Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE V.

Symptômes de l'avarice.

Plus les formes que la convoitise sait revêtir pour s'insinuer dans notre cœur sont insidieuses et variées, plus il est nécessaire d'étudier le mal dans ses premiers symptômes, dans ses plus légères indications.

Quels sont donc ces signes, nous demandera-t-on peut-être, comment discerner en soi le germe de l'avarice?

Ici, lecteur, nous vous rappellerons que cette grave enquête doit être faite comme sous le regard de Dieu; qu'une consultation sur votre lit de mort serait infiniment moins sérieuse que cette étude de vous même, et qu'un appel à l'Esprit saint, qu'une prière fervente s'élevant de votre cœur, au moment de vous y livrer, serait certainement un heureux indice de la sincérité avec laquelle vous désirez scruter votre âme.

Qu'un esprit de libéralité s'empara de vous? Il est possible que votre position dans le monde ou votre réputation morale, vous permette d'exercer un certain degré d'autorité et d'influence; employez-vous quelquefois ce pouvoir à opprimer vos semblables, à dépasser votre droit à leur égard? Avez-vous ce que le pauvre nomme un coeur dur? Êtes-vous inexorable dans vos diverses transactions ainsi que le furent les maîtres des Israélites pendant leur captivité en Égypte? Vous plaisez-vous à faire valoir toute l'étendue de vos droits, à presser chaque demande légitime, et à vouloir que chaque obligation soit accomplie envers vous jusqu'au dernier point admis par la justice humaine?

Vous connaissez un peu mieux maintenant ce qu'est la convoitise sous ses formes les plus ordinaires, et vous cherchez pour la première fois à découvrir si vous ne nourrissez pas ce vice au fond de votre cœur; mais ce simple fait, cette première recherche ne doivent-ils pas exciter vos soupçons et vous faire supposer que, pendant votre sommeil, l'ennemi a semé de l'ivraie dans votre cœur? En admettant que vous viviez dans une communion habituelle avec Dieu, nous devons croire que de pénibles confessions se sont échappées de vos lèvres, que vous avez souvent dû convenir de tel ou tel mauvais penchant, suite naturelle de la corruption que vous partagez avec l'humanité tout entière; parmi eux avez-vous nommé l'avarice? Quand avez-vous appris à la haïr? Quand avez-vous demandé avec ferveur 

Avez-vous peut-être cette bassesse de caractère qui nous porte à restreindre les jouissances d'autrui autant qu'il vous est possible de le faire; à ne jamais récompenser au-delà du strict nécessaire; à faire valoir vos services de manière à en obtenir le retour, ou bien à les faire assez clairement sentir, pour qu'il soit presque insupportable de les accepter,

N'avez-vous jamais usé de la moindre tromperie envers votre prochain? Ne vous offensez pas de cette question. Rappelez-vous plutôt de la multitude des lois qui existent contre la fraude et la fréquente inefficacité de l'appareil compliqué, par lequel les tribunaux cherchent à la prévenir, à la punir; soins dont la multiplication prouve toute l'étendue du mal dont nous parlons; souvenez-vous aussi que le vaste réseau des lois ne pourra jamais suppléer au manque d'intégrité, et que la ruse trouvera toujours moyen d'échapper à ce tissu, quelque habilement construit qu'il puisse être.

N'oubliez pas non plus un fait douloureux, mais dont il faut convenir; c'est qu'il existe deux espèces de moralité dans le monde; celle de la vie privée dans laquelle s'exercent la délicatesse, la sensibilité, le sentiment d'honneur le plus raffiné, et la moralité en affaire, laquelle admet du mystère dans ses opérations, une étude intéressée de celles d'autrui et de vives protestations de sa délicatesse dans ses diverses transactions; en un mot, une moralité qui décide qu'une foule de choses qu'on ne pourrait tolérer dans la vie privée, sont admissibles, dès qu'il s'agit d'affaires au dehors. Maintenant nous supposons que vous respectez les lois, et que vous rougiriez à la seule pensée de quelque tromperie; mais n'avez-vous jamais tiré parti de l'ignorance et de la faiblesse d'autrui? Ne tirez-vous pas aussi quelque avantage du secret qu'il est convenu de garder en affaire et que le monde admet volontiers? Êtes-vous satisfait lorsque vous avez glissé à côté de la loi et n'avez fait qu'échapper à sa punition? Ne dites-vous pas quelquefois que vous agissez comme le font les autres, et tout cela pour l'amour de quelque petit gain?

