Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VIII.

Des excuses de l'avarice pour justifier son manque de libéralité.

Le Seigneur, dans la description qu'il nous trace du jugement dernier, représente les hommes comme saisis d'étonnement à la vue de leur propre égoïsme. N'ayant jamais réfléchi sur leur conduite à l'égard de leurs intérêts spirituels et des résultats qui doivent en découler, ils ne sauraient admettre que l'accusation établie par le Juge puisse le moins du monde leur être adressée; ils cherchent, par conséquent, à présenter les excuses qui peuvent, à ce qu'ils espèrent, changer, en leur faveur, l'arrêt suprême.

Ainsi, la première impression d'une personne qui jette un regard sur les dangers et les maux, effets de l'avarice, lui inspirera des paroles à peu près semblables à celles-ci: «Si l'on a quelque droit de me soupçonner d'avarice, le degré dans lequel cette passion agit sur mon âme n'a certainement aucun rapport avec les maux affreux et les conséquences terribles qu'on vient de me faire remarquer. J'ai souvent répondu aux appels de la bienfaisance, je donne comme chacun le fait: je crois que je suis aussi utile à la société en épargnant qu'en donnant, et peut-être le suis-je davantage; je donne autant qu'il m'est raisonnablement possible de le faire, et si j'étais plus riche, je donnerais volontiers davantage; j'ai, d'ailleurs, l'intention de faire des legs charitables en prenant mes derniers arrangements; quelles que soient la force et la justesse des arguments que l'on me présente, ils ne peuvent se rapporter à moi que dans un sens très limité.»

Il est nécessaire de répondre une à une à ces excuses qui, sans doute, paraîtront à plusieurs assez présentables.

Vous savez donner, dites-vous, quelque argent pour contribuer aux entreprises chrétiennes et philanthropiques; mais ne peut-on vous demander quand vous avez donné? N'est-ce que lorsque votre sensibilité a été saisie par surprise, ou quand un sérieux appel vous a montré votre devoir? ou bien, lorsque l'exemple d'autrui ne vous a laissé aucune alternative? Est-ce peut-être dans le secret espoir d'être cité publiquement, comme un donateur généreux, que votre bourse s'est ouverte, ou serait-ce l'excès de l'importunité qui produit ce résultat? ou bien encore étiez-vous dans un simple accès de générosité?

Nous ne songeons pas à analyser la composition d'aucune vertu apparente et ne vous conseillons nullement de suspendre l'exercice de votre charité jusqu'à ce que vous soyez parfaitement certain du genre des motifs qui vous l'inspirent, maïs nous voulons vous rappeler, dans un esprit d'affection chrétienne, que si vous n'avez donne pour la cause de Dieu que dans de pareilles circonstances, vos dons mêmes servent à prouver que vous êtes avares, dans tout autre moment. Votre avarice est un état habituel; votre bienfaisance un acte tout à fait accidentel; ce n'est que la suspension de votre disposition habituelle; tout comme des éclairs de raison ne prouvent nullement qu'un homme aliéné est rentré dans son bon sens, vos charités occasionnelles vous laissent encore parmi les avares.

Mais puisque vous dites, comme un argument en votre faveur, que vous avez donné, nous vous demanderons: qu'avez-vous donné? Il ne suffit de consacrer à Dieu, lorsqu'on se présente à la société comme chrétien, pour mériter le titre d'homme bienfaisant et charitable, car, s'il en était ainsi, Ananias aurait droit à ce titre et cependant, c'est sa convoitise qui l'a entraîné à commettre l'acte de fausseté qui amena sa perdition. Il a retenu plus qu'il n'a donné.

 Si les hommes devaient être classés par les traits qui les caractérisent aux regards de Dieu, combien d'entre eux, appelés généreux, parce qu'ils donnent, seraient stigmatisés comme avares, à cause de ce qu'ils retiennent! Que peut-on dire avec le plus de raison de vous sur ces deux points-ci. Avez-vous réellement donné ou avez-vous retenu? Ne vous est-il pas désagréable d'entendre dire que quelque chétive que soit votre offrande, c'est à la lettre tout ce que vous pouvez donner? Beaucoup de gens prétendent, comme la veuve, offrir leur pite, expression par laquelle ils semblent dire qu'ils ont donné tout ce dont ils peuvent disposer, et par là, imiter jusques à un certain point cet immortel exemple; tandis qu'on peut établir entre eux et cette femme, louée par le Seigneur, une différence immense; elle ne plaça qu'une bagatelle dans le tronc des pauvres, parce que c'était tout ce qu'elle avait, et ceux qui parlent de leur pite, l'ont donnée afin de garder tout ce qu'ils possèdent. Ils ont payé un léger tribut, pour satisfaire leur conscience, et jouissent en paix de leur fortune entière.

La grandeur d'âme, la noble charité de la veuve, excitèrent l'admiration du Sauveur et lui inspirèrent des paroles d'encouragement et de bienveillance; la prétendue imitation de cette noble conduite est une insulte envers cette charité si complète et l'éloge que Jésus en fit.

De laquelle de ces deux classes de donateurs approchez-vous le plus? — La bienfaisance est comparative; les uns ont certainement beaucoup donné d'après ce qu'ils possèdent, et d'autres fort peu, quoique les offrandes de ceux-ci puissent paraître considérables et les autres très minimes. On connaît l'arbre à ses fruits; il vous sera donc fort utile d'examiner si la proportion des dons que vous avez offerts à la cause du christianisme peut vous permettre d'espérer que vous avez réellement exercé la bienfaisance chrétienne.

Un second fait justificatif est celui-ci. Vous contribuez comme les autres à soutenir la bonne cause mais êtes-Vous bien sûr que chacun agisse à cet égard ainsi qu'il devrait le faire et ne vaudrait-il pas mieux chercher à se conduire d'après l'Évangile lui-même qu'à imiter ceux dont vous êtes entouré? — Les chrétiens de nos jours semblent avoir formé une sorte de contrat tacite par lequel ils s'engagent à consacrer certaines sommes à certains objets de charité; il en résulte que, quoique plusieurs ne donnent point en proportion des moyens qui leur sont confiés, ils n'en sont pas moins persuadés qu'ils agissent d'une façon libérale; lorsqu'un chrétien se distingue tout à coup en sortant de la routine, ceux dont nous parlons l'admirent sans doute, mais ne se croient point obligés de l'imiter, car il leur semble que de pareils dons sortent de la règle et dépassent toutes les limites dans lesquelles il est bon de se tenir renfermé.

Après avoir établi que vous contribuez comme les autres, vous dites encore que vous donnez autant qu'il vous est raisonnablement possible de le faire.

Ici s'élèvent deux questions importantes — Entendez-vous par là que vous donnez à Dieu ce que vous pouvez enlever au luxe ou simplement à l'état d'aisance et de confort dans lequel chacun se plaît à se trouver? De plus, l'état qu'on appelle généralement une honnête aisance , est-il l'arbitre auquel un chrétien peut s'en remettre pour décider du montant de ses charités?

Quand vous dites, que vous contribuez aux œuvres chrétiennes autant que vous le pouvez, on doit supposer que vous entendez par là que vous consacrez à ces choses tout ce que votre présent état de dépense n'exige pas nécessairement; mais, de nouveau, deux autres questions se présentent. Si vos dépenses sont calculées et soumises à un plan, n'avez-vous pas dû vous demander: Combien consacrerai-je à Dieu? — Mais puisque vous confessez cette grave omission, ne deviez-vous pas penser à diminuer vos dépenses, afin que votre charité ne soit pas laissée à la merci d'une égoïste convenance personnelle? Ne savez-vous pas que tous les grands travaux de l'église ont été exécutés par le sacrifice de votre principe favori: la convenance personnelle

Ignorez-vous qu'un Crésus, un Appicius pourraient ainsi trouver convenable de ne rien donner du tout, et que, si les hommes de tous les temps, qui se sont distingués en avançant le règne de Christ, n'avaient écouté que leurs simples convenances, ils auraient vécu et seraient morts dans une obscure et coupable indolence. Est-il besoin de vous rappeler combien il serait facile à Dieu, en vous privant d'une partie de vos rentes, de vous prouver que vous auriez pu contribuer à soutenir sa cause avec plus de dévouement, puisque vous seriez dépouillé de la somme que vous n'auriez point voulu consacrer à son service. Ne voyez-vous pas d'ailleurs que votre infidélité, à l'égard de ce qui vous est accordé vous nuira auprès de Dieu, le maître de votre prospérité? N'est ce pas une des lois de son royaume que le talent mal employé sera enlevé h son possesseur plutôt que d'être double; de plus, vous fermez vos yeux à la conséquence éternelle de votre manque de générosité car, celui qui sème peu, moissonnera peuL'agriculteur qui s'affligerait d'avoir une terre à ensemencer et regretterait le blé qu'il y sème, en le regardant comme perdu, serait estimé sage, comparé à celui qui, professant que ses libéralités sont semées pour obtenir une récolte immortelle, limiterait et calculerait ses dons en ne songeant qu'aux épargnes précaires d'une convenance personnelle qui peut être interrompue par la mort à chaque instant.

