CCLXXV. Grande persécution; l'évangile prêché dans la Samarie; baptême de l'Éthiopien.
8:
1-2
§ 1144. Saul ou Saül, ce jeune homme qui avait
recueilli les manteaux des témoins, pendant qu'ils jetaient les
premières pierres contre Étienne, avait assez prouvé par là qu'il
consentait à ce forfait, et l'on peut bien supposer que, dans
cette disposition d'esprit, il ne craignit pas de lever la main
contre la victime. Zélé pharisien, il commençait, avec toute sa
secte, à partager la haine violente des sadducéens contre les
prédicateurs de l'évangile. J'ai dit ailleurs (§ 1109) ce qui
avait pu, jusque-là, leur rendre le pharisaïsme moins hostile;
mais maintenant que les pharisiens commençaient à voir où
conduisait la nouvelle doctrine et à le comprendre plus nettement
peut-être que beaucoup de disciples, car l’intérêt rend
clairvoyant, ils jurèrent la perte de gens qui, quelques
ménagements qu'ils y missent, ne pouvaient réussir sans modifier
profondément le judaïsme, ou plutôt sans le mettre à néant. Aussi
y eut-il, à cette époque, une persécution générale dont les
précédentes n'avaient pu donner qu'une faible idée. Les disciples
se virent obligés de quitter Jérusalem, cette ville trempée du
sang de tant de prophètes (Luc XIII, 34); mais par une admirable
direction de Dieu, les apôtres furent épargnés.
§ 1145. En examinant attentivement les termes du récit, il semblerait que, le jour même du martyr d'Étienne, la population incrédule et formaliste de Jérusalem se jeta sur les disciples, les poursuivant partout, et que ces derniers, pour la plupart, ne purent que par une prompte fuite se soustraire aux violences de la populace. Mais, tandis que le grand nombre s'enfuyait dans les contrées voisines, les apôtres demeuraient à Jérusalem, cachés çà et là et se confiant en la protection du Seigneur. À cela près, la dispersion fut si complète, ce premier jour, qu'il n'y eut personne pour enterrer Étienne, si ce n'est quelques hommes pieux d'entre les Juifs non convertis; mais telle était la vénération qu'avait inspirée le saint martyr, et aussi l'impression laissée par ses derniers moments, que ces hommes mêmes honorèrent de leurs larmes son tombeau.
8:
3
§ 1146. Cependant plusieurs disciples, hommes
et femmes, avaient imité les apôtres, et parmi ceux qui s'étaient
échappés de la ville au premier instant, beaucoup y rentrèrent peu
après, s'offrant ainsi à la haine de leurs ennemis; car l'élan de
la persécution avait été si fort, qu'elle ne pouvait s'arrêter de
si tôt. Or, soit que Saul se fit remarquer dans l'accomplissement
de cette œuvre d'iniquité, soit que l'historien sacré ait cru
devoir le mentionner spécialement à raison du rôle qu'il joua plus
tard, nous lisons ici les violences auxquelles ce malheureux jeune
homme se laissait aller. Il avait pourtant entendu les paroles
d'Étienne, mais son cœur n'était pas en état de les comprendre. Il
n'y avait vu que de nouveaux blasphèmes; et, dévot à sa manière,
ces blasphèmes l'avaient fait frémir d'horreur; car Saul n'était
pas un incrédule, et en lui se réalisait une des prophéties les
plus remarquables de notre Seigneur (Jean XVI, 2). L'église aussi
tout entière put se convaincre alors que Jésus-Christ est bien
venu, comme il le disait, apporter l'épée et le feu sur la terre
(§ 650). L'événement que nous avons sous les yeux est donc d'une
haute importance, puisqu'il est à la fois l'accomplissement des
prophéties de notre Sauveur sur les destinées de son Église, et le
premier pas que fit celle-ci dans la carrière de souffrance
qu'elle doit traverser d'âge en âge, avant de partager la gloire
de son Rédempteur.
8:
4
§ 1147. Cet événement est encore important
sous un autre point de vue; car ce fut la persécution dont le
meurtre d'Étienne donna le signal, qui fit sortir de Jérusalem la
prédication de l'évangile. Ici, l'on ne saurait trop admirer la
sagesse du Seigneur. Jérusalem était à une foule d'égards le sol
le plus défavorable aux semailles évangéliques. Rappelez-vous la
manière dont Jésus y fut reçu chaque fois qu'il s'y rendit;
représentez-vous l'influence qu'y exerçaient les hommes sous les
coups desquels il tomba! Il fallait certainement un grand miracle
pour que l'Église pût s'y établir et y prospérer; mais, d'un autre
côté, nulle part les apôtres ne pouvaient se trouver au sein d'une
population plus nombreuse et plus variée, à raison des pèlerinages
que les Israëlites de tous les pays y faisaient sans interruption.
Quelques-uns pensent que si, à l'époque de la mort d'Étienne, les
apôtres étaient tous encore dans cette ville, cela venait d'un
attachement excessif à leurs idées juives et d'une certaine
répugnance à s'éloigner de la ville sainte dans laquelle ils
auraient voulu concentrer tout le mouvement dont ils étaient les
organes. La chose n'est pas impossible, car ces hommes avaient
aussi leurs infirmités; mais je me persuade que cela même entrait
dans les plans de la sagesse éternelle. Avant que l'arbre jetât au
loin ses semences, Dieu voulut qu'il creusât de ses racines et
couvrît de ses branches le sol qui l'avait vu naître et qu'avait
arrosé le sang du Seigneur. Dans tous les cas, ce ne pouvait être
que momentané, et, ce qui n'est pas moins admirable, c'est de voir
la persécution qui naquit de cet ordre de choses, amener, selon
les intentions du Seigneur, un ordre de choses tout nouveau. Les
apôtres demeurent à Jérusalem, afin que le terrain ne soit pas
reconquis par le pharisaïsme et le saducéisme, mais pendant ce
temps, les frères vont de lieu en lieu annonçant la bonne nouvelle
du salut. Ainsi se formera bientôt un peuple chrétien, sans
mélange de judaïsme. Il n'y a pas de fait d'ailleurs qui se soit
plus souvent reproduit. Si la persécution est parvenue quelquefois
à détruire en certains lieux la vérité, le plus souvent elle a eu
pour résultat de l'y affermir, tout en fournissant à d'autres
contrées des messagers de la bonne nouvelle. C'est l'histoire, par
exemple, des églises si florissantes des États-Unis d'Amérique.
§ 1148. Parmi ceux que le Seigneur envoya de cette manière annoncer l'évangile, se trouvait Philippe, non l'apôtre, mais un collègue d'Étienne. Il prêchait le Christ, et accompagnait sa prédication de nombreux miracles. Or, il plut au Seigneur de bénir ses travaux au-delà de ce qu'il espérait peut-être lui-même. La population entière d'une ville de la Samarie, entraînée par ce qu'elle voyait et entendait, s'attacha dès ce moment à Philippe, c'est-à-dire à sa doctrine, et ce fut l'occasion d'une grande joie. Ces pauvres Samaritains, si dégradés et encore plus méprisés! Quel bonheur d'apprendre que, si le Fils du Très-Haut avait subi la mort et repris la vie, c'était aussi pour eux, pauvres excommuniés auxquels l'accès de Jérusalem était interdit, et qui voyaient arriver à eux, comme de soi-même, ce qu'ils ne seraient jamais allés chercher! Quelle grâce et quel privilège, car ils étaient des derniers, et les voilà parmi les premiers (Luc XIII, 30).
8:
9-13
§ 1149. Au moment où Philippe arriva dans
cette ville, un homme du nom de Simon, y exerçait une influence
pernicieuse, en y pratiquant avec un triste succès les arts
magiques. C'est une grande question que celle de la magie. Les
ignorants veulent en voir partout, et pour d'autres elle n'est
qu'une chimère, fruit de l'imposture et de la cupidité. Mais en
présence de témoignages historiques irrécusables, en présence
surtout des déclarations de l'Écriture, il semble impossible qu'il
ne se soit passé, à cet égard, des choses très-extraordinaires et
très-réelles. Du reste, réels ou imaginaires, ces arts magiques
ayant toujours pour effet de retenir les hommes dans le mal, on ne
saurait y voir autre chose que l'action du prince des ténèbres.
Simon, le Samaritain, était donc au milieu de ses concitoyens un
vrai suppôt de Satan, le fauteur de la superstition et de
l'impiété; car on allait jusqu'à dire de lui, comme s'il eut le
Messie: «Celui-ci est la grande puissance de Dieu.» Mais quand les
Samaritains eurent reçu dans leur cœur la bonne nouvelle du
royaume des Cieux, les choses changèrent tellement de face que
Simon lui-même «crut,» c'est-à-dire qu'il embrassa la doctrine
prêchée par Philippe; puis, il ne quittait pas le messager du
Seigneur, tant il était étonné des miracles que Philippe opérait,
miracles si différents de ses sortilèges.
8:
14-17
§ 1150. Les apôtres de Jérusalem ayant appris
les merveilles de la grâce de Dieu dont la Samarie était l'objet,
y envoyèrent Pierre et Jean, ces deux disciples qui marchaient
toujours ensemble, depuis qu'ensemble ils avaient, les premiers,
visité le sépulcre de leur maître, après s'être rencontrés aussi,
dans la cour de Caïphe, le matin du grand jour. Ils trouvèrent les
choses comme on les leur avait dites. Beaucoup de Samaritains
avaient embrassé la foi et reçu le baptême; mais ce qui
accompagnait ordinairement à cette époque la conversion des âmes,
une effusion de dons miraculeux, ne s'était pas encore manifesté
parmi ces nouveaux frères. C'est bien de dons miraculeux qu'il
s'agit dans notre texte; car la prédication de Philippe n'aurait
pas obtenu des beaux succès, si le Saint-Esprit n'eût pas été
répandu sur ses auditeurs, comme sur lui. Puis, en recevant la
Parole de Dieu, les Samaritains avaient certainement reçu l'Esprit
qui agit par le moyen de cette Parole; mais ce qui leur manquait,
je le répète, c'était le sceau extraordinaire que le Saint-Esprit
mettait alors à son œuvre, selon la promesse du Seigneur (§1044).
§ 1151. Ne pensez pas, après cela, que les apôtres pussent, à volonté, communiquer par l'imposition des mains les dons miraculeux. Ce n'est pas à ce point que le Seigneur les avait faits dépositaires de son pouvoir. D'abord, il fallait que ceux à qui ils imposaient les mains eussent été préparés par la prédication de la Parole et par la foi en cette Parole. Puis, vous voyez Pierre et Jean prier pour les Samaritains, afin qu'ils reçussent les dons de l'Esprit. Ce fut donc le Seigneur lui-même qui, en réponse à leurs prières (Jean XV, 7,16) et par l'imposition de leurs mains, répandit sa grâce sur ces nouveaux disciples, de même qu'il l'avait répandue sur les apôtres. Quand on a voulu voir dans ce fait la confirmation épiscopale, c'est-à-dire la cérémonie par laquelle, dans certaines églises, les évêques ou de simples pasteurs font confirmer à des jeunes gens ce qu'on appelle le vœu de leur baptême, on oublie trois choses qui font ici une différence infinie: premièrement, que la plupart de ces Samaritains étaient sans aucun doute vraiment convertis; secondement, que l'imposition des mains des apôtres fut suivie de dons miraculeux; enfin, que les apôtres exercèrent à plusieurs égards et à celui-ci en particulier, un ministère spécial qui ne pouvait, ni ne devait se perpétuer.
8:
18-23
§ 1152. Simon, que les miracles de Philippe
avaient rempli d'étonnement, fut tout hors de lui, en voyant les
effets produits par les prières et par l'imposition des mains des
apôtres. Je dis par les prières des apôtres, et peut-être ne
prît-il pas garde à cette circonstance. Il pénétra si peu le fond
de ce mystère, qu'il commit l'erreur de penser que les apôtres
disposaient du Saint-Esprit quand et comme ils le voulaient.
Persuadé sans doute que sa fortune serait faite s'il pouvait
acheter et vendre à son tour une telle puissance, il offrit aux
apôtres de l'argent pour qu'ils lui donnassent un pouvoir égal au
leur. Le péché d'avarice, de trafic et de profanation dont Simon
se rendit coupable, s'est dès lors appelé de son nom, une simonie.
Il y a simonie à mettre aux choses saintes un prix vénal, comme ne
le fait que trop l'église romaine et, dans une certaine mesure,
d'autres églises bien plus respectables d'ailleurs; il y a
simonie, plus ou moins, chez tous ceux qui voient les charges
ecclésiastiques sous leur côté lucratif, comme en général chez
quiconque fait de la piété un moyen de gagner de l'argent. Or, en
relisant la sévère apostrophe par laquelle Pierre repoussa
l'odieuse proposition de Simon, vous sentirez combien est affreux
le péché dont se rendent coupables les simoniaques, grands ou
petits. Il parle même comme s'il n'était guère possible que ce
péché-là fût pardonné: c'est que, effectivement, porté à certain
point, il met un obstacle presque insurmontable à la conversion et
devient facilement le péché contre le Saint-Esprit.
8:
24
§ 1153. Et pourtant, ce malheureux Simon était
du nombre de ceux qui avaient cru et qui avaient été baptisés (v.
