Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LIVRE III.

CHAPITRE PREMIER.

De la bienfaisance chrétienne.

On manquerait de bonne foi et même de reconnaissance envers le grand chef de la chrétienté, si l'on se permettait d'affirmer que la marche actuelle de la bienfaisance chrétienne ne donne aucun signe d'amélioration. Le fait qui a donné lieu à cet Essai, destiné à prouver que l'égoïsme en nous portant à vivre pour nous-mêmes nous fait oublier Dieu et notre prochain, est une indication positive du chagrin que plus d'un chrétien éprouve à la pensée de cette fatale tendance. L'empressement avec lequel chaque appel; relatif aux dons qui doivent contribuer à soutenir la cause de l'Évangile est entendu; la conviction de l'Église à l'égard de l'augmentation des sacrifices qui auront lieu, et devant lesquels ce que nous avons fait jusqu'à présent se réduit à fort peu de chose; l'approbation avec laquelle on accueille tous les moyens nouveaux destinés à agrandir les ressources de la charité: l'augmentation de fonds que les grandes institutions chrétiennes annoncent presque chaque année, sont autant de preuves, non seulement du développement de la charité dans l'Église, mais encore du regret qu'elle éprouve à la vue du peu qui a été fait pour la cause du christianisme.

Bien que de pareilles circonstances soient favorables, il ne faut pas oublier qu'elles ne sont que des indications de progrès. Tous les manquements capitaux à l'égard de la charité chrétienne, demeurent dans l'Église chrétienne sans subir aucune notable modification; cette charité languit encore dans une sorte d'inaction, peu en rapport avec l'esprit d'entreprise qui se développe de nos jours; elle a besoin d'appel, d'impulsion; clic manque de proportion, de combinaison, d'abnégation; elle ne marche point du même pas que les demandes progressives du royaume de Christ; elle a besoin de plan et de principes arrêtés. Le grand courant de la propriété est encore dirigé, chez les chrétiens, dans le canal du monde; les faibles ruisseaux avec lesquels la charité arrose les jardins du Seigneur et les soins et les efforts auxquels il faut se livrer pour les y faire parvenir, comparés aux torrents que l'égoïsme fait encore couler dans leur lit naturel, nous rappellent les maigres filets d'eau que les habitants de l'Orient enlèvent aux rivières à l'aide d'une force mécanique, afin d'arroser un peu leurs jardins desséchés. L'onde puissante et rapide, sans paraître avoir perdu la moindre partie de son abondance, poursuit sa route vers l'océan.

À force de travaux soutenus, l'art d'acquérir de l'argent a été porté à une grande perfection. Celui de l'employer de manière à nous procurer le plus de bonheur possible est encore à mettre en pratique. L'Évangile seul peut l'enseigner et lui seul l'a enseigné dès son origine. Dans les premiers temps évangéliques, les chrétiens surent se servir de leurs biens de manière à les retrouver dans le ciel; mais, quoique la bienfaisance n'ait jamais été oubliée comme théorie, il est certain que l'esprit corrupteur du monde en a rendu l'exercice toujours moins actif; de telle sorte que, lorsque l'application positive de ce principe est mise en avant, et la nécessité de s'y conformer de jour en jour plus urgente, nous commençons à nous apercevoir de la grande distance qui sépare l'Église du point qui marque son devoir et des difficultés qu'elle devra vaincre pour retourner à ce devoir. 11 est important, afin d'effectuer ce retour, de chercher à connaître la volonté de Dieu sur cet important sujet.

Ce serait déjà un grand point de gagné; car, tandis que l'homme qui vit loin de Dieu se persuade que toutes ses propriétés n'appartiennent qu'à lui, le chrétien reconnaîtrait que c'est de Dieu qu'il reçoit tout ce qu'il possède et se sentirait obligé de consulter sa volonté à l'égard de l'usage qu'il doit en faire. Le chrétien superficiel, satisfait en ce qui le concerne, par quelques actes extérieurs, est convaincu que cette importante différence, entre lui et le mondain, est très clairement établie; parce qu'il a entendu dire, peut-être jusqu'à la satiété, que tout ce que nous sommes et ce que nous possédons vient de Dieu, il se persuade qu'il est parfaitement en règle à cet égard; mais c'est précisément parce que les chrétiens, en général, ont repoussé les conséquences de ce principe, et parce que très souvent ils l'ont foulé aux pieds, que l'esprit de la bienfaisance chrétienne s'est presque enfui de l'Église.