Vous pouvez être porté à dire: Je suis non seulement fort tranquille à l'égard de ma manière de vivre, mais je crois encore que je fais plus de bien à la société en général, en dépensant une partie de ma fortune en objets de luxe, qu'en consacrant la même somme à faire des aumônes.

Nous répondrons à un tel argument que vos dépenses doivent être réglées jusqu'à un certain point d'après le rang que vous occupez dans le monde, et qu'établir une balance exacte entre les exigences de votre position sociale, et les devoirs de la société, est le grand problème de la bienfaisance chrétienne; si vous avez résolu ce problème consciencieusement devant Dieu et d'après les directions de l'Écriture sainte, ce n'est pas à l'homme à juger votre conduite. Mais, si vous ne l'avez pas fait, si la question est encore à débattre, permettez-nous d'attirer votre attention sur trois classes d'observations économiques, logiques et religieuses.

Lorsque vous dites que vous êtes plus utile à la société en dépensant qu'en donnant vous soulevez une question d'économie politique; mais on peut vous répondre, en premier lieu, que la charité chrétienne dont on vous parle ne consiste point dans une vague distribution d'aumônes, distribution propre à encourager l'imprévoyance et la paresse; il n'est nullement question de présenter une pareille idée. La charité que l'on vous recommande est celle qui contribue à décourager le vice, à assister les malheureux oubliés, abandonnés, malades; à réveiller, à réformer l'homme vicieux; à civiliser les sauvages, à mettre en activité les ressources physiques et intellectuelles des pays civilisés; à instruire l'ignorant, faire circuler la Parole de Dieu, envoyer les agents de l'église chrétienne dans toutes les directions, et, tout en fournissant de l'occupation à des multitudes dont les forces sont en stagnation ou mal dirigées, à faire porter à ces hommes des fruits pour ce monde et le monde à venir; résultat immense qui modifierait l'économie politique elle-même, et rapprocherait certainement la terre du ciel.

Quant à la valeur intrinsèque du travail et de la fortune, vous devez convenir que le travail qui offre quelque avantage à l'individu, peut être sans profit pour son pays et même lui devenir nuisible, fatal: si l'on n'admet pas celte vérité, il faut établir que la guerre, l'augmentation des maisons de jeu et celle des tavernes et des lieux publics, en donnant de l'occupation à nombre d'individus, offrent de grands avantages à la société entière: il est bien aisé de prouver qu'au contraire un pareil emploi de l'activité humaine, agit, économiquement parlant, en diverses manières, comme une véritable malédiction. Ce n'est pas non plus l'augmentation de fortune qui développe la prospérité d'une nation, car alors les mines de l'Espagne seraient encore un sujet de gloire et d'honneur pour elle au lieu d'être très positivement une cause de décadence pour ce pays.

La question consiste plutôt à savoir si une grande partie de ce que vous dépensez, quoique ces dépenses puissent donner du travail et augmenter la richesse actuelle de vos concitoyens, n'a pas, en dernier lieu, lorsque l'on considère la chose comme appartenant à un grand système lentement développe, une tendance générale à engendrer plusieurs des maux, que l'économie politique déplore, et si, l'emploi de ces richesses, ne contribue pas à raccourcir les intervalles qui s'écoulent entre les crises périodiques qui troublent l'état social; enfin, si ces dépenses ne finissent pas par travailler comme un poison lent, agissant sur la société entière au lieu de contribuer à sa prospérité générale.

