CCXXXX. Suite du premier voyage missionnaire. — Paul à Iconie, à Lystre, à Derbe et retour.
13:
44-47
§ 1211. On doit bien penser que, pendant toute
la semaine, il ne fut bruit à Antioche que de ce qui s'était
passé, le précédent sabbat. Les apôtres d'ailleurs ne pouvaient
être demeurés oisifs; en sorte que, le sabbat suivant, une grande
foule de païens s'assembla pour entendre la Parole de Dieu. Alors
le monde eut sous les yeux un bien triste spectacle. Ces
malheureux Juifs, toujours et partout les mêmes, au lieu de se
réjouir des succès de l'Évangile, s'indignèrent à la pensée que
les païens étaient appelés à partager avec eux les grâces du
Seigneur, preuve qu’ils n'en sentaient pas le besoin pour
eux-mêmes (§§ 682, 683). Ils se mirent donc à contredire Paul et
Barnabas. Dans leur fureur, ils allèrent jusqu'à des blasphèmes,
et, en se comportant de la sorte, ils montrèrent clairement aux
apôtres la marche qu'ils avaient à suivre dorénavant (§ 356).
C'était bien devant eux que Paul et Barnabas avaient dû commencer
leurs prédications (Act. III, 26); mais puisqu'ils repoussaient la
Parole de Dieu, s'excluant ainsi volontairement de la vie
éternelle, les ministres de Jésus-Christ n'avaient pas autre chose
à faire qu'à se tourner vers les nations étrangères, estimées par
les Juifs si fort au-dessous d'eux. C'était d'ailleurs ce qu'Ésaïe
avait prophétisé (Ésaïe XLIX, 6); et voilà comment les ennemis de
la vérité contribuent souvent à la mettre en lumière!
13:
18.49
§ 1212. Mais tandis que les fils d'Abraham
selon la chair «annulaient contre eux-mêmes le conseil de Dieu
(Luc VII, 30),» des hommes jusque-là séparés de la république
d'Israël, se réjouissaient à l'ouïe de la bonne nouvelle; ils
admiraient l'excellence de la Parole sainte; ils la glorifiaient
en se convertissant au Seigneur: «tous ceux,» dit l'auteur sacré,
«qui étaient ordonnés pour la vie éternelle»; car, selon la
déclaration précise de Jésus-Christ, «nul ne va au Fils que le
Père ne l'attire (Jean VI, 44).» C'est pourquoi, la Parole du
Seigneur se répandait dans toute la contrée, nonobstant
l'opposition des Juifs; car leur incrédulité ne pouvait assurément
empêcher que cette Parole ne parvînt aux âmes dont l'Éternel
voulait le salut.
13:
50-52
§ 1213. Les adversaires de la vérité
commencent d'ordinaire par lui opposer leurs sophismes et leurs
invectives; c'est ce qu'avaient fait les Juifs d'Antioche de
Pisidie. Après cela, quand ils voient qu'en dépit de leurs
efforts, la cause de l'Évangile ne laisse pas de triompher, ils
persécutent ceux qui la prêchent, sauf à exercer plus tard leur
colère contre les personnes qui l'embrassent; c'est ce qu'on vit
encore à Antioche. Jouissant d'une faible influence sur le peuple,
les Juifs excitèrent contre les apôtres quelques dévotes et
certaines femmes de haut rang; puis, par elles, peut-être, les
principaux de la ville, et il en résulta que Paul et Barnabas
furent chassés de ce lieu. Selon l'ordre de leur Maître, ordre
qu'ils n'avaient pas reçu personnellement, mais qui ne les
concernait pas moins, ils secouèrent la poussière de leurs pieds
en témoignage contre ceux qui les rejetaient (§ 484), et, se
dirigeant à l'Est, ils arrivèrent à Iconie. Cependant, ils avaient
fait à Antioche une œuvre stable. Les disciples qu'ils y
laissèrent, tristes sans doute de cette séparation et des
violences qui l'avaient amenée, n'en demeurèrent pas moins dans la
joie que donne le Saint-Esprit. Ils eurent donc la preuve en
eux-mêmes, que leur foi et leurs espérances ne reposaient pas sur
des paroles d'hommes, ni sur la présence des ministres de Jésus,
mais sur l'action même de son Esprit de grâce et de vérité.
14:
1-7
§ 1214. Le séjour des apôtres à Iconie fut de
longue durée et porta des fruits de salut pour beaucoup d'âmes,
tant parmi les Juifs que parmi les païens, malgré l'opposition
constante des défenseurs de la synagogue qui, à Iconie comme à
Antioche, commirent l'indignité d'exaspérer contre les disciples
les esprits des païens, plus disposés qu'eux à la tolérance.
Beaucoup de miracles se faisaient par les mains des apôtres, les
conversions se multipliaient; en sorte qu'il y eut bientôt un
soulèvement général de tous ceux qui n'avaient pas cru. Grecs et
Juifs, les magistrats à leur tête, formèrent le projet de lapider
Paul et Barnabas; mais ceux-ci, comprenant par là que leur œuvre
dans cette ville était achevée, la quittèrent spontanément et se
transportèrent à Lystre, puis à Derbe, villes de Lycaonie, au
sud-est d'Iconie. Ce n'était pas pour se soustraire à de nouvelles
persécutions par un coupable silence; car au contraire, il y
annoncèrent l'Évangile, comme ils l'avaient fait en Chypre, en
Pamphylie et en Pisidie, au risque des mêmes périls.
14:
8-10
§ 1215. Un des premiers fruits de la
prédication des apôtres dans la ville de Lystre, paraît avoir été
la conversion d'un homme qui, dès sa naissance, était privé de
l'usage de ses jambes. Le Seigneur voulant faire de ce pauvre
infirme un monument de sa puissance et tout à la fois de sa grâce,
lui donna, par le ministère de Paul, la faculté de marcher. Or, il
lui arriva, comme à l'impotent guéri par Pierre (§ 1103), que, non
seulement la vie se mit à circuler dans ses jambes, jusqu'à
présent frappées de mort, mais encore que, dès le premier moment,
il put en user non à la manière d'un malade, qui, après un long
séjour au lit, doit rapprendre à marcher, ni à la manière du petit
enfant qui s'exerce longtemps avant de pouvoir poser et diriger
ses pieds avec assurance; mais il allait sautant et marchant,
comme s'il eût toujours eu la pleine possession de ses forces:
œuvre du Dieu créateur, s'il en fût jamais, et touchante image de
la vie spirituelle dont la grâce du Seigneur anime, en les
régénérant, des âmes mortes jusque-là dans leurs fautes et dans
leurs péchés.
14:
11-13
§ 1216. Les habitants de Lystre, plus adonnés
peut-être à l'idolâtrie que ceux d'Iconie et d'Antioche, par la
raison, semble-t-il, qu'il n'y avait pas de synagogue juive au
milieu d'eux, ne virent dans ce miracle qu'une seule chose: la
puissance infinie qui s'y était déployée; et comme ils ne
connaissaient pas Celui qui a créé les cieux et la terre, comme
d'un autre côté leur bon sens se refusait à penser que de simples
mortels pussent jouir d'un tel pouvoir, ils s'arrêtèrent à l'idée
que deux de leurs dieux, ayant revêtu la forme humaine, selon
leurs fables, étaient descendus parmi eux. Barnabas étant le plus
âgé, ils jugèrent à son aspect vénérable qu'il n’était autre que
Jupiter, le roi de l'Olympe grec, et de Paul ils firent Mercure,
le dieu de l'éloquence, celui qui portait le caducée devant
Jupiter. C'est pourquoi, le sacrificateur de service auprès d'une
statue de Jupiter, érigée à l'entrée de la ville comme pour la
garder, s'empressa d'amener devant les apôtres des taureaux ornés
de couronnes de fleurs, selon les usages des sacrifices païens,
et, de concert avec le peuple, il s'apprêtait à les immoler en
leur honneur. Mais Barnabas et Paul ayant appris ce qui se
préparait, déchirèrent leurs vêtements et se précipitèrent dans la
foule, en poussant des cris qui attestaient en même temps leur
confusion et leur zèle pour Dieu. Voici donc la seconde fois que
nous voyons combien il eût été facile aux apôtres d'exploiter,
dans leur intérêt particulier, l'enthousiasme qu'excitait leur
puissance; la seconde fois aussi que nous voyons combien l'homme
est naturellement enclin à détourner de Dieu la gloire qui lui est
due (§ 1179). Mais Celui qui donnait à ses envoyés le pouvoir
d'opérer des miracles, les gardait par son Saint-Esprit, et ce fut
par ce même Esprit qu'ils prononcèrent le discours plein d'énergie
que nous lisons en cet endroit.
14:
15-18
§ 1217. Si l'on s'étonnait que les apôtres
n'aient pas profité de l'occasion pour annoncer Jésus-Christ à ces
pauvres Lycaoniens, il faudrait se rappeler les circonstances où
ils se trouvaient. C'était au milieu d'une foule confuse, dont il
s'agissait de comprimer le coupable élan et à laquelle il n'était
pas possible de faire entendre de longs discours. Paul donc,
allant au plus pressé, se contente d'abord de protester contre
leur idolâtrie, partant pour cela des honneurs mêmes qu'ils
voulaient leur décerner, à eux qui n'étaient que des hommes,
sujets à toutes les infirmités humaines. Cependant, ce que les
apôtres leur prêchèrent ne laissait pas d'être une bonne nouvelle,
selon le mot que porte le texte; car ils leur parlèrent de la
patience et de la bienveillance du Dieu tout-puissant; ils leur
dirent que c'est lui qui remplit les cœurs de nourriture et de
joie. D'ailleurs, inviter les pécheurs à se tourner vers Dieu,
n'est-ce pas leur annoncer la bonne nouvelle que Dieu voudra bien
les recevoir? Ce discours atteignit en partie son but; mais ce ne
fut pas sans peine que ces aveugles consentirent à ne pas adorer
Paul et Barnabas.
14:
19,
20
§ 1218. Après avoir été traités comme des
dieux par les païens de Lystre, les apôtres furent, bientôt après,
traités comme des malfaiteurs par les Juifs d'Antioche et
d'Iconie. Ceux-ci, poursuivant de leur haine les messagers de la
bonne nouvelle, vinrent exciter contre eux les Lycaoniens,
secrètement irrités d'avoir été contrariés dans leurs
superstitions; et, de leur consentement, ils lapidèrent Paul. Ce
fut Paul et non Barnabas, qui tomba sous leurs coups, ou parce que
Paul, plus ardent, ne craignit pas d'y demeurer exposé, tandis que
Barnabas se tenait sagement à l'écart, ou parce que Paul, portant
plus habituellement la parole, avait eu particulièrement l'honneur
de s'attirer leur haine. Quand ils l'eurent assommé à coups de
pierres, ils le traînèrent hors de la ville, le laissant pour
mort. Mais, soit que le Seigneur l'eût préservé merveilleusement
de toute atteinte mortelle, soit qu'il le rappelât à la vie par
une résurrection, Paul, entouré des disciples, se leva et rentra
courageusement dans la ville. Cependant, le lendemain même, il
partit pour Derbe avec Barnabas. L'Évangile était maintenant
planté à Lystre dans le cœur de l'impotent et de plusieurs autres:
il n'était donc pas nécessaire que les apôtres y demeurassent plus
longtemps.
