Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ACTES DES APÔTRES.

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CCLXIX. Nouveaux détails sur le dernier entretien de Jésus avec ses disciples et sur son ascension; remplacement de Judas.


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§ 1070. Le livre des Actes, adressé à Théophile n'est que la continuation de l'Évangile de Luc. C'est encore un récit des choses que Jésus a faites (Jean XXI, 25), mais qu'il a faites par le ministère de ses serviteurs. Il renferme une période de trente années seulement; il ne parle que du plus petit nombre des apôtres, et il est loin d'épuiser tout ce qu'il y aurait eu à dire sur ceux mêmes dont il s'occupe le plus. On peut cependant l'envisager comme l'histoire de la conversion du monde, en ce sens qu'on y voit l'évangile prendre insensiblement possession des pays et des hommes les plus divers, s'établir d'abord dans la cité sainte où David et ses successeurs avaient eu leur trône, et passer de là dans la ville des Césars, capitale du quatrième empire prophétisé par Daniel (II, §§ 1254,1255). La fondation du royaume des cieux annoncé par les prophètes et par notre Seigneur Jésus-Christ, tel est donc le sujet du livre intitulé: LES ACTES DES APÔTRES.

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§ 1071. C'est de ce royaume, nous dit Luc, que le Seigneur avait occupé ses disciples, dans les diverses entrevues qu'il eut avec eux durant quarante jours depuis son relèvement d'entre les morts, instructions qui n'étaient pas entièrement nouvelles, mais qu'il accompagna, cette fois, d'ordres nouveaux (§ 1037). En même temps, une action particulière du Saint-Esprit commençait à leur faire comprendre comment les souffrances du Seigneur avaient dû être le point de départ de sa gloire et de son règne (§ 1020). Mais cet Esprit d'intelligence, que Jésus leur infusait tout en leur révélant de vive voix sa pensée, n'était que les arrhes de l'onction plus abondante qu'ils avaient à en recevoir bientôt (Luc XXIV, 49), selon la parole du fils de Zacharie (Matth. III, 11).

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§ 1072. Après ce court résumé, Luc reprend le récit de la dernière apparition de notre Seigneur (§ 1047), pour raconter plus en détail les merveilles de son ascension et nous transmettre, du moins en partie, l'entretien qu'il eut alors avec ses disciples. Ceux-ci, pressentant l'heure de la séparation, demandèrent au Seigneur si le temps était venu «où il rétablirait le royaume pour Israël.» On a cru retrouver dans cette question l'esprit charnel des disciples, comme s'ils avaient pu méconnaître encore la nature spirituelle I du royaume des cieux. Mais il se peut aussi que, faisant très bien la distinction qui existe entre le royaume des cieux proprement dit et le rétablissement d'Israël, ils s'informassent, et quoi de plus naturel! s'ils verraient de leurs yeux la réalisation des prophéties relatives à ce rétablissement. Aussi le Seigneur ne leur reprocha-t-il point d'être dans l'erreur sur le fond même de la question. Oui, semble-t-il leur dire, «il y aura un rétablissement, un royaume pour Israël; vous faites bien d'y croire et de l'espérer; mais quant au temps et aux moments, le Père se les est réservés, et puisqu'il ne les a pas révélés clairement dans sa Parole, vous devez consentir à les ignorer.» Ce n'était pas là, d'ailleurs, ce qui devait le plus préoccuper les apôtres. L'établissement du royaume des cieux marchait avant le rétablissement d'Israël. Attester en tous lieux la résurrection de Jésus-Christ, et, à cet effet, recevoir du Saint-Esprit une puissance divine, voilà ce qui, pour l'heure, était l'essentiel.

§ 1073. Cette réponse de notre Seigneur doit être prise en sérieuse considération par les chrétiens qui, de nos jours, s'enquièrent avec une nouvelle sollicitude des temps fixés, non seulement pour la restauration d'Israël, mais encore pour l'accomplissement de toutes les prophéties qui s'y rattachent. Je suis loin de blâmer les recherches auxquelles des cœurs pieux se livrent sur ce sujet; mais ce qu'il me paraît nécessaire de rappeler, c'est, d'un côté, que, malgré les indications qui nous sont fournies là-dessus par les Écritures, la chronologie des prophéties non accomplies ne saurait s'établir avec une parfaite certitude (II, §§ 1094, 1245); et, d'un autre côté, que ces recherches ne doivent jamais nous détourner de notre devoir prochain, qui est dans le cas actuel, de porter, ou de faire porter l'évangile par toute la terre. Car, pour le redire (§ 1044), si les apôtres ont dû commencer l'évangélisation du monde, la pousser même jusqu'à un point étonnant, puisque Thomas, par exemple, paraît avoir prêché la bonne h nouvelle dans les Indes et Paul en Espagne, «les extrémités de la terre» alors connue, il n'en est pas moins vrai qu'ils n'ont fait que commencer. L'œuvre est donc à poursuivre, dans l'intérêt même de l'accomplissement des prophéties, et à poursuivre aussi longtemps qu'il y aura quelque portion du globe recouverte des ténèbres de l'idolâtrie, ou que le Seigneur ne nous aura pas dit de quelque manière: C'est assez.

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§ 1074. Il nous le dira, par le fait, lors de son retour sur la terre. Quand il fut monté au ciel, écrit l'historien sacré, et qu'une nuée l'eut dérobé aux yeux des disciples, ceux-ci furent longtemps sans pouvoir détourner leurs regards de la place où ils avaient vu Jésus disparaître. Pour les tirer de cette espèce d'extase, deux anges vinrent leur annoncer, comme une grande consolation, que Jésus descendrait un jour du ciel, de la même manière qu’ils l'y avaient vu monter. C'est ce que le Seigneur leur avait dit et répété (§§ 719, 855); mais ce n'était pas trop de le redire encore à des hommes toujours si oublieux, ainsi que nous, des traits mêmes les plus essentiels de la révélation divine. Ainsi donc, Jésus-Christ est au ciel, mais il en reviendra; il en reviendra dans son humanité, mais dans son humanité glorieuse: telle est la promesse qui va faire désormais le fond des espérances des disciples de Jésus-Christ, promesse donnée par le ministère des anges, mais procédant bien réellement du Seigneur.

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§ 1075. De la montagne des Oliviers, dont le pied était à mille pas environ des murailles de Jérusalem (la plus grande distance que les rabbins permissent de franchir, un jour de sabbat), les disciples retournèrent à la sainte cité, d'où ils étaient sortis pour avoir à Béthanie, ou près de là, leur dernier entretien avec le Seigneur. Tous originaires de la Galilée, ils ne possédaient pas de maisons à Jérusalem, mais ils y avaient des amis, et c'est probablement chez l'un d'eux ou dans un caravansérail, que logeaient les onze apôtres. Leurs noms nous sont donnés ici comme dans l'Évangile (§ 398); mais, pour les quatre premiers, avec un léger intervertissement d'ordre dont il est aisé de se rendre compte. Si le nom d'André avait été précédemment accolé à celui de son frère, maintenant ce sont les noms de Jaques et de Jean, parce qu'il avait plu au Seigneur de les choisir, avec Pierre, pour être ses principaux témoins, en trois circonstances importantes (§§ 462, 540, 919). Ils persévéraient tous dans la prière et dans la supplication, seul moyen qui leur restât pour demeurer avec le Seigneur; et, à leurs saints exercices se joignirent, outre bon nombre de frères sans doute, les femmes que nous avons vues souvent auprès de Jésus et Marie, sa mère. Celle-ci était là comme simple disciple et non comme médiatrice entre les hommes et le Seigneur. Il ne serait pas nécessaire de le dire, sans les erreurs de la superstition romaine; mais le rôle de cette femme d'ailleurs bienheureuse (Luc I, 48), fut si peu celui qu'un nouveau paganisme a voulu lui attribuer, que, dès ce moment, il n'est plus fait d'elle aucune mention quelconque. Il est probable que Dieu lui accorda bientôt la grâce de mourir, et que l'apôtre Jean lui ferma les yeux (§ 974); mais cela même ne nous est pas raconté. Quant à une prétendue assomption de la vierge, c'est une pure invention des prêtres romains.