La pratique de ce principe, si simple et si familier, suffirait pour amener un changement immense en faveur de la charité évangélique. Les géologues nous disent que si les pôles de la terre venaient à s'aplatir, de quelques degrés de plus seulement, l'océan se précipiterait vers le nouvel équateur; les parties les plus solides du globe perdraient leur consistance et la terre serait totalement changée; de même, la conviction que nous ne possédons nos biens qu'en qualité d'agents de Dieu, une fois admise, sentie, mise en pratique suffirait pour rompre le système d'égoïsme actuel et pour donner une force entièrement nouvelle à tout l'ensemble de la bienfaisance.

Que le chrétien sincère cherche donc à établir ce principe dans son âme; que la pensée de sa fortune et celle de Dieu, maître suprême de toutes choses, demeurent en lui et qu'elles y forment une alliance étroite et soutenue. Qu'il se rappelle que la propriété des richesses de la terre est entre les mains de Dieu, aussi bien que le salut de son âme. Quelle serait sa conduite si les propriétés qu'il reçoit lui avaient été laissées par un ami d'ici-bas? — N'aurait-il pas souvent examiné le testament de cet ami afin de se conformer à sa volonté jusque dans les moindres nuances? Son ami suprême lui a donné l'usage de certains biens avec l'injonction expresse d'en User, d'après sa volonté. Il ne faut qu'un cœur humble, obéissant, reconnaissant pour comprendre cette volonté et voir qu'elle renferme des règles, des limites et des directions d'une parfaite clarté et que nous pouvons appliquer aux plus petits détails. Ce n'est qu'en étudiant journellement ces directions divines que le chrétien peut échapper au danger de s'approprier ce qui lui est confié par son maître céleste et qu'il évitera celui d'en faire un mauvais usage.

Le principe qui doit dominer le donateur dans le système évangélique est d'une très grande importance. Que celui qui donne le fasse avec simplicité de coeur. L'Évangile rejette également la taxe payée par crainte, l'aumône accordée pour être délivré de quelque importunité, le sacrifice offert pas ostentation et la somme que l'on destine à acheter la bienveillance divine ou à obtenir sa justification devant Dieu. La seule offrande que ce système admette est celle que l'amour de Christ et l'obéissance à ses ordres doivent inspirer; offrande qui espère et demande d'être acceptée de Dieu par Christ seulement. Cette impulsion sacrée conduit le chrétien au pied de la croix et lui fait comprendre ce qu'il y a de sensible et de généreux dans ces paroles: «Vous connaissez la charité de notre Seigneur Jésus-Christ, qui étant riche, s'est fait pauvre pour nous, afin que par sa pauvreté nous fussions rendus riches.»

L'habitude de manier de grandes sommes porte quelquefois certaines personnes à devenir aussi généreuses que la charité ordinaire peut le désirer; une générosité instinctive et toute naturelle peut aussi entraîner un donateur à faire le bien avec autant de bonne grâce et de promptitude que la charité chrétienne elle-même pourrait le faire, mais, «quand même je distribuerais tout mon bien pour être donné aux pauvres, si je n'ai point la charité, cela ne me sert de rien.» L'absence de l'amour de Christ peut se comparer à celle de l'encens qui parfume l'offrande et la rend agréable à Dieu; tandis que par l'absence de cet amour, les dons d'une nation entière deviendraient inutiles; sa présence donne à la pite d'une veuve, une valeur que Jésus daigne apprécier et dont le ciel même s'enrichit; il change un simple verre d'eau en un symbole sacré, lorsque ce verre d'eau est offert en souvenir de Jésus Christ.

Ce qui caractérise la supériorité de la piété évangélique comme système se propageant aisément par sa propre influence, ce que ce système a pour principe dominant l'amour de Christ; c'est bien là, la semence en lui-même, le levain qui ne cessera d'agir jusqu'à ce qu'il ait soulevé la masse entière de l'humanité.

Tandis que la fausse religion fait de ses aumônes une sorte de substitut de la piété, l'Évangile élève la bienfaisance au rang de l'un des devoirs les plus spirituels du Christianisme; cette vertu en remplissant le cœur de l'amour de Dieu, le rend capable de goûter le bonheur de faire le bien, lui enseigne à rapporter à Christ tous ses actes de charité et à les accomplir comme l'expression de sa reconnaissance. Lorsque cette disposition est devenue naturelle au chrétien, il croirait tomber dans la dégradation et l'esclavage, s'il se sentait dirigé par un motif inférieur à cette impulsion pleine de charme et de vie; il considère ses plus grands sacrifices comme étant de peu de valeur; il souffre des restrictions qu'un froid égoïsme cherche à lui imposer, et s'il se sentait appelé à sacrifier sa vie sur l'autel de la foi chrétienne, il croirait que ce dernier acte, ainsi que sa vie entière, pourrait s'expliquer par ce seul mot de l'Apôtre: «l'amour de Christ nous presse.»

