Vernezobre malgré l'orage qui approche
continue, avec un redoublement d'activité,
l'exercice de son ministère. Aux environs
d'Uzès, il préside de nombreuses
assemblées. À l'une d'elles, le 6
Octobre 1750, trois ministres fonctionnent :
Du Bosc, Martin et Vernezobre, “merveille qui
ne s'était pas vue depuis la
Révocation dans un pays
célèbre pour les fréquentes
descentes de soldats, procès-verbaux,
condamnations et prisons ".
(1)
Mais le mois suivant, les soldats des
dernières guerres arrivent en Languedoc et
des détachements sont installés en
campagne. La sûreté du pasteur devient
précaire et la tenue des assemblées
extrêmement dangereuse.
Dès le 22 Novembre,
l'événement redouté se
produit, l'assemblée que préside
Vernezobre est surprise par les soldats.
Laissons-le parler de cette affaire dans une lettre
adressée au comte de St Florentin, à
Versailles, et à l'intendant Le Nain,
à Montpellier.
Monseigneur,
Engagé comme je le suis et par le caractère de ministre de l'Évangile et par la qualité de sujet de Louis le Bien-Aimé, à concourir avec mes collègues au maintien de la vérité, de la justice et de la paix du royaume en général et de la province du Languedoc en particulier, j'ose espérer que Votre Excellence recevra en bonne part la liberté que je prends de lui tracer un tableau fidèle des événements tragiques et moins, arrivés le 22 Novembre dans l'arrondissement d'Uzès.
Les protestants d'Uzès et des lieux voisins s'étant assemblés selon leur coutume dans une place déserte éloignée d'une petite lieue de la ville pour y célébrer le culte, furent investis environ l'heure de midi par cent trente soldats du régiment de l'Île de France, par les cavaliers de la maréchaussée qui composent la brigade de Remoulins et un huissier de justice.
À leur tête était M. le Major de Mison, M. le subdélégué et son secrétaire. Un moment avant que cette troupe parût, quelqu'un vint annoncer qu'un détachement de dix hommes s'avançait vers le lieu où l'on avait commencé de célébrer le service divin.
D'abord je proposai à l'assemblée de changer de place et de se transporter plus loin, mais à peine eut-elle fait quatre cents pas qu'elle vit paraître un officier monté sur un rocher et environné de cinq ou six soldats. À la vue d'un objet si surprenant, j'exhortai les protestants qui composaient la dite assemblée à implorer le secours du ciel, à n'user d'aucune violence, à prendre le parti de la soumission et de la fuite.
Dès qu'ils commencèrent à s'acquitter du premier chef de mon exhortation, cet officier qui s'était montré le premier comme s'il se trouvait en pays ennemi, fit un grand signe de son chapeau pour obliger toutes les troupes que l'on avait dispersées deçà et delà autour de la montagne à venir nous envelopper tous. Il fut certainement mieux obéi que s'il avait fallu aller combattre contre les ennemis de l'état. Dans l'espace d'une demi-lieue à la ronde, on ne voyait que des gens armés semblables à des tigres et des lions, venant fondre avec la rage dans le coeur, la fureur dans les yeux, et le blasphème à la bouche, sur un nombre supérieur de chrétiens occupés au service de Dieu, et faisant les plus terribles efforts pour renfermer ces innocents avec leur ministre dans un cercle qu'ils avaient formé afin qu'aucun ne pût leur échapper et surtout le ministre pour l'enchaînement duquel un archer avait apporté des cordes et des fers ; mais je montai promptement à cheval et ayant pris en croupe mon proposant, j'eus le bonheur de passer par une ouverture du cercle qu'un détachement s'empressait de venir fermer, plus de cinquante fidèles passèrent aussi avec moi, on nous poursuivit longtemps en criant “à celui du cheval"
À mesure que nous nous éloignions du danger, nous avons entendu non seulement des cris effroyables mais encore divers coups de fusil. Tous ceux qui entreprirent de se sauver par la fuite furent poursuivis à outrance, quelques-uns échappèrent à la faveur de leur jeunesse et de leur agilité ; deux hommes, incapables de faire le moindre mal à personne, étant parvenus aux extrémités du cercle, furent arrêtés par des soldats inhumains qui les maltraitèrent à coup de culasses. Ils mirent le plus âgé dans un état de compassion et non contents de n'avoir aucun égard à leurs larmes et à leurs prières, brisèrent en leur présence un fusil pour avoir le barbare plaisir d'en accuser les pauvres patients.