13); à ce moment même, nous l'entendons supplier les apôtres de
prier afin qu'il fût préservé de la malédiction dénoncée par eux!
Conclurons-nous de là que sa faute fut une erreur momentanée, une
de ces chutes possibles aux fidèles et dont la grâce de Dieu sait
les relever? On voudrait le penser; mais quand on considère que le
mot «croire» signifie si souvent, et suivant les cas, faire une
simple profession de la foi (§ 1116); quand on sait que beaucoup
de gens qui se recommandent aux prières d'autrui, le font pour se
dispenser de prier eux-mêmes, on n'est pas loin d'admettre la
vérité de la tradition d'après laquelle Simon serait bientôt
retourné à son premier train et à ses pratiques superstitieuses,
nouvel exemple des impuretés qui souillèrent de si bonne heure
l'Église de Jésus-Christ (§ 446). Quant à Pierre, dont le nom
primitif était Simon, vous vous le rappelez (§ 167), quel sérieux
retour il put faire sur lui-même! comme il dut sentir plus que
jamais la grâce que le Seigneur lui avait accordée, lors de son
reniement, en le relevant d'un péché non moins grave que la
simonie.
8:
25
§ 1154. Que de souvenirs encore dut retracer à
Pierre et à Jean cette Samarie qu'ils avaient traversée plus d'une
fois avec leur cher maître. C'était là que, six ans auparavant,
ils avaient vu, dans la conversion des Sichariotes, les prémisses
de leur moisson actuelle, moisson que Philippe et les autres
fugitifs avait semée (Jean IV, 37, 38); c'était aussi là que, peu
de mois avant la mort du Sauveur, une bourgade tout entière leur
ayant refusé l'hospitalité, Jean et son frère auraient voulu que
Jésus fit descendre sur elle le feu du ciel (§ 560). Bien changés
en leur cœur, avec quelle joie ne durent-ils pas voir les effets
de la grâce de Dieu sur ces contrées et concourir par leurs
prédications à les gagner au Sauveur! C'est ainsi qu'ils faisaient
descendre sur elles le feu du ciel; mais non le feu qui consume (§
650). Après donc qu'ils eurent ajouté leur témoignage à celui de
Philippe et de ses compagnons d'œuvre, annonçant la bonne nouvelle
en beaucoup de bourgades des Samaritains, ils retournèrent à
Jérusalem.
8:
26-31
§ 1155. Philippe, cependant, continuait sa
tournée d'évangélisation, et tandis qu'il ne songeait qu'à ses
chers Samaritains, le Seigneur, de son côté, s'occupait en ses
grandes miséricordes, d'un homme, selon toute apparence, encore
plus étranger à la famille d'Abraham. C'était un Éthiopien,
officier du palais et puissant seigneur de la reine Candace. Cet
homme, entre les mains duquel Dieu avait fait tomber les livres de
l'Ancien Testament (§ 19), y avait appris à connaître l'Éternel,
et il avait voulu l'adorer dans la sainte ville de Jérusalem. Il
était arrivé au fort de la persécution. Cette circonstance même
avait dû le rendre attentif à tout ce qui se disait des Nazaréens
et de leurs prétentions relativement au Christ promis par les
prophètes. Mais, à ce moment, les disciples ne se réunissaient
plus dans le temple, et leurs assemblées particulières, plus ou
moins secrètes, ne furent pas de facile accès pour l'Éthiopien. Il
repartait donc sans avoir pu s'éclairer; mais il ne lisait qu'avec
d'autant plus d'intérêt les anciens oracles de l'Éternel, et,
poussé par l'Esprit de vérité, il cherchait le Christ de tout son
cœur; or nous savons que celui qui cherche, trouve. En effet, un
ange du Seigneur dit à Philippe de se rendre sur le chemin où cet
homme devait passer.
§ 1156. Deux routes, encore aujourd'hui, conduisent de Jérusalem à Gaza, et l'une des deux traverse une contrée assez déserte. Ce fut sur cette route, la moins fréquentée, que Philippe dût aller, sans savoir encore pourquoi. Mais bientôt il vit venir à lui un homme qui, assis sur son char, lisait avec une profonde attention. C'était le livre du prophète Ésaïe que l'Eunuque tenait en sa main, et il en était au chapitre LIII. Alors, et sans que nous sachions de quelle manière, le Saint-Esprit dit à Philippe de s'approcher de ce char, ce qu'il fit avec le plus grand empressement, et, entrant tout de suite en matière: «Comprends-tu ce que tu lis?» dit-il à l'Ethiopien.
§ 1157. Mes lecteurs peuvent savoir maintenant par expérience que, si la Bible présente des difficultés, comme tout livre ancien, comme tout livre écrit primitivement dans une langue fort différente de la nôtre, comme tout livre enfin qui traite des choses profondes de Dieu et de l'avenir, tant s'en faut cependant qu'il n'y ait en elle que mystères et obscurités. Toujours est-il que nous la comprenons difficilement, si quelqu'un ne nous l'explique. Or, le Saint-Esprit est, au fond, le seul interprète de la Parole qu'il a dictée aux prophètes et aux apôtres; mais si le Saint-Esprit exerce sur nos sentiments une action immédiate qu'on ne saurait contester, et si par le cœur il agit sur l'intelligence, il n'en est pas moins vrai que, pour nous donner la compréhension des Écritures, il emploie des moyens en rapport avec la nature des choses. D'abord, l'Écriture s'explique elle-même, un prophète aidant à entendre un autre prophète, le Nouveau Testament donnant la clef de l'Ancien, et l'Ancien Testament facilitant la lecture du Nouveau. Puis, de tout temps, le Seigneur a eu dans son Église des docteurs qui, unissant la foi à la science (il faut ces deux conditions), ont jeté par leurs travaux un grand jour sur les Écritures. Ce sont eux et leurs livres, mes chers lecteurs, qui m'ont aidé dans mon travail; ils ont été mes Philippes; et si, de mon côté, Dieu me fait la grâce d'être pour quelques-uns de vous un guide utile dans l'étude de la Bible, je serai pour eux ce que Philippe fut pour l'Éthiopien. Mais Philippe n'est pas le Seigneur, lequel envoie aux âmes ceux qui peuvent leur être utiles, ni le Saint-Esprit, qui leur ouvre le cœur et y fait pénétrer la vérité.
8:
32-35
§ 1158. Représentez-vous donc ces deux hommes,
le riche Éthiopien et l'obscur Israélite, assis côte à côte dans
un chariot découvert au milieu d'une route silencieuse, les gens
de l'étranger marchant sans doute à pied devant lui. Ils ont un
rouleau de parchemin déployé sur les genoux (c'était moins commode
que nos livres), et ils lisent ensemble ce même prophète Ésaïe que
nous étudiâmes l'année dernière avec tant d'intérêt, je voudrais
pouvoir dire avec tant de bénédictions pour vos âmes, du moins je
l'espère. L'Éthiopien savait le grec assurément, et il avait entre
les mains la traduction qui avait été faite des Écritures en cette
langue (§19). Il y cherchait des lumières sur le point qui
préoccupait alors tant de gens. Si Jésus de Nazareth était le
Messie, il fallait que ses souffrances, aussi bien que sa gloire,
eussent été prédites, et l'Eunuque voulait s'en assurer. Or, voyez
comme il était bien conduit par le Seigneur, car il lisait
justement une des prophéties les plus explicites sous ce double
aspect (II, § 1073-1076). Aussi ne fut-il pas difficile à Philippe
de partir de là pour lui annoncer tout ce qui concernait le
Seigneur, savoir la bonne nouvelle de sa mort et de sa
résurrection, source et gage de notre salut.
8:
36-39
§ 1159. Des voyageurs chrétiens ont récemment
retrouvé sur la route qui conduit de Jérusalem à Gaza par le
désert, une eau courante qui est très probablement celle près de
laquelle l'Eunuque et Philippe arrivèrent à cet instant, et où ils
s'arrêtèrent sous quelque ombrage peut-être pour achever leur
entretien. Mais une eau plus pure encore et plus salutaire avait
rafraîchi l'âme de cet étranger. Le Saint-Esprit, qui avait mis en
lui le désir de connaître la vérité; le Saint-Esprit, qui avait
poussé Philippe près de lui; le Saint-Esprit, qui lui avait fait
ouvrir le livre d'Ésaïe et qui avait jadis inspiré ce prophète, le
Saint-Esprit lui donna les choses qui sont à Jésus-Christ et
glorifia le Sauveur dans ce pécheur engendré de nouveau (Jean III,
5,6; XVI, VIII 14). C'est de tout son cœur qu'il croit que
Jésus-Christ est le Fils de Dieu et de tout son cœur qu'il
manifeste le désir d'être baptisé. En conséquence, Philippe
n'hésite pas à descendre dans l'eau avec lui et à mettre sur sa
foi le divin sceau du baptême. Or tel était le bonheur de cet
homme que, privé tout aussitôt de son docteur, du seul frère qu'il
se connût, il ne laissa pas de continuer son chemin plein de joie.
N'avait-il pas en effet ce qui console de toutes les peines de la
vie: l'assurance de sa réconciliation avec l'Éternel; et, à défaut
du docteur qui lui était enlevé, ne possédait-il pas, par la grâce
du Saint-Esprit, l'intelligence de la Parole de Dieu?
8:
40
§ 1160. L'officier de la reine Candace, de
retour en Abyssinie (pays que les anciens renfermaient, avec la
Nubie, sous le nom plus général d'Éthiopie), s'y montra, dit-on,
zélé propagateur de la foi; car bien que, trois siècles après, des
missionnaires aient trouvé ces contrées dans les ténèbres de
l'idolâtrie, il ne s'en suit pas nécessairement qu'une église
chrétienne n'ait pu y exister auparavant. Quant à Philippe,
transporté miraculeusement par la puissance du Saint-Esprit, il se
trouva dans Azot ou Asdod, ancienne ville des Philistins, sur les
bords de la Méditerranée, à dix lieues environ de Gaza. De là il
se rendit à Césarée, non la Césarée que nous avons vue ailleurs (§
535), mais une Césarée qui, située sur la mer, au nord d'Azot et à
vingt cinq lieues environ de Jérusalem, s'appelait autrefois la
Tour de Straton. Pendant tout ce voyage, Philippe ne cessa de
prêcher l'Évangile, et nous aurons bientôt la preuve que ce ne fut
pas sans succès.
CCXXXVI. Conversion de Saül; commencement de son apostolat et de ses souffrances (Évangile de Matthieu).
9:
1-2
§ 1161. Ici commence, à proprement parler,
l'histoire de l'un des plus illustres serviteurs de Dieu. Au
moment du supplice d'Étienne, époque où il en est fait mention
pour la première fois, il était jeune encore, ce qui, dans le
langage des Juifs, veut dire qu'il pouvait avoir à peine trente
ans. Quelques mois seulement s'étaient écoulés dès lors. Sa haine
pour l'Évangile, loin de s'épuiser, semblait plutôt s'accroître
par les persécutions mêmes auxquelles il avait donné les mains
dans la ville de Jérusalem, et il cherchait partout de nouvelles
victimes. Damas, l'ancienne capitale du royaume de Syrie, ville
toujours florissante, comptait parmi ses habitants un grand nombre
de Juifs. Ils s'y étaient fixés dès le temps de la première
captivité et même auparavant (2 Chron. XXVIII, 5), en sorte qu'il
y existait plusieurs synagogues. Bien que l'Évangile n'y eût point
encore été porté par les apôtres, il y était néanmoins parvenu,
grâce aux relations fréquentes que les Israëlites de tous les pays
entretenaient avec la ville qu'illustrait et sanctifiait le temple
de l'Éternel. C'est ce dont les pharisiens avaient eu vent, et
Saul, poussé par son horrible zèle, sollicita du souverain
sacrificateur des pouvoirs contre les Juifs de Damas qui avaient
pris «ce chemin,» comme porte le texte sacré, par ce qu'en effet
la foi en Jésus est, aussi bien que Jésus-Christ lui-même, le
chemin de la vie éternelle. (Jean XIV, 6). Saul se proposait de ne
ménager personne. Hommes et femmes, tous devaient sentir sa
colère, et ses ordres étaient de les amener liés à Jérusalem. Le
conseil suprême des Juifs, appelé Sanhédrin, ce même corps qui
avait condamné Jésus, étendait, en matière religieuse, sa
juridiction sur les Israëlites dispersés en tous lieux,
prérogative que les conquérants lui avaient constamment accordée.
9:
3-5
§ 1162. Mais tandis que Saul marchait du côté
de Damas, le cœur plein de sinistres projets contre le Seigneur,
dans la personne de ses disciples (Luc X, 16), le Seigneur, de son
côté, se disposait à faire de lui le plus admirable monument de sa
miséricorde. Le jeune pharisien n'était plus qu'à une faible
distance de la ville, lorsqu'une lumière éclatante, venant du
ciel, resplendit autour de lui. Renversé comme par un coup de
foudre, il entendit une voix qui, lui donnant son nom hébreu, ce
nom qui rappelait celui du persécuteur de David, père et type du
Messie, lui dit: «Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu?» C'était
le Seigneur lui-même qui s'adressait à la conscience de Saul, et
Saul ne put s'y méprendre; car, lorsque, se débattant sous la main
puissante qui le retenait contre terre, il s'écria: «Qui es-tu
Seigneur?» il eut pour réponse cette parole: «Je suis Jésus que tu
persécutes.» Jésus était donc réellement ressuscité comme le
disaient ses disciples; ce Jésus qu'on croyait mort était vivant à
n'en pouvoir douter, et Saul a maintenant la plus entière
démonstration que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu! Mais la
démonstration de la vérité ne suffit pas pour convertir une âme:
il faut la préparation du Saint-Esprit. Cette préparation ne
manquait pas au persécuteur des disciples de Jésus. Bien que Saul
eût agi jusqu'à ce jour dans la sincérité de son zèle pharisaïque,
et c’est par là qu'il différait de tant d'hypocrites qui, durant
la vie de Jésus, avaient blasphémé contre le Saint~5 Esprit (§
435), il paraît cependant qu'il était quelquefois tourmenté par
des doutes sur l'innocence de sa conduite. N'oublions pas qu'il
avait été témoin de la mort d'Étienne, qu'il avait vu le visage
d'ange du saint martyr, qu'il avait pu entendre son admirable
prière, qu'il avait assisté à ce culte solennel rendu au Seigneur
Jésus par ses lèvres expirantes. Si tout cela put, au premier
instant, lui paraître de nouveaux blasphèmes et l'exciter d'autant
plus contre les disciples, il était impossible que ce spectacle ne
se fût pas représenté à lui sous un aspect différent, et il
pressait sur son âme comme «un aiguillon» qui le faisait souffrir,
à proportion même de son obstination dans la mauvaise voie. Aussi,
quand le Seigneur le sollicita de ne pas résister davantage, Saul
se dégagea de cette horrible lutte, en disant: «Seigneur, que
veux-tu que je fasse.»
9:
6-9
§ 1163. Nous retrouvons ici ce qui fut
toujours le signe d'un vrai retour à Dieu: une sainte frayeur des
dangers que fait courir l'incrédulité, et la ferme résolution
d'entrer dans une voie nouvelle. Or, le Seigneur voulant tout à la
fois laisser Saul quelque temps à ses réflexions et le mettre en
rapport avec les disciples, ne jugea pas à propos de lui révéler
dès ce premier moment toute sa volonté. S'il lui fit entendre
quelques paroles qui ne sont pas racontées ici, mais que nous
retrouverons ailleurs, il le renvoya surtout à ce qui lui serait
dit, de sa part, dans la ville. En attendant, Saul fut frappé de
cécité, symbole de l'aveuglement où il avait vécu jusque-là, et
ceux qui l'accompagnaient le prirent par la main et le
conduisirent à Damas, dont une faible distance les séparait sans
doute. Quant à eux, ils avaient confusément entendu une voix, mais
ils n'avaient pas vu de qui elle partait, ni entendu les paroles
qu'elle avait prononcées. Trois jours se passeront durant lesquels
Saul demeura dans cet état, et tellement absorbé par ses pensées,
comme peut-être par les révélations intérieures du Seigneur, qu'il
ne mangea ni ne but pendant ce temps. Selon quelques-uns, cela
signifierait simplement qu'il ne fit point de repas proprement
dits; mais on sait que les abstinences prolongées ne sont pas
rares dans les pays orientaux, et après ce qui s'était passé, l'on
comprend ce long jeûne du nouveau converti.
9:
10-16
§ 1164. Cependant, le Seigneur n'oubliait pas
la promesse qu'il avait faite à Saul. Se révélant personnellement
à un disciple de Damas nommé Ananias, il lui donna l'ordre de se
transporter auprès de Saul, et de lui rendre la vue en posant la
main sur lui. Bien que le Seigneur désignât Saul par cette
expression très générale: «un nommé Saul de Tarse,» il savait bien
qu'Ananias comprendrait de suite de qui il s'agissait, aussi se
hâte-t-il d'ajouter ces mots, propres à le rassurer: «Car voici,
il prie.» Ah! certes, Saul avait souvent prié, mais de la prière
du pharisien (§ 726); aujourd'hui seulement commençait pour lui la
véritable prière (§727). Combien cette bonne nouvelle
n'aurait-elle pas dû réjouir le cœur pieux d'Ananias? Quel bonheur
encore d'apprendre que Saul l'attendait, lui, Ananias, lui-même,
ensuite d'une vision dont Saul aussi avait été favorisé; car tout
se combine dans le conseil et dans les mains de Dieu pour
l'accomplissement de sa grâce envers ses élus: il prépare à Saul
un Ananias, et en même temps qu'il dit à Ananias d'aller auprès de
Saul, il avertit Saul de la visite d'Ananias. Mais, bien que
celui-ci eût répondu comme le père des croyants I, § 352), il
hésitait à faire ce qui lui était ordonné.
Sa frayeur se comprend. Un persécuteur tel que Saul! un homme qui
avait ravagé l'Église de Jérusalem et que les nouvelles reçues
depuis son départ annonçaient aux frères de Damas comme un lion
qui venait se jeter dans leur bergerie! Il fallait une grande foi
pour aller à lui et l'aborder en lui disant: «Saul, mon frère!»
Mais bien qu'Ananias hésitât, le Seigneur ne laissa pas de lui
parler comme à un croyant; car, pour le décider, il se contenta de
lui prophétiser le plan de sa grâce au sujet du persécuteur.
Instrument de choix, il prêchera le nom de Jésus-Christ après
l'avoir insulté (Luc XII, 10); sa vocation sera surtout de
l'annoncer aux nations et à des rois de la terre, mais sans
oublier les fils d'Israël; enfin, autant et plus que les autres
messagers de la bonne nouvelle, il aura beaucoup à souffrir pour
le nom de Jésus. «Alors Ananias s'en alla et il entra dans la
maison.»
9:
17-19
§ 1165. On ne sait ce qu'il faut admirer le
plus en ce récit, de la grandeur du sujet, ou de la simplicité de
la narration. Ananias croit à la parole du Seigneur; il entre
auprès de Saul, toujours aveugle; il se fait connaître à lui; il
pose les mains sur l'élève de Gamaliel, qu'il appelle son frère,
et celui-ci, recevant le Saint-Esprit, recouvre en même temps la
vue: il est baptisé, il se met à table, et Ananias ayant
probablement rompu le pain au nom de Jésus, Saul se sentit
fortifié. Ainsi fut élu, converti, guéri, éclairé et consacré
celui de tous les serviteurs de Dieu auquel le monde a le plus
d'obligations. C'est, à coup sûr, une des plus belles œuvres du
Tout-Puissant, et il est remarquable, entre autres choses, de voir
comment il a voulu que les commencements du grand apôtre Paul
fussent parfaitement
humbles.
Il aurait pu le convertir à Jérusalem et dans les cours du
temple, aussi bien que sur le chemin de Damas; le faire
baptiser et consacrer par le collège des apôtres et non par un
fidèle d'ailleurs inconnu; mais, tandis que de cette manière,
le jeune Saul eut été mis promptement en évidence, ce que ne
voulait pas le Seigneur, nous allons le voir retenu durant de
longs jours à Damas, loin du centre d'activité des principaux
prédicateurs de l'Évangile! Il y avait là une grande éducation
pour l'âme orgueilleuse du pharisien, et le développement que
prit ensuite son activité, n'en est que plus remarquable.
9:
19-22
§ 1166. Bien que le moment ne fût pas encore
venu pour Saul de prendre la place qui lui était réservée au
premier rang des apôtres, il ne laissa pas de commencer
immédiatement l'exercice de son ministère. Après avoir passé
quelques jours dans l'intimité des disciples, il parut au milieu
des congrégations des Juifs, prêchant Jésus comme le Christ, le
Fils de Dieu; car la divinité du Sauveur lui fut, dès sa
conversion, pleinement révélée, et elle dut le frapper plus que
les anciens disciples. On conçoit l'étonnement qu'excita ce
langage, dans la bouche d'un homme qui avait jusque-là déployé
tant de haine contre «ceux qui invoquaient ce nom» c'est ainsi
qu'on désignait les disciples de Jésus, comme nous l'avons vu déjà
dans la bouche d'Ananias (verset 14). Il n'est pas dit cependant
qu'il se soit fait alors des conversions parmi les Juifs, et
pourtant il semble que le miracle de la conversion de Saul aurait
dû produire cet effet. Il est vrai que, dans la discussion, il
fermait aisément la bouche des adversaires, en racontant ce qui
lui était arrivé; mais de ce qu'on n'a plus rien à répondre, il ne
s'ensuit pas qu'on soit convaincu, on peut même être convaincu,
sans que la vérité ait réellement gagné le cœur. Bien plus, nous
apprenons de ce fait à ne pas nous étonner, lorsque nous voyons
les âmes résister aux preuves les plus pénétrantes, telles par
exemple que le témoignage rendu à la vérité par des hommes qui
luttèrent longtemps contre elle.
9:
23-25
§ 1167. Ne soyons pas surpris non plus, si, en
pareille circonstance, on voit l'animosité des adversaires croître
avec le zèle et les triomphes des serviteurs de Dieu. Tout ce
qu'il y avait de haine contre ceux qui invoquaient le nom de
Jésus, se porta naturellement sur Saul, d'autant plus détesté
qu'on avait attendu bien autre chose de lui. Aussi verrons-nous
ailleurs qu'après un assez court séjour dans la capitale de la
Syrie, il dut se réfugier quelque temps chez les descendants
d'Ismaël. De là, il revint à Damas, et, un assez grand nombre de
jours après sa conversion, dit l'auteur du livre des Actes (Paul
lui-même nous apprendra plus tard que ce fut trois ans après), il
dut s'évader furtivement d'une ville où il était venu muni d'un
grand pouvoir pour faire le mal, et où il ne pouvait plus faire de
bien, tant sa vie était sérieusement menacée par les Juifs. Entré
de plein jour à Damas, mais aveugle, Paul en sort au milieu des
ténèbres d'une nuit obscure; mais son âme était maintenant
éclairée, et nul doute qu'il ne s'estimât heureux lui aussi,
d'avoir quelque chose à souffrir pour son Sauveur (§ 1129).
9:
26-30
§ 1168. De Damas, Saul regagna Jérusalem avec
l'intention de se joindre aux disciples; mais ceux-ci avaient
encore un souvenir très-vif de ses violences, et malgré ce qu'ils
avaient pu apprendre de sa conversion, ils se refusaient à le
reconnaître en qualité de disciple, comme s'il eût été impossible
que le Seigneur lui eût fait une telle grâce. Ils trouvaient
probablement étrange que Saul ne fût pas venu plus tôt à eux.
Après avoir ouï dire qu'il était converti, ils avaient sans doute
appris son départ pour l'Arabie et dès lors peut-être ils n'en
avaient plus eu de nouvelles. Ainsi s'expliquerait leur conduite.
Ce n'est pas la justifier; mais quand on a beaucoup souffert, on
devient timide et défiant. Toujours est-il que ce dut être une
grande épreuve pour la foi de Saul. Il est plus pénible d'être
méconnu de ses frères, que de subir la haine du monde. Au surplus,
l'erreur des disciples de Jérusalem, effet d'une première
impression, ne fut que momentanée. Il plut au Seigneur de mettre
Saul en relations avec Barnabas, ce lévite dont il a été fait
mention précédemment (§ 1118). Celui-ci, convaincu de la parfaite
droiture de l'ex-pharisien, le conduisit vers les douze, leur
racontant toute l'histoire d'un frère dont personne, à coup sûr,
ne prévoyait alors le grand avenir. Dès cet instant, il alla et
vint avec eux dans Jérusalem, sans s'inquiéter des moqueries et
des menaces des pharisiens, ses anciens affiliés; il parlait d'un
ton ferme au nom du Seigneur Jésus, et c'était avec les
Hellénistes surtout que, Helléniste lui-même, il avait surtout
affaire. voulait ainsi réparer le mal dont il s'était rendu
coupable de concert avec eux, dans le temps d'Étienne, et peu s’en
fallut qu'il ne subît le même sort. Mais on apprit ce qui se
complotait contre lui, et les frères le firent partir pour
Césarée, où nous avons laissé le diacre Philippe (§1160), et d'où,
quelque temps après, on le dirigea sur Tarse, le lieu de son
origine (§ 1137). Cette ville de l'Asie Mineure était située
très-près de la mer, et l'on y allait facilement de Césarée,
quoique la distance fût assez considérable.
9:
31
§ 1169. À cette époque cependant, les
assemblées des frères répandues dans la Palestine, jouissaient
partout d'une paix qui devait leur être bien douce après toutes
leurs tribulations. L'auteur sacré ne nous dit pas à qui elles en
furent redevables, parce qu'il va sans dire que c'était au
Seigneur lui-même et à sa grande bonté. Mais les moyens que Dieu
emploie pour protéger les siens sont quelquefois bien admirables!
Dans le temps à peu près de la conversion de Saul, un jeune
prince, nommé Caïus Caligula, avait succédé à l'empereur Tibère,
sous le règne duquel notre Seigneur fut crucifié. Ce Caligula, un
des hommes les plus cruels et les plus insensés qui aient ceint le
diadème, voulut être adoré partout comme Dieu, et il ordonna
notamment que sa statue fût placée dans le temple de Jérusalem.