Mais afin que notre bienfaisance puisse devenir une habitude salutaire à nos âmes, elle doit être mise en œuvre par des ressources régulières. Rien de grand ne peut s'exécuter sans un plan arrêté. Les hommes reconnaissent volontiers la nécessité de suivre une méthode sage dans tout ce qui concerne leurs intérêts temporels; s'ils veulent rendre leur libéralité efficace ils doivent adopte un système à cet égard. l'Evangile parle ainsi à ce sujet: «Que chaque premier jour de la semaine, chacun de vous mette à part chez soi, et rassemble ce qu'il pourra selon sa prospérité, afin qu'on n'attente pas que je sois arrivé, pour faire des collectes.»

J'entends par là, dit Paley, que St. Paul recommande ce qui est oublié par la plupart des hommes, c'est-à-dire l'exercice de la charité d'après un plan; une comparaison raisonnée de notre fortune avec les dépenses convenables et les espérances que doit avoir notre famille; une balance établie entre ce que nous pouvons épargner et ce que nous devons dépenser et consacrer à la charité. (Nous citerons à l’appui des arguments présentés par Mr. Harris en faveur de l’adoption d'un plan à suivre dans l’exercice de la bienfaisance chrétienne, l'exempte d'Oberlin. Ce digne serviteur de Christ avait l'habitude de partager ses aumônes d'avance et de les ranger sous des titres divers pour les malades, les vieillards, les missions, les écoles, les incendiés, etc., malgré cette précision dans l'emploi de ses dons, on peut croire que sa main droite ignorait, le plus souvent, ce que faisait sa main gauche.)

Il ne serait pas toujours facile de prélever par semaine ce que nous devons consacrer aux œuvres de piété, mais on atteindrait également le but que nous nous proposons en réglant ce compte à des époques fixes et en offrant à Dieu la part de la charité, d'après le degré de prospérité qu'il nous a accordé.

C'est par le défaut d'un plan de cette nature que la cause de Christ est souvent mal venue et reçue comme un suppliant auquel on ne sait que répondre; l'égoïsme, qui prétend devoir être toujours satisfait le premier, dépense en superfluités ce qui aurait dû être consacré à Dieu; et il est à craindre que plusieurs n'ayant pu répondre favorablement aux appels de la charité, ne perdent peu à peu le penchant qui les eut porté à faire le bien.

Les avantages qui résultent d'un plan dans l'exercice de la charité sont certainement nombreux, nous avons, par ce moyen si simple moins de penchant à diminuer nos offrandes; notre devoir devient plus facile par une combinaison régulière; notre amour pour Christ peut avoir à se réjouir de la possibilité de donner plus largement pour sa cause; la main de Dieu agit régulièrement sur la direction de nos affaires temporelles; sa présence est invoquée, si nous osons parler de la sorte, jusque dans le cœur de notre prospérité d'ici bas; tandis que le monde cherche à éviter son influence suprême, nous aimons à lui rendre compte de nos gains; nos offrandes sont présentées avec joie parce qu'elles proviennent d'un fond spécialement destiné à la charité et que la cause de la bienfaisance ne dépendant plus d'une générosité précaire, est saluée et honorée comme un créancier dont les droits sont reconnus; ce que nous retenons pour notre usage est béni par la fidélité avec laquelle nous nous acquittons de la plus sacrée de nos dettes.

Mais quelle sera la proportion que suivra le chrétien dans l'emploi de ses rentes, en ce qui concerne l'exercice de la charité chrétienne? Si c'est l'amour chrétien qui doit répondre on ne doit pas craindre que cette portion soit mesquine, mais si c'est l'égoïsme qui décide la question, on peut supposer que même une réponse inspirée, si elle pouvait être entendue de l'homme ainsi dominé, ne serait guère écoutée.

L'Évangile, d'accord avec son grand dessein, celui d'établir le règne de l'amour, laisse à ses disciples le soin de se taxer eux-mêmes; il déclare avoir un droit sur leurs biens, mais le combien est laissé à leur propre détermination; il leur accorde la liberté de tracer ce chiffre à leur gré, mais il leur montre la croix de Christ et semble dire: Jusqu'à quel point êtes-vous redevables envers votre Rédempteur? Vous avez reçu libéralement, donnez donc libéralement.

