Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LIVRE II.

CHAPITRE PREMIER.

De l'avarice.

Si l'égoïsme est la forme dominante du péché en général, l'avarice peut être considérée comme la forme dominante de l'égoïsme. C'est un fait positivement établi par S. Paul lorsqu'en décrivant les temps fâcheux de l'apostasie finale, il nous montre l'égoïsme comme devant être la racine productive de tous les maux qui se développeront alors et l'avarice comme son premier fruit, «car les hommes seront amateurs d'eux-mêmes, AVARES.»

Après avoir tracé à grands traits l'esquisse de l'égoïsme, il ne nous semble pas nécessaire de nous étendre beaucoup sur l'importance qu'acquiert à nos yeux la forme particulière que nous venons de signaler. Un peu de réflexion suffira pour nous convaincre, que, tandis que les autres développements de l'égoïsme ne se rencontrent pas en tous lieux, celui de l'avarice est universel; que ce vice se rencontre sur notre sentier de tous les jours et nous entoure comme l'atmosphère; qu'il surpasse tous les autres vices par la finesse de ses prétextes et l'habileté de ses opérations; qu'il est ordinairement la dernière forme de l'égoïsme dont le cœur se délivre, et que les chrétiens qui ont échappé, comparativement parlant, aux autres genres de péché, peuvent être fortement entachés de celui-ci.

Si nous avons raison de craindre que l'avarice ne soit particulièrement à redouter pour les chrétiens, parce que cette passion est la seule qui puisse s'allier avec la profession publique du christianisme, et, s'il est vrai, que ce vice travaille plus que tout autre à maintenir l'Église dans une alliance apparente avec le monde, qu'il fasse échouer ses plans et la prive des honneurs qui lui sont dûs, comme au principal instrument de la conversion du monde, il n'est sans doute rien de plus utile et de plus nécessaire que de montrer l'effrayante étendue du mal, et de justifier tous les efforts qui pourront être tentés afin de jeter l'alarme dans la société.

L'avarice, ou plutôt la convoitise, dénote l'état d'une âme qui a perdu le sentiment intérieur de Dieu et s'efforce de le remplacer par quelque manière de jouissance terrestre. La direction particulière qui porte cette impulsion vers la possession de l'argent est purement accidentelle: l'argent est le représentant de toutes sortes de propriétés, et, par conséquent, de tous les plaisirs d'ici-bas. Mais comme l'existence de cet arrangement conventionnel rend la possession de quelque argent indispensable, l'application du mot avarice a dû se réduire à exprimer une préférence, un penchant pour l'argent, égoïste et désordonné.

Nous disons que la facilité avec laquelle nous tombons dans cet écueil, vient de ce que l'argent répond à toutes choses. Les richesses, en elles-mêmes, n'ont rien de dangereux, et leur possession n'est point un tort; le désir d'en posséder n'est pas non plus coupable, pourvu qu'il ne dépasse pas certaines bornes, car, dans presque tous les degrés de la civilisation, l'argent est indispensable pour se procurer les agréments et même les nécessités de la vie. Dans son emploi le plus relevé, il peut devenir un instrument de la plus haute utilité: chercher à en acquérir comme un moyen de faire le bien, n'est donc pas un vice, mais une vertu. Malheureusement il arrive qu'en voyant que l'argent est un agent d'une si grande importance dans la société humaine, en reconnaissant que, non seulement il éloigne les maux et les besoins de la pauvreté, mais que, comme une force d'attraction, il attire à lui toutes les choses qui dans ce monde paraissent de quelque valeur, le désir d'en posséder prend un développement trop fort, une direction égoïste; on finit par le souhaiter pour l'amour de lui même, on suppose que ce moyen de se procurer tant de jouissances est revêtu d'une excellence qui lui est propre. En voyant que l'or peut nous procurer tout ce qu'il touche, nous sommes tentés de croire, comme le roi de la fable, que tout ce que nous manions par le travail peut être changé en or.

La passion des richesses existe en degrés différents et se montre sous des aspects très variés. On ne peut cependant établir de classifications exactes de ses formes diverses. Toutes ses branches dépendent les unes des autres, et sont séparées par de simples gradations plutôt que par des lignes de démarcation.

La différence la plus sensible et la plus frappante que nous pourrions établir est celle qui se trouve entre le désir d'acquérir et celui de conserver. L'amour du monde, la rapacité, le besoin de s'enrichir sans cesse, la prodigalité qui n'est jamais satisfaite, appartiendraient au désir à acquérir; la parcimonie, la lésinerie, l'avarice proprement dite, à celui de conserver. Le mot avarice est toutefois l'expression populaire, employée comme le synonyme de ces diverses nuances et comme les embrassant toutes. 


Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant