Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRE DE PAUL À TITE.

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CCXCVII. Données historiques. Les anciens; exhortations et directions; la doctrine de la grâce; le saint; exhortations.


§ 1463. Le disciple auquel Paul écrivit cette courte lettre, n'est mentionné nulle part dans le livre des Actes, mais nous avons appris par l'épître aux Galates qu'il avait accompagné Paul dans son quatrième voyage à Jérusalem, et qu'il était païen de naissance (§ 1329). Nous apprenons ici qu'il avait été amené à la connaissance du Seigneur par le ministère de Paul. Un autre mot, comparé avec ce que l'apôtre dit ailleurs à Timothée, porte à conclure que Tite était jeune encore — (§ 1379); mais c'est là tout ce que notre épître ajoute de renseignements sur la personne de ce serviteur de Dieu.

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§ 1464. Le livre des Actes, dans la portion que nous en avons étudiée, ne fait aucune mention de quelque voyage de Paul dans l'île de Crête, où, d'après cette épître, il aurait laissé Tite pour achever de mettre en ordre les églises. Plus tard, nous verrons quel’apôtre, prisonnier sur un vaisseau allant à Rome, fut arrêté par le vent contraire dans cette Île; mais rien n'indique qu'il ait pu y exercer alors son action apostolique. C'est pourquoi, l'on a cru que ce fut longtemps après son second voyage en Grèce et à une époque sur laquelle nous manquons de renseignements, que Paul prêcha l'évangile en Crête et qu'il y laissa Tite après lui. Mais rien n'empêche de supposer que l'Évangile y ait été porté de très bonne heure, quand ce ne serait que par un de ces Crétois qui se trouvaient à Jérusalem, lors de la grande Pentecôte (Act. II, 11). Il est permis, en outre, de supposer une excursion de Paul en Crête durant son séjour à Éphèse, excursion qui coïnciderait avec celle qu'il fit aussi, selon toute apparence, en Macédoine (§ 1361). C'est l'opinion que j'adopte, parce qu'elle me paraît assez plausible, tout en faisant remarquer que la question n'est pas d'une haute importance.

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§ 1465. Cette Épître aurait donc été écrite d'Éphèse, peu avant que Paul en partit. Elle fut, paraît-il, portée à Tite par Zénas et par Apollos, et la première aux Corinthiens, chap. XVI vers. 12, nous a dit en effet qu'Apollos avait rejoint Paul à Éphèse. Nous verrons ailleurs que Tychique, le frère que Paul se proposait d'envoyer plus tard, était d'Asie et probablement d'Éphèse même. Quant à l'invitation que l'apôtre adresse à Tite de le rejoindre à Nicopolis, où il comptait passer l'hiver, elle semble en contradiction avec ce qu'il écrivait, presque dans le même temps aux Corinthiens (1 Cor. XVI, 6). Mais il est à remarquer qu'il y avait en Épire, sur les confins de l'Illyrie, une ville nommée Nicopolis, qui, avec toute la contrée, faisait alors partie de la province d'Achaïe, dont Corinthe était le chef-lieu. Puis, si l'on observe que la première aux Corinthiens n’est pas adressée aux seuls habitants de Corinthe, }2~13 mais à tous les saints du voisinage, on conçoit que Paul ait pu leur écrire: «Peut-être passerai-je l'hiver auprès de vous,» et à Tite, quelques jours après: «J'ai jugé devoir passer l'hiver à Nicopolis.»

§ 1466. L'extrême ressemblance qui existe entre notre lettre et la première à Timothée, justifie d'ailleurs l'opinion de ceux qui les placent l'une et l'autre dans le même temps de la vie de Paul. Il est vrai que des lettres écrites en des circonstances fort semblables, auront nécessairement une grande analogie, bien qu'appartenant à des époques assez distantes; il est vrai que le Saint-Esprit a pu vouloir reproduire les mêmes instructions à peu près dans les mêmes termes, comme il l'a fait pour quelques prophéties importantes; mais, en somme, l'explication la plus simple est généralement la meilleure, et, conclure de la similitude des épîtres qu'elles furent écrites assez près l'une de l'autre, ce n'est pas dire que l'apôtre se soit copié, ni que le Saint-Esprit n'ait pas eu l'intention que je viens de dire. La conformité des pensées et des expressions est telle, que je me bornerai plus d'une fois à rappeler mes explications précédentes. Cependant, l'épître à Tite offre des différences assez notables. Loin d'être un simple extrait de l'autre, ce qu'on pourrait croire vu sa plus grande brièveté, elle renferme des expositions dogmatiques d'une haute importance et qui ne se trouvent en cette forme, ni dans l'épître à Timothée, ni dans aucune de celles que nous avons étudiées jusqu'ici.

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§ 1467. L'introduction déjà, est, à ce point de vue, digne d'une attention particulière. Pour la première fois, Paul s'honore du titre «d'esclave de Dieu» (vraie traduction). Il ne s'appartient pas à lui-même, mais à Dieu; il ne veut pas faire sa propre volonté, mais celle de Dieu; il ne travaille pas dans son intérêt à lui, mais dans celui de Dieu, qui l'a «acheté à grand prix» (1 Cor. VI, 20). Puis, s'il est apôtre ou envoyé de Jésus-Christ, sa mission a pour objet d'amener à La Foi les élus de Dieu, en propageant la vérité; non la vérité sur toutes choses, mais celle qui engendre et alimente la piété ou l'amour de Dieu, savoir la vérité en Christ, Christ lui-même (§ 856). Par lui est l'espérance de la vie éternelle, et une espérance infaillible, puisqu'elle se fonde sur la Parole du Dieu qui ne ment point. Après avoir, dès les temps éternels, fait dans son cœur une promesse, il l'a réalisée en Celui qui est Dieu, notre Sauveur, et par le commandement duquel Paul prêchait le salut. Il y a, dans ce peu de mots, la proclamation indirecte, mais d'autant plus frappante peut-être, des principes fondamentaux de l'Évangile: les autres épîtres de Paul et celles de ses collègues Pierre et Jean, nous en donneront le développement.

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§ 1468. Sans revenir sur ce qui a été dit ailleurs (§§ 1372-1374), je ferai seulement remarquer que l'énumération des qualités requises chez un ancien est plus complète ici que dans l'épître à Timothée. Nous y voyons d'ailleurs avec la dernière évidence que les anciens et les évêques ou surveillants étaient une seule et même classe de serviteurs de l'Église. C'est à ceux qui occupent de telles fonctions que s'adressent tout premièrement les divines instructions que nous lisons en cet endroit; mais il faut aussi que les églises les prennent au sérieux, lorsqu'elles sont appelées à nommer ou à proposer des anciens. Que s'il ne se trouve personne dans une église qui remplisse les conditions voulues, cette église est condamnée par le fait à n'avoir pas de conducteurs. Je dis, condamnée; car il résulte de la mission apostolique conférée à Tite, que l’ordre d'une église n'est pas complet sans cela. Il en résulte également que les églises doivent supplier le Seigneur de susciter au milieu d'elles, des hommes capables de les présider selon son Esprit et selon sa Parole. Du reste, il est intéressant de voir quels succès l'Évangile avait obtenus dans l'île de Crête. Non seulement il s'y trouvait des disciples en état de revêtir la charge d'anciens, mais encore on voyait des églises dans les diverses cités de cette île, et chacune d'elles était assez heureuse pour avoir ses propres anciens ou évêques.

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§ 1469. Ce n'est pas cependant que le tableau n'eût ses ombres. Au dire même d'un de leurs poètes (Epiménide), les Crétois étaient un peuple essentiellement menteur, stupide, méchant, sensuel, paresseux; dans leur lie abondaient les Juifs, avec leurs habitudes formalistes, leur mauvais prosélytisme (Matth. XXIII, 15) et leurs objections opiniâtres contre la vérité. Semblables à beaucoup de gens parmi nous, ils faisaient profession de connaître Dieu, et toutefois ils le reniaient par leurs œuvres. De cela résultait qu'il devait y avoir chez les membres mêmes des églises bien des restes de leur caractère primitif, et de plus que ces pauvres congrégations étaient fortement menacées du dehors, non par la persécution peut-être, mais par un mal pire encore. C'est pour cela que les anciens devaient «retenir la parole fidèle, selon la doctrine,» afin d'être capables, tout à la fois, de donner un enseignement sain et de reprendre les contredisants, ce qui n'est pas moins nécessaire aujourd'hui qu'alors, et dans nos pays que dans l'île de Crête.

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§ 1470. Quant à Tite, quoi qu'il ne fût ancien ou évêque, ni de toutes les églises de Crète, puisqu'il n'y avait pas alors d'anciens établis ainsi sur plusieurs congrégations, ni d'une de ces églises en particulier, puisqu'il n'en était pas même un des membres, Paul l'exhorte à profiter de son séjour pour rappeler aux fidèles les conséquences morales de la saine doctrine. Il dira donc aux vieillards et aux femmes âgées les devoirs que leur impose la profession de la vérité; aux uns, la sobriété, la gravité, la prudence, La Foi, L'amour, l'attente patiente du Seigneur ou l'espérance; aux autres, outre tout cela, un extérieur convenable à la sainteté, une langue qui se garde de toute calomnie, la modération dans le vin, l'enseignement de ce qui est bon. Il dira de même aux jeunes hommes d'être prudents; et, par son exemple, il leur apprendra les bonnes œuvres, la manière d'enseigner, l'intégrité, la gravité, et il leur inculquera de saines doctrines, afin que les adversaires de l'évangile soient confus, en voyant tant de sainteté dans un âge ordinairement si léger. Quant aux femmes encore jeunes, c'est aux plus âgées de leur enseigner l'amour de leur mari et de leurs enfants, la prudence, la chasteté, le goût de la retraite, la bonté, la soumission à leur époux, au lieu d'être, par une conduite inconsidérée, en opprobre à Dieu et à sa Parole. — Je voudrais pouvoir reprendre chacun de ces mots et en faire l'application à mes lecteurs et à mes lectrices de tout âge; mais je dois me restreindre, et j'espère qu'ils les méditeront d'eux-mêmes avec un grand sérieux.

2: 9,10
§ 1471. Par des raisons que j'ai exposées précédemment (§ 1389), Paul n'oublie pas les pauvres esclaves, et ce qu'il leur fait dire ne s'adresse pas avec moins de justesse à ceux qui sont entrés volontairement au service d'autrui. Être soumis à ses maîtres, s'efforcer de leur plaire, ne pas les contredire, éviter tout abus de confiance, tel est le devoir de ceux qui vivent ou dans l'esclavage ou dans la domesticité. Plus leur position est difficile, plus ils glorifieront le Seigneur par les triomphes que la foi leur fera remporter sur eux-mêmes. En général, c'est une erreur de croire qu'il faille nécessairement être haut placé pour pouvoir faire honneur à «la doctrine de Dieu notre Sauveur.» C'est, au contraire, des petits et des humbles que Dieu aime à tirer sa gloire (Matt. XXI, 16). Parmi les traits si intéressants que fournit l'histoire des missions contemporaines, il n'en est pas de plus édifiants que ceux qui nous montrent des esclaves contents de leur position, des esclaves soumis de cœur, des esclaves priant pour leurs méchants maîtres, des esclaves, en un mot, qui, par l'ensemble de leur vie, sont l'ornement de la doctrine du Dieu Sauveur en la grâce duquel ils ont obtenu le véritable affranchissement (§ 1424).

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§ 1472. Or, cette doctrine de Dieu notre Sauveur, la voici telle que le Saint-Esprit la résume en quelques mots, sous la plume de l'apôtre. D'abord, tout vient de la grâce de Dieu ou de son amour, libre, absolu comme lui, et complètement immérité: une grâce! c'est tout dire. Par cela même que cette grâce est infinie et gratuite, par conséquent une vraie grâce, il n'est pas un homme, si méchant soit-il, qu'elle ne soit capable de sauver. Habitant en Dieu dès l'éternité, elle est apparue ici-bas dans la personne de Jésus et dans l'effusion du Saint-Esprit, et elle est venue instruire l'humanité, afin, que, renonçant à l'impiété, le propre de toute âme non convertie, et aux désirs mondains, les seuls que nos cœurs naturels connaissent, nous vivions dans le présent siècle selon la vraie sagesse, selon la justice et selon la piété; la sagesse consistant à éviter tout écart; la justice, à rendre à chacun ce qui lui est dû; la piété, à montrer en toutes choses l'amour qu'on a pour Dieu. À cela se résume la vie chrétienne; là est le résultat pratique des enseignements de la grâce de Dieu. Et pour savoir si nous vivons réellement dans la grâce de Dieu et par elle, examinons les motifs qui nous déterminent. La sainteté des fidèles est un fruit des espérances que leur donne la foi. Ils attendent du ciel leur grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ, qui s'est donné pour nous, afin de nous procurer le pardon de nos péchés par son sang et la purification de nos cœurs par le Saint-Esprit. Vous pouvez vous rappeler que c'était déjà la prédication de l'apôtre Pierre , et c'est en prêchant ce grand salut que Pierre, Paul et leurs collègues avaient formé au Seigneur un nouveau peuple, un peuple à part, un peuple zélé pour les bonnes œuvres. Il ne s'agit pas, assurément, de chercher à nous singulariser; mais il n'en est pas moins vrai que nous ne saurions nous envisager comme appartenant à Jésus-Christ, s'il n'y a rien en nous qui nous distingue du monde, si nos passions et nos habitudes sont celles du monde, si nous suivons la multitude pour faire le mal (I, § 780).