L'historien Josèphe, qui nous rapporte ce fait, raconte fort au
long la douleur qu'en éprouvèrent les Juifs et l'opposition qu'ils
firent à l'ordre de César; comment ils se préparèrent à la guerre,
et comment, Caligula étant mort sur ces entrefaites, ils furent
délivrés de leurs craintes. Beaucoup de personnes attribuent à
cette circonstance le repos dont les églises jouirent en Judée
dans ce même temps; et si Luc n'en dit rien, c'est que son
histoire ne fait jamais aucune excursion dans la politique. Les
événements du siècle pouvaient nous être transmis par une autre
voie; tandis que si Dieu ne nous eût pas fait raconter ceux qui
appartiennent à son règne, nous ne les aurions point connus, tant
le monde a de tout temps affecté de s'y montrer indifférent.
§ 1170. Quoi qu'il en soit, arrêtons quelques instants nos regards sur ces églises maintenant paisibles au-dehors, comme elle l'étaient encore au-dedans. Il est bon sans doute pour l'Église d'avoir ses temps d'épreuve; mais il ne l'est pas moins qu'elle ait aussi des temps de repos, et il ne faut pas croire que la persécution lui soit absolument nécessaire pour prospérer. La présence du Saint-Esprit et l'efficace de ses consolations lui sont assurées en toute saison; c'est là le secret de sa force. Je dirai même que les souffrances sont pour l'Église, comme pour chaque fidèle, un moyen de sanctification dont la nécessité résulte de ce qu'elle n'est pas ce qu'elle devrait être. Une église où la foi et l'amour abonderaient, n'aurait pas besoin que des châtiments vinssent la réveiller, la stimuler, la pousser à plus de zèle. C'est pourquoi, l'église la plus digne du saint nom d'Épouse de Jésus-Christ, est celle qui, semblable aux églises de la Palestine à cette époque, porte, comme elles, sans la dure discipline de l'épreuve, les fruits de sanctification qui, par un effet des faiblesses de notre foi, résultent plus ordinairement de la souffrance. En un mot, il est beau de voir les églises vivantes se multiplier malgré l'opposition parfois si furieuse des adversaires; mais il l'est plus encore de les voir, en des temps meilleurs, actives et fécondes, au lieu de se laisser endormir par la prospérité.
§ 1171. C'est aussi à cette époque qu'on place communément la composition du premier Évangile, celui de Matthieu. Sans répéter ce que j'ai dit ailleurs sur ce sujet (§§ 43, 46), remarquez toutefois la sagesse du Seigneur dans le choix qu'il fit du moment où cet écrit parut. Pour que la foi des chrétiens reposât sur un témoignage irrécusable, il a voulu que la bonne nouvelle fût, pendant plusieurs années, racontée de bouche par un grand nombre de témoins; mais d'un autre côté, afin que maintes légendes ne vinssent pas bientôt se mêler à la vérité, il voulut que, sans trop de retard, cet Évangile fût écrit par un de ceux qui avaient reçu le Saint-Esprit le jour de la Pentecôte. Cette double circonstance explique très bien d'ailleurs la manière dont saint Matthieu a rédigé son livre. Il s'agissait bien moins de raconter par ordre l'histoire de Jésus-Christ, que de fixer les faits et les doctrines qui caractérisent l'Évangile, en les groupant de la manière la plus utile aux besoins du temps et de l'Église. On comprend aussi pourquoi le premier Évangile fut essentiellement écrit en vue des Juifs convertis: il n'y avait alors que des fils d'Abraham qui invoquassent le nom du Seigneur Jésus, sauf l'officier de la reine Candace et quelques autres peut-être.
CCXXXVII. Prédication et miracles de Pierre; conversion et baptême du capitaine Corneille.
§ 1172. Bien que plusieurs années déjà se fussent écoulées depuis la résurrection de notre Seigneur, l'Évangile n'avait pas encore été porté aux idolâtres, ou à ceux que les Juifs appelaient les Goïm (nations ou gentils). La suite nous montrera que Dieu avait essentiellement réservé cette tâche difficile à l'apôtre Paul. Il trouva bon, néanmoins, de la commencer par Pierre, afin de montrer que la conversion des Gentils et celle des Juifs était une seule et même œuvre dans le fond. Il n'ignorait pas d'ailleurs les préjugés qu'il y aurait à vaincre chez les fils d'Abraham, pour leur faire recevoir au milieu d'eux, simplement par le baptême et sans la circoncision, les hommes des nations, les Goïm. C'est pour cela qu'il voulut vaincre d'abord ceux de l'apôtre Pierre, prévenu lui-même autant que nul autre, et dont l'opinion, modifiée par les faits, ne pouvait qu'exercer une grande influence sur toute l'église sortie de la synagogue.
9:
32-35
§ 1173. L'historien sacré nous montre donc
ici, pour la seconde fois, cet apôtre sortant de Jérusalem (§1150)
et visitant tout le pays, mais ne s'occupant encore que des Juifs,
particulièrement des membres de l'Église. Ceux-ci, appelés
ailleurs les frères, les disciples, ceux qui invoquent le nom de
Jésus, sont désignés ici par un bien beau nom, celui de Saints.
C'est déjà comme cela qu'Ananias les avait nommés, en parlant au
Seigneur lui-même (vers. 13), et combien ne faut-il pas que la
dégradation de l'Église soit grande, pour que ce nom soit tombé en
désuétude comme il l'est! Les courses de Pierre l'ayant conduit à
Lydde, ville située entre Jérusalem et Joppé, et voisine de Saron,
dans la riche contrée qui portait ce nom (II, § 107), il opéra sur
un paralytique une de ces guérisons destinées à prouver tout à la
fois qu'il parlait de la part de Jésus, et que ce Jésus était
réellement vivant, toujours revêtu de la même puissance. «Enée!
Jésus, le Christ, te guérit; lève-toi, et arrange toi-même ton
lit.» Aussitôt connue à Lydde et à Saron, cette merveille y
produisit une impression profonde. Ce ne furent pas seulement
quelques individus qui «se tournèrent vers le Seigneur,» dit le
texte sacré; mais il y eut un mouvement si considérable que tous
furent entraînés, et l'on ne saurait douter que, par la grâce du
Seigneur, il n'y ait eu, au milieu de tout cela, grand nombre de
conversions réelles et durables. Partout donc s'accomplissait la
parole dite à Simon: «Tu es Pierre, et sur cette pierre
j'édifierai mon assemblée (Matth. XVI, 18).»
9:
36-43
§ 1174. Pendant que Pierre était à Lydde,
l'église de Joppé fit une perte qui plongea dans le deuil toute la
congrégation. Ce n'était pas un docteur, un Philippe ou quelque
autre frère éminent que Dieu venait de rappeler à lui. C'était une
simple femme, une veuve selon toute apparence, et rien n'indique
qu'elle laissât après elle une famille d'orphelins. Mais Dorcas,
tel était son nom, abondait en bonnes œuvres et en aumônes. Non
contente de donner de son superflu, peut-être de son nécessaire,
comme la veuve de l'Évangile (§ 815), elle travaillait de ses
mains pour procurer des vêtements à ceux qui en manquaient,
fondatrice, en quelque sorte, de ces sociétés de travail communes
parmi nous, sans qu'on puisse dire, hélas! que toutes les
personnes qui en font partie soient, par leur foi et par leur
charité, de véritables Dorcas. La douleur fut si profonde et si
générale, que les frères de Joppé déléguèrent deux des leurs à
Pierre, dans la pensée qu'il lui serait donné de rappeler Dorcas à
la vie, ou simplement peut-être pour qu'il vînt les consoler. Or
le Seigneur voulut que son disciple fît l'une et l'autre chose; en
suite de quoi, il y eut à Joppé un grand nombre de conversions, et
Pierre y demeura durant assez longtemps, chez un corroyeur nommé
Simon ou Siméon, comme lui. — Du reste, ces deux miracles de
Pierre ne sont là qu'épisodiquement et pour conduire au fait
principal, fait dont le récit est contenu dans le chapitre dixième
et dans les dix-huit premiers versets du chapitre suivant.
10:
1-8
§ 1175. Dans cette ville de Césarée où nous
avons vu que Philippe avait porté ses pas en quittant Azot, et où
Saul lui-même parut quelques moments (§1168), mais, selon toute
probabilité, après la visite de Pierre, le récit du voyage de Saul
ayant été fait par anticipation; dans cette ville considérable,
célèbre par son beau port et assez souvent la résidence du
gouverneur romain se trouvait en garnison, à cette époque, un
homme qui, par son nom, semble avoir appartenu à la célèbre
famille Cornélia. C'est de la même famille qu'était sorti jadis ce
L. Scipion par qui la puissance romaine avait pénétré pour la
première fois en Asie (§ 23). Dans tous les cas, notre Corneille
ou Cornélius, n'était pas un personnage sans importance. Comme le
centenier de Capernaüm, il avait acquis la connaissance de Dieu
pendant son séjour en Judée, et, sans avoir embrassé le Judaïsme,
il adorait l'Éternel, montrait sa foi par ses bonnes œuvres, et sa
maison tout entière ressentait l'influence de sa piété (§ 410).
C'était une âme que le Saint-Esprit préparait pour être les
prémices de la grande moisson au milieu des païens, et, chose
remarquable, il avait fallu à cet effet l'accomplissement de la
grande prophétie de Daniel sur la quatrième monarchie. Peut-être
Corneille avait-il ouï parler de Philippe et de ses prédications,
mais il n'avait pas encore été mis en rapports directs avec les
messagers de l'Évangile. C'est toutefois ce qu'il fallait pour le
salut de son âme; c'est ce qu'il fallait aussi pour l'instruction
même des messagers de la bonne nouvelle, et cela explique la
vision céleste dont il fut favorisé. Un ange mentionnant ses
aumônes et ses prières comme un témoignage accepté de Dieu, lui
signifia toutefois que cela ne suffisait pas, et qu'il eût à
appeler le nommé Simon-Pierre , actuellement à Joppé, afin
d'entendre de lui ce qu'il avait à faire. Soumis à la voix divine,
Corneille dépêcha deux de ses domestiques et un soldat; et comme
c'étaient des hommes qui partageaient ses convictions, il leur
raconta tout ce qui s'était passé.
10:
9-16
§ 1176. Deux journées de marche séparaient
Joppé de Césarée. Le lendemain du jour où Corneille avait eu sa
vision et expédié ses gens, Pierre monta, vers l'heure de midi,
sur la terrasse de la maison de son hôte, et, ayant devant les
yeux la vaste mer, si belle image de l'immensité, il se livrait à
l'exercice de la prière, consolation et force de tout enfant de
Dieu. (Act. VI, 4). À ce moment, l'apôtre eut faim et, comme on
lui apprêtait de la nourriture, il entra en extase et il eut une
vision qui n'était pas sans rapport avec la faim qu'il éprouvait,
mais qui avait trait surtout à l'événement qui s'approchait et
auquel le Seigneur voulait le préparer. Il faut que mes lecteurs
se rappellent ici l'opinion généralement répandue chez les Juifs à
cette époque. Malgré le grand nombre de prophéties qui annonçaient
la vocation des gentils (II, Table Analyt.), ils n'imaginaient
rien de pareil à ce que la grâce de Dieu destinait aux nations
idolâtres. Ils ne disaient pas qu'un païen ne pût parvenir
d'aucune manière à l'héritage des promesses; mais il fallait pour
cela, pensaient-ils, qu'il s'incorporât à la famille d'Abraham par
la circoncision, et, de cette manière encore, le salut n'était que
pour les Juifs. Les apôtres eux-mêmes n'entendaient pas la chose
autrement, bien que le Seigneur leur eût assez nettement déclaré
sa pensée (§ 1037), et bien qu'ils eussent, de leur propre bouche,
prophétisé dans ce même sens (§ 1092). L'inspiration ne leur
donnait pas la connaissance de toutes choses, et ils n'étaient
infaillibles que là où il plaisait au Saint-Esprit de les
éclairer. Or, ils étaient encore sur ce point dans une certaine
ignorance, mais la lumière allait se faire.
§ 1177. Pour comprendre le sens de la vision, il faut se rappeler en outre les prescriptions de la loi de Moïse au sujet des animaux qu'il n'était pas permis de manger et qui, par cette raison, étaient tenus pour souillés ou impurs. Dans la vision, ces animaux sont l'image des nations idolâtres, avec lesquelles un Israélite ne devait point entrer en relations et qu'il envisageait comme souillées par le fait même qu'elles étaient étrangères à l'alliance. L'espèce de remontrance enfin que la voix du Seigneur fit entendre à l'apôtre, signifiait que les païens étant appelés à recevoir, aussi bien que les Juifs, la grâce de l'Évangile, il n'y avait plus à tenir compte de la souillure que la loi leur avait imprimée.
10:
17-24
§ 1178. Pierre ne comprit pas d'abord le sens
de la vision; mais il ne put être longtemps dans le doute. Pendant
que les messagers de Corneille s'informent de lui à la porte de la
maison, le Saint-Esprit lui-même, interrompant les méditations de
Pierre, l'invite à descendre auprès d'eux et à les suivre sans
hésitation. Mais où? C'est ce que l'apôtre apprend de leur bouche.
Ils prononcent le nom de leur maître; ils racontent en deux mots
ce qui s'est passé la veille à Césarée, et Pierre, qui commence à
comprendre, Pierre, pour qui ce que Dieu a purifié ne saurait plus
être souillé, fait entrer ces païens dans la maison de son hôte et
les loge auprès de lui. Le lendemain, ils partent ensemble et
arrivent le surlendemain à Césarée, dans la société de quelques
frères de Joppé: on voit plus loin que ceux-ci étaient au nombre
de six (Ch. XI, v. 12). Pierre savait-il au juste ce qu'il allait
faire à Césarée? Il est permis d'en douter. Tout ce que les
domestiques de Corneille avaient dit, c'est que leur maître
attendait de lui «des paroles,» et l'Esprit lui-même ne l'avait
pas informé plus clairement: «Va avec eux sans hésiter, parce que
c'est moi qui les ai envoyés.» Mais ce dont Pierre est certain,
c'est que le Seigneur le veut à Césarée, chez Corneille, au milieu
de ces gentils, et quand on est appelé par le Seigneur, on marche
avec assurance. Voilà donc cette petite troupe d'amis de Jésus
entrant à Césarée, pour y tenir une assemblée qui ne fit pas de
bruit dans le monde, et qui n'en a pas moins été, pour ce même
monde, le commencement d'une ère religieuse toute nouvelle.
10:
24-27
§ 1179. Corneille, qui avait pu calculer les
heures du voyage et qui ne mettait pas en doute la fidélité de
Dieu, avait réuni sa famille et ses intimes amis, et il attendait
avec eux le messager du Seigneur. Hélas! ce pauvre Corneille,
païen naguère, adorateur d'hommes divinisés, ne vit pas plus tôt
Pierre que, frappé de son air vénérable, il se jeta à ses pieds
pour l'adorer. Mouvement irréfléchi qui fit sortir de la bouche de
Pierre, de celui dont les papes se prétendent les successeurs, la
parole la plus foudroyante contre l'idolâtrie actuelle des
catholiques romains. Les papes se laissent adorer, ils se font
adorer, ils frappent des médailles où l'on voit les cardinaux à
genoux devant le souverain pontife, avec cette exergue: «adorant
quem créant»; «ils adorent celui qu'ils créent;» tandis que
Pierre, jaloux d'une gloire qui n'appartient qu'à Dieu et qu'il
lui eût été si facile d'usurper, s'empressa de relever le romain
Corneille, en lui disant: «Et moi aussi, je suis un homme.» Le
capitaine était allé au-devant de Pierre; il rentra dans la salle,
conversant avec lui, et l'on conçoit quel moment plein d'intérêt,
ce dut être pour les personnes qui s'y trouvaient assemblées.
10:
28-33
§ 1180. Après s'être excusé de ce que,
contrairement à tous les usages des Juifs, il entrait librement
dans la maison d'un païen, expliquant de quelle manière Dieu l'y
avait lui-même engagé, et comment, serviteur soumis, il avait obéi
sans faire aucune objection, Pierre demanda qu'on lui dît aussi
par quelle raison et dans quel but on l'avait appelé. Alors
Corneille raconta ponctuellement ce qui lui était arrivé le
quatrième jour avant celui où ils se trouvaient, et «maintenant,»
dit-il, «nous sommes tous ici devant Dieu, pour entendre toutes
les choses dont Dieu t'a donné charge.» C'est une belle et
sérieuse parole que celle de ce brave soldat. Quel bonheur, si,
dans nos assemblées, nous nous placions tous ainsi devant le
Seigneur, prêts à recevoir en nos cœurs ce que Dieu daigne nous
dire par la bouche de nos frères! Vous voyez que, par la grâce
d'en Haut, Corneille et les siens avaient toutes les dispositions
qu'on peut désirer chez des pécheurs auxquels on annonce
l'Évangile: ils priaient beaucoup, ils faisaient tout le bien en
leur pouvoir, ils avaient faim de la Parole de Dieu, et ils se
plaçaient devant lui pour écouter cette divine Parole. Aussi la
vérité n'eut-elle pas de peine à se faire jour dans leur âme.
10:
34-43
§ 1181. Pierre leur en fit l'exposition avec
sa manière à la fois simple et énergique. Au premier abord, ce
nouveau discours semble entièrement calqué sur les précédents;
mais un examen attentif y fait voir au contraire des différences
considérables, et de ces différences qui constatent l'authenticité
d'un récit. Il commence par exprimer ses convictions actuelles sur
les intentions de la miséricorde divine envers les païens. Il lui
est maintenant démontré, non pas qu'un honnête païen sera sauvé
par son honnêteté tout en demeurant éloigné du Sauveur, mais que
le moment était venu où le Seigneur voulait se former un peuple
parmi les gentils, et il voyait la preuve de cela dans les saintes
dispositions qu'il avait mises au cœur de Corneille, pour le
préparer à recevoir Jésus-Christ. Si d'ailleurs les promesses ont
été faites aux fils d'Israël en premier lieu, Jésus, Fils de Dieu,
ne laisse pas d'être le Seigneur de tous.
§ 1182. C'est de ce Jésus que Pierre devait entretenir son auditoire; mais, tandis qu'à Jérusalem il s'était borné à parler de sa résurrection et de sa seconde venue, le reste étant généralement connu, ici, nous le voyons reprendre en résumé toute l'histoire du Sauveur, depuis son baptême par Jean jusqu'à son relèvement d'entre les morts, n'oubliant pas d'annoncer son futur retour pour juger le monde et proclamant surtout le pardon des péchés par la foi en son nom. C'était le point essentiel, alors comme aujourd'hui. Corneille et ses amis, encore que pieux et bienfaisants, avaient besoin d'être sauvés. Il en avait été ainsi de Zachée, du capitaine de Capernaüm et de tant d'autres non moins bien disposés.
10:
44-48
§ 1183. Voilà sans doute ce que Pierre allait
exprimer, lorsqu'il fut interrompu (Ch. XI, v. 15) par un
événement auquel nul d'entre eux ne s'attendait. Après que le
Saint-Esprit eut dit par la bouche de Pierre: «Tout homme qui
croit en lui, reçoit le pardon des péchés par son nom,» cet Esprit
de grâce et de lumière descendit sur tous ceux qui écoutaient Dieu
de si bon cœur. Il fut sur eux, comme il est encore de nos jours
sur quiconque écoute avec sérieux une prédication fidèle, mais il
y eut de plus l'effusion miraculeuse des dons surnaturels
qu'obtenait, en ces premiers temps, la foi des élus. Cela se fit
avant qu'ils fussent baptisés et sans que Pierre leur eût imposé
les mains; par où Dieu voulut montrer clairement, que le don de sa
grâce n'est pas comme fatalement lié aux actes qui en sont les
signes et quelquefois les sceaux. Il fallait d'ailleurs qu'on ne
pût faire aucune objection contre l'introduction immédiate de ces
étrangers dans l'Église du Seigneur. Pour cela, non seulement il
avait d'avance préparé leurs âmes, non seulement deux visions
étaient venues tracer la marche à suivre envers eux; mais encore
le Saint-Esprit se les approprie de manière à lever tous les
doutes. Aussi, Pierre répondant, semble-t-il, aux scrupules des
frères de Joppé dont il s'était fait accompagner et qui
éprouvaient un grand étonnement de ce qu'ils voyaient:
«Quelqu'un,» dit-il, «peut-il refuser l'eau pour baptiser ceux-ci,
qui ont reçu le Saint-Esprit aussi bien que nous?» En effet, il y
avait là une seconde Pentecôte, la Pentecôte des nations païennes,
après celle de la nation juive à Jérusalem; et c'est du baptême
administré ce jour même à Corneille et aux siens, qu'est sorti,
pour ainsi dire, le baptême administré dès lors à tant de millions
de chrétiens d'entre la gentilité. Hélas! si nos pères et nous,
nous avons tous été baptisés dans le nom de Jésus comme Corneille,
pouvons-nous dire que tous aient été, comme lui, baptisés du
Saint-Esprit (§ 127)?
11:
1-18
§ 1184. Après avoir passé quelques jours à
Césarée auprès de l'heureux Corneille, Pierre remonta à Jérusalem,
où il s'attendait bien que sa conduite rencontrerait des
contradicteurs, car il prit avec lui les six frères qui l'avaient
accompagné et au témoignage desquels il voulait se référer, comme
on le voit par le verset 12. En effet, on ne manqua pas de lui
faire un crime de ses relations avec des incirconcis, suivant le
bruit qui en était venu jusqu'à eux. On ne parlait pas même du
baptême qui leur avait été administré, soit qu'on le tînt pour
nul, vu les circonstances, soit qu'on ne le crût pas capable
d'effacer la souillure de l'incirconcision. Vous voyez combien
l'esprit juif était tenace chez ces frères de Jérusalem, et
quelles vues étroites cet esprit leur faisait apporter aux choses
de l'Évangile. Pierre donc, naguère tout semblable à eux, leur
raconte de point en point ce qui s'était passé; il leur montre
dans l'événement qui causait leur surprise, l'accomplissement
d'une des dernières paroles de Jésus (Ch. I, 5); et il finit en
leur représentant le péché dont il se serait rendu coupable, s'il
avait refusé d'entrer dans les vues de Dieu. Ce nouveau discours
ne fut pas moins béni que le précédent; car, non seulement les
frères de Jérusalem prirent leur parti de ne plus posséder un
droit exclusif à la grâce de Dieu, en tant que Juifs, mais encore
ils se réjouirent de ce que Dieu donnait aussi la conversion aux
Gentils, pour qu'ils eussent la vie. Oui, c'est Dieu qui donne la
conversion à ceux qu'il veut sauver, et comment ne pas le
glorifier lorsqu'il manifeste sa grâce envers les pécheurs, bien
plus encore peut-être lorsqu'il s'agit de pécheurs que nous en
jugeons indignes!
CCLXXVIII. L'Église helléniste d'Antioche; second voyage de Saul à Jérusalem; supplice de Jaques, un des apôtres; nouvel emprisonnement de Pierre et mort soudaine d'Hérode-Agrippa.
11:
19-21
§ 1185. L'historien sacré, reprenant son récit
où il l'avait laissé (§ 1160), nous apprend que les disciples
chassés de Jérusalem après la mort d'Étienne, ne s'étaient pas
bornés à prêcher l'Évangile dans la Judée, la Samarie et la
Galilée, mais qu'ils l'avaient porté jusque dans les contrées
païennes de la Phénicie, au nord de Césarée, puis dans l'île de
Chypre et à Antioche, XI ville considérable de Syrie (maintenant
Antakiéh) près de la côte occidentale de la mer Méditerranée, en
face à peu près de l'île de Chypre. Mais comme cela se passait
avant la conversion de Corneille et des siens, ils n'avaient garde
de s'adresser aux Gentils; les Juifs seuls leur semblaient appelés
au salut. Cependant, au nombre de ceux avec lesquels ils entrèrent
en relations, parce qu'ils étaient d'origine juive, se trouvèrent
un certain nombre de ces Israëlites qu'on appelait Hellénistes (§
1131). Ce fut par eux surtout que la bonne nouvelle du salut fut
annoncée à Antioche. Située sur le fleuve Oronte, cette ville
était à six ou sept lieues de la mer. Les Juifs y jouissaient de
privilèges égaux à ceux des Grecs, et leur situation y était très
florissante. Ce fut là que se fonda la première église
essentiellement composée de Juifs parlant le grec, intermédiaire
préparé par le Seigneur entre les églises de la Judée et celles
qui allaient bientôt se former chez les Grecs proprement dits, ou
autrement chez les païens. «La main de Jésus fut avec ceux qui y
prêchèrent les premiers l’Évangile, Cypriens et Cyrénéens, en
sorte qu'un grand nombre de Juifs hellénistes ayant cru, se
tournèrent vers le Seigneur.» Ce furent donc des Juifs originaires
des côtes de l'Afrique et d'une île fameuse par les impuretés de
son idolâtrie, qui devinrent ainsi les fondateurs de l'une des
plus illustres églises de l'antiquité! Les voies de Dieu sont
vraiment admirables.
§ 1186. Bien que les frères de Jérusalem ne se rendissent pas compte de l'immense portée du mouvement dont Antioche était le théâtre, ils montrèrent l'intérêt qu'ils y prenaient en y députant Barnabas. Barnabas, de l’île de Chypre et par conséquent helléniste (§1118); Barnabas, «homme bon et rempli d'Esprit saint et de foi, qualifié plus que personne pour une telle mission. Quelle joie ne dut pas éprouver ce respectable serviteur de Dieu, en voyant les effets de la grâce divine sur ces nouveaux frères! Aussi ne cessait-il de les exhorter à demeurer attachés au Seigneur avec décision de cœur. Ce ne sont donc pas seulement les pécheurs non convertis qui ont besoin d'exhortations. Il semble qu'une fois au Seigneur, on ne devrait plus vouloir autre chose que sa grâce; mais Satan attaque les fidèles de tant de façons, qu'il est besoin de les solliciter à demeurer fidèles et à déployer une grande décision dans la profession de leur foi. C'est là-dessus que bien des gens, même pieux, ne sont que trop souvent en défaut; toutefois, dans l'œuvre de notre salut, du commencement à la fin, rien n’est plus indispensable que la résolution, la fermeté, le courage (§§ 424 , 818).