Nous pourrions, en nous autorisant d'une distinction admise en économie politique, celle de la consommation productive et de la consommation improductive essayer de montrer qu'en dépensant vos revenus en superfluités, en objets de véritable luxe, vous les consumez improductivement; c'est à dire, dans un sens qui n'ajoute rien à la quantité annuelle où à la valeur du produit national, et qu'ainsi, comparativement parlant, vous absorbez en jouissances personnelles, ce qui aurait pu contribuer au bien d'autrui et vous rendre utile à vos concitoyens. La science ne vous blâme pas, mais la part d'éloges qu'elle peut vous accorder n'est que très secondaire et de peu de valeur. Les dépenses superflues ne sont pas, ainsi que vous vous plaisez à le croire, un moyen de faire circuler utilement votre argent; elles produisent des maux réels, car, afin d'y faire face, un propriétaire de champs et de terres, doit augmenter ses baux; pour les payer le fermier élèvera le prix des récoltes, et le pauvre, en dernier lieu, devra souffrir de cette augmentation de dépense; de plus, l'excès du travail imposé aux ouvriers, dans l'intention d'augmenter la quantité des produits, dissipés inutilement, abrutit les fabricants et les empêche de parvenir à quelque développement intellectuel, à quelque amélioration morale.

Nous avons promis une observation logique, la voici. Si vous êtes certain de contribuer à la prospérité générale en vous livrant au luxe, ne lui seriez-vous pas encore plus utile en dépensant encore plus? Êtes-vous bien assuré, d'encourager assez, d'après vos moyens, les branches d'industrie que vous croyez devoir protéger? Ne serait-il pas de votre devoir de leur consacrer tout ce que vous pouvez dépenser, et de retrancher en leur faveur, même les légères contributions que vous accordez à la charité; vous donneriez ainsi tout à l'orgueil de la vie. Vous reculez avec dégoût devant une pareille conséquence; elle n'est cependant que l'application de votre principe poussée à son dernier point.

Mais, puisque vous professez le christianisme, vous déciderez la question dans un sens religieux, convaincu, ainsi que vous devez l'être, que tout ce qui est mal moralement ne peut être bien politiquement. Il est clair que vous admettez les droits de la charité chrétienne; la véritable question pour vous est de savoir si vous faites plus de bien en dépensant une certaine partie de votre fortune en objets de luxe, ou en la consacrant à la cause de la charité.

Mais permettez-moi de vous demander si votre désir, en vous livrant à des dépenses inutiles, est réellement celui de vous rendre utile aux classes industrielles; n'êtes-vous pas plutôt entraîné par celui de satisfaire quelque penchant personnel? S'il en est ainsi, vous savez que Dieu ne s'y trompera pas, et que, quoique votre largesse puisse être envisagée comme une source d'avantages divers pour la société, on peut craindre qu'elle ne soit nuisible au bien de votre âme. S'il est vrai que votre bonheur éternel dépende de l'ascendant que la partie spirituelle de la vie prendra sur la partie sensuelle, et que chacune des jouissances matérielles que vous vous accordez donne quelque avantage à la chair sur l'esprit, ne mettez-vous pas votre aine en danger en recherchant ainsi tout ce qui peut vous être agréable sous le vain prétexte d'être utile aux classes industrielles? Nous disons encore que cette façon de vivre vous met dans l'impossibilité d'accomplir aucun grand acte de libéralité. Votre amour du luxe contribue à exciter la ruineuse lutte de la mode, dont chacun se plaint, et que vous-même blâmez hautement; il donne aux ennemis de la religion un sujet de triomphe: on les entend parler ainsi que l'a fait l'une de nos revues religieuses.

«L'homme pieux ne montre aucune répugnance à imiter l'homme du monde en ce qui concerne l'usage de la fortune. Il se repose en paix au milieu des nombreux objets de luxe que sa position pécuniaire lui permet de se procurer. Nous voyons la maison de plus d'un chrétien déclaré meublée avec une grande recherche et parfaitement propre à satisfaire les goûts de la chair, le plaisir des yeux et l'orgueil de la vie, et leur table couverte de mets» qui se trouvent sur celles des hommes adonnés aux plaisirs sensuels.

Cette indulgence envers soi-même, cette conformité mondaine et cette vaine gloire, quoique en désaccord avec l'esprit et les principes de l'Évangile, semblent trouver grâce à leurs yeux tout autant qu'à ceux des autres hommes.»

Si j'avais plus d'argent à donner, j'en disposerais volontiers pour faire le bien, dites-vous. Ne vous abusez pas vous mêmes; quelque convaincu que vous puissiez être à cet égard, soyez persuadé plutôt que votre conduite actuelle prouve clairement que rien n'est moins probable, ou plutôt que rien n'est plus évident, que votre présente avarice. On n'a jamais vu les richesses guérir un fol amour du luxe ou remédier à la passion de l'argent. Il vaudrait tout autant espérer, par le secours du vin, la guérison d'une fièvre que l'abus de cette liqueur aurait allumée.