3: 1-2
§ 1473. Voilà donc ce que Tite devait dire aux fidèles d'entre les Crétois; et, comme c'était de la part de Dieu qu'il le ferait, il lui était permis, malgré sa jeunesse, d'exhorter et de reprendre avec autorité. Puis, retournant à l'exposé des devoirs du fidèle, l'apôtre rappelle la soumission due aux autorités civiles, l'obéissance avec laquelle il faut accueillir les lois qu'elles ont le droit de promulguer, dans la sphère de leurs attributions; il invite de nouveau les frères à faire de bonnes œuvres, à n'injurier personne, à être ennemi des querelles, modérés et pleins de douceur envers tous. Rien ne serait plus facile si nous n'étions jamais entourés que de bienveillance; mais haïs, méprisés, conspués, persécutés, comme le sont parfois les disciples de Jésus, il ne nous faut pas une faible grâce de Dieu, ni une légère attention sur nous-mêmes pour demeurer en de justes bornes, quand on n'en respecte aucune à notre égard. Voici donc le motif qui doit nous maintenir dans la charité, quelles que soient les circonstances et voici en même temps, une nouvelle exposition sommaire de toute la doctrine du salut.

3: 3-8
§ 1474. Nous, dit l'apôtre, nous qui, maintenant, sommes convertis au Seigneur, nous fûmes, nous-mêmes, de grands pécheurs. Néanmoins, Dieu nous a reçus en grâce: raison décisive pour que nous déployions à notre tour une grande charité envers tous les hommes. Telle est la pensée de l'apôtre dans la liaison avec le contexte; mais les développements de sa pensée sont dignes d'une grande attention, parce qu'ils nous fournissent, sous une forme différente de tout à l'heure, une vue d'ensemble de «la doctrine de Dieu notre Sauveur.» Sept questions se trouvent résolues ici par des déclarations formelles du Saint-Esprit.

1°. Qu'est l'homme, dans son état naturel? — II est dépourvu de vrai bon sens, rebelle à Dieu, hors du bon chemin, asservi aux désirs de son cœur et aux voluptés de la vie, plein de malice et d'envie, digne de haine quand on le connaît à fond, et haïssant ses semblables, en tant qu'il s'aime lui-même d'une manière exclusive.

2°. De quoi l'homme a-t-il absolument besoin dans une telle condition? — C'est d'être sauvé.

3°. D'où peut lui venir le salut? — De la bonté de Dieu et de son amour pour les hommes.

4°. Quel est le moyen par lequel l'amour de Dieu nous sauve? — Avant d'être convertis, nous ne pouvons faire aucune œuvre juste; aussi Dieu nous sauve-t-il par pure miséricorde, au moyen du lavage de la renaissance et du renouvellement de l'Esprit-Saint.

5°. Mais, qu'est-ce qui nous vaut cette grâce? — C'est ce que Jésus-Christ a fait pour nous, par un effet de la miséricorde même qui nous sauve.

6°. Et tout ce salut, en quoi finalement consiste-t-il? — En ce que nous sommes justifiés par la grâce de Jésus-Christ et que, par là, nous devenons héritiers de l'espérance de la vie éternelle.

7°. Quelle est enfin la conséquence morale de cette doctrine parfaitement certaine? — C'est que ceux qui ont cru Dieu, parlant dans les Écritures, doivent s'appliquer à être aux premiers rangs parmi ceux qui font du bien. Mais tandis que les gens du monde font certaines œuvres pour se sauver, ceux qui ont cru Dieu pratiquent les bonnes œuvres parce qu'ils sont sauvés. Quoi qu'il en soit, il est évident que si nous voulons être bons et utiles à notre prochain, il faut que nous ayons une foi abondante en fruits de justice, et non pas une foi stérile. En cela donc, aussi bien que dans le pardon de nos péchés, consiste le salut pleinement gratuit de nos âmes.

§ 1475. Ce salut a sa source dans la grâce ou la miséricorde éternelle de Dieu et il se réalise en nous par la nouvelle naissance ou la régénération, appelée ici un lavage (non un baptême), œuvre de renouvellement qui a le Saint-Esprit pour auteur. L'effet de ce salut est de nous rendre justes devant Dieu par grâce et non par œuvres, de nous assurer l'héritage céleste, de nous rendre zélés pour tout ce qui est bien. Enfin, ce salut a sa base dans l'œuvre de rédemption accomplie par notre Seigneur Jésus-Christ en faveur de misérables III pécheurs, qui, n'était cela, périraient sans ressource. O mes chers lecteurs, méditez ces grandes doctrines de l'amour de Dieu, et puissent-elles devenir en vos cœurs de vivantes réalités! Puissent-elles vous dégoûter de toute question, de toute dispute, de toute recherche, de toute vue qui aurait pour effet de vous éloigner d'elles? Et quand vous rencontrez sur votre chemin des hommes qui, dominés par l'esprit de secte, attachent une importance souveraine à des doctrines secondaires; qui, de là, glissent facilement à donner comme inspirées des opinions humaines; qui s'entourent de disciples pour se faire un nom et un parti dans l'église: évitez de tels hommes, après les avoir avertis de leur péché et du préjudice qu'ils portent à l'Évangile; évitez-les pour retourner à Jésus seul, et à «la vérité qui est selon la piété.»

3: 12-15
§ 1476. Avant de terminer par sa salutation accoutumée, Paul revient pour la troisième fois sur une recommandation dont l'importance est donc bien grande. Il faut que le peuple particulier du Seigneur (ch. II, v. 14), ceux qui ont cru Dieu (ch. III, 8), «les nôtres,» dit-il ici, «apprennent à être en avant dans les bonnes œuvres,» par où il me paraît désigner surtout les œuvres de bienfaisance. Or, disons à la gloire de Dieu, que cette recommandation de sa Parole n'est pas retournée à lui sans effet. Non seulement une foule d'institutions charitables sont nées de l'amour chrétien, et dans les siècles passés et dans le nôtre; mais encore, on ne saurait méconnaître que, partout où il y a quelque bien à faire, on voit les vrais disciples de Jésus se présenter les premiers pour y mettre la main, ou du moins ne pas demeurer en arrière. Ce n'est pas à dire qu'ils fassent encore tout qu'il faudrait. Hélas! c'est que leur foi est faible; c'est qu'ils sont trop attachés aux intérêts matériels; c'est qu'ils s'effraient de tout ce qu'il y aurait à faire; c'est qu'ils négligent peut-être l'étude et la méditation des portions de l'Écriture comme celle que nous venons de lire. 0 Seigneur, fais que ceux qui croient en ta grâce, montrent un intérêt véritable pour tout ce qui est bon et utile, afin que, voyant leurs bonnes œuvres, le monde lui-même soit comme contraint de te glorifier (§ 287)!


SECONDE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS.


CCXCVIII. Données historiques. Souffrances et consolations; charité de Paul; la prédication de l'Évangile; la lettre et l'Esprit; la foi; les deux chez nous; la régénération; la substitution; le ministère de Paul; la séparation d'avec le monde.


§ 1477. Le premier verset du chapitre XX du livre des Actes, nous montre Paul partant pour la Macédoine. C'est de là qu'il écrivit cette nouvelle lettre aux Corinthiens, sans qu'on puisse savoir précisément de quelle ville. À ce moment, Timothée était avec lui, comme on le voit dès les premiers mots de l'épître; en sorte que, si le jeune disciple avait poussé jusqu'à Corinthe, (§§ 1396, 1459), il avait pu rapporter à son père en la foi, quelques renseignements sur une église qui lui tenait tant à cœur. De son côté, Timothée avait pu dire aux Corinthiens que Paul, modifiant ses premiers plans (§ 1321), avait formé le projet de passer directement d'Asie en Achaïe, pour aller de là en Macédoine, sauf à retourner plus tard à Corinthe; mais nous apprenons de cette lettre-ci que l'apôtre avait repris son ancien plan. Nous y voyons aussi que Tite avait été chargé par lui, auprès des églises d'Achaïe, d'une mission relative à la collecte qui se faisait en faveur des frères de la Judée, mission acceptée de grand cœur; que Paul, qui lui avait donné rendez-vous à Troas, l'y attendit avec anxiété et l'y attendit vainement; mais que s'étant enfin transporté en Macédoine, il avait eu la joie d'y voir arriver Tite, porteur de bonnes nouvelles. D'Éphèse, Paul avait annoncé à Tite qu'il lui enverrait Artémas ou Tychique, et l'on pense que ce fut probablement par ce dernier qu'il lui adressa l'invitation d'aller à Corinthe et de revenir de Corinthe à Troas. Tout cela se passait au printemps; c'était seulement pour l'hiver suivant qu'il avait été question de Nicopolis (§ 1465).

§ 1478. L'Épître, complétant les renseignements que nous avons pu recueillir ailleurs sur les églises de Macédoine (§§ 1237—1251; 1271—1312), nous fait connaître indirectement qu'elles étaient très-pauvres, et que XI, 9 toutefois elles avaient montré une grande libéralité chrétienne, soit envers Paul lorsqu'il était à Corinthe, soit actuellement envers les pauvres de Judée. «Quant à l'amour fraternel,» avait dit Paul aux Thessaloniciens, «vous n'avez pas besoin qu'on vous en écrive (1 Thess. VII, 5 II, 9).» Si donc Paul eut encore beaucoup à souffrir pendant ce voyage, ce ne fut sûrement pas de la part des églises; mais il y retrouva la haine particulière que lui portaient les ennemis de l'Évangile, haine qui, depuis sa conversion, lui avait attiré les nombreuses persécutions dont il fait le douloureux tableau. C'est d'ailleurs ici que l'apôtre parle pour la première fois de la vision dans laquelle, quatorze ans auparavant, savoir lors de son premier voyage à Jérusalem, le Seigneur lui avait directement révélé l'Évangile et les mystères de sa personne et de son règne. Enfin, nous avons dans cette lettre, la confirmation de ce que nous savions déjà sur les infirmités physiques qui étaient pour l'apôtre, une cause, non seulement de souffrances, mais encore d'humiliations, et qui entravaient si souvent son activité.

1: 1-7
§ 1479. Cette lettre, comme la précédente, s'adresse, non aux seuls fidèles de Corinthe, mais à tous ceux de l'Achaïe. Plein de reconnaissance envers Dieu, «le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes, le Dieu de toute consolation,» l'apôtre commence par le bénir des consolations qui lui étaient accordées dans ses souffrances, et qui le mettaient à son tour en état de consoler ceux qui se trouvaient en quelque tribulation. S'il souffrait beaucoup à cause de sa foi en Christ, cette même foi était aussi pour lui la source de grandes joies. Or, soit ses souffrances, soit ses consolations, tout tournait à l'avantage de ses frères, et cette pensée ne faisait pas son moindre bonheur; nouvelle preuve, si nous en avions besoin, de l'ardente charité qui remplissait le cœur de l'apôtre. Et comme «la charité espère tout (1 Cor. XIII, 7),» elle le remplissait de la ferme confiance que les Corinthiens, souffrant ainsi que lui, étaient ainsi que lui consolés.

1: 8-14
§ 1480. Des souffrances de Paul, les plus récentes étaient celles qu'il venait d'essuyer à Éphèse. La persécution y avait été d'une extrême violence, ce que pouvait déjà faire conjecturer le récit du livre des Actes. Paul avait vu sa vie sérieusement menacée, et il n'en avait dû la conservation qu'à la puissance de celui qui fait, au besoin, revivre les morts. Raison pour Paul de se confier en lui, quoi qu'il arrivât; mais non sans réclamer le concours des prières de ses frères, afin qu'ils pussent aussi se joindre à ses actions de grâces: toujours la charité! Or, qu'ils dussent s'intéresser à lui, c'est ce qui ressortait du ministère qu'il avait rempli au milieu d'eux. La grâce de Dieu, elle seule, sans rien d'humain ni de charnel, avait été tellement avec lui durant son séjour en Achaïe, que les Corinthiens pouvaient hardiment tirer gloire de l'avoir eu pour père en la foi, comme il se plaisait à voir en eux le sujet de sa gloire future, au jour de la venue de Jésus-Christ. Encore ici, la charité de l'apôtre se montre bien grande; car elle lui apprend à couvrir d'un voile ce qui, dans la foi et dans la conduite des Corinthiens, faisait plutôt honte à l'Évangile.