11:
25,
26
§ 1187. Barnabas, qui, en allant à Antioche,
avait dû passer par Césarée, et qui peut-être avait été surpris de
ne pas y trouver Saul (Ch. IX, v. 30), poussa jusqu'à Tarse,
capitale de la province limitrophe, d'où il ramena Saul à
Antioche. Il sentait que la place de ce jeune docteur était dans
cette jeune église, et la suite prouva qu'il avait été réellement
conduit par le Seigneur. Pendant toute une année, Barnabas et Saul
firent partie de l'église d'Antioche; leurs enseignements
attirèrent beaucoup de monde et portèrent de grands fruits, non
seulement parmi les Juifs hellénistes, mais aussi probablement
parmi les païens. Jusqu'à ce moment, les assemblées des disciples
de Jésus n'avaient pas été distinguées par le public d'avec les
synagogues des Juifs. Le monde, qui, autant qu'il le peut, demeure
indifférent aux idées religieuses, ne put plus ignorer ce qui se
passait. Une nouvelle doctrine était prêchée et se propageait; un
nouveau peuple se formait. C'était assez semblable au judaïsme,
mais il y avait évidemment autre chose: à l'autorité de Moïse
succédait celle de quelqu'un qu'on appelait le Christ. Alors,
comme toujours, on s'empressa d'assigner un nom à cette nouveauté
et, si ce ne fut pas celui de christianisme, on désigna du moins
par le nom de «chrétiens» ceux qui s'y rattachaient. Quelques
personnes pensent que ce furent les disciples qui se donnèrent ce
titre; mais, sans entrer en discussion sur un point de peu
d'importance au fond et qui pourra s'éclaircir dans la suite de
ces Études, nous avons vu précédemment de quelle manière ils se
désignaient. C'est sous le nom de «frères» qu'ils s'adressaient la
parole, sous ceux de «disciples» et de «saints» qu'ils parlaient
les uns des autres et que le Seigneur lui-même les nommait;
quelquefois on disait: «ceux qui croient,» ceux qui invoquent le
nom du Seigneur, «ceux qui suivent le Chemin.» Quant au nom de
«chrétiens,» ou de sectateurs du Christ, nom honorable maintenant,
malgré l'abus qu'on en fait, il me paraît probable que, dans
l'origine, ce fut un terme de mépris de la part du monde. Quoi
qu'il en soit, il fut un temps où il suffisait de revendiquer ou
d'accepter ce titre pour être envoyé au supplice, et ainsi
s'accomplit une des prophéties les plus remarquables de notre
Seigneur (§ 404).
11:
27-30
§ 1188. Pendant que Barnabas et Saul
multipliaient leurs travaux à Antioche, il y arriva de Jérusalem
des prophètes, dont l'un, nommé Agabus, avait, paraît-il, pour
mission de prédire une famine qui s'étendrait au loin. Or, soit
parce que la disette se faisait toujours sentir en Canaan plus que
nulle part, comme on peut s'en souvenir, soit parce que la
générosité, peut-être excessive, des fidèles de Jérusalem envers
leurs pauvres, avait appauvri la communauté tout entière, on pensa
de suite à la détresse où se trouveraient les frères de Judée. La
famine fut annoncée comme imminente, car les chrétiens d'Antioche
s'empressèrent de faire une collecte, à laquelle chacun prit part
selon ses facultés; ils en envoyèrent le produit par Barnabas et
par Saul (§ 316), et ceux-ci le remirent entre les mains des
anciens de l'église de Jérusalem, c'est-à-dire des frères qui
dirigeaient cette église et qui portaient le même nom que les
chefs des synagogues juives. Ce fut le second voyage que Saul fit
à Jérusalem depuis sa conversion (§ 1168). La famine prédite par
Agabus eut lieu sous le règne de Claude-César, qui, l'an 41, avait
succédé à Caïus Caligula, lui-même successeur de Tibère, comme je
l'ai dit ailleurs (§ 1169). Il suit de là, que, sans pouvoir
assigner à ce second voyage de Saul une date certaine, il dût
avoir lieu cinq ou six ans après sa conversion; donc, deux ou
trois ans après son premier voyage. Mais ce qui est plus
intéressant qu'une donnée chronologique, c'est la preuve que ce
récit nous fournit de la fraternité qui existait entre tous les
serviteurs de Jésus. Il est évident qu'ils s'envisageaient comme
ne faisant qu'un seul et même corps, dont aucun membre ne peut
souffrir, que le corps tout entier ne souffre; bel exemple donné
par «les chrétiens» d'Antioche aux chrétiens de tous les temps.
12:
1-2
§ 1189. À la famine succédèrent de nouvelles
persécutions contre les frères de Jérusalem. La Judée, qui, depuis
Archelaüs, fils d'Hérode-le-Grand, avait cessé d'être sous le joug
de l'odieuse famille des Hérode, s'y était vue replacée par la
volonté de l'empereur Claude. Aristobule, autre fils
d'Hérode-le-Grand, père d'Hérodias, l'indigne épouse de ses deux
oncles Philippe et Hérode Antipas (§ 496), Aristobule, dis-je, mis
à mort par son père l'an 6 de l'ère chrétienne, n'était jamais
monté sur le trône; mais il avait laissé, outre sa fille Hérodias,
un fils nommé Hérode et surnommé Agrippa, qui passa sa jeunesse à
Rome et s'y fit beaucoup d'amis en vivant dans le débordement.
Après la mort de Tibère, Caligula nomma cet Hérode roi de quelques
provinces voisines de la Judée, et, comme il se trouvait à Rome
lors de l'avènement de Claude, celui-ci lui rendit
l'administration royale des états de son grand-père. Mais ce
petit-fils du cruel Hérode-le-Grand et neveu du voluptueux
Hérode-Antipas, ne jouit pas longtemps d'une autorité qu'il ne
craignit pas de diriger contre les disciples de Jésus-Christ.
§ 1190. L'an 44 de l'ère chrétienne (ici la date paraît assez positive, d'après l'historien Josèphe), Hérode-Agrippa étant à Jérusalem, mit la main sur quelques membres de l'assemblée, pour les maltraiter. S'il poussa la violence jusqu'à en faire mourir plusieurs, c'est ce qu'on ignore; ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il fit décapiter Jaques, le frère de Jean. C'était lui que Jésus avait surtout honoré de sa confiance, avec son frère et avec Pierre (§ 919), lui qui avait fait à Jésus la demande ambitieuse qu'on n'a sans doute pas oubliée et à qui le Seigneur avait prophétisé le sort qui l'atteignait en ce moment (§ 751). Il le lui avait, dis-je, prophétisé, mais de telle sorte que nul n'aurait pu imaginer qu'il serait le premier en qui la prophétie se réaliserait, à moins qu'on ne se souvînt en même temps de la prédiction spéciale qui, prononcée plus tard, concernait son frère (§ 1035). Toujours est-il qu'il ne pouvait entrer dans les vues du Seigneur que les témoins de sa résurrection tombassent tous sous les premiers coups de leurs ennemis, et l'on ne saurait trop admirer de quelle haute protection il les avait environnés jusque là. Mais il était bon, d'un autre côté, et utile à la gloire de Dieu, que l'un d'entre eux, au moins, scellât de son sang la fidélité de leur témoignage à tous, et que ce sang, devenant une menace sur la tète des autres, le monde vît clairement que ces hommes étaient parfaitement convaincus de la résurrection de leur maître, convaincus jusqu'à donner leur vie, plutôt que de se rétracter. Or, ce fut Jaques qui eut l'insigne privilège d'ouvrir la liste des apôtres-martyrs; il reçut ainsi le baptême dont son maître avait été baptisé, et il acquit auprès de lui la place de distinction qu'il avait ambitionnée, mais en entendant d'abord la chose dans un tout autre sens.
12:
3-5
§ 1191. La manière dont Hérode était parvenu
au pouvoir, lui imposait la nécessité de capter par tous les
moyens possibles la faveur populaire. Cet homme sans conscience ne
se demanda pas s'il agissait selon la justice ou non. La tête de
Jaques, un des plus actifs et des plus zélés était tombée, aux
applaudissements de la populace de Jérusalem, toujours la même; il
n'en fallait pas davantage pour qu'Hérode cherchât quelqu'autre
victime, et le tour de Pierre parut enfin venu. Hérode le fit
mettre en prison sous forte garde, se réservant de donner au
peuple le spectacle de son supplice, quand la semaine des pains
sans levain serait passée et la pâque entièrement achevée. Seize
soldats répondaient de sa personne, et, après la fin lamentable de
Jaques, comment espérer que Pierre pût échapper au sort qui
l'attendait. Cependant, «une prière persévérante se faisait à Dieu
pour lui, par l'assemblée,» moins peut-être en vue d'une
délivrance impossible, que pour assurer au pauvre prisonnier les
consolations et la force d'en Haut. Ce n'étaient pas des prières
nombreuses, mais «une prière persévérante:» les frères,
pense-t-on, s'étaient entendus et organisés de manière qu'il y
eût, à toute heure du jour et de la nuit, quelques personnes
assemblées au nom de Jésus et réclamant l'effet de ses promesses
(897).
2:
6-11
§ 1192. Le dernier jour des pains sans levain
était expiré. Le soleil qui allait se lever, devait, selon l'ordre
impie d'Hérode, voir couler le sang de celui qui avait dit,
lorsqu'il était incapable d'un tel sacrifice: «Je donnerai ma vie
pour toi,» et qui maintenant laissait avec tant de calme le moment
fatal s'approcher. Lié à deux soldats par le moyen de deux
chaînes, il dormait paisiblement dans la prison, tandis que ses
frères priaient, montrant leur foi par l'ardeur de leurs
supplications, comme lui par la parfaite tranquillité de son âme.
Tout à coup, la prison est merveilleusement éclairée, Pierre se
sent frappé au côté, quelqu'un lui dit de se lever et de
s'habiller, les chaînes qui liaient ses mains se détachent, on
l'invite à sortir et il sort, les portes s'ouvrent les unes après
les autres devant lui et devant son libérateur mystérieux, il
arrive enfin dans la rue sans que rien de ce qui s'était passé eût
été vu et entendu par les soldats. Pierre lui-même avait obéi
machinalement et comme on le ferait dans un songe; aussi lui
semblait-il que tout cela n'était qu'une vision. Ce fut seulement
lorsqu'il sentit l'air extérieur lui rafraîchir le visage, et
qu'abandonné par l'ange du Seigneur, il se vit bien réellement au
milieu de la ville, qu'il comprit ce qui lui était arrivé.
Lui-même peut-être ne l'avait pas cru possible, après la mort de
Jaques, son cher collègue; d'ailleurs, il s'était probablement
endormi avec le doux souvenir de la parole de son bon maître:
«Toi, suis-moi,» et il s'attendait à un tout autre réveil (§1034).
2:
12-17
§ 1193. Mais où ira-t-il, à cette heure
avancée de la nuit? Après quelques instants de réflexion, Pierre
se dirige vers la maison d'une nommée Marie, dont nous verrons
bientôt le fils occupé à la prédication de l'Évangile, sainte
femme, qui montrait son zèle pour le Seigneur, en ouvrant sa
demeure aux assemblées des frères. Sans que Pierre pût savoir
qu'il y trouverait à ce moment une réunion de prières, il était
sûr d'être bien accueilli par Marie et par Jean-Marc son fils.
Voilà donc l'apôtre devant cette maison hospitalière, il heurte au
vestibule, et une jeune fille appelée Rose (c'est la traduction de
son nom grec), vient, timidement sans doute, s'informer qui fait
ce bruit. «C'est moi,» dit Pierre, et la jeune fille reconnaît une
voix qu'elle avait souvent entendue parlant des choses de Dieu.
Dans le trouble que lui cause un bonheur si inespéré, elle rentre
en courant, sans avoir ouvert la porte, et vient annoncer à
l'assemblée que Pierre est là, devant le vestibule. Insensée! lui
dit-on; et comme elle insistait: «Non, ce ne peut être lui,»
dirent quelques-uns; «c'est son ange.» Pierre, cependant,
continuait à heurter, jusqu'à ce qu'on vînt enfin lui ouvrir. Or,
même après l'avoir vu, ils ne revenaient pas de leur étonnement,
si peu ils s'attendaient à quelque chose de pareil. L'agitation
fut grande parmi les frères, et comme chacun sans doute adressait
des questions à l'apôtre, il leur imposa silence par un signe de
la main; puis il leur raconta comment sa délivrance s'était
opérée, les priant d'en donner promptement avis aux frères et à
Jaques avant tout. Ce Jacques était le frère de notre Seigneur, un
des principaux témoins de sa résurrection (§1046), lequel, sans
être apôtre, occupait une place éminente, on croit la première,
parmi les anciens de l'église de Jérusalem.
§ 1194. On ne saurait lire le récit que je viens à la fois de résumer et de développer, sans être frappé de la simplicité naïve avec laquelle tous les faits y sont offerts à notre attention, même les plus simples, parce que tous ont leur importance. On y voit si bien, par exemple, que, dans ce temps de miracles, les fidèles ne réglaient pas plus leur conduite là-dessus, que nous ne devons le faire de nos jours. Nous y voyons aussi que, malgré les lumières extraordinaires répandues par le Seigneur sur son Église, il se retrouvait chez plusieurs des restes d'anciennes opinions, qui, pour n'être pas incompatibles avec la vraie foi, n'en étaient pas moins des erreurs. Quand les apôtres avaient revu Jésus après sa résurrection, ils avaient cru que c'était un esprit; cette fois, les amis de Pierre pensent que c'est son ange, et non pas lui, qui vient de frapper à la porte. Sans doute qu'il existe des anges au ciel et que ces anges ne demeurent pas étrangers à ce qui se fait sur la terre: toute la Bible nous l'atteste; mais que chacun de nous ait son ange gardien, comme le pensent quelques personnes, ou que chaque fidèle ait auprès de Dieu un ange qui lui ressemble, ce que paraissaient croire les Juifs, c'est ce qui ne peut s'établir par la Parole de Dieu, pas même par un passage dont nous avons dû nous occuper précédemment, et qui pourrait seul autoriser cette idée (§ 558).
