Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

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CCLXXV. Grande persécution; l'évangile prêché dans la Samarie; baptême de l'Éthiopien.


8: 1-2
§ 1144. Saul ou Saül, ce jeune homme qui avait recueilli les manteaux des témoins, pendant qu'ils jetaient les premières pierres contre Étienne, avait assez prouvé par là qu'il consentait à ce forfait, et l'on peut bien supposer que, dans cette disposition d'esprit, il ne craignit pas de lever la main contre la victime. Zélé pharisien, il commençait, avec toute sa secte, à partager la haine violente des sadducéens contre les prédicateurs de l'évangile. J'ai dit ailleurs (§ 1109) ce qui avait pu, jusque-là, leur rendre le pharisaïsme moins hostile; mais maintenant que les pharisiens commençaient à voir où conduisait la nouvelle doctrine et à le comprendre plus nettement peut-être que beaucoup de disciples, car l’intérêt rend clairvoyant, ils jurèrent la perte de gens qui, quelques ménagements qu'ils y missent, ne pouvaient réussir sans modifier profondément le judaïsme, ou plutôt sans le mettre à néant. Aussi y eut-il, à cette époque, une persécution générale dont les précédentes n'avaient pu donner qu'une faible idée. Les disciples se virent obligés de quitter Jérusalem, cette ville trempée du sang de tant de prophètes (Luc XIII, 34); mais par une admirable direction de Dieu, les apôtres furent épargnés.

§ 1145. En examinant attentivement les termes du récit, il semblerait que, le jour même du martyr d'Étienne, la population incrédule et formaliste de Jérusalem se jeta sur les disciples, les poursuivant partout, et que ces derniers, pour la plupart, ne purent que par une prompte fuite se soustraire aux violences de la populace. Mais, tandis que le grand nombre s'enfuyait dans les contrées voisines, les apôtres demeuraient à Jérusalem, cachés çà et là et se confiant en la protection du Seigneur. À cela près, la dispersion fut si complète, ce premier jour, qu'il n'y eut personne pour enterrer Étienne, si ce n'est quelques hommes pieux d'entre les Juifs non convertis; mais telle était la vénération qu'avait inspirée le saint martyr, et aussi l'impression laissée par ses derniers moments, que ces hommes mêmes honorèrent de leurs larmes son tombeau.

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§ 1146. Cependant plusieurs disciples, hommes et femmes, avaient imité les apôtres, et parmi ceux qui s'étaient échappés de la ville au premier instant, beaucoup y rentrèrent peu après, s'offrant ainsi à la haine de leurs ennemis; car l'élan de la persécution avait été si fort, qu'elle ne pouvait s'arrêter de si tôt. Or, soit que Saul se fit remarquer dans l'accomplissement de cette œuvre d'iniquité, soit que l'historien sacré ait cru devoir le mentionner spécialement à raison du rôle qu'il joua plus tard, nous lisons ici les violences auxquelles ce malheureux jeune homme se laissait aller. Il avait pourtant entendu les paroles d'Étienne, mais son cœur n'était pas en état de les comprendre. Il n'y avait vu que de nouveaux blasphèmes; et, dévot à sa manière, ces blasphèmes l'avaient fait frémir d'horreur; car Saul n'était pas un incrédule, et en lui se réalisait une des prophéties les plus remarquables de notre Seigneur (Jean XVI, 2). L'église aussi tout entière put se convaincre alors que Jésus-Christ est bien venu, comme il le disait, apporter l'épée et le feu sur la terre (§ 650). L'événement que nous avons sous les yeux est donc d'une haute importance, puisqu'il est à la fois l'accomplissement des prophéties de notre Sauveur sur les destinées de son Église, et le premier pas que fit celle-ci dans la carrière de souffrance qu'elle doit traverser d'âge en âge, avant de partager la gloire de son Rédempteur.

8: 4
§ 1147. Cet événement est encore important sous un autre point de vue; car ce fut la persécution dont le meurtre d'Étienne donna le signal, qui fit sortir de Jérusalem la prédication de l'évangile. Ici, l'on ne saurait trop admirer la sagesse du Seigneur. Jérusalem était à une foule d'égards le sol le plus défavorable aux semailles évangéliques. Rappelez-vous la manière dont Jésus y fut reçu chaque fois qu'il s'y rendit; représentez-vous l'influence qu'y exerçaient les hommes sous les coups desquels il tomba! Il fallait certainement un grand miracle pour que l'Église pût s'y établir et y prospérer; mais, d'un autre côté, nulle part les apôtres ne pouvaient se trouver au sein d'une population plus nombreuse et plus variée, à raison des pèlerinages que les Israëlites de tous les pays y faisaient sans interruption. Quelques-uns pensent que si, à l'époque de la mort d'Étienne, les apôtres étaient tous encore dans cette ville, cela venait d'un attachement excessif à leurs idées juives et d'une certaine répugnance à s'éloigner de la ville sainte dans laquelle ils auraient voulu concentrer tout le mouvement dont ils étaient les organes. La chose n'est pas impossible, car ces hommes avaient aussi leurs infirmités; mais je me persuade que cela même entrait dans les plans de la sagesse éternelle. Avant que l'arbre jetât au loin ses semences, Dieu voulut qu'il creusât de ses racines et couvrît de ses branches le sol qui l'avait vu naître et qu'avait arrosé le sang du Seigneur. Dans tous les cas, ce ne pouvait être que momentané, et, ce qui n'est pas moins admirable, c'est de voir la persécution qui naquit de cet ordre de choses, amener, selon les intentions du Seigneur, un ordre de choses tout nouveau. Les apôtres demeurent à Jérusalem, afin que le terrain ne soit pas reconquis par le pharisaïsme et le saducéisme, mais pendant ce temps, les frères vont de lieu en lieu annonçant la bonne nouvelle du salut. Ainsi se formera bientôt un peuple chrétien, sans mélange de judaïsme. Il n'y a pas de fait d'ailleurs qui se soit plus souvent reproduit. Si la persécution est parvenue quelquefois à détruire en certains lieux la vérité, le plus souvent elle a eu pour résultat de l'y affermir, tout en fournissant à d'autres contrées des messagers de la bonne nouvelle. C'est l'histoire, par exemple, des églises si florissantes des États-Unis d'Amérique.

§ 1148. Parmi ceux que le Seigneur envoya de cette manière annoncer l'évangile, se trouvait Philippe, non l'apôtre, mais un collègue d'Étienne. Il prêchait le Christ, et accompagnait sa prédication de nombreux miracles. Or, il plut au Seigneur de bénir ses travaux au-delà de ce qu'il espérait peut-être lui-même. La population entière d'une ville de la Samarie, entraînée par ce qu'elle voyait et entendait, s'attacha dès ce moment à Philippe, c'est-à-dire à sa doctrine, et ce fut l'occasion d'une grande joie. Ces pauvres Samaritains, si dégradés et encore plus méprisés! Quel bonheur d'apprendre que, si le Fils du Très-Haut avait subi la mort et repris la vie, c'était aussi pour eux, pauvres excommuniés auxquels l'accès de Jérusalem était interdit, et qui voyaient arriver à eux, comme de soi-même, ce qu'ils ne seraient jamais allés chercher! Quelle grâce et quel privilège, car ils étaient des derniers, et les voilà parmi les premiers (Luc XIII, 30).

8: 9-13
§ 1149. Au moment où Philippe arriva dans cette ville, un homme du nom de Simon, y exerçait une influence pernicieuse, en y pratiquant avec un triste succès les arts magiques. C'est une grande question que celle de la magie. Les ignorants veulent en voir partout, et pour d'autres elle n'est qu'une chimère, fruit de l'imposture et de la cupidité. Mais en présence de témoignages historiques irrécusables, en présence surtout des déclarations de l'Écriture, il semble impossible qu'il ne se soit passé, à cet égard, des choses très-extraordinaires et très-réelles. Du reste, réels ou imaginaires, ces arts magiques ayant toujours pour effet de retenir les hommes dans le mal, on ne saurait y voir autre chose que l'action du prince des ténèbres. Simon, le Samaritain, était donc au milieu de ses concitoyens un vrai suppôt de Satan, le fauteur de la superstition et de l'impiété; car on allait jusqu'à dire de lui, comme s'il eut le Messie: «Celui-ci est la grande puissance de Dieu.» Mais quand les Samaritains eurent reçu dans leur cœur la bonne nouvelle du royaume des Cieux, les choses changèrent tellement de face que Simon lui-même «crut,» c'est-à-dire qu'il embrassa la doctrine prêchée par Philippe; puis, il ne quittait pas le messager du Seigneur, tant il était étonné des miracles que Philippe opérait, miracles si différents de ses sortilèges.

8: 14-17
§ 1150. Les apôtres de Jérusalem ayant appris les merveilles de la grâce de Dieu dont la Samarie était l'objet, y envoyèrent Pierre et Jean, ces deux disciples qui marchaient toujours ensemble, depuis qu'ensemble ils avaient, les premiers, visité le sépulcre de leur maître, après s'être rencontrés aussi, dans la cour de Caïphe, le matin du grand jour. Ils trouvèrent les choses comme on les leur avait dites. Beaucoup de Samaritains avaient embrassé la foi et reçu le baptême; mais ce qui accompagnait ordinairement à cette époque la conversion des âmes, une effusion de dons miraculeux, ne s'était pas encore manifesté parmi ces nouveaux frères. C'est bien de dons miraculeux qu'il s'agit dans notre texte; car la prédication de Philippe n'aurait pas obtenu des beaux succès, si le Saint-Esprit n'eût pas été répandu sur ses auditeurs, comme sur lui. Puis, en recevant la Parole de Dieu, les Samaritains avaient certainement reçu l'Esprit qui agit par le moyen de cette Parole; mais ce qui leur manquait, je le répète, c'était le sceau extraordinaire que le Saint-Esprit mettait alors à son œuvre, selon la promesse du Seigneur (§1044).

§ 1151. Ne pensez pas, après cela, que les apôtres pussent, à volonté, communiquer par l'imposition des mains les dons miraculeux. Ce n'est pas à ce point que le Seigneur les avait faits dépositaires de son pouvoir. D'abord, il fallait que ceux à qui ils imposaient les mains eussent été préparés par la prédication de la Parole et par la foi en cette Parole. Puis, vous voyez Pierre et Jean prier pour les Samaritains, afin qu'ils reçussent les dons de l'Esprit. Ce fut donc le Seigneur lui-même qui, en réponse à leurs prières (Jean XV, 7,16) et par l'imposition de leurs mains, répandit sa grâce sur ces nouveaux disciples, de même qu'il l'avait répandue sur les apôtres. Quand on a voulu voir dans ce fait la confirmation épiscopale, c'est-à-dire la cérémonie par laquelle, dans certaines églises, les évêques ou de simples pasteurs font confirmer à des jeunes gens ce qu'on appelle le vœu de leur baptême, on oublie trois choses qui font ici une différence infinie: premièrement, que la plupart de ces Samaritains étaient sans aucun doute vraiment convertis; secondement, que l'imposition des mains des apôtres fut suivie de dons miraculeux; enfin, que les apôtres exercèrent à plusieurs égards et à celui-ci en particulier, un ministère spécial qui ne pouvait, ni ne devait se perpétuer.

8: 18-23
§ 1152. Simon, que les miracles de Philippe avaient rempli d'étonnement, fut tout hors de lui, en voyant les effets produits par les prières et par l'imposition des mains des apôtres. Je dis par les prières des apôtres, et peut-être ne prît-il pas garde à cette circonstance. Il pénétra si peu le fond de ce mystère, qu'il commit l'erreur de penser que les apôtres disposaient du Saint-Esprit quand et comme ils le voulaient. Persuadé sans doute que sa fortune serait faite s'il pouvait acheter et vendre à son tour une telle puissance, il offrit aux apôtres de l'argent pour qu'ils lui donnassent un pouvoir égal au leur. Le péché d'avarice, de trafic et de profanation dont Simon se rendit coupable, s'est dès lors appelé de son nom, une simonie. Il y a simonie à mettre aux choses saintes un prix vénal, comme ne le fait que trop l'église romaine et, dans une certaine mesure, d'autres églises bien plus respectables d'ailleurs; il y a simonie, plus ou moins, chez tous ceux qui voient les charges ecclésiastiques sous leur côté lucratif, comme en général chez quiconque fait de la piété un moyen de gagner de l'argent. Or, en relisant la sévère apostrophe par laquelle Pierre repoussa l'odieuse proposition de Simon, vous sentirez combien est affreux le péché dont se rendent coupables les simoniaques, grands ou petits. Il parle même comme s'il n'était guère possible que ce péché-là fût pardonné: c'est que, effectivement, porté à certain point, il met un obstacle presque insurmontable à la conversion et devient facilement le péché contre le Saint-Esprit.

