Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IV. La conquête s'étend

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Nous avons vu que Farel, à maintes reprises, a parcouru les «villages circonvoisins» et que d'autres avec lui ont peu à peu répandu partout le goût de la réforme. La révolution d'octobre et novembre 1530 à Neuchâtel stimula le courage des minorités évangéliques de la campagne. Il est vrai aussi que l'adhésion des environs à la foi nouvelle consolida le fragile triomphe du début et le rendit durable.

On ne saurait raconter ici, par le menu, l'histoire de cette conquête. Elle semble pourtant n'être faite que d'incidents et manquer de grandeur. Les intérêts temporels se mêlent étrangement aux préoccupations religieuses. II n'y a que tiraillements, procès, doléances, récriminations, correspondances aigres. On aurait tort; néanmoins, de ne voir que cela. Ce sont les symptômes d'une crise plus profonde. L'Esprit sourdement travaille, et le temps viendra où l'Évangile aura marqué de son sceau tout un peuple d'artisans et de paysans qui se laisse malaisément gagner, mais qui ne renie plus ce qu'il a un jour conquis.


A. Dans la Seigneurie de Valangin.

La Seigneurie de Valangin, vassale de Neuchâtel, englobait le Val-de-Ruz et les Montagnes, sauf la Chaux-des-Taillères (Brévine), La Chaux-du-Milieu et les Ponts-de-Martel.

Au XVe siècle, la piété devait y être assez négligée, si l'on en croit la relation que firent les délégués de l'évêque de Lausanne d'une visite aux Églises de la Seigneurie. Tous les sanctuaires étaient délabrés, misérables et malpropres. Mais lorsqu'en 1497, Claude d'Aarberg, succédant à son père, reprit le pouvoir, on le vit apporter le plus grand soin à la restauration des édifices religieux. II en fit même construire de nouveaux, comme l'Église collégiale de Valangin, «église bien belle et plaisante», dit un document du temps, richement dotée de prébendes; celle de Cernier — l'ancienne n'était plus utilisable — celle des Brenets, celle de la Sagne, celle de La Chaux-de-Fonds, enfin, une chapelle qui dominait Valangin, à l'endroit nommé «Sur Biolley».

Au moment de la Réforme, Claude était mort, laissant sa succession à René de Challant, son petit-fils. Celui-ci, issu d'une famille iIIustre du Val d'Aoste, jouait grand rôle à la cour de Savoie. Il était aussi fastueux qu'endetté. On le représente avec une barbe noire, un nez en bec d'aigle, l'air sombre, inquiétant et désabusé. Il exprime parfaitement la devise de ses armoiries, qu'on dirait tirée de l'Ecclésiaste: «Tout est monde, et le monde n'est rien.»

René de Challant, très hostile à la Réforme, était rarement à Valangin. Il avait chargé son maître d'hôtel, Claude de Bellegarde, de gouverner en son nom, en s'appuyant sur les conseils et la vigilance de sa grand-mère, GuiIIemette de Vergy, qui résidait en sa Seigneurie. «Le Rouge» — c'était le surnom qu'on donnait au gouverneur, à cause de la couleur de ses cheveux — était détesté des populations et haï des Neuchâtelois. Sa dureté fut pour quelque chose dans le succès de la Réforme au Val-de-Ruz.

Quant à la «pauvre ancienne dame», comme elle s'appelait elle-même elle était très attachée aux anciens usages, bienfaisante aux églises et aux prêtres, tenace, avisée, mais sans horizon, de sens pratique, économe, dévote, à la répartie prompte et juste, bonne pour ses amis, quelquefois même pour ses sujets, impitoyable à ses ennemis, sans miséricorde pour les fauteurs de désordre.

Le clergé devait être assez inculte et peu zélé. Il faut cependant excepter de ce jugement des hommes comme Philibert de Chollex: curé d'Engollon, qui était pronotaire apostolique, Étienne Dumont, curé de Fontaines, qui était maître ès arts, Étienne Besancenet, curé du Locle, dont la piété et la dignité ont imposé grand respect à tous ceux qui l'ont connu.

Le peuple paysan du Val-de-Ruz vivait misérablement. Un économe du comte écrivait en 1544: «Les temps sont si mauvais et il y a si peu de ressources que les sujets qui se sont affranchis veulent émigrer, ne pouvant payer leurs charges». Les «taillables» étaient, parmi les diverses conditions sociales, les plus à plaindre. Et lorsqu'on voit la Réforme s'implanter en premier lieu dans les deux viIIages où les taillables étaient en majorité, Dombresson et Cernier, on peut en inférer que la révolution religieuse a été favorisée par le mécontentement et la pauvreté d'un peuple serf.

Pourtant, ni les prédicants, ni la République de Berne n'utilisèrent cette aigreur paysanne. En 1529 quelques taillables ayant refusé de payer la taille furent condamnés durement par MM. de Berne, qui étaient intervenus comme arbitres. Et le servage ne disparut que grâce aux embarras financiers de René de Challant qui vendait chèrement et volontiers des lettres de franchise.