Le moyen de charité dont vous avez besoin ne consiste pas dans l'augmentation de vos biens, mais dans la répression de vos fantaisies, et l'usage consciencieux de vos rentes actuelles, d'après les principes qui doivent régler la conduite d'un fidèle serviteur de Jésus-Christ. Tant que vous n'entrerez pas dans cette voie, l'agrandissement de votre fortune, fût-elle même centuplée, n'augmenterait en rien, votre générosité, et si, au contraire, elle venait à se réduire jusqu'à vous approcher de la misère, vous n'en seriez pas pour cela privé du bonheur de venir au secours de vos semblables.

Agur demandait que l'abondance à laquelle vous aspirez ne lui fût pas accordée; elle était dangereuse à ses yeux; celui qui dit ne désirer de la fortune que pour faire du bien et qui fait de ce désir une excuse pour son manque de charité, cache son avarice sous le masque de la religion. Vous n'avez nullement besoin d'attendre le moment où vous serez parvenu à la condition que vous croyez nécessaire pour l'exercice de la charité; vous pouvez, dès l'instant même, devenir charitables et généreux, quelque limitées que soient vos ressources actuelles; on n'attend pas trois oboles de celui qui n'en a que deux; plus votre état approchera de la pauvreté, plus votre offrande montrera que vous êtes sous l'influence du grand principe de force et de libéralité renfermé dans le christianisme.

Vous appartenez peut-être à ceux qui se tranquillisent à l'égard de l'avarice par la pensée qu'ils seront charitables par testament. Une vie embellie par la charité et qui se termine par de pieuses donations est semblable au soleil couchant qui suit une belle journée; mais il n'est aucune charité posthume capable de réparer une vie entachée d'avarice ou souillée par quelque vice d'affection.

Renvoyer sa conversion au lit de mort est une folie infiniment coupable; mais peut-on s'excuser de renvoyer, jusqu'à sa fin l'exercice de l'un des devoirs les plus importants, imposes par la religion? Vous auriez beau fonder sur votre cendre un magnifique hôpital, ce ne serait pas moins le monument d'un avare, et l'on pourrait écrire sur le fronton ces mots: Le triomphe de la mort sur l’avarice, car celui qui ferme sa main jusqu'à son heure dernière, quand il s'agit de faire le bien, cède ses richesses à la mort et n'en fait point hommage à Dieu.

Vous agissez, en outre, en opposition directe avec les arrangerons établis par la Providence et contre les ordres de la volonté divine; votre charité, toujours future, dépend des circonstances les plus précaires. «J'avais amassé comme superflu pendant toute ma vie, dit Baxter, la somme de mille louis; n'ayant pas d'enfants, je la destinais à des œuvres de charité; avant que mes arrangements fussent terminés, la banque royale se ferma et le tout fût perdu.» Je cite ce fait pour engager les hommes qui voudraient» faire quelque bien à l'exécuter promptement et de toutes» leurs forces.»

Lorsque vous faites consister l'exercice de la charité dans vos dispositions testamentaires, vous calculez sur la certitude et la stabilité des choses qui sont devenues l'emblème de l'incertitude et du changement.

Le chrétien, s'il vit en harmonie avec les principes qu'il fait profession d'embrasser, au lieu de renvoyer après sa mort l'exercice de la charité, se croit appelé à s'y livrer sans cesse; il cherche à dévouer lui et son bien à Celui de qui il a tout reçu; il a sur vous l'avantage d'être son propre exécuteur testamentaire; il veut se procurer la joie suprême de faire lui-même pour Dieu le bien dont vous laissez le soin à autrui.

Vous dites que vous n'êtes que l'intendant de votre fortune et que Dieu en est le vrai propriétaire, mais au lieu de lui rendre un compte périodique de votre administration, vous rendez l'arrivée de la mort nécessaire pour que votre bien circule généreusement. Souvenez-vous d'ailleurs que votre maître, votre Seigneur, vous recommande de ne point amasser de trésors sur la terre, mais d'en amasser dans le ciel, afin que vous puissiez retrouver ceux-ci dans les demeures éternelles. 


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