La providence vous a placé, peut-être, dans une condition qui, tout en laissant un grand nombre de vos semblables au dessous de vous, en voit encore un grand nombre au-dessus. Êtes-vous content de votre partage? Si vous n'êtes pas satisfait de votre position et que vous regardiez avec envie les avantages que d'autres possèdent, si vous en parlez en les dénigrant et vous lamentez sur ce qui vous manque, tandis que les trésors impérissables de la grâce vous sont constamment offerts, que faites-vous, si ce n'est l'aveu honteux que les biens célestes ne sont rien à vos yeux, en comparaison de ceux du monde après lesquels vous soupirez?

Nous avons indiqué les préceptes et les maximes proverbiales par lesquels on cherche à se fortifier contre les appels de la charité; vous arrive-t-il, à votre tour de vous en servir en forme de justification? Celui que vous reconnaissez comme votre Seigneur, votre Maître a déclaré qu'il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir, vérité qui semble au cœur plongé dans la convoitise un vrai paradoxe, une énigme, une impossibilité; votre cœur, laissé entièrement à lui même, sympathise-t-il sur ce point avec Jésus ou avec le monde?

La même autorité divine a dit que l'un des traits qui caractérisent les sectateurs du monde, c'est leur sollicitude à se procurer pour l'avenir des biens temporels, comme si la Providence ne dirigeait pas le monde et comme si aucun père céleste ne prenait soin d'eux: pensez-vous autrement à cet égard que les hommes dépourvus de foi? Si l'on pouvait lire dans votre cœur, n'y verrait-on pas que, tout en servant Dieu, vous ne vous confiez pas en lui? Que pour les choses temporelles vous ne comptez après tout que sur vos propres efforts? La probabilité d'un petit gain ou celle d'une petite perte ne vous causent-elles pas une émotion beaucoup plus forte que l'objet qui l'excite ne devrait l'inspirer? — Vous convenez que Dieu peut avec raison se plaindre de vos langueurs, de vos infidélités dans son service; Mammon a-t-il à faire les mêmes plaintes, ou ne peut-il pas plutôt vous compter au nombre de ses serviteurs?

Vous occupez-vous avec plus de soins et d'anxiété de vos intérêts du moment que de ceux qui concernent votre éternité? Dépensez-vous votre vie à travailler uniquement pour cette vie, et, par conséquent, vivez-vous sans but réel?

Êtes-vous préparé au départ, où la mort vous entendra-t-elle dire: mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années, repose-toi, mange, bois et te réjouis. Vous trouvera-t-elle occupé à compter vos biens, regrettant de les quitter, ayant placé vos affections dans les choses de la terre? Êtes-vous engagé dans quelque trafic, non par nécessité, mais par choix et simplement pour augmenter votre luxe et vos jouissances? — Avez-vous averti le public de l'augmentation de vos biens, seulement par celle du train de votre maison? — Si deux carrières s'offraient à vous, l'une semée d'or, mais aussi de tentations, l'autre moins brillante, mais abondante en avantages religieux, laquelle choisiriez-vous?

Il n'est pas rare que les personnes bienfaisantes soient trompées dans l'exercice de leur charité', ni que leurs bienfaits ne soient récompensés par l'ingratitude; les fonds livrés à quelque administration de charité peuvent être aussi mal administrés; il se peut que vous ayez fait l'expérience de ces fâcheux résultats: vous décidez-vous alors à restreindre ou même à supprimer vos dons? Entassez-vous vos mécomptes comme des arguments contre la charité à venir? En faites-vous des armes pour l'arsenal de la convoitise, des armes prêtes à vous défendre lors du premier assaut que votre bourse devra soutenir? Lorsque vous entendez discourir sur les dangers de la fortune, votre cœur est-il prompt à y croire? — Celui qui parle est-il obligé d'employer ses arguments les plus puissants pour vous convaincre? Vous faudra-t-il plus de patience pour entendre la personne qui voudrait vous persuader de donner davantage, que pour écouter celle qui cherchera à vous prouver que vous pouvez vous dispenser d'assister aussi largement les malheureux?

Il vous arrive sans doute de blâmer tacitement ou de louer de même la conduite d'autrui, en matière d'argent; lorsque vous rencontre* un homme soigneux de son bien, outre mesure, l'approuvez-vous? Êtes-vous disposé à le défendre si on l'attaque sur ce point? Lorsque vous voyez quelqu'un prodiguer sa fortune, votre surprise est-elle celle d'une personne qui ne peut comprendre un pareil travers?

La disposition à la bienfaisance ne peut demeurer stationnaire dans vos âmes pendant un certain nombre d'années; si vous établissez à votre propre égard, la comparaison du passé et de l'avenir, découvrez-vous quelque diminution dans votre sensibilité naturelle? Vous sentez-vous aussi disposé à répondre aux appels de la bienfaisance que vous l'étiez il y a dix ou vingt ans? — Il est impossible que vos affaires temporelles se trouvent exactement au même point au bout de ce laps de temps; si le changement a eu lieu pour vous du côté de la prospérité, les offrandes que vous devez déposer sur l'autel de la reconnaissance ont-elles augmenté à proportion de votre bien-être? et dans le cas contraire les avez-vous diminuées en proportion de vos pertes? et parmi vos regrets à l'occasion de la diminution de votre fortune, celui de donner moins, s'est-il fait sentir à votre cœur?

Un des traits honorables du temps présent c'est la rapide multiplication des appels de la bienfaisance: cette multiplication vous est-elle importune plus que votre impossibilité d'y suffire? Essayez-vous de vous priver de quelque superfluité dans la bonne intention d'y répondre, ou ne pratiquez-vous que la précaire et mesquine bienveillance qui n'accorde que les miettes tombées de votre table?

Il se peut que vous vous absteniez scrupuleusement de certains plaisirs mondains, mais, après avoir tracé un cercle de jouissances que vous regardez comme permises, de quelle manière vous y comportez-vous? — Votre empressement à vous satisfaire dans les choses qui vous plaisent, ne rivalise-t-il pas avec ce qu'on est convenu d'appeler l'amour du monde? Ne pensez-vous pas beaucoup trop à l'augmentation de vos aises, de vos conforts? — N'avez-vous pas trop d'empressement à satisfaire vos goûts particuliers et ne vous éloignez-vous pas ainsi de l'abnégation, et des privations ordonnées par l'Évangile, tout autant que des austérités exagérées de la vie monastique?

La force d'une machine est estimée d'après sa puissance de résistance. Eh bien, d'après ce principe quels sont les obstacles que votre charité pourrait vaincre? Parvient-elle à abaisser votre vanité, votre amour de vos aises, votre intérêt personnel?

Vous force-t-elle à sacrifier l'orgueil de la vie afin que vous puissiez augmenter vos contributions pour la cause du salut?

À combien de chrétiens ne pourrait-on pas demander, non seulement, comment vivez-vous, mais encore où vivez-vous?

Vous vous êtes retiré du train des affaires, mais en prenant cette résolution, qu'elle est la volonté que vous avez consultée? Est-ce pour plaire à Dieu, pour le mieux servir que vous ne le faisiez auparavant? Le servez-vous en effet? Avez-vous choisi quelque sphère d'activité propre à vous rendre utile? Mais enfin, que vous ayez été ou non plongé dans le tourbillon des affaires du monde, avez-vous échappé à l'esprit mondain?