1: 15-24; 2: 1-13
§ 1481. Même observation sur les deux pages que je réunis dans ce paragraphe. En voyant l'apôtre renoncer au plan de voyage qu'il s'était d'abord prescrit, on avait pu le taxer de légèreté; mais non, c'était par ménagement pour les Corinthiens qu'il avait modifié son itinéraire, et il en prend Dieu à témoin, tant il lui importait qu'on ne se méprît pas sur ses vrais motifs. C'est avec le cœur serré et en versant beaucoup de larmes qu'il leur avait écrit sa précédente lettre; or, pour ne pas se voir obligé de répéter ses reproches de vive voix et avec un surcroît d'indignation, il avait préféré retarder son arrivée. Ses douloureuses préoccupations avaient été telles que, dans une de ces circonstances où le cœur semblerait ne devoir goûter que de la joie, à Troas, dis-je, où le Seigneur lui avait ouvert une grande porte, il n'eut pas de relâche en son esprit, parce qu'il n'y trouva pas les nouvelles que Tite devait lui apporter de Corinthe. Cependant, il savait (par Timothée sans doute), que les choses avaient changé; que l'homme qui avait donné un si grand scandale était rentré dans l'ordre (§ 1414), et Paul exprime son bonheur de pouvoir se joindre à ses frères pour lui tendre la main de la réconciliation.

1: 17-20
§ 1482. Telle est en peu de mots le résumé bien sec de ce beau passage de notre Épître. Mais j'en veux extraire quelques lignes, pour les recommander particulièrement à l'attention de mes lecteurs. D'abord, qu'est-ce qui doit préserver un ministre de Jésus-Christ, ou plutôt chaque fidèle, de toute légèreté, de toute fluctuation dans ses desseins, de dire oui, peu après avoir dit non, et non, peu après avoir dit oui? C'est sa foi même en Jésus-Christ; en ce Jésus par qui se sont accomplies avec tant de fidélité les promesses de Dieu, et qui est le Oui et l'Amen; c'est-à-dire celui au moyen duquel Dieu s'affirme auprès de nous et atteste son inaltérable véracité.

1: 21-22
§ 1483. Unis au Christ par la foi, les fidèles aussi sont des christs ou des oints de l'Éternel (Ps. CV, 15), pensée réjouissante mais bien sérieuse. L'Esprit saint qu'ils ont reçu, est en même temps le sceau et les arrhes de la grâce qui leur a été faite; le sceau, en ce qu'il les marque comme appartenant à Dieu; les arrhes, par la paix qu'il répand en leur cœur et par la sainteté dont il empreint leur vie.

1: 24
§ 1484. Les lettres de l'apôtre abondent en exhortations à la fermeté, à la fermeté dans la foi, cela s'entend. Or, nous voyons ici que c'est par la foi qu'on demeure ferme dans la foi. Ce n'est point une contradiction ou un cercle vicieux; car cela revient à dire que c'est la grâce de Dieu en Jésus-Christ qui nous fait demeurer fidèles à Jésus-Christ. Lors donc que nous nous sentons faibles, ce sera toujours en regardant du cœur à Jésus que nous retrouverons de la fermeté.

2: 14-17
§ 1485. Ce que l'apôtre venait d'exprimer sur les succès de son ministère à Troas, durant le peu de jours qu'il y passa, le conduit à remercier Dieu de ses triomphes ou plutôt du triomphe de Jésus-Christ. Il compare la prédication de sa grâce et les prédicateurs eux-mêmes, à un parfum, parfum vivifiant pour ceux qui croient et se sauvent, parfum mortel pour ceux qui demeurent incrédules et se perdent. Parler des triomphes de l'Évangile, ce n'est donc pas proclamer que tous le reçoivent; au contraire, il y eut toujours beaucoup de gens qu'il irrita, loin de les convertir, et c'est à cause de cela que l'apôtre s'écrie: «Qui est suffisant pour ces choses?» Il y aurait bien un moyen de plaire au monde, dit-il; ce serait de frelater la parole de Dieu; mais lui, il la prêchait avec sincérité, de la part de Dieu, en présence de Dieu et dans le Christ, c'est-à-dire en déduisant toute sa doctrine de Jésus-Christ, et de Jésus-Christ crucifié, comme il le disait ailleurs (§ 1404).

3: 1-11
§ 1486. Que si l'apôtre se rend un tel témoignage, ce n'est pas pour se recommander à l'affection, au respect, à la confiance des Corinthiens, ou autrement, pour constater auprès d'eux la céleste origine de son mandat. Les fruits mêmes de sa prédication étaient une preuve évidente que Dieu avait parlé par sa bouche; car certes, ce n'était pas de son propre fond qu'il avait tiré sa doctrine; ce n'était pas lui non plus qui avait pu la faire agir avec efficace. Toute sa capacité venait de Dieu qui l'avait mis en état de le servir dans l'institution d'un Nouveau Testament ou d'une nouvelle alliance, supérieure à l'alliance de Moïse comme l'esprit à la lettre. Par ce dernier mot, l'apôtre entend évidemment la loi écrite sur les tables de pierre en Sinaï. Cette loi tue. Le ministère de la loi était un ministère de mort et de condamnation; mais il faut dire aussi que c'était une III économie ou un ordre de choses tout à fait transitoire. L'Esprit, au contraire, l'Esprit fait vivre. Le ministère de l'évangile, qui est celui de l'Esprit, est un ministère de vie et de justice; c'est un ordre de choses ou une économie qui n'est pas destinée à se voir remplacer ici-bas par une autre. On ne saurait cependant méconnaître la gloire dont l'Éternel entoura l'économie de la loi, gloire qui eut pour symbole l'éclat du visage de Moïse quand il descendit de la sainte montagne; mais, si le ministère de la loi fut glorieux, combien plus ne doit pas l'être celui de la grâce, par laquelle seule l'Esprit est donné.

3: 12-18
§ 1487. Loin que ce plus grand éclat de l'économie évangélique la rende moins accessible, il faut reconnaître, au contraire, avec adoration, qu'il la met infiniment plus à notre portée. La gloire de l'Ancien Testament était une gloire voilée; celle du Nouveau Testament est une gloire que les fidèles peuvent contempler à visage découvert. Dans l'économie actuelle, qui est donc celle du Saint-Esprit, ce même Esprit, lequel est Dieu, donne à ceux qui l'ont reçu la pleine liberté de s'approcher du Père. Sans que nous puissions voir Dieu face à face, nous le voyons en Christ comme dans un miroir. Contemplant en Jésus la gloire de Dieu (Jean I, 1 4), espérant par lui la possession de cette gloire et la foi nous y faisant déjà participer, nous sommes transformés à son image de gloire en gloire par l'Esprit du Seigneur. Telles sont les magnifiques prérogatives de ceux qui croient. Quant aux Juifs, ils lisent Moïse et ne le comprennent point, parce que c'est en Christ seulement que le voile est levé. Hélas! combien n'y a-t-il pas de soi-disant chrétiens, pour qui Moïse est tout aussi voilé qu'il l'était et qu'il l'est encore pour les Juifs!

4: 1-15 
§ 1488. Ayant parlé de l'excellence infinie de son ministère, Paul va nous dire comment il lui était donné de le remplir. Tout revient à ceci: il croyait, et c'est dans la foi qu'il parlait et agissait. Tel était le principe de son inébranlable fermeté, de son horreur pour toute voie détournée, de son scrupuleux attachement à la vérité, de la confiance enfin qu'il mettait en elle. De là venait qu’il ne se lassait pas de prêcher la bonne nouvelle du salut, sans s'étonner de la voir rejetée par ceux dont Satan, le dieu de ce siècle, aveuglait les yeux pour qu'ils se perdissent. C'est encore par cette raison que, loin de se prêcher lui-même et de songer à s'élever (1 Cor. III, 5), il se mettait à la pleine disposition de tous, pour l'amour de Celui qu'il prêchait et de qui procède la lumière. Nul ne savait mieux que Paul combien les ministres de l'Évangile sont personnellement au-dessous de leur tâche. La doctrine du salut, la connaissance de la gloire de Dieu en la personne de Jésus-Christ, est un trésor inappréciable; mais ceux qui le présentent au monde, sont de pauvres vases de terre. Cependant, la foi leur donne la force et l'éclat du diamant, afin qu'on voie à n'en pouvoir douter que ce qu'ils offrent vient de Dieu. En somme donc, et Paul et tous ses vrais successeurs ont pu dire avec le Psalmiste: «J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé (Ps. CXVI, 10).» Et que croyaient-ils? — Que celui qui a réveillé Jésus d'entre les morts les réveillerait aussi par le moyen de Jésus et les présenterait vivants devant lui, au jour de sa venue, avec tous ceux qui auraient reçu leur parole (§ 910); car enfin, ce ministère si excellent et la foi de ceux qui le remplissent, tout est en vue des élus, et pour que la gloire de Dieu soit magnifiée par leurs actions de grâces.

§ 1489. Reprenons dans ce morceau deux passages sur lesquels nous n'aurions pu nous arrêter sans interrompre le fil de cette analyse. Le premier est celui qui, après avoir rappelé indirectement notre profonde misère, compare l'état naturel de notre cœur à l'état du globe terrestre lorsqu'il était tout enveloppé de ténèbres, et qui nous montre Dieu faisant luire sa lumière au dedans de nous par sa Parole, afin que nous puissions contempler la gloire de Jésus-Christ. C'est donc une vérité certaine, que toute lumière procède du Seigneur.

4: 8-12
§ 1490. Le second passage est celui où l'apôtre décrit avec une vraie et sublime éloquence, le contraste qu'offre si souvent l'enfant de Dieu, pressé par la tribulation, en perplexité, persécuté, abattu, mourant tous les jours, et cependant tellement plein de la vie de Dieu et de sa paix, et de sa force, que rien ne peut l'écraser, ni réellement l'ébranler. Vous donc qui cédez si facilement aux impressions du dehors, n'en accusez que la faiblesse de votre foi et votre peu de communion avec Jésus-Christ!

4: 16 : 18; 5: 1-10
§ 1491. Voici, en conséquence, les sentiments d'un vrai disciple. Jamais il ne se décourage. Il voit de jour 16~J8 en jour, comme Paul, son homme extérieur dépérir; l'âge et les infirmités dévorent lentement son corps; — mais de jour en jour aussi son homme intérieur se renouvelle par l'action constante du Saint-Esprit. Il a des tribulations dans le monde; mais elles lui paraissent légères en comparaison de celles que ses péchés méritent, légères au prix de celles du Sauveur, légères surtout s'il les met en regard de la gloire souverainement excellente à laquelle ces tribulations mêmes le préparent. Remarquez toutefois qu'il s'agit du vrai disciple, de celui qui, racheté de Jésus, regarde non aux choses visibles et passagères, mais aux invisibles, qui sont éternelles. Cette dernière pensée est développée tout au long. Notre état ici-bas est semblable à une maison ou à une habitation temporaire; mais nous qui croyons, nous savons (et non pas seulement nous espérons, nous aimons à penser), nous savons, dis-je, que Dieu a construit dans le ciel un édifice qui n'est pas fait de main d'homme, un état permanent que rien ne saurait abolir. Or celui qui a bâti cette maison céleste, prépare aussi les âmes qu'il destine à y habiter, les faisant être, dès ici-bas, les temples du Saint-Esprit. Si donc nous sommes de ceux qui ont reçu les vêtements du salut, la robe de noces (§ 804), arrhes de l'héritage, il nous arrivera de gémir quelquefois au fond du cœur et de soupirer après notre domicile à venir, non pour être dépouillés, mais pour être revêtus; c'est-à-dire, non pour être délivrés des maux de la vie, mais pour nous voir parés du manteau royal de la sainteté; non pour mourir, la seule chose que voient les mondains malheureux, mais pour vivre. En résumé, il y a deux «chez nous»; l'un que nous voyons, l'autre que nous croyons. Dans ce corps mortel, nous sommes chez nous, mais c'est un chez nous qui nous tient loin du Seigneur et comme en voyage. Puis, nous avons un chez nous auprès du Seigneur. Si nous le croyons réellement, nous marcherons avec confiance dans le chemin qui conduit à ce chez nous, qui est le véritable. Enfin, «soit que nous soyons chez nous,» «soit que nous soyons hors de chez nous,» nous nous efforcerons d'être agréables au Seigneur, sachant qu'à notre délogement, nous devrons tous comparaître devant le tribunal de Christ, et qu'alors nos œuvres montreront si nous avons cru en lui, ou non. — Tout ceci, pour le dire en passant, montre clairement, comme au reste la seconde épître aux Thessaloniciens tout entière, que Paul ne nourrissait point l'erreur qu'on lui impute quelquefois sur l'époque du retour de Jésus-Christ. Il comptait réellement mourir; quant à sa réunion avec le Seigneur, il ne l'attendait que pour le grand jour du jugement universel. Mais l'intervalle qui sépare ces deux moments ne devant avoir de durée sensible que celle d'un clin d'œil, d'un éclair, il en résultait pour Paul, comme pour nous, que sortir de ce monde, c'est aller vers Jésus.

