez lui, un ébranlement complet. Enchaîné à Jésus par la reconnaissance et par l'amour, si le premier anneau est brisé, adieu tout le reste. Mais loin de là. Plus il avance dans cette rude vie, plus le point de départ est, dans sa mémoire, certain, clair, fixe. Il sait, non seulement en qui il a cru, mais comment il a cru. À Jérusalem devant la foule, à Césarée devant Agrippa et Festus, au commencement, au milieu, à la fin de sa carrière, partout où il sera appelé à dire ce qu'il a été, ce qu'il est, partout il en reviendra à cette histoire, merveilleuse et divine origine de sa foi.

Et qu'on ne nous parle pas, ici, d'enthousiasme. Si enthousiasme veut dire suspension du bon sens, interrègne de la raison, jamais homme ne fut moins enthousiaste que lui. Dans ses plus chaleureuses pages, il a beau vous emporter haut et loin; on ne cesse pas de se sentir avec un homme qui raisonne, qui sait d'où il vient et où il va. Son style entrecoupé peut bien n'être pas toujours logique; mais sa pensée l'est toujours, et, plus on la serre de près, mieux on la voit comme un tissu de fils hardis, puissants, qui dénotent la fermeté et la sûreté de la main. Voilà l'homme qui aurait été trente ans le jouet d'une illusion, et d'une illusion consistant à se rappeler comme vrai un fait manifestement faux, comme surnaturel un fait manifestement naturel!


III

Dans ce fait surnaturel, nous l'avons déjà reconnu, des éléments naturels ont trouvé place; un certain travail intérieur avait évidemment préparé Paul à subir l'influence du miracle. Ce que nous nions, c'est que cette préparation ait pu créer, chez lui, le miracle même, la foi erronée à ce miracle. Si Paul, en revenant sur ses impressions antérieures, avait été conduit à constater qu'il était alors déjà prêt, tout prêt, à se convertir, — n'était-ce pas une raison de plus pour qu'il jugeât sainement sa conversion, la dépouillant de ce surnaturel manifestement inutile? Mais non. Sa conviction invariable, inébranlable, est qu'il a fallu un miracle pour que le persécuteur devînt chrétien. Donc, encore une fois, il n'a pas pu ne pas se rendre compte du degré de préparation auquel il était arrivé avant le voyage à Damas, et c'est à bon escient qu'il est resté convaincu du miracle.

Mais on insiste. Suffisante ou non, nous dit-on, la préparation existait. Le miracle renferme des éléments naturels; donc le tout est suspect.

C'est comme si l'on disait: «À nous de déterminer sous quelles formes interviendra la puissance divine, si elle veut que nous croyions à son intervention.» On la suppose toujours se préoccupant de nos objections, s'empressant d'aller au devant, comme le vulgaire opérateur qui jamais ne fait ses prodiges sans inviter préalablement les gens à constater qu'il n'y a pas d'entente, pas de fraude. Non, ce n'est pas ainsi qu'elle procède. Quand il lui convient d'agir seule, elle agit seule; quand il lui convient de prendre dans l'âme humaine, non pas des aides, car elle n'en a pas besoin, mais un certain concours d'impressions, d'idées, elle le prend. Étudiez, à ce point de vue, les miracles de Jésus-Christ. Jamais vous ne le verrez se préoccuper de les faire tels qu'on soit frappé uniquement du prodige opéré, uniquement de son pouvoir à lui; il tient, au contraire, toutes les fois que la chose est possible, à demander aux hommes ce concours d'intention qui ne sera pour rien dans le miracle, mais le leur rendra d'autant plus impressif et fructueux. Deux aveugles lui disent (Matth. IX): «Fils de David, aie pitié de nous! — Croyez-vous que je puisse vous guérir? leur dit Jésus. — Oui, répondent-ils. Alors il leur touche les yeux, disant: qu'il vous soit fait selon votre foi.» Et les deux aveugles sont guéris. En d'autres occasions, il ne fera point de question d'avance; mais, la guérison opérée, il constatera que ce qui vient d'être fait a été fait aussi selon la foi des gens qui étaient venus à lui. L'œuvre divine reste entière, et l'homme, le cœur de l'homme, y est cependant associé.

Paul donc, le cœur de Paul, a pu être associé, quoique autrement, à l'œuvre de sa conversion. Le Seigneur ne pouvait lui dire: «Il te sera fait selon ta foi,» ni, ensuite: «Il t'a été fait selon ta foi,» puisque sa foi était encore bien loin d'aller jusqu'au désir d'être chrétien; mais le Seigneur n'a ni pu ni voulu exclure les éléments de conversion que pouvait renfermer cette foi inquiète et travaillée Ce travail, d'ailleurs, cette inquiétude, pouvons-nous affirmer que ce ne fût pas déjà son œuvre, et, par conséquent, la première partie du miracle? Cette ligne que nous traçons si hardiment entre le champ de l'homme et le champ de Dieu, entre le naturel et le surnaturel, — sommes-nous sûrs que Dieu la trace juste au même endroit? Sommes-nous bien sûrs, seulement, qu'elle existe pour lui, et que le travail préliminaire opéré dans l'âme d'un saint Paul fût, en soi, moins miraculeux que l'événement qui allait consommer l'œuvre? Mais réduire le tout à ce travail préliminaire, considéré, dès lors, comme purement psychologique, et se figurer, cela dit, que l'explication est trouvée, c'est montrer que l'on ne s'est guère mis sérieusement en face du fait même de la conversion de Paul. Nous pouvons en appeler, là-dessus, à l'homme qui a le plus consciencieusement étudié, au point de vue critique et négatif, la vie de notre apôtre. Baur, avec les années, sans renoncer à l'explication dite naturelle, a laissé voir qu'il en était de moins en moins satisfait. 

Dans son dernier grand ouvrage, Le Christianisme et l'Église aux trois premiers siècles, dont une seconde édition retravaillée a paru peu avant sa mort, il déclare que la conversion de saint Paul lui est toujours demeurée un problème, et qu' «aucune analyse psychologique ni dialectique ne peut expliquer suffisamment le mystère de l'acte par lequel Dieu lui a révélé son Fils.» Nous n'en demandons pas davantage.



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