14:
21-22
§ 1219. Derbe, autre ville de la Lycaonie,
fut, selon toute apparence, le point extrême du premier voyage
missionnaire de Paul. La prédication de l'Évangile n'y rencontra
pas les mêmes obstacles que dans les localités précédentes; les
apôtres purent y faire un assez long séjour, et ce qu'il y a de
certain, c'est qu'ils y formèrent bon nombre de disciples. Le
moment du départ étant arrivé, Paul et Barnabas jugèrent
convenable de rentrer en Syrie, non point par la Cilicie, ce qui
eût été le plus court chemin, mais par Lystre, Iconie et Antioche
de Pisidie, malgré les persécutions qui les eu avaient chassés.
Ils refirent donc, par une marche rétrograde, absolument le même
voyage jusqu'en Pamphylie, s'employant surtout à affermir les âmes
des disciples, afin qu'ils persévérassent dans la foi sans se
laisser ébranler par la persécution. Ils leur disaient même, selon
la parole de Jésus, que la souffrance est, dans ce monde, la
condition naturelle de ceux qui s'attachent à la vérité (§§ 282,
892).
14:
23
§ 1220. En s'éloignant des villes où ils
avaient prêché l'Évangile, les apôtres n'emportaient avec eux ni
la Parole de Dieu, ni le Saint-Esprit (§ 1213); aussi, malgré leur
absence, les frères de Lystre, d'Iconie et d'Antioche avaient
sûrement fait des progrès dans la foi, et leur nombre avait dû
s'accroître par l'effet de la grâce de Dieu. À leur retour dans
chacune de ces villes, Paul et Barnabas trouvèrent donc des
assemblées ou des églises qu'il s'agissait d'organiser; car c'est
le propre de toutes les œuvres de Dieu, que chacune ait sa forme
particulière, et l'Église, en tant que société, ne saurait se
passer d'une administration quelconque. Mais si le Seigneur, même
sous l'Ancien Testament, avait laissé une assez grande latitude en
ce qui concernait certains détails (I, §§ 738, 739), à plus forte
raison n'a-t-il rien prescrit de très positif quant à
l'organisation proprement dite de son Église. Nous voyons ce que
firent les apôtres, et autant que possible il sera bien de les
imiter; mais il n'existe pas de commandement formel qui impose
l'obligation de les copier dans tous les temps et quelles que
soient les circonstances. On ne saurait méconnaître néanmoins
certains principes qui leur servirent de direction et que nous
devons prendre nous-mêmes pour règle invariable. En tout premier
lieu, il faut de l'ordre dans les églises et des hommes
spécialement chargés de l'y maintenir. Les Juifs avaient, pour
leurs synagogues ou congrégations, des anciens, aussi nommés
ministres ou serviteurs, inspecteurs ou surveillants et évêques.
Nous avons déjà vu que l'église de Jérusalem avait emprunté de la
synagogue cet ordre de fonctionnaires (§ 1188); Paul et Barnabas
ne firent autre chose que de transporter l'institution aux
nouvelles églises que le Saint-Esprit avait fondées par leur
ministère. Il y eut donc en chaque ville, non pas un ancien (ou
évêque), mais des anciens; et nous pouvons conclure de là, d'une
manière générale, qu'il n'est pas bon qu'une église soit sous la
direction d'un seul homme, quelque bien qualifié qu'on le suppose.
§ 1221. Après cela, quoique la chose ne soit pas dite expressément, il est bien probable que les assemblées désignèrent aux apôtres ceux qu'elles estimaient avoir reçu les dons propres à ce ministère, car on ne verrait pas pourquoi l'on n'aurait pas suivi la même marche qu'en d'autres circonstances non moins graves (§§ 1077, 1134); mais, ce qui est plus important, remarquez de quelles saintes précautions on doit s'entourer dans le choix des anciens. Les églises de Lystre, d'Iconie et d'Antioche accompagnèrent de prières et de jeûnes cet acte solennel, et il y a vraiment lieu de s'affliger quand on voit, de nos jours, avec quelle légèreté tant d'églises y procèdent. Enfin, observation non moins sérieuse, lorsque les apôtres quittèrent ces églises, pour ne pas les revoir peut-être, il les remirent, non point à la garde proprement de leurs anciens, mais à celle du Seigneur en qui elles avaient cru. C'est-à-dire que, dans tous les cas, c'est le Seigneur qui est le conducteur, le chef, le seul pasteur du peuple qu'il s'est acquis par ses souffrances; que, quelles que soient la foi, la piété, les lumières des anciens d'une église, c'est toujours en Jésus-Christ que les fidèles doivent chercher leur force et leurs consolations; que les anciens enfin ne sont pas les représentants de Jésus-Christ sur la terre, mais de simples ministres de ses volontés, des instruments, et des instruments d'autant plus utiles qu'ils chercheront moins à s'échapper de la main qui les dirige.
14:
24-28
§ 1222. Trois années avaient pu s'écouler
depuis que Barnabas et Saul étaient partis d'Antioche de Syrie.
Les y voilà maintenant de retour, mais sans avoir repassé par
l'île de Chypre; car de Perge ils étaient descendus à Attalie,
ville considérable sur un promontoire de la côte de Pamphylie, et,
d'Attalie, ils avaient mis directement à la voile pour Antioche.
Quelle ne dut pas être la joie de Niger, de Lucius, de Manahem, de
tous les frères et de toutes les sœurs, en revoyant ces premiers
messagers de la bonne nouvelle au milieu des païens! Si l'église
n'avait pas été tout ce temps sans informations à leur sujet, elle
savait les graves périls qu'ils avaient courus plus d'une fois.
Maintenant, ils sont là sains et saufs, et quelles merveilles
n'ont-ils pas à leur raconter! Dieu n'a cessé d'être avec eux!
Dieu lui-même a agi par eux! Il a ouvert aux nations la porte de
la foi, et le nom de Christ est invoqué par un grand nombre de
personnes qui ne connaissaient auparavant d'autre Dieu que Jupiter
et Mercure, et Vénus et cette foule de divinités impures
qu'adoraient les païens, même les plus instruits. Ce que Paul et
Barnabas firent alors, en racontant les succès de leurs
prédications, c'est ce que font encore de nos jours, les
missionnaires qui reviennent des pays idolâtres ou qui nous
écrivent de ces contrées lointaines. Or, nous savons tous combien
il y a d'édification dans leurs récits; en sorte que par la
conversion des peuples, le Seigneur fait deux biens à la fois: il
sauve de l'enfer des âmes qui s'y précipitaient, et il affermit
celles qui apprennent les merveilles de sa grâce. Mais de toutes
les missions, il n'en fut jamais de plus importante que celle dont
Paul et Barnabas venaient de s'acquitter; car, après celle
d'Antioche de Syrie, ce fut la première mission prolongée en pays
idolâtre.
CCLXXXI. Conférence des apôtres à Jérusalem. — Troisième voyage de Paul dans cette ville, depuis sa conversion.
15:
1-2
§ 1223. On voit par les derniers mots du
chapitre précédent, que Paul et Barnabas firent à Antioche un
séjour assez prolongé, en sorte qu'on ne peut savoir au juste à
quelle époque eut lieu le grand événement qui nous est raconté
dans ce chapitre-ci. Il n'est pas probable toutefois qu'il faille
le placer fort longtemps après le retour des apôtres. Le bruit de
leurs triomphes sur le paganisme ne tarda pas à gagner Jérusalem.
Or, en apprenant que tous ces païens étaient passés à Jésus-Christ
sans s'être auparavant affiliés à la race d'Abraham par la
circoncision, il dut y avoir une certaine rumeur parmi les
chrétiens de Jérusalem, tous d’origine juive et pratiquant les
ordonnances de Moïse, ainsi que nous l'avons vu précédemment.
Quelques-uns d'entre eux, sans en avoir reçu mission de personne,
descendirent à Antioche, et se mirent à y prêcher que les païens
ne pouvaient être sauvés par Jésus-Christ, si au préalable ils ne
se faisaient circoncire, selon la coutume de Moïse. Ce fut à cette
prétention, ainsi formulée, que Paul et Barnabas firent la plus
vive opposition, non seulement pour justifier leur conduite, mais
surtout, nous le verrons bien plus tard, pour maintenir la sainte
et consolante doctrine du salut gratuit, parfaitement accompli en
Jésus-Christ. Comme les frères venus de Jérusalem s'obstinaient,
il fut résolu que Paul, Barnabas et quelques autres avec eux,
monteraient en cette ville, où se trouvaient encore la plupart des
premiers envoyés du Seigneur, afin de les entendre sur cette
question, eux et les anciens d'une église qui était comme la mère
de toutes les autres. Ce n'était pas que Paul et Barnabas pussent
avoir des doutes sur la véritable solution de la difficulté, ni
qu'ils entendissent faire de l'église de Jérusalem la maîtresse
des églises du Seigneur; mais, persuadés en leur cœur que l'Esprit
qui les avait dirigés, conduisait également leurs frères aînés
dans l'apostolat, ils étaient heureux de montrer l'accord parfait
qui régnait entre eux tous sur la voie du salut.
15:
3-4
§ 1224. D'Antioche à Jérusalem ils durent
traverser la Phénicie et la Samarie. La Phénicie, théâtre jadis de
la plus horrible idolâtrie, et la Samarie dont les habitants
étaient naguère si opposés à tout ce qui venait des Juifs. Partout
les députés d'Antioche rencontrèrent des personnes converties
auxquelles ils racontaient en détail, comment les nations
jusque-là les plus étrangères à la connaissance du Seigneur, se
tournaient maintenant vers la parole de sa grâce; et leurs récits
étaient accueillis, non avec l'esprit jaloux qui dévorait les
Juifs, mais avec une grande allégresse. Pouvait-il en être
autrement, puisque ces choses font la joie même des anges dans le
ciel (§ 675)? Arrivés à Jérusalem, Paul, Barnabas et leurs
compagnons de route reçurent le meilleur accueil de la part de
l'assemblée et de ses conducteurs, les apôtres et les anciens. Sur
ce dernier mot, je fais remarquer en passant, que là même où les
apôtres résidaient, ils avaient été conduits par l'Esprit du
Seigneur à établir des anciens pour la direction de l'Église,
tandis qu'ils demeuraient eux-mêmes spécialement chargés du
ministère de la Parole et du témoignage qu'ils devaient rendre à
la résurrection de Jésus-Christ.
15:
4-6
§ 1225. À Jérusalem, comme partout sur leur
passage, Paul et Barnabas s'empressèrent de raconter les choses
que Dieu avait opérées «avec eux» parmi les païens. C'était non
seulement pour affermir l'église et la réjouir, mais pour prouver
par des faits que les grâces du salut se rattachent toutes à la
foi en Jésus-Christ, sans qu'il y ait besoin d'y ajouter
l'observation des ordonnances de la Loi, telle que la
circoncision. Mais, parmi les fidèles sortis de la secte des
pharisiens comme Paul, il s'en trouva qui, trop imbus de leurs
anciennes opinions pour se laisser éclairer par les faits même les
plus évidents (et tous les jours ce phénomène moral se
renouvelle), prétendirent qu'il fallait absolument circoncire les
païens et les soumettre à la loi de Moïse, sans quoi, c'était bien
leur pensée, ils jugeaient impossible que les païens
fussent*sauvés. Alors eut lieu ce qu'on appelle le concile ou le
synode de Jérusalem, mot impropre, à mon avis, puisqu'on entend
ordinairement par là une assemblée régulièrement composée des
délégués d'un certain nombre d'églises, et qu'il n'y avait là que
l'église de Jérusalem et quelques représentants de celle
d'Antioche. Ce ne fut donc, à bien dire, qu'une conférence entre
les fidèles des deux localités où la question des païens avait
pris naissance; mais quand on considère la qualité des personnages
qui y figurèrent, il est tout simple qu'on ait donné une grande
valeur à cette assemblée.