5: 11-21
§ 1492. C'est la pensée du jugement à venir, jointe à son ardent amour pour ses frères, qui rendait Paul si pressant dans ses exhortations et si désireux de persuader ceux auxquels il prêchait. Quelquefois il en était comme hors de sens, et alors c'était entre Dieu et lui que tout se passait; mais quand il retrouvait le calme, c'était pour reprendre avec un nouveau zèle l'œuvre qui lui était confiée auprès des âmes. Cet amour si vif et ce zèle si persévérant proviennent, d'un côté, de ce que les fidèles ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour le Seigneur, leur homme naturel étant mort avec lui sur la croix; d'un autre côté, de ce qu'ils sont devenus des êtres spirituels, préférant même leurs relations invisibles avec Christ, à celles qu'ils pouvaient avoir eues avec lui durant les jours de sa vie terrestre. Sur ce dernier point, l'apôtre dit «nous», selon son habitude (§ 1457), bien qu'il ne puisse s'agir de lui personnellement. Mais ces dispositions mêmes découlent de la considération de l'amour de Christ et sont l'effet d'une nouvelle création; car pour nous qui croyons en Jésus-Christ et qui, par la foi, sommes un avec lui, toutes choses sont devenues nouvelles. Oui, toutes choses: le ciel, la terre, nos relations de famille, nos rapports avec les autres hommes, nos désirs, nos craintes, nos espérances; tout a pris un nouvel aspect, un nouveau sens, une nouvelle direction, par la régénération de notre cœur, et cette régénération même vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par Jésus-Christ. En effet, si le Seigneur ne se fût donné pour les pécheurs, nul de nous n'eût pu recevoir le Saint-Esprit, par lequel se produit la nouvelle naissance. L'Évangile n'a donc pas de vérité plus fondamentale que celle-ci: «Dieu était dans le Christ, réconciliant le monde avec soi, ne leur imputant point leurs offenses» et toute la prédication de l'Évangile se résume dans cette simple, mais sublime parole: «Soyez réconciliés avec Dieu; car celui qui n'a pas connu le péché, il l'a fait être péché pour nous, afin que nous, nous devinssions justice de Dieu en lui.» Ces paroles nous prêchent clairement la doctrine de la substitution, par où l'on entend que Jésus-Christ ayant, à notre place, été traité comme un pécheur, et même comme s'il eût été le péché en personne, nous sommes maintenant traités, à cause de lui, comme des êtres parfaitement justes, justes d'une justice divine, à supposer toujours que nous soyons dans la foi. C'est le point sur lequel nous devons sérieusement nous examiner, comme nous allons voir bientôt que l'apôtre y exhorte ses disciples de Corinthe.

6: 1-2
§ 1493. Une des plus grandes grâces que le Seigneur — puisse faire à un pauvre pécheur, c'est de le charger du ministère de la réconciliation. Paul en exprime à plus d'un endroit sa vive reconnaissance. Et moi aussi, mes chers lecteurs, je sens la faveur que Dieu m'accorde, d'avoir à plaider auprès de vous la même cause que Paul soutenait avec tant de chaleur. En vous expliquant, selon la mesure des lumières que Dieu m'a départies, les paroles que le Saint-Esprit lui dicta, je deviens, si j'ose le dire, son collaborateur. O vous donc, avec qui je m'entretiens depuis si longtemps des merveilles de la miséricorde du Seigneur! «prenez garde que vous n'ayez reçu en vain cette grâce de Dieu.» Vous êtes encore dans un jour de salut, puisque vous avez les Écritures entre vos mains. Profitez, de ce que Dieu vous parle, et ne laissez pas échapper l'occasion qu'il vous offre!

6: 3-10
§ 1494. Afin de rendre son ministère irréprochable, Paul avait eu soin d'éviter, non ce qui pouvait déplaire (Gal. 1,10), mais ce qui pouvait offenser et devenir pour d'autres une occasion de chute. Il ne suffit pas cependant qu'un ministre de Jésus-Christ soit à l'abri du blâme, il faut que son ministère se recommande au respect et à la confiance. C'est ce qu'il obtient surtout par la persévérance dans la bonne voie, quels que soient les accidents du terrain et les difficultés de la route. Rien de plus varié que les péripéties de la carrière d'un serviteur de Dieu tel que Paul; mais au lieu de cela, vous le voyez toujours le même homme, pur, intelligent, patient, bon, rempli par le Saint-Esprit d'un amour sans hypocrisie, tout entier à la prédication de la vérité, remportant d'éclatantes victoires par la puissance de Dieu, guerrier muni, pour l'offensive et pour la défensive, des armes que donne la justice du Christ. Cependant, par l'opposition naturelle du cœur humain contre l'Évangile et contre ceux qui le prêchent, par l'ignorance où est le monde de ce qui constitue l'homme spirituel, par la constante lutte qui existe dans le cœur même du fidèle entre les choses extérieures et son âme, rien de plus paradoxal et de plus contradictoire que la manière dont on l'envisage, et même que ses propres impressions. Tour à tour honoré et méprisé, loué et censuré, il se voit traité de séducteur par des gens qui d'ailleurs se confient pleinement en sa véracité; on le connaît très bien et l'on fait comme si on ne le connaissait pas; il est tenu pour mort, et pourtant il vit; triste et toutefois joyeux, pauvre et enrichissant beaucoup de gens, n'ayant rien et possédant tout, car il a Christ pour lui.

7: 1
§ 1495. Après un chaleureux appel aux affections de ses chers disciples de Corinthe, qu'il invite à l'aimer et à s'aimer les uns les autres comme il les aimait lui-même, l'apôtre insiste avec une grande force sur le devoir imposé aux fidèles de ne former aucune relation intime avec les hommes non convertis. En effet, d'un côté, sont la justice, la lumière, le Christ, la foi, le temple de Dieu (1 Cor. III, 16,17); de l'autre, l'iniquité, les ténèbres, Bélial, l'incrédulité, les idoles! Quelle union réelle peut-il exister entre des choses si opposées? Paul s'appuie d'ailleurs sur des promesses et sur des recommandations de la Parole de Dieu, auxquelles nous devons nous-mêmes prêter une oreille attentive. D'abord, une promesse faite à l'ancien peuple, type du peuple de la nouvelle alliance (Lévit. XXVI, 12); puis, une invitation prophétique au nouveau peuple, à l'effet de l'arracher des impuretés du monde (Ésaïe, LII, 11); enfin, la promesse formelle que ceux qui formeraient ce peuple seraient les fils et les filles du Tout-Puissant (Jér. XXXI, 9). De là résulte pour nous, si nous appartenons à l'Église des rachetés, l'obligation positive de «nous purifier de toute souillure de la chair et de l'esprit, achevant notre sainteté dans la crainte de Dieu,» ce que nous ne pouvons faire en vivant au 1 milieu du monde, avec le monde, comme le monde. — Nous voyons, du reste, dans cette magnifique exhortation, qu'il y a des souillures de l'esprit, comme il y en a de la chair, et que celles-là, connues de Dieu seul, ne sont pas les moins criminelles; qu'il y a chez tous ceux qui croient une sainteté commencée et que cette sainteté doit se perfectionner; qu'il existe une crainte du Seigneur parfaitement compatible avec le sentiment de notre adoption, et que si nous devons achever notre sainteté dans la crainte de Dieu, c'est par la foi en ses promesses que nous nous y encourageons et que nous y réussissons.


CCXCIX. Les deux tristesses; l'aumône: apologie de Paul; exhortations. — Un mot sur les sept premières Épîtres de Paul.


7: 2 à 13: 13
§ 1496. Si l'on voulait diviser en deux la lettre que nous étudions, c'est ici que commencerait la seconde partie. Déjà dans la première, l'apôtre a touché quelque chose du sujet qu'il avait particulièrement en vue; mais c’est surtout à partir d'ici qu'il le prend pour ne plus le 13 quitter. Ce sujet, c'est l'effet produit à Corinthe par sa précédente lettre, effet qu'il pouvait connaître jusqu'à un certain point par Timothée, mais dont il ne fut pleinement informé que par l'arrivée de Tite. Il se pourrait même que sa lettre fût déjà commencée lorsque Tite le rejoignit en Macédoine, et nous aurions ici les lignes qu'il ajouta depuis ce moment.

§ 1497. Il est clair que la première lettre de Paul n'avait pu contenter tout le monde, et c'est à cela que l'apôtre fait allusion, lorsqu'il sollicite la bienveillance des Corinthiens, lui qui ne leur avait jamais causé de dommage, qui n'avait rien exigé d'eux, qui les aimait, comme on dit, à la vie et à la mort, et qui ne cessait de mettre en eux une grande confiance. L'arrivée de Tite n'avait fait que le confirmer dans ces sentiments. Ce qu'il venait d'apprendre à leur sujet, le remplissait d'une grande joie et le consolait de son affliction précédente. Bien que sa lettre les eût affligés, ils goûtaient, eux aussi, la plus pure des jouissances, puisqu'ils avaient retrouvé les consolations divines, en rentrant dans la bonne voie par le repentir. Tite lui-même était revenu de chez eux, plein d'amour pour leur église et tout édifié des choses dont il y avait été témoin. Telle est en abrégé cette portion de la lettre, où je ne m'arrêterai pas à vous faire observer de nouveau la profonde sensibilité de Paul et la délicatesse de ses sentiments. Mais remarquons ce qu'il dit de la tristesse selon Dieu, par opposition à la tristesse du monde. Celle-ci, soit qu'on entende par là les ennuis, les fatigues, les peines, les déceptions, les souffrances de la vie; soit qu'il faille y voir les remords et les agitations de la conscience, les reproches que le pécheur, même non converti, ne peut s'empêcher de se faire en contemplant les suites de ses péchés; cette tristesse du monde ne va qu'à la mort: les exemples les plus frappants sont ceux de Saül, d'Ahitophel, de Judas. Mais la tristesse selon Dieu, celle qu'avaient éprouvée les Corinthiens, la vraie et profonde douleur d'avoir offensé le Seigneur, la tristesse d'un David repris par le prophète de l'Éternel, ou d'un Pierre atteint par le regard de la miséricorde céleste; cette tristesse produit une conversion à salut dont on ne se repent jamais. La connaissez-vous, cette tristesse, mes chers lecteurs? Si vous n'étiez pas pécheurs, vous pourriez recevoir la paix de Dieu sans passer par la tristesse; mais, dans votre condition réelle, vous ne le pouvez pas. Et si vous demandez: Que faut-il donc faire pour se repentir? Je vous répondrai: Considérez sérieusement vos péchés, et portez-les au pied de la croix de Jésus; car c'est lui qui donne la repentance; c'est en lui seul que se trouve la conversion à salut (Act.V, 31; XI, 18).

Chap 8 & 9
§ 1498. Ces deux chapitres traitent d'un seul et même sujet: la collecte qui se faisait à Corinthe, comme dans les autres églises d'Europe, pour les pauvres de la Judée. Bien qu'il n'y eût dans l'église de Corinthe, non plus que dans les autres, ni beaucoup de riches, ni beaucoup de puissants (1 Cor. I, 26), la pauvreté n'y était pas aussi extrême qu'à Jérusalem. On a expliqué ce fait de diverses manières. On l'attribue, en partie du moins, à la sainte imprudence de ceux qui, dans la ferveur du premier zèle, se dépouillèrent volontairement de leurs propriétés (§ 1097); mais, à cette époque déjà, cette admirable générosité fut commandée sans doute par la misère absolue d'un grand nombre de frères, et il reste toujours à expliquer d'où provenait cette misère. Or, l'histoire du temps présent est souvent la lumière des temps passés. De nos jours même, lorsqu'un Israélite embrasse l'Évangile, il est rejeté de sa famille, privé de ses biens, et aucun de ses anciens coreligionnaires ne l'emploie ni ne lui tend le moindre secours, ce qui le plonge dans la plus profonde indigence. Voilà probablement ce qui s'était passé à Jérusalem dès le premier instant; la persécution générale s'étant jointe à ces persécutions individuelles, la détresse avait dû aller croissant. Aussi, voyez avec quelles instances Paul supplie les Corinthiens de s'élargir en faveur de leurs frères de la Judée, à l'exemple des fidèles de Macédoine, qui, dans leur pauvreté, avaient donné au-delà même de ce qu'ils pouvaient. C'était pour cela qu'il leur avait envoyé Tite, avec deux autres frères. Ceux-ci étaient apôtres des églises d'Asie, c'est-à-dire leurs députés. Je pense que ce pouvaient être Tychique et Trophime; Tychique dont il a été déjà fait mention (Tite III, 12) et Trophime que nous retrouverons plus tard avec Tychique, parmi les compagnons de voyage de Paul.