§ 1195. Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans l'histoire qui nous occupe, c'est la délivrance même de Pierre, non pas tant par ce qu'elle eut de miraculeux, que par le jour qu'elle jette sur les voies du Seigneur. Il voulut montrer que si Jaques avait succombé, ce n'était pas qu'il n'eût pu le délivrer aussi. Or, l'histoire de l'Église a, dans tous les siècles, présenté des événements analogues. Il est bon pour la gloire de Dieu que ses enfants souffrent et quelquefois même qu'ils succombent; mais il est nécessaire aussi pour l'affermissement des faibles et pour l'instruction du monde, que le divin chef de l'Église la protège avec éclat contre ses puissants ennemis; protection qui ne se borne pas toujours à la délivrance des fidèles, mais qui va jusqu'au châtiment de leurs persécuteurs, comme on le voit par l'histoire d'Hérode.
2:
18-23
§ 1196. Après que ce prince eut déchargé sur
les gardes son impuissante fureur, il quitta Jérusalem pour
Césarée, ville de luxe et de plaisirs, dont le séjour devait lui
plaire plus que celui de la cité sainte et sérieuse. D'ailleurs,
il se rapprochait ainsi de la Phénicie, avec laquelle il était en
différend. Sans rapporter ce fait et l'ambassade qui s'y rattache,
Josèphe raconte néanmoins que, dans une assemblée publique, Hérode
parut devant le peuple, vêtu d'une robe de drap d'argent, dont
l'éclat, au soleil, était si vif qu'on ne pouvait le regarder. Il
nous dit aussi que ses courtisans le proclamèrent dieu et que,
frappé dans son orgueil, ce prince fut enlevé subitement par une
maladie affreuse. Les détails dans lesquels entre l'écrivain
sacré, plus précis que ceux de l'historien juif, sont certainement
aussi plus exacts. Au surplus, qu'on prenne le récit où l'on
voudra, il demeure vrai qu'Hérode, le meurtrier de Jaques, fut
frappé par la main de Dieu, d'une manière tellement XII manifeste
que nul ne put le méconnaître. Mais ce rapprochement entre la mort
du roi et celle de l'apôtre, il est à remarquer que le
Saint-Esprit ne le fait point lui-même. Hérode avait sans doute
commis un horrible crime en décapitant un ministre du Seigneur;
son vrai crime toutefois, fut l'impiété, l'orgueil, la méchanceté
de son âme et la corruption de ses mœurs. Sa haine pour les
prédicateurs et les disciples de l'Évangile venait de là, et telle
fut, en définitive, la cause de sa ruine. Or, envisagée de la
sorte, son histoire que trop, hélas I l'histoire de tous les
persécuteurs.
CCLXXIX. Paul en Chypre et à Antioche de Pisidie. — Premier voyage missionnaire de cet apôtre; extension considérable du règne de Dieu.
12:
24
§ 1197. Tandis que Dieu montrait par la
terrible mort d'Hérode, la vanité et le néant des grandeurs
terrestres, sa Parole croissait et se multipliait, malgré
l'opposition violente des adversaires: elle croissait en clarté,
les événements de chaque jour venant confirmer les vérités qu'elle
proclame; elle acquérait une force toujours plus grande sur ceux
qui la recevaient, et, par leur moyen, elle se multipliait en
quelque sorte, chaque fidèle devenant un prédicateur de
l'Évangile. «Les cieux et la terre passeront,» avait dit notre
Seigneur, «mais mes paroles ne passeront point:» il avait dit
aussi que les portes de l'enfer ne triompheraient pas de son
assemblée (§§ 821, 536).
12:
25
§ 1198. Est-ce que Barnabas et Saul, ces deux
députés de l'église d'Antioche (§ 1188), se trouvaient à Jérusalem
à l'époque de la mort de Jaques et de l'emprisonnement de Pierre?
Dans ce cas, ces événements solennels durent être pour eux d'une
grande instruction. Mais il se pourrait que les faits racontés
dans le chapitre douzième se fussent passés avant leur arrivée.
Quoi qu'il en soit, nous avons ici la suite du récit interrompu à
la fin du chapitre précédent. Après avoir remis le produit de leur
collecte, Barnabas et Saul repartirent de Jérusalem emmenant avec
eux le disciple Jean, surnommé Marc. Nous verrons ailleurs qu'il
était cousin de Barnabas, comme nous avons vu tout à l'heure,
qu'il était fils de cette Marie dans la maison de laquelle Pierre
se réfugia, la nuit de sa délivrance. Marc, nom sous lequel il est
le plus souvent désigné, Marc était donc habitant de Jérusalem. La
tradition le désigne comme celui qui, le soir que notre Seigneur
fut livré, s'élança de son lit et courut à la rue au moment où
Jésus passait; elle prétend même qu'il faut voir en lui le jeune
magistrat qui vint demander au Seigneur ce qu'il fallait faire
pour hériter de la vie éternelle et que le Seigneur aima (§§ 929 ,
742). Dans tous les cas on ne saurait douter, sur le témoignage
universel de l'Église, qu'il ne soit l'auteur de l'Évangile qui
porte son nom, et il fallait bien qu'il fût remarquable par les
dons du Saint-Esprit, pour que Barnabas et Saul en fissent leur
collègue.
13:
1-3
§ 1199. Tout semble attester qu'à cette
époque, l'église d'Antioche était la plus considérable des
églises, après celle de Jérusalem. Si celle-ci continuait à se
voir favorisée de la présence des apôtres, l'église d'Antioche
comptait dans son sein plusieurs prophètes et docteurs dont
l'historien sacré nous donne les noms. À leur tête était le
vénérable Barnabas; parmi eux, un homme qui avait été camarade
d'études du roi Hérode, et Saul, nommé le dernier. Ils servaient
le Seigneur dans le ministère de la Parole, enseignant, exhortant,
consolant, fortifiant l'Église par les discours que leur donnait
le Saint-Esprit; puis, il nous est dit qu'ils jeûnaient, non du
jeûne hypocrite des pharisiens, c'est bien clair, ni même du jeûne
encore plus ou moins judaïque des disciples de Jean-Baptiste, mais
du jeûne spirituel que notre Seigneur avait présenté à ses
interlocuteurs comme l'acte de la piété la plus élevée (§§ 320,
382). Il fallait qu'une grande idée les préoccupât, et c'était
probablement celle du futur départ de quelques-uns d'entre eux.
Ils sentaient que leur devoir était de ne pas demeurer enfermés à
Antioche. Sous cette impression, qui leur venait d'en Haut, ils
priaient et jeûnaient, demandant sans doute au Seigneur de tracer
leur chemin et de désigner ceux qu'il lui convenait d'envoyer
parmi les nations. Comprenaient-ils alors qu'il entrait dans les
vues du Seigneur de ne pas remettre à l'un des douze cette
mission, afin qu'on ne crût pas que l'évangélisation du monde ne
pouvait se faire sans eux? c’est ce que nous ignorons. Quoi qu'il
en soit, l'événement prouva qu'en effet, lorsque Jésus avait
ordonné aux douze d'aller et d'enseigner toutes les nations (§
1037), il n'entendait pas que nul autre ne pût remplir ce glorieux
ministère, tout comme il est certain que ce ministère n'a pas
cessé avec les temps apostoliques.
§ 1200. Le Saint-Esprit fit donc connaître aux docteurs d'Antioche qu'il avait choisi pour cette œuvre Barnabas et Saul, le premier et le dernier de la liste des docteurs. Il voulut de plus qu'à leur mission divine proprement dite, s'ajouta une mission de la part de leurs frères. Ceux-ci durent mettre à part Barnabas et Saul ou les désigner comme les élus du Seigneur, puis leur imposer les mains dans une réunion de prières et de jeûne; après quoi, ils leur donnèrent congé. Ce fut à cette heure, pour bien dire, que Saul fut appelé à l'apostolat; ce mot voulant dire mission, comme celui d'apôtre signifie envoyé (§ 399). Appelé par le Seigneur Jésus lui-même, sur le chemin de Damas; compté dès lors au nombre des docteurs par les frères, comme il l'était auparavant par les pharisiens, il prend maintenant sa place définitive entre les apôtres, recevant pour la seconde fois l'imposition des mains, signe de sa vocation divine et de la transmission de sa nouvelle charge (§ 1165). Le Seigneur voulut donc que l'Église intervînt ici comme lorsqu'il s'était agi de remplacer Judas (§1077). Tout, dans l'Église, doit se faire par l'Église elle-même ou par ses représentants, selon le mandat que lui en a confié le Seigneur (§ 710). Et ce n'est pas exclure le Saint-Esprit; car, au contraire, plus nous serons fidèles à ses propres institutions, plus nous serons sûrs que nos pensées sont conformes aux siennes. Cette participation de l'Église ou de ses conducteurs à des actes qui sembleraient devoir appartenir entièrement à Dieu, se retrouve déjà dans l'Ancien Testament (I, § 987); et si, d'ailleurs, Dieu se sert d'instruments pour amener les âmes à sa connaissance, est-il bien étonnant qu'il s'en serve aussi pour les gouverner? C'est par le moyen de Barnabas et de Saul, que le Saint-Esprit allait convertir une foule de pécheurs; c'est aussi par le moyen des docteurs d'Antioche, que ce même Esprit les envoya porter au loin l'Évangile de sa grâce. Et de nos jours, un homme, tant pieux soit-il, qui va de son propre mouvement évangéliser un pays, est-il plus sûr d'obéir au Saint-Esprit, que si, après beaucoup de prières, il est envoyé par une église fidèle?
13:
4-5
§ 1201. Ainsi donc, missionnaires de par le
Saint-Esprit, Barnabas et Saul quittèrent leurs frères d'Antioche,
et ils n'eurent pas besoin d'aller bien loin pour trouver de
l'occupation. Des âmes à sauver! qui n'en a près de soi? D'abord,
ils se rendirent à Séleucie, port de mer le plus rapproché
d'Antioche, d'où ils gagnèrent l'île de Chypre, voisine de cette
côte et patrie de Barnabas, comme nous l'avons vu (§ 1118).
Débarqués à Salamine, sur la côte orientale, en face de l'Asie,
ils annoncèrent la Parole de Dieu aux Juifs de la localité, et
Jean, c'est-à-dire Marc, les assistait dans leur ministère.
13:
6-7
§ 1202. Par l'arrivée de Barnabas et de Saul
dans l'île de Chypre, la prédication de l'Évangile fut, à notre
connaissance, portée, pour la première fois, hors du continent
asiatique, s'éloignant ainsi toujours plus de la terre sainte et
attaquant de plus près les contrées où régnait le paganisme. La
grande et belle île de Chypre était fameuse en particulier par le
culte qu'on y rendait aux divinités à la fois si poétiques et si
impures de la Grèce. Vénus y avait plusieurs temples, et aucune
plume chrétienne ne saurait se résoudre à retracer les fêtes
voluptueuses par lesquelles on honorait cette déesse, l'Astarté
des anciens Cananéens. Les apôtres ayant traversé l'île d'occident
en orient, arrivèrent à Paphos, non sans avoir eu mainte occasion
de déplorer le spectacle d'une si grande corruption, sous un si
beau ciel et au sein d'une si belle nature. Paphos était la
résidence du proconsul ou gouverneur romain, Sergius Paulus. Il
paraît que cet homme avait des besoins religieux, et c'est
probablement pour cela qu'il recherchait la société d'un Juif qui,
se donnant pour prophète, exerçait la magie à la manière de Simon
le Samaritain (§ 1149). Ce fut par la même raison qu'il fit
appeler Barnabas et Saul, désirant entendre de leur bouche la
Parole de Dieu. Ceci, pour le dire en passant, prouve que la
prédication des deux missionnaires avait porté quelques fruits, ou
que du moins elle avait eu du retentissement.
13:
8-11
§ 1203. Mais Bar-Jésus, autrement dit Elymas,
se mit en opposition directe avec les ministres du Dieu vivant.
Plus le proconsul se montrait ébranlé, plus il s'efforçait de le
détourner de la foi; et, comme il ne pouvait le faire sans
blasphémer, le Saint-Esprit revêtit à cette heure même le plus
jeune des apôtres d'une puissance de parole et d'œuvre qui devait
confondre l'imposture et punir la méchanceté du magicien. C'est un
terrible crime que de résister à Dieu; mais le crime est encore
plus affreux lorsque, non content de repousser pour soi les appels
de la vérité, l'on s'efforce d'empêcher les âmes de se convertir.
Tel fut le péché d'Elymas, et l'on conçoit sans peine la sévérité
de Dieu à son égard. Mais avec quelle émotion l'apôtre de
Jésus-Christ ne dut-il pas prononcer une sentence qui lui
rappelait si vivement sa propre histoire. N'avait-il pas aussi
fait la guerre à Dieu? N'avait-il pas été, lui aussi, frappé
momentanément de cécité, en punition de son crime? Oh! comme il
dut prier intérieurement, pour que le malheureux Bar-Jésus
éprouvât, à son tour, les effets tout-puissants de la grâce du
Seigneur!