La Réforme est entrée au Val-de-Ruz, en même temps par Neuchâtel et par le Val de St-Imier. Dès 1528, elle était remontée la vallée de la Suze, et l'on avait imposé, l'année suivante, un prédicant à St-Imier. Quelques mois plus tard, MM. de Bienne vidèrent toutes les Églises de leurs autels et supprimèrent le Chapitre de St-Imier de qui, jusqu'alors dépendaient la paroisse de Dombresson et son annexe de Savagnier. En mai 1530, ils appelèrent Farel à Dombresson, à cause des sympathies qu'ils savaient exister pour la foi nouvelle chez les taillables mécontents. Puis, ils offrirent aux prosélytes de leur envoyer un prédicant à demeure. Ceux-ci répondirent:

«À votre bonne grâce, nous nous recommandons tant humblement que nous pouvons en vous remerciant de la peine que vous avez prise pour le salut de nos âmes... Nous vous remercions et aussi le bon Dieu qui vous en a inspiré. Car nous sommes convenus d'un (commun) accord d'ouïr l’Évangile et de le suivre, si tant est qu'il nous soit administré: et aussi, très rédoutés Seigneurs, ne l'ayez point à déplaisir de ce que... nous ne reportons pas nous-mêmes la réponse. Car nous doutons que notre Dame de Valangin n'en eusse ci-après souvenance (souvenir) sur ceux qui vous porteraient la réponse. Parquoi (c'est pourquoi) rescrivons, afin que singulière personne n'en soit chargée...


Chateau de Valangin

Château de Valangin 
(Photographie Boissonas, Genève)

Les paroissiens de Dombresson

Bienne se hâta d'installer un prédicant en la personne de Pierre Marmod, des Geneveys-sur-Coffrane, entré dans les Ordres en 1520, et depuis peu acquis à la Réforme. Le prêtre titulaire de Dombresson, Guillaume Gallon n'en continua pas moins de célébrer la messe et ce fut une période de contestations entre les deux desservants, entre MM. de Bienne qui réclamaient les dîmes perçues jadis par les chanoines de St-Imier, et Guillemette de Vergy qui interdisait qu'on les payât.

La dame de Valangin était fort émue des progrès de l'hérésie dans sa Seigneurie. En février 1531, elle envoya son gouverneur à Berne pour faire admettre son droit de maintenir parmi ses sujets l'obéissance aux anciens usages. Claude de Bellegarde, échoua dans sa mission et on lui faisait savoir, quelques semaines après, «qu'il ait à s'abstenir de toute rigueur envers les braves gens, qu'il ne réclame d'eux aucune amende pour avoir entendu la Parole de Dieu, qu'il restitue celles qu'il a exigées, et les laisse en repos».

Guillemette feignit de ne pas comprendre, et nous la comprenons un peu. En effet, le 18 février, Farel s'en allait à Dombresson, où MM. de Bienne étaient impatients de provoquer un «plus», en la compagnie d'Henry Bonvespre et d'Estienne l'Abalétrier, bourgeois de Neuchâtel, peut-être encore de quelques autres.

Comme ils arrivaient près du château de Valangin, ils entreprirent d'abattre à coups de pierre la croix qui surmontait la chapelle, où il avait été, le jour de l'Assomption, si fort maltraité. Puis, après cet exploit, Farel se mit à prêcher devant l'Église St.-Pierre, traitant les prêtres et les chanoines, avec sa véhémence coutumière, de «larrons et meurtriers».

On ne peut en vouloir à la «pauvre ancienne dame» d'avoir écrit alors à Berne une lettre de protestation contre ces violences, dont elle disait: «Ce ne sont point choses selon l'Évangile et les commandements de Dieu, disant que l'on ne doit faire à autrui ce que l'on ne voudrait être fait à soi-même, que l'on doit aimer son prochain comme soi-même... Je ne crois point que ce soit selon les vieux Évangiles: s'il y en a de nouveaux qui fassent cela faire, j'en suis ébahie...» Et comme elle prévoit que ses doléances ne serviront de rien: «Moi et mon pays sommes contraints, et je connais que c'est un monde nouveau, auquel signorie est forcée, justice rompue et loyauté perdue.»

Farel donc, ce 18 février, se rendit à Dombresson. Ses compagnons et lui pénétrèrent dans l'Église au moment où Guillaume Gallon disait sa messe. Farel de l'interrompre aussitôt:

«Pauvre homme, ne voulez-vous point cesser de ainsi blasphémer le nom de Jésus-Christ?

«Véritablement, je ne sais pas que je le fasse, car quand je le connaîtrais, je ne le ferais en aucune manière», répondit le curé.

«Donnez-moi votre livre, s'il vous plaît, et je vous montrerai comment vous renoncez pleinement la mort et la passion de notre Seigneur Jésus-Christ, lequel s'est offert pour nous une fois n'ayant plus besoin de s'offrir plusieurs fois, étant sacrificateur éternel, non pas semblable aux sacrifices lévitiques, et par icelle (cette) seule oblation sommes purgés de nos péchés.» (Voir Hébreux 7, 18, 27. Selon la doctrine romaine, chaque fois que prêtre célèbre le mystère de la messe, le sacrifice de Jésus-Christ se renouvelle, et par la transsubstantiation, le vin devient sang du Sauveur et l'hostie chair du Sauveur. — ... C’est aussi pour cela qu’il peut sauver parfaitement ceux qui s’approchent de Dieu par lui, étant toujours vivant pour intercéder en leur faveur. Il nous convenait, en effet, d’avoir un souverain sacrificateur comme lui, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs, et plus élevé que les cieux, qui n’a pas besoin, comme les souverains sacrificateurs, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux du peuple, — car ceci, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même.)