§ 1499. Bien que tout ceci se rattache à une circonstance très particulière, nous ne laissons pas d'y trouver pour nous-mêmes des instructions de première importance. Nous y avons d'abord la preuve que, malgré le secret qui doit généralement envelopper nos aumônes, le Seigneur n'entend point interdire les collectes publiques (§ 316). Puis, l'exemple de ce qui se fit alors invite les églises fidèles à se tendre secours mutuellement. Mais surtout, nous voyons ici de quelle manière doit s'exercer la bienfaisance et par quels motifs. Il faut donner de son plein gré? Non pas le moins possible, mais en quelque sorte au-delà du possible. Il faut donner par amour pour ceux qu'on assiste. Quand on a résolu de donner, il faut se sentir lié en sa conscience, ne pas revenir en arrière, se mettre en mesure d'accomplir la résolution qu'on a prise et le faire avec joie. Voilà quant à la manière. En tête des motifs, se trouve la haute considération de l'exemple de Jésus-Christ, qui, étant riche, à vécu pauvre pour nous, afin que par sa pauvreté nous fussions enrichis. Il a été pauvre: ayons pitié de ses frères pauvres (Jean XX, 17); il nous a enrichis de mille grâces de Dieu: montrons-lui notre reconnaissance en faisant part de nos biens temporels à ceux qui sont les membres de son corps. Un second motif, c'est l'égalité qui doit régner entre les églises, égalité qui n'est pas un nivellement, ni la destruction de toute différence dans les positions respectives; mais, d'un côté, il faut que celles qui peuvent donner le fassent, pour que la charge ne retombe pas tout entière sur quelques-unes seulement, et il faut, d'un autre côté, que celles qui sont riches des biens de ce monde, les communiquent aux églises pauvres, en échange du bien spirituel que celles-ci leur font par leurs prières et souvent par l'exemple d'une plus grande piété. Un troisième motif pour donner et pour donner libéralement, c'est que Dieu ne manque jamais de récompenser les actes de bienfaisance qui partent d'un cœur croyant, et qu'il proportionne la rémunération à la libéralité. Sur quoi, il faut rappeler «qu'on est agréé selon ce qu'on a, et non selon ce qu'on n'a pas.» C'est-à-dire que la libéralité se mesure, moins par la quotité de la somme qu'on verse dans une collecte, que par ce qu'on garde pour soi; en sorte que celui qui, ayant peu, donne peu, donne davantage que celui qui donne beaucoup et auquel il reste encore infiniment plus qu'il ne donne. Quatrième motif: Rien n'ouvre le cœur à la grâce de Dieu, comme de savoir ouvrir sa bourse largement. Si nous abondons en œuvres de bienfaisance, Dieu nous fera abonder en toute bonne œuvre, et il accroîtra, dit l'apôtre, les produits de notre justice. Un cinquième motif, c'est qu’en donnant aux saints, non seulement on pourvoit à leurs besoins, mais encore on leur fournit le sujet de louer le Seigneur; c'est-à-dire qu'on affermit leur foi et leur confiance en lui. Enfin, sixième et septième motifs: Ceux à qui nous donnons, auront pour nous un amour toujours plus vif et ils multiplieront les prières qu'ils font en notre faveur. — Mais l'apôtre ne saurait terminer cet admirable traité sur la bienfaisance, sans élever son cœur à Celui par la bienfaisance duquel nous subsistons et nous sommes sauvés: «Grâces à Dieu, dit-il, pour son don ineffable!»

10: 1-6
§ 1500. Les détracteurs de Paul (et il y en avait à Corinthe autant que de chefs de parti), prenaient avantage contre lui de ce qu'il avait un extérieur peu imposant, de ce qu'il ne parlait pas le grec comme l'aurait fait un citoyen d'Athènes, enfin et surtout de ce que, tout de feu dans ses lettres, sa parole semblait mollir, lorsqu'il se trouvait en présence de ses adversaires. C'est à quoi l'apôtre fait allusion, exhortant les Corinthiens, par la douceur et la clémence du Christ, à ne pas le mettre dans la douloureuse nécessité de déployer toute sa force quand il arriverait au milieu d'eux. Car, faible en la chair ou extérieurement, il ne faisait pas la guerre selon la chair, et le Saint-Esprit mettrait à sa disposition des armes capables de renverser les forteresses dans lesquels l'orgueil humain se retranche contre Dieu, capables aussi de réduire les âmes à l'obéissance de Jésus-Christ, capables enfin de punir toute rébellion; mais son désir était que l'église rentrât pleinement dans le bon ordre, afin que, s'il fallait châtier, le châtiment ne tombât que sur quelques-uns.

10: 7-12 
§ 1501. Il est vrai que si l'on ne regardait qu'à l'extérieur, Paul n'était pas en état de rivaliser avec bien d'autres. Toutefois, il appartenait à Jésus-Christ, autant si ce n'est plus que ses détracteurs. Il avait reçu du Seigneur une autorité incontestable, non pour détruire (ce que faisaient les opposants), mais pour édifier. Après quoi, bien qu'il fût loin de vouloir s'arroger une puissance universelle sur l'Église, puissance qui n'appartient qu'à Celui qui mesure à chacun sa place et sa tâche, il n'était pas douteux qu'étant devenu, par la volonté d'en Haut, le père spirituel des Corinthiens (1 Cor. IV, 15), il n'eût à leur obéissance des titres particuliers. Il espérait même que, leur foi s'accroissant, non seulement ils ne lui fermeraient pas l'entrée de leurs cœurs, mais encore qu'ils l'aideraient à porter plus loin son activité. Au moment donc où, de Macédoine, il écrivait cette lettre, il se proposait, une fois à Corinthe, d'en sortir pour prêcher ailleurs l'Évangile: c'est ce qu'il fit réellement, comme nous le verrons bientôt dans son épître aux Romains. Mais, si l'apôtre insistait sur l'autorité qui lui était dévolue et s'il parlait des vastes projets qu'il entretenait, ce n'était pas par esprit de vaine gloire. Il répète à ce propos ce qu'il avait dit dans sa première lettre (1 Cor. I, 31), et il ajoute: «Car ce n'est pas celui qui se recommande lui-même qui est approuvé, mais celui que le Seigneur recommande.»

11: 1-11
§ 1502. Cependant, puisqu'il y avait des gens assez aveuglés ou assez pervertis, pour s'obstiner à dénigrer Paul et son ministère, il fallait bien qu'il se justifiât, au risque (et voilà l'imprudence), au risque de paraître se vanter, et même de se laisser aller involontairement à quelque mouvement d'orgueil. Mais s'il se décide à le faire, c'est par intérêt pour la gloire du Christ et pour le salut des âmes. Oui, il était jaloux de l'affection et de la confiance des Corinthiens, non pour lui, l'ami de l'Epoux (§ 214), mais pour l'Epoux lui-même. Les Corinthiens ne pouvaient se détacher de Paul sans se détacher du Seigneur, et peu à peu ils devaient en venir à rejeter l'Évangile, pour s'attacher aux faux docteurs. Voici donc ce qu'il doit encore dire, afin de rétablir son autorité, contestée au détriment de celle du Seigneur. C'est, d'abord, qu'il n'a été inférieur en rien aux douze premiers apôtres, auxquels il donne cependant le nom d'Envoyés ou d'Apôtres par excellence; c'est que, s'il ne parle pas le langage des lettrés, il n'en a pas moins reçu plus qu'eux, la connaissance des mystères célestes; c'est enfin qu'il a prêché l'Évangile aux Corinthiens, sans recevoir d'eux aucun émolument. Il avait vu d'entrée à quelle espèce de gens il avait affaire. En cette ville universellement adonnée au commerce, il fallait, plus que nulle part, éviter l'apparence de vues intéressées, tout comme il importait de ne pas se mettre sous l'orgueilleuse dépendance du petit nombre de riches qui y recevraient l'Évangile. Mais, ici même, remarquez quelle délicatesse de sentiment. Quand nous aimons quelqu'un, nous ne craignons pas de lui être redevable; aussi Paul se hâte-t-il de dire: «Si je n'ai rien voulu recevoir de vous, est-ce peut-être que je ne vous aime pas?» — «Dieu le sait:» telle est sa réponse.

11: 12-21
§ 1503. À défaut de justes griefs contre les serviteurs de Dieu, les adversaires de la vérité cherchent des prétextes. Or, ces prétextes mêmes, il faut, par charité, les leur enlever s'il est possible. Mais, parmi les adversaires de la vérité, les plus dangereux sont ceux qui la combattent en se rangeant sous ses étendards; qui, au nom de la vérité, renversent la vérité; qui se donnent l'apparence de vouloir, eux aussi, fonder tout leur système sur la Bible et se donnent pour ministres de Jésus-Christ: ouvriers trompeurs, dit l'apôtre, Satan se transformant en ange de lumière, ministres du mal, dont la fin sera selon leurs œuvres! Or, à supposer que Paul fût un imprudent, il y avait plus d'imprudence encore à écouter des hommes qui, n'ayant pour eux que leur arrogance, travaillaient à la perte des âmes. En voyant tant de Corinthiens se laisser entraîner par eux, Paul ne pouvait se garder d'une certaine honte, car cela semblait indiquer que sa prédication n'avait laissé que de faibles traces dans leurs cœurs. Hélas! c'est l'histoire de bien des ministres de Jésus-Christ, qui se voient souvent préférer des docteurs sans consistance, et cela par des personnes de la conversion desquelles ils furent les instruments!

11: 21-23; 12: 1-10
§ 1504. Mais encore, s'il fallait opposer vanterie à vanterie, Paul aurait eu de quoi écraser ses adversaires; lui, vrai fils d'Abraham par sa naissance, et non prosélyte d'entre les nations; lui, serviteur de Jésus-Christ plus qu'aucun autre; lui, au terme bientôt de la carrière apostolique la plus laborieuse, la plus fatigante, la plus exposée, la plus dévouée, la plus angoissée, depuis le jour où il dut fuir de Damas (§ 1167) jusqu'au moment où il écrivait; lui surtout, qui avait été favorisé de visions et de révélations telles que nul de ses collègues n'en avait eu probablement de pareilles à cette époque! Mais non, il aime mieux se glorifier dans ses infirmités. Dieu ayant pourvu de la sorte à ce que l'excellence des grâces qu'il avait reçues ne le remplît pas d'orgueil, il regarde cela comme la plus grande des grâces qui lui avaient été faites. Au reste, il ne voulait pas que l'opinion qu'on se formait à son égard, reposât sur autre chose finalement que sur ce qu'on voyait en lui et sur ce qu'on entendait de lui; c'est-à-dire sur sa vie et sur sa prédication, plutôt que sur les communications mystérieuses qu'il avait eues avec le Seigneur! Ah! certes, ceci n'est pas d'un fanatique!

11: 21-23; 12: 1-10
§ 1505. Vous remarquerez dans le tableau que Paul fait des souffrances de son apostolat, plusieurs traits qui rappellent certaines circonstances mentionnées au livre — des Actes; ainsi, lorsqu'il parle de ses blessures, de ses prisons, de sa lapidation (§§ 1241, 1242, 1218). Mais vous y verrez aussi des allusions à des événements dont le récit ne nous est fait nulle part, nouvelle preuve que le Saint-Esprit n'a point entendu nous offrir, dans le livre des Actes, une histoire complète de la vie de Paul. Vous remarquerez surtout, j'en suis sûr, ce qu'il dit des soucis qui l'assaillaient chaque jour au sujet des Églises qu'il avait fondées, et sans doute aussi des autres. Il est permis de se demander si, peut-être, il ne poussait pas trop loin la sollicitude; s'il n'oubliait pas Celui à qui appartiennent les églises, qui les garde, qui les soutient et qui les relève, après se les être acquises par son sang? Quoi qu'il en soit, rien n'atteste mieux son zèle pour le Seigneur et son amour pour les âmes. Voyez d'ailleurs, par ce qu'il ajoute, ce que signifiait dans sa bouche le mot de «souci.» Il n'y avait pas chez lui manque de confiance dans le Seigneur, ni la prétention d'être en quelque sorte une Providence pour les Églises: non, c'étaient les misères et les chutes des frères qui pesaient sur son âme, comme si elles eussent été ses propres misères et ses propres chutes. Ainsi entendues, les paroles de Paul ne respirent plus que cette sainte charité dont il nous a déjà donné tant de preuves.

