Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE V.

L'égoïsme, péché de la race humaine est depuis longtemps celui de l'Église chrétienne.

Nous répétons ici notre question précédente et nous la répétons avec solennité et dans le désir de faire naître une impression profonde par la seule réponse qu'on puisse lui faire: Qu'elle est la cause qui s'est opposée à ce que l'Évangile produisît l'effet auquel il est destiné? Quel est l'obstacle qui l'a empêché de régner sur tous les cœurs, de pénétrer en tous lieux, d'animer l'humanité entière de l'esprit d'un divin amour? Pourquoi au contraire a-t-il semblé faillir dans tous les siècles? 

C'est, en grande partie, à cause de la trahison de ceux qui devaient le répandre, à cause de l'égoïsme des chrétiens. Tous les éléments nécessaires à son succès ont toujours été en la possession de l'Église; aucune forme nouvelle du mal ne s'est élevée dans le monde: aucun antagoniste nouveau n'a combattu l'Évangile depuis ses premières luttes, et pourtant, après une si longue existence, quand il devrait avoir achevé la conquête du monde, l'Église écoute le récit de ses premiers triomphes, comme s'ils devaient simplement exciter son admiration et non pas l'engager elle-même à en obtenir de semblables; on dirait que les efforts des premiers chrétiens ont un caractère de charité romanesque qui ne peut plus être imité. Hélas! tandis que l'Évangile devrait dominer sur toute la terre, il est encore obligé de se défendre sans cesse contre ses ennemis.

Nous le disons encore, la seule réponse à faire en vue de ce fait accablant c'est que l'égoïsme, péché de la race humaine, est depuis longtemps celui de l'Église chrétienne.

Cette assertion peut, au premier aspect, paraître dénuée de fondement, puisque l'Église est encore le dépositaire et l'instrument de la miséricorde divine. Mais, pour concilier ces deux propositions, il suffit de se rappeler que chaque partie intégrante de l'Église, chaque cœur chrétien, pris individuellement, n'est qu'un fragment de l'état général du monde, à demi sanctifié, à demi dépravé, contenant sans doute un principe divin de régénération, principe destiné à triompher en dernière analyse, mais qui ne doit pas moins travailler sans cesse pour se maintenir et quelquefois combattre pour son existence même.

L'Église peut être comparée à un vaste hôpital, rempli de malades auxquels on offre un remède infaillible, mais qui tous ont à gémir de l'intensité de leur mal et de la longueur des soins que cette intensité de souffrance exige. Ils peuvent cependant devenir à leur tour des instruments de guérison pour leurs compatriotes, succombant sous le même mal, d'après le degré de confiance et de patience avec lequel ils accepteront les secours qui leur sont accordés. L'accusation portée contre ces nombreux malades est qu'ils ne se sont point livrés à l'influence du remède divin, savoir de l'Évangile; il en résulte qu'ils continuent à languir durant toute leur vie par les effets de leur mal originel, et que la possibilité de soulager leurs frères, obtenue par leur propre guérison étant perdue, ils deviennent inutiles au monde malade et mourant. Oui l'égoïsme, la maladie universelle est aussi le mal dominant de l'Église chrétienne.

Il serait aisé et intéressant de suivre la marche de la grave transition par laquelle l'Église passa de l'ardeur de son premier amour au froid égoïsme qu'elle déploya plus tard. Considérée dans son premier état elle nous apparaît semblable à la flamme d'un sacrifice s'offrant volontairement et consumant le moi pour le salut du monde: mais au bout de quelques siècles, combien le spectacle change! C'est le monde ou plutôt ses intérêts spirituels qui sont sacrifiés à l'égoïsme de l'Église; ses flammes à elles sont éteintes; elle ne brûle que d'un feu étranger; sacrifiant et présentant sans cesse le monde idolâtre comme une victime destinée à orner les autels de la fortune, du pouvoir, de l'orgueil. Après avoir été l'image de l'amour désintéressé et divin, arrachant l'admiration du monde, entraînant les hommes à force de bienveillance et de dévouement, l'Église a traversé diverses époques de décadence spirituelle, calculant sans cesse les conséquences de sa marche, devenant indifférente à ses propres devoirs, dirigeant son influence vers des canaux mondains, subordonnant chaque chose sacrée au gain et à la puissance humaine, jusqu'à ce qu'elle soit devenue une personnification monstrueuse de l'égoïsme qui voulait tout accaparer, d'un égoïsme duquel le monde lui-même pouvait prendre des conseils et des leçons sur l'art de s'agrandir soi-même.

Mais au lieu de nous étendre sur les premières opérations de l'égoïsme agissant dans le sein de l'Église, il conviendra mieux au but que nous nous proposons de prouver son effet actuel, de montrer comment il agit parmi nous. Quelque long et triomphant que son règne ait été, ses jours sont maintenant comptés. L'Évangile n'aura jamais à subir une défaite finale. L'Église chrétienne doit encore réaliser les glorieuses intentions de son divin fondateur. Nous devons donc considérer ses chutes comme de graves revers, dont les suites seront temporaires. Le passé sert du moins à nous montrer sa vitalité; le présent nous prouve son élasticité, l'avenir sera témoin de ses triomphes. En cherchant à prouver et à suivre les mouvements et les opérations de son grand antagoniste, l'égoïsme, nous sentons que nous contribuons, quoique faiblement sans doute, à dépouiller celui-ci de ses anciens honneurs et à faire connaître le chemin qui mène à la victoire.

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