La discussion se poursuit, et Gallon vaincu enlève son étole et son surplis et déclare renoncer à la messe. Farel s'exhorte (l'exhorte) à ne se confier qu'en Dieu, et, «par la vertu et le vouloir du Seigneur, à cette heure, furent abattus et brûlés les idoles du dit Dombresson...»

Mais les catholiques s'étant plaints à Valangin, Claude rétablit l'ancien culte et ordonna au curé de le célébrer à nouveau. Le «pauvre homme», tiraillé, hésitant, bouleversé, céda encore.

Farel continua ses pérégrinations missionnaires en plusieurs endroits du Val-de-Ruz. C'est à ce moment peut-être, qu'il faut placer cet épisode rapporté par la tradition avec une telle constance qu'il pourrait bien être vrai. Le compagnon qu'il avait avec lui, se serait précipité sur un officiant, au moment de l'élévation, lui aurait arraché l'hostie disant au peuple agenouillé: «Ce n'est point ici, le Dieu qu'il vous faut adorer; Il est là-haut au ciel, en la majesté du Père, et non dans les mains du prêtre, comme vous le croyez: ce n'est pas ce dieu de pâte pas mais plutôt le Dieu vivant».

Farel était monté en chaire et avait prêché d'une voix tonnante, couvrant le tumulte, jusqu'à ce que, submergé par l'émeute, il ait dû s'échapper. «Dieu, dit la chronique, les délivra pour ce coup».

Il est par contre certain que Farel était à Engollon, le jeudi 23 février et qu'il y parla malgré l'opposition des fidèles. On comprend que cette méthode de l'action directe ait ulcéré le coeur de dame Guillemette, mais on n'est pas sûr que, si MM. de Berne ne lui avaient inspiré une salutaire crainte, elle n'ait ordonnées des persécutions pires et plus cruelles que les démonstrations véhémentes des «évangéliques». De sorte que, sans justifier les audaces de Farel, nous pouvons ne pas nous émouvoir trop des plaintes de Guillemette.

Berne, d'ailleurs, n'entendait pas qu'on compromît la cause de la Réforme par des scandales inutiles. Ils écrivirent aux Quatre-Ministraux «d'y mettre ordre et remède, que force, volonté, ni violence, au dit lieu ou autres, par vos gens ne seront faits».

Une autre fois encore, Guillemette proteste parce que Farel est monté dans la chaire de Valangin sans autorisation, et qu'il y a fait longue harangue. «Et bien que je sois venue là pour ouïr la messe et que je leur ai dit moi-même qu'ils laissassent dire et ouïr la messe, il n'en a pas moins parlé longtemps.»

Le 4 juin 1531, une bande de Neuchâtelois montèrent à Valangin.

Depuis quelque temps, Guillemette prévoyait et redoutait. Le «Rouge» avait fait acheter du plomb et de la poudre d'arquebuse, et «accoutrer (arranger) les épées». C'était le jour des «Bénissions».

«Les Luthériens, écrit Étienne Besancenet, curé du Locle et ancien prévôt du chapitre de Valangin, dans son journal, ruinèrent les autels du dit Valangin, dépecèrent les armes et sépulture de Monseigneur, que Dieu pardonne, déchirèrent les livres de l'Église, pillèrent les prêtres et firent de grandes vitupères à Madame. Dieu veuille que ce soit la fin».

C'est le son d'une cloche. Pour savoir exactement ce qui se passa, il faudrait entendre celui de l'autre.

Il semble qu'Antoine de Marcourt, pasteur de Neuchâtel, ait été de la partie et qu'il ait prêché, ce jour-là, sur la place du bourg, à moins qu'il ne faille reporter au 29 mars 1532 la mission du dit Marcourt.

La dame de Valangin tenta encore de provoquer une réaction en sa faveur. Mais les idées nouvelles s'infiltraient de toutes parts et on avait intérêt à ne pas contrarier leurs Excellences bernoises.

L'année 1532 vit arriver de nouveaux prédicants qui s'installèrent à demeure. Ainsi, Christophe Fabri, dit Libertet, à Engollon et Boudevilliers, auquel succéda bientôt Jean de Bétencourt. Dombresson et Savagnier étaient desservis par Marmod et Cugnier, de Villars. Il se pourrait que Jean de Bély, natif de Crest, compagnon de Farel, ait commencé dès ce temps-là son ministère à Cernier, de même que Pierre Simonier, que Claude de Bellegarde expulsa pour avoir passé outre à ses ordres en baptisant un enfant.

Le peuple était en majorité gagné, soit par conviction, soit par lassitude, soit par intérêt. Il faut dire aussi que le clergé romain, découragé d'officier dans des églises vides, réagissait faiblement et paraissait résigné à abandonner la partie.

Les gens de Coffrane restèrent plus longtemps que les autres attachés à l'ancienne foi. Le 4 avril 1532, Guillemette de Vergy écrivait à Georges de Rive: «Mes bonnes gens de la paroisse de Coffrane me sont venus prier et humblement supplier de leur faire dire messe à l'église du dit lieu, et les faire servir de messes et autres sacrements et cérémonies d'église, ainsi que anciennement ils étaient accoutumés». Or, Coffrane était annexe de l'Église de Corcelles.