§ 1506. À côté de sa charité, admirez, je vous prie, son humilité. Voyez avec quel embarras et quelle réserve, il parle des magnifiques révélations dont il avait joui! Voyez comme il se désigne sans se nommer; combien peu il tient à raconter les merveilles dont il avait été témoin! Admirez la juste appréciation qu'il sait faire des choses! Selon lui, avancer dans la piété vaut mieux qu'être ravi en extase, même jusqu'au ciel de Dieu; et les progrès dans la sainteté ne sauraient être achetés — trop chèrement, fût-on même souffleté par un ange de Satan. Quant à cet ange de Satan et à l'écharde en la chair dont parle l'apôtre et qui lui avaient été en salutaire humiliation, l'on ne sait au juste ce qu'il faut entendre par là. Peut-être sont-ce les mêmes infirmités physiques dont il est fait mention dans l'épître aux Galates (§ 1331); peut-être quelque chose encore tenant à la vie intérieure, aux combats spirituels de Paul et qui demeurait un secret entre Dieu et lui. Quoi qu'il en soit, ce lui fui une occasion de prières instantes, prières auxquelles le Seigneur fit une réponse qui est pleine de clarté, si l'occasion en est obscure: «Ma grâce te suffit; car ma puissance se consomme dans l'infirmité». En effet, Paul avait éprouvé que «lorsqu'il était faible, alors il était puissant.»

§ 1507. Beaucoup de serviteurs de Dieu ont fait la même expérience. Le Seigneur sait que, par un effet de l'orgueil si fortement enraciné dans nos cœurs, nous ne pouvons devenir les objets de ses grâces, sans que nous soyons tentés de nous élever; en sorte que s'il n'y pourvoyait de quelque manière, on verrait ceux qui lui tiennent de plus près donner aussi les plus grands scandales. Aussi est-il rare qu'il ne les humilie de manière ou d'autre. Au-dehors ou au-dedans, une écharde en la chair, un ange de Satan, des souffrances propres à leur rappeler leurs anciens péchés, à leur faire sentir leur néant, à attirer vers le ciel leurs mains suppliantes, à les maintenir dans une vigilance continuelle. Alors, renonçant à s'appuyer sur les grâces reçues, ils cherchent leur force dans les secours et dans les actes journaliers de la grâce du Seigneur. C'est ainsi que leur faiblesse même les garantit, parce qu'alors, comme le dit l'apôtre: «La puissance du Christ dresse sa tente sur eux.»

12: 11-15
§ 1508. L'apôtre reconnaît donc qu'à un certain point de vue, il a tort de se glorifier, ou seulement de s'en donner l'air. Mais il l'a fallu, et pourquoi? Parce que les Corinthiens, plusieurs si ce n'est tous, avaient méconnu ce qu'il était et ce qu'ils lui devaient. Sur le premier point, il rappelle encore le rang éminent qu'il occupait parmi les envoyés de Jésus, la persévérance avec laquelle il n'avait cessé de lui rendre témoignage et les miracles dont sa prédication avait été accompagnée. Sur le second point, y avait-il une seule église qui fût plus favorisée des grâces de Dieu, et cela par un effet même du ministère que Paul y avait exercé? Il est vrai qu'il leur avait fait l'injure de n'accepter de leurs mains aucun subside, ayant préféré le rôle d'un père qui amasse pour ses enfants; il est vrai qu'il était prêt à dépenser beaucoup et à se dépenser lui-même en faveur de leurs âmes, tant il les chérissait; mais était-ce une raison pour l'aimer moins? — Je ne m'arrête pas à faire remarquer de nouveau l'exquise délicatesse des sentiments de l'apôtre et la tendresse de ses expressions; mais comme on apprend bien par son exemple ce qu'est la charité de Christ dans l'âme de ses vrais serviteurs!

12: 16-21
§ 1509. Combien il dut lui être pénible, après cela, de devoir prévenir l'imputation calomnieuse de duplicité que ses adversaires étaient gens à porter contre lui, comme s'il n'avait eu que les apparences du désintéressement. Il ne laisse pas de l'aborder du front et de la réfuter, en invoquant le témoignage des faits et celui de sa conscience. Ce qui d'ailleurs semblait devoir le mettre à l'abri de tels soupçons, c'était le ton même de ses lettres et la résolution qu'il manifestait de ne ménager personne: ce n'est pas ainsi que se conduisent ceux qu'animent des vues intéressées. Au sujet des mesures sévères que l'apôtre craignait de devoir prendre, il n'y a pas contradiction avec la joie qu'il exprimait plus haut. Il avait sans doute acquis la conviction que le mal n'avait pas fait parmi les Corinthiens d'aussi grands ravages qu'on aurait pu le craindre; mais il ne s'ensuivait pas qu'il n'y eût plus personne dans leur église qui méritât d'être repris. C'est ce qu'il ne faut pas perdre de vue en lisant les épîtres de Paul. Comme le Saint-Esprit les destinait aux églises de tous les siècles, l'écrivain sacré s'exprime la plupart du temps en termes généraux; en sorte qu'on ne doit pas conclure des éloges, que tous les méritaient, ni des censures, que nul ne marchait dans la bonne voie.

13: 1-6
§ 1510. Déjà quelques lignes plus haut, Paul avait dit: «Voici, pour la troisième fois, je suis prêt à aller T vers vous (XII, 14)»; et maintenant il répète: «C'est ici la troisième fois que je viens à vous.» Quelques-uns ont conclu de là qu'il y a entre le premier voyage de Paul à Corinthe (§ 1258) et celui qui eut lieu peu après l'envoi de cette lettre-ci et qui serait le troisième, un second voyage dont le livre des Actes ne parlerait pas et que Paul aurait fait à l'occasion de son excursion en Crète (§ 1464). D'autres pensent qu'il fait simplement allusion à ses deux précédentes lettres, dont la première ne serait pas venue jusqu'à nous (§ 1416). Peut-être cela ne signifie-t-il autre chose sinon que Paul avait eu déjà deux fois l'intention de partir pour Y Corinthe, à l'effet d'y rétablir son autorité méconnue, sans avoir pu ou voulu définitivement exécuter son dessein (§ 1481). Le fait importe peu; ce qui est plus digne de notre attention, c'est le dernier moyen que Paul emploie pour se replacer auprès des Corinthiens dans la position qui lui appartenait légitimement. Après avoir déclaré du ton le plus ferme qu'il était bien résolu à ne point épargner les rebelles, mais à leur faire sentir au contraire l'autorité spirituelle dont le Seigneur l'avait revêtu, il adresse un appel direct à leur conscience. Sont-ils dans la foi ou non? Le reconnaissent-ils lui, du moins, comme étant dans la foi? S'il n'est pas dans la foi, il est donc au nombre des réprouvés, et c'est ce que nul Corinthien n'aurait osé dire. Quant à eux, s'ils ne sont pas réprouvés, ils sont donc dans la foi; et s'ils sont dans la foi, eux et lui, comment peuvent-ils mettre en doute que Jésus-Christ parle par sa bouche? Prétexteront-ils sa faiblesse? Mais en Jésus-Christ lui-même il y a eu faiblesse, et toutefois il vit par la puissance de Dieu. C'est par un effet de cette puissance même que les Corinthiens avaient été convertis, et qui est-ce qui avait été l'instrument de leur conversion, si ce n'est Paul?

§ 1511. Une autre chose digne de toute notre attention, ce sont les exhortations qui terminent la lettre. Elles nous viennent donc d'un homme par lequel Christ parlait et en qui se déployait la puissance de Dieu; d'un homme qui mit au service de la vérité toutes les grâces qui lui avaient été faites et qui ne se servit de son grand pouvoir d'éloquence et de foi, que pour l'édification des âmes. S'il invite les Corinthiens à faire un retour sur leur foi, pour y lire, en quelque sorte, les titres qu'il avait à leur obéissance, le Saint-Esprit ne nous invite pas moins à éprouver notre foi, à voir si nous nous soumettons réellement à l'autorité de la Parole de Dieu. Souvent les afflictions et les tentations se chargent de faire cette épreuve, et combien, hélas! qui y succombent (§ 441). Mais il faut que nous nous éprouvions, que nous nous sondions nous-mêmes. Si nous sommes dans la foi, Christ est en nous (Jean XV, 4,5); or, il est impossible que Christ soit en nous sans que nous en ayons quelque sentiment. Ce n'est pas toujours une impression de vive joie, mais c'est une paix habituelle; non pas l'absence de tout péché, mais une horreur véritable pour le mal; non pas un cœur vide de tout excepté de Christ, mais un cœur pourtant où il occupe la première place. Si Christ est en nous, la solitude ne sera pas pour nous un désert et la société ne sera pas un étourdissement; s'il est en nous, la vie nous sera comme une mort, et la mort nous paraîtra la vraie vie; car, où est Christ, là nous sommes aussi par la foi. Que si, en nous examinant, nous ne trouvions rien de Christ au dedans de nous, hélas! notre état actuel serait celui qui attend les réprouvés au dernier jour (Luc XIII, 27), et malheur à nous si nous n'avons hâte d'en sortir!

13: 11
§ 1512. À vous qui croyez, l'apôtre vous dit: «Réjouissez-vous» (1 Thess. V, 16); et comment ne le feriez-vous pas? Quel plus grand sujet de joie, que de penser qu'on a obtenu le pardon de ses péchés, qu'on est devenu héritier de la vie éternelle, qu'on est gardé par un tendre et puissant Rédempteur et que, par lui, l'on est un temple du Saint-Esprit? — Il vous dit encore: «Perfectionnez-vous.» La sainteté est, chez vous, œuvre commencée, ce qui n'est pas le cas des pécheurs non convertis; mais à quelque point qu'elle en soit, dites-vous bien qu'il y a toujours des progrès à faire dans la foi, dans l'espérance et dans l'amour: pensez-y sérieusement et que ce soit l'objet constant de votre étude et de vos prières. «Consolez-vous»: ne vous laissez pas abattre par les maux de la vie, ni même par le sentiment de vos péchés; car vous portez en vous le Saint-Esprit, qui est le Consolateur, et ce n'est pas dans l'abattement de l'âme que vous pouvez travailler à votre perfectionnement. — «Ayez une même pensée:» l'unité de vues et de principes est tout ce qu'on doit désirer le plus ici-bas, car c'est le ciel anticipé. Enfin, «soyez en paix,» même avec ceux dont les opinions diffèrent essentiellement des vôtres. En faisant ainsi, «le Dieu de l'amour et de la paix sera avec vous,» nous dit l'Esprit de la promesse, par la bouche d'un de ses plus fidèles organes. Enfin, il prononce sur nous cette admirable bénédiction de la part du Dieu trois fois saint: «Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, et l'amour de Dieu et la communication du Saint-Esprit soient avec vous tous,» amen (I, § 926)


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§ 1513. Avant de retourner à l'histoire de l'apôtre saint Paul, au chapitre XX du livre des Actes, jetons un dernier coup d'œil sur les épîtres que nous avons étudiées jusqu'ici: deux aux Thessaloniciens, une aux Galates, une à Timothée , une à Tite et deux aux Corinthiens. Ce sont toutes des lettres de circonstance, ou, comme nous dirions, des lettres d'affaires. Affaires, non de ce siècle, mais du royaume des cieux; toujours est-il que si Paul écrivit aux Thessaloniciens, ce ne fut pas pour leur prêcher l'Évangile, mais pour les consoler dans leurs peines; aux Galates, pour les retenir sur le bord de l'abîme où ils couraient; à Timothée, pour lui donner les directions qu'exigeait son isolement momentané; à Tite, pour lui mettre sous les yeux tous les détails du mandat qui lui était confié; aux Corinthiens, enfin, vous venez de le voir, Paul écrit pour ramener l'ordre au milieu de leurs églises, déchirées par l'orgueil et l'esprit de secte. Il en résulte que le fond de ces épîtres est essentiellement pratique. Elles ne sont, ni les unes ni les autres, destinées à exposer le système évangélique, pas plus au point de vue de l'Église qu'au point de vue du dogme et de la morale. Vous aurez pu remarquer cependant combien les enseignements de cette nature y abondent. Mais ce que vous n'aurez pas observé peut-être, c'est la forme générale dont le Saint-Esprit y revêt les pensées de l'apôtre, forme qui rend évidente l'intention du Seigneur que cette Parole fît autorité dans tous les temps et qu'elle s'étendît à d'autres hommes qu'à ceux qui la reçurent les premiers; c'est ce que vous voyez, par exemple, dans l'affaire de la collecte (§ 1499). L'observation de ce fait est encore plus frappante en ce qui concerne l'exercice des dons miraculeux (§ 1445) et des viandes consacrées aux idoles (§ 1427), par la raison que ceci est tout à fait en dehors de nos circonstances actuelles. De cette manière, les instructions apostoliques sont, à la fois, tout ce qu'on peut de plus spécial et de plus général: c'est, ensemble, le concret et l'abstrait.