8: 24
§ 1153. Et pourtant, ce malheureux Simon était du nombre de ceux qui avaient cru et qui avaient été baptisés (v. 13); à ce moment même, nous l'entendons supplier les apôtres de prier afin qu'il fût préservé de la malédiction dénoncée par eux! Conclurons-nous de là que sa faute fut une erreur momentanée, une de ces chutes possibles aux fidèles et dont la grâce de Dieu sait les relever? On voudrait le penser; mais quand on considère que le mot «croire» signifie si souvent, et suivant les cas, faire une simple profession de la foi (§ 1116); quand on sait que beaucoup de gens qui se recommandent aux prières d'autrui, le font pour se dispenser de prier eux-mêmes, on n'est pas loin d'admettre la vérité de la tradition d'après laquelle Simon serait bientôt retourné à son premier train et à ses pratiques superstitieuses, nouvel exemple des impuretés qui souillèrent de si bonne heure l'Église de Jésus-Christ (§ 446). Quant à Pierre, dont le nom primitif était Simon, vous vous le rappelez (§ 167), quel sérieux retour il put faire sur lui-même! comme il dut sentir plus que jamais la grâce que le Seigneur lui avait accordée, lors de son reniement, en le relevant d'un péché non moins grave que la simonie.

8: 25
§ 1154. Que de souvenirs encore dut retracer à Pierre et à Jean cette Samarie qu'ils avaient traversée plus d'une fois avec leur cher maître. C'était là que, six ans auparavant, ils avaient vu, dans la conversion des Sichariotes, les prémisses de leur moisson actuelle, moisson que Philippe et les autres fugitifs avait semée (Jean IV, 37, 38); c'était aussi là que, peu de mois avant la mort du Sauveur, une bourgade tout entière leur ayant refusé l'hospitalité, Jean et son frère auraient voulu que Jésus fit descendre sur elle le feu du ciel (§ 560). Bien changés en leur cœur, avec quelle joie ne durent-ils pas voir les effets de la grâce de Dieu sur ces contrées et concourir par leurs prédications à les gagner au Sauveur! C'est ainsi qu'ils faisaient descendre sur elles le feu du ciel; mais non le feu qui consume (§ 650). Après donc qu'ils eurent ajouté leur témoignage à celui de Philippe et de ses compagnons d'œuvre, annonçant la bonne nouvelle en beaucoup de bourgades des Samaritains, ils retournèrent à Jérusalem.

8: 26-31
§ 1155. Philippe, cependant, continuait sa tournée d'évangélisation, et tandis qu'il ne songeait qu'à ses chers Samaritains, le Seigneur, de son côté, s'occupait en ses grandes miséricordes, d'un homme, selon toute apparence, encore plus étranger à la famille d'Abraham. C'était un Éthiopien, officier du palais et puissant seigneur de la reine Candace. Cet homme, entre les mains duquel Dieu avait fait tomber les livres de l'Ancien Testament (§ 19), y avait appris à connaître l'Éternel, et il avait voulu l'adorer dans la sainte ville de Jérusalem. Il était arrivé au fort de la persécution. Cette circonstance même avait dû le rendre attentif à tout ce qui se disait des Nazaréens et de leurs prétentions relativement au Christ promis par les prophètes. Mais, à ce moment, les disciples ne se réunissaient plus dans le temple, et leurs assemblées particulières, plus ou moins secrètes, ne furent pas de facile accès pour l'Éthiopien. Il repartait donc sans avoir pu s'éclairer; mais il ne lisait qu'avec d'autant plus d'intérêt les anciens oracles de l'Éternel, et, poussé par l'Esprit de vérité, il cherchait le Christ de tout son cœur; or nous savons que celui qui cherche, trouve. En effet, un ange du Seigneur dit à Philippe de se rendre sur le chemin où cet homme devait passer.

§ 1156. Deux routes, encore aujourd'hui, conduisent de Jérusalem à Gaza, et l'une des deux traverse une contrée assez déserte. Ce fut sur cette route, la moins fréquentée, que Philippe dût aller, sans savoir encore pourquoi. Mais bientôt il vit venir à lui un homme qui, assis sur son char, lisait avec une profonde attention. C'était le livre du prophète Ésaïe que l'Eunuque tenait en sa main, et il en était au chapitre LIII. Alors, et sans que nous sachions de quelle manière, le Saint-Esprit dit à Philippe de s'approcher de ce char, ce qu'il fit avec le plus grand empressement, et, entrant tout de suite en matière: «Comprends-tu ce que tu lis?» dit-il à l'Ethiopien.

§ 1157. Mes lecteurs peuvent savoir maintenant par expérience que, si la Bible présente des difficultés, comme tout livre ancien, comme tout livre écrit primitivement dans une langue fort différente de la nôtre, comme tout livre enfin qui traite des choses profondes de Dieu et de l'avenir, tant s'en faut cependant qu'il n'y ait en elle que mystères et obscurités. Toujours est-il que nous la comprenons difficilement, si quelqu'un ne nous l'explique. Or, le Saint-Esprit est, au fond, le seul interprète de la Parole qu'il a dictée aux prophètes et aux apôtres; mais si le Saint-Esprit exerce sur nos sentiments une action immédiate qu'on ne saurait contester, et si par le cœur il agit sur l'intelligence, il n'en est pas moins vrai que, pour nous donner la compréhension des Écritures, il emploie des moyens en rapport avec la nature des choses. D'abord, l'Écriture s'explique elle-même, un prophète aidant à entendre un autre prophète, le Nouveau Testament donnant la clef de l'Ancien, et l'Ancien Testament facilitant la lecture du Nouveau. Puis, de tout temps, le Seigneur a eu dans son Église des docteurs qui, unissant la foi à la science (il faut ces deux conditions), ont jeté par leurs travaux un grand jour sur les Écritures. Ce sont eux et leurs livres, mes chers lecteurs, qui m'ont aidé dans mon travail; ils ont été mes Philippes; et si, de mon côté, Dieu me fait la grâce d'être pour quelques-uns de vous un guide utile dans l'étude de la Bible, je serai pour eux ce que Philippe fut pour l'Éthiopien. Mais Philippe n'est pas le Seigneur, lequel envoie aux âmes ceux qui peuvent leur être utiles, ni le Saint-Esprit, qui leur ouvre le cœur et y fait pénétrer la vérité.

8: 32-35
§ 1158. Représentez-vous donc ces deux hommes, le riche Éthiopien et l'obscur Israélite, assis côte à côte dans un chariot découvert au milieu d'une route silencieuse, les gens de l'étranger marchant sans doute à pied devant lui. Ils ont un rouleau de parchemin déployé sur les genoux (c'était moins commode que nos livres), et ils lisent ensemble ce même prophète Ésaïe que nous étudiâmes l'année dernière avec tant d'intérêt, je voudrais pouvoir dire avec tant de bénédictions pour vos âmes, du moins je l'espère. L'Éthiopien savait le grec assurément, et il avait entre les mains la traduction qui avait été faite des Écritures en cette langue (§19). Il y cherchait des lumières sur le point qui préoccupait alors tant de gens. Si Jésus de Nazareth était le Messie, il fallait que ses souffrances, aussi bien que sa gloire, eussent été prédites, et l'Eunuque voulait s'en assurer. Or, voyez comme il était bien conduit par le Seigneur, car il lisait justement une des prophéties les plus explicites sous ce double aspect (II, § 1073-1076). Aussi ne fut-il pas difficile à Philippe de partir de là pour lui annoncer tout ce qui concernait le Seigneur, savoir la bonne nouvelle de sa mort et de sa résurrection, source et gage de notre salut.

8: 36-39
§ 1159. Des voyageurs chrétiens ont récemment retrouvé sur la route qui conduit de Jérusalem à Gaza par le désert, une eau courante qui est très probablement celle près de laquelle l'Eunuque et Philippe arrivèrent à cet instant, et où ils s'arrêtèrent sous quelque ombrage peut-être pour achever leur entretien. Mais une eau plus pure encore et plus salutaire avait rafraîchi l'âme de cet étranger. Le Saint-Esprit, qui avait mis en lui le désir de connaître la vérité; le Saint-Esprit, qui avait poussé Philippe près de lui; le Saint-Esprit, qui lui avait fait ouvrir le livre d'Ésaïe et qui avait jadis inspiré ce prophète, le Saint-Esprit lui donna les choses qui sont à Jésus-Christ et glorifia le Sauveur dans ce pécheur engendré de nouveau (Jean III, 5,6; XVI, VIII 14). C'est de tout son cœur qu'il croit que Jésus-Christ est le Fils de Dieu et de tout son cœur qu'il manifeste le désir d'être baptisé. En conséquence, Philippe n'hésite pas à descendre dans l'eau avec lui et à mettre sur sa foi le divin sceau du baptême. Or tel était le bonheur de cet homme que, privé tout aussitôt de son docteur, du seul frère qu'il se connût, il ne laissa pas de continuer son chemin plein de joie. N'avait-il pas en effet ce qui console de toutes les peines de la vie: l'assurance de sa réconciliation avec l'Éternel; et, à défaut du docteur qui lui était enlevé, ne possédait-il pas, par la grâce du Saint-Esprit, l'intelligence de la Parole de Dieu?

8: 40
§ 1160. L'officier de la reine Candace, de retour en Abyssinie (pays que les anciens renfermaient, avec la Nubie, sous le nom plus général d'Éthiopie), s'y montra, dit-on, zélé propagateur de la foi; car bien que, trois siècles après, des missionnaires aient trouvé ces contrées dans les ténèbres de l'idolâtrie, il ne s'en suit pas nécessairement qu'une église chrétienne n'ait pu y exister auparavant. Quant à Philippe, transporté miraculeusement par la puissance du Saint-Esprit, il se trouva dans Azot ou Asdod, ancienne ville des Philistins, sur les bords de la Méditerranée, à dix lieues environ de Gaza. De là il se rendit à Césarée, non la Césarée que nous avons vue ailleurs (§ 535), mais une Césarée qui, située sur la mer, au nord d'Azot et à vingt cinq lieues environ de Jérusalem, s'appelait autrefois la Tour de Straton. Pendant tout ce voyage, Philippe ne cessa de prêcher l'Évangile, et nous aurons bientôt la preuve que ce ne fut pas sans succès.


CCXXXVI. Conversion de Saül; commencement de son apostolat et de ses souffrances (Évangile de Matthieu).


9: 1-2
§ 1161. Ici commence, à proprement parler, l'histoire de l'un des plus illustres serviteurs de Dieu. Au moment du supplice d'Étienne, époque où il en est fait mention pour la première fois, il était jeune encore, ce qui, dans le langage des Juifs, veut dire qu'il pouvait avoir à peine trente ans. Quelques mois seulement s'étaient écoulés dès lors. Sa haine pour l'Évangile, loin de s'épuiser, semblait plutôt s'accroître par les persécutions mêmes auxquelles il avait donné les mains dans la ville de Jérusalem, et il cherchait partout de nouvelles victimes. Damas, l'ancienne capitale du royaume de Syrie, ville toujours florissante, comptait parmi ses habitants un grand nombre de Juifs. Ils s'y étaient fixés dès le temps de la première captivité et même auparavant (2 Chron. XXVIII, 5), en sorte qu'il y existait plusieurs synagogues. Bien que l'Évangile n'y eût point encore été porté par les apôtres, il y était néanmoins parvenu, grâce aux relations fréquentes que les Israëlites de tous les pays entretenaient avec la ville qu'illustrait et sanctifiait le temple de l'Éternel. C'est ce dont les pharisiens avaient eu vent, et Saul, poussé par son horrible zèle, sollicita du souverain sacrificateur des pouvoirs contre les Juifs de Damas qui avaient pris «ce chemin,» comme porte le texte sacré, par ce qu'en effet la foi en Jésus est, aussi bien que Jésus-Christ lui-même, le chemin de la vie éternelle. (Jean XIV, 6). Saul se proposait de ne ménager personne. Hommes et femmes, tous devaient sentir sa colère, et ses ordres étaient de les amener liés à Jérusalem. Le conseil suprême des Juifs, appelé Sanhédrin, ce même corps qui avait condamné Jésus, étendait, en matière religieuse, sa juridiction sur les Israëlites dispersés en tous lieux, prérogative que les conquérants lui avaient constamment accordée.