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§ 1076. Dix jours se passèrent entre l'ascension de notre Seigneur et la Pentecôte, et ce fut en ce temps-là que les apôtres conçurent le projet de combler le vide que le traître Judas avait laissé dans leurs rangs. Le Seigneur leur en avait-il donné l'ordre? ou bien faisaient-ils du nombre douze un nombre tellement sacramentel qu'il fallût le compléter avant de se mettre à l'œuvre? Ni l'un, ni l’autre, probablement. Qu'un des leurs, et même un des plus éminents, vienne bientôt à sceller de son sang la vérité de son témoignage et la sainteté de sa vie, ils ne songeront pas à le remplacer, heureux en quelque sorte d'avoir à se rappeler sans cesse, par son absence même, la gloire de son départ (Actes XII, 2). Mais la place alors inoccupée leur retraçait trop vivement le crime du malheureux Judas et sa fin déplorable; puis, il y avait là-dessus une prophétie. Si d'ailleurs nous voyons Pierre prendre ici l'initiative, nous ne l'attribuerons pas seulement à la vivacité et à la résolution de son caractère, nous ajouterons qu'il était probablement le plus âgé des apôtres, qu'il faut à toute assemblée un président et que Pierre avait à la présidence une vocation spéciale du Seigneur (§ 536, et Luc XXII, 32). Toutefois, ce ne fut jamais en pape que Pierre parla au milieu de ses frères; puis, la position personnelle qu'il occupa parmi eux ne devait ni ne pouvait se transmettre à personne.

§ 1077. Cent vingt individus, y compris les apôtres, se trouvaient réunis, lorsque Pierre prit la parole pour rappeler la prophétie relative à la trahison de Judas (§ 843) et la fin lamentable de ce malheureux disciple. Puis, alléguant en faveur de l'avis qu'il allait ouvrir, deux passages extraits de deux psaumes messianiques (Ps. LXIX, 23; CIX, 8.), il proposa le remplacement de Judas et le mode de ce remplacement. À son invitation, l'assemblée présenta ou indiqua, nomma deux disciples, Joseph et Matthias; et quand ils eurent prié le Seigneur de désigner lui-même l'homme qu'il avait choisi, l'on jeta le sort sur eux, et Matthias fut ajouté aux onze Envoyés ou Apôtres.

§ 1078. Il est à remarquer là-dessus, comment, à défaut d'ordre formel du Seigneur, Pierre s'appuie sur les Écritures pour légitimer sa proposition. Le Seigneur lui avait dit, ainsi qu'à ses collègues, et, dans leurs personnes, à l'Église future, que tout ce qu'ils lieraient sur la terre serait lié dans les cieux (§ 710); mais voyez comme ils comprennent bien qu'il fallait toutefois pour cela, que leurs décisions fussent en harmonie avec la Parole de l'Éternel. Remarquez ensuite quelle foi Pierre avait à l'inspiration des Écritures. «Le Saint-Esprit a dit d'avance par la bouche de David...» C'est du reste ce que ce saint roi avait exprimé lui-même (II, § 537), et ce qui est vrai de tous les prophètes, en sorte que nous avons dans leurs écrits la parole vraie du Saint-Esprit. Il ne faut pas, d'après cela, nous étonner si le langage des prophètes ne s'explique pas toujours exactement par les mêmes règles que le langage humain; si, par exemple, là où David ne semble parler que de lui et de ses ennemis, comme dans les deux passages cités par Pierre, il entend réellement parler de Jésus-Christ et des auteurs de sa mort, notamment de Judas. Admirez, en outre, de quel ton plein de calme et de modération Pierre entretient ses frères du disciple apostat: point d'épithètes injurieuses, point d'exclamations passionnées. Cela n'empêche pas que sa parole ne soit pleine de force; car il parle du champ acheté au moyen des trente pièces d'argent, comme si Judas en avait fait lui-même l'acquisition: oui, c'était son argent, un argent horriblement gagné qui avait été échangé contre le Champ du sang. Quant à la description que fait ici de la catastrophe, un homme qui n'en avait sûrement pas été témoin oculaire mais qui devait être bien informé, quoique différente du récit de l'Évangile (§ 960), elle doit pouvoir se concilier avec celui-ci. On pense que Judas s'étant étranglé sur le bord d'un précipice, y tomba la face en terre et s'y creva par le milieu du corps: horrible fin, après un crime plus horrible encore!