§ 1514. L'esprit de Paul, conduit par l'Esprit de Dieu, se porte donc successivement, comme Dieu lui-même, des plus petites choses aux plus grandes. Cela se voit surtout dans l'élévation des motifs sur lesquels Paul fonde l'accomplissement du devoir et la profondeur des principes qui servent de base à son argumentation, quel qu'en soit l'objet. Rappelez-vous, par exemple, à l'occasion de quoi vient cette magnifique parole: «Vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ; c'est qu'étant riche, il a vécu en pauvre à cause de vous, afin que par sa pauvreté vous fussiez enrichis» (§ 1499); et cette autre: «Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit, qui est en vous, lequel vous avez de Dieu, et que vous n'êtes point à vous-mêmes; car vous avez été achetés à prix. C'est pourquoi glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit qui appartiennent à Dieu» (§ 1420). Je pourrais multiplier les exemples; mais ceux-ci suffisent pour me faire comprendre et pour attirer l'attention de mes lecteurs sur ce trait, qui est comme le cachet, non pas de Paul assurément, mais de l'Esprit qui parlait en lui.


ACTES DES APÔTRES. (SUITE).


CCC. Paul achève son troisième voyage missionnaire, en traversant la Macédoine et la Grèce; retour par Troas, Milet, Tyr et Césarée. Cinquième et dernier voyage à Jérusalem.


20: 1-3
§ 1515. Reprenant l'histoire de Paul où nous l'avons laissée (§ 1324), et complétant le récit du livre des Actes par les renseignements que nous ont fournis les épîtres de cette époque, nous devons redire ce que le grand apôtre devint quand il eut quitté Éphèse, et le suivre jusqu'à son dernier voyage à Jérusalem. Au lieu de se rendre directement à Corinthe, comme il en avait eu un moment la pensée (2 Cor. I. 15, 16), Paul prit le chemin de la Macédoine, où nous l'avons vu écrivant sa seconde lettre aux Corinthiens. Mais, auparavant, il avait passé quelque temps à Troas, attendant Tite, que, dans l’intérêt de la collecte et sans doute aussi pour qu'il pût l'informer de l'état des choses à Corinthe, il avait invité par Tychique et Trophime à passer en Achaïe (§ 1477). Tite n'arrivant pas, Paul était parti pour la Macédoine, où il trouva Timothée, revenu récemment de Corinthe, si toutefois il y avait été (§§ 1396,1459), et quelque temps après il vit enfin arriver Tite avec des nouvelles de plus en plus satisfaisantes. Quant à la manière dont Paul occupa son temps, soit à Troas, soit en Macédoine, il n'est pas trop difficile de le conjecturer. Nous savons qu'il y avait des églises en ces lieux déjà visités par Paul; nous savons, d'un autre côté, le zèle avec lequel il prêchait l'Évangile à ceux qui ne l'avaient pas encore entendu.

§ 1516. L'historien sacré ne nous dit pas combien de temps Paul passa en Macédoine avant de diriger ses pas vers la Grèce, mais il nous apprend qu'il ne demeura que trois mois dans ce dernier pays, et qu'au moment de s'embarquer pour la Syrie, il fut décidé qu'il retournerait plutôt par la Macédoine. Or on sait qu'à cette époque les voyages sur mer ne se pratiquaient pas avant le mois de mars. Ce seraient donc décembre, janvier et février qu'il aurait passés en Grèce, et comme il était parti d'Éphèse vers la Pentecôte, son séjour de Troas et de Macédoine comprendrait environ six mois. Quant à ces trois mois d'hiver passés en Grèce, est-ce que ce fut à Corinthe ou à Nicopolis? Il est probable que Paul partagea son temps entre ces deux villes. Je dirais même qu'il le donna tout entier à Corinthe, si l'épître aux Romains (que nous lirons bientôt) ne nous montrait notre infatigable missionnaire annonçant l'Évangile en Illyrie, c'est-à-dire à la porte de Nicopolis.

20: 4-5
§ 1517. Ainsi donc, après avoir vu pour la quatrième fois (§§ 1236, 1361, 1477), ses chères églises de Macédoine, Paul reprit le chemin de l'Asie, accompagné d'un de ses amis de Bérée, nommé Sopater; de trois Thessaloniciens, Aristarque, Second et Gaïus; de Timothée, de Derbe (notre Timothée); puis de Tychique et de Trophime, deux frères d'Éphèse ou du voisinage, rejoints, selon toute apparence, à Corinthe (§ 1498). Qu'il est intéressant de voir tous ces hommes ainsi groupés autour de l'apôtre, et formant comme la couronne de son ministère! D'abord, un de ces Béréens qui s'étaient montrés si zélés à confronter avec les Écritures ce que Paul leur disait; puis, trois frères de Thessalonique, de ceux auxquels il avait écrit: «Quant à l'amour fraternel, vous n'avez pas besoin qu'on vous en instruise»; ensuite Timothée, son véritable enfant dans la foi; deux membres enfin de l'église d'Éphèse, à laquelle Paul avait consacré tant de soins au milieu de tant de peines: tous, ses disciples; quelques-uns, convertis par lui dès ses premiers voyages, d'autres, peut-être, fruits plus récents de son noble travail et les prémices de la grande moisson des âmes en Europe et en Asie. Ils prirent les devants, nous est-il dit. Arrivés à Troas, ils y attendirent Paul et ses autres compagnons de route, au nombre desquels se retrouve Luc, l'auteur même du livre des Actes, comme on le voit par l'emploi qu'il recommence à faire du «nous», au verset 5 (§ 1236). Il paraît toujours plus certain que Luc appartenait à ces contrées. On verra plus tard qu'il était médecin (Col. IV, 14), et, dans l'état habituel d'infirmités et de maladie de l'apôtre, la présence de ce frère devait lui être précieuse. Sans dire que ce soit par cette raison, il est sûr que Luc ne le quitta plus. Il résulte de là que, dès ce moment, le récit vient d'un homme qui, outre les directions du Saint-Esprit, parle en témoin des choses qu'il rapporte; aussi l'histoire est-elle beaucoup plus détaillée.

20: 6-12
§ 1518. Après les jours des pains sans levain (et l'on a calculé que cette année-là, ce devait être le 5 avril), Paul et Luc, avec quelques autres sans doute, partirent de Philippes pour Troas. Or, soit qu'ils naviguassent lentement, soit qu'ils s'arrêtassent dans les ports et dans les îles où se trouvaient des disciples, ils mirent cinq jours à cette traversée; puis, ils passèrent une semaine à Troas. La veille du jour qu'ils avaient fixé pour leur départ était un dimanche, ou, comme on disait encore, c'était le premier jour de la semaine, jour commémoratif de la résurrection du Seigneur, jour où les frères tenaient spécialement leurs assemblées, mais le soir, car on n'avait pas encore pu faire du dimanche un sabbat (§ 1459). Les disciples de Troas étant donc assemblés pour rompre le pain, ce qui est la partie essentielle du culte évangélique (§ 1095), Paul s'entretint avec eux, et prolongea son discours jusqu'à minuit. La salle était éclairée par un grand nombre de lampes; car, s'il est tout à fait licite d'avoir des réunions religieuses durant la soirée, il faut user de précautions pour éviter que le mal ne s'y glisse à la faveur de l'obscurité. Un jeune homme, nommé Eutyche, assis sur une fenêtre, tant il y avait de monde, fut saisi d'un profond sommeil, et, tombant du troisième étage dans la rue, il fut relevé mort. Mais Paul rappela le jeune homme à la vie, et quand il fut remonté dans la salle, on rompit le pain en mémoire de Celui qui s'est donné pour les pécheurs et qui les fait revivre. Cet acte fut suivi, paraît-il, d'une agape (§ 1435), et l'assemblée s'étant prolongée jusqu'au jour, Paul partit ce même matin.

20: 13-16
§ 1519. Mais tandis que tous s'embarquaient pour doubler le promontoire qui est au sud de Troas, Paul prit, seul et à pied, le chemin conduisant de cette ville à Assos, dans le golfe Adramite. Il éprouvait ce besoin de solitude qui, chez un serviteur de Dieu, ne provient pas de dégoût du monde, ni des fatigues du plaisir, ni d'amour pour le changement, mais du désir de se recueillir et de se trouver d'une façon plus intime dans la communion de Dieu (§ 265). Vous pouvez donc vous représenter Paul, par une riante matinée du milieu d'avril, sous ce beau ciel et entouré de cette riche végétation de l'Asie-Mineure, marchant de village en village, inconnu de tous peut-être, mais connu de Dieu; solitaire, mais non pas seul; repassant en son cœur les grâces que le Seigneur lui avait faites depuis environ vingt ans, qu'il l'avait converti sur un tout autre chemin, et se préparant ainsi aux nouvelles épreuves qui l'attendaient et qu'il prévoyait. Ses compagnons de voyage étaient à Assos lorsqu'il y arriva. Sans perdre de temps, ils voguèrent vers Mytilène, d'où ils repartirent pour Chios, puis pour Samos, Iles où ils touchèrent; et, en trois jours, ils furent à Milet (aujourd'hui Palatcha), port de mer au-delà d'Éphèse, Paul n'ayant pas voulu s'arrêter dans cette ville, parce qu'il était pressé d'arriver à Jérusalem pour la Pentecôte.

20: 17-35
§ 1520. Mais si Paul se refusait la douceur de revoir ses amis d'Éphèse, dont il était séparé depuis environ une année, il ne voulut pas du moins passer si près d'eux sans leur donner quelque signe de son affection. Il fit donc appeler leurs anciens, et ce fut en leur personne qu'il dit adieu à toute l'église. Son discours est à la fois touchant et instructif. On en fait aisément l'analyse. Après avoir rappelé quel avait été son ministère à Éphèse, il annonce les maux qui le menaçaient à Jérusalem, donnant à ses amis le douloureux avertissement qu'ils le voyaient pour la dernière fois. À cette heure suprême, il proteste qu'il leur a enseigné toute la pensée de Dieu relativement à leurs âmes; en sorte que s'ils venaient à se perdre, ils en auraient l'entière responsabilité. Il sollicite les anciens à veiller sur eux-mêmes et sur tout le troupeau, afin de le préserver des fausses doctrines et de leur funeste influence. Il termine en recommandant les Éphésiens à la Parole et à la grâce de Dieu, et en disant quelques mots encore de la manière dont il s'était comporté parmi eux.

§ 1521. Ce dernier point est d'un grand intérêt, en ce qu'il complète les récits précédents. Ce que l'historien sacré ne nous avait pas dit quand il racontait les faits, il nous le dit en rapportant le discours de Paul et en le rapportant avec toute l'exactitude d'un témoin auriculaire et oculaire. Ainsi, au verset 34: «Vous savez vous-mêmes que ces mains ont servi, etc.» Ne semble-t-il pas qu'on voie Paul debout, parlant et étendant vers les anciens d'Éphèse, ces mains qui avaient pourvu à sa nourriture pendant son long séjour chez eux. Ce séjour avait duré trois ans à peu près, y compris l'excursion en Macédoine et en Crête. Dès le premier instant jusqu'à la fin, Paul s'était entièrement donné au service du Seigneur, accomplissant son ministère au travers de nombreuses souffrances morales et sans cesse exposé aux embûches des Juifs. Tout ce qu'il importe de connaître de Dieu et de son salut, il n'avait pas discontinué de l'enseigner à Éphèse, tant en public, que de maison en maison, et son activité y fut telle, que le jour ne lui suffisait pas. D'ailleurs, combien d'esclaves, d'artisans, de gens occupés qu'il ne pouvait atteindre que dans la soirée, et son travail journalier, à lui-même, devait souvent ne lui laisser de libre que la nuit. Ce qu'il prêchait, tant aux Juifs qu'aux Grecs, c'était de se convertir à Dieu et de croire en Jésus-Christ, comme le faisaient tous les apôtres. Voilà le seul fondement qui doit être posé, et c'était en édifiant là-dessus (§ 1408) que Paul développait tout le plan de Dieu quant à la rédemption des élus. Ensuite, s'il parle du désintéressement avec lequel il avait accompli sa mission, c'est, comme avec les Corinthiens, pour la gloire de Dieu, et non pour la sienne. Il est si loin de s'en faire un mérite, qu'il rappelle à cette occasion une belle parole du Seigneur qu'on ne lit pas dans l'Évangile, mais que les disciples s'étaient transmise de bouche en bouche: «Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir.»

