Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

SOUVENIR DE LA TOUR DE CONSTANCE

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Ce qui m'attire au pied de tes murs séculaires,

Aigues-Mortes, vieux bourg perdu dans les étangs,

Ce ne sont pas tes tours aux mille meurtrières

Qui dressent vers le ciel leurs créneaux menaçants;

Ce n’est pas de Louis l'ombre héroïque et sainte,

Planant sur les marais, qui durent tressaillir

Aux cris des chevaliers, sans reproche et sans crainte,

Partant pour conquérir un sépulcre ou mourir;

Ce n’est pas l’édifice, où deux puissants monarques,

Tous deux ambitieux des terres du voisin,

Un jour réconciliés, se donnèrent les marques

D'un accord qu'ils devaient trahir le lendemain.


Non, non; ce qui m'attire au pied de tes murailles,

Ce que mon œil, de loin, cherche vers l'horizon,

Ce qui me fait frémir jusque dans les entrailles,

C'est une masse informe, une antique prison;

C'est cette vieille tour où gémirent captives,

Sous les verrous de rois qui s'appelaient chrétiens,

Des femmes au grand cœur, créatures chétives,

Mais d'une âme de fer qui bravait les liens;

C'est ce sombre cachot, où vivaient entassées,

Ces servantes du Christ, martyres de leur foi;

D'où montait nuit et jour, de leurs âmes brisées,

Un déchirant sanglot vers le souverain Roi;

Ce sont ces murs, percés d'étroites ouvertures,

Par où les vents fiévreux pénétraient librement,

Tandis que grelottaient, sous ces brises impures,

La femme délicate et le petit enfant;

Ce sont ces noms, gravés sur la pierre fidèle,

Qui les répète encor: Soleyrol ou Durand,

Et ce mot: Résistez! de mémoire immortelle,

Des défis de la toile plus beau, le plus grand!


Oh! lorsque je franchis le seuil de cette enceinte,

Lorsqu'en esprit je vois ces scènes de douleur,

Alors je crois entendre une lugubre plainte:

De toutes parts des voix criant vers le Seigneur!

Ce ne sont pas des cris de haine et de vengeance,

C'est la voix d'une femme appelant son époux,

C'est la voix d'une mère, hélas! dans la démence,

Appelant son enfant de ses noms les plus doux.

Et puis c'est un concert de prières ardentes

Pour l’Église qui souffre et qu’on traque en tous lieux,

Pour les persécutés, victimes innocentes,

Pour les persécuteurs, leurs bourreaux odieux:


Alors je me découvre et cette ombre s’éclaire;

Les murs de ce cachot n’oppressent plus mon cœur,

Est-ce bien un cachot?Non, c’est un sanctuaire

Ou je vois rayonner la gloire du Seigneur.

Vis donc, vieux monument d’une haine cruelle,

Vis pour redire à tous qu’aux yeux du Tout-Puissant

Il n’est qu’une grandeur souveraine, éternelle,

Et que, s’il a la foi, le plus chétif est grand!

E. FARJAT.

Société de l’histoire du protestantisme français tome XXV - 1876


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