§ 1079. La manière dont on s'y prit pour remplacer Judas, me paraît pleine de sagesse et de foi, l'une de ces dispositions n'excluant jamais l'autre. D'une part, il fallait un homme qui pût, comme les onze autres, se dire le témoin des grandes œuvres du Christ; il fallait, d'autre part, qu'il pût se présenter comme envoyé par le Seigneur lui-même. On obtint ce double résultat par le choix qu'on fit de deux disciples vraiment qualifiés, et par la prière qu'on offrit au Seigneur Jésus afin qu'il désignât, au moyen du sort, celui des deux qu'il avait choisi. Cela ne signifie pas que le sort soit toujours, ni même généralement, la manière la plus sûre de connaître la volonté de Dieu; il ne faut faire intervenir cet expédient qu'à défaut de toute lumière. Mais dans cette occasion et après la prière si simple et si fervente de l'assemblée, il est impossible de ne pas tenir pour certain que sa marche fut approuvée de Dieu. Observons au surplus, qu'il ne nous est plus reparlé de ce Matthias, le douzième apôtre; en sorte que, si l'auteur sacré l'a introduit dans son histoire, ce n'est pas à cause du rôle qu'il joua plus tard et qu'on ignore, c'est tout I simplement par l'intérêt que présente le seul fait de son j^6 élection. Je ne veux pas dire que Matthias ait été un serviteur inutile dans la vigne du maître; mais je fais seulement remarquer en passant, que le livre des Actes ne prétend pas nous raconter la part que chaque apôtre prit à l'avancement du règne de Dieu.


CCIXX. La Pentecôte. Effusion du Saint-Esprit; discours de Pierre.


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§ 1080. La Pentecôte, ou Fête des semaines (I, § 910), se célébrait cinquante jours après Pâques; elle ne tombait donc pas constamment sur le même jour, et, cette année-là, elle dut avoir lieu le vendredi. C'était à la fois une fête d'actions de grâces pour les moissons, et l'anniversaire de la publication des dix commandements sur le mont de Sinaï. Comme pour la Pâque, un grand concours de peuple se pressait alors à Jérusalem. On conçoit en conséquence que le Seigneur ait voulu dater de ce jour la première prédication de l'Évangile par ses apôtres, et ce qu'on pourrait appeler l'avènement de l'Église ou la première moisson (§607). Quant à l'année précise qui vit ce fait merveilleux, il n’est pas facile de la déterminer. C'était l'année de la mort de notre Seigneur; et, s'il entra dans son ministère à l'âge de trente ans, c'est-à-dire l'an 31 dès sa naissance, ou 27 de l'ère chrétienne (§ 38); si, d'un autre côté, l'on donne trois ans et demi, au moins, à son ministère, comme la chronologie des Évangiles l'exige, il serait mort dans la 34e année de son âge, ou la 30e de l'ère chrétienne. Mais Luc, le seul des évangélistes qui donne quelque indication sur ce point, peu important au fond, se borne à dire que Jésus avait environ trente ans quand il fut baptisé (§ 134). Or, diverses raisons, dans le détail desquelles je ne saurais entrer, font penser que notre Seigneur devait avoir alors trente-trois ans au moins; d'où il résulterait que sa mort, et par conséquent la fondation de l'Église, sortie en quelque sorte de sa croix, eurent, lieu l’an 33 de l'ère chrétienne. C'est l'opinion, je crois, la plus généralement admise, et la date que j'adopte pour point de départ des dates subséquentes.