9: 3-5
§ 1162. Mais tandis que Saul marchait du côté de Damas, le cœur plein de sinistres projets contre le Seigneur, dans la personne de ses disciples (Luc X, 16), le Seigneur, de son côté, se disposait à faire de lui le plus admirable monument de sa miséricorde. Le jeune pharisien n'était plus qu'à une faible distance de la ville, lorsqu'une lumière éclatante, venant du ciel, resplendit autour de lui. Renversé comme par un coup de foudre, il entendit une voix qui, lui donnant son nom hébreu, ce nom qui rappelait celui du persécuteur de David, père et type du Messie, lui dit: «Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu?» C'était le Seigneur lui-même qui s'adressait à la conscience de Saul, et Saul ne put s'y méprendre; car, lorsque, se débattant sous la main puissante qui le retenait contre terre, il s'écria: «Qui es-tu Seigneur?» il eut pour réponse cette parole: «Je suis Jésus que tu persécutes.» Jésus était donc réellement ressuscité comme le disaient ses disciples; ce Jésus qu'on croyait mort était vivant à n'en pouvoir douter, et Saul a maintenant la plus entière démonstration que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu! Mais la démonstration de la vérité ne suffit pas pour convertir une âme: il faut la préparation du Saint-Esprit. Cette préparation ne manquait pas au persécuteur des disciples de Jésus. Bien que Saul eût agi jusqu'à ce jour dans la sincérité de son zèle pharisaïque, et c’est par là qu'il différait de tant d'hypocrites qui, durant la vie de Jésus, avaient blasphémé contre le Saint~5 Esprit (§ 435), il paraît cependant qu'il était quelquefois tourmenté par des doutes sur l'innocence de sa conduite. N'oublions pas qu'il avait été témoin de la mort d'Étienne, qu'il avait vu le visage d'ange du saint martyr, qu'il avait pu entendre son admirable prière, qu'il avait assisté à ce culte solennel rendu au Seigneur Jésus par ses lèvres expirantes. Si tout cela put, au premier instant, lui paraître de nouveaux blasphèmes et l'exciter d'autant plus contre les disciples, il était impossible que ce spectacle ne se fût pas représenté à lui sous un aspect différent, et il pressait sur son âme comme «un aiguillon» qui le faisait souffrir, à proportion même de son obstination dans la mauvaise voie. Aussi, quand le Seigneur le sollicita de ne pas résister davantage, Saul se dégagea de cette horrible lutte, en disant: «Seigneur, que veux-tu que je fasse.»

9: 6-9
§ 1163. Nous retrouvons ici ce qui fut toujours le signe d'un vrai retour à Dieu: une sainte frayeur des dangers que fait courir l'incrédulité, et la ferme résolution d'entrer dans une voie nouvelle. Or, le Seigneur voulant tout à la fois laisser Saul quelque temps à ses réflexions et le mettre en rapport avec les disciples, ne jugea pas à propos de lui révéler dès ce premier moment toute sa volonté. S'il lui fit entendre quelques paroles qui ne sont pas racontées ici, mais que nous retrouverons ailleurs, il le renvoya surtout à ce qui lui serait dit, de sa part, dans la ville. En attendant, Saul fut frappé de cécité, symbole de l'aveuglement où il avait vécu jusque-là, et ceux qui l'accompagnaient le prirent par la main et le conduisirent à Damas, dont une faible distance les séparait sans doute. Quant à eux, ils avaient confusément entendu une voix, mais ils n'avaient pas vu de qui elle partait, ni entendu les paroles qu'elle avait prononcées. Trois jours se passeront durant lesquels Saul demeura dans cet état, et tellement absorbé par ses pensées, comme peut-être par les révélations intérieures du Seigneur, qu'il ne mangea ni ne but pendant ce temps. Selon quelques-uns, cela signifierait simplement qu'il ne fit point de repas proprement dits; mais on sait que les abstinences prolongées ne sont pas rares dans les pays orientaux, et après ce qui s'était passé, l'on comprend ce long jeûne du nouveau converti.

9: 10-16
§ 1164. Cependant, le Seigneur n'oubliait pas la promesse qu'il avait faite à Saul. Se révélant personnellement à un disciple de Damas nommé Ananias, il lui donna l'ordre de se transporter auprès de Saul, et de lui rendre la vue en posant la main sur lui. Bien que le Seigneur désignât Saul par cette expression très générale: «un nommé Saul de Tarse,» il savait bien qu'Ananias comprendrait de suite de qui il s'agissait, aussi se hâte-t-il d'ajouter ces mots, propres à le rassurer: «Car voici, il prie.» Ah! certes, Saul avait souvent prié, mais de la prière du pharisien (§ 726); aujourd'hui seulement commençait pour lui la véritable prière (§727). Combien cette bonne nouvelle n'aurait-elle pas dû réjouir le cœur pieux d'Ananias? Quel bonheur encore d'apprendre que Saul l'attendait, lui, Ananias, lui-même, ensuite d'une vision dont Saul aussi avait été favorisé; car tout se combine dans le conseil et dans les mains de Dieu pour l'accomplissement de sa grâce envers ses élus: il prépare à Saul un Ananias, et en même temps qu'il dit à Ananias d'aller auprès de Saul, il avertit Saul de la visite d'Ananias. Mais, bien que celui-ci eût répondu comme le père des croyants I, § 352), il hésitait à faire ce qui lui était ordonné.
Sa frayeur se comprend. Un persécuteur tel que Saul! un homme qui avait ravagé l'Église de Jérusalem et que les nouvelles reçues depuis son départ annonçaient aux frères de Damas comme un lion qui venait se jeter dans leur bergerie! Il fallait une grande foi pour aller à lui et l'aborder en lui disant: «Saul, mon frère!» Mais bien qu'Ananias hésitât, le Seigneur ne laissa pas de lui parler comme à un croyant; car, pour le décider, il se contenta de lui prophétiser le plan de sa grâce au sujet du persécuteur. Instrument de choix, il prêchera le nom de Jésus-Christ après l'avoir insulté (Luc XII, 10); sa vocation sera surtout de l'annoncer aux nations et à des rois de la terre, mais sans oublier les fils d'Israël; enfin, autant et plus que les autres messagers de la bonne nouvelle, il aura beaucoup à souffrir pour le nom de Jésus. «Alors Ananias s'en alla et il entra dans la maison.»

9: 17-19
§ 1165. On ne sait ce qu'il faut admirer le plus en ce récit, de la grandeur du sujet, ou de la simplicité de la narration. Ananias croit à la parole du Seigneur; il entre auprès de Saul, toujours aveugle; il se fait connaître à lui; il pose les mains sur l'élève de Gamaliel, qu'il appelle son frère, et celui-ci, recevant le Saint-Esprit, recouvre en même temps la vue: il est baptisé, il se met à table, et Ananias ayant probablement rompu le pain au nom de Jésus, Saul se sentit fortifié. Ainsi fut élu, converti, guéri, éclairé et consacré celui de tous les serviteurs de Dieu auquel le monde a le plus d'obligations. C'est, à coup sûr, une des plus belles œuvres du Tout-Puissant, et il est remarquable, entre autres choses, de voir comment il a voulu que les commencements du grand apôtre Paul fussent parfaitement humbles. Il aurait pu le convertir à Jérusalem et dans les cours du temple, aussi bien que sur le chemin de Damas; le faire baptiser et consacrer par le collège des apôtres et non par un fidèle d'ailleurs inconnu; mais, tandis que de cette manière, le jeune Saul eut été mis promptement en évidence, ce que ne voulait pas le Seigneur, nous allons le voir retenu durant de longs jours à Damas, loin du centre d'activité des principaux prédicateurs de l'Évangile! Il y avait là une grande éducation pour l'âme orgueilleuse du pharisien, et le développement que prit ensuite son activité, n'en est que plus remarquable.

9: 19-22
§ 1166. Bien que le moment ne fût pas encore venu pour Saul de prendre la place qui lui était réservée au premier rang des apôtres, il ne laissa pas de commencer immédiatement l'exercice de son ministère. Après avoir passé quelques jours dans l'intimité des disciples, il parut au milieu des congrégations des Juifs, prêchant Jésus comme le Christ, le Fils de Dieu; car la divinité du Sauveur lui fut, dès sa conversion, pleinement révélée, et elle dut le frapper plus que les anciens disciples. On conçoit l'étonnement qu'excita ce langage, dans la bouche d'un homme qui avait jusque-là déployé tant de haine contre «ceux qui invoquaient ce nom» c'est ainsi qu'on désignait les disciples de Jésus, comme nous l'avons vu déjà dans la bouche d'Ananias (verset 14). Il n'est pas dit cependant qu'il se soit fait alors des conversions parmi les Juifs, et pourtant il semble que le miracle de la conversion de Saul aurait dû produire cet effet. Il est vrai que, dans la discussion, il fermait aisément la bouche des adversaires, en racontant ce qui lui était arrivé; mais de ce qu'on n'a plus rien à répondre, il ne s'ensuit pas qu'on soit convaincu, on peut même être convaincu, sans que la vérité ait réellement gagné le cœur. Bien plus, nous apprenons de ce fait à ne pas nous étonner, lorsque nous voyons les âmes résister aux preuves les plus pénétrantes, telles par exemple que le témoignage rendu à la vérité par des hommes qui luttèrent longtemps contre elle.

9: 23-25
§ 1167. Ne soyons pas surpris non plus, si, en pareille circonstance, on voit l'animosité des adversaires croître avec le zèle et les triomphes des serviteurs de Dieu. Tout ce qu'il y avait de haine contre ceux qui invoquaient le nom de Jésus, se porta naturellement sur Saul, d'autant plus détesté qu'on avait attendu bien autre chose de lui. Aussi verrons-nous ailleurs qu'après un assez court séjour dans la capitale de la Syrie, il dut se réfugier quelque temps chez les descendants d'Ismaël. De là, il revint à Damas, et, un assez grand nombre de jours après sa conversion, dit l'auteur du livre des Actes (Paul lui-même nous apprendra plus tard que ce fut trois ans après), il dut s'évader furtivement d'une ville où il était venu muni d'un grand pouvoir pour faire le mal, et où il ne pouvait plus faire de bien, tant sa vie était sérieusement menacée par les Juifs. Entré de plein jour à Damas, mais aveugle, Paul en sort au milieu des ténèbres d'une nuit obscure; mais son âme était maintenant éclairée, et nul doute qu'il ne s'estimât heureux lui aussi, d'avoir quelque chose à souffrir pour son Sauveur (§ 1129).

9: 26-30
§ 1168. De Damas, Saul regagna Jérusalem avec l'intention de se joindre aux disciples; mais ceux-ci avaient encore un souvenir très-vif de ses violences, et malgré ce qu'ils avaient pu apprendre de sa conversion, ils se refusaient à le reconnaître en qualité de disciple, comme s'il eût été impossible que le Seigneur lui eût fait une telle grâce. Ils trouvaient probablement étrange que Saul ne fût pas venu plus tôt à eux. Après avoir ouï dire qu'il était converti, ils avaient sans doute appris son départ pour l'Arabie et dès lors peut-être ils n'en avaient plus eu de nouvelles. Ainsi s'expliquerait leur conduite. Ce n'est pas la justifier; mais quand on a beaucoup souffert, on devient timide et défiant. Toujours est-il que ce dut être une grande épreuve pour la foi de Saul. Il est plus pénible d'être méconnu de ses frères, que de subir la haine du monde. Au surplus, l'erreur des disciples de Jérusalem, effet d'une première impression, ne fut que momentanée. Il plut au Seigneur de mettre Saul en relations avec Barnabas, ce lévite dont il a été fait mention précédemment (§ 1118). Celui-ci, convaincu de la parfaite droiture de l'ex-pharisien, le conduisit vers les douze, leur racontant toute l'histoire d'un frère dont personne, à coup sûr, ne prévoyait alors le grand avenir. Dès cet instant, il alla et vint avec eux dans Jérusalem, sans s'inquiéter des moqueries et des menaces des pharisiens, ses anciens affiliés; il parlait d'un ton ferme au nom du Seigneur Jésus, et c'était avec les Hellénistes surtout que, Helléniste lui-même, il avait surtout affaire. voulait ainsi réparer le mal dont il s'était rendu coupable de concert avec eux, dans le temps d'Étienne, et peu s’en fallut qu'il ne subît le même sort. Mais on apprit ce qui se complotait contre lui, et les frères le firent partir pour Césarée, où nous avons laissé le diacre Philippe (§1160), et d'où, quelque temps après, on le dirigea sur Tarse, le lieu de son origine (§ 1137). Cette ville de l'Asie Mineure était située très-près de la mer, et l'on y allait facilement de Césarée, quoique la distance fût assez considérable.

9: 31
§ 1169. À cette époque cependant, les assemblées des frères répandues dans la Palestine, jouissaient partout d'une paix qui devait leur être bien douce après toutes leurs tribulations. L'auteur sacré ne nous dit pas à qui elles en furent redevables, parce qu'il va sans dire que c'était au Seigneur lui-même et à sa grande bonté. Mais les moyens que Dieu emploie pour protéger les siens sont quelquefois bien admirables! Dans le temps à peu près de la conversion de Saul, un jeune prince, nommé Caïus Caligula, avait succédé à l'empereur Tibère, sous le règne duquel notre Seigneur fut crucifié. Ce Caligula, un des hommes les plus cruels et les plus insensés qui aient ceint le diadème, voulut être adoré partout comme Dieu, et il ordonna notamment que sa statue fût placée dans le temple de Jérusalem. L'historien Josèphe, qui nous rapporte ce fait, raconte fort au long la douleur qu'en éprouvèrent les Juifs et l'opposition qu'ils firent à l'ordre de César; comment ils se préparèrent à la guerre, et comment, Caligula étant mort sur ces entrefaites, ils furent délivrés de leurs craintes. Beaucoup de personnes attribuent à cette circonstance le repos dont les églises jouirent en Judée dans ce même temps; et si Luc n'en dit rien, c'est que son histoire ne fait jamais aucune excursion dans la politique. Les événements du siècle pouvaient nous être transmis par une autre voie; tandis que si Dieu ne nous eût pas fait raconter ceux qui appartiennent à son règne, nous ne les aurions point connus, tant le monde a de tout temps affecté de s'y montrer indifférent.

