Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

LA SITUATION ECCLÉSIASTIQUE APRÈS LA RÉVOLUTION DE 1848

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Le bouleversement, causé par la révolution du 1er mars 1848, devait nécessairement avoir son contrecoup dans les institutions ecclésiastiques du pays: le principe démocratique qui s'affirmait, ne pouvait laisser subsister un régime où les laïques n'avaient aucune part au gouvernement de l'Église, et le principe de la séparation des pouvoirs réclamait une démarcation plus nette du domaine civil et du domaine religieux.

Mais dans quel esprit et dans quelles conditions cette transformation se ferait-elle? Ceux qui portaient intérêt à l'avenir religieux de la nation, se le demandaient avec inquiétude. Il faut reconnaître que les circonstances étaient peu favorables pour un examen calme de la situation. Les questions ecclésiastiques ont toujours le sort d'exciter les passions et de provoquer des débats irritants dans les assemblées politiques. Mais, au lendemain de la révolution, les causes de trouble étaient si nombreuses qu'elles rendaient presque impossible une appréciation calme et impartiale de la situation.

D'une part, la grande majorité, presque l'unanimité du corps ecclésiastique, était fermement attachée à l'ancien régime, dont elle avait vu la chute avec les plus vifs regrets; la Classe avait administré l'Église en toute liberté depuis la réformation; les rois de Prusse s'étaient montrés bienveillants pour elle, ils avaient singulièrement amélioré la situation matérielle des pasteurs, et, depuis longtemps déjà, aucun conflit de compétence n'avait troublé les rapports entre le gouvernement et l'autorité ecclésiastique. Maintenant que toutes les institutions existantes étaient renversées ou ébranlées, la Classe se rendait compte que d'importantes modifications allaient être apportées dans le régime de l'Église; elle se demandait avec anxiété jusqu'où iraient ces réformes et s'il resterait quelque chose de cette ancienne tradition dont elle avait été le gardien vigilant. Sa position aurait été plus facile, si elle s'était sentie appuyée par l'ensemble de la population; mais, si les pasteurs individuellement jouissaient de l'estime et de la considération de leurs paroissiens, la Classe elle-même était très peu populaire; les laïques ne s'intéressaient guère à ce gouvernement ecclésiastique auquel ils n'avaient aucune part et dont ils recevaient des conducteurs spirituels, sans pouvoir même exprimer leurs préférences; on se demandait ce que les pasteurs pouvaient bien avoir à délibérer chaque mois dans ces séances à huis clos du conclave, dont rien ne transpirait au dehors; l'esprit de corps, qui avait fait la force du clergé, lui avait aliéné bien des sympathies; on envisageait qu'en défendant les intérêts religieux, les pasteurs défendaient leur propre cause et l'on voyait de mauvais œil les consistoires admonitifs et seigneuriaux. Tous ces griefs réunis contribuaient à laisser la Classe dans un certain isolement, et même dans le parti politique auquel adhéraient ses membres, elle ne trouvait pas l'appui sur lequel une Église vraiment populaire aurait pu compter.

Les républicains, qui venaient de conquérir le pouvoir, savaient très bien que les pasteurs étaient des adversaires de la révolution; ils leur reprochaient vivement d'avoir donné, quelques mois auparavant, leur assentiment à la politique du gouvernement dans l'affaire du Sonderbund; aussi furent-ils dès l'abord décidés à supprimer la Classe, comme étant un corps privilégié dont les tendances et les principes leur paraissaient incompatibles avec les institutions démocratiques, et on ne devait pas s'attendre à trouver chez des hommes qui venaient de faire table rase du passé, un grand souci de respecter les traditions historiques et de ménager les transitions.

Il serait difficile d'imaginer des conditions plus défavorables pour entreprendre la réforme d'institutions ecclésiastiques vieilles de trois siècles et pour créer une organisation qui tint compte de l'esprit nouveau, tout en maintenant du passé ce qui avait encore sa raison d'être. On pouvait s'attendre aux conflits les plus graves; une crise ecclésiastique, analogue à celle qui avait troublé le canton de Vaud trois ans auparavant, aurait eu à Neuchâtel plus de gravité encore, puisque le parti royaliste aurait selon toute probabilité fait sienne la cause des pasteurs; le gouvernement aurait dû sévir et il est impossible de prévoir quelles auraient été les conséquences de mesures de rigueur, dans un moment où les passions étaient aussi surexcitées.

Si le conflit fut évité, on le doit à la prudence de quelques hommes modérés, dont l'influence prévalut, soit dans la Compagnie des pasteurs, soit au conseil d'État, et qui réussirent à trouver une conciliation acceptable, la seule possible peut-être dans les conditions du moment.

Le 5 avril se réunissait l'assemblée constituante pour discuter un projet de constitution, élaboré par M. Piaget. Les partisans de l'ancien régime, envisageant qu'ils étaient encore liés par leur serment, n'avaient point pris part à l'élection, de sorte que l'assemblée se trouva composée exclusivement de députés républicains, à l'exception de M. Henri d'Ivernois. Ce même 5 avril, le roi de Prusse, par une lettre patente que M. Ch. Lardy apporta de Berlin, tout en approuvant l'abstention de ses sujets fidèles, les autorisait «à ne prendre conseil que de la position et du bonheur de leur pays, sans se laisser arrêter par les liens qui les attachaient à lui.» Cette déclaration, assez amphibologique du reste, n'eut pas d'influence immédiate, car il fut décidé que la constituante se transformerait en premier grand conseil, chargé d'élaborer les premières lois et en particulier la loi ecclésiastique. «On peut juger, dit M. Grandpierre, que la constituante aurait été tout autre et ses décisions très différentes, si le parti royaliste mieux avisé eût participé aux élections et eût élu seulement vingt-cinq ou trente de ses hommes de talent.» (L. Grandpierre, Mémoires politiques, p. 581.)

La constitution, qui fut adoptée par le peuple le 30 avril, posait les principes d'après lesquels devait être modifiée l'organisation ecclésiastique. Après avoir garanti la liberté de conscience et le libre exercice du culte dans les limites compatibles avec l'ordre public et les bonnes mœurs (art. 14), elle chargeait le pouvoir législatif d'organiser l'Église.

Voici quels étaient les articles relatifs aux cultes:


- Art. 64. Tous les cultes, en ce qui touche le temporel, sont placés sous la suprématie du gouvernement.

La loi réglera les rapports de l'Église et de l'État.

La nouvelle organisation ne pourra jamais reconnaître ou constituer des corporations ecclésiastiques indépendantes du pouvoir souverain.

Les membres du clergé seront entendus. lorsqu'on procédera à cette organisation.


- Art. 66. Les biens et revenus de l'Église sont réunis au domaine de l'État, qui salarie les fonctionnaires ecclésiastiques relevant des cures auxquelles ces biens et revenus appartenaient.


Il résultait de ces dispositions que la Classe cessait d'être le corps directeur de l'Église, que le grand conseil aurait la mission de régler les rapports de l'Église avec l'État et que l'indépendance financière de l'Église serait remplacée par une inscription au budget de l'État.

C'était un changement complet des institutions antérieures; mais rien ne faisait prévoir encore ce que serait l'organisation que le pouvoir législatif était chargé d'élaborer, ni comment le programme qui venait d'être tracé serait réalisé; bien des systèmes très divers pouvaient rentrer dans ce cadre: ce pouvait être une Église inféodée à l'État, comme aussi l'Église pouvait conserver une indépendance relative, que l'incamération des biens ecclésiastiques rendait cependant assez précaire.

Les membres du clergé devaient être entendus, disait la constitution, lorsqu'on procéderait à cette organisation. Quelle attitude devaient-ils prendre? Il leur était bien difficile de s'orienter dans ces circonstances exceptionnellement difficiles; les deux partis en présence étaient aussi intransigeants l'un que l'autre; toute concession faite aux adversaires était traitée de défection et de reniement; les royalistes rejetaient avec mépris tout ce qui venait du nouveau gouvernement et les républicains étaient résolus à en finir avec tout ce qui rappelait l'ancien régime.

C'est alors qu'on put apprécier toute la valeur de l'homme qui, après avoir été quatre fois doyen de la Classe, allait diriger pendant dix-sept ans l'Église neuchâteloise. M. James DuPasquier était un homme d'Église dans toute l'étendue du terme; fermement attaché à la foi évangélique, il avait contribué plus que tout autre à faire pénétrer dans le clergé les doctrines du Réveil, tout en évitant les excentricités qui auraient provoqué des divisions; il avait prêté son concours aux œuvres religieuses nouvelles, quand il n'en était pas le promoteur; son éloquence naturelle lui avait valu une grande réputation, et ses hautes facultés le mettaient à même de comprendre les questions dans toute leur ampleur. Partisan de l'ancien régime, il ne voulait point cependant que la politique fût mêlée aux questions d'Église; l'avenir religieux de la nation lui tenait à cœur avant tout et il engageait le clergé à consentir à tous les sacrifices personnels, pourvu que la prédication de l'évangile fût assurée et que le ministère conservât sa dignité et son indépendance.

Il était l'homme désigné pour conduire les transactions avec le gouvernement dans ces jours difficiles et il avait un ascendant sur ses collègues qui lui rendait facile de calmer les ardeurs impétueuses et de modérer les esprits absolus.

Au reste, la Classe montra, pendant cette dernière année de son existence, un désintéressement et une sagesse que nous devons d'autant plus admirer, que plusieurs hommes politiques du parti royaliste la poussaient à la résistance et aux actes violents. Fidèle à son passé, elle mit au premier plan les intérêts du règne de Dieu; elle ne songea pas à défendre ses privilèges; elle comprit que ce serait un bien pour l'Église de se gouverner elle-même et elle facilita singulièrement par son attitude la transition à un nouvel état de choses. Il faut dire qu'elle trouva dans le gouvernement quelques hommes animés d'un esprit vraiment libéral et qui eurent souvent de leur coté à résister aux intransigeants de leur parti. Si les opinions de M. Steck l'avaient emporté, une crise violente était inévitable; mais MM. Piaget, Georges DuBois et Aimé Humbert prévinrent le conflit et rendirent possible une transaction qui fut heureuse et assura à notre pays plusieurs années de paix religieuse.

Une brochure, due à la plume d'un des membres influents du jeune clergé, M. L. Henriod, pasteur à Valangin, et publiée en avril 1848, tôt après l'adoption de la constitution, fait connaître quels étaient à ce moment les sentiments de la Classe. (L'Église réformée de Neuchâtel. Qu'a-t-elle été? Que va-t-elle devenir? Neuchâtel, 1848.)

M. Henriod commence par relever les deux caractères distinctifs de l'ancienne Église neuchâteloise, qui avait été à la fois nationale et indépendante.

«Quoique nationale, quoique identique avec le peuple, elle a toujours été distincte de l'État, elle a toujours eu son libre développement; elle a possédé, elle possède encore une indépendance qui semble ailleurs un rêve et qui, si le fait n'était pas là, semblerait inconciliable avec la condition d'une Église nationale.» (Id., p. 19, 20.) C'est cette indépendance qui lui a permis de demeurer une Église évangélique et de conserver à la nation tout entière, comme un précieux trésor, la pureté de la doctrine.

Mais M. Henriod reconnaît qu'une réforme s'impose. «Il y a dans l'Église un noble dessein de protester contre l'idée que les ministres seuls sont ecclésiastiques, que toute l'autorité doit être entre leurs mains. On sent de nos jours, de plus en plus, que le laïque est un membre actif de l'Église et qu'il doit avoir sa part dans son administration.» (Id., p. 26.)


M. Henriod, qui écrivait avant qu'aucun projet de loi ecclésiastique n'eût été élaboré, expose de quelle manière il envisage que le changement pourrait s'opérer; un synode, composé de pasteurs et de laïques délégués par les paroisses, s'occuperait essentiellement des intérêts temporels de l'Église: paiement des pasteurs, création de nouveaux postes, gestion des fonds, discipline ecclésiastique; la Compagnie des pasteurs resterait chargée de tout ce qui est du domaine spirituel, études théologiques, consécration des ministres, jugement des pasteurs, pour tout ce qui tient à leurs fonctions, adoption des livres liturgiques et fixation des formes du culte.

Mais, si l'organisation de l'Église peut être modifiée, ce doit être par l'Église elle-même, et non par le grand conseil ou le conseil d'État. «Notre Église est assez forte pour supporter des changements même considérables; mais ce serait l'avilir, ce serait la tuer que de la soumettre à une autorité qu'elle n'aurait pas elle-même librement choisie et qui ne serait pas tirée de son sein. Si l'Église est privée de son indépendance, on verra bientôt au milieu de nous ce que l'on voit ailleurs, une dissidence d'autant plus menaçante qu'elle ne manquera pas de prétextes, peut-être même de raisons, pour se former, et cela avec les troubles, les agitations, les misères de tout genre qui sont la conséquence des schismes. La dissidence est antipathique à notre canton. Si nous voulons que notre Église soit nationale, et qu'en même temps elle soit digne, évangélique et riche en bénédictions, gardons-lui son indépendance, laissons-la, sinon dans sa forme et dans son organisation, du moins dans son principe, ce qu'elle a toujours été, une Église neuchâteloise, mais indépendante, sous la suprématie du gouvernement.» (Id., p. 30 et 31.)

M. Henriod exprimait dans sa brochure des idées qui devaient faire leur chemin; la Classe n'eut pas le loisir au premier moment d'examiner la position qu'elle prendrait dans la discussion qui allait s'ouvrir et où elle serait appelée à exprimer son opinion; son attention était absorbée par les conflits inévitables qui surgissaient fréquemment dans des temps aussi troublés et qui furent apaisés par l'esprit de conciliation et de prudence du doyen et de M. Piaget.

Cependant, le 20 septembre, la Classe, ayant appris que le conseil d'État s'occupait d'un projet de loi ecclésiastique, décida de nommer une commission de constitution (Cette commission était composée du doyen, du secrétaire, M. Perret-Gentil, et de MM. Guillebert, Diacon, Courvoisier, Henriod, Godet, Jeanneret et Delachaux.), chargée de déterminer sur quelles bases la Classe pourrait accepter la discussion. M. Godet présenta à cette commission un rapport, dont les conclusions, adoptées avec quelques modifications par la Classe, devaient être soutenues par ses délégués devant le conseil d'État. Une brève analyse de ce document inédit fera mieux comprendre les origines de la loi de 1849.

Le rapporteur prend pour point de départ les articles de la constitution, sur lesquels il n'y a pas à revenir:

La liberté des cultes est proclamée.

L'État a la surveillance et la police des cultes.

Les biens d'Église sont réunis au domaine de l'État.


Le grand conseil est chargé de déterminer par une loi les rapports de l'Église et de l'État.

Dans ces conditions, quelle pourrait être la répartition des pouvoirs que jusqu'ici le clergé détenait seul entre ses mains et qui doivent maintenant être attribués à l'État, à l'Église et à la Compagnie des pasteurs?

À l'État, comme défenseur des intérêts politiques et sociaux, revient la haute surveillance des cultes. Il administre les biens d'Église et, comme l'Église en est l'usufruitière perpétuelle, il lui en communiqué les comptes. Il peut toujours se faire représenter dans les corps directeurs de l'Église: les décrets et règlements ecclésiastiques, ainsi que les livres et manuels destinés au culte et à l'enseignement religieux, doivent être soumis à son examen et il ne les sanctionne que s'ils ne renferment rien de contraire à l'ordre public. Il a le droit de constater les connaissances scientifiques des candidats en théologie et même de faire donner un enseignement théologique, à condition que l'Église suit libre d'avoir le sien et de former ses futurs ministres. Il règle les conditions d'admission dans l'Église et d'exclusion de son sein.

Voilà ce qui revient de droit à l'État. Mais ce que la Compagnie ne peut Lui céder sans infidélité, c'est le triple dépôt du gouvernement de l'Église, de la saine doctrine et du ministère évangélique.

C'est à l'Église qu'il appartient de se gouverner elle-même; elle est formée des paroisses et elle a pour organe les consistoires et le synode.

La paroisse comprend tous ceux qui ont été admis à la ratification et qui ont célébré leur première communion dans l'Église réformée. Elle élit un consistoire qui fait les fonctions de conseil d'Église sous la présidence du pasteur et nomme les députés au synode. La Compagnie des pasteurs ne doit pas hésiter à remettre à la paroisse le droit d'élire les pasteurs et même de les soumettre à une réélection.

Le synode est composé de tous les pasteurs et d'un nombre double de laïques. Il reçoit et discute les rapports des paroisses; il crée de nouvelles paroisses, s'il y a lieu: il s'intéresse aux œuvres religieuses; il nomme le doyen, chef de l'Église neuchâteloise, ainsi que les professeurs de théologie, sur une triple présentation de la Compagnie des pasteurs; il charge une commission ecclésiastique de le remplacer entre ses sessions.

La Compagnie des pasteurs, enfin, après avoir sacrifié toutes ses prérogatives et ses privilèges, ne garde entre ses mains que ce qui concerne le ministère, soit les études théologiques, la consécration et l'agrégation des pasteurs et la discipline à exercer sur ses membres.

Ce plan d'organisation de l'Église était résumé en seize articles qui furent adoptés avec de légères modifications par la Classe et qui constituaient ce que la Classe envisageait devoir être la loi réglant les rapports de l'Église et de l'État.


1. L'État surveille tout ce qui se passe dans le domaine du culte public protestant au point de vue de la tranquillité et de la sûreté publiques.

2. Il administre les biens de l'Église protestante de concert avec une commission nommée par les représentants de cette

Église, à charge de pourvoira son entretien.

3. Chaque année cette commission rend compte de la gestion de ces biens au corps qui l'a nommée et qui a le droit de faire ses observations.

4. L'État peut refuser à un pasteur la mise en possession ou la continuation du temporel sur le fondement d'un délit politique ou civil reconnu par les tribunaux.

5. L'administration des affaires de l'Église protestante, confiée jusqu'ici à la Compagnie des pasteurs, est remise à un synode composé d'ecclésiastiques et de laïques.

6. Le conseiller d'État, directeur des cultes, peut assister aux assemblées du synode avec voix consultative.

7. Les règlements et arrêtés du synode sont exécutés par une commission nommée par lui, qui porte le nom de commission ecclésiastique et qui gère toutes les affaires d'Église dans les intervalles des sessions du synode.

8. Chaque paroisse élit son ou ses pasteurs.

9. La paroisse se compose de tous les habitants de la commune qui peuvent justifier de leur première communion dans l'Église protestante réformée.

10. Le synode a charge de régler tous les détails de l'organisation de cette Église.

11. Les règlements et arrêtés du synode doivent être transmis à l'État pour être sanctionnés par lui en ce qui le concerne.

12. L'État communique avec l'Église par le synode et sa commission.

13. L'assemblée des pasteurs a charge de veiller à tout ce qui concerne spécialement le saint ministère et la doctrine. Elle administre les fonds qui lui ont été légués.

14. Le directeur des cultes peut assister à toute réunion de l'assemblée des pasteurs.

15 Nul droit civil ou politique n'est attaché à la qualité de membre de l'Église protestante neuchâteloise, ainsi constituée.

16. Cette Église doit l'instruction religieuse à tous ceux qui la réclament pour eux et pour leurs enfants. Elle n'est tenue d'admettre à la ratification et à la première communion que ceux chez qui elle a reconnu les conditions d'instruction et de piété, nécessaires pour accomplir cet acte.

Le premier synode comptera 63 députés: 42 laïques nommés par les paroisses et 21 ecclésiastiques. Il sera présidé par le doyen.

Ce rapport et ces conclusions font voir quel esprit régnait dans cette Compagnie des pasteurs que plusieurs envisagent comme l'incarnation d'un cléricalisme d'un autre âge. Elle voyait clairement quelles modifications profondes devaient être apportées au mode de gouvernement de l'Église: elle les acceptait franchement et ne cherchait nullement à en restreindre la portée; confiante dans la puissance de l'Évangile, elle saluait comme un progrès la participation des laïques au gouvernement de l'Église. «Si jusqu'ici, disait M. Godet, le ministère a beaucoup donné à l'Église, peut-être le moment est-il venu où il recevra beaucoup de l'Église. Après avoir fait reposer l'Église sur le ministère. Christ veut que le ministère repose sur l'Église. Mais, ajoutait-il, ne permettons pas que l'Église absorbe le ministère par la suppression de la Classe.»

Telles étaient les mesures par lesquelles les pasteurs estimaient pouvoir conserver une Église à la fois nationale et évangélique, telle que le pays l'avait connue jusqu'alors.

Ce projet de constitution réalisait un progrès marqué sur l'état de choses antérieur, tout en tenant compte de la tradition historique. Le maintien de la Compagnie des pasteurs qu'il proposait, avait son parallèle dans le système ecclésiastique que venait d'adopter Genève.

L’événement allait prouver que la crainte exprimée par le rapporteur de voir l'État s'emparer du gouvernement de l'Église n'était pas chimérique et que la Compagnie des pasteurs avait agi prudemment, en s'y prenant à temps pour examiner la question.

Celui des conseillers d'État qui était alors chargé de la direction des cultes, M. Jean Steck, était, au dire de M. Aimé Humbert (A. Humbert A.-M. Piaget, T. I, p. 271, 419.), le plus radical, pour ne pas dire le seul radical parmi les membres du pouvoir exécutif. «Il avait passé plusieurs années à Berne dans la carrière de l'enseignement et il en avait rapporté des théories d'absolutisme gouvernemental, avec lesquelles il comptait mettre une fois pour toutes, le clergé à la raison.»

Il s'adressa, le 29 juillet, à M. J. DuPasquier pour lui demander communication du règlement de la Classe et fut très étonné d'apprendre que la Classe n'avait jamais eu ni loi organique ni constitution écrites et qu'elle ne suivait d'autre règle que la tradition ou les us et coutumes: il accepta l'offre du doyen qui se montrait disposé à lui donner verbalement tous les renseignements désirables. (Bulletin du grand conseil. T. II p. 394. M. Aimé Humbert dit que M. DuPasquier rédigea une esquisse de la constitution ecclésiastique à Neuchâtel en 58 articles (I. 423) Il se mit alors à rédiger un projet de loi en 220 articles qui mettait l'Église sous la dépendance complète de l'État: les pasteurs et les professeurs de théologie étaient nommés par le conseil d'État, les anciens par les préfets et la direction de l'Église était confiée à une commission dont les membres étaient choisis par le gouvernement. M. Steck tentait ainsi d'importer dans nos institutions le régime bernois, oppose à toutes les traditions neuchâteloises, et de faire de l'État l'évêque suprême de l'Église.