Tous les autres protestants qui s'étaient réunis dans le centre du cercle avaient pris le parti de se laisser prendre comme agneaux, aimant mieux se livrer ainsi plutôt que de fournir par une fuite légitime un prétexte de rébellion. Au bout de deux heures, les chefs jugèrent qu'il était temps de faire battre deux tambours pour rassembler les fiers instruments et les tristes victimes de leur malice. Pendant qu'on sonnait la retraite, on voyait encore des soldats acharnés à une longue poursuite, mais peu à peu tous se rendirent devant le commandant et le subdélégué. Chacun remit des prisonniers entre les mains de ces messieurs. Quand ils virent la quantité prodigieuse d'hommes et de femmes et d'enfants qui avaient bien voulu se laisser amener sous leurs yeux, ils s'en trouvèrent fort embarrassés.
Le poids de cet embarras fut sans doute une des raisons pour lesquelles ils donnèrent sur le champ la liberté à plusieurs et les renvoyèrent loin du théâtre de leurs misères. Ils en gardèrent cependant environ deux cents qui furent réservés pour être produits en spectacle et que l'on conduisit hors du désert jusqu'à la prison, les hommes devant et les femmes derrière, pendant la marche chaque prisonnier garda son rang.
Tous louaient Dieu qu'il n'y eût point eu de rébellion et que le ministre n'eût aucun mal.
Comme cette multitude de captifs volontaires approchaient d'Uzès, messieurs les conducteurs voulant rendre leur triomphe plus éclatant détachèrent un soldat pour aller chercher du renfort à la ville. Le reste des huit compagnies composant la garnison vint rejoindre la troupe et les prisonniers. Jugez, Monseigneur, d'une telle démarche sur l'esprit des habitants de l'une et l'autre communion qui avaient toujours cru que la différence de sentiments en religion n'empêchait point d'être de bons français.
On continua à marcher vers la ville et à suivre le chemin de la prison, triste spectacle qui fit frémir les gens qui étaient présents, les plus honnêtes gens d'entre les catholiques romains en furent tellement troublée qu'ils dirent tout haut qu'on n'avait jamais vu une pareille barbarie. Cela n'empêcha pas d'emprisonner tous les prisonniers sans excepter personne, pas même trois ou quatre femmes qui avaient des enfants à la mamelle. On envoya chercher leurs enfants à la campagne et on les fit prisonniers avec elles. Pourtant le même soir un prêtre compatissant fait délivrer plusieurs prisonniers, d'autres personnes charitables en font de même et il reste alors un peu plus de cent prisonniers. Veuillez... ..."
Cette lettre éloquente et mesurée
recueille un écho auprès des
autorités. De Versailles, le comte de St
Florentin, quoique étant l'homme des
jésuites, écrit à l'intendant
du Languedoc pour blâmer la brutalité
des soldats. Il demande qu'on ne retienne seulement
que les prisonniers de condition et ajoute
cette réflexion en somme
assez sage : "On aurait dû porter tout
l'effort sur la prise du ministre".
(2)
Quelques jours avant (3), Chambon,
le
subdélégué d'Uzès,
avait informé l'intendant qu'il avait
dû relâcher quelques prisonniers
tombés sérieusement malades. Nous
avons pu retrouver aux archives de Montpellier la
liste des prisonniers qu'il a interrogés et
jugés. La voici :
1° Cinq hommes conduits aux
galères.
2° Deux femmes enfermées à la
tour de Constance.
3° Seize hommes plus amplement
informé.
4° Dix-huit femmes plus amplement
informé.
5° Quatorze hommes et femmes à
élargir suivant le jugement.
(4)
Suivent les noms, le lieu de naissance et
l'âge des prévenus. Quinze de ces
prisonniers étaient âgés de
douze à seize ans. La liste comprenait un
dragon de la compagnie du Vigan
(5).
Pour obtenir
la libération de son
subordonné, le Lieutenant du
détachement dut échanger toute une
série de lettres avec l'intendant et
d'autres personnages haut-placés
(6).
Le 24 Décembre 1750, l'intendant Le Nain
confirme le jugement de son
subdélégué Chambon et au
surplus inflige à l'arrondissement
d'Uzès l'amende énorme de 2828
livres, répartie sur les différents
villages que l'on savait gagnés à la
foi réformée.
Six mois après ce jugement, une lettre de
Temple, subdélégué de
Nîmes, révèle que trente
prisonniers sont encore retenus au fort de
Nîmes et qu'ils ne sont relâchés
peu à peu qu'après avoir promis de
faire baptiser leurs enfants par les curés
(7).
Cette affaire avait provoqué une grande
indignation même dans les milieux
catholiques. Une dame noble catholique,
probablement Madame d'Aubussargues, prit la
hardiesse d'envoyer une protestation auprès
de l'évêque d'Uzès.
"Il n'est rien de plus faux ni de plus contraire à la vraisemblance que cette prétendue rébellion car comment des personnes timides qui n'avaient aucune sorte d'armes, qui venaient d'être exhortées par le ministre à n'user d'aucune violence et à se soumettre, par respect pour le roi, auraient-elles pu se révolter contre les soldats animés à les détruire par un commandant de fortune et qui croyait par ce moyen de l'augmenter.
Votre grandeur sait d'ailleurs qu'il n'y a pas beaucoup de foi à ajouter aux témoignages de la soldatesque qui, n'ayant pour l'ordinaire aucun principe de religion et d'honneur, ne craint point le parjure et qui, parce qu'on lui fait entendre que les biens des Huguenots lui seront abandonnés au pillage, se porte aisément à des extrémités."
Au début de 1751, malgré les efforts
de la cour, le protestantisme n'avait pas
été abattu.
Pourquoi ? un espion (8) au
service du roi nous
fournit la
réponse :
"Parce que vous n'avez pas encore chassé les ministres de cette secte. Quand il n'y aura plus de pasteurs, il n'y aura plus de baptêmes et de mariages au désert. Les enfants qui cesseront d'être catéchisés ne suceront plus avec le lait pour ainsi dire des préventions que l'âge fortifie et qu'on a peine à détruire".
Ce raisonnement était très juste
car il est évident que l'action des
ministres a été pour
beaucoup dans la
résistance persévérante des
protestants.
Il y avait en outre pour expliquer cette
résistance le fait que le clergé,
détenant seul l'état civil, l'enfant
réformé, non présenté
devant lui, était déclaré
bâtard et vivait hors la loi. Si l'existence
d'un groupe de sujets non incorporés dans le
royaume constituait une atteinte à la
souveraineté de l'état, il favorisait
d'autre part la conservation de l'unité et
de la solidarité des protestants.
Le gouvernement au début de 1751 prend
à coeur d'arrêter ce scandale. En
Languedoc, St Prieuet, successeur de Le Nain,
promulgue au mois d'Avril une ordonnance qui
interdit formellement aux protestants de se marier
au désert et d'y faire baptiser leurs
enfants. Un délai de quinze jours leur
était accordé.
Sur le conseil des pasteurs, presque tous les
protestants refusent de se rendre à
l'église romaine. St Prieust vient en
personne à Nîmes lire son
décret devant les principaux protestants
convoqués ; il vient aussi à
Uzès mais les fidèles de Vernezobre
s'abstiennent de venir. C'est alors dans cet
arrondissement, comme dans tout le Languedoc, le
signal du recours à la force. Chaque
curé est chargé de fournir une liste
d'insoumis et de délinquants. Rien
n'était plus facile. Il y eut de terribles
châtiments.
Vernezobre écrit en Août :
"Le feu de la persécution s'est rallumé plus fort que jamais dans mon quartier et la flamme du feu a déjà embrasé quelques contrées voisines en sorte que les maisons deviennent désertes, les déserts se remplissent de fugitifs pendant la nuit, les prisons regorgent de captifs, les enfants sont arrachés avec violence d'entre les bras de leurs parents, les fabriques tombent, le commerce dépérit, la consternation, l'effroi et le découragement ont saisi les esprits"
Et il cite cet exemple de cruauté révoltante :
"Un huissier nomme Coulet et d'autres personnes entreprenant d'enlever des bras de Madame Verdier, née Dubosque, l'enfant qu'elle allaitait dans la prison, furent repoussés par cette généreuse mère qui tint ferme son enfant en poussant des cris qu'on entendait bien loin hors de la prison, jusqu'au moment ou ne pouvant plus soutenir les efforts réunis de ces malheureux, elle tomba évanouie et leur laissa la liberté d'aller faire rebaptiser l'enfant qui mourut peu après des violentes secousses auxquelles il venait d'être exposé "
À la vue des protestants
irrités et quittant leurs demeures pour se
réfugier dans la solitude des bois, les
catholiques prennent peur Le souvenir des camisards
ne s'est pas encore éteint dans les
esprits, St Prieust devine le
danger. Il envoie à ses
subdélégués une circulaire
dans laquelle il prévient les protestants
qu'ils se font illusion s'ils espèrent que
le roi changera de sentiment à leur
égard, mais il leur annonce une
concession : "Je veux bien leur donner un
délai afin que ceux qui ont pris l'alarme se
rassurent et reviennent dans leur maison continuer
la culture de leurs terres et de leurs
récoltes".