Il n'est pas certain que le gouverneur ait pu donner satisfaction aux réclamations de ces fidèles tenants de la tradition.

Durant l'été de cette même année, Guillemette se rendit au Locle où se célébrait la fête de la Madeleine, et elle interdit à Marcourt, qui s'y trouvait aussi, de prendre la parole: Besancenet fit son prône en toute liberté et le prédicant dut se taire.

La réforme était à peine apparue dans les Montagnes. D'abord, parce que, possédant plus de franchises que les sujets du Val-de-Ruz, ils n'avaient pas, au même degré, le stimulant de la misère.

Le Maire du Locle, d'autre part, Guillaume Brandt, était un très fanatique ennemi des idées nouvelles. Il est vrai que quelques évangéliques du Locle avaient écrit à Berne, le 13 septembre 1530, pour se plaindre de l'impossibilité où ils étaient d'ouïr la Parole de Dieu.

Interrogée par MM. de Berne, Guillemette répond «qu'elle ignore le goût des gens du Locle pour la réforme: Elle avoue pourtant, dans la même lettre, avoir interdit les assemblées non autorisées par elle, et leur avoir enjoint de vivre comme leurs prédécesseurs qui s'en sont bien trouvés».

La tentative de Marcourt, en 1532, eut donc peu de résultats et les «évangéliques» du Locle vécurent un certain temps encore dans l'isolement et sous la férule de messire Guillaume Brandt.

D'ailleurs, l'année qui suivit marque une contre-offensive catholique dans la Seigneurie de Valangin. La messe est rétablie à Savagnier; Guillaume Gallon est revenu au papisme et intente un procès, devant les juges de Valangin, au prédicant Marmod. Ce dernier réclame

l'appui de Bienne, qui prend auprès de Guillemette, la défense de son serviteur. La dame refuse de leur donner satisfaction. Alors Berne intervient et destitue le curé Gallon.

Le 4 juin, Antoine de Vergy, archevêque de Besançon et frère de Guillemette, accordait une indulgence de quarante jours aux fidèles qui iraient faire leurs dévotions en l'Église St.-Pierre.

Les partis se tranchent; les convaincus se dressent les uns contre les autres; les incidents se multiplient; un prêtre est assailli en chemin et malmené; des bandes de Neuchâtelois font des incursions iconoclastes, et Berne est obligé d'y mettre ordre.

D'autre part, un prédicant, du nom d'André Pignol, est emprisonné à Valangin. Les coutumes catholiques renaissent dans les villages.

Les prêtres baptisent clandestinement et donnent les Sacrements. L'abbé de Morimont, pour rendre plus illustre la Collégiale de Valangin fait don à Guillemette de Vergy de quelques ossements, reliques des onze mille vierges, dont Calvin disait, dans son «Traité des reliques»: «outre cent charretées d'ossements qui sont à Cologne, il n'y a à grand peine ville en toute l'Europe qui n'en soit remparée, (Protégée comme d'un rempart.) ou en une église ou en plusieurs.»

Il faut attendre l'année 1536 pour voir la Réforme s'établir définitivement. Sous l'impérieuse pression de Berne, rendue plus forte par la conquête du pays de Vaud, la Seigneurie de Valangin dut se résoudre à organiser l'église nouvelle. Coffrane, les Geneveys et Montmollin dépendaient de la paroisse de Corcelles. Boudevilliers, Malvilliers et la Jonchère étaient desservis par Neuchâtel.

Quant aux Montagnes, elles eurent aussi leur heure.

En juin 1536, trois «amateurs de l'Évangile», Pierre Maillard, Jehan Robert et Courthenin Perret, soutenus par Étienne Jacot-Descombes, vicaire du curé Besancenet, dénonçaient à Berne la malveillance de Guillaume Brandt. «Nous avons grande, crainte de cestuy (de cet) homme pour le temps advenir, car il est homme fin et plein de cautelles (ruses) pour reprendre les pauvres gens, et les persécuter comme il a fait par cy-devant contre la parole de Dieu.»

Guillemette resta sourde aux injonctions de Berne, qui envoya finalement au Locle J. J. de Watteville, Seigneur de Colombier. Brandt fut arrêté et conduit à Berne. Ce fut le signal de la conquête. La Réforme se répandit subitement. Besancenet renonça à sa charge et se retira en «la grande ville de Morteau», où il mourut au printemps de l'an 1539.

Étienne Jacot Descombes fut le premier pasteur du Locle, de 1536 à 1550. Guillaume Matile, desservant de la Sagne, neveu de Besancenet se retira au couvent des Franciscains de Soleure et fut remplacé par le prédicant Maître Simon, auquel succéda Pierre Besson. Les pasteurs de la Sagne et du Locle prêchaient alternativement à La Chaux-de-Fonds qui eut plus tard un titulaire en la personne de Pierre Legrand.

Quant aux Brenets, on y plaça dès 1536 un certain Nicolas Parent qui fut en relations fréquentes avec Calvin. (Ce ministère de Parent aux Brenets n'est pas absolument prouvé.)

