Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

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L'homme régénéré.

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Jean. 3: 3-6; 2 Cor. 5: 17; Gal. 6: 15; Eph. 2: 10; 4: 20-24, etc.; Tite 3: 3-8.

CINQUIÈME ÉTUDE

L'homme régénéré.


I.

Tout travail créateur est palpitant d'intérêt: combien, par exemple, nous captive celui du plus modeste potier, quand il dépose, sur son agile planchette, puis pétrit et façonne, de ses mains adroites, l'argile qui deviendra, à son gré, un vase, une coupe, un simple pot auquel s'attache assez de l'individualité de l'artisan pour que, parmi des milliers d'autres vases, il puisse reconnaître, un jour, son oeuvre, il vient à la rencontrer quelque part, fût-ce aux antipodes!

Et si une poterie a son humble gloire, avec quel respect ne doit-on pas pénétrer dans l'atelier d'un peintre ou d'un sculpteur, chez qui génie et inspiration chrétienne s'unissent pour incarner, en quelque sorte, dans la matière transformée, quelque sublime conception du monde de l'esprit!

Tout dans un tel sanctuaire de l'art, tout depuis la personne de l'artiste jusqu'à l'ébauche qui trahit la première tentative du fiat lux, tout vous attire, vous retient et vous émeut. Et, si l'on est admis à voir travailler le peintre ou le sculpteur, si l'on assiste au douloureux enfantement d'une oeuvre nouvelle, on éprouvera quelque chose du tressaillement des anges quand ils chantaient sur le berceau de notre monde naissant.

Eh bien, j'ai à vous introduire aujourd'hui dans l'atelier du plus grand des artistes, dans l'atelier où l'homme nouveau, l'homme sauvé sort des mains mêmes de Dieu.

Seulement cet atelier n'a rien en lui-même de glorieux. Bien différent de celui que votre imagination vous représente, peut-être, cet atelier n'est autre que la nature humaine déchue, c'est-à-dire ce chaos que j'ai tenté de vous décrire, ce désordre qui n'est pas «un effet de l'art,», mais bien le résultat de la catastrophe morale qui a détruit le plan de Dieu. Oui, c'est de là, c'est de ce monde bouleversé et souillé que le Seigneur doit tirer un homme nouveau, un homme à son image, puisqu'il daigne reprendre son premier dessein.

Et la matière de cette oeuvre, quelle sera-t-elle? Matière fruste peut-être, mais saine, comme la roche extraite des entrailles mêmes d'une carrière de marbre à Carrare? Oh! non, pas cela. On dit bien que c'est d'un bloc abandonné dans les champs, près de Florence, que Michel-Ange a su tirer son David vainqueur; mais Dieu, lui, n'a pour faire l'homme nouveau qu'un coeur d'homme corrompu.

Il est vrai que de l'homme primitif subsistent des débris qui sont moins pourris que d'autres. L'homme tombé, avons-nous dit, est devenu un pécheur, un méchant même, en fait un ennemi de Dieu, sans être immédiatement un réprouvé, un démon. Et, sans trop d'exagération, Lamartine a pu nous définir ainsi: «L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.»

Dans la construction de l'édifice nouveau pourront donc entrer des matériaux anciens qui ont encore de la valeur, une valeur relative, à condition toutefois qu'ils soient préalablement purifiés, puis sanctifiés par leur consécration même. Et par ces matériaux j'entends nos facultés intellectuelles, nos connaissances antérieures, nos talents, nos qualités ou vertus naturelles, les expériences acquises et les traditions respectables, le fruit des influences saines et de la bonne hérédité. Mais le centre de cette création première, qui est le résumé de l'homme parce qu'il est le siège de la personnalité, le coeur, notre coeur naturel est mauvais, désespérément mauvais soit que le mal qui le remplit devienne grossier et repoussant, soit qu'il s'en tienne à cette forme subtile essentiellement spirituelle, d'autant plus profonde et consciente d'elle-même, l'orgueil raffiné par exemple, le culte secret et délicat de soi-même, l'adoration du moi qui est le péché par excellence, le péché principe, le péché de l'Antéchrist et de Satan.

Comment donc est-il possible que cette oeuvre de salut s'accomplisse? Car il ne s'agit de rien moins que de reproduire en nous ce type de l'homme parfait, de l'homme véritable, de l'homme, enfin, que nous avons contemplé en Jésus-Christ.

Car, créé pour Dieu, qui est saint, tu ne saurais accomplir ta destinée, c'est-à-dire trouver la vie et le bonheur que dans la sainteté même. «Dieu veut notre sanctification,» est-il dit; mais il ne peut pas ne pas la vouloir, et toujours la vouloir, puisqu'il veut que l'homme soit et reste ou plutôt redevienne homme. «Sans la sanctification nul ne verra le Seigneur;» ce n'est pas là un décret arbitraire ou révocable; fondé dans la nature même des choses, ou plutôt de l'homme et de Dieu, il est immuable comme Dieu, et comme la nature de l'homme; et rien ne pourra le supprimer ou l'atténuer pour en exempter l'homme.

«Qui peut donc être sauvé?» demanderez-vous donc avec angoisse à l'instar des apôtres. Qui peut être sauvé, si c'est avec ce coeur corrompu par sa nature actuelle que Dieu doit façonner en nous son image telle qu'elle nous est apparue en Jésus-Christ?


II.

Eh bien, avant d'apprendre comment ce miracle pourra s'accomplir, j'ai besoin d'affirmer qu'il s'accomplira, et de l'affirmer uniquement en m'appuyant sur les promesses bibliques; car il est si bon de croire Dieu sur parole,... de croire parce qu'il a dit!

Oui, le grand artiste, qui seul peut entreprendre et mener à bonne fin ce travail, parce que seul il est Créateur, seul capable de ressusciter les morts et «d'appeler les choses qui ne sont pas comme si elles étaient» (Rom. 4: 17), notre Dieu, a déclaré de la façon la plus positive, et à réitérées fois, que ce qui est impossible à l'homme, lui il l'accomplira.

«Vous serez parfaits» nous a-t-il fait dire par son Fils, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait» (Mat. 5: 48); cette déclaration ne pourrait-elle pas nous suffire?

«Ceux qu'il a préconnus, écrit saint Paul, il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image de son Fils, afin que son Fils fût le premier-né entre plusieurs frères.» (Rom. 8: 28.)

«Comme nous avons porté l'image de celui qui est tiré de la poussière, lisons-nous ailleurs, nous porterons l'image du céleste.» (I Cor. 15 49.)

«Nous tous qui contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, à visage découvert, nous sommes métamorphosés de gloire en gloire à son image et comme par son Esprit.» (2 Cor. 3: 18.)

Nous tous, sans exception, vous l'avez entendu; et voici encore, à trois reprises, le même mot qui exclut toute exception dans le but que Paul assigne au ministère évangélique: «Christ en vous, l'espérance de la gloire, lequel nous annonçons en exhortant tout homme et en instruisant tout homme, en toute sagesse, afin que nous rendions tout homme parfait en Jésus-Christ.» (Col. I: 27-28.) Oh! merci à saint Paul et merci à Dieu même pour ce mot «tout homme» trois fois redit!

«En ceci, écrit saint Jean, est accompli l'amour envers nous, afin que nous ayons de la confiance au jour du jugement, parce que tel il est tels nous sommes dans ce monde. (I Jean 4: 17.)

Et ces glorieuses promesses ne sont-elles pas, du reste, déjà renfermées implicitement dans des exhortations telles que celles-ci:

À quoi, pour finir, nous ajouterons encore celle-ci de Paul au sujet de la Parole: «Toute Écriture inspirée de Dieu est utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire selon la justice, afin que l'homme de Dieu soit accompli et parfaitement instruit en vue de toute bonne oeuvre.» (2 Tim. 3: 16-17.)

Et maintenant, nous dirait le Seigneur, comme jadis à ses auditeurs juifs: «Si vous ne me croyez pas sur parole, eh bien, croyez à cause de ces oeuvres que j'ai accomplies;» et ces oeuvres, ce sont les myriades d'hommes nouveaux que le Seigneur a effectivement créés par son Esprit depuis vingt siècles. Comme à Copenhague un unique musée réunit toute l'oeuvre de Thorwaldsen, statues de divinités classiques ou scandinaves, personnages bibliques ou historiques, Dieu a aussi son musée immense, sublime: ce musée, c'est l'histoire de l'Église, l'histoire des missions extérieures et intérieures, l'histoire de ces centaines d'entreprises inspirées par l'Esprit de Christ pour refaire des hommes avec ce qui n'en avait plus que le nom! Oh! quelle exposition que cette exposition! quel palais de l'art que celui de notre Dieu! que d'hommes l'on y voit qui ont fait honneur non pas à l'homme, comme on le disait de Turenne, mais au Créateur et au Sauveur de l'homme!

Hommes de tout pays, de toute langue, de toute classe sociale, intellectuelle ou morale, je vous salue! À côté des apôtres, à côté des prophètes et des innombrables héros de la foi, martyrs de tous les siècles ou grands missionnaires, à côté d'humbles évangélistes et des réformateurs de tous les temps, les millions de chrétiens obscurs autant que fidèles et dévoués à leur Maître, oh! quelle armée immense déjà rassemblée! mais, de préférence, parmi ces frères, mon regard va chercher ceux qui ont été les frères du brigand crucifié et du geôlier de Philippes; et celles qui, de tout temps, furent les soeurs de la Samaritaine ou de Marie-Madeleine, de la femme pécheresse, ou de cette Afra, par exemple, de cette courtisane de haut style qui, convertie dans les premiers siècles, grâce à une méprise d'un pieux évêque, porta son corps sur le bûcher du martyre en disant: «Oh! que ce corps souillé souffre mille tourments, il l'a bien mérité! je te rends grâces, ô Dieu! de ce que tu m'as jugée digne de ce sacrifice; reçois la pécheresse dans ta miséricorde!»

Oh! que de trophées de la grâce depuis les premiers siècles de l'Église jusqu'à notre époque, où la société de tempérance, celle pour le relèvement moral, les missions évangéliques, les efforts de l'évangélisation populaire et de la mission intérieure, de l'Armée du salut et de beaucoup d'autres nous ont permis de revoir tant de ces chefs-d'oeuvre de la grâce, de ces hommes redevenus hommes en devenant des chrétiens, d'abord des enfants de Dieu régénérés, des saints, des saintes remplis de l'Esprit!

Et le plus merveilleux, c'est que de tous ces hommes par millions, entre lesquels règne une si profonde ressemblance spirituelle due à la présence du même Christ en eux, il n'y en a pourtant pas deux d'identiques. Leur individualité a été conservée, ou plutôt rendue. Ce sont bien des hommes; ils restent des hommes; ils ne sont pas devenus des numéros, copies serviles du même type. Quelque intégralement que soit reproduite en eux tous l'image de Christ, elle l'est chez chacun avec des particularités et sous un angle spécial, qui constitue l'infinie variété des richesses divines dans la profonde et vivante unité du type. «O Éternel! que tes oeuvres sont belles!» tes oeuvres de la nature, et même de cette nature extérieure qui a tant souffert de notre péché, mais aussi, mais surtout et plus encore les oeuvres de ta grâce, qui seront bientôt pour nous aussi des oeuvres de la gloire!


III.

Et que nous diraient-ils, tous ces hommes, s'ils pouvaient raconter comment de l'impur en eux Dieu a fait sortir le pur, et d'enfants de Satan des enfants de Dieu, des fils, des filles de Dieu, des cohéritiers de Christ?

Ils nous diraient d'abord, je crois, en rendant hommage à la miséricorde divine, que Dieu n'a pas tiré le pur de l'impur par voie de simples progrès; d'améliorations successives et d'un perfectionnement graduel. Et qu'à vrai dire, il n'a pas tiré le pur de l'impur; car leur salut a commencé par une création nouvelle, un baptême de régénération, une nouvelle naissance, un miracle créateur plus grand que celui de tout l'univers. «Nous fûmes son ouvrage, répéteraient-ils avec saint Paul, créés en Jésus-Christ pour les bonnes oeuvres» (Eph. 2: 10); et, à notre époque comme de vos jours, celui qui était en Christ était «une nouvelle créature, une nouvelle création.» (2 Cor, 5: 17.)

La vie ancienne, la vie de volontés et de forces propres, de sentiments, de désirs et de mérites propres, de projets nourris hors de la communion de Dieu, cette vie qui, sans être nécessairement immorale, s'était formée et sans cesse développée depuis la chute autour du moi révolté, cette vie, c'est-à-dire le vieil homme, a dû d'abord prendre fin (Rom. 6: 6 — notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché fût détruit, pour que nous ne soyons plus esclaves du péché; Col. 3: 3 — Car vous êtes morts «Vous mourûtes», et votre vie est cachée avec Christ en Dieu:; il a dû mourir, par un acte de foi, sur la croix de Christ qui est mort à cause de ce vieil homme. Et dans l'état normal, mort a été le vieil homme et mort il est resté, ou plutôt il a cessé d'être; «les choses vieilles sont passées.» (2 Cor. 5: 17.)

Ainsi, à l'origine de la vie, il y a dû y avoir une mort: «Vous mourûtes,» et c'est à cette mort, mort bienfaisante, que doivent consentir nécessairement tous ceux qui veulent redevenir des hommes en ayant en eux l'homme nouveau.

Il faut qu'ils se livrent à Dieu et se donnent résolument à lui. Et Dieu, qui ressuscite les morts, crée alors en eux un nouveau moi, c'est-à-dire une nouvelle direction de la volonté; et ce moi nouveau dirigé, tourné tout entier vers Dieu, rencontre l'Esprit du Christ glorifié qui s'unit à lui pour produire une nouvelle personnalité morale, personnalité tout ensemble divine et humaine, qui est le nouvel homme. (Gal. 2: 20 — J'ai été crucifié avec Christ; et si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi; si je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi.) Cachée derrière le voile de la chair, comme une statue en oeuvre derrière les échafaudages provisoires et l'enceinte grossière qui disparaîtront un jour (Col. 3: 3), cette nouvelle personnalité, ce nouvel homme «créé en sainteté et pureté de la vérité,» c'est l'être engendré de Dieu, c'est l'héritier de Dieu, le cohéritier de Christ. (Eph. 4: 24 — revêtir l’homme nouveau, créé selon Dieu dans une justice et une sainteté que produit la vérité; Rom. 8: 17 — Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers: héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, afin d’être glorifiés avec lui; I Jean 5: 1 — Quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu, et quiconque aime celui qui l’a engendré aime aussi celui qui est né de lui.) C'est à lui que sont faites les promesses; il est réellement engendré de Dieu, sa postérité même.

Maintenant, on va pouvoir parler de progrès, et, plus tard, même de perfectionnement. La chair, elle, ne se perfectionne pas; séparée de l'homme nouveau «par la circoncision faite sans main,» elle doit être maintenue séparée et crucifiée même par l'Esprit de Christ qui, dans l'état normal, enveloppe l'homme nouveau d'une atmosphère céleste et d'une armure invincible que les traits du malin ne pourront pas traverser. (Col. 2: 11 — Et c’est en lui que vous avez été circoncis d’une circoncision que la main n’a pas faite, mais de la circoncision de Christ, qui consiste dans le dépouillement du corps de la chair; Gal. 5: 24 — Ceux qui sont à Jésus-Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs; Eph. 6: 10 — Au reste, fortifiez-vous dans le Seigneur, et par sa force toute-puissante. Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir tenir ferme contre les ruses du diable, etc.)