§ 1170. Quoi qu'il en soit, arrêtons quelques instants nos regards sur ces églises maintenant paisibles au-dehors, comme elle l'étaient encore au-dedans. Il est bon sans doute pour l'Église d'avoir ses temps d'épreuve; mais il ne l'est pas moins qu'elle ait aussi des temps de repos, et il ne faut pas croire que la persécution lui soit absolument nécessaire pour prospérer. La présence du Saint-Esprit et l'efficace de ses consolations lui sont assurées en toute saison; c'est là le secret de sa force. Je dirai même que les souffrances sont pour l'Église, comme pour chaque fidèle, un moyen de sanctification dont la nécessité résulte de ce qu'elle n'est pas ce qu'elle devrait être. Une église où la foi et l'amour abonderaient, n'aurait pas besoin que des châtiments vinssent la réveiller, la stimuler, la pousser à plus de zèle. C'est pourquoi, l'église la plus digne du saint nom d'Épouse de Jésus-Christ, est celle qui, semblable aux églises de la Palestine à cette époque, porte, comme elles, sans la dure discipline de l'épreuve, les fruits de sanctification qui, par un effet des faiblesses de notre foi, résultent plus ordinairement de la souffrance. En un mot, il est beau de voir les églises vivantes se multiplier malgré l'opposition parfois si furieuse des adversaires; mais il l'est plus encore de les voir, en des temps meilleurs, actives et fécondes, au lieu de se laisser endormir par la prospérité.

§ 1171. C'est aussi à cette époque qu'on place communément la composition du premier Évangile, celui de Matthieu. Sans répéter ce que j'ai dit ailleurs sur ce sujet (§§ 43, 46), remarquez toutefois la sagesse du Seigneur dans le choix qu'il fit du moment où cet écrit parut. Pour que la foi des chrétiens reposât sur un témoignage irrécusable, il a voulu que la bonne nouvelle fût, pendant plusieurs années, racontée de bouche par un grand nombre de témoins; mais d'un autre côté, afin que maintes légendes ne vinssent pas bientôt se mêler à la vérité, il voulut que, sans trop de retard, cet Évangile fût écrit par un de ceux qui avaient reçu le Saint-Esprit le jour de la Pentecôte. Cette double circonstance explique très bien d'ailleurs la manière dont saint Matthieu a rédigé son livre. Il s'agissait bien moins de raconter par ordre l'histoire de Jésus-Christ, que de fixer les faits et les doctrines qui caractérisent l'Évangile, en les groupant de la manière la plus utile aux besoins du temps et de l'Église. On comprend aussi pourquoi le premier Évangile fut essentiellement écrit en vue des Juifs convertis: il n'y avait alors que des fils d'Abraham qui invoquassent le nom du Seigneur Jésus, sauf l'officier de la reine Candace et quelques autres peut-être.


CCXXXVII. Prédication et miracles de Pierre; conversion et baptême du capitaine Corneille.


§ 1172. Bien que plusieurs années déjà se fussent écoulées depuis la résurrection de notre Seigneur, l'Évangile n'avait pas encore été porté aux idolâtres, ou à ceux que les Juifs appelaient les Goïm (nations ou gentils). La suite nous montrera que Dieu avait essentiellement réservé cette tâche difficile à l'apôtre Paul. Il trouva bon, néanmoins, de la commencer par Pierre, afin de montrer que la conversion des Gentils et celle des Juifs était une seule et même œuvre dans le fond. Il n'ignorait pas d'ailleurs les préjugés qu'il y aurait à vaincre chez les fils d'Abraham, pour leur faire recevoir au milieu d'eux, simplement par le baptême et sans la circoncision, les hommes des nations, les Goïm. C'est pour cela qu'il voulut vaincre d'abord ceux de l'apôtre Pierre, prévenu lui-même autant que nul autre, et dont l'opinion, modifiée par les faits, ne pouvait qu'exercer une grande influence sur toute l'église sortie de la synagogue.

9: 32-35
§ 1173. L'historien sacré nous montre donc ici, pour la seconde fois, cet apôtre sortant de Jérusalem (§1150) et visitant tout le pays, mais ne s'occupant encore que des Juifs, particulièrement des membres de l'Église. Ceux-ci, appelés ailleurs les frères, les disciples, ceux qui invoquent le nom de Jésus, sont désignés ici par un bien beau nom, celui de Saints. C'est déjà comme cela qu'Ananias les avait nommés, en parlant au Seigneur lui-même (vers. 13), et combien ne faut-il pas que la dégradation de l'Église soit grande, pour que ce nom soit tombé en désuétude comme il l'est! Les courses de Pierre l'ayant conduit à Lydde, ville située entre Jérusalem et Joppé, et voisine de Saron, dans la riche contrée qui portait ce nom (II, § 107), il opéra sur un paralytique une de ces guérisons destinées à prouver tout à la fois qu'il parlait de la part de Jésus, et que ce Jésus était réellement vivant, toujours revêtu de la même puissance. «Enée! Jésus, le Christ, te guérit; lève-toi, et arrange toi-même ton lit.» Aussitôt connue à Lydde et à Saron, cette merveille y produisit une impression profonde. Ce ne furent pas seulement quelques individus qui «se tournèrent vers le Seigneur,» dit le texte sacré; mais il y eut un mouvement si considérable que tous furent entraînés, et l'on ne saurait douter que, par la grâce du Seigneur, il n'y ait eu, au milieu de tout cela, grand nombre de conversions réelles et durables. Partout donc s'accomplissait la parole dite à Simon: «Tu es Pierre, et sur cette pierre j'édifierai mon assemblée (Matth. XVI, 18).»

9: 36-43
§ 1174. Pendant que Pierre était à Lydde, l'église de Joppé fit une perte qui plongea dans le deuil toute la congrégation. Ce n'était pas un docteur, un Philippe ou quelque autre frère éminent que Dieu venait de rappeler à lui. C'était une simple femme, une veuve selon toute apparence, et rien n'indique qu'elle laissât après elle une famille d'orphelins. Mais Dorcas, tel était son nom, abondait en bonnes œuvres et en aumônes. Non contente de donner de son superflu, peut-être de son nécessaire, comme la veuve de l'Évangile (§ 815), elle travaillait de ses mains pour procurer des vêtements à ceux qui en manquaient, fondatrice, en quelque sorte, de ces sociétés de travail communes parmi nous, sans qu'on puisse dire, hélas! que toutes les personnes qui en font partie soient, par leur foi et par leur charité, de véritables Dorcas. La douleur fut si profonde et si générale, que les frères de Joppé déléguèrent deux des leurs à Pierre, dans la pensée qu'il lui serait donné de rappeler Dorcas à la vie, ou simplement peut-être pour qu'il vînt les consoler. Or le Seigneur voulut que son disciple fît l'une et l'autre chose; en suite de quoi, il y eut à Joppé un grand nombre de conversions, et Pierre y demeura durant assez longtemps, chez un corroyeur nommé Simon ou Siméon, comme lui. — Du reste, ces deux miracles de Pierre ne sont là qu'épisodiquement et pour conduire au fait principal, fait dont le récit est contenu dans le chapitre dixième et dans les dix-huit premiers versets du chapitre suivant.

10: 1-8
§ 1175. Dans cette ville de Césarée où nous avons vu que Philippe avait porté ses pas en quittant Azot, et où Saul lui-même parut quelques moments (§1168), mais, selon toute probabilité, après la visite de Pierre, le récit du voyage de Saul ayant été fait par anticipation; dans cette ville considérable, célèbre par son beau port et assez souvent la résidence du gouverneur romain se trouvait en garnison, à cette époque, un homme qui, par son nom, semble avoir appartenu à la célèbre famille Cornélia. C'est de la même famille qu'était sorti jadis ce L. Scipion par qui la puissance romaine avait pénétré pour la première fois en Asie (§ 23). Dans tous les cas, notre Corneille ou Cornélius, n'était pas un personnage sans importance. Comme le centenier de Capernaüm, il avait acquis la connaissance de Dieu pendant son séjour en Judée, et, sans avoir embrassé le Judaïsme, il adorait l'Éternel, montrait sa foi par ses bonnes œuvres, et sa maison tout entière ressentait l'influence de sa piété (§ 410). C'était une âme que le Saint-Esprit préparait pour être les prémices de la grande moisson au milieu des païens, et, chose remarquable, il avait fallu à cet effet l'accomplissement de la grande prophétie de Daniel sur la quatrième monarchie. Peut-être Corneille avait-il ouï parler de Philippe et de ses prédications, mais il n'avait pas encore été mis en rapports directs avec les messagers de l'Évangile. C'est toutefois ce qu'il fallait pour le salut de son âme; c'est ce qu'il fallait aussi pour l'instruction même des messagers de la bonne nouvelle, et cela explique la vision céleste dont il fut favorisé. Un ange mentionnant ses aumônes et ses prières comme un témoignage accepté de Dieu, lui signifia toutefois que cela ne suffisait pas, et qu'il eût à appeler le nommé Simon-Pierre , actuellement à Joppé, afin d'entendre de lui ce qu'il avait à faire. Soumis à la voix divine, Corneille dépêcha deux de ses domestiques et un soldat; et comme c'étaient des hommes qui partageaient ses convictions, il leur raconta tout ce qui s'était passé.

10: 9-16
§ 1176. Deux journées de marche séparaient Joppé de Césarée. Le lendemain du jour où Corneille avait eu sa vision et expédié ses gens, Pierre monta, vers l'heure de midi, sur la terrasse de la maison de son hôte, et, ayant devant les yeux la vaste mer, si belle image de l'immensité, il se livrait à l'exercice de la prière, consolation et force de tout enfant de Dieu. (Act. VI, 4). À ce moment, l'apôtre eut faim et, comme on lui apprêtait de la nourriture, il entra en extase et il eut une vision qui n'était pas sans rapport avec la faim qu'il éprouvait, mais qui avait trait surtout à l'événement qui s'approchait et auquel le Seigneur voulait le préparer. Il faut que mes lecteurs se rappellent ici l'opinion généralement répandue chez les Juifs à cette époque. Malgré le grand nombre de prophéties qui annonçaient la vocation des gentils (II, Table Analyt.), ils n'imaginaient rien de pareil à ce que la grâce de Dieu destinait aux nations idolâtres. Ils ne disaient pas qu'un païen ne pût parvenir d'aucune manière à l'héritage des promesses; mais il fallait pour cela, pensaient-ils, qu'il s'incorporât à la famille d'Abraham par la circoncision, et, de cette manière encore, le salut n'était que pour les Juifs. Les apôtres eux-mêmes n'entendaient pas la chose autrement, bien que le Seigneur leur eût assez nettement déclaré sa pensée (§ 1037), et bien qu'ils eussent, de leur propre bouche, prophétisé dans ce même sens (§ 1092). L'inspiration ne leur donnait pas la connaissance de toutes choses, et ils n'étaient infaillibles que là où il plaisait au Saint-Esprit de les éclairer. Or, ils étaient encore sur ce point dans une certaine ignorance, mais la lumière allait se faire.

§ 1177. Pour comprendre le sens de la vision, il faut se rappeler en outre les prescriptions de la loi de Moïse au sujet des animaux qu'il n'était pas permis de manger et qui, par cette raison, étaient tenus pour souillés ou impurs. Dans la vision, ces animaux sont l'image des nations idolâtres, avec lesquelles un Israélite ne devait point entrer en relations et qu'il envisageait comme souillées par le fait même qu'elles étaient étrangères à l'alliance. L'espèce de remontrance enfin que la voix du Seigneur fit entendre à l'apôtre, signifiait que les païens étant appelés à recevoir, aussi bien que les Juifs, la grâce de l'Évangile, il n'y avait plus à tenir compte de la souillure que la loi leur avait imprimée.