Il est juste de mettre en relief la figure très digne du curé du Locle. Étienne Besancenet avait dû céder sa place de prévôt du Chapitre de Valangin à un intrigant de fâcheuse mémoire, Claude Collier, et s'était retiré dans les Montagnes où il exerça un ministère de fidélité et de paix. En l'année 1519, il avait fait un pèlerinage en Terre Sainte, dont il revint avec le titre de Chevalier du Saint-Sépulcre. C'est lui qui fit bâtir la tour de l'Église du Locle et qui y fit suspendre la grande cloche. Il a laissé un «mémoire de ce qui s'est passé au Locle», dont l'original n'a jamais été retrouvé.


B. Dans le Comté de Neuchâtel

On a cru longtemps, sur la foi d'une tradition, que la Réforme était entrée dans le pays de Neuchâtel par Serrières, dont le curé aurait accueilli Farel avec sympathie, envers et contre les ordres de ses supérieurs. L'étude de la correspondance des réformateurs a réduit à néant cette croyance et enlevé à Emer Beynon la gloire d'avoir été un précurseur.


Vieux Moutier Le Locle

Le vieux Moutier du Locle

(Photogaphie Robert)


Il semble, au contraire, que lorsque Farel prêcha pour la première fois à Serrières, il rencontra l'hostilité du prêtre qui l'injuria, souleva contre lui ses ouailles et s'évertua à le faire taire. La paroisse dépendait du Chapitre de St.-Imier auquel MM. de Bienne se substituèrent, après la dispersion des chanoines. Les nouveaux maîtres firent pour Serrières ce que Berne avait fait pour Neuchâtel. Ils y favorisèrent de toute leur autorité la prédication évangélique. Emer Beynon était un homme de très médiocre culture, de plus médiocre valeur spirituelle encore. Comme il avait tenté d'entraver la Réforme à St.-Imier, en interpellant au milieu de son prêche le prédicant Jehan Du Pasquier, ses maîtres et seigneurs lui firent de telles menaces qu'il jugea prudent d'adhérer aux usages nouveaux et qu'il renonça à dire la messe. Ce dont ses paroissiens qui, au dire de Jean-Pierre Rollet, maire de Peseux, «étaient bons chrétiens et avaient pris la droite

bonne loi chrétienne», lui gardèrent terrible rancune. Ils se refusèrent à payer à Bienne les dîmes qu'ils avaient dues jusqu'alors aux chanoines, et traitèrent fort peu courtoisement leur ancien curé. Celui-ci chercha protection. Farel et les «évangéliques» le soutinrent, mais sa situation était précaire et douloureuse de sorte qu'il s'en alla du pays et prêcha la Réforme près d'Annemasse. Plus tard, en 1537, il revint à Serrières.

Ici, comme ailleurs, la Réforme progressa d'incident en incident.

Au début de 1531, un certain Germain Martin, de Peseux, adepte de la foi évangélique, avait dit devant quelques témoins: «Nous avons vécu par ci-devant comme Juifs». Jean Fornachon, très attaché à la tradition, ayant été blessé par ce propos, lui fit un procès, Ce fut l'occasion pour Antoine Marcourt, de rédiger pour sa défense un plaidoyer où il exposait toutes les bonnes raisons de la Réforme; Martin fut acquitté par ses juges et la foi nouvelle fit un pas de plus.

À Corcelles, la situation du catholicisme était forte. Le prieuré bénédictin, fondé en 1092, était comme une redoute bien armée.

L'Église St.-Pierre et St.-Paul, desservie par le prieur Rodolphe de Benoit, dépendait de Romainmôtier; et étendait son influence jusqu'à la chapelle filiale de Coffrane; Le prieur combattit âprement la Réforme, mais la raison du plus fort était, en ce temps-là déjà, la meilleure. Farel fit nommer en cette paroisse un prédicant du nom de Jacques Le Coq, qui y enseigna l'Évangile avec succès de 1532 à 1536.

La lutte religieuse se compliqua, comme en d'autres lieux, de chicanes temporelles. Le Seigneur de Colombier prétendait avoir droit aux revenus du prieuré; un compromis établi par le Gouverneur de Neuchâtel en 1536 régla le différend.

Ce Seigneur de Colombier, Jean-Jacques de Watteville était, on l'a vu plus haut, agent de MM. de Berne, et par conséquent, de la Réforme. Il décréta, sans se soucier de l'avis de ses sujets, que son fief serait réformé, et contraignit le prêtre à s'enfuir. Il fit appel à un ancien curé du diocèse de Lausanne, Jehan Fatton, homme plein de piété, de droiture et de douceur évangélique, qui entreprit de faire l'éducation des âmes, et de transformer en réalité ce qui n'était encore qu'une fiction politique.

Mais les paroissiens d'Auvernier se montrèrent, pendant un temps, assez récalcitrants et refusèrent de donner les prémices que leur Seigneur exigeait d'eux. Condamnés à une forte amende, ils durent se soumetttre bon gré, mal gré.

Les conflits de l'ordre temporel, qui compliquent l'histoire de la réformation dans notre pays et qui déçoivent ceux qui s'attendaient à des événements de plus haute portée, ont pour cause l'enchevêtrement extrême des conditions politiques. Ainsi le prieuré de Bevaix, fondé en 998, appartenait à la fois aux Seigneurs de Neuchâtel, de Vaumarcus et de Colombier. L'esprit nouveau s'infiltra dans la paroisse de Bevaix à la faveur des difficultés que provoquait la perception des revenus dont François d'Orléans avait chargé Henri Vouga, Châtelain de Boudry et que le prieur Jean de Livron avait confiée au curé. Farel y était venu prêcher. Il avait été attaqué par les moines, chassé du village et battu. Berne y avait mis bon ordre.

