Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV.

Des déguisements et des ruses de l'avarice.

Quoiqu'il soit facile de démontrer le pouvoir dominateur de l'avarice et de faire sentir son existence à la conscience de chacun de nous, on ne peut guère amener les hommes à s'en accuser personnellement, et nos efforts, à cet égard, sont presque dénués d'espérance.

Celui qui se permet de décider sans appel, et avec une exactitude parfaite, le point où commence ce mal moral chez autrui, trouvera de nombreuses défaites, dès qu'on voudra lui appliquer la même mesure, la même balance. St-François de Sales, l'un des plus célèbres confesseurs de son temps, a remarqué que nul ne s'accusait près de lui d'avarice. Celui qui connaissait ce qui est en l'homme, chercha à exciter notre vigilance en nous disant de ce péché ce qu'il n'a dit de tout autre. Gardez-vous avec soin de F avarice.

Chacune des passions possède une suite d'arguments propres à établir sa justification; mais on peut dire que toutes les passions concourent à justifier l'avarice; toutes prennent son parti, toutes savent la défendre, car elles n'ignorent pas que l'argent facilite toutes choses et peut, presque à la lettre, tout obtenir.

C'est précisément parce que le mal est si général, que personne ne veut en convenir; la multitude ne rougit jamais; nous nous soutenons les uns les autres; étant nés dans le même climat, nous ne nous apercevons pas de ce qu'il offre de pernicieux pour chacun de nous. La culpabilité de l'avarice, comme celle de tout autre péché, ne s'estime que par une mesure graduée; chacun se permet de s'y livrer jusques à un certain point et c'est seulement au delà de ce point que l'on reconnaît l'existence du danger. L'indignation commence alors que la passion est devenue extrême et monstrueuse.

Mais, ce qui fait surtout la force de l'avarice, c'est son habileté à revêtir la forme de la vertu; ainsi que les anciennes armures elle sait à la fois protéger et déguiser celui qui a recours à elle. Aucun avocat ne cherchera à la défendre sous son propre nom; l'avarice, ainsi que les lâches, échappe au moyen de l'adoption d'un alias, ou nom suppose, à la réprobation attachée à son nom sans déguisement. Dans le vocabulaire de l'avarice, l'amour des biens de la terre veut dire travail, industrialisme; mais il est évident à tout observateur chrétien que la prétendue industrie de plus d'un dévot de profession n'est qu'une cause de ruine pour sa piété et formera, peut-être, le premier motif de sa condamnation.

L'oisiveté est pour celui-ci un sujet d'aversion: son temps, ses forces, ses inquiétudes sont toutes dévouées au soins de ses affaires; il ne reste chez lui pour la cause sacrée de la religion qu'un faible soupir, une prière faite à la hâte, et ne partant point du cœur, enfin quelques efforts accidentels dont la faiblesse excite la victoire au lieu de la repousser.

«La Providence m'envoie de nombreuses affaires à diriger, dit un autre; je ne les ai nullement cherchées; n'y aurait-il pas de l'ingratitude à les négliger?»

Ne savez-vous pas, pourrions-nous lui répondre, que Dieu éprouve quelquefois ses enfants pour voir s'ils garderont ou non les commandements qu'il leur a donnés? Est-il à supposer d'ailleurs qu'il vous accorde un redoublement de prospérité afin de vous dispenser de son service et dé vous faire préférer celui de Mammon? Et d'ailleurs, quoiqu'il vous semble que la providence vous appelle à travailler pour l'aliment qui périt, son Évangile, son Fils, votre Seigneur et votre Rédempteur ne vous engagent-ils pas, par des instances bien plus énergiques, à travailler pour l'aliment qui durera dans la vie éternelle. Il se peut que vous vous trompiez à l'égard des appels de la Providence; vous ne pouvez le faire relativement à ceux de l'Évangile; ils sont clairs, impératifs, sans cesse répétés et vous disent tous les jours de chercher avant toutes choses: «Le royaume de Dieu et» sa justice.»