10: 17-24
§ 1178. Pierre ne comprit pas d'abord le sens de la vision; mais il ne put être longtemps dans le doute. Pendant que les messagers de Corneille s'informent de lui à la porte de la maison, le Saint-Esprit lui-même, interrompant les méditations de Pierre, l'invite à descendre auprès d'eux et à les suivre sans hésitation. Mais où? C'est ce que l'apôtre apprend de leur bouche. Ils prononcent le nom de leur maître; ils racontent en deux mots ce qui s'est passé la veille à Césarée, et Pierre, qui commence à comprendre, Pierre, pour qui ce que Dieu a purifié ne saurait plus être souillé, fait entrer ces païens dans la maison de son hôte et les loge auprès de lui. Le lendemain, ils partent ensemble et arrivent le surlendemain à Césarée, dans la société de quelques frères de Joppé: on voit plus loin que ceux-ci étaient au nombre de six (Ch. XI, v. 12). Pierre savait-il au juste ce qu'il allait faire à Césarée? Il est permis d'en douter. Tout ce que les domestiques de Corneille avaient dit, c'est que leur maître attendait de lui «des paroles,» et l'Esprit lui-même ne l'avait pas informé plus clairement: «Va avec eux sans hésiter, parce que c'est moi qui les ai envoyés.» Mais ce dont Pierre est certain, c'est que le Seigneur le veut à Césarée, chez Corneille, au milieu de ces gentils, et quand on est appelé par le Seigneur, on marche avec assurance. Voilà donc cette petite troupe d'amis de Jésus entrant à Césarée, pour y tenir une assemblée qui ne fit pas de bruit dans le monde, et qui n'en a pas moins été, pour ce même monde, le commencement d'une ère religieuse toute nouvelle.

10: 24-27
§ 1179. Corneille, qui avait pu calculer les heures du voyage et qui ne mettait pas en doute la fidélité de Dieu, avait réuni sa famille et ses intimes amis, et il attendait avec eux le messager du Seigneur. Hélas! ce pauvre Corneille, païen naguère, adorateur d'hommes divinisés, ne vit pas plus tôt Pierre que, frappé de son air vénérable, il se jeta à ses pieds pour l'adorer. Mouvement irréfléchi qui fit sortir de la bouche de Pierre, de celui dont les papes se prétendent les successeurs, la parole la plus foudroyante contre l'idolâtrie actuelle des catholiques romains. Les papes se laissent adorer, ils se font adorer, ils frappent des médailles où l'on voit les cardinaux à genoux devant le souverain pontife, avec cette exergue: «adorant quem créant»; «ils adorent celui qu'ils créent;» tandis que Pierre, jaloux d'une gloire qui n'appartient qu'à Dieu et qu'il lui eût été si facile d'usurper, s'empressa de relever le romain Corneille, en lui disant: «Et moi aussi, je suis un homme.» Le capitaine était allé au-devant de Pierre; il rentra dans la salle, conversant avec lui, et l'on conçoit quel moment plein d'intérêt, ce dut être pour les personnes qui s'y trouvaient assemblées.

10: 28-33
§ 1180. Après s'être excusé de ce que, contrairement à tous les usages des Juifs, il entrait librement dans la maison d'un païen, expliquant de quelle manière Dieu l'y avait lui-même engagé, et comment, serviteur soumis, il avait obéi sans faire aucune objection, Pierre demanda qu'on lui dît aussi par quelle raison et dans quel but on l'avait appelé. Alors Corneille raconta ponctuellement ce qui lui était arrivé le quatrième jour avant celui où ils se trouvaient, et «maintenant,» dit-il, «nous sommes tous ici devant Dieu, pour entendre toutes les choses dont Dieu t'a donné charge.» C'est une belle et sérieuse parole que celle de ce brave soldat. Quel bonheur, si, dans nos assemblées, nous nous placions tous ainsi devant le Seigneur, prêts à recevoir en nos cœurs ce que Dieu daigne nous dire par la bouche de nos frères! Vous voyez que, par la grâce d'en Haut, Corneille et les siens avaient toutes les dispositions qu'on peut désirer chez des pécheurs auxquels on annonce l'Évangile: ils priaient beaucoup, ils faisaient tout le bien en leur pouvoir, ils avaient faim de la Parole de Dieu, et ils se plaçaient devant lui pour écouter cette divine Parole. Aussi la vérité n'eut-elle pas de peine à se faire jour dans leur âme.

10: 34-43
§ 1181. Pierre leur en fit l'exposition avec sa manière à la fois simple et énergique. Au premier abord, ce nouveau discours semble entièrement calqué sur les précédents; mais un examen attentif y fait voir au contraire des différences considérables, et de ces différences qui constatent l'authenticité d'un récit. Il commence par exprimer ses convictions actuelles sur les intentions de la miséricorde divine envers les païens. Il lui est maintenant démontré, non pas qu'un honnête païen sera sauvé par son honnêteté tout en demeurant éloigné du Sauveur, mais que le moment était venu où le Seigneur voulait se former un peuple parmi les gentils, et il voyait la preuve de cela dans les saintes dispositions qu'il avait mises au cœur de Corneille, pour le préparer à recevoir Jésus-Christ. Si d'ailleurs les promesses ont été faites aux fils d'Israël en premier lieu, Jésus, Fils de Dieu, ne laisse pas d'être le Seigneur de tous.

§ 1182. C'est de ce Jésus que Pierre devait entretenir son auditoire; mais, tandis qu'à Jérusalem il s'était borné à parler de sa résurrection et de sa seconde venue, le reste étant généralement connu, ici, nous le voyons reprendre en résumé toute l'histoire du Sauveur, depuis son baptême par Jean jusqu'à son relèvement d'entre les morts, n'oubliant pas d'annoncer son futur retour pour juger le monde et proclamant surtout le pardon des péchés par la foi en son nom. C'était le point essentiel, alors comme aujourd'hui. Corneille et ses amis, encore que pieux et bienfaisants, avaient besoin d'être sauvés. Il en avait été ainsi de Zachée, du capitaine de Capernaüm et de tant d'autres non moins bien disposés.

10: 44-48
§ 1183. Voilà sans doute ce que Pierre allait exprimer, lorsqu'il fut interrompu (Ch. XI, v. 15) par un événement auquel nul d'entre eux ne s'attendait. Après que le Saint-Esprit eut dit par la bouche de Pierre: «Tout homme qui croit en lui, reçoit le pardon des péchés par son nom,» cet Esprit de grâce et de lumière descendit sur tous ceux qui écoutaient Dieu de si bon cœur. Il fut sur eux, comme il est encore de nos jours sur quiconque écoute avec sérieux une prédication fidèle, mais il y eut de plus l'effusion miraculeuse des dons surnaturels qu'obtenait, en ces premiers temps, la foi des élus. Cela se fit avant qu'ils fussent baptisés et sans que Pierre leur eût imposé les mains; par où Dieu voulut montrer clairement, que le don de sa grâce n'est pas comme fatalement lié aux actes qui en sont les signes et quelquefois les sceaux. Il fallait d'ailleurs qu'on ne pût faire aucune objection contre l'introduction immédiate de ces étrangers dans l'Église du Seigneur. Pour cela, non seulement il avait d'avance préparé leurs âmes, non seulement deux visions étaient venues tracer la marche à suivre envers eux; mais encore le Saint-Esprit se les approprie de manière à lever tous les doutes. Aussi, Pierre répondant, semble-t-il, aux scrupules des frères de Joppé dont il s'était fait accompagner et qui éprouvaient un grand étonnement de ce qu'ils voyaient: «Quelqu'un,» dit-il, «peut-il refuser l'eau pour baptiser ceux-ci, qui ont reçu le Saint-Esprit aussi bien que nous?» En effet, il y avait là une seconde Pentecôte, la Pentecôte des nations païennes, après celle de la nation juive à Jérusalem; et c'est du baptême administré ce jour même à Corneille et aux siens, qu'est sorti, pour ainsi dire, le baptême administré dès lors à tant de millions de chrétiens d'entre la gentilité. Hélas! si nos pères et nous, nous avons tous été baptisés dans le nom de Jésus comme Corneille, pouvons-nous dire que tous aient été, comme lui, baptisés du Saint-Esprit (§ 127)?

11: 1-18
§ 1184. Après avoir passé quelques jours à Césarée auprès de l'heureux Corneille, Pierre remonta à Jérusalem, où il s'attendait bien que sa conduite rencontrerait des contradicteurs, car il prit avec lui les six frères qui l'avaient accompagné et au témoignage desquels il voulait se référer, comme on le voit par le verset 12. En effet, on ne manqua pas de lui faire un crime de ses relations avec des incirconcis, suivant le bruit qui en était venu jusqu'à eux. On ne parlait pas même du baptême qui leur avait été administré, soit qu'on le tînt pour nul, vu les circonstances, soit qu'on ne le crût pas capable d'effacer la souillure de l'incirconcision. Vous voyez combien l'esprit juif était tenace chez ces frères de Jérusalem, et quelles vues étroites cet esprit leur faisait apporter aux choses de l'Évangile. Pierre donc, naguère tout semblable à eux, leur raconte de point en point ce qui s'était passé; il leur montre dans l'événement qui causait leur surprise, l'accomplissement d'une des dernières paroles de Jésus (Ch. I, 5); et il finit en leur représentant le péché dont il se serait rendu coupable, s'il avait refusé d'entrer dans les vues de Dieu. Ce nouveau discours ne fut pas moins béni que le précédent; car, non seulement les frères de Jérusalem prirent leur parti de ne plus posséder un droit exclusif à la grâce de Dieu, en tant que Juifs, mais encore ils se réjouirent de ce que Dieu donnait aussi la conversion aux Gentils, pour qu'ils eussent la vie. Oui, c'est Dieu qui donne la conversion à ceux qu'il veut sauver, et comment ne pas le glorifier lorsqu'il manifeste sa grâce envers les pécheurs, bien plus encore peut-être lorsqu'il s'agit de pécheurs que nous en jugeons indignes!


CCLXXVIII. L'Église helléniste d'Antioche; second voyage de Saul à Jérusalem; supplice de Jaques, un des apôtres; nouvel emprisonnement de Pierre et mort soudaine d'Hérode-Agrippa.


11: 19-21
§ 1185. L'historien sacré, reprenant son récit où il l'avait laissé (§ 1160), nous apprend que les disciples chassés de Jérusalem après la mort d'Étienne, ne s'étaient pas bornés à prêcher l'Évangile dans la Judée, la Samarie et la Galilée, mais qu'ils l'avaient porté jusque dans les contrées païennes de la Phénicie, au nord de Césarée, puis dans l'île de Chypre et à Antioche, XI ville considérable de Syrie (maintenant Antakiéh) près de la côte occidentale de la mer Méditerranée, en face à peu près de l'île de Chypre. Mais comme cela se passait avant la conversion de Corneille et des siens, ils n'avaient garde de s'adresser aux Gentils; les Juifs seuls leur semblaient appelés au salut. Cependant, au nombre de ceux avec lesquels ils entrèrent en relations, parce qu'ils étaient d'origine juive, se trouvèrent un certain nombre de ces Israëlites qu'on appelait Hellénistes (§ 1131). Ce fut par eux surtout que la bonne nouvelle du salut fut annoncée à Antioche. Située sur le fleuve Oronte, cette ville était à six ou sept lieues de la mer. Les Juifs y jouissaient de privilèges égaux à ceux des Grecs, et leur situation y était très florissante. Ce fut là que se fonda la première église essentiellement composée de Juifs parlant le grec, intermédiaire préparé par le Seigneur entre les églises de la Judée et celles qui allaient bientôt se former chez les Grecs proprement dits, ou autrement chez les païens. «La main de Jésus fut avec ceux qui y prêchèrent les premiers l’Évangile, Cypriens et Cyrénéens, en sorte qu'un grand nombre de Juifs hellénistes ayant cru, se tournèrent vers le Seigneur.» Ce furent donc des Juifs originaires des côtes de l'Afrique et d'une île fameuse par les impuretés de son idolâtrie, qui devinrent ainsi les fondateurs de l'une des plus illustres églises de l'antiquité! Les voies de Dieu sont vraiment admirables.

§ 1186. Bien que les frères de Jérusalem ne se rendissent pas compte de l'immense portée du mouvement dont Antioche était le théâtre, ils montrèrent l'intérêt qu'ils y prenaient en y députant Barnabas. Barnabas, de l’île de Chypre et par conséquent helléniste (§1118); Barnabas, «homme bon et rempli d'Esprit saint et de foi, qualifié plus que personne pour une telle mission. Quelle joie ne dut pas éprouver ce respectable serviteur de Dieu, en voyant les effets de la grâce divine sur ces nouveaux frères! Aussi ne cessait-il de les exhorter à demeurer attachés au Seigneur avec décision de cœur. Ce ne sont donc pas seulement les pécheurs non convertis qui ont besoin d'exhortations. Il semble qu'une fois au Seigneur, on ne devrait plus vouloir autre chose que sa grâce; mais Satan attaque les fidèles de tant de façons, qu'il est besoin de les solliciter à demeurer fidèles et à déployer une grande décision dans la profession de leur foi. C'est là-dessus que bien des gens, même pieux, ne sont que trop souvent en défaut; toutefois, dans l'œuvre de notre salut, du commencement à la fin, rien n’est plus indispensable que la résolution, la fermeté, le courage (§§ 424 , 818).