Dans cette retraite cachée, la vie nouvelle, ou plutôt l'être nouveau, Christ en l'homme qui est le nouvel homme, peut se développer, comme Christ à Nazareth; d'enfant il deviendra jeune homme; de jeune homme, homme fait, père, ainsi que dit saint Jean. (I Jean 2: 12-13 — Je vous écris, pères, parce que vous avez connu celui qui est dès le commencement. Je vous écris, jeunes gens, parce que vous avez vaincu le malin. Je vous ai écrit, petits enfants, parce que vous avez connu le Père. Je vous ai écrit, pères, parce que vous avez connu celui qui est dès le commencement. Je vous ai écrit, jeunes gens, parce que vous êtes forts, et que la parole de Dieu demeure en vous, et que vous avez vaincu le malin), l'homme mûr ou parfait, dans le sens où Paul dit: «Nous tous qui sommes parfaits,» immédiatement après qu'il a déclaré qu'il poursuit la perfection, qu'il y tend sans croire l'avoir atteinte.

Rappelons-nous seulement qu'il s'agit ici de la croissance d'un être vivant, et d'un être vivant qui est un homme appelé à être toujours plus homme, c'est-à-dire doué du glorieux privilège de la liberté. Si J'ai parlé d'abord de tableau, de statue, de vase de terre, c'est que je me réservais de rectifier plus tard ces images, en affirmant que l'homme ne demeure pas passif dans ce travail qui le concerne, mais qu'au contraire il est de plus en plus appelé à y concourir. Et avec quelle sagesse, avec quelle connaissance parfaite de la nature et de l'état de chacun de ses enfants, Dieu ne proportionne-t-il pas et ne conforme-t-il pas, quant à la nature et quant à son intensité, sa part de travail à la part dont il a rendu déjà et dont il rendra l'homme capable, faisant d'abord tout, absolument tout, comme une mère pour son nouveau-né; puis, plus tard, le portant encore au besoin par moments, tout en l'habituant pourtant à marcher toujours dans son voisinage immédiat, et avec des forces incessamment nouvelles que l'homme ne cherchera pas en lui-même, mais en Dieu, c'est-à-dire en Christ (Voir les épîtres aux Thessaloniciens comparées avec celles à Timothée.).

Et, comme le Christ n'est pas loin de lui, mais plutôt tout près de lui et en lui, ce travail de l'homme pour son propre développement consistera essentiellement à s'approprier toujours plus ce qu'il possède déjà; à pénétrer plus avant dans cette vie dont il a le germe et les premiers développements (Jean 15 et les «en Christ» de saint Paul); à revêtir, dit saint Paul toujours plus l'homme nouveau en revêtant Christ (Rom. 13: 14 — revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et n’ayez pas soin de la chair pour en satisfaire les convoitises), c'est-à-dire à pratiquer toujours mieux et par là à acquérir toujours plus effectivement et définitivement les vertus chrétiennes, la nature même de Christ dont il a reçu le principe.

C'est là ce que Paul nous explique au chapitre 4 de l'épître aux Éphésiens (Eph, 4: 20-24 — Mais vous, ce n’est pas ainsi que vous avez appris Christ, si du moins vous l’avez entendu, et si, conformément à la vérité qui est en Jésus, c’est en lui que vous avez été instruits à vous dépouiller, eu égard à votre vie passée, du vieil homme qui se corrompt par les convoitises trompeuses, à être renouvelés dans l’esprit de votre intelligence, et à revêtir l’homme nouveau, créé selon Dieu dans une justice et une sainteté que produit la vérité.), et aux chapitres 2 et 3 de celle aux Colossiens, dans des déclarations qui concilient admirablement, par les nuances, les modes et les temps des verbes employés, l'oeuvre de Dieu et l'oeuvre de l'homme, l'acte créateur initial accompli une fois pour toutes, et le travail progressif d'acquisition plus ou moins rapide et plus ou moins complet, selon que l'homme est plus ou moins fidèle dans la part qui lui est dévolue.