La minorité évangélique ayant réclamé un prédicant, on installa un Français, Fortunat Andronicus, qui fut bientôt remplacé par un cousin du curé, Jehan Droz. Quant aux réformés de Boudry, ils furent remis aux soins d'un certain Thomas de la Planche, dit Barbarin, Dauphinois comme Farel, natif de Crest, qui avait dû s'enfuir de Paris après l'affaire des Placards, et que le Parlement fit citer à comparaître sous peine d'être condamné au feu par contumace. Il a laissé le souvenir d'un homme pieux et cultivé, dévoué corps et âme à la cause sainte.

Les «Comptes de la Bourserie» de Neuchâtel enregistrent les dépenses faites en 1531 par les bourgeois qui ont reçu l'ordre d'accompagner un prédicant à Cortaillod. On sait qu'en 1533 Antoine Froment exerçait le ministère dans ce village. L'un des premiers pasteurs, Hugues Gravier, fut brûlé vif à Bourg-en-Bresse, en janvier 1552, souillé d'ordures et lapidé par une populace fanatisée.

Au début du XVIe siècle, la ville de Boudry, siège d'une châtellenie et d'une Cour de Justice, formait avec les villages de Bôle, Rochefort, Les Grattes et Brot, la paroisse de Pontareuse, dont l'église se trouvait à l'endroit où l'antique route romaine, la Via d'Etra, passait sur la Reuse. Cortaillod, jusqu'en 1524, y était aussi englobée, et n'en fut jamais tout à fait séparée.

Or, il y avait des dissensions menues et constantes entre les éléments si divers qui constituaient cette immense paroisse, Les cures de Baix et de Pontareuse se refusaient à desservir encore la chapelle St.-Nicolas de Cortaillod. D'autre part, les prédicants s'y étaient maintes fois fait entendre; de sorte que des minorités impatientes s'étaient formées un peu partout.

Neuchâtel envoya Froment dans cette région. Après avoir séjourné à Cortaillod, Froment s'établit à Bôle, et se heurta à l'énergie et à l'hostilité du curé de Pontareuse, Claude Gauthier. Celui-ci entendait empêcher par tous les moyens la Réforme de progresser parmi les membres de son troupeau, de sorte que les chroniques parlent de violences et de persécutions dirigées contre ceux qui osèrent sympathiser avec les prédicants.

Ce prêtre, pourtant, ne niait pas, que l'Église eût besoin d'être purifiée, mais, affirmait-il, «Jésus-Christ dit que s'il portait témoignage de soi-même son témoignage ne serait véritable. Mais ils viendront des étrangers, l'un de Paris, l'autre de Lyon, l'autre de je ne sais d'où et Ils se feront, appeler Maîtres, l'un Maître Antoine, l'autre Maître Guillaume, Froment, orge, avoine, contre ce que Jésus-Christ dit» (Matt. 23, 8 — Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi; car un seul est votre Maître, et vous êtes tous frères. V. Segond).

La résistance de Gauthier n'empêcha pas que la prédication évangélique, sous la pression de Berne et de Neuchâtel, fût établie à Pontareuse, dans l'Église même, à la condition que le prêche s'achevât avant l'heure de la messe. Cette cohabitation de frères ennemis devait être la cause de troubles et d'échauffourées.

En novembre 1533 les catholiques entrent au milieu du sermon et l'interrompent. L’auditoire se lève, la bataille s'engage et les envahisseurs sont repoussés. Il y eut des coups et des blessures, heureusement pas de mort.

Pendant un temps, la messe se célébra à Boudry. Les chicanes continuèrent. En sept mois, il n'y eut pas moins de cinquante réclamations «d'évangéliques» molestés.

Le jour de Noël fut l'occasion d'une scène épique, dont le récit détaillé nous a été conservé. Les Réformés des Grattes et de Bôle, envoyèrent aux Quatre-Ministraux, une plainte en bonne et due forme. Les archives de Neuchâtel possèdent le procès-verbal de l'audience, et celles de l'État, la déposition, d'Antoine Froment, contre le curé de Pontareuse.

Gauthier, ayant célébré deux messes consécutives, s'attarda encore pour vexer les «luthériens» qui attendaient dehors.

Lorsque ceux-ci entrèrent dans l'Église, il y eut bousculade. Le prêtre arrache à Pierre Pettavel, le calice qu'il avait pris pour la Sainte-Cène. Froment s'écrie: «Allons, hors d'ici, et je vous dirai la parole de Dieu, là où vous voudrez.» On échanges des horions (Coup rudement asséné, coup violent) et des coups.

«Chiens, chiens; crient les gens, de Boudry, à la Reuse!» Les témoins ont vu Gauthier brandir un épieu, un autre son épée, quelques-uns, des fléaux à battre le blé. La bataille n'eut pas d'ailleurs de trop sanglantes conséquences et les «évangéliques» se retirèrent à Trois-Rods.

Mais ce fut l'occasion d'un long procès où Froment put exposer et combattre les erreurs de la «papisterie».

La Réforme se propagea insensiblement et sûrement dans le peuple très conservateur du Vignoble, et, dès le moment où en 1537 Henri Vouga châtelain de Boudry, se mettra à la favoriser, on peut dire qu'elle triomphe sur toute la ligne.