11: 25, 26
§ 1187. Barnabas, qui, en allant à Antioche, avait dû passer par Césarée, et qui peut-être avait été surpris de ne pas y trouver Saul (Ch. IX, v. 30), poussa jusqu'à Tarse, capitale de la province limitrophe, d'où il ramena Saul à Antioche. Il sentait que la place de ce jeune docteur était dans cette jeune église, et la suite prouva qu'il avait été réellement conduit par le Seigneur. Pendant toute une année, Barnabas et Saul firent partie de l'église d'Antioche; leurs enseignements attirèrent beaucoup de monde et portèrent de grands fruits, non seulement parmi les Juifs hellénistes, mais aussi probablement parmi les païens. Jusqu'à ce moment, les assemblées des disciples de Jésus n'avaient pas été distinguées par le public d'avec les synagogues des Juifs. Le monde, qui, autant qu'il le peut, demeure indifférent aux idées religieuses, ne put plus ignorer ce qui se passait. Une nouvelle doctrine était prêchée et se propageait; un nouveau peuple se formait. C'était assez semblable au judaïsme, mais il y avait évidemment autre chose: à l'autorité de Moïse succédait celle de quelqu'un qu'on appelait le Christ. Alors, comme toujours, on s'empressa d'assigner un nom à cette nouveauté et, si ce ne fut pas celui de christianisme, on désigna du moins par le nom de «chrétiens» ceux qui s'y rattachaient. Quelques personnes pensent que ce furent les disciples qui se donnèrent ce titre; mais, sans entrer en discussion sur un point de peu d'importance au fond et qui pourra s'éclaircir dans la suite de ces Études, nous avons vu précédemment de quelle manière ils se désignaient. C'est sous le nom de «frères» qu'ils s'adressaient la parole, sous ceux de «disciples» et de «saints» qu'ils parlaient les uns des autres et que le Seigneur lui-même les nommait; quelquefois on disait: «ceux qui croient,» ceux qui invoquent le nom du Seigneur, «ceux qui suivent le Chemin.» Quant au nom de «chrétiens,» ou de sectateurs du Christ, nom honorable maintenant, malgré l'abus qu'on en fait, il me paraît probable que, dans l'origine, ce fut un terme de mépris de la part du monde. Quoi qu'il en soit, il fut un temps où il suffisait de revendiquer ou d'accepter ce titre pour être envoyé au supplice, et ainsi s'accomplit une des prophéties les plus remarquables de notre Seigneur (§ 404).

11: 27-30
§ 1188. Pendant que Barnabas et Saul multipliaient leurs travaux à Antioche, il y arriva de Jérusalem des prophètes, dont l'un, nommé Agabus, avait, paraît-il, pour mission de prédire une famine qui s'étendrait au loin. Or, soit parce que la disette se faisait toujours sentir en Canaan plus que nulle part, comme on peut s'en souvenir, soit parce que la générosité, peut-être excessive, des fidèles de Jérusalem envers leurs pauvres, avait appauvri la communauté tout entière, on pensa de suite à la détresse où se trouveraient les frères de Judée. La famine fut annoncée comme imminente, car les chrétiens d'Antioche s'empressèrent de faire une collecte, à laquelle chacun prit part selon ses facultés; ils en envoyèrent le produit par Barnabas et par Saul (§ 316), et ceux-ci le remirent entre les mains des anciens de l'église de Jérusalem, c'est-à-dire des frères qui dirigeaient cette église et qui portaient le même nom que les chefs des synagogues juives. Ce fut le second voyage que Saul fit à Jérusalem depuis sa conversion (§ 1168). La famine prédite par Agabus eut lieu sous le règne de Claude-César, qui, l'an 41, avait succédé à Caïus Caligula, lui-même successeur de Tibère, comme je l'ai dit ailleurs (§ 1169). Il suit de là, que, sans pouvoir assigner à ce second voyage de Saul une date certaine, il dût avoir lieu cinq ou six ans après sa conversion; donc, deux ou trois ans après son premier voyage. Mais ce qui est plus intéressant qu'une donnée chronologique, c'est la preuve que ce récit nous fournit de la fraternité qui existait entre tous les serviteurs de Jésus. Il est évident qu'ils s'envisageaient comme ne faisant qu'un seul et même corps, dont aucun membre ne peut souffrir, que le corps tout entier ne souffre; bel exemple donné par «les chrétiens» d'Antioche aux chrétiens de tous les temps.

12: 1-2
§ 1189. À la famine succédèrent de nouvelles persécutions contre les frères de Jérusalem. La Judée, qui, depuis Archelaüs, fils d'Hérode-le-Grand, avait cessé d'être sous le joug de l'odieuse famille des Hérode, s'y était vue replacée par la volonté de l'empereur Claude. Aristobule, autre fils d'Hérode-le-Grand, père d'Hérodias, l'indigne épouse de ses deux oncles Philippe et Hérode Antipas (§ 496), Aristobule, dis-je, mis à mort par son père l'an 6 de l'ère chrétienne, n'était jamais monté sur le trône; mais il avait laissé, outre sa fille Hérodias, un fils nommé Hérode et surnommé Agrippa, qui passa sa jeunesse à Rome et s'y fit beaucoup d'amis en vivant dans le débordement. Après la mort de Tibère, Caligula nomma cet Hérode roi de quelques provinces voisines de la Judée, et, comme il se trouvait à Rome lors de l'avènement de Claude, celui-ci lui rendit l'administration royale des états de son grand-père. Mais ce petit-fils du cruel Hérode-le-Grand et neveu du voluptueux Hérode-Antipas, ne jouit pas longtemps d'une autorité qu'il ne craignit pas de diriger contre les disciples de Jésus-Christ.

§ 1190. L'an 44 de l'ère chrétienne (ici la date paraît assez positive, d'après l'historien Josèphe), Hérode-Agrippa étant à Jérusalem, mit la main sur quelques membres de l'assemblée, pour les maltraiter. S'il poussa la violence jusqu'à en faire mourir plusieurs, c'est ce qu'on ignore; ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il fit décapiter Jaques, le frère de Jean. C'était lui que Jésus avait surtout honoré de sa confiance, avec son frère et avec Pierre (§ 919), lui qui avait fait à Jésus la demande ambitieuse qu'on n'a sans doute pas oubliée et à qui le Seigneur avait prophétisé le sort qui l'atteignait en ce moment (§ 751). Il le lui avait, dis-je, prophétisé, mais de telle sorte que nul n'aurait pu imaginer qu'il serait le premier en qui la prophétie se réaliserait, à moins qu'on ne se souvînt en même temps de la prédiction spéciale qui, prononcée plus tard, concernait son frère (§ 1035). Toujours est-il qu'il ne pouvait entrer dans les vues du Seigneur que les témoins de sa résurrection tombassent tous sous les premiers coups de leurs ennemis, et l'on ne saurait trop admirer de quelle haute protection il les avait environnés jusque là. Mais il était bon, d'un autre côté, et utile à la gloire de Dieu, que l'un d'entre eux, au moins, scellât de son sang la fidélité de leur témoignage à tous, et que ce sang, devenant une menace sur la tète des autres, le monde vît clairement que ces hommes étaient parfaitement convaincus de la résurrection de leur maître, convaincus jusqu'à donner leur vie, plutôt que de se rétracter. Or, ce fut Jaques qui eut l'insigne privilège d'ouvrir la liste des apôtres-martyrs; il reçut ainsi le baptême dont son maître avait été baptisé, et il acquit auprès de lui la place de distinction qu'il avait ambitionnée, mais en entendant d'abord la chose dans un tout autre sens.

12: 3-5
§ 1191. La manière dont Hérode était parvenu au pouvoir, lui imposait la nécessité de capter par tous les moyens possibles la faveur populaire. Cet homme sans conscience ne se demanda pas s'il agissait selon la justice ou non. La tête de Jaques, un des plus actifs et des plus zélés était tombée, aux applaudissements de la populace de Jérusalem, toujours la même; il n'en fallait pas davantage pour qu'Hérode cherchât quelqu'autre victime, et le tour de Pierre parut enfin venu. Hérode le fit mettre en prison sous forte garde, se réservant de donner au peuple le spectacle de son supplice, quand la semaine des pains sans levain serait passée et la pâque entièrement achevée. Seize soldats répondaient de sa personne, et, après la fin lamentable de Jaques, comment espérer que Pierre pût échapper au sort qui l'attendait. Cependant, «une prière persévérante se faisait à Dieu pour lui, par l'assemblée,» moins peut-être en vue d'une délivrance impossible, que pour assurer au pauvre prisonnier les consolations et la force d'en Haut. Ce n'étaient pas des prières nombreuses, mais «une prière persévérante:» les frères, pense-t-on, s'étaient entendus et organisés de manière qu'il y eût, à toute heure du jour et de la nuit, quelques personnes assemblées au nom de Jésus et réclamant l'effet de ses promesses (897).

2: 6-11
§ 1192. Le dernier jour des pains sans levain était expiré. Le soleil qui allait se lever, devait, selon l'ordre impie d'Hérode, voir couler le sang de celui qui avait dit, lorsqu'il était incapable d'un tel sacrifice: «Je donnerai ma vie pour toi,» et qui maintenant laissait avec tant de calme le moment fatal s'approcher. Lié à deux soldats par le moyen de deux chaînes, il dormait paisiblement dans la prison, tandis que ses frères priaient, montrant leur foi par l'ardeur de leurs supplications, comme lui par la parfaite tranquillité de son âme. Tout à coup, la prison est merveilleusement éclairée, Pierre se sent frappé au côté, quelqu'un lui dit de se lever et de s'habiller, les chaînes qui liaient ses mains se détachent, on l'invite à sortir et il sort, les portes s'ouvrent les unes après les autres devant lui et devant son libérateur mystérieux, il arrive enfin dans la rue sans que rien de ce qui s'était passé eût été vu et entendu par les soldats. Pierre lui-même avait obéi machinalement et comme on le ferait dans un songe; aussi lui semblait-il que tout cela n'était qu'une vision. Ce fut seulement lorsqu'il sentit l'air extérieur lui rafraîchir le visage, et qu'abandonné par l'ange du Seigneur, il se vit bien réellement au milieu de la ville, qu'il comprit ce qui lui était arrivé. Lui-même peut-être ne l'avait pas cru possible, après la mort de Jaques, son cher collègue; d'ailleurs, il s'était probablement endormi avec le doux souvenir de la parole de son bon maître: «Toi, suis-moi,» et il s'attendait à un tout autre réveil (§1034).

2: 12-17
§ 1193. Mais où ira-t-il, à cette heure avancée de la nuit? Après quelques instants de réflexion, Pierre se dirige vers la maison d'une nommée Marie, dont nous verrons bientôt le fils occupé à la prédication de l'Évangile, sainte femme, qui montrait son zèle pour le Seigneur, en ouvrant sa demeure aux assemblées des frères. Sans que Pierre pût savoir qu'il y trouverait à ce moment une réunion de prières, il était sûr d'être bien accueilli par Marie et par Jean-Marc son fils. Voilà donc l'apôtre devant cette maison hospitalière, il heurte au vestibule, et une jeune fille appelée Rose (c'est la traduction de son nom grec), vient, timidement sans doute, s'informer qui fait ce bruit. «C'est moi,» dit Pierre, et la jeune fille reconnaît une voix qu'elle avait souvent entendue parlant des choses de Dieu. Dans le trouble que lui cause un bonheur si inespéré, elle rentre en courant, sans avoir ouvert la porte, et vient annoncer à l'assemblée que Pierre est là, devant le vestibule. Insensée! lui dit-on; et comme elle insistait: «Non, ce ne peut être lui,» dirent quelques-uns; «c'est son ange.» Pierre, cependant, continuait à heurter, jusqu'à ce qu'on vînt enfin lui ouvrir. Or, même après l'avoir vu, ils ne revenaient pas de leur étonnement, si peu ils s'attendaient à quelque chose de pareil. L'agitation fut grande parmi les frères, et comme chacun sans doute adressait des questions à l'apôtre, il leur imposa silence par un signe de la main; puis il leur raconta comment sa délivrance s'était opérée, les priant d'en donner promptement avis aux frères et à Jaques avant tout. Ce Jacques était le frère de notre Seigneur, un des principaux témoins de sa résurrection (§1046), lequel, sans être apôtre, occupait une place éminente, on croit la première, parmi les anciens de l'église de Jérusalem.

§ 1194. On ne saurait lire le récit que je viens à la fois de résumer et de développer, sans être frappé de la simplicité naïve avec laquelle tous les faits y sont offerts à notre attention, même les plus simples, parce que tous ont leur importance. On y voit si bien, par exemple, que, dans ce temps de miracles, les fidèles ne réglaient pas plus leur conduite là-dessus, que nous ne devons le faire de nos jours. Nous y voyons aussi que, malgré les lumières extraordinaires répandues par le Seigneur sur son Église, il se retrouvait chez plusieurs des restes d'anciennes opinions, qui, pour n'être pas incompatibles avec la vraie foi, n'en étaient pas moins des erreurs. Quand les apôtres avaient revu Jésus après sa résurrection, ils avaient cru que c'était un esprit; cette fois, les amis de Pierre pensent que c'est son ange, et non pas lui, qui vient de frapper à la porte. Sans doute qu'il existe des anges au ciel et que ces anges ne demeurent pas étrangers à ce qui se fait sur la terre: toute la Bible nous l'atteste; mais que chacun de nous ait son ange gardien, comme le pensent quelques personnes, ou que chaque fidèle ait auprès de Dieu un ange qui lui ressemble, ce que paraissaient croire les Juifs, c'est ce qui ne peut s'établir par la Parole de Dieu, pas même par un passage dont nous avons dû nous occuper précédemment, et qui pourrait seul autoriser cette idée (§ 558).