13:
12
§ 1204. L'historien sacré ne nous disant pas
ce que devint plus tard le méchant Elymas, il est à craindre,
hélas! qu'il n'ait persisté dans son aveuglement moral, même après
avoir été guéri de sa cécité. Mais le proconsul, témoin du miracle
et frappé de la doctrine du Seigneur, y soumit son cœur, et ce fut
une conquête importante pour l'Évangile. Ce n'est pas que l'âme
d'un grand de la terre soit plus précieuse que celle du pauvre et
du chétif, ni qu'à cette époque, les prédicateurs de l'Évangile
eussent la malheureuse, pour ne pas dire la coupable pensée de
s'appuyer sur le bras de l'autorité. Mais il demeure vrai que les
gouverneurs des peuples sont fréquemment ceux chez qui la vérité
pénètre avec le plus de peine, et il n'est pas indifférent pour
les progrès du règne de Dieu qu'ils soient animés de bon vouloir
envers le Seigneur. À ces deux égards la conversion de Serge-Paul
fut un événement assez considérable pour que l'auteur sacré ait dû
l'enregistrer dans son livre. D'autant plus que ce fut à cette
occasion qu'il plut au Seigneur de révéler par des faits, et non
plus seulement par des paroles (§ 1164), la grandeur future de son
serviteur Saul, j'entends l'énergie qu'il déploierait dans son
ministère et les succès dont son travail serait couronné. C'est
aussi à partir de ce moment qu'il est parlé de lui plus que de
tout autre, et que son nom est habituellement placé avant celui de
Barnabas, tandis qu'auparavant c'était le contraire. On a remarqué
en outre que, dès ce moment aussi, l'historien sacré ne l'appelle
plus que Paul, au lieu de Saul. Quelques-uns pensent que l'apôtre
prit ce nouveau nom en mémoire de la conversion du proconsul,
comme s'il eût voulu s'en faire un trophée; mais le nom de Paul
étant, dans la forme grecque, un mot tout semblable au nom hébreu
Saul, ou Saoul, il est plus probable que l'apôtre se désigna de la
sorte, à raison simplement de ce que, dès ce jour, son ministère
s'accomplit surtout parmi les païens et en des contrées où se
parlait universellement la langue grecque.
13:
13-15
§ 1205. En partant de Paphos et en naviguant
vers le nord, on atteint bientôt la portion du continent asiatique
appelée maintenant la Natolie, autrefois l'Asie Mineure ou même
simplement l'Asie. Là se trouvait, entre autres provinces, d'abord
la Cilicie, patrie de Paul, directement au nord de l'île de
Chypre; à l’ouest, la Pamphylie, et au nord de celle-ci la Pisidie
: la Lycaonie était encore plus au nord. De Paphos, où ils
demeurèrent on ne sait combien de temps, et sans visiter cette
fois la Cilicie, Paul, Barnabas et Marc passèrent en Pamphylie,
dont Perge était une des principales villes. Après y avoir sans
doute annoncé l'Évangile, ils en partirent pour la Pisidie où se
trouvait une ville nommée Antioche, comme la ville plus importante
de Syrie où ils avaient reçu leur mission. Cependant, Paul et
Barnabas avaient perdu à Perge leur compagnon d'œuvre. Marc,
cédant peut-être à quelque découragement, était retourné à
Jérusalem. Ils n'en poursuivirent pas moins leur carrière avec une
grande résolution. Dès le premier sabbat, ils se rendirent dans la
congrégation des Juifs établis en cette ville païenne; et, quand
on eut achevé les lectures ordinaires de la Parole de Dieu, les
chefs de la congrégation, anciens ou évêques, c'est ainsi qu'on
les appelait, les firent inviter à prendre la parole, s'ils
avaient quelques exhortations à adresser à l'assemblée. Soit que
la réputation de Paul et de Barnabas les eût précédés, soit qu'on
sût simplement que c'étaient des docteurs venus de Jérusalem, il
était fort naturel qu'on désirât de les entendre. Ce fut alors que
Paul prononça le premier de ses discours qui nous aient été
conservés.
13:
16-41
§ 1206. Avant de l'étudier, je dois à mes
lecteurs une explication sur la différence qui existe entre les
données chronologiques que nous avons ici, et celles que la Bible
nous a fournies ailleurs (I, § 1044; II, XIII §§ 642, 1372). Si
l'on ajoute les dates indiquées par Paul: 40 ans dans le désert,
450 ans pour le temps des 21 Juges et 40 ans pour le règne de
Saül, on obtient 530 ans depuis la sortie d'Égypte jusqu'à David,
ce qui ferait environ 580 ans jusqu'à la construction du temple de
Salomon; tandis que cette période n'est que de 480 ans (II, §
645), sans compter que Saül ne régna réellement pas quarante ans.
Or, même en faisant abstraction des lumières que Paul tenait du
Saint-Esprit, il est manifeste que ce docteur, instruit avec soin
dans la connaissance des Écritures, devait savoir aussi bien que
nous ce qui est dit au premier livre des Rois sur l'époque où
Salomon consacra le temple qui faisait la gloire et, en quelque
sorte, la religion des Juifs. Il est donc impossible qu'il se soit
mis en contradiction avec le texte sacré, et il doit y avoir moyen
de lever la difficulté. — Il est des personnes qui pensent que
Paul, s'adressant à des Juifs de langue grecque, adopta la
chronologie introduite au milieu d'eux par la version des LXX,
bien que fautive; et l'on conçoit en effet que ce n'était pas le
lieu d'exciter une discussion sur un point d'une importance
tellement secondaire. Mais il est une autre manière d'expliquer la
chose. — Les mots: «pendant environ 450 ans,» du verset 20,
peuvent n'être qu'une parenthèse, placée même par plusieurs
manuscrits en tète du verset, le mot «pendant,» pouvant d'ailleurs
se supprimer. En sorte que ces 450 ans se rapporteraient, non à ce
qui suit, mais à ce qui précède, et il y a effectivement 450 ans
de la naissance d'Isaac, en qui Dieu élut les patriarches,
jusqu'au partage du pays de Canaan. Il se pourrait aussi que ces
450 ans dussent s'entendre du temps qui s'écoula depuis la sortie
d'Égypte, jusqu'au moment où David fut reconnu roi par les douze
tribus, intervalle qui est de 444 ans. Dans cette supposition, le
«après cela» du verset 20, se rattacherait à la circonstance
mentionnée dans les derniers mots du verset 17, point de
départ des délivrances subséquentes et type fondamental du salut
qui est en Jésus-Christ. — Quant aux «40 ans du verset 21,
ils peuvent s'entendre du gouvernement de Saül, joint à celui de
Samuel (de 1099 à 1056), temps de préparation, avant l'avènement
de David, comme les 40 ans du désert furent un temps de
préparation jusqu'à la conquête de Canaan. — Venons-en maintenant
au discours même de Paul.
13:
16-25
§ 1207. Après avoir fait signe de la main,
pour obtenir un silence de tout temps fort rare dans les
synagogues, et s'adressant à la fois aux Israëlites et aux hommes
pieux d'entre les nations, qui, amenés à la connaissance de Dieu,
lui rendaient un culte avec les Juifs, Paul commence par rappeler
ce qui est à la base de tout dans la doctrine du salut, savoir
l'élection de la grâce ou le choix que Dieu avait fait d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob pour se former un peuple particulier. Le
séjour de ce peuple en Égypte, sa délivrance de l'esclavage, la
conquête du pays de Canaan, la vocation de David au trône: tout
cela était le fruit de l'élection divine. De ce David, de ce
prophète-roi, de cet homme dont la mémoire était justement
révérée, devait sortir, selon la promesse, l'Élu par excellence,
Jésus-Christ, le Sauveur, à la grandeur duquel le fils de
Zacharie, autre homme digne de toute vénération, avait rendu un
éclatant témoignage, dans le temps qu'il prêchait au peuple
d'Israël un baptême de conversion.
13:
26-41
§ 1208. C'est donc à Jésus-Christ qu'aboutit
le plan de l'élection divine; en lui est le salut, et c'est ce
salut que Paul était chargé d'annoncer à ses auditeurs. Les
habitants de Jérusalem avaient rejeté le Christ et, en le
rejetant, ils n'en avaient accompli que plus merveilleusement les
prophéties. Bien qu’innocent, dit Paul, ils l'ont fait mourir par
les mains de Pilate; on l'a descendu de la croix et mis dans un
sépulcre, d'où il est sorti par la puissance de Dieu. Ses
disciples particuliers ont attesté ce fait devant tout le peuple,
et par là s'est réalisée la promesse que Dieu avait faite aux
pères, depuis Adam jusqu'à Malachie. Voici donc en quoi consiste
le salut: c'est que Jésus-Christ est mort sur la croix et qu'il a
repris la vie; c'est qu'il est le Fils de Dieu, le Saint de
l'Éternel; c'est qu'en lui toutes les saintes grâces de David sont
assurées; c'est que, par son moyen, le pardon des péchés est
annoncé: c'est enfin, que tout homme qui croit est justifié par
lui de toutes les choses dont on ne saurait être justifié par la
loi de Moïse. Cette œuvre de Dieu, ce grand salut, ne manque pas
de contempteurs; mais, selon la parole d'un prophète, elle n'en
est pas moins la grande merveille du Dieu fort. Malheur donc à qui
la méprise (Habac. I, 5)!
13:
16-41
§ 1209. Il n'y a dans ce discours rien de
brillant, rien de ce que les hommes appellent éloquence. Qu'est-ce
donc qui en fait la force? C'est qu'il est tout fondé sur les
Écritures; c'est qu'il proclame la vérité telle que Dieu l'a
faite; c'est, en d'autres termes, qu'il s'appuie tout entier sur
les promesses de Dieu et sur leur accomplissement; c'est enfin que
le Saint-Esprit, parlant par la bouche de Paul, y découvre
lui-même aux pécheurs les trésors de la grâce de Dieu. On peut
s'étonner à première vue que l'apôtre n'y fasse aucune mention de
sa conversion, fait éclatant qui prouvait autant que nul autre la
réalité de la résurrection de Jésus-Christ; mais il n'était pas
connu personnellement de ceux auxquels il s'adressait, et il
convenait bien mieux qu'il s'effaçât, pour en appeler au
témoignage des disciples qui avaient vécu avec Jésus. Du reste,
vous avez pu remarquer combien sa prédication est d'accord avec
celle de Pierre, non seulement quant au fond des choses, mais
encore quant à la manière de les présenter; accord d'autant plus
digne d'attention que Paul n'avait point été à l'école des autres
apôtres. C'est que l'Esprit qui inspirait Pierre, inspira Paul
également, non cependant sans confier à chacun sa mission
spéciale. Remarquez notamment en quels termes il exprime par la
bouche de l'ex-pharisien, et pour la première fois avec cette
netteté et sous cette formule, la doctrine la plus antipharisaïque
qu'on puisse imaginer. Déjà Moïse avait déclaré qu'Abraham crut à
l'Éternel, et que sa foi lui fut imputée à justice (I, § 291);
déjà le prophète Habacuc avait dit: «le juste par la foi vivra»
(II, § 1138); déjà notre Sauveur avait prononcé que le péager de
la parabole s'en retourna justifié, bien que pécheur (§§ 726,
727); déjà Pierre avait proclamé Jésus, Prince et Sauveur pour
donner la conversion et le pardon des péchés (§ 1126); mais il
appartenait à Paul de rassembler toutes ces données en disant:
«Sachez, hommes frères, que, par le moyen de Jésus, le pardon des
péchés vous est annoncé et que quiconque croit, est justifié par
lui de toutes les choses dont vous n'avez pu être justifiés par la
loi de Moïse.» C'est là ce qu'on appelle la doctrine de la
justification par la foi, et j'attendrai pour l'exposer dans tout
son jour, que la Parole de Dieu m'y conduise elle-même.
13:
42-43
§ 1210. La prédication de Paul, comme il
n'arrive que trop souvent, produisit moins d'effet sur ceux qui
semblaient le plus près du royaume de Dieu, que sur les hommes
qui, par leur naissance et leurs superstitions, en étaient le plus
éloignés. Les païens d'origine, auditeurs de l'apôtre, le
supplièrent, lui et son collègue, de leur parler des mêmes choses
le sabbat suivant; bon signe en vérité, lorsqu'on ne craint pas de
s'entendre répéter, et que Jésus est mort pour expier nos fautes
et qu'il est ressuscité afin que, par la foi en lui, nous soyons
justifiés devant Dieu. Cependant, il y eut aussi beaucoup de Juifs
et de prosélytes qui, mûs par une foi naissante, suivirent, dès ce
moment, Paul et Barnabas. Or, à sa naissance, comme plus tard, la
foi consiste toujours à saisir la grâce de Dieu, et c'est dans
cette grâce que les apôtres exhortaient leurs nouveaux disciples à
persévérer. O vous donc, mes lecteurs, croyez en la grâce du
Seigneur; et si vous y croyez déjà, tenez-vous-y fortement
attachés: c'est, en deux mots, tout l'Évangile.
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