À la Béroche, la révolution fut faite par le Seigneur de Vaumarcus, Claude de Neuchâtel, qui avait souveraineté sur elle. En juin 1531, il écrit à Berne, qu'il a aboli la messe à St.-Aubin.

«Puisque c'est moi qui suis leur Seigneur, je n'ai pas à tenir compte de l'opposition de la majorité. J'ai pris la ferme résolution de me soumettre à l'avenir à la Parole de Dieu, et de sacrifier pour elle ma vie et mes biens.»

Deux Cordeliers étaient venus, peu de temps auparavant, prêcher contre l'hérésie, avec une grande violence. Les réformés neuchâtelois s'étaient plaints à Berne; le curé de St.-Aubin, âgé et faible, ne se sentait pas la force de lutter, et Claude crut opportun de plaire à ses puissants protecteurs. Il fit appel à Claude Clerc, qui fut le premier pasteur des Bérochaux, contraints à la Réforme.

Deux ans plus tard, Claude ayant intérêt à flatter Fribourg, remit la messe en honneur.

Ce ne fut pas pour longtemps. MM. de Berne, sollicités par les gens de Saint-Aubin, lui parlèrent un langage qui le fit «retourner», comme ils disaient, «sur le chemin de la vérité».


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Au XVIe siècle, le Val-de-Travers comprenait la Seigneurie de Travers-Noiraigue, dépendant des Seigneurs de Vaumarcus, et la Châtellenie de Vauxtravers, dépendant de ceux de Neuchâtel. Ses habitants se répartissaient en trois paroisses: Môtiers, avec un prieuré de Bénédictins où Georges de Rive offrit asile, en 1530, aux chanoines de Neuchâtel. C'était la paroisse-mère, avec l'Église St.-Pierre, et elle englobait Couvet, Noiraigue, Fleurier et Boveresse, St.-Sulpice et Buttes, et Les Verrières.

Les chanoines qui, dans la pensée du gouverneur devaient maintenir, dans cette vallée retirée, l'intégrité de la foi traditionnelle et des anciens usages, déçurent les espoirs qu'on fondait sur eux. Leur âpreté au gain, leurs réclamations et leurs exigences leur aliénèrent l'estime de la population. Celle-ci, d'autre part, était fort travaillée par la propagande des bourgeois de Neuchâtel.

Dès 1532, les aventures commencent. Louis d'Orléans se plaint de ce que son oncle, le prévôt Olivier de Hochberg, a été outragé. Le banderet Antoine Dubied est révoqué de sa charge pour avoir fait venir des prédicants et pour avoir incité le peuple à tomber «en la loi luthérienne».

A. Couvet, Jacquet Petitpierre, frère du curé de St.-Sulpice, discutant avec son cousin Grandpierre, partisan de la Réforme, s'écria: «Il vous siérait bien de vivre comme vos prédécesseurs, lesquels ont vécu comme gens de bien». Réplique de l'interpellé. Petitpierre s'échauffe et maudit les prédicants qui prêchent «la parole du diable

Il n’en fallait pas plus pour allumer l'incendie. Les Quatre-Ministraux le citent en justice.

Des haines locales, attisées par les bavardages et par les calomnies, mêlées aux affaires d'argent et aux rancunes personnelles rendent peu glorieuse l'histoire de ces années de transition. Pourtant les idées font leur chemin, les passions s'usent et l'inévitable révolution s'opère.

Les chanoines se dispersèrent les uns après les autres; plusieurs curés passèrent à la réforme tandis que d'autres s'en allèrent. Et les prédicants purent lentement grouper autour de leurs chaires les fidèles hésitants ou désemparés.

Guérin Muette, un Méridional, remplaça à Môtiers le curé Barrelet. Il eut pour successeur Gaspard Carmel, Dauphinois élève de Calvin qui épousa Catherine Farel, nièce du réformateur.

À Buttes, le curé Thomas Petitpierre devint le pasteur de sa paroisse. On raconte que, si les hommes le soutenaient les paroissiennes, par contre, s'en allaient aux Verrières pour y faire leurs dévotions. Il fallut du temps pour que maris et femmes soient unis dans la même foi.

Aux Verrières enfin la messe fut supprimée en 1534, et Neuchâtel y mit un pasteur, Michel Doubté qui avait exercé le ministère aux Ormonts-dessus et avait failli succomber dans une émeute aux environs de Lutry. Une tradition rapporte qu'une famille étant restée obstinément fidèle à l'ancienne foi, on lui concéda, dans l'Église désormais protestante, une chapelle où elle put faire dire ses messes. Si elle reste douteuse, il n'en reste pas moins que Georges de Rive enjoignait au maire des Verrières, le 1er août 1534, de faire en sorte «que nul n'est à faire, ni à donner aucun empêchement à ceux qui oyent (entendent) la messe et autres services en l'Église, ni semblablement à ceux qu'il plaira d'ouir la prédication.»

Il semble donc que les paroissiens des Verrières pratiquèrent, dès l'origine, une certaine tolérance mutuelle en célébrant dans le même lieu les deux cultes ennemis.