§ 1195. Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans l'histoire qui nous occupe, c'est la délivrance même de Pierre, non pas tant par ce qu'elle eut de miraculeux, que par le jour qu'elle jette sur les voies du Seigneur. Il voulut montrer que si Jaques avait succombé, ce n'était pas qu'il n'eût pu le délivrer aussi. Or, l'histoire de l'Église a, dans tous les siècles, présenté des événements analogues. Il est bon pour la gloire de Dieu que ses enfants souffrent et quelquefois même qu'ils succombent; mais il est nécessaire aussi pour l'affermissement des faibles et pour l'instruction du monde, que le divin chef de l'Église la protège avec éclat contre ses puissants ennemis; protection qui ne se borne pas toujours à la délivrance des fidèles, mais qui va jusqu'au châtiment de leurs persécuteurs, comme on le voit par l'histoire d'Hérode.

2: 18-23
§ 1196. Après que ce prince eut déchargé sur les gardes son impuissante fureur, il quitta Jérusalem pour Césarée, ville de luxe et de plaisirs, dont le séjour devait lui plaire plus que celui de la cité sainte et sérieuse. D'ailleurs, il se rapprochait ainsi de la Phénicie, avec laquelle il était en différend. Sans rapporter ce fait et l'ambassade qui s'y rattache, Josèphe raconte néanmoins que, dans une assemblée publique, Hérode parut devant le peuple, vêtu d'une robe de drap d'argent, dont l'éclat, au soleil, était si vif qu'on ne pouvait le regarder. Il nous dit aussi que ses courtisans le proclamèrent dieu et que, frappé dans son orgueil, ce prince fut enlevé subitement par une maladie affreuse. Les détails dans lesquels entre l'écrivain sacré, plus précis que ceux de l'historien juif, sont certainement aussi plus exacts. Au surplus, qu'on prenne le récit où l'on voudra, il demeure vrai qu'Hérode, le meurtrier de Jaques, fut frappé par la main de Dieu, d'une manière tellement XII manifeste que nul ne put le méconnaître. Mais ce rapprochement entre la mort du roi et celle de l'apôtre, il est à remarquer que le Saint-Esprit ne le fait point lui-même. Hérode avait sans doute commis un horrible crime en décapitant un ministre du Seigneur; son vrai crime toutefois, fut l'impiété, l'orgueil, la méchanceté de son âme et la corruption de ses mœurs. Sa haine pour les prédicateurs et les disciples de l'Évangile venait de là, et telle fut, en définitive, la cause de sa ruine. Or, envisagée de la sorte, son histoire que trop, hélas I l'histoire de tous les persécuteurs.


CCLXXIX. Paul en Chypre et à Antioche de Pisidie. — Premier voyage missionnaire de cet apôtre; extension considérable du règne de Dieu.


12: 24
§ 1197. Tandis que Dieu montrait par la terrible mort d'Hérode, la vanité et le néant des grandeurs terrestres, sa Parole croissait et se multipliait, malgré l'opposition violente des adversaires: elle croissait en clarté, les événements de chaque jour venant confirmer les vérités qu'elle proclame; elle acquérait une force toujours plus grande sur ceux qui la recevaient, et, par leur moyen, elle se multipliait en quelque sorte, chaque fidèle devenant un prédicateur de l'Évangile. «Les cieux et la terre passeront,» avait dit notre Seigneur, «mais mes paroles ne passeront point:» il avait dit aussi que les portes de l'enfer ne triompheraient pas de son assemblée (§§ 821, 536).

12: 25
§ 1198. Est-ce que Barnabas et Saul, ces deux députés de l'église d'Antioche (§ 1188), se trouvaient à Jérusalem à l'époque de la mort de Jaques et de l'emprisonnement de Pierre? Dans ce cas, ces événements solennels durent être pour eux d'une grande instruction. Mais il se pourrait que les faits racontés dans le chapitre douzième se fussent passés avant leur arrivée. Quoi qu'il en soit, nous avons ici la suite du récit interrompu à la fin du chapitre précédent. Après avoir remis le produit de leur collecte, Barnabas et Saul repartirent de Jérusalem emmenant avec eux le disciple Jean, surnommé Marc. Nous verrons ailleurs qu'il était cousin de Barnabas, comme nous avons vu tout à l'heure, qu'il était fils de cette Marie dans la maison de laquelle Pierre se réfugia, la nuit de sa délivrance. Marc, nom sous lequel il est le plus souvent désigné, Marc était donc habitant de Jérusalem. La tradition le désigne comme celui qui, le soir que notre Seigneur fut livré, s'élança de son lit et courut à la rue au moment où Jésus passait; elle prétend même qu'il faut voir en lui le jeune magistrat qui vint demander au Seigneur ce qu'il fallait faire pour hériter de la vie éternelle et que le Seigneur aima (§§ 929 , 742). Dans tous les cas on ne saurait douter, sur le témoignage universel de l'Église, qu'il ne soit l'auteur de l'Évangile qui porte son nom, et il fallait bien qu'il fût remarquable par les dons du Saint-Esprit, pour que Barnabas et Saul en fissent leur collègue.

13: 1-3
§ 1199. Tout semble attester qu'à cette époque, l'église d'Antioche était la plus considérable des églises, après celle de Jérusalem. Si celle-ci continuait à se voir favorisée de la présence des apôtres, l'église d'Antioche comptait dans son sein plusieurs prophètes et docteurs dont l'historien sacré nous donne les noms. À leur tête était le vénérable Barnabas; parmi eux, un homme qui avait été camarade d'études du roi Hérode, et Saul, nommé le dernier. Ils servaient le Seigneur dans le ministère de la Parole, enseignant, exhortant, consolant, fortifiant l'Église par les discours que leur donnait le Saint-Esprit; puis, il nous est dit qu'ils jeûnaient, non du jeûne hypocrite des pharisiens, c'est bien clair, ni même du jeûne encore plus ou moins judaïque des disciples de Jean-Baptiste, mais du jeûne spirituel que notre Seigneur avait présenté à ses interlocuteurs comme l'acte de la piété la plus élevée (§§ 320, 382). Il fallait qu'une grande idée les préoccupât, et c'était probablement celle du futur départ de quelques-uns d'entre eux. Ils sentaient que leur devoir était de ne pas demeurer enfermés à Antioche. Sous cette impression, qui leur venait d'en Haut, ils priaient et jeûnaient, demandant sans doute au Seigneur de tracer leur chemin et de désigner ceux qu'il lui convenait d'envoyer parmi les nations. Comprenaient-ils alors qu'il entrait dans les vues du Seigneur de ne pas remettre à l'un des douze cette mission, afin qu'on ne crût pas que l'évangélisation du monde ne pouvait se faire sans eux? c’est ce que nous ignorons. Quoi qu'il en soit, l'événement prouva qu'en effet, lorsque Jésus avait ordonné aux douze d'aller et d'enseigner toutes les nations (§ 1037), il n'entendait pas que nul autre ne pût remplir ce glorieux ministère, tout comme il est certain que ce ministère n'a pas cessé avec les temps apostoliques.

§ 1200. Le Saint-Esprit fit donc connaître aux docteurs d'Antioche qu'il avait choisi pour cette œuvre Barnabas et Saul, le premier et le dernier de la liste des docteurs. Il voulut de plus qu'à leur mission divine proprement dite, s'ajouta une mission de la part de leurs frères. Ceux-ci durent mettre à part Barnabas et Saul ou les désigner comme les élus du Seigneur, puis leur imposer les mains dans une réunion de prières et de jeûne; après quoi, ils leur donnèrent congé. Ce fut à cette heure, pour bien dire, que Saul fut appelé à l'apostolat; ce mot voulant dire mission, comme celui d'apôtre signifie envoyé (§ 399). Appelé par le Seigneur Jésus lui-même, sur le chemin de Damas; compté dès lors au nombre des docteurs par les frères, comme il l'était auparavant par les pharisiens, il prend maintenant sa place définitive entre les apôtres, recevant pour la seconde fois l'imposition des mains, signe de sa vocation divine et de la transmission de sa nouvelle charge (§ 1165). Le Seigneur voulut donc que l'Église intervînt ici comme lorsqu'il s'était agi de remplacer Judas (§1077). Tout, dans l'Église, doit se faire par l'Église elle-même ou par ses représentants, selon le mandat que lui en a confié le Seigneur (§ 710). Et ce n'est pas exclure le Saint-Esprit; car, au contraire, plus nous serons fidèles à ses propres institutions, plus nous serons sûrs que nos pensées sont conformes aux siennes. Cette participation de l'Église ou de ses conducteurs à des actes qui sembleraient devoir appartenir entièrement à Dieu, se retrouve déjà dans l'Ancien Testament (I, § 987); et si, d'ailleurs, Dieu se sert d'instruments pour amener les âmes à sa connaissance, est-il bien étonnant qu'il s'en serve aussi pour les gouverner? C'est par le moyen de Barnabas et de Saul, que le Saint-Esprit allait convertir une foule de pécheurs; c'est aussi par le moyen des docteurs d'Antioche, que ce même Esprit les envoya porter au loin l'Évangile de sa grâce. Et de nos jours, un homme, tant pieux soit-il, qui va de son propre mouvement évangéliser un pays, est-il plus sûr d'obéir au Saint-Esprit, que si, après beaucoup de prières, il est envoyé par une église fidèle?

13: 4-5
§ 1201. Ainsi donc, missionnaires de par le Saint-Esprit, Barnabas et Saul quittèrent leurs frères d'Antioche, et ils n'eurent pas besoin d'aller bien loin pour trouver de l'occupation. Des âmes à sauver! qui n'en a près de soi? D'abord, ils se rendirent à Séleucie, port de mer le plus rapproché d'Antioche, d'où ils gagnèrent l'île de Chypre, voisine de cette côte et patrie de Barnabas, comme nous l'avons vu (§ 1118). Débarqués à Salamine, sur la côte orientale, en face de l'Asie, ils annoncèrent la Parole de Dieu aux Juifs de la localité, et Jean, c'est-à-dire Marc, les assistait dans leur ministère.

13: 6-7
§ 1202. Par l'arrivée de Barnabas et de Saul dans l'île de Chypre, la prédication de l'Évangile fut, à notre connaissance, portée, pour la première fois, hors du continent asiatique, s'éloignant ainsi toujours plus de la terre sainte et attaquant de plus près les contrées où régnait le paganisme. La grande et belle île de Chypre était fameuse en particulier par le culte qu'on y rendait aux divinités à la fois si poétiques et si impures de la Grèce. Vénus y avait plusieurs temples, et aucune plume chrétienne ne saurait se résoudre à retracer les fêtes voluptueuses par lesquelles on honorait cette déesse, l'Astarté des anciens Cananéens. Les apôtres ayant traversé l'île d'occident en orient, arrivèrent à Paphos, non sans avoir eu mainte occasion de déplorer le spectacle d'une si grande corruption, sous un si beau ciel et au sein d'une si belle nature. Paphos était la résidence du proconsul ou gouverneur romain, Sergius Paulus. Il paraît que cet homme avait des besoins religieux, et c'est probablement pour cela qu'il recherchait la société d'un Juif qui, se donnant pour prophète, exerçait la magie à la manière de Simon le Samaritain (§ 1149). Ce fut par la même raison qu'il fit appeler Barnabas et Saul, désirant entendre de leur bouche la Parole de Dieu. Ceci, pour le dire en passant, prouve que la prédication des deux missionnaires avait porté quelques fruits, ou que du moins elle avait eu du retentissement.

13: 8-11
§ 1203. Mais Bar-Jésus, autrement dit Elymas, se mit en opposition directe avec les ministres du Dieu vivant. Plus le proconsul se montrait ébranlé, plus il s'efforçait de le détourner de la foi; et, comme il ne pouvait le faire sans blasphémer, le Saint-Esprit revêtit à cette heure même le plus jeune des apôtres d'une puissance de parole et d'œuvre qui devait confondre l'imposture et punir la méchanceté du magicien. C'est un terrible crime que de résister à Dieu; mais le crime est encore plus affreux lorsque, non content de repousser pour soi les appels de la vérité, l'on s'efforce d'empêcher les âmes de se convertir. Tel fut le péché d'Elymas, et l'on conçoit sans peine la sévérité de Dieu à son égard. Mais avec quelle émotion l'apôtre de Jésus-Christ ne dut-il pas prononcer une sentence qui lui rappelait si vivement sa propre histoire. N'avait-il pas aussi fait la guerre à Dieu? N'avait-il pas été, lui aussi, frappé momentanément de cécité, en punition de son crime? Oh! comme il dut prier intérieurement, pour que le malheureux Bar-Jésus éprouvât, à son tour, les effets tout-puissants de la grâce du Seigneur!