15:
7-11
§ 1226. La discussion fut très vive, comme on
pouvait naturellement s'y attendre; car il ne s'agissait de rien
moins que de savoir si le christianisme revêtirait la forme légale
du judaïsme ou non; si le salut se trouve tout entier ou non dans
la croix de Jésus. Plusieurs déjà s'étaient exprimés là-dessus
avec une grande chaleur, lorsque Pierre, qui avait dû avoir
quelque peine à se contenir, et qui, par son âge comme par le
ministère que le Seigneur lui avait confié (§§ 1176 et suiv.),
méritait une attention particulière, se leva au milieu de
l'assemblée et prononça peu de paroles, mais des paroles pleines
de ce sens et de cette logique que donne l'Esprit de Dieu. Après
avoir rappelé que, dès les jours anciens, c'est-à-dire avant que
l'Évangile eût été prêché parmi les idolâtres de l'Asie-Mineure et
même d'Antioche, Dieu l'avait choisi entre les douze pour
l'annoncer le premier à une assemblée toute de païens, dans la
maison de Corneille, il montra comment le Seigneur, en appelant à
lui ces hommes, les avait mis au niveau des Juifs qui avaient cru;
car il leur avait donné, à eux aussi, le Saint-Esprit, et il avait
purifié leur cœur par*la foi. À cette considération, l'apôtre en
ajoute une seconde; c'est que ni eux, Juifs, ni leurs pères
n'avaient pu être sauvés par la loi de Moïse, joug sous lequel ils
auraient succombé s'ils n'avaient espéré en la miséricorde de
Dieu. Même à ce moment, où les chrétiens de Jérusalem continuaient
d'observer les ordonnances de Moïse, ce n'était nullement par là
qu'ils comptaient d'être sauvés, mais par la pure grâce du
Seigneur Jésus-Christ; si bien que, sous ce rapport encore, il n'y
avait point de différence entre eux et les païens. L'argument de
Pierre avait donc un double aspect, et sous les deux faces il
était sans réplique; d'un côté, dit-il, les Gentils, bien que
non-observateurs de la loi, ont part aux mêmes privilèges que
nous; et nous, bien qu'observateurs de la loi, nous estimons
n'être sauvés que par la grâce qui leur a été faite ainsi qu'à
nous; pourquoi donc vouloir les astreindre aux observances
légales?
§ 1227. Dans ce discours, comme dans tout ce qui est sorti de la bouche et de la plume des apôtres, outre le fond de l'argumentation et l'expression générale des pensées, il y a des mots qu'il importe de remarquer, à raison des traits de lumière qui en jaillissent. Ceci, par exemple: «Dieu n'a point mis de différence entre nous et eux, ayant purifié leur cœur par la foi,» doctrine importante et trop oubliée. «Bienheureux ceux qui ont le cœur pur,» avait dit Jésus-Christ (§ 280); maintenant, il nous fait savoir par son apôtre ce qui purifie le cœur. Ce n'est donc pas seulement le pardon des péchés qui se trouve en Jésus, mais encore la sainteté, et Pierre avait déjà proclamé cette vérité d'une autre manière (§ 1108). Voyez ensuite avec quelle force d'expression, il montre le péché qu'il y aurait à exiger des païens l'observation de la loi pour être sauvés. Il ne se contente pas de dire que personne ne fut jamais sauvé par ce moyen, que la loi ne saurait relever l'âme, puisqu'elle n'est qu'un joug insupportable, mais encore il déclare que ce serait tenter Dieu, lui demander ce qu'il n'avait jamais fait, ce qu'il n'avait point promis de faire, ce qu'il ne pouvait faire sans se démentir. Vous voulez que Dieu leur donne la vie par une chose qui n'est qu'un instrument de mort! vous voulez les mettre dans une condition qui ne peut que multiplier le péché, et vous prétendez que cette surabondance de péché les sauvera! Mais c'est, en quelque sorte, vouloir faire Dieu pécheur; c'est le tenter (§ 155).
15:
12-21
§ 1228. Le discours de Pierre produisit une
telle impression, que toute la multitude garda le silence pendant
un certain temps: il paraît que la délibération avait lieu devant
l'église. C'était le moment pour Barnabas et pour Saul (Barnabas,
le premier, parce qu'à Jérusalem, il reprenait naturellement son
ancien rang), de raconter les faits dont ils avaient été les
instruments et les témoins, et qui venaient à l'appui de
l'argumentation de Pierre. Ces récits mirent fin à la discussion,
et il n'y avait plus qu'à résumer un avis qui, par l'action du
Saint-Esprit, était devenu celui de tous. C'est ce que fit le
président de l'assemblée, ce même Jacques que nous avons vu
l'objet de la déférence particulière du plus éminent des anciens
apôtres (§ 1193), et dont la sainteté fut en honneur parmi les
Juifs, comme parmi les fidèles. Pour confirmer d'une autre manière
encore le discours de Pierre, Jaques en appelle aux prophéties de
l'Ancien Testament sur la vocation des Gentils, citant celle
d'Amos (Amos IX, 11, 12), où l'on voit que l'Éternel ferait
simultanément deux choses: d'abord, il réédifierait la tente de
David, puis, de cette tente redressée, il se ferait rechercher par
les nations sur lesquelles son nom serait invoqué. Ainsi,
relèvement d'Israël en Jésus, fils de David, et appels de grâce
aux peuples étrangers: voilà ce qui devait arriver selon la parole
de ce «Dieu, qui, de tout temps, connaît toutes ses œuvres.» La
conversion des païens d'Antioche et d'Asie était donc l'œuvre de
Dieu, aussi bien que celle des Juifs; en conséquence, il n'y avait
pas à les inquiéter au sujet de leur salut. Ils appartenaient au
Seigneur par la foi et ils n'avaient besoin d'aucun autre mode
d'agrégation au peuple de Dieu. Cependant, afin de n'être pas en
scandale aux Juifs de la dispersion, notamment dans les villes où
ils avaient des synagogues, il importait que les disciples s'y
abstinssent de certaines pratiques tellement odieuses aux fils
d'Israël, que des chrétiens ne pouvaient se les permettre sans
porter un grand préjudice à la prédication de l'Évangile. D'abord,
toute participation à l'idolâtrie et aux fêtes licencieuses des
païens. Il ne semblait pas nécessaire de mentionner cet objet;
mais Jaques savait l'entraînement des fêtes populaires, l'empire
des coutumes nationales, la fragilité de la chair, et l'on
comprend d'après cela qu'il ait fait entrer cet article dans sa
proposition. Quant à manger des viandes étouffées et du sang,
choses qui ne sont pas criminelles en soi, mais qui d'un autre
côté ne sont nullement indispensables, il fallait s'en abstenir
par ménagement pour les Juifs. C'était une manière frappante et
sans cesse renouvelée de prouver que, tout incirconcis qu'on
était, on avait réellement abandonné le culte et les mœurs des
païens. Ce n'était pas dire: Nous sommes devenus Juifs, mais nous
nous sommes séparés du monde.
15:
22-29
§ 1229. Ce que Jaques proposa reçut
l'assentiment des apôtres, celui des anciens et de l'église tout
entière. Judas, surnommé Barsabas, et Silas, hommes considérés
entre les frères, furent choisis «par l'assemblée» pour reconduire
Paul et Barnabas à Antioche, et pour y porter une lettre
remarquable à plus d'un titre. Écrite au nom des apôtres, des
anciens et des frères, et non point au nom seulement de Jaques ou
de Pierre, elle ne fut pas adressée à toutes les églises, mais
seulement à celle d'Antioche, et aux églises voisines de Syrie et
de Cilicie; car, en ce moment, ces églises seules avaient été
agitées par la question qu'on venait de résoudre. «II nous a
semblé bon, dit l'épître, de vous députer, avec Barnabas et Paul,
deux de nos frères qui vous confirmeront de vive voix le contenu
de notre dépêche.» Barnabas et Paul méritaient toute confiance, vu
que c'étaient des hommes qui avaient exposé leur vie pour le nom
du Seigneur Jésus-Christ; il était bon toutefois qu'on vît avec
eux quelques collaborateurs des premiers apôtres, afin de rendre
sensible le parfait accord qui régnait entre tous. Quant au
principal, la lettre des apôtres, des anciens et des frères porte
que ce point a été résolu par eux sous l'assistance, si ce n'est
par une voix du Saint-Esprit. «Il a semblé bon au Saint-Esprit et
à nous,» dirent-ils. Cette formule exprime nettement le mystère de
l'inspiration, phénomène miraculeux dans lequel il y a comme une
infusion de la pensée divine dans la pensée humaine, en sorte que
l'expression de cette pensée est tout à la fois de Dieu et de
l'homme. Et voyez le ton calme et modéré de ces hommes vraiment
inspirés de Dieu! Au lieu de menaces, ils se bornent à dire en
terminant leur lettre: «Si vous vous gardez de cela, vous ferez
bien.» Quel contraste avec les anathèmes fulminés par tant de
conciles qui ont prétendu n'être que la continuation de celui de
Jérusalem, et où les hommes les plus violents, les plus étrangers
à la vérité et aux bonnes mœurs, ont osé faire précéder leurs
décrets de cette formule, si indignement profanée: «Il a semblé
bon au Saint-Esprit et à nous!» Remarquez enfin la simplicité
parfaite des salutations qui ouvrent et ferment cette lettre.
Jamais écrit n’eut un plus grand caractère de vérité; jamais
hommes ne se montrèrent plus éloignés de toute exaltation. On
s'étonne même de ne pas trouver quelque chose de plus solennel
dans un manifeste de cette importance. Nous ne l'eussions pas fait
ainsi; mais c'est ainsi que, sous l'inspiration divine et dans la
simplicité de leur foi, le rédigèrent les apôtres, les anciens et
les frères de Jérusalem, par la plume de Jaques, selon toute
apparence. Ces hommes disaient la vérité purement et simplement;
ils faisaient l'œuvre de Dieu telle qu'elle leur était présentée,
sans songer à l'embellir, ou dirai-je à la travestir en y mettant
du leur.