Quelqu'un est enclin à la parcimonie; il est loin d'en convenir; la tentation agit sur lui sous le déguisement de la frugalité. La prodigalité est l'objet de son mépris; il ne sait s'en garantir qu'en se jetant dans l'extrême opposé. Chaque exemple de pauvreté amené par des dépenses déplacées, est pour lui un nouvel avertissement envoyé pour le rendre prudent: ils.répète volontiers les maximes par lesquelles le monde rend hommage à l'avarice; il ne met jamais en question leur validité, et s'en sert avec habileté, comme d'une antidote propre à repousser les attaques de la charité. Ainsi tout en vivant dans un monde que la bonté divine soutient chaque jour, tout en espérant d'être sauvé à la fin par grâce, il ne donne que lorsque la honte l'y force et regrette encore la chétive offrande dont il ne peut se dispenser.

Le but d'un autre est évidemment d'augmenter sa fortune; mais il s'explique cette tendance en se disant qu'il faut songer à l'avenir; il a peur de tomber dans le besoin, et quoique, dans son désir d'éviter ce malheur, l'envie de devenir riche puisse ne pas être très-prononcée, n'est-ce pas cependant le résultat auquel ses efforts multipliés doivent parvenir? Ce qu'il appelle le nécessaire serait, s'il parlait sincèrement, une positive abondance, une dispense de travail pour lui et sa famille, une cessation de dépendance envers la Providence, une perpétuité de bien-être et de repos; jusqu'à ce qu'il ait atteint cet état si désirable, son âme est assiégée de vains soucis; il ne peut songer qu'au lendemain. Comme si la Providence avait quitté son trône, abandonné sa charge suprême, il veut se charger entièrement de tous les soucis, de tous les fardeaux appartenant à sa position.

Courbé sous ce poids dangereux il se rend incapable de remplir les saints devoirs du chrétien et de prendre part aux entreprises charitables qui retarderaient de quelques pas sa marche vers le but auquel il aspire.

On le voit souvent s'efforcer de préparer les moyens d'adoucir les infirmités de la vieillesse longtemps après qu'elles l'ont atteint, et chercher à gagner l'aisance qu'il a tant désirée, tandis qu'il n'aurait plus d'autres dépenses à faire que celles de ses funérailles.

L'avarice, chez ceux qui ont obtenu un véritable état d'aisance, se cache sous l'apparence du contentement d'esprit. On se croit parfaitement à l'abri de tout reproche de cupidité en disant: je suis content de ce que je possède. L'adorateur de la fortune auquel notre Seigneur disait: prenez garde et fuyez l’avarice, était aussi satisfait de ce qu'il possédait. Un pareil contentement n'est que la satisfaction de nos propres travaux, le repos à l'aspect de sacs d'argent bien remplis, le sentiment qui fait dire: «Mon âme, réjouis-toi.» Qu'un agent de la charité s'approche la main ouverte, d'un homme satisfait de la sorte; on verra ce dernier reprendre son caractère naturel: il reculera en face de cet appel comme s'il eut été touché par la lance d'Ithuriel; son contentement n'est produit que par le plaisir de posséder son bien tout entier; il n'est du moins, nullement satisfait d'en céder une partie.

Un autre, non seulement est convaincu qu'il n'est point entaché d'avarice, mais encore se persuade que sa grande sensibilité est une preuve de sa bienfaisance. Un spectacle douloureux déchire son âme — il ne peut le supporter, et s'éloigne — sa sympathie délicate prend trop de part à l'infortune de ceux qui ont à souffrir; il leur ferme sa porte et leur dit: Allez en paix, chauffez-vous et vous rassasiez; tout en appartenant à l'école de quelques philosophes égoïstes, il prétend faire partie de celle de Christ, donne un soupir au malheur pour éviter de lui payer un impôt plus pesant et cherche ainsi à se faire une réputation de sensibilité; mais la sensibilité n'est point la bienfaisance; en se dépensant sur les misères elle peut vous rendre esclaves de l'égoïsme et vous porter à n'exercer votre commisération que sur nous-mêmes.