13: 12
§ 1204. L'historien sacré ne nous disant pas ce que devint plus tard le méchant Elymas, il est à craindre, hélas! qu'il n'ait persisté dans son aveuglement moral, même après avoir été guéri de sa cécité. Mais le proconsul, témoin du miracle et frappé de la doctrine du Seigneur, y soumit son cœur, et ce fut une conquête importante pour l'Évangile. Ce n'est pas que l'âme d'un grand de la terre soit plus précieuse que celle du pauvre et du chétif, ni qu'à cette époque, les prédicateurs de l'Évangile eussent la malheureuse, pour ne pas dire la coupable pensée de s'appuyer sur le bras de l'autorité. Mais il demeure vrai que les gouverneurs des peuples sont fréquemment ceux chez qui la vérité pénètre avec le plus de peine, et il n'est pas indifférent pour les progrès du règne de Dieu qu'ils soient animés de bon vouloir envers le Seigneur. À ces deux égards la conversion de Serge-Paul fut un événement assez considérable pour que l'auteur sacré ait dû l'enregistrer dans son livre. D'autant plus que ce fut à cette occasion qu'il plut au Seigneur de révéler par des faits, et non plus seulement par des paroles (§ 1164), la grandeur future de son serviteur Saul, j'entends l'énergie qu'il déploierait dans son ministère et les succès dont son travail serait couronné. C'est aussi à partir de ce moment qu'il est parlé de lui plus que de tout autre, et que son nom est habituellement placé avant celui de Barnabas, tandis qu'auparavant c'était le contraire. On a remarqué en outre que, dès ce moment aussi, l'historien sacré ne l'appelle plus que Paul, au lieu de Saul. Quelques-uns pensent que l'apôtre prit ce nouveau nom en mémoire de la conversion du proconsul, comme s'il eût voulu s'en faire un trophée; mais le nom de Paul étant, dans la forme grecque, un mot tout semblable au nom hébreu Saul, ou Saoul, il est plus probable que l'apôtre se désigna de la sorte, à raison simplement de ce que, dès ce jour, son ministère s'accomplit surtout parmi les païens et en des contrées où se parlait universellement la langue grecque.

13: 13-15
§ 1205. En partant de Paphos et en naviguant vers le nord, on atteint bientôt la portion du continent asiatique appelée maintenant la Natolie, autrefois l'Asie Mineure ou même simplement l'Asie. Là se trouvait, entre autres provinces, d'abord la Cilicie, patrie de Paul, directement au nord de l'île de Chypre; à l’ouest, la Pamphylie, et au nord de celle-ci la Pisidie : la Lycaonie était encore plus au nord. De Paphos, où ils demeurèrent on ne sait combien de temps, et sans visiter cette fois la Cilicie, Paul, Barnabas et Marc passèrent en Pamphylie, dont Perge était une des principales villes. Après y avoir sans doute annoncé l'Évangile, ils en partirent pour la Pisidie où se trouvait une ville nommée Antioche, comme la ville plus importante de Syrie où ils avaient reçu leur mission. Cependant, Paul et Barnabas avaient perdu à Perge leur compagnon d'œuvre. Marc, cédant peut-être à quelque découragement, était retourné à Jérusalem. Ils n'en poursuivirent pas moins leur carrière avec une grande résolution. Dès le premier sabbat, ils se rendirent dans la congrégation des Juifs établis en cette ville païenne; et, quand on eut achevé les lectures ordinaires de la Parole de Dieu, les chefs de la congrégation, anciens ou évêques, c'est ainsi qu'on les appelait, les firent inviter à prendre la parole, s'ils avaient quelques exhortations à adresser à l'assemblée. Soit que la réputation de Paul et de Barnabas les eût précédés, soit qu'on sût simplement que c'étaient des docteurs venus de Jérusalem, il était fort naturel qu'on désirât de les entendre. Ce fut alors que Paul prononça le premier de ses discours qui nous aient été conservés.

13: 16-41
§ 1206. Avant de l'étudier, je dois à mes lecteurs une explication sur la différence qui existe entre les données chronologiques que nous avons ici, et celles que la Bible nous a fournies ailleurs (I, § 1044; II, XIII §§ 642, 1372). Si l'on ajoute les dates indiquées par Paul: 40 ans dans le désert, 450 ans pour le temps des 21 Juges et 40 ans pour le règne de Saül, on obtient 530 ans depuis la sortie d'Égypte jusqu'à David, ce qui ferait environ 580 ans jusqu'à la construction du temple de Salomon; tandis que cette période n'est que de 480 ans (II, § 645), sans compter que Saül ne régna réellement pas quarante ans. Or, même en faisant abstraction des lumières que Paul tenait du Saint-Esprit, il est manifeste que ce docteur, instruit avec soin dans la connaissance des Écritures, devait savoir aussi bien que nous ce qui est dit au premier livre des Rois sur l'époque où Salomon consacra le temple qui faisait la gloire et, en quelque sorte, la religion des Juifs. Il est donc impossible qu'il se soit mis en contradiction avec le texte sacré, et il doit y avoir moyen de lever la difficulté. — Il est des personnes qui pensent que Paul, s'adressant à des Juifs de langue grecque, adopta la chronologie introduite au milieu d'eux par la version des LXX, bien que fautive; et l'on conçoit en effet que ce n'était pas le lieu d'exciter une discussion sur un point d'une importance tellement secondaire. Mais il est une autre manière d'expliquer la chose. — Les mots: «pendant environ 450 ans,» du verset 20, peuvent n'être qu'une parenthèse, placée même par plusieurs manuscrits en tète du verset, le mot «pendant,» pouvant d'ailleurs se supprimer. En sorte que ces 450 ans se rapporteraient, non à ce qui suit, mais à ce qui précède, et il y a effectivement 450 ans de la naissance d'Isaac, en qui Dieu élut les patriarches, jusqu'au partage du pays de Canaan. Il se pourrait aussi que ces 450 ans dussent s'entendre du temps qui s'écoula depuis la sortie d'Égypte, jusqu'au moment où David fut reconnu roi par les douze tribus, intervalle qui est de 444 ans. Dans cette supposition, le «après cela» du verset 20, se rattacherait à la circonstance mentionnée dans les derniers mots du verset 17, point de départ des délivrances subséquentes et type fondamental du salut qui est en Jésus-Christ. — Quant aux «40 ans du verset 21, ils peuvent s'entendre du gouvernement de Saül, joint à celui de Samuel (de 1099 à 1056), temps de préparation, avant l'avènement de David, comme les 40 ans du désert furent un temps de préparation jusqu'à la conquête de Canaan. — Venons-en maintenant au discours même de Paul.

13: 16-25
§ 1207. Après avoir fait signe de la main, pour obtenir un silence de tout temps fort rare dans les synagogues, et s'adressant à la fois aux Israëlites et aux hommes pieux d'entre les nations, qui, amenés à la connaissance de Dieu, lui rendaient un culte avec les Juifs, Paul commence par rappeler ce qui est à la base de tout dans la doctrine du salut, savoir l'élection de la grâce ou le choix que Dieu avait fait d'Abraham, d'Isaac et de Jacob pour se former un peuple particulier. Le séjour de ce peuple en Égypte, sa délivrance de l'esclavage, la conquête du pays de Canaan, la vocation de David au trône: tout cela était le fruit de l'élection divine. De ce David, de ce prophète-roi, de cet homme dont la mémoire était justement révérée, devait sortir, selon la promesse, l'Élu par excellence, Jésus-Christ, le Sauveur, à la grandeur duquel le fils de Zacharie, autre homme digne de toute vénération, avait rendu un éclatant témoignage, dans le temps qu'il prêchait au peuple d'Israël un baptême de conversion.

13: 26-41
§ 1208. C'est donc à Jésus-Christ qu'aboutit le plan de l'élection divine; en lui est le salut, et c'est ce salut que Paul était chargé d'annoncer à ses auditeurs. Les habitants de Jérusalem avaient rejeté le Christ et, en le rejetant, ils n'en avaient accompli que plus merveilleusement les prophéties. Bien qu’innocent, dit Paul, ils l'ont fait mourir par les mains de Pilate; on l'a descendu de la croix et mis dans un sépulcre, d'où il est sorti par la puissance de Dieu. Ses disciples particuliers ont attesté ce fait devant tout le peuple, et par là s'est réalisée la promesse que Dieu avait faite aux pères, depuis Adam jusqu'à Malachie. Voici donc en quoi consiste le salut: c'est que Jésus-Christ est mort sur la croix et qu'il a repris la vie; c'est qu'il est le Fils de Dieu, le Saint de l'Éternel; c'est qu'en lui toutes les saintes grâces de David sont assurées; c'est que, par son moyen, le pardon des péchés est annoncé: c'est enfin, que tout homme qui croit est justifié par lui de toutes les choses dont on ne saurait être justifié par la loi de Moïse. Cette œuvre de Dieu, ce grand salut, ne manque pas de contempteurs; mais, selon la parole d'un prophète, elle n'en est pas moins la grande merveille du Dieu fort. Malheur donc à qui la méprise (Habac. I, 5)!

13: 16-41
§ 1209. Il n'y a dans ce discours rien de brillant, rien de ce que les hommes appellent éloquence. Qu'est-ce donc qui en fait la force? C'est qu'il est tout fondé sur les Écritures; c'est qu'il proclame la vérité telle que Dieu l'a faite; c'est, en d'autres termes, qu'il s'appuie tout entier sur les promesses de Dieu et sur leur accomplissement; c'est enfin que le Saint-Esprit, parlant par la bouche de Paul, y découvre lui-même aux pécheurs les trésors de la grâce de Dieu. On peut s'étonner à première vue que l'apôtre n'y fasse aucune mention de sa conversion, fait éclatant qui prouvait autant que nul autre la réalité de la résurrection de Jésus-Christ; mais il n'était pas connu personnellement de ceux auxquels il s'adressait, et il convenait bien mieux qu'il s'effaçât, pour en appeler au témoignage des disciples qui avaient vécu avec Jésus. Du reste, vous avez pu remarquer combien sa prédication est d'accord avec celle de Pierre, non seulement quant au fond des choses, mais encore quant à la manière de les présenter; accord d'autant plus digne d'attention que Paul n'avait point été à l'école des autres apôtres. C'est que l'Esprit qui inspirait Pierre, inspira Paul également, non cependant sans confier à chacun sa mission spéciale. Remarquez notamment en quels termes il exprime par la bouche de l'ex-pharisien, et pour la première fois avec cette netteté et sous cette formule, la doctrine la plus antipharisaïque qu'on puisse imaginer. Déjà Moïse avait déclaré qu'Abraham crut à l'Éternel, et que sa foi lui fut imputée à justice (I, § 291); déjà le prophète Habacuc avait dit: «le juste par la foi vivra» (II, § 1138); déjà notre Sauveur avait prononcé que le péager de la parabole s'en retourna justifié, bien que pécheur (§§ 726, 727); déjà Pierre avait proclamé Jésus, Prince et Sauveur pour donner la conversion et le pardon des péchés (§ 1126); mais il appartenait à Paul de rassembler toutes ces données en disant: «Sachez, hommes frères, que, par le moyen de Jésus, le pardon des péchés vous est annoncé et que quiconque croit, est justifié par lui de toutes les choses dont vous n'avez pu être justifiés par la loi de Moïse.» C'est là ce qu'on appelle la doctrine de la justification par la foi, et j'attendrai pour l'exposer dans tout son jour, que la Parole de Dieu m'y conduise elle-même.

13: 42-43
§ 1210. La prédication de Paul, comme il n'arrive que trop souvent, produisit moins d'effet sur ceux qui semblaient le plus près du royaume de Dieu, que sur les hommes qui, par leur naissance et leurs superstitions, en étaient le plus éloignés. Les païens d'origine, auditeurs de l'apôtre, le supplièrent, lui et son collègue, de leur parler des mêmes choses le sabbat suivant; bon signe en vérité, lorsqu'on ne craint pas de s'entendre répéter, et que Jésus est mort pour expier nos fautes et qu'il est ressuscité afin que, par la foi en lui, nous soyons justifiés devant Dieu. Cependant, il y eut aussi beaucoup de Juifs et de prosélytes qui, mûs par une foi naissante, suivirent, dès ce moment, Paul et Barnabas. Or, à sa naissance, comme plus tard, la foi consiste toujours à saisir la grâce de Dieu, et c'est dans cette grâce que les apôtres exhortaient leurs nouveaux disciples à persévérer. O vous donc, mes lecteurs, croyez en la grâce du Seigneur; et si vous y croyez déjà, tenez-vous-y fortement attachés: c'est, en deux mots, tout l'Évangile.


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