M. Humbert rapporte une entrevue que M. J. DuPasquier eut à cette époque avec M. Grandpierre, alors préfet du Val-de-Travers. Le doyen fut consterné d'apprendre que le gouvernement était décidé à supprimer la Classe et à remettre le gouvernement de l'Église à une commission de l'État; il déclara que ce serait pousser les pasteurs à des mesures extrêmes. M. Grandpierre convint que le conflit qui avait éclaté au canton de Vaud, trois ans auparavant, devait servir d'avertissement à tous, à l'État comme aux pasteurs, et qu'il avait été le résultat de fautes commises des deux parts. Mais il ajouta que, si les pasteurs voulaient s'opposer aux changements nécessaires dans l'organisation de l'Église, on ne leur permettrait pas de fonder une Église libre comme au canton de Vaud; le parti républicain réclamerait un décret de bannissement en masse et par mesure de sûreté publique, contre tous les pasteurs démissionnaires, et, comme les membres du conseil d'État ne voudraient pas donner les mains à ces mesures, ils se retireraient pour faire place à un nouvellement dont M. Steck serait l'inspirateur. (A. Humbert, T. 1, 419-423)

A la suite de cet entretien, M. J. DuPasquier reçut, le 30 octobre, communication du projet de loi de M. Steck, accompagné d'une lettre du conseil d'État invitant les pasteurs à se faire représenter à une conférence qui devait avoir lieu le 10 novembre. La Classe était déjà convoquée pour le 31 octobre pour la consécration des deux derniers ministres auxquels elle donna l'ordination, MM. James Lardy et Paul Matthieu; après deux jours de délibération, elle fut unanime à déclarer que le projet de loi était inacceptable; elle chargea sa commission constitutive de rédiger un mémoire justificatif qui fut lu et approuvé dans une nouvelle séance, le 10 novembre au matin, et que ses délégués présentèrent à la conférence de l'après-midi. Les membres du gouvernement se bornèrent à en écouter en silence la lecture et ils annoncèrent qu'ils feraient connaître leur réponse après qu'il en aurait été délibéré.

La situation était grave; si l'influence de M. Steck prévalait, la crise ecclésiastique était ouverte. Ce fut heureusement l'opinion modérée qui l'emporta: cinq jours après la conférence, arriva la réponse du conseil d'État accompagnée d'un nouveau projet de loi, totalement différent du précédent; M. Steck déclarait que c'était son dernier mot et que le gouvernement ne ferait plus aucune concession. Il est difficile d'admettre que le nouveau projet ait été rédigé en quatre jours. M. Piaget suivait avec attention le débat ecclésiastique, et, à ce que nous apprend M. A. Humbert, ce fut lui qui réduisit le projet de loi primitif d'abord à 85 articles, puis enfin à 72 articles.

Cette fois-ci, on s'arrangea de manière à ne plus laisser aux pasteurs le temps de délibérer; M. Steck demandait au doyen sa réponse dans les vingt-quatre heures, et il accorda avec peine un délai d'un jour.

La Classe convoquée en toute hâte se réunit le 17 novembre au matin; elle ne put prendre connaissance du projet que par une rapide lecture; elle constata avec plaisir que l'on avait adopté quelques-uns des principes qu'elle avait posés, mais elle avait encore de graves réserves à faire; elle chargea ses délégués de les présenter verbalement au gouvernement dans la conférence qui devait avoir lieu quelques heures plus tard. Elle ne connut le résultat de cette conférence qu'en prenant connaissance du projet de loi imprimé qui fut distribué trois jours après au grand conseil. Le 21, la Classe, sans se prononcer sur l'acceptation ou le rejet de ce projet, décida d'adresser au grand conseil un mémoire où seraient résumées ses observations. Ce mémoire, rédigé en hâte par le doyen, fut lu au grand conseil le 24 novembre, veille de l'ouverture de la délibération sur la loi ecclésiastique.


Dupasquier



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