(9)
Les protestants plus rassurés reviennent,
mais hélas à peine arrivés,
ils sont victimes de nouveaux massacres
isolés dans certains villages. La situation
est trop tendue pour qu'une explosion
n'éclate pas.
Le gouvernement dont le sens politique est plus
avisé que celui du clergé le
comprend. Le secrétaire d'état
Florentin écrit à l'intendant :
"
Ce sont toutes les rigueurs qui ont causé
les désordres et non la tolérance que
le clergé reproche assez ouvertement au
gouvernement. Les lois pénales qu'il ne
cesse de réclamer ont toujours
été exécutées. Mais
l'expérience de tous les siècles
montre assez qu'elles ne suffisent pas pour
extirper l'hérésie, et que la
douceur, la patience et la charité sont les
véritables moyens que la providence a
elle-même employés et qu'elle a
laissés aux pasteurs pour
l'établissement de la foi".
(10)
Ces paroles pleines de bon sens, quoique
inspirées par un souci d'ordre politique,
étaient plus chrétiennes que les
prédications des évêques.
Mais St Prieust engagé dans la lutte
était décidé à la
terminer par une victoire. Il renouvelle ses ordres
à tous les subdélégués
et installe de nouveaux soldats dans tous les
villages.
Le 12 Mars 1752, Vernezobre avait réuni
près de Blauzac
(11)
une
assemblée de quinze cents à deux
mille personnes environ. Le culte était
à peu près terminé lorsque les
guetteurs viennent signaler que deux compagnies de
dragons s'avancent en toute hâte. Vernezobre
recommande immédiatement aux assistants de
se disperser et surtout de ne pas se diriger vers
la ville afin de ne pas rencontrer les soldats. La
plupart des assistants suivent ce conseil, mais
quelques imprudents croyant avoir le temps de
rentrer en ville sont appréhendée par
les soldats sur la route
(12).
Il y eut
neuf arrestations et un certain nombre de
rançonnés.
Le rapport présenté à
1'intendant mentionne que l'on arrêta un monsieur
vêtu de gris qui paraissait être le
ministre. La troupe avait été
divisée en trois corps pour mieux encercler
les fuyards. Le subdélégué
Chambon se rend le lendemain sur les lieux et
dresse un procès-verbal motivé. Pour
cette assemblée surprise l'intendant St
Prieust inflige au village de Blauzac une amende de
cinq cents livres et le condamne à payer
trois cent quatre-vingt-quinze livres, cinq sols
pour les frais de procédure.
(13)
Quand on arrive au milieu de l'année 1752,
les esprits sont au comble de
l'exaspération.
Vernezobre, fidèle à ses convictions
de non violence que lui avait inspirées
Court, à Lausanne, a fort à faire
pour lutter contre les deux dangers qui menacent
son église : l'apostasie et le
désir de se venger par la force. Rester
fortement attaché à la foi
évangélique et ne pas rendre les
coups qu'on porte tel est son programme, et celui
de la plupart de ses collègues, Rabaut en
particulier. Sa position est délicate et
sans sa vigilante autorité, les
religionnaires se livreraient à des
excès aux conséquences
néfastes. Aussi Vernezobre est-il
attaqué d'un
côté par les exaltés qui se
plaignent de sa modération, de son manque de
fougue, et d'autre part il est critiqué
violemment par tous les faibles et tous les
chancelants qui volontiers accepteraient de se
rendre publiquement à l'église pour
ne plus avoir à subir les rigueurs du
pouvoir.
Au mois d'Août commence ce qu'on a
appelé la terreur des prêtres.
C'était surtout les prêtres qui
portaient le poids de la haine publique. On les
regardait comme les grands responsables de la
persécution, et l'étude des documents
montre en effet que les contemporains ne se
trompaient pas.