15:
30-35
§ 1230. Le retour de Paul et de Barnabas fut
pour les disciples d'Antioche le sujet d'une grande joie. Ils
s'estimèrent heureux du résultat obtenu, bien que leur liberté fût
en quelque chose diminuée. Judas et Silas, prophètes du Seigneur,
leur adressèrent de nombreuses exhortations, ou, comme nous
dirions, prêchèrent plusieurs fois à Antioche; après quoi, il leur
fut permis de repartir pour Jérusalem, emportant les vœux et les
bénédictions de l'église. Cependant, Silas préféra demeurer, et
nous allons voir que le Seigneur le destinait à devenir le
compagnon des travaux de Paul, au lieu de Barnabas. En attendant,
sa présence à Antioche y accrut le nombre, déjà considérable, des
docteurs et des prophètes qui illustraient cette église, ou, pour
mieux dire, qui l'édifiaient par leurs prédications et y faisaient
faire constamment de nouveaux progrès au règne de Dieu.
CCLXXXII. Second voyage missionnaire de Paul en Asie-Mineure, puis en Macédoine.
15:
36-40
§ 1231. Deux ans s'étaient écoulés,
pense-t-on, depuis que Paul et Barnabas avaient achevé leur
première mission, lorsqu'ils formèrent le projet de retourner dans
les mêmes lieux pour visiter les frères et voir «comment ils
allaient,» dit l'historien sacré. Jean-Marc se trouvait alors à
Antioche, et Barnabas, son cousin, désirait qu'il fût du voyage.
Mais Paul pensa, non sans raison, qu'il n'était pas à propos de
prendre avec eux un frère qui, la précédente fois, les avait
quittés dès le commencement de la mission. De là un débat assez
vif entre ces deux grands serviteurs de Dieu, Paul et Barnabas;
mais, hélas! c'étaient des hommes sujets aux mêmes infirmités que
nous, comme ils l'avaient dit aux païens de Lystre, et si nous ne
pouvons approuver leur conduite dans cette circonstance, nous
admirerons de nouveau la fidélité avec laquelle le Saint-Esprit
raconte les faiblesses et les fautes des hommes qu'il a le plus
honorés. Nous n'admirerons pas moins comment Dieu sait faire
concorder avec ses plans les péchés de ses serviteurs. Il résulta
de cette altercation qu'il y eut deux missions au lieu d'une:
Barnabas et Marc mirent à la voile pour l'île de Chypre, tandis
que Paul partait avec Silas, après avoir été confiés à la grâce de
Dieu par les frères.
15:
41;
16: 1-5
§ 1232. En faisant son voyage par terre, Paul
eut à traverser deux provinces où sa prédication n'était pas
nouvelle. Dans tous les cas, il s'y trouvait des églises à
visiter, puisque c'était à elles que la lettre du concile de
Jérusalem avait été adressée. Puis remarquez que Paul était
escorté de Silas, un des porteurs de cette lettre (§ 1229).
Toutefois, et encore que Paul eut bien des raisons pour séjourner
en Cilicie, d'où il était originaire, il ne fit qu'y passer, et
l'historien sacré nous transporte immédiatement à Derbe et à
Lystre, soit qu'il supprime les noms des lieux intermédiaires,
Attalie, Perge et Antioche de Pisidie, soit plutôt que les apôtres
aient gagné Derbe directement. Quoi qu'il en soit, l'occupation
principale de Paul, dans ce second voyage, fut d'affermir des
églises qui, jeunes encore et entourées de dangers, devaient avoir
grand besoin des encouragements de la Parole de Dieu. D'ailleurs,
il en est des églises comme de chacun de ceux qui les composent:
ce n'est que par une action constante de la grâce du Seigneur
qu'elles peuvent s'affermir dans la foi et dans la sainteté.
§ 1233. Ce fut ici que Dieu fit à Paul un vrai présent, en lui donnant pour disciple un très jeune homme qui compta dès lors parmi les plus fidèles et les plus utiles collaborateurs de l'apôtre.Il était de Derbe, et s'appelait Timothée. Fils d'un païen, mais d'une femme juive, il avait reçu de bonne heure les semences de la vérité par les soins de sa mère et de sa grand-mère, ainsi que nous le verrons plus tard. Ces deux femmes, Israëlites pieuses, avaient été probablement converties à Jésus-Christ lors du premier voyage de Paul. Le jeune Timothée datait de cette époque le commencement de sa vraie vie, et tous les frères de la contrée, jusqu'à Iconie, rendaient témoignage à la sincérité de sa foi. Il fut donné à Paul de discerner en lui le futur évangéliste, et il résolut de s'en faire accompagner. Mais comme Timothée n'avait pas été circoncis, l'apôtre voulut que, Juif par sa mère, il pût avoir un libre accès dans les synagogues, et, par cette raison, il le circoncit. Ce n'était pas se mettre en contradiction avec ses propres principes, ni avec ceux de la conférence de Jérusalem; d'abord, parce que Timothée appartenait au judaïsme par sa mère, et que la question traitée, soit à Jérusalem, soit à Antioche, concernait les fidèles sortis du paganisme; ensuite, parce que Paul ne fit point circoncire Timothée pour qu'il pût être sauvé, mais pour qu'il pût s'adresser aux Juifs comme un des leurs. En cela donc, Paul fut conduit par la sagesse même de Dieu. Il avait si peu la pensée de se mettre en désaccord avec les résolutions prises par les apôtres et les anciens de Jérusalem que, dans toutes les villes, il les faisait connaître aux disciples et leur en recommandait l'observation. Il ne se bornait pas à cela sans doute. C'étaient toujours les grandes vérités du salut qui faisaient le fond de ses prédications; en sorte que les églises de ces contrées s'affermissaient par la foi et croissaient en nombre chaque jour. Voilà le secret de la force, de la durée et de la fécondité des églises: c'est la foi en Jésus-Christ, l'attachement du cœur à la saine doctrine du salut.
16:
6-8
§ 1234. Cependant, Paul, Silas et leur nouveau
collègue Timothée, ne se bornèrent pas à évangéliser les localités
qui avaient ouï précédemment la bonne nouvelle. Au nord de la
Lycaonie se trouvait la Phrygie, et plus au nord encore la Galatie
(§ 18), deux provinces que nos trois missionnaires parcoururent,
non sans y annoncer l'Évangile, comme nous le verrons par la
suite, et bien que Paul fût alors sous le poids de graves
infirmités. De là ils auraient voulu passer en Asie, par où il
faut entendre, comme au chapitre II, verset 9, les provinces à
l'extrémité occidentale de l'Asie-Mineure et notamment celle dont
Éphèse était la capitale. Mais le moment où le Saint-Esprit
voulait y faire resplendir sa lumière n'était pas encore venu. Les
apôtres remontèrent donc des confins de l'Asie propre, vers la
Mysie, pour passer en Bithynie, qui était à l'Est de la Mysie et
an Nord-Ouest de la Galatie; mais, cette fois encore, l'Esprit de
Jésus ne le leur permit pas. Ils avaient, semble-t-il, une secrète
répugnance à s'approcher de l'Europe, comme si le champ qui se
serait ouvert de la sorte devant eux, leur eût paru trop vaste,
trop difficile, trop périlleux, que sais-je? Mais les pensées du
Dieu des miséricordes se portaient au contraire vers la terre de
Japhet, appelée à de si grandes destinées (I, §234). C'est
pourquoi, Paul et ses compagnons revinrent de nouveau sur leurs
pas, et, laissant de côté ou traversant la Mysie (on peut entendre
le passage de ces deux manières), ils arrivèrent enfin à Troas, où
le Seigneur les voulait et où il est évident, par la rapidité du
récit, que l'historien sacré avait hâte de les conduire. Troas,
6T8 un des points extrêmes du continent asiatique du côté de
l'Europe, était séparé de la Macédoine par une mer peu large et
toute semée d'îles plus ou moins considérables.
16:
9
§ 1235. Il ne paraît pas, cependant, que Paul
eût songé à franchir la faible distance qui les séparait de la
Macédoine, si le Seigneur ne l'y eût déterminé, comme il avait
déterminé Pierre à se rendre près de Corneille (§1176). Plusieurs
jours peut-être s'étaient écoulés, lorsqu'il vit, pendant la nuit,
un homme macédonien qui lui dit de la part de Dieu: «Passe en
Macédoine et viens nous secourir.» Par là, non seulement le
Seigneur révélait à l'apôtre le chemin qu'il devait suivre, mais
encore il lui annonçait pour son encouragement, qu'il y avait en
Macédoine bien des âmes que le Saint-Esprit avait préparées à
recevoir l'Évangile. Au surplus, préparés ou non, il existait là
des pécheurs qui périssaient faute de connaître la voie du salut,
et il s'agissait d'aller à leur secours. Maintenant encore, mes
chers lecteurs, il y a dans cette même Macédoine, pays aujourd'hui
mahométan, il y a en Asie, en Afrique et dans toutes les parties
du globe, des millions d'âmes qui n'ont pas moins besoin de
l'évangile que les Macédoniens du temps de saint Paul. Leur misère
nous crie d'avoir pitié d'eux. Que ce soit donc du fond de nos
cœurs que nous disions tous les jours à Dieu: Ton règne vienne (§
330)! Puis, demandons-nous s'il ne nous serait pas possible
d'ajouter l'action à la prière, soit en portant nous-mêmes du
secours à ceux qui périssent, soit en assistant de nos biens ceux
qui y consacrent leur vie.
16:
10
§ 1236. Éclairé par cette vision, Paul
n'hésita pas un moment sur ce qu'il avait à faire, et aussitôt il
chercha quelque moyen de transport pour la Macédoine. — Remarquez
ici que l'historien sacré, qui, jusqu'à ce moment, avait raconté
des faits auxquels il n'avait point pris part, change brusquement
la forme de son discours, et au lieu de dire: «Il chercha aussitôt
à partir pour la Macédoine,» il dit: Nous cherchâmes aussitôt à
partir pour la Macédoine, concluant que le Seigneur nous appelait
à leur annoncer la bonne nouvelle.» Celui qui parle ainsi était
donc un des collègues de Paul, mais depuis peu. Malgré la modestie
avec laquelle il s'introduit dans son propre récit, on sait qu'il
s'appelait Luc et qu'il était médecin. Peut-être devait-il à sa
profession d'avoir été rapproché de Paul, sérieusement malade à
cette époque, ce que ses propres lettres nous apprendront plus
tard. On pense d'ailleurs que Luc était de Troas ou de quelqu'une
des villes que les apôtres avaient traversées depuis leur séjour
en Galatie. Quoi qu'il en soit, il est sûr que, de païen il était
devenu chrétien, ou, comme on disait, disciple de Jésus-Christ.
Conduit par l'Esprit de Dieu, il se joignit à Paul et à ses deux
collègues. Sous l'inspiration de ce même Esprit, il écrivit plus
tard le livre que nous étudions, après l'avoir fait précéder de
l'Évangile qui porte son nom, évangile qui nous a si fort servi
pour la chronologie et pour l'harmonie de la vie de notre Sauveur.
On peut donc l'envisager comme l'historien principal du Nouveau
Testament; et n'est-ce pas quelque chose d'admirable, de voir le
Seigneur prendre à plus de 200 lieues de Jérusalem, quinze ans
peut-être après sa résurrection et parmi les peuples idolâtres,
l'homme qu'il destinait spécialement à dresser les annales de
l'inauguration de son règne?