§ 1522. Si Paul parle de ses travaux, c'était aussi pour servir de modèle aux anciens de l'église d'Éphèse et à ceux de tous les temps. «Anciens» est leur vrai nom, et non pas celui de pasteurs, comme portent certaines versions. Nous avons vu ailleurs (§ 1468) qu'on appelait ainsi les conducteurs des églises; et nous voyons ici que leur office était de prendre garde au troupeau dont Jésus est le Pasteur ou le Berger (Jean X, 11,16). C'est pour cela qu'ils sont aussi appelés «surveillants» ou «évêques.» Ils ne sont pas au-dessus du troupeau, mais ils sont «dans le troupeau,» comme dit le texte sacré. Enfin, quand une église procède au choix des anciens selon l'ordre établi par le Saint-Esprit, c'est le Saint-Esprit lui-même qui les établit (§§ 1372-1374; 1468). Ceux d'Éphèse avaient sûrement été investis de leurs fonctions, du consentement de l'église et avec le concours de l'apôtre; mais, bien que nous n'ayons plus d'apôtres avec nous, si nos anciens sont des hommes pieux, versés dans les Écritures, approuvés de l'église, choisis et institués au milieu d'abondantes prières, nous pouvons et nous devons les envisager comme établis dans le troupeau par le Saint-Esprit, pour le garder, le surveiller et le paître, ou le conduire. Quant à eux, s'ils sont vraiment dignes de leur charge, ils n'envisageront point comme leur appartenant, un troupeau qui est l'assemblée de Dieu et non la leur, un troupeau que Dieu, en Christ, s'est acquis au moyen de son propre sang. Mais ce ne sera pas une raison pour qu'ils ne prennent pas un vif intérêt à tout ce qui concerne l'église. Voyez par quels puissants motifs l'apôtre exhorte les anciens à veiller sur eux-mêmes et sur tout le troupeau. Sur celui-ci, parce que des loups ravissants s'y faufileront pour le ravager (§ 362); sur eux-mêmes, parce que de faux docteurs ne manqueront pas de s'élever au milieu d'eux, malgré l'institution du Saint-Esprit. Or si les choses devaient se passer de la sorte à cette glorieuse époque du christianisme, ne nous étonnons pas trop de voir les mêmes maux se renouveler de nos jours. Que les anciens qui ont encore quelque fidélité, ne s'acquittent qu'avec d'autant plus de zèle de leur importante mission. Qu'ils le fassent aussi avec le désintéressement de Paul. C'est le devoir des églises d'entretenir leurs anciens; ceux-ci ont donc, devant Dieu, droit à une rémunération (§ 1428); mais il faut que, de manière ou d'autre, ils parviennent à convaincre les membres du troupeau que ce n'est pas en vue du gain qu'ils le surveillent et le paissent. Que dire enfin? S'ils sont vraiment animés de l'Esprit de Christ, ils imiteront l'infatigable activité de Paul, sa fidélité à ne rien soustraire de la Parole de Dieu, et cette compassion profonde qui lui faisait répandre des larmes, à la pensée de maux auxquels il ne pouvait remédier?

32 § 1523. Il est encore dans ce discours, un ou deux mots que je désire de signaler à l'attention de mes lecteurs. C'est d'abord celui qui nous montre entre quelles mains l'apôtre laissait, et les anciens et les fidèles d'Éphèse; sous quelle influence il voulait qu'ils fussent constamment. Il les recommande à Dieu et à la Parole de sa grâce: à Dieu, tout puissant et tout bon, et à sa Parole pleine de grâces. C'est en effet par sa Parole que Dieu garde, bénit, relève, console, sanctifie, affermit les églises comme les individus; c'est de sa grâce que tout bien découle pour les âmes: la loi suprême et la vie des églises, c'est donc la Parole de Dieu, et non celle d'aucun homme. — L'autre trait que je veux encore 22-24 relever, c'est celui où l'apôtre parle de l'avenir vers lequel il marchait. Il n'y a rien de plus angoissant que la perspective certaine de maux graves, dont on ignore la nature. Telle était la douloureuse situation de Paul. «Mais je ne tiens compte de rien, dit-il, et ma vie ne m'est pas aussi précieuse que de consommer avec joie ma course et le ministère que j'ai reçu du Seigneur.» Quel bel exemple de dévouement et de renoncement à soi-même (§ 539).»

20: 36-38
§ 1524. Si le discours de Paul est touchant, la scène qui le suivit ne l'est pas moins. Voyez ce vénérable serviteur de Dieu qui ploie les genoux pour lui offrir, avec ses frères, de ferventes supplications: des larmes s'échappent de tous les yeux, on l'embrasse avec tendresse, et ce qui causait tant d'affliction, c'est que Paul leur avait dit qu'ils ne reverraient plus son visage. L'affection chrétienne a donc aussi ses douleurs! Avant la grande séparation qui doit durer jusqu'à la réunion générale auprès du Seigneur (§§ 1286, 1304), il y a de fréquentes et douloureuses séparations ici-bas. Encore sont-elles bien adoucies lorsque la prière y préside. On se quitte, mais on demeure uni par la foi, l'espérance et l'amour. Ces liens immuables existaient entre Paul et ses chers Éphésiens. Quand ceux-ci virent cingler le navire qui emportait l'envoyé de Jésus, leur cœur pouvait soupirer encore, mais ce n'était pas avec déchirement.

21: 1-6
§ 1525. Ce ne fut pas sans peine toutefois que Paul et les siens s'arrachèrent des bras de leurs amis pour continuer leur voyage. Longeant les îles de Cos et de Rhodes, ils abordèrent à Patara, ville à l'extrémité méridionale de la Lycie. Ici, ils montèrent sur un vaisseau marchand qui passait en Phénicie, et, laissant à leur gauche l'île de Chypre, cette île où Paul avait commencé avec Barnabas ses travaux missionnaires (§ 1201), ils abordèrent à Tyr. Bien que Tyr existât encore et qu'elle fît toujours quelque commerce, ce n'était plus l'orgueilleuse Tyr des prophètes; mais il s'y trouvait ce qui vaut mieux que l'or et la pourpre. La bonne nouvelle du salut y était parvenue, et Paul put y jouir pendant une semaine de la société de ses frères. Ceux-ci, avertis sans doute par Paul lui-même des maux qui l'attendaient à Jérusalem, le suppliaient de ne pas y monter; ils le lui demandaient au nom du Seigneur et dans la charité que donne l'Esprit saint; peut-être présentaient-ils aussi leurs instances comme la voix même de cet Esprit. Mais Paul, muni de directions particulières et plus certaines, savait que là où le Seigneur commande, le cœur ne doit être écouté que dans le sens de l'obéissance. Le terme de son séjour à Tyr étant donc arrivé, tous les frères, avec les femmes et les enfants, l'accompagnèrent au bord de la mer, et, à genoux sur le rivage, ils se séparèrent, comme à Milet, après avoir prié les uns pour les autres. Puis, s'étant encore réciproquement salués ou recommandés à Dieu, Paul et ses compagnons de route montèrent sur le vaisseau qui devait l'éloigner pour toujours de ces contrées.

21: 7-10
§ 1526. Après avoir abordé à Ptolémaïs et consacré un jour aux frères de la localité, les voyageurs arrivèrent enfin à Césarée, le terme de leur voyage par mer. C'était là que dix-huit ou vingt ans plus tôt, Pierre avait baptisé Corneille, et, qu'auparavant encore, Philippe, l'un des sept, avait prêché l'Évangile pour la première fois. Corneille n'y était plus sans doute, mais oui bien Philippe. Le premier devait avoir changé de station avec sa troupe; il se pouvait même que le Seigneur l'eût retiré des combats de ce monde. Quant à Philippe, c'était là qu'il exerçait ses fonctions de prédicateur de la bonne nouvelle, ou d'évangéliste. Il avait quatre filles encore jeunes qui prophétisaient, expression dont le sens nous est maintenant connu (§§ 1445 et suiv.). Paul lui-même avait été jadis à Césarée, et l'on comprend d'ailleurs qu'avant de monter à Jérusalem, il se soit procuré la douceur de passer le plus de temps possible dans une ville où l'Esprit du Seigneur agissait avec tant d'évidence.

21: 11-14
§ 1527. Pendant qu'il était là, un prophète nommé Agabus, le même, pense-t-on, qui avait prophétisé jadis la famine (§ 1188), descendit des montagnes de Juda, et, joignant à son discours un acte symbolique qui rappelle les anciens prophètes (II, § 667), il annonça que les Juifs lieraient Paul et le livreraient aux païens pour le faire mourir. «Quand nous eûmes entendu cela, dit Luc, nous l'exhortâmes, nous et ceux du lieu, à ne pas monter à Jérusalem.» On s'étonne que des amis de Paul, des hommes qui partageaient sa foi et s'associaient d'ailleurs si bien à son dévouement, aient pu s'opposer de la sorte à la volonté de Dieu. Mais, quoique la prophétie signifiât tout à la fois, et que Paul irait à Jérusalem et qu'il y serait mis dans les chaînes, l'affection que Luc et tous les frères portaient à Paul, la leur fit entendre comme si le Saint-Esprit avait dit que, dans le cas où Paul persisterait à gagner Jérusalem, il n'y trouverait que des malheurs. Il n’est pas rare en effet de se méprendre sur le vrai sens de l'Écriture, parce qu'on écoute ses affections naturelles, au lieu de les soumettre, comme tout le reste, à la Parole de Dieu (1 Tim. V, 21). Ici toutefois, il y avait plus qu'une affection naturelle: il y avait l'amour chrétien, il y avait le sentiment de l'immense perte que ferait l'Église en perdant Paul; de sorte que les larmes de ses frères étaient, par un côté, fort légitimes. Cependant elles ne laissaient pas de peiner celui qui en était l'objet. Décidé à remplir son devoir jusqu'à donner sa vie, s'il le fallait, il se sentait, non pas ébranlé, mais déchiré par tant de sollicitude. Ses amis le comprirent enfin, et, calmés par son propre calme: «Que la volonté de Dieu soit faite,» dirent-ils, tous d’une voix. Ils sont nombreux, dans l'histoire de l'Église, les moments où les serviteurs de Dieu ne purent accomplir leur tâche qu'au prix de grands déchirements; or le temps des sacrifices n’est pas fini, et ceux qui aiment leurs frères doivent veiller sur eux-mêmes et sur leurs propres impressions, pour ne pas rendre, par des sollicitations inopportunes, l'immolation toujours plus douloureuse.

21: 15,16
§ 1528. Enfin donc, Paul s'achemine du côté de cette ville de Jérusalem, où il allait rentrer pour la cinquième et dernière fois depuis sa conversion et d'où il ne devait sortir que lié de chaînes comme un malfaiteur. Il y monte escorté, non seulement par les compagnons de son long voyage, mais encore par plusieurs disciples de Césarée. Ce n'était pas pour le protéger contre ses ennemis, ni par curiosité de ce qui allait arriver; mais il leur était doux de l'assister de leur présence et de leurs prières. Ils conduisirent Paul, Luc et les autres chez un Cyprien, nommé Mnason. C'était un ancien disciple, converti peut-être au Seigneur dans le premier voyage missionnaire de Paul. Heureux Mnason! d’avoir pu exercer l'hospitalité envers ce grand et fidèle serviteur de Dieu! — Ce devait être l'an 58 de l'ère chrétienne. Je n'entrerai pas dans l'exposition des données historiques qui servent à déterminer cette date; mais il ne sera pas sans intérêt pour mes lecteurs d'entrevoir du moins par quels calculs astronomiques on a pu se diriger. Nous avons vu, dans cette Étude même (§1518), que Paul partit de Troas un lundi, après y avoir passé sept jours, et qu'il en avait mis cinq pour se rendre de Philippes à Troas. Il suit de là qu'il avait quitté Philippes un mercredi, savoir douze jours avant son départ de Troas. Mais on voit, d'un autre côté (Act. XX, 6), qu'il était parti de Philippes à l'expiration de la semaine dite des pains sans levain, et comme cette semaine suivait immédiatement la Pâque, il est facile de calculer que, cette année, la Pâque, ou le 15 Nisan, tomba sur le mardi, et par conséquent aussi le 1er de Nisan. Là-dessus, on s'est posé ce problème: En quelle année de cette période la lune de l'équinoxe du printemps se renouvela-t-elle un mardi? Par des tables astronomiques qu'il est possible de rétablir en tout temps, on s'est convaincu que ce dut être en l'année 54 ou en l'année 58, mais que ce ne peut avoir été aucune des années intermédiaires ou immédiatement subséquentes. Or, après avoir pesé le pour et le contre, il me paraît que l'an 58 est la date la plus réellement probable, et comme je l'ai dit (§ 1518), Paul serait parti de Philippes le 5 avril. Quatre années à peu près s'étaient écoulées depuis qu'il avait visité Jérusalem pour la dernière fois et que, vers l'automne, il avait entrepris sa troisième tournée missionnaire, j'entends de celles que le livre des Actes mentionne (§1344); et il pouvait y avoir vingt-deux ans, vingt au moins, que le Seigneur l'avait pris à son service. Paul n'était plus jeune, et il devait se sentir encore plus vieux de fatigues et d'infirmités que d'années. Nous allons le suivre dans les nouvelles épreuves auxquelles il plut à Dieu de soumettre sa vieillesse et admirer les grandes œuvres qu'il lui réservait encore, tout en le plaçant en des circonstances bien nouvelles pour lui. Cet homme si actif va se voir retenu par une longue captivité, sans que ses chaînes puissent lier toutefois le témoignage qu'il rendait à son Sauveur: il n'ira plus de lieu en lieu poussé par le l'Esprit Saint, et nous ne l'en verrons pas moins édifiant l'Église et le monde par ce même Esprit. Mais nous avons à étudier auparavant une épître qu'il écrivit peu de jours avant de quitter l'Europe pour retourner en Asie: c'est l'Épître aux Romains.


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