Le 11 Août, le prieur de Ners
(14) est
tué d'un coup de fusil tiré suivant
la rumeur générale par le ministre
Coste. Comment l'affaire s'est-elle
passée ?
Deux versions opposées ont été
présentées et la vérité
n'a jamais pu être établie. Ce crime
provoque un grand émoi
dans le pays ; les prêtres dont
plusieurs ont déjà essuyé des
coups de feu prennent peur ; les protestants
sur lesquels viennent peser plus lourdement encore
les charges militaires conçoivent une grande
fureur contre leurs ministres. Le geste
forcené de l'un d'entr'eux retombe sur tous
les autres.
Vernezobre préfère se tenir à
l'écart afin d'éviter des
explications orageuses. La croix du ministre
s'alourdit. Aux poursuites incessantes des ennemis
vient maintenant s'ajouter la haine de ceux pour
lesquels il a donné sa vie.
Certes le pacifiste Vernezobre condamne l'acte
insensé de son collègue. Dans
plusieurs lettres, il parle de ce geste imprudent
avec une mauvaise humeur et une vivacité
fort compréhensibles. Aussi insiste-t-il
avec Rabaut pour faire fuir en exil le ministre
Coste qui d'ailleurs était sujet, par
intervalles, à des accès de
folie.
Mais cette terreur des prêtres est de courte
durée.
Le 29 Septembre, Vernezobre écrit à
Court :
"La frayeur chez les prêtres est presque passée. Des catholiques romains se sont excusés et sont venus demander la paix. Le curé de Garrigues qui avait offert un sac de louis à une femme si elle voulait bien me vendre au subdélégué d'Uzès, a pris la fuite, le curé de St Gervasy m'a demandé une assurance avant de retourner parmi ses paroissiens. Celui de Montaren a déclaré que jamais il ne referait ce qu'il a fait. Celui d'Arpaillargues, le plus coupable de tous, m'a fait dire qu'il reconnaissait m'avoir des obligations infinies. Quant à celui de Coulanges (15), après être retourné dans sa paroisse sur l'ordre de l'évêque, il a fini par obtenir son déplacement".
Quelque temps auparavant, Vernezobre avait eu le
courage de se rendre chez le prieur de Coulanges et
pendant une heure et demie lui avait parlé
du baptême des protestants. Démarche
téméraire puisqu'elle pouvait lui
coûter la vie, mais le prêtre,
touché par l'audace du prédicant, fut
assez chevaleresque pour ne pas le faire
arrêter.
Nous trouvons le récit de cette entrevue peu
banale dans une lettre de Vernezobre à
l'évêque d'Uzès
(16).
"Du désert à la hâte ce 18 Août 1752.
Monseigneur,
Il m'est revenu que le prieur de Coulanges disait à quiconque voulait l'entendre que je lui avais fait de grandes menaces et qu'en conséquence il craignait beaucoup de ma part je puis vous assurer qu'il a très mal pris ma pensée. Si parler à un homme avec toute la douceur et la politesse possibles, porter à ses yeux la lumière de la vérité et de l'intégrité, lui démontrer géométriquement des faits importants qu'il ignore ou qu'il veut ignorer, lui donner les avis les plus salutaires pour le corps et pour l'âme c'est le menacer grandement et lui donner sujet de me plaindre, votre prieur a raison, mais si au contraire ce sont là tout autant des actes d'équité, de bonté et de charité : voilà mon cas. Vous en jugerez s'il vous plaît de sang-froid, à tête reposée et sans aucun égard à rien qui soit étranger à l'Évangile par lequel nous devons tous être jugés un jour.
J'ai encore appris que certains membres de votre clergé inséraient qu'il y avait un complot formé entre mes collègues et moi contre la vie des prêtres.
Pour vous convaincre de la fausseté de cette insérance, je vous prie de faire les considérations suivantes :1° Sans être prophète, ni fils de prophète et sans entrer dans aucun complot, il est aisé de prévoir que les amendes, les confiscations de biens, les prisons, les galères, les supplices, les meurtres des protestants, les trahisons, les poursuites, les attentats contre leurs ministres et surtout les terribles violences exercées en dernier lieu contre eux pour les forcer à profaner le divin sacrement du baptême de leurs enfants et la sainte bénédiction de leur mariage, jetteraient nombre de gens dans le plus affreux désespoir et auraient infailliblement des suites très funestes
2° N'ayant Jamais fait de mal a personne, m'étant au contraire toujours appliqué à faire du bien à tout le monde, empressé même à conserver précieusement la vie de mes ennemis déclarés, de ceux qui ont fait attenter par trois fois sur la mienne dans le quartier d'Uzès dont les noms, les états et les stratagèmes me sont parfaitement connus. Comment pourrais-je comploter contre qui que ce soit, sortir de mon caractère pacifique et faire ainsi violence à mon inclination naturelle pour la paix.