Dans le choix de votre demeure, la distribution de votre temps, et la formation de vos plans, prenez-vous conseil de la Parole de Dieu? Agissez-vous d'après la devise chrétienne: Que nul ne vive pour lui-même: et vous efforcez-vous à faire usage de vos talents divers, comme s'ils vous avaient été confiés portant cette inscription de la main de Celui qui vous les a donnés: fais-les valoir jusqu'à ce que je vienne.

Si vous entendez raconter une largesse extraordinaire, faite tout-à-coup par la reconnaissance chrétienne pour la cause de la religion, quel est votre premier sentiment? Admirez-vous cet acte de générosité, rendez-vous grâce de ce qu'il a eu lieu, ou pensez-vous que le donateur a outrepassé les règles ordinaires de la bienfaisance par un motif de vanité ou d'ostentation? Si quelqu'un a conçu un nouveau plan charitable qui demandera de nouveaux sacrifices pécuniaires, votre présence agirait-elle, en cas de délibérations à ce sujet, comme le vent glacé qui empêche les bourgeons de se développer? Votre physionomie, au premier instant, a-t-elle trahi le doute, la froideur, la désapprobation. — Faut-il toujours qu'on vous sollicite, qu'on vienne à vous? Ne donnez-vous jamais par votre propre impulsion? et dormez- vous, lorsqu'on vous demande, avec empressement, avec plaisir, sans paraître céder à l'importunité, à l'indiscrétion d'autrui? Pensez-vous peut-être avec satisfaction au montant de vos aumônes? Vous peignez-vous d'avance l'effet que produira leur chiffre et votre nom sur les rapports divers qui les enregistreront? Vous étonnez-vous qu'il y ait des hommes qui se refusent à souscrire?

Si vous pensez et agissez de la sorte la marque de l'égoïsme est sur vous, car rappelez-vous, avec quelle facilité, vous vous séparez des mêmes valeurs pour les consacrer aux choses qui vous sont agréables, les oubliant promptement et les dépensant de nouveau, comme si de pareilles dépenses ne méritaient pas la moindre attention.

Il serait impossible de peindre l'avarice dans toutes ses ramifications; nous n'avons donné ici que des indications, et leur insuffisance, ou votre négligence à vous les appliquer, pourraient empêcher que vous ne vissiez le péché en vous-même; mais que rien ne vous abuse à cet égard, il est en vous. Si quelqu'un des croyants de l'ancienne alliance pouvait se flatter d'en être exempt, c'est sans doute David, lui qui semblait avoir apporté dans le monde tant de magnanimité et de grandeur d'âme. — Cependant nous l'entendons s'écrier: «Incline mon cœur vers tes témoignages, détourne-moi de l'avarice.» Si parmi les hommes d'une haute piété chrétienne quelqu'un pouvait se croire délivré de ce terrible mal, c'eût été Timothée ou ceux qui lui ressemblaient, mais S. Paul ne lui épargne pas ses exhortations; il avait vu tant de chrétiens de profession entraînés au fond de l'abîme, dans le moral Maëlstrom (tourbillon) de l'avarice et plongés dans la perdition, qu'il suppliait son bien-aimé Timothée, son fils dans la foi, de s'éloigner le plus possible de ce fatal vortex: Mais Toi, homme de Dieu, fuis ces choses — comme si par une intention spéciale cette exhortation à un homme de Dieu, répétée d'âge en âge par toutes les Eglises, devait servir d'avertissement aux hommes les plus pieux et rendre pour ceux d'une piété moins développée, toute prétention de non-culpabilité, absolument inadmissible.

De toutes les myriades qui ont paru sur la terre, Jésus-Christ est le seul être qui ait été entièrement pur de Cette tache; lui qui était le principe opposé, là personnification de l'amour. C'est parce qu'il fut entièrement exempt d'égoïsme qu'il n'a cessé de combattre ce vice et qu'il a daigné devenir le chef, le guide des soldats de la foi qui lutteraient avec cet ennemi.

Si tous ces derniers étaient demeurés fidèles, ils auraient étendu leurs conquêtes, ils en recueilleraient les fruits, mais tous cherchent leurs propres intérêts et non ceux de Jésus-Christ.


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