16:
11-12
§ 1237. Voilà donc maintenant quatre messagers
de la bonne nouvelle qui font voile vers l'Europe. C'était peu
pour évangéliser tout un monde, monde savant, riche, fier de sa
force, entêté de ses dieux si poétiques, livré sans retenue aux
passions les plus honteuses. Paul, Silas, Timothée et Luc, quatre
ministres de la Parole pour des millions d'âmes! C'est comme les
missionnaires qui, dans le présent siècle, attaquent les
superstitions de la Chine et de l'Inde. Avec quel intérêt
n'allons-nous pas suivre les travaux de ces hommes à qui notre
Europe doit, après Dieu, tout ce qu'elle possède de vraies
lumières et de supériorité sur les autres peuples de la terre, et
qui, dans tous les cas, y ont jeté les premières semences de la
vérité par laquelle nous espérons être sauvés! De Troas, ils se
dirigèrent droit sur Samothrace, île européenne de l'Archipel,
aujourd'hui Semendraki; le lendemain, sur Néapolis, auprès de la
mer; puis, sans s’y arrêter, à ce qu'il paraît, les voilà dans
Philippes, ville importante de Macédoine; non pas la plus
considérable de la province, mais la première qu'on y rencontrât
en venant d'Asie. C'était une antique cité, restaurée et fortifiée
par Philippe, le père d'Alexandre-le-Grand. Près d'elle avait eu
lieu la grande bataille qui donna l'empire à Auguste, et les
Romains y avaient fondé une colonie militaire: c'était comme un
camp placé aux portes de l'Asie. Par cette raison peut-être, elle
comptait peu de Juifs, ou du moins ils y étaient trop peu nombreux
pour avoir une synagogue. Arrivé de la sorte en pays complètement
païen, Paul comprit que ce devait être sa première station et il
fit ses dispositions pour y demeurer quelque temps.
16:
13-14
§ 1238. Il est naturel de supposer que, durant
la semaine, les missionnaires eurent de fréquents entretiens avec
les personnes qu'ils rencontrèrent, et l'on se figure aisément sur
quels sujets ils durent les diriger. Mais le Seigneur veut que son
Évangile soit prêché devant des assemblées (Luc XII, 3). C'est
pourquoi, le sabbat étant venu, les apôtres se rendirent hors de
la ville, près d'une rivière: ils avaient annoncé qu'il s'y ferait
une prière, ou, comme nous dirions, une réunion de culte. Il est
possible aussi que ce fût l'endroit où se donnaient habituellement
rendez-vous les Juifs clairsemés de la ville et le petit nombre de
personnes qui, à Philippes, avaient obtenu par eux quelque
connaissance de l'Éternel. Quoi qu'il en soit, l'assemblée se
trouva composée essentiellement de femmes, si ce n'est
exclusivement. Cela ne prouverait pas que les entretiens des
messagers du salut n'eussent fait d'impression que sur elles;
mais, alors comme toujours, les femmes montrèrent plus
d'empressement et de courage (§§ 966, 974, 995). Tels furent donc
les premiers auditeurs de l'évangile en Europe, et encore fut-ce à
un enfant de l'Asie que la prédication profita le plus. Lydie,
veuve apparemment et marchande de pourpre, étoffe dont se vêtaient
les principaux chefs militaires, Lydie, qui, originaire de
Thyatire en Asie-Mineure, habitait à Philippes pour son commerce,
Lydie, une de ces âmes que Dieu avait préparées, comme Corneille,
pour en faire les prémices de sa moisson, Lydie écoutait, nous dit
Luc, présent à cette scène touchante. Elle écoutait, et combien de
gens, hélas! qui assistent à des prédications sans écouter! «Elle
écoutait, et le Seigneur lui ouvrit le cœur pour qu'elle fût
attentive aux choses que Paul disait;», car c'était Paul surtout
qui parlait. Quand il s'agit des choses de la vie et de choses
d'ailleurs intelligibles, il suffit d'écouter pour comprendre et
pour accepter; mais dans les choses de Dieu, il faut de plus que
le Seigneur lui-même nous rende attentifs à sa parole et à celle
de ses serviteurs, raison péremptoire pour lui demander instamment
son Saint-Esprit, lorsque nous nous disposons à écouter.
16:
15
§ 1239. Heureuse Lydie! elle demanda et obtint
sans peine d'être baptisée; sa maison le fut après elle, ou parce
qu'elle partagea sa foi, ou simplement parce qu'il était naturel
qu'elle partageât la nouvelle position du chef de la famille, je
ne le décide point; puis Lydie supplia Paul et ses collègues de
loger sous son toit, ce qu'elle réclamait comme un témoignage de
la réalité de sa conversion. Or, soit qu'ils répugnassent à
recevoir l'hospitalité chez une femme, pour éviter tout mauvais
bruit, soit qu'ils craignissent qu'on ne les suspectât de faire
des prosélytes pour vivre à leurs dépens (Matth. XXIII, 14), il
fallut que Lydie les forçât, en quelque sorte, à accepter
l'invitation de sa charité. Tout cela ne se passa pas
nécessairement à l'heure de la réunion, ni peut-être dans le cours
de la journée; mais il se peut aussi que ces événements se soient
succédé avec rapidité; car si la grâce de Dieu use quelquefois de
lenteurs, elle sait aussi, quand il lui plaît, hâter la
délivrance.
16:
16-18
§ 1240. Comme Paul et ses amis se rendaient à
la prière, ce jour même ou peut-être une autre fois, ils se virent
suivis par une pauvre esclave qui, faisant le métier de
devineresse au moyen de la nécromancie (II, § 400), procurait
beaucoup d'argent à ses maîtres. Ce n'était donc pas une esclave
inutile quant aux choses du monde (§ 715); mais quelle triste
utilité que celle qui a pour limites cette terre et qui est peu
soucieuse des moyens. Cette malheureuse fille, nous dit Luc, était
sous la puissance de l'esprit malin, et celui-ci, pensant
probablement décrier Paul et ses collègues en 16-18 les
protégeant, ou poussé, comme au temps de Jésus, par une force plus
grande que la sienne (§ 455), faisait crier à sa victime: «Ces
hommes sont des esclaves du Dieu très-haut, qui nous annoncent un
chemin de salut.» Cette scène pénible s'étant renouvelée à
plusieurs reprises, Paul enjoignit à l'esprit de sortir de cette
pauvre créature, et celle-ci, délivrée à l'instant, laissa les
apôtres tranquilles; mais, dès ce jour aussi, elle cessa son
coupable métier.
16:
19-24
§ 1241. On ne saurait croire combien il est de
gens qui sont hostiles à l'Évangile par des motifs d'intérêt
pécuniaire, soit qu'ils exercent un état incompatible avec la foi,
soit qu'ils doivent une partie de leurs profits au mal qui règne
dans le monde. Les maîtres de la pythonisse, désespérés de la
perte que leur occasionnait sa délivrance, s'en prirent à Paul et
à Silas, ceux des quatre missionnaires qui étaient le plus en vue,
et ils les traînèrent devant l'autorité municipale qui, à raison
de leur qualité d'étrangers, les renvoya, paraît-il, aux chefs
militaires. Les dénonciateurs, comme cela arrive en pareil cas, se
gardèrent bien d'articuler leurs véritables griefs; mais, usant de
moyens plus sûrs, ils commencent par jeter de la défaveur sur la
personne des accusés en les signalant comme étant de ces Juifs que
les Romains méprisaient et détestaient tout à la fois; puis, ils
les dénoncent comme troublant leur ville, accusation grave aux
yeux de guerriers qui plaçaient la discipline avant tout; enfin,
ce qui était plus sérieux et plus vrai au fond, ils veulent
établir, dirent-ils, des coutumes incompatibles avec les lois de
Rome. À l'ouïe de ces paroles, grande agitation parmi ce peuple,
zélé pour le nom romain. Sans autre enquête, les commandants de la
place font subir aux apôtres l'horrible supplice de la
flagellation (§ 951); et, le corps déchiré de plaies, on les
conduit vers la prison, où le geôlier reçoit l'ordre de les garder
sûrement. Cet homme, vieux soldat sans doute, dur et sans pitié,
n'exécuta que trop bien son mandat; il les jeta dans la prison
intérieure, quelque cachot obscur, et leur serra les jambes dans
des pièces de bois. Ce fut un sang précieux, que ce sang qui
teignit alors la place publique de la ville de Philippes, le
premier que les témoins de Jésus-Christ donnèrent à leur maître en
faveur de l'Europe païenne, mais non pas le dernier qui ait coulé
dans cette même Europe, païenne encore longtemps, puis devenue
chrétienne de nom!
16:
25
§ 1242. Représentez-vous donc une lourde pièce
de bois, fendue par le milieu et trouée de manière à y serrer les
jambes après que les deux pièces ont été rapprochées et solidement
jointes l'une à l'autre. Dans cette position, le patient ne peut
ni se courber, ni s'asseoir; il ne saurait que s'appuyer à la
muraille s'il en est proche, et il n'a pas même la faculté de
soulever tantôt l'une de ses jambes, tantôt l'autre, afin de se
donner quelque repos. De tout ce que Paul avait enduré
précédemment, il n'y avait rien eu qui portât davantage tous les
caractères du supplice. Alors s'accomplit ce qu'il avait dit
lui-même à ses disciples persécutés, et ce que le Seigneur avait
annoncé à Ananias (Act. XIV, 22; IX, 16). Alors aussi, il put
avoir le douloureux et consolant souvenir des souffrances de
Jésus, dont le corps avait été pareillement déchiré par les verges
des soldats, et qui avait vu ses mains et ses pieds attachés au
bois, mais d'une manière bien plus douloureuse. Admirons donc,
quoique sans étonnement, l'effet que produisirent sur Paul et sur
Silas les tortures qui leur étaient infligées. Ils priaient, ces
saints et fidèles serviteurs de Jésus, ils priaient et chantaient
des hymnes à Dieu, tant leur âme était pleine des consolations du
Saint-Esprit.
16:
25-30
§ 1243. Le milieu de la nuit étant arrivé, il
se fit un miracle pour la délivrance des pieux martyrs. Un
tremblement de terre n'est pas un miracle sans doute; mais toutes
ces portes ouvertes à la fois, les liens des prisonniers se
relâchant en même temps et tombant de leurs mains et de leurs
pieds, c'est une œuvre de la puissance de Dieu, non moins que si
un mort brise les barrières du sépulcre, ou que si une âme
coupable secoue les chaînes du péché. Le geôlier, réveillé en
sursaut et ne discernant autre chose dans les ténèbres, sinon que
partout où se dirigeaient ses pas il trouvait les portes ouvertes,
le geôlier pensa que ses prisonniers s'étaient tous évadés, et, se
croyant un homme perdu, il tira son épée et il allait s'en frapper
Mais Paul qui se trouvait à ce moment près de lui, Paul à qui ni
la frayeur, ni le sommeil ne troublaient les sens, comprit aux
cris de cet homme, non moins qu'à ses gestes, l'acte de désespoir
auquel il allait s'abandonner et il l'arrêta court en lui disant:
«Nous sommes tous ici.» Alors, revenant à lui, le geôlier demande
de la lumière, il entre précipitamment et, tout tremblant, il se
prosterne devant Paul et Silas. Sa conscience, déjà remuée
peut-être par les cantiques de ses saintes victimes, est fortement
émue par la scène qu'il a maintenant sous les yeux; il désire
avoir un entretien particulier avec les apôtres, et, les tirant de
leur cachot, il leur demande ce qu'il faut qu'il fasse pour être
sauvé. Question toute différente de questions en apparence
analogues (§§ 614, 742) et que le Saint-Esprit seul avait pu
mettre dans le cœur de ce pauvre païen. Le sentiment du crime
qu'il avait été sur le point de commettre contre lui-même et qui
put réveiller le sentiment de tous ses péchés; la voix charitable
de ces hommes qu'il avait si indignement traités et qui se vengent
en lui criant: «Ne te fais point de mal;» tel fut sans doute le
double moyen dont le Saint-Esprit se servit pour attirer son âme,
à la fois par la crainte et par l'espérance. Alors sortit de son
cœur cette question importante, importante pour vous comme pour
lui, mes chers lecteurs: «Que faut-il que je fasse pour être
sauvé?»