3° Supposez que quelques-uns de ces protestants qui se croient autorisés à venger les outrages faits à la religion du Seigneur Jésus, viennent malheureusement à pénétrer dans le département que j'occupe et à y faire des ravages à mon insu, il y aurait de l'injustice à m'en attribuer la cause ou à m'en faire regarder comme l'auteur.
4° Si l'intervention du nom de Dieu peut rendre plus ferme la parole, je ne crains pas d'ajouter ceci Dieu m'est témoin que je n'ai formé aucun complot, que j'ignore parfaitement s'il y en a et qu'au cas où il y en aurait hors de mon district, l'intolérance les sacrilèges et les cruautés des prêtres en sont la principale ou l'unique cause.
Ne serait-il pas possible, Monseigneur, de ramener vos gens à la vérité et de les rappeler tous au devoir qui les concerne. Votre grandeur peut y contribuer
beaucoup. Qu'elle inspire à ses prêtres la piété, la charité envers le prochain, qu'elle leur impose de s'en tenir à l'égard des protestants à ce très bon conseil du sage Gamaliel "Ne continue plus à poursuivre ces hommes et laisse-les car si c'est un ouvrage des hommes, il se détruira de lui-même, mais si c'est un ouvrage de Dieu vous ne sauriez le détruire" et aussi de s'arrêter à ces judicieuses réflexions du philosophe païen : "On ne gagne rien, disait-il à l'empereur Julien, à vouloir forcer les consciences ni le servile fer ne fera jamais paraître vrai ce qu'on juge faux. Si la main sacrifie, le coeur désavoue. L'âme déplore la faiblesse de son corps et demeure toujours attachée au premier objet de son culte. Qu'arrive-t-il ensuite ? Vous le voyez : des maux qu'il importe de guérir promptement par les remèdes les plus convenables.
De mon côté j'offre sincèrement tout ce qui dépend de moi pour cette bonne oeuvre et j'ai l'honneur ...... "
Si nous avons retenu cette lettre à la fois énergique et respectueuse, c'est qu'elle nous montre bien quel était l'état d'esprit de Vernezobre. Certes le pasteur condamne avec véhémence tous les malheureux révoltés protestants et se désolidarise d'avec leur action, mais il ne manque pas d'affirmer fortement aussi la responsabilité des prêtres.
Il conserve dans le coeur l'espoir tenace que le clergé abandonnera la persécution inhumaine. En lisant sa plaidoirie vibrante, on devine que la cause de la liberté de religion ne lui paraît pas à jamais perdue.
Tout en dégageant sa responsabilité en cas d'incidents futurs, il souligne avec clarté quelle serait la ligne de conduite habile qui mettrait fin à tous les risques de conflits. Mais la Cour soumise à la pression du clergé ne pouvait modifier l'attitude qu'elle observait depuis la révocation de l'Édit de Nantes.
Cette lettre obtient cependant quelques légers résultats. Les paroles des prêtres sont désormais sérieusement contrôlées, ils reçoivent l'ordre de ne pas être plus royalistes que le roi. Vernezobre remarque quelques progrès qu'il note dans ses lettres à Court. Il faut d'ailleurs constater que quelques ecclésiastiques catholiques désapprouvaient la conduite de leurs confrères et manifestaient un dégoût à peine dissimulé pour les méthodes de force. Ils nourrissaient du respect, voire de la sympathie pour les ministres réformée.
Vernezobre, dans une lettre écrite à Court, narre sa rencontre avec l'un d'entr'eux :
"Sur les instances réitérées du prieur d'Aubessargues extrêmement malade, je me suis enfin déterminé à aller lui rendre une visite d'amitié. Il serait difficile de vous exprimer avec quelle politesse, avec quelle bonté, avec quels transports de joie je fus reçu par cet ecclésiastique romain dont le caractère pacifique est si bien connu dans nos contrées qu'un de ses confrères, prieur d'Arpaillargues, fameux par ses mauvais offices contre les protestants, prit son nom dans le dernier voyage qu'il fit près de Lunel, croyant que c'était le meilleur moyen pour se mettre à couvert de tout fâcheux accident de la part des gens qu'on appelle nouveaux barbets.