Quelquefois l'avarice se comptait en elle-même sous le prétexte de se retirer du bruit et du tumulte des affaires. La convenance d'une retraite prématurée peut dépendre de circonstances diverses; mais combien de fois n'arrive-t-il pas, que la cupidité, lorsqu'elle porte ce masque, retient sa victime à son service, jusqu'à l'époque des cheveux blancs, l'entraînant à renvoyer sans cesse la cessation du travail, sous prétexte d'une prochaine émancipation.

Ou bien encore l'avare se retire du monde pour jouir, en repos et dans l'oisiveté, de ce qu'il a entassé pendant des années de prétendue économie; il se peut aussi qu'en se jetant dans le train des joies et des plaisirs du monde; il montre que son dégoût des choses d'ici bas ne se rapportait nullement aux plaisirs, mais simplement aux efforts du travail. Au lieu de s'établir dans un endroit où ses ressources pécuniaires et son activité chrétienne pourraient rendre sa présence utile, il ne consulte, dans le choix de son séjour, que sa propre satisfaction, et se livrant à une habitude régulière de complaisance personnelle, il vit et meurt en serviteur infidèle, en sensualiste modéré, en homme nuisible à ses semblables bien plus qu'il ne leur est utile.

On entend quelquefois des parents s'étendre avec complaisance sur la nécessité de songer à l'avenir de leurs enfants; nous ne parlons pas ici de ce que l'amour paternel doit raisonnablement tenter à cet égard, mais de ce que l'avarice lui fait faire sous un nom emprunté. Plus d'un chef de famille s'abandonne à son amour du gain sous le prétexte de faire un sort à sa famille. Il arrive à quelques-uns d'eux de citer certains passages de l'Écriture entre autres cette déclaration de St. Paul: «Si quelqu'un n'a pas soin des siens, et principalement de sa famille, il a renié la foi et il est pire qu'un infidèle.» L'auteur sacré en donnant les directions relatives à l'entretien des veuves, établit une distinction entre celles qui doivent être entretenues par leurs parents, et celles dont l'église doit prendre soin; il résulte de la différence qu'il établit dans le passage en question que les secours recommandés par l'Apôtre, doivent être accordés pour les besoins du moment et nullement pour fournir à l'avenir de la personne secourue; loin de parler d'une accumulation de biens faite par les parents pour leurs enfants, il parle des secours que les enfants doivent offrir à leurs parents âgés.

Que le père chrétien compare le prix d'une sage et solide éducation et la possibilité de gagner sa vie, acquise par ses enfants, aux avantages de la prétendue indépendance que l'on cherche à créer dans l'avenir des familles; qu'il appelle à son aide l'Écriture sainte et la prière; et nous ne doutons pas que la véritable résultat de cette comparaison , ne se montre clairement à ses yeux. En étudiant les circonstances domestiques de ceux qui l'entourent, qu'il essaie de suivre l'existence de six individus qui auront eu pour appui le secours de Dieu et leurs propres efforts pour obtenir une place honorable dans la société, et celle de six autres personnes, qui, sans aucun effort personnel, ont crû que le bonheur se trouverait dans les biens préparés pour elles, et qu'il nous dise laquelle de ces deux positions est la plus favorable au bonheur et au développement de la vertu. Qu'il nous dise ce que l'on doit penser de l'inconséquence d'un père chrétien, qui, tout en faisant profession de comprendre et d'adopter le jugement que le Sauveur a porté sur les biens de ce monde, s'efforce de laisser ses enfants en possession de l'élément dangereux propre à les conduire à la perdition, et se tourmente pour les placer dans la situation, qui rend le salut si difficile à obtenir!

Qu'il se demande si un tel homme ne cherche pas à imiter, en infiniment petit sans doute, le rôle du tentateur quand il mit les royaumes de la terre aux pieds de Jésus. Qu'il se rappelle enfin qu'il doit laisser ses enfants dans un monde où la fortune est considérée comme le bien suprême, mais qu'il les reverra dans un autre monde où les biens de la terre ne seront d'aucune valeur, dans un monde où il n'en sera fait mention que pour peser l'usage auquel on les aura consacrés ici bas.


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