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La propagation de la Réforme s'est faite d'abord par le prosélytisme ardent des laïcs, ensuite seulement par les missions des prédicants. Les Neuchâtelois qui étaient montés à la Collégiale, le 23 octobre 1530, entreprirent de fréquentes expéditions de conquête et usèrent de la force autant et plus que de la persuasion. C'est ainsi que nous les avons vu saccager l'Église de Valangin. L'an 1532, en représailles de la condamnation, ils marchent sur Morteau et font une rafle de bétail.

Au mois de mai 1531, «les luthériens de Neuchâtel ont ruiné les autels de l’Église de St.-Blaise et de Fontaine-André», écrit Étienne Besancenet. Et il ajoute: «Dieu y mette fin!»

L'Église de Saint-Blaise relevait du Chapitre de Neuchâtel et avait pour curé titulaire Jean de Cueve ou Coctenas, chanoine de Porrentruy et de Neuchâtel. Il ne résidait pas en sa paroisse qu'il faisait desservie par Messire Jacques Prince de Cormondrèche.

Farel y avait prêché, et Prince l'ayant insulté soutenu par son oncle, lieutenant dudit lieu, une émeute avait éclaté d'où le réformateur sortit à grand peine, ayant couru de grands risques. Le prêtre

et le magistrat furent emprisonnés, et les bourgeois de Neuchâtel, pour venger le prédicant, mirent au pillage l'Église de Jacques Prince et l'abbaye proche de Fontaine-André.

La Réforme, tôt après, gagna du terrain, et François Martoret de Rivier, homme de culture et de piété, devint le premier pasteur de St.-Blaise.

Georges de Rive, qui connaissait l'impétuosité de ses sujets, avait caché au château de Neuchâtel, des reliques, ornements et vêtements précieux de l'abbaye, dont les richesses étaient considérables, si l'on en croit l'inventaire dressé en 1536 par l'abbé, Messire Louis Colomb. Ce fut autant que les bourgeois iconoclastes ne purent mettre en pièces.

L'Église St.-Pierre, de Thielle, était desservie par le curé de St.-Blaise, Jacques Prince, qui semble avoir été assez négligent dans ses fonctions et auquel on substitua pour ce service, Antoine Thomassin, prédicant de Cornaux, Wavre et Epagnier.

Deux paroisses seulement, dans tout le conté de Neuchâtel, furent réfractaires à toute tentative de réforme, envers et contre toutes les pressions, menaces ou amorces de Neuchâtel et de Berne. Ce sont: Le Landeron et Cressier.

Rien pourtant ne fut épargné pour les conquérir. En août 1531 déjà, une troupe de Neuchâtelois projetait de s'y rendre, «d'y user de force et rompre les autels et idoles». Berne s'y opposa. À part quelques exceptions, telles que cet Antoine Jacottet, de Cressier, qui avait labouré le jour du Vendredi-Saint et qui, plus tard, versa dans l'anabaptisme, ou que ce Marc Rosselet du Landeron, la population resta fermement attachée à l'ancienne foi.

Cependant, le prédicant Pignol y prêcha; le Châtelain de l'Île St.-Jean, les chefs du parti réformé de Soleure, firent de leur mieux. Les bourgeois du Landeron gardaient leur Église en armes.

Lors même que MM. de Berne, en 1537, les pressaient, comme ils savaient le faire, «de prendre l'Évangile de Jésus et de délaisser les traditions humaines», que les Neuchâtelois leur imposaient un châtelain ardemment réformé, Jean Hardy, lequel fit venir aussitôt un prédicant, ils restèrent inébranlables.

En 1541, la majorité des habitants du Landeron et de Cressier, tenaient encore à la messe. Malgré l'éloquence très claire des chiffres, leurs Excellences ne s'avouèrent pas vaincues et tentèrent encore, et à maintes reprises, d'arriver à leurs fins. L'année suivante, nouvelle votation et nouvelle défaite de la Réforme. Berne écrit à Georges de Rive: «Puisque au Seigneur n'a plu de tirer les dits du Landeron, pour cette foi à son obéissance, il ne nous convient pas pour cela cesser». Il y avait bien une minorité «d'évangéliques» à Cressier, mais qui s'augmenta si peu, que, lorsqu'en 1546, Georges de Rive s'y rendit avec le prédicant Thomas Barbarin, ils y furent fort mal accueillis.

Cette résistance indomptable s'explique par l'appui que MM de Soleure, en parfaite conformité de vues avec Jeanne de Hochberg, donnèrent au Landeron que dépendait d'eux. Ils firent échec à toute entreprise de Berne, et surent galvaniser l'opposition de leurs fidèles combourgeois. On voit ici, comme ailleurs, le rôle considérable des influences politiques dans le triomphe ou la défaite de la Réforme.

LIgnères, qui dépendait de la paroisse du Landeron, devait trois obéissances: au Seigneur de Neuchâtel, à l'Évêque de Bâle et à MM. de Berne. Mais il fallait tenir compte encore de la volonté conservatrice du Landeron. L'Évangile mit beaucoup de temps à s'y répandre. En 1543 encore, malgré la venue de prédicants protégés par le châtelain de la Neuveville, la majorité était en faveur de la tradition. La messe n'y fut abolie qu'en 1553.

Voilà comment, à travers de multiples vicissitudes, en dépit de la faiblesse des hommes, et par la grâce de Dieu, la vérité évangélique a lentement conquis, et presque entièrement notre pays neuchâtelois.

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