Notre conversation roula uniquement sur des matières de morale relatives à sa triste situation de prêtre qui se disait mon ami depuis longtemps.
La brièveté, les misères de la vie, le néant de toutes les choses du monde, la corruption et la dépravation du siècle présent, la nature et la nécessité de la repentance, de la prière, d'une parfaite soumission à l'ordre de la Providence et d'une continuelle préparation à la mort et au jugement, furent les principaux sujets de nos réflexions.
Les larmes et les protestations de la plus sincère amitié, les voeux les plus ardents et les plus sacrés, l'invocation du saint nom de Dieu pour obtenir la grâce sans laquelle aucun pécheur, soit catholique, soit protestant, ne peut être sauvé, firent la conclusion de ma visite.
Je remarquai chez cet homme affligé, trois choses qui se trouvent rarement chez les gens de cet ordre :1) une assez grande connaissance de l'Écriture sainte
2) une grande humilité
3) un grand fond de bonté pour tout le monde et dont, il venait de donner une preuve sensible en recommandant à ses exécuteurs testamentaires de distribuer également aux catholiques et aux protestants le don qu'il faisait aux pauvres en général.Parmi les aveux que je retirai de ce prêtre moribond, en voici un : levant la main au ciel, il dit :
"Mon cher Monsieur, je reconnais et nombre de prêtres reconnaissent comme moi que nous vous avons - et à Monsieur Paul Rabaut aussi - de très grandes obligations. J'ai toujours abhorré et j’abhorre encore les violences de la persécution. En un cas de malheur vous auriez bien pu venir avec confiance dans mon presbytère et j'aurais défendu votre vie au dépens de la mienne". (17)Cette lettre qui nous montre un type de prêtre remarquable pour l'époque, nous laisse aussi entrevoir que la sécurité des routes dans le Languedoc était loin d'être assurée malgré la présence de garnisons nombreuses un peu partout.
Pour aller d'Uzès à Lunel, il n'y a pas à traverser des passages montagneux difficiles à défendre. Et pourtant le prieur d'Arpaillargues ne pouvait pas voyager sous son propre nom sans courir de grands risques. C'est dire que la population devait être au paroxysme de l'irritation.
La mention de nouveaux barbets nous permet de supposer qu'il eût fallu peu de chose pour que les luttes violentes du temps des camisards reprennent dans la région. Le danger était grave. Peut-être n'a-t-on pas assez insisté sur l'action efficace de cette poignée de pasteurs tels que Vernezobre et Rabaut qui ont réussi à maintenir les réformés dans une attitude de résistance passive. Une partie du clergé à su reconnaître leurs efforts dans ce sens. L'exemple de l'excellent prieur d'Aubussargues le prouve.
N'est-ce pas d'ailleurs à ce prix que les ministres non martyrs ont pu conserver leur liberté ? Car il paraît bien que si les pouvoirs publics, le clergé et la population catholique dans l'unanimité la plus complète avaient voulu s'emparer des pasteurs, aucun d'eux n'aurait échappé.
1) Lettre de Pradel à Court, Octobre 1750
2) Lettre du vicomte de St Florentin à Le Nain, intendant du Languedoc, archives de Montpellier, 229.
3) Lettre du 7 Décembre 1750. Archives de Montpellier
4) "État des prisonniers qui sont actuellement aux prisons d'Uzès pour fait de l'assemblée tenue le 22 Novembre 1750
5) Sous-préfecture du département du Gard.
6) Toutes ces lettres sont contenues dans le dossier 229 aux archives de Montpellier.
7) Lettre du 10 Juillet 1751.
8) Sans doute Puechimille.
9) Ordonnance publiée le 1er Septembre 1751.
10) “Les églises du désert". Coquerel, tome II, p. 48.
11) Village du diocèse d'Uzès.
12) Lettre de Pradel à Court, 26 Mars 1752.
13) Tous les documents se trouvent aux archives de Montpellier 233.
14) Village des environs d'Alès.
15) Tous ces villages font partie du diocèse d'Uzès.
16) Vernezobre communiqua la copie de cette lettre à Court le 17 Octobre 1752.
17) Lettre à Court, 22 Novembre 1752. Mn. Court.
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