Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II.

Formes de l'avarice.

Par le mot convoitise, nous entendons la cupidité dans sa forme la plus promptement développée, la plus plausible et la plus dominante; du monde elle n'est pas toujours assez prononcée pour devenir sensible aux yeux de l'homme, mais elle est assez active, assez caractérisée pour encourir le déplaisir de Dieu.

C'est cette forme tranquille, en apparence naturelle, cette opération sourde du principe de l'avarice qui possède le.plus grand nombre d'excuses faciles à présenter; la majorité des chrétiens la met rarement en question; la moralité du monde la permet et même l'exige; elle peut dominer sans opposition sur la vie entière et même emprunter l'apparence décente de la modération et d'une honnête industrie; elle travaille ainsi, dans le silence, à la destruction des hommes, sans leur causer aucune inquiétude.

La rapacité est l'avarice qui veut atteindre, saisir, se hâter de devenir riche. C'est le ver rongeur dans notre sein, dévorant sans cesse et toujours affamé, si affamé que rien ne l'est autant si ce n'est la mort et le sépulcre. C'est une passion qui emploie toutes les autres à la servir; le jour lui semble trop court; le succès n'est pour elle qu'un résultat du et une indication pour s'en procurer de nouveaux; le manque de réussite est la punition de quelque relâchement dans ce stimulant suprême; les biens d'autrui sont pour elle un sujet de reproche; la pauvreté du prochain lui sert d'avertissement. Déterminée à se satisfaire elle ne s'inquiète point de la moralité des moyens, méprise les lenteurs d'un travail modéré et les scrupules de la probité; elle ne cherche que le chemin le plus court pour parvenir à son but. Impatientée par les délais et les retards, elle ne daigne pas attendre les directions de la volonté divine ni épier les indications providentielles; les seules bornes qu'elle respecte, et qu'elle franchirait volontiers, ce sont celles que les craintes mutuelles des hommes ont posées dans l'intention de réprimer l'avidité de chacun.

La parcimonie, c'est l'avarice, accordant à regret le strict nécessaire; c'est la frugalité de l'égoïsme, l'acte de ne dépenser que le moins possible; on ne peut dire de cette disposition qu'elle donne mais plutôt qu'elle capitule sans cesse; ce qu'elle cède avec le plus de largeur apparente, conserve au fond le caractère d'une concession faite de mauvaise grâce.

Quant à l'avarice ordinaire, l'avarice par excellence, c'est la cupidité s'efforçant d'entasser, c'est l'amour de l'argent dans son sens abstrait et pour l'amour de lui-même. Le vice dont nous parlons est rare sous cette forme monstrueuse, car il est clair que, l'argent étant le représentant, le compendium de tous les genres de biens terrestres, on le désire avec passion pour l'amour des choses qu'il peut nous procurer; il est alors recherché et prisé comme une sorte d'essence, d'esprit chimique qui peut se dilater à volonté et s'adapter aux goûts particuliers de ceux qui le possèdent; mais la simple avarice est satisfaite par la possession de l'or lui-même; s'arrêtant en face des effets ou du résultat, elle ne demande que le moyen; par une étrange infatuation, elle considère l'or comme étant sa propre fin et de même que les ornements des Israélites se façonnèrent en idole sous la main d'Aaron, l'or, dans celles de l'avare devient son dieu par excellence; en cherchant à le convaincre de son utilité et de son application à des objets pratiques, on lui semble commettre une sorte de profanation.

Les autres vices ont un but de jouissance qui leur est propre, mais le mot même d'avare confesse toute la misère qui accompagne l'avarice, car, afin de sauver son or l'avare se soumet à mille privations. On ne peut dire qu'il possède des biens, ce sont ses biens qui le possèdent: ou bien, si c'est à lui qu'ils appartiennent, c'est ainsi qu'une fièvre qui le consumerait, ainsi que de l'or liquide coulant dans ses veines avec son sang.

Plusieurs de nos vices diminuent graduellement et sont abandonnés par les effets de l'âge et de l'expérience, mais l'avarice pousse des racines plus profondes à mesure que la vieillesse s'avance; semblable à l'arbre solitaire, perdu dans le désert, elle prospère au sein d'une stérilité à laquelle rien ne pourrait survivre; d'autres passions ne sont que des paroxysmes, sujets à une sorte d'intermittence; l'avarice est un désordre qui subsiste sans subir d'interruption; d'autres passions encore ont des époques de relâchement, d'affaissement; l'avarice est un tyran qui ne laisse pas un instant de repos à ses esclaves. C'est le dragon de la fable, couvert d'une toison dorée, veillant nuit et jour sur sa proie avec des yeux sans paupières et que le sommeil ne peut fermer.

La prodigalité, quoique directement opposée à l'avarice est cependant intimement liée à la cupidité; elle est souvent combinée avec cette dernière forme de l'égoïsme et peut être classée comme l'une de ses manifestations les plus compliquées. Le portrait que Salluste nous a laissé de Catilina, qui convoitait le bien d'autrui, tandis qu'il prodiguait le sien, peut trouver de fréquentes applications. Nous en faisons mention pour prouver que, quoique les hommes mettent souvent en avant leurs folles dépenses pour se disculper de tout penchant à la cupidité, leur extravagance dérive pourtant de la même source, produit les mêmes effets, emploie les mêmes mauvais moyens pour se satisfaire, et s'attire la même condamnation. Ils sont convoiteux afin d'être prodigues; tandis qu'une main s'ouvre pour acquérir à tout prix, l'autre veut obtenir l'or qui paie de coupables jouissances: la convoitise devient ainsi l'intendant de la prodigalité; elle doit fournir sans cesse de nouveaux subsides, et s'abaisse souvent jusqu'à la rapacité pour se les procurer.

La prodigalité fortifie donc la cupidité en la tenant dans une activité constante, et la cupidité soutient la prodigalité, en s'efforçant de lui fournir les moyens de suffire à ses appétits voraces.

Prenant possession du cœur, ces deux passions divisent leur victime, contre elle même, devenant tour à tour effet et cause. Mais la prodigalité égoïste ne produit pas seulement la cupidité: elle se trouve placée à l'égard de tout dessein généreux dans la même position que l'avarice: elle n'a rien à donner. Un système d'extravagantes dépenses rend la bienfaisance impossible, et nous fait pauvres à l'égard de Dieu. 


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