IV.

Oh! quelle joie on éprouve à voir ainsi grandir l'homme nouveau! Le développement ne se fait pas d'une façon uniforme chez les uns et chez les autres. Ici c'est la conscience qui se réveillera d'abord avec une rapidité qui tient du prodige; hier elle était absolument morte, le sens moral n'existait plus, toutes les notions du bien et du mal étaient anéanties; aujourd'hui, sous l'action de l'Esprit de Dieu, voilà un travail énergique, voilà le sentiment du péché, voilà la droiture, voilà des résolutions et des démarches spontanées, des réparations inattendues, une perspicacité morale, une délicatesse de conscience telle que quelquefois le dernier des derniers va devancer les justes, si les justes ne se hâtent pas de progresser, eux aussi.

Ailleurs ce sera, et c'est ordinairement le coeur, le coeur qui prendra les devants dans un débordement d'amour pour Dieu, pour Christ et pour les âmes, un esprit de sacrifice, un courage chrétien, une joie, un besoin d'actions de grâces et de louanges vis-à-vis duquel on sent douloureusement sa propre tiédeur. Mais des lacunes morales, sur des points élémentaires, et des disparates ne vous choquent que davantage et vous affligent d'autant plus qu'on est tenté quelquefois de douter de la parfaite sincérité de cette piété qui tolère de telles anomalies. Eh bien, gardons-nous de douter trop vite; gardons-nous de décourager par notre impatience; rappelons-nous ce que nous avons été peut-être longtemps nous-mêmes dans notre vie; il y a eu, sans doute, et longtemps, manque d'équilibre entre le sentiment religieux et le sentiment moral, ou entre le sentiment moral et le sentiment religieux. L'équilibre a été lent à s'établir et le Seigneur a eu patience! Et combien n'a-t-il pas encore patience avec nous! combien ne travaille-t-il pas encore avec tendresse et fermeté à compléter peu à peu ce qui est encore si incohérent!

Plus tard, le travail devient plus lent, en apparence du moins; on ne voit plus aussi facilement les progrès. Dans les maisons en construction le gros oeuvre s'achève très vite; ce qui prend du temps, ce sont les petits coups de marteau et de pinceau. Dans une statue, assez rapidement le ciseau de l'artiste a esquissé les contours d'un homme; mais pour les derniers traits, pour l'expression, pour le fini, pour les plis des étoffes, que de peines et que de temps! Ainsi aussi, pour la croissance physique, il y a un âge ou l'on voit pousser les enfants; plus tard, le travail est plus interne; de même quand l'Esprit de Dieu peut en venir au perfectionnement lui-même, c'est-à-dire au travail de coordination des vertus communiquées, aux coups d'estompe, oh! il semble quelquefois à l'âme impatiente qu'elle n'avance plus.

D'autres peut-être s'en aperçoivent; ils voient bien que l'humilité et la charité grandissent. Et si l'âme est fidèle à se livrer toujours plus à Dieu en employant les moyens de croissance, c'est-à-dire de grâce, qui sont la prière, la Parole divine, la communion fraternelle; si elle ne se soustrait pas à la main du divin artiste, même lorsque, armé du ciseau de l'épreuve et des humiliations, il doit encore faire voler en éclats ici tout un morceau de coeur, là une excroissance qu'on prenait pour un élément de beauté et qui était plutôt une difformité, oh! soyons sûrs que le travail de perfectionnement se continuera! L'Esprit passe et repasse dans tout cet être nouveau en ajoutant ici, en ôtant là, en nuançant, en proportionnant, en fondant les éléments ensemble sans les affaiblir, et en élaborant ainsi peu à peu cette harmonie des contraires qui, en Dieu, en Christ, dans la Bible et dans l'homme de Dieu, est le dernier mot de la perfection.