16:
31-34
§ 1244. À qui fait cette question par le
Saint-Esprit, le Saint-Esprit répond par la bouche des apôtres:
«Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé, toi et ta maison»
(Jean XVI, 8, 14), appel qui sert de point de départ à
d'ultérieures instructions de la Parole de Dieu. C'est ce qui eut
lieu du moins pour le geôlier. Et voyez la puissance
transformatrice de cette divine parole! À peine cet homme, tout à
l'heure impitoyable, en a-t-il reçu les premières atteintes, qu'il
se montre plein de compassion pour les souffrances des
prisonniers; il reçoit le baptême avec tous les siens; puis il
conduit les apôtres dans son appartement, fait dresser une table
devant eux, et son âme est remplie de la joie qu'inspire la foi.
Oh! que de merveilles qui s'accomplirent en cette nuit! Et toutes
ces merveilles, remarquez-le, eurent leur source dans la grande
merveille de la rédemption opérée par Jésus-Christ. C'est par le
souvenir de ses souffrances que Paul et Silas sont soutenus et
consolés dans leur épreuve; si leurs fers tombent, c'est qu'ils
sont des rachetés de Jésus; et comment se fait-il qu'un misérable
pécheur tel que le geôlier puisse, dans un instant, passer de la
mort à la vie? c’est que Jésus est mort pour nos péchés, c'est que
celui qui croit en lui est Justifié, c'est qu'il nous a procuré un
salut gratuit. Le geôlier est sauvé, comme le brigand sur la
croix, parce qu'il a cru, et sa foi se montre aussitôt par ses
œuvres. Oh! vous, qui lisez ces lignes et qui ne savez pas ce que
deviendrait votre âme si elle vous était redemandée, croyez en
Jésus, croyez maintenant; et, à cette heure même, vous serez
sauvés.
16:
35-37
§ 1245. Cependant, les chefs militaires de la
ville de Philippes n'avaient pas eu l'intention de condamner ces
deux étrangers à une longue détention, et peut-être quelques amis
étaient-ils intervenus en leur faveur. Dès qu'il fut jour, ils
envoyèrent leurs licteurs ou sergents d'armes, ordonner au geôlier
de les relâcher; car ils ignoraient les événements dont la prison
seule avait été le théâtre. Le geôlier ne doutant pas que les
apôtres ne profitassent aussitôt de leur liberté, se hâta de les
congédier avec une bénédiction qui partait sûrement du cœur. Mais
non; il se trouvait que Paul et Silas étaient citoyens romains
bien que Juifs (nous verrons plus tard comment); or, il était
sévèrement interdit par la loi de battre de verges un citoyen de
Rome, et non seulement on avait infligé publiquement ce supplice
aux apôtres, mais encore on les avait jetés en prison sans
jugement. Ils déclarèrent donc qu'ils ne sortiraient pas de
prison, à moins que les chefs militaires eux-mêmes ne vinssent les
en tirer. Cette détermination de Paul, preuve de l'énergie de son
caractère, pourrait être envisagée aussi comme un reste d'orgueil,
si l'on ne considérait pas qu'il est généralement permis de
repousser les flétrissures imméritées, que cela même peut devenir
quelquefois un devoir. Il faut qu'à l'occasion le chrétien sache
se laisser traiter comme un malfaiteur, sans se plaindre, ainsi
que l'a fait Jésus; mais à son exemple aussi, il est des cas où
l'on ne doit pas dédaigner de mettre au jour son innocence (§§
923, 931). Or il importait, pour le bien des âmes auxquelles Paul
avait annoncé l'Évangile à Philippes, qu'aucune tache ne demeurât
sur sa personne, s'il se pouvait. C'est pourquoi, dans cette ville
romaine, Paul et Silas, romains l’un et l'autre, crurent pouvoir
réclamer le bénéfice de leurs droits civils, et le pouvant, disons
qu'ils le devaient.
16:
38-40
§ 1246. Quand les chefs apprirent que Paul et
Silas étaient romains (Luc dit sont, et l'emploi du présent montre
clairement que le livre des Actes fut écrit du vivant de Paul et
de Silas), ils sentirent le mauvais pas dans lequel ils s'étaient
engagés. Se transportant à la prison, ils se recommandèrent à la
générosité des prisonniers et ils les élargirent de leurs propres
mains. Toutefois ils les prièrent de quitter la ville. C'est ce
que firent les apôtres, mais non sans être retournés chez Lydie et
sans avoir vu les frères, pour leur adresser quelques paroles
d'encouragement. Par leur retraite, en quelque sorte volontaire,
ils montrèrent que s'ils avaient protesté, ce n'était pas orgueil
ou entêtement. Du reste, Paul comprit sans doute par ce qui venait
de se passer, que le Seigneur l'appelait à porter l'Évangile autre
part, vu que nul devoir ne l'astreignait à tout braver pour
demeurer dans Philippes. L'Évangile y était maintenant introduit;
une église s'y trouvait fondée, c'est tout ce qu'il fallait pour
le présent; la foi implantée dans les cœurs par le Saint-Esprit
allait s'y affermir et gagner du terrain. Nous verrons plus tard
que, malgré l'absence de Paul, cette église devint bientôt
considérable, ayant ses évêques et ses diacres, et ce qui vaut
mieux encore, remarquable entre toutes par les fruits de sa
charité.
CCLXXXIII. Suite du second voyage missionnaire, Paul en Macédoine et en Grèce.
17:
1-4
§ 1247. Une belle route militaire passant par
Amphipolis et par Apollonie, conduisait, en quatre jours, de
Philippes à Thessalonique, chef-lieu de la province, où les Juifs
de la contrée avaient leur synagogue. Ce fut là que Paul se
rendit, ayant toujours avec lui Silas et Timothée; quant à Luc, il
paraît être resté à Philippes ou avoir repris le chemin de Troas,
car il ne parle plus à la première personne du pluriel; mais nous
le retrouverons plus tard dans la société de Paul. Celui-ci et ses
deux collègues traversèrent-ils Amphipolis et Apollonie sans y
jeter quelques grains de la bonne semence? c’est peu probable.
Rappelons-nous toutefois que Dieu est le maître de ses dons, et
que l'élection de sa grâce n'est pas moins visible relativement
aux peuples qu'aux individus. Il valait mieux d'ailleurs que
l'Évangile s'établît d'abord à Thessalonique, sauf à rayonner de
là dans les villes voisines; de plus, cette marche semblait
indiquée par le fait même de l'existence d'une synagogue à
Thessalonique; or, nous savons qu'en général le Seigneur agit par
les voies les plus simples et les plus naturelles.
§ 1248. Nous savons aussi que ses œuvres sont d'une admirable variété. Tandis qu'à Philippes la prédication des apôtres n'avait d'abord réuni qu'un petit nombre de femmes, nous la voyons au contraire accueillie ici, de très bonne heure, par «une grande multitude de Grecs craignant Dieu, avec quelques Juifs et des femmes de premier rang en nombre assez considérable.» Selon leur coutume, les apôtres se présentèrent dès le premier sabbat dans la synagogue; et, durant trois sabbats, ils les entretinrent de Jésus-Christ d'après les Écritures, leur montrant, comme Jésus l'avait fait aux disciples d'Emmaüs (§ 1014), que le Christ devait souffrir, puis entrer dans sa gloire, et lui appliquant ces prophéties. Il plut donc au Seigneur de répandre son Esprit sur des hommes «de toute chair,» dans cette heureuse ville de Thessalonique, et, si la patience des apôtres avait été fort éprouvée à Philippes, ils pouvaient maintenant se réjouir de la manière dont s'accomplissait la vision de Troas: «Passe en Macédoine et viens nous secourir.»
17:
5-9
§ 1249. Mais Satan ne laisse pas entamer son
empire sans émouvoir les siens contre les ministres de la
miséricorde céleste. Si quelques Juifs avaient été persuadés, la
plupart (histoire de tous les temps) furent rebelles à la Parole.
Jaloux des succès que remportaient les apôtres, plus jaloux encore
de voir tant de Grecs baptisés sans avoir été circoncis, et ces
catéchumènes de la loi les devancer dans le royaume de la grâce,
les Juifs incrédules n'eurent pas honte d'ameuter contre Paul et
ses disciples la plus vile portion de la populace. Au milieu de
cette agitation, ils assaillirent la maison de Jason, un des Grecs
sans doute qui avaient cru, Jason, l'hôte des apôtres et
probablement de l'assemblée des frères. Ils avaient compté trouver
chez lui Paul et Silas, qu'ils voulaient livrer au peuple. Dans
leur dépit, ils s'emparent de Jason et de quelques autres, les
traînent devant le magistrat, accusent les apôtres d'avoir
bouleversé toute la terre et Jason de les avoir accueillis dans sa
maison. Puis, comme il fallait pourtant expliquer l'origine des
troubles qu'ils imputaient à ces nouveaux venus, ils imaginèrent
de dire, eux, Juifs, eux peu soucieux, au fond, des droits et de
l'autorité de l'empereur, que ces hommes agissaient tous contre
les ordonnances de César (ce qui était faux puisqu'il n'y avait
point encore d'édits contre les chrétiens), et qu'ils proclamaient
un autre roi dans la personne de Jésus, assertion vraie, mais non
avec le sens qu'ils se plaisaient à y mettre (§ 945). Ainsi, vous
le voyez, toujours le même système d'accusation ou plutôt de
calomnie contre les serviteurs de Dieu: ils sont des fauteurs de
troubles, ils méprisent l'autorité, ils sont mûs par des intérêts
politiques. Quelque fausses et absurdes que soient de telles
inculpations, elles sont toutefois de nature à jeter l'inquiétude
dans les masses et dans l'esprit des gouvernants. C'est ce qui eut
lieu à Thessalonique. Il fallut que Jason et ses co-accusés
donnassent certaines garanties pour l'avenir, après quoi ils
furent relâchés.
17:
10-12
§ 1250. En voyant l'irritation générale des
esprits, les frères de Thessalonique, et Paul le premier sans
doute, comprirent que le moment était venu de se séparer. Ils
firent donc partir Paul et Silas pendant la nuit, gardant près
d'eux le jeune Timothée. Mais ce n'était pas pour retourner sur
leurs pas que les apôtres quittaient Thessalonique; au contraire,
les voilà s’avançant plus à l'intérieur dans la Macédoine, et,
pour preuve qu'ils ne fuient pas timidement le danger, il
s'arrêtent à Bérée, petite ville près de Thessalonique, afin d'y
livrer une nouvelle bataille au prince des ténèbres et y remporter
des victoires encore plus éclatantes que dans le chef-lieu de la
province. Les Juifs de Bérée se montrèrent en effet d'un plus
noble caractère que ceux de Thessalonique. Ils reçurent la parole
des apôtres avec un extrême empressement, ne se lassant pas de
lire et de relire dans la loi et dans les prophètes les oracles
que Paul leur signalait comme ayant été accomplis en Jésus-Christ.