Il est presque inutile de rappeler au chrétien que la justice doit être placée à la base de tous nos calculs sur cet important sujet.

«Car je suis l'Éternel qui aime la justice, et qui hait la rapine pour l'holocauste. — Offrir à Dieu ce que sa propre loi assigne à autrui serait mépriser les exigences de la probité la plus commune, et oser faire de Dieu le patron de l'injustice; mais, tandis que le mondain voit que la justice humaine seule a des droits sur sa propriété et conclut que lorsque cette justice est satisfaite, il peut consacrer tout le surplus à son propre avantage, le chrétien considère ce surplus comme devant être en grande partie, consacré à Dieu.

Il est à remarquer qu'Abraham et Jacob offrirent volontairement à Dieu, dans des occasions particulières, la dixième partie de leur revenu ce qui devint ensuite une loi chez les Juifs; sans oser affirmer que cet exemple doive être suivi, il nous semble pouvoir établir que la dîme est une proportion approuvée par la charité pour ceux qui, en la consacrant de la sorte, peuvent continuer à élever et à entretenir leur familles. Pour les gens opulents et particulièrement pour ceux qui n'ont pas d'enfants, une contribution plus large serait certainement facile; pour quelques-uns la moitié de leur revenu serait trop peu, pour d'autres un vingtième ou même un cinquantième exigerait beaucoup d'économie et de soins scrupuleux. On peut dire que plusieurs parmi les pauvres donnent une riche offrande et qu'ils apportent au trésor chrétien beaucoup plus que ceux de leurs frères qui vivent dans l'aisance ou la richesse.

Oui, nous pouvons l'affirmer, tandis que le grand principe de l'amour de Christ ne permettra pas à l'homme opulent de donner avec lésinerie, il ne permettra pas non plus à l'indigent de ne rien faire pour avancer le règne de Dieu sur la terre. La Loi Judaïque disait: Nul ne paraîtra devant moi les mains vides; mais ce qui, pour les Juifs, faisait loi, sera imité par le chrétien comme une belle occasion de montrer son attachement au Seigneur; il apportera son grain d'encens; il voudra ajouter une feuille à la couronne de gloire et d'honneur que l'Église aime à déposer aux pieds de Jésus. Le langage de l'apôtre lorsqu'il nous dit qu'il faut «travailler de ses mains à de bonnes choses, afin qu'on ait de quoi donner à celui qui est dans le besoin,» sera pour lui un appel direct, un ordre positif.

L'homme qui se figurait que sa pauvreté le dispensait totalement d'exercer la charité et le rendait au contraire un objet à pourvoir par cette vertu, se sent pressé d'apporter quelque offrande sur l'autel de la bienfaisance; aussitôt que son âme est vivifiée par les rayons de la grâce divine, son œil et sa main, mûs par l'amour du prochain, savent promptement découvrir quelque légère superfluité dont il peut se passer ou quelques moments philanthropes de loisir qu'il pourra mettre à profit pour ses semblables.

Lorsqu'il apporte sa faible contribution, le fruit du renoncement ou de la sueur de son front, rien ne pourrait l'affliger davantage que de la voir rejetée, à cause de son peu de valeur apparente ou de la pauvreté du donateur; c'est l'offrande d'un pécheur reconnaissant de l'amour de son sauveur; de pareils dons réjouissent le ciel.

Un plan de charité sagement arrêté, comprendra le choix des objets dont on veut soutenir ou augmenter le développement; la bienfaisance dénuée de prudence peut devenir fatale à celui que l'on veut secourir et même créer les maux que l’on cherche à détruire.

Les ressources du philanthrope chrétien étant toujours faibles et limitées, comparativement au nombre et à la variété des objets qui sollicitent sa coopération, il lui est indispensable de choisir, parmi eux; d'un côté, il ne faut pas s'attacher uniquement aux objets purement religieux, quoiqu'ils soient sans contredit de l'ordre le plus beau et le plus élevé, en négligeant cette partie de la charité qui donne du pain aux nécessiteux et visite la veuve et l'orphelin; et de l'autre, il ne doit pas borner son attention au soulagement de la vie qui doit finir et demeurer indifférent spectateur des efforts qui se font autour de lui pour sauver le monde païen. Ces deux classes d'objets de charité doivent être combinées par le chrétien. En s'occupant avec soin des besoins du pauvre il maintiendra les sentiments affectueux de son cœur dans un état de vigueur, de santé, d'activité; en s'élevant aux objets spirituels il donnera à ces mêmes sentiments un développement plus vaste; il les répandra sur le champ des miséricordes divines; ainsi, au moyen d'une sage distribution de ses moyens il pourra soulager le nécessiteux et aider l'église à faire de la Bible le livre du monde entier.