V.

Pour se rapprocher d'un tel but, il n'est rien que nous ne devions être prêts à accepter, et, s'il le faut, à souffrir, surtout quand on sait qui est Celui qui fait souffrir. Et c'est là ce que nous diraient encore nos devanciers, dont j'ai évoqué le bienfaisant souvenir. Parvenus de l'autre côté du voile, dans cette pleine lumière qui leur révèle tout le secret des voies de Dieu, dans la gloire réservée à l'homme, oh! Avec quelle éloquence et avec quelle pénétrante tendresse ne nous conjureraient-ils pas de nous livrer au Père des esprits, au Créateur et Recréateur de l'homme, afin que tout son bon plaisir puisse s'accomplir en chacun de nous!

Ceux d'entre nous qui hésitent à renoncer à eux-mêmes, par peur de cette mort indispensable qui doit précéder la vie nouvelle, oh! combien ils les supplieraient de ne pas se laisser arrêter par une crainte qui est une suprême folie et la pire injure qui puisse être faite à Dieu!

À ceux qui souffrent, mais à l'école divine, dans le laboratoire de Dieu, à ceux que le Seigneur met et remet au creuset pour dégager l'or pur de ses gangues, à ceux qui, dans l'atelier du divin sculpteur de l'âme, aujourd'hui même sentent douloureusement les blessures que fait le ciseau de l'épreuve et des tribulations, oh! avec quelle sympathie, s'adressant à eux, ne leur diraient-ils pas: «Courage, frères! courage, soeurs! ces souffrances, c'est l'enfantement, non plus pour vous de l'homme nouveau, car il existe, mais de la perfection de cet homme qui s'élabore dans la douleur, comme pour Jésus-Christ. Et, ajouteraient-ils, si Jésus a pu dire de la femme «qu'elle oublie vite sa douleur quand elle a mis un homme au monde.»

«Oh! combien un jour, bientôt, par la vue n'oublierez-vous pas, et combien, aujourd'hui déjà par la foi ne devez-vous pas oublier vos souffrances, en pensant que le Seigneur va faire tomber le voile, et laisser apparaître tout son travail, c'est-à-dire tout son Christ en vous.»

À ceux qui, pour avoir négligé depuis longtemps les moyens de grâce, ou pour avoir résisté à Dieu sur un point précis de vie chrétienne, ont compromis et arrêté le travail de Dieu dans leur âme, de sorte que l'homme nouveau, s'il est encore là, n'est qu'un pauvre enfant rachitique et difforme qui ne fait pas honneur à son père, que diraient nos devanciers, eux qui furent des hommes, si certainement hommes, des enfants de Dieu si authentiques?

Sachant qu'en tout temps, et plus que jamais à notre époque, il faut plutôt à Dieu des faits que des discours, des hommes vraiment hommes que des portraits de Christ habilement dessinés, oh! comme, au nom de la gloire de Dieu, des besoins de notre époque et du salut des âmes, nos devanciers supplieraient ces frères égarés de se remettre dans les conditions normales de vie, pour que l'homme nouveau puisse reprendre en eux son développement normal. Ainsi seraient rétablies ces belles proportions où vertu, justice, bonté, fermeté, tendresse, amour, sainteté, oubli de soi-même, préoccupation de la seule gloire de Dieu et du bien de l'humanité, humilité et autorité, simplicité et grandeur, horreur du mal et pitié pour le pécheur, tout se rencontre, se combine et se concilie, pour reproduire la pensée éternelle de Dieu à l'égard de l'homme et inspirer à l'homme dégénéré le désir de la voir enfin s'accomplir en lui!

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