C'est une manière de procéder qui est toujours accompagnée de
bénédictions, et je ne saurais trop la recommander à mes lecteurs.
Il faut que, désireux de connaître à fond les Écritures et d'avoir
Dieu seul pour docteur, ils examinent attentivement le texte même,
sans se borner aux explications qu'on leur en donne; puis, quand
on les renvoie, ainsi que je le fais souvent, à quelque endroit,
soit de l'Ancien Testament, soit des Évangiles, il faut qu'ils y
recourent réellement, pour s'assurer que les explications qu'on
leur présente sont conformes aux Écritures. En ajoutant à cela
beaucoup de prières, il est impossible que leurs études de la
Parole de Dieu ne produisent pas sur eux le même effet qu'un
travail semblable produisit sur les Juifs de Bérée. Ainsi donc,
l'Évangile acquit rapidement en cette ville, comme à
Thessalonique, de nombreux disciples; mais avec cette différence,
que la prédication des apôtres n'y excitait aucune opposition, ni
de la part des Juifs, ni de la part des Grecs.
17:
13-15
§ 1251. Cependant, Bérée était trop rapprochée
de Thessalonique, pour qu'on n'apprît pas bientôt dans cette
dernière ville les magnifiques effets de la prédication des
apôtres. Grande joie chez les frères, cela va sans dire; mais
grande colère aussi chez les ennemis du Seigneur. Ceux-ci, poussés
par leur impiété, se portèrent sur Bérée, et ils parvinrent à y
exciter de l'agitation parmi le peuple, chose toujours facile, car
le cœur humain ne se laisse que trop aisément entraîner à prendre
parti contre Dieu. Or, plutôt que d'occasionner des troubles
violents par la prolongation d'un séjour qui offrait désormais
moins d'utilité que de danger, Paul partit pour Athènes. Les
frères l'escortèrent par la route qui conduisait à la mer, et il
s'en alla seul, laissant à Bérée son cher Timothée, qui l'y avait
rejoint, et Silas, compagnon de ses travaux depuis Antioche. Il
continua son chemin avec quelques amis de Bérée. Ceux-ci le
quittèrent à leur tour, mais non sans avoir reçu l'ordre de lui
renvoyer le plus tôt possible ses deux collègues.
17:
16,17
§ 1252. C'est, en maintes circonstances, une
grande épreuve de patience et de foi que l'isolement, et nulle
part on n'est plus seul que dans la foule d'une grande ville à
laquelle on est étranger. Jusqu'à ce moment, Paul avait toujours
eu quelque frère avec lui, et il dut éprouver alors, comme dit
l'Écriture, «que deux valent mieux qu'un (Ecclés. IV, 1);» il dut
comprendre aussi pourquoi le Seigneur avait toujours réuni ses
envoyés deux à deux (Marc VI, 7; Luc X, 1). Représentez-vous donc
ce grand apôtre, l'esprit et le cœur tout remplis des souvenirs de
Bérée, de Thessalonique et de Philippes, sans parler des églises
d'Asie qu'il avait fortifiées ou fondées dans ce voyage. Quel
contraste avec le spectacle que lui présentent les lieux où le
Seigneur a maintenant conduit ses pas! Athènes, une des plus
illustres villes de la Grèce et de l'antiquité; Athènes, célèbre
par son ancienne puissance, par ses grands généraux, ses
philosophes, ses orateurs, ses poètes, ses historiens, ses
artistes, ne l'était pas moins par son idolâtrie et son extrême
légèreté. Partout on vantait l'exquise urbanité des Athéniens et
leur civilisation si avancée; mais cela même ne faisait que mettre
d'autant plus en relief leur dégradation morale. Aussi Paul, en se
promenant dans les rues de cette grande ville, en y voyant les
monuments superbes qu'y avait érigés la plus absurde superstition,
éprouvait un malaise intérieur dont il ne pouvait se rendre
maître. Jaloux de la gloire de Dieu, plein d'un ardent amour pour
ses semblables, en face, pour ainsi dire, du prince des ténèbres,
le grand fauteur de l'idolâtrie, son esprit s'aigrissait en
lui-même, nous dit l'historien sacré. Ce n'est pas qu'il fût près
du découragement; car, au contraire, il déployait à Athènes, comme
ailleurs, son activité habituelle. Non seulement il cherchait à
éclairer les Juifs de la synagogue et leurs prosélytes, mais
encore il s'entretenait, chaque jour, dans la place publique avec
ceux qui s'y rencontraient. C'était le rendez-vous général des
étrangers et des Athéniens inoccupés; c'est-à-dire de tout le
monde hors les esclaves.
17:
18-22
§ 1253. Parmi ces gens oisifs, qui mettaient
leur orgueil à ne faire aucune œuvre manuelle, il y en avait qui
passaient leur vie à philosopher, s'efforçant d'approfondir la
nature des choses et leur raison d'exister. Ils arrivaient de
cette manière à s'informer aussi de l'origine du monde, de la
destinée future de l'homme, de ses devoirs ici-bas. C'est ce
qu'ils appelaient la sagesse, et ceux qui se plaisaient à ces
recherches, on les appelait philosophes, ou amis de la sagesse.
Mais cette sagesse, hélas! n'avait pas détourné les peuples de
l'idolâtrie et des mauvaises mœurs, parce que c'était, en
définitive, une sagesse d'homme et que, depuis la chute, l'homme
est séparé de Dieu et de la vérité. Deux sectes philosophiques se
partageaient essentiellement les esprits chez les païens de la
Grèce et de Rome, sectes qui personnifiaient la double tendance du
cœur humain, représentée chez les Juifs par les sadducéens et les
pharisiens. C'étaient les épicuriens et les stoïciens: ceux-là
plus accommodants et ceux-ci plus austères dans leur morale, mais
ne rendant gloire ni les uns ni les autres au grand Dieu de
l'univers. Frappés des discours de Paul, les uns se moquaient de
lui, le traitant de babillard, d'autres pensaient qu'il leur
annonçait de nouveaux dieux, savoir Jésus et Anastasie; car le
relèvement ou la résurrection, c'est, en grec, anastasis. Or, il
faut savoir que les Athéniens poussaient l'urbanité jusqu'à offrir
des autels aux dieux de tous les peuples, à mesure qu'ils en
entendaient parler; et, pour des gens qui ne s'occupaient qu'à
dire ou à écouter des nouvelles, c'était une grande affaire que
les noms de deux divinités étrangères et inconnues jusque-là. On
conduisit donc Paul au Champ-de-Mars, l'Aréopage, place publique
où siégeait d'ordinaire le grand tribunal d'Athènes, et là, il fut
invité à s'expliquer sur la nouvelle doctrine qu'il professait.
17:
22-32
§ 1254. Le cœur dut battre à Paul; car il ne
s'était jamais trouvé devant une assemblée de gens aussi cultivés,
aussi bien parlant, aussi spirituels et aussi moqueurs, quoique
avec politesse. Ce ne sont plus les grossiers Lycaoniens, ni même
les Grecs asiatiques d'Antioche de Pisidie, ni les rudes
Macédoniens de Thessalonique. Il n'avait aucune violence à
craindre de leur part; mais l'Évangile était bien sérieux pour de
tels hommes, et la grande difficulté était de captiver leur
attention? Or voyez quelle parfaite direction le Saint-Esprit sut
donner aux pensées de Paul, et de quelle juste mesure il revêtit
ses paroles! On ne saurait être plus saintement habile et poli que
ne le fut l'apôtre dans cette circonstance délicate. Ses premiers
mots sont juste ce qu'il fallait pour lui concilier la
bienveillance de ses auditeurs; car il commence par faire une
sorte d'éloge de leur grande dévotion. «Vous avez, leur dit-il,
une telle crainte des dieux que, pour ne pas risquer d'en oublier
un seul, vous avez érigé dans votre ville un autel au Dieu
inconnu. Hé bien! c'est ce Dieu que je vous annonce, le Dieu qui a
créé le monde et toutes les choses qui y sont, qui a fait d'un
seul sang tout le genre humain, qui, de cet ensemble, a formé les
diverses nationalités, qui nous conserve et nous nourrit, qui
invite toute âme à la conversion, et qui jugera la terre avec
justice par l'homme qu'il a désigné pour cela en le ressuscitant»
Il est probable que de là Paul aurait passé à parler plus
amplement de Jésus et du salut, que même il en manifesta
l'intention; car s'il fut interrompu par les railleries de
quelques-uns, lorsqu'il eut fait mention du relèvement des morts,
d'autres lui dirent: «Nous t'entendrons de nouveau là-dessus.»
§ 1255. De ce qu'il y eut des moqueurs qui arrêtèrent Paul au moment où il venait de faire allusion à la résurrection, il ne faudrait pas conclure que ces païens n'eussent aucune notion de la vie à venir: c'est une idée que l'homme ne chasse pas si facilement de son cœur. Ils faisaient profession de croire à l'existence d'un Adès (§ 700), d'un séjour des morts, divisé en deux parts: les Champs-Elisées pour les bons et le Tartare pour les méchants; mais ils n'avaient pas l'idée de la fin du monde, du jugement universel, encore moins celle du relèvement de tous les morts au dernier jour. Et puis, la plupart d'entre eux étaient incrédules, même à leur mythologie, en sorte que ce qui aurait pu les détourner de certains crimes, sinon de tout péché, ne produisait aucun effet sur eux. C'est comme de nos jours, où beaucoup de gens qui ne croient pas à la résurrection, disent croire toutefois à l'immortalité de l'âme; mais quand on les serre de près, on voit qu'ils ne croient pas même à cela. Ainsi leurs objections contre les doctrines particulières de la Bible sur les destinées futures de l'homme, proviennent d'une incrédulité beaucoup plus profonde qu'il ne le semble au premier abord.
§ 1256. Dans le résumé que j'ai fait tout à l'heure du discours de Paul, j'ai dû omettre quelques pensées de détail qu'il importe toutefois de considérer, car c'est là surtout qu'on voit l'impression qu'il cherchait à produire sur ses auditeurs. Le Dieu du ciel et de la terre n'habite pas en des temples érigés par la main des hommes (II, § 653); il n'a que faire de la chair des victimes (Ps. L, 12, 13); il est près de chacun de nous, bien que nous ne sachions pas le voir; il est le même en puissance et en bienfaits pour tous les peuples; et, puisque nous sommes la race de ce grand Dieu, comme l'avait dit le poète astronome Aratus, il est clair que Dieu n'est pas semblable à l'or, à l'argent ou au marbre dont les païens faisaient les statues auxquelles ils encensaient. Penser autrement, c'est être dans une grande ignorance; et voilà ce que Paul n'hésite pas à déclarer aux Athéniens, fiers de leur culture intellectuelle. Mais quels ne sont pas les ménagements avec lesquels il leur dit une vérité qui devait leur être si dure. C'est après cela que, toujours dans la forme indirecte, la moins irritante de toutes, il leur prêche la conversion et le jugement de Dieu par Jésus-Christ.