Mais qui ne sent que cette ère de bienfaisance chrétienne effective est encore à commencer? Si l'on trace le plan le plus simple que l'Évangile puisse nous offrir à cet égard, il est aisé de voir que cette esquisse condamnerait la chrétienté tout entière. Il est vrai que si l'on compare ce qui se fait maintenant avec l'époque où presque rien n'était tenté pour la cause de Christ, nous pouvons dire que nous donnons beaucoup; mais tout cela n'est rien en comparaison de ce qui devrait être consacré au service de Dieu. Le sentiment de l'église, en ce qui regarde la propriété, est fort peu élevé au dessus de celui du monde: des notions mondaines profondément enracinées sont encore à extirper, et l'emploi de nos biens pour la cause du christianisme doit être enseigné comme une branche essentielle de la charité chrétienne. On ne comprend point encore la grande leçon, renfermée dans le choix que fit Jésus de l'état de pauvreté; l'application évidente de plusieurs passages de l'Écriture sainte est à faire; les préceptes qui combattent l'égoïsme ne sont point encore familiers aux chrétiens; certains sentiments déjà développés dans nos cœurs doivent y prendre plus de force; ils devront être mis plus habituellement en pratique; le mot bienfaisance lui-même n'est pas encore entièrement compris; le démon de la convoitise n'est point encore chassé de l'église et tout le système de la charité devrait être revu et perfectionné.

Mais, qui ne sait aussi, le livre de Dieu en main, qu'une époque de plus grande libéralité chrétienne s'approche: les Prophéties sont empreintes de cette vérité. Aussitôt qu'elles viennent à parler du règne du Messie, la consécration des biens de ce monde au service de Christ, forme une partie de leurs cantiques.

Les richesses, qui pendant tant de siècles ont dérobé au Seigneur une partie de sa gloire, et qui, sous tant de formes idolâtres, ont été adorées à sa place, seront enfin sacrifiées sur son autel et l'on s'en servira comme de charbons destinés à faire brûler l'encens qui s'élèvera des cœurs pleins de gratitude et d'espérance. On sentira alors que le plus bel usage que l'on puisse faire de l'or est de l'employer pour Dieu; que c'est là le seul moyen d'élever ce qui en soi est peu de chose et de changer ainsi ce qui est périssable en couronnes immortelles. Comme si l'image de Christ et non celle de César était empreinte sur les pièces d'or et d'argent, les disciples de Jésus considéreront tout leur bien comme appartenant à leur maître et chercheront sans cesse à le consacrer à son service.

Oh temps heureux! Temps où la consécration au Seigneur reposera sur les choses que les hommes ont toujours, cherché à considérer comme leur appartenant uniquement; alors les mines de la terre seront, dans un certain sens cédées à Christ; on appellera le plus sage non celui qui amasse le plus de richesses, mais celui qui donnera le plus à Dieu et le bonheur de donner sera mille fois plus estimé que le plaisir d'acquérir. — Oh temps heureux! les hommes au lieu de faire de l'or leur Dieu, chercheront dans l'amour de Dieu leur trésor le plus précieux; les devoirs de la charité composeront pour l'homme une science enseignée d'en haut et dont la pratique est nécessaire pour parvenir au ciel.

La loi vivante de la bienfaisance, écrite dans le cœur, opérera avec plus de puissance que toutes les lois somptuaires qui furent jamais promulguées pour restreindre les extravagances de la société. La cause de Christ sera considérée comme la seule garantie du sage emploi des richesses et comme le grand placement auquel les riches voudront confier leur superflu et le pauvre son obole, assurés qu'ils seront d'augmenter ainsi leurs trésors au-delà de tout calcul humain.

La richesse dont la pernicieuse influence a été si fortement redoutée de quelques hommes sages, qu'ils en ont prohibé l'usage par la loi, la richesse, le grand corrupteur de ce monde, sera employée comme l'un des moyens de rendre à l'humanité l'union et le bonheur. Alors Christ triomphera de son ennemi dans son propre sanctuaire et par les armes dont il se sert maintenant contre lui.


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