17:
33,
34
§ 1257. Quelles que soient les précautions
oratoires dont s'entourent les ministres du Dieu vivant, ils ne
laissent pas d'irriter les pécheurs obstinés; tout comme, d'un
autre côté, il est impossible que l'Évangile soit prêché
fidèlement, sans qu'il porte des fruits selon qu'il plaît à Dieu.
Si le plus grand nombre des auditeurs de Paul se détournèrent de
lui pour toujours, quelques-uns embrassèrent sa doctrine; entre
autres un des juges de l'Aréopage, nommé Denys, et une femme du
nom de Damaris. Mais d'église proprement, il n'y en eut pas de
fondée à Athènes, en ce temps-là; du moins le Nouveau Testament
n'en fait aucune mention. Cette grâce était réservée à une autre
ville de la Grèce, ville non moins illustre bien que sous d'autres
rapports; c'est là que nous devons suivre maintenant notre
laborieux missionnaire.
18:
1-4
§ 1258. Corinthe, ville autrefois considérable
et florissante, enrichie par son commerce et par ses colonies,
mais non moins fameuse par l'horrible corruption de ses mœurs, fut
saccagée lorsque les Romains envahirent la Grèce, puis relevée de
ses ruines sous l'empereur Auguste. À l'époque où Paul y arriva,
cette ville, devenue le chef-lieu de la province d'Achaïe (la
Morée), était la résidence d'un proconsul et reprenait son antique
célébrité. Nulle part assurément la parole de Dieu n'était plus
nécessaire que dans cette ville si adonnée au mal, et nulle part
non plus elle ne pouvait trouver autant d'occasions de se faire
entendre à toutes sortes de gens. Placée sur l'isthme qui porte
son nom, Corinthe se trouvait située entre les deux mers qui
mettaient en communication les principales provinces du vaste
empire romain. Dès son arrivée, Paul sentit toute l'étendue et
toute la difficulté de la tâche; les lettres que nous lirons de
lui en font foi. La triste expérience qu'il venait de faire à
Athènes du scepticisme et de la légèreté des populations de la
Grèce n'était guère propre à l'encourager; mais Dieu eut pitié de
son serviteur, arrivant tout seul au milieu de ce monde païen
absorbé par les affaires et par les plaisirs. Non seulement il y
avait à Corinthe des Juifs en assez grand nombre auprès desquels
il put, selon sa coutume, commencer l'œuvre de son ministère, mais
encore il y rencontra un Juif d'Asie, nommé Aquilas, faiseur de
tentes, qui, avec sa femme Priscille, avait dû quitter Rome en ce
temps-là, par l'effet d'une persécution que l'empereur Claude
avait dirigée contre les Juifs habitant à Rome.
§ 1259. Claude avait succédé l’an 41 de Jésus-Christ n l'empereur Caligula, et il mourut l'an 54. L'histoire profane parle de son édit contre les Juifs, mais la date n'en est pas certaine; en sorte qu'on ne saurait d'après ce seul fait déterminer l'époque précise de l'arrivée de Paul à Corinthe. Ce qui demeure certain, c'est qu'elle doit avoir précédé l'an 54, mais pas de beaucoup; car depuis le voyage de Paul à Jérusalem, avec Barnabas, vers l'an 44 (§§ 1190,1198), que de choses qui s'étaient passées et qui avaient dû employer plusieurs années de la vie de notre apôtre: son premier voyage missionnaire, puis son long séjour à Antioche, enfin le voyage non moins long qu'il venait de faire pour arriver d'Antioche à Corinthe. Quant à Aquilas et à Priscille, qui, de l'Asie avaient porté leur industrie à Rome et l'exerçaient maintenant à Corinthe, on ignore s'ils avaient déjà quelque connaissance de l'Évangile, ou s'ils l'entendirent alors pour la première fois de la bouche de Paul. C'étaient, dans tous les cas, des gens pieux avec qui l'apôtre fut bientôt en d'étroites relations. Selon l'usage infiniment respectable des Israëlites, il était à même de gagner sa vie par le travail de ses mains. Or, prévoyant sans doute qu'il aurait à faire un long séjour dans la ville de Corinthe et ne voulant y être à charge à personne, il fut heureux de trouver de l'ouvrage et du pain chez Aquilas. Pendant la semaine, il tissait et cousait les tentures de laine dont on recouvrait les tentes des voyageurs ou celles des vérandas, et le samedi, il se rendait à la synagogue, adressant aux Juifs et aux Grecs des paroles pleines d'entraînement.
18:
5-6
§ 1260. Cependant, il fallut, semble-t-il,
l'arrivée de Silas et de Timothée pour que le ministère de Paul
prît toute son activité. Sans prétendre que, jusqu'à ce moment, il
eût été délaissé par le Saint-Esprit, ou que, dissimulant sa foi,
il eût mis de la nonchalance à son œuvre, il paraîtrait que sa
prédication avait eu quelque chose de plus contenu. Il importait
d'ailleurs qu'il ne fût pas seul à rendre témoignage au Seigneur;
c'est pourquoi, lorsque Silas et Timothée furent revenus de la
Macédoine, l'Esprit poussa Paul à se poser décidément devant les
Juifs, en témoin de Jésus-Christ. Alors aussi se manifesta
l'opposition de ces malheureux fils d'Abraham; alors vinrent leurs
blasphèmes, comme à Thessalonique et comme jadis à Jérusalem.
Aussi Paul, secouant ses vêtements (§ 484) et rejetant sur eux
toute responsabilité, leur déclara que, dès cet instant, il les
abandonnait pour annoncer le salut aux païens.
18:
7-11
§ 1261. Ce fut là ce qui donna naissance à
l'église de Corinthe. Un nommé Justus, païen d'origine, mais
amené, comme Corneille et tant d'autres, à la connaissance du Dieu
de la Bible par ses relations avec des Israëlites, Justus, un de
ces derniers que la grâce de Dieu se plaisait à placer parmi les
premiers (§ 659), recueillit les apôtres dans sa maison, et là,
tout à côté de la synagogue, s'assemblèrent les Corinthiens
désireux de suivre leurs prédications. Parmi eux se trouvèrent
encore quelques Juifs, entre autres un des chefs ou anciens de la
synagogue, qui crut au Seigneur avec toute sa famille. Ceux qui se
convertissaient recevaient le baptême selon l'ordre du Seigneur,
et c'est ainsi que l'idolâtre et voluptueuse Corinthe vit se
former dans son sein un petit peuple de fidèles; petit encore et
bien menacé, mais dont l'avenir était grand, parce que telle était
la volonté du Seigneur. C'est ce qu'une vision vint révéler à
l'apôtre, dans un moment où il y a lieu de croire qu'il était
saisi de diverses craintes. Encouragé par le Seigneur, il
poursuivit son œuvre avec plus de courage, et ainsi s'écoulèrent
dix-huit mois depuis son arrivée à Corinthe.
18:
12-17
§ 1262. Les Juifs de cette ville, toujours
plus irrités, firent, à cette époque, une tentative de persécution
qui ne leur réussit pas comme ils l'auraient voulu, grâce à la
dédaigneuse indifférence du proconsul, et peut-être à leur
maladresse. Ce proconsul se nommait Gallion. Il était frère de
Sénèque, célèbre philosophe stoïcien, précepteur d'un prince qui,
en ce temps même ou à peu près, succédait à Claude et fut
l'empereur Néron. Quand Gallion, philosophe lui-même, eut entendu
que les Juifs accusaient Paul de recommander un culte contraire à
leur loi, il ne voulut pas seulement entendre la défense de
l'accusé, déclarant que de telles questions n'étaient pas de son
ressort.Il les chassa donc du tribunal. Or, en voyant de quelle
manière le magistrat romain traitait les accusateurs, ces
misérables Juifs objets partout de la haine publique, les
assistants se jetèrent sur Sosthènes, chef de la synagogue, et ils
le frappèrent sous les yeux mêmes de Gallion, sans que celui-ci
songeât le moins du monde à le protéger. Conduite peu honorable
chez un homme qui était établi pour maintenir l'ordre! Ce fut
ainsi toutefois que l'Église naissante se vit délivrée des seuls
ennemis publics qu'elle eût à craindre; car à Corinthe, l'Évangile
avait affaire avec XVIII une population généralement tolérante,
comme c'est l'ordinaire dans les villes qui vivent de leur
commerce avec toutes les nations.
18:
18
§ 1263. Paul put donc demeurer encore un grand
nombre de jours à Corinthe, une année peut-être; puis, il partit
librement pour aller où le Seigneur le rappelait. Il prit congé
des frères et se dirigea de nouveau vers la Syrie, ayant avec lui,
outre Silas et Timothée, ses deux collègues ordinaires, Priscille
et Aquilas, âmes d'élite décidément acquises à l'Évangile. Avant
de s'embarquer à Cenchrée, port oriental de Corinthe, il se fit
raser la tête, pour marquer l'expiration d'un vœu sous lequel il
avait été un certain temps. Ce devait être le nazaréat ou quelque
chose de semblable (I, § 925). Cette circonstance est d'un intérêt
particulier. Elle nous atteste que si Paul avait montré tant de
résolution contre les Juifs qui estimaient le salut impossible
sans la circoncision (§1223), il n'en était pas moins demeuré
personnellement très fidèle aux observances judaïques, pour autant
qu'elles pouvaient se concilier avec le salut par la pure grâce de
Dieu; nous avons eu déjà une preuve de ce fait (§ 1233). Paul
donc, à l'exemple d'un grand nombre d'hommes pieux, et selon
l'institution de Moïse, s'était consacré solennellement au
Seigneur par un vœu spécial et temporaire. Par là, il n'avait
sûrement pas eu l'idée d'ajouter quoique ce fût à l'expiation
accomplie par Jésus-Christ; ce n'était pas dans un esprit de
propre justice qu'il avait fait ce vœu; il n'imposait d'ailleurs à
personne l'obligation d'en agir comme lui, et il ne se croyait
pas, pour cela, supérieur à ses collègues; mais nous verrons
bientôt que, si son ministère à Corinthe avait été plus respecté
qu'au départ, il avait eu de grandes luttes et de grandes
souffrances intérieures, et il vit probablement dans le vœu auquel
il se soumit, un moyen de triompher avec plus de succès des
infirmités de sa chair. Après quoi, si quelqu'un pensait que, dans
cette occasion, Paul judaïsa plus que ne le comportaient ses
propres principes, nous dirions que ce qui doit nous servir de
règle, c'est la doctrine qu'il prêcha par l'inspiration divine,
plutôt que sa conduite, dans laquelle rien ne garantit qu'il ait
été divinement préservé de toute faute. Une seule vie est demeurée
sans tache; une seule nous est présentée par les Écritures comme
un modèle parfait.
§ 1264. Corinthe fut le point extrême du second voyage missionnaire de Paul. De là, comme nous venons de le dire, il reprit le chemin de l'Asie. Mais avant de l'y suivre, nous devons étudier deux lettres qu'il écrivit pendant qu'il était en Achaïe: ce sont les deux Épîtres aux Thessaloniciens.
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