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§ 1081. Le jour de la Pentecôte étant donc arrivé, l'assemblée que nous avons vue tout à l'heure occupée à remplacer Judas, s'était de nouveau réunie dans un même lieu et encore plus dans un même sentiment d'attente en la promesse du Seigneur (§ 1071). Tout à coup, il se fit sur elle et avec grand éclat, une abondante effusion d'Esprit saint. Il y eut dans toute la maison, non pas un coup de vent, mais un bruit semblable à celui que ferait un vent véhément, signe de la présence et symbole de l'action du Saint-Esprit (Jean III. 8). Rendus attentifs par ce phénomène, ceux qui étaient assemblés virent se poser sur chacun d'eux de petites flammes, baptême de feu dont j'ai donné l'explication (§ 127). Ces flammes d'ailleurs, par leur forme, ne ressemblaient pas mal à des langues et elles figuraient ainsi le miracle qui s'opérait à cet instant même dans la personne des disciples, miracle qui ne dépasse pas la puissance créatrice de Celui qui a doué l'homme de la parole et qui confondit les langues à la tour de Babel; miracle dont la nécessité ne saurait être contestée, puisque les apôtres étaient appelés à prêcher l'Évangile parmi toutes sortes de peuples; miracle enfin qui avait aussi pour but de convaincre les disciples eux-mêmes qu'ils n'étaient pas victimes d'une illusion, tout en attestant à la multitude la divine autorité de leur mandat. Voici donc en quoi consista le prodige; c'est que des langues qu'ils n'avaient jamais apprises leur devinrent aussi familières que leur langue maternelle, et toutefois (ce qui ne rend pas le prodige moins frappant), ils ne les parlaient que lorsque l'Esprit le voulait et seulement pour exprimer les choses que cet Esprit leur dictait; en sorte qu'on ne peut pas dire qu'ils sussent et possédassent ces langues, comme quelqu'un qui se les serait appropriées par l'étude.

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§ 1082. À chaque fête, la ville de Jérusalem voyait sa population plus que doublée par le grand nombre d'Israélites qui y accouraient de toutes parts. Les plus éloignés s'y rendaient au moins une fois en leur vie; les plus rapprochés presque à chaque fête. Il arrivait aussi fréquemment que des Israëlites pieux abandonnaient leurs établissements lointains, pour rentrer dans le pays de leurs pères et s'y fixer; d'où il résulte que, parmi les habitants de Jérusalem, on trouvait, en tout temps et surtout à l'époque des solennités, un grand nombre de Juifs qui, nés dans la dispersion, parlaient la langue de leur pays d'origine et portaient le nom de ce pays. C'est ainsi que, de nos jours, il y a des Juifs allemands, français, portugais, hollandais, etc. Or, les disciples de Jésus ayant quitté leur chambre haute, poussés par le Saint-Esprit, se virent bientôt entourés, soit au temple, soit dans les places publiques, d'une foule de gens que le bruit de ce qui venait d'arriver ne tarda pas à attirer. Dans cette foule, on comptait en grand nombre ces Juifs étrangers, généralement plus pieux que les habitants mêmes de Jérusalem. Pour comprendre la scène dont cette ville fut alors le théâtre, et le tableau qu'en fait saint Luc, il faut se représenter une multitude de groupes se formant sur divers lieux; les apôtres, et probablement d'autres disciples, allant de l'un à l'autre et parlant à tous de la gloire du Seigneur dans la langue familière à chacun; puis, voilà leurs auditeurs qui se mêlent ou du moins se rencontrent, qui se font part les uns aux autres de la grande nouvelle, qui se racontent leur émotion et leur étonnement; ce sont les mille propos de ces gens, que l'historien sacré résume en un seul discours, où, selon sa coutume, se trouve, «par ordre» (Luc I, 3), l'énumération des divers peuples et des divers pays qui avaient là des représentants.

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§ 1083. Ce qui dut remplir d'admiration les auditeurs des apôtres, ce ne fut pas seulement le don que ces Galiléens avaient reçu de parler à chacun sa langue, mais encore «les grandes choses de Dieu» qui faisaient le sujet de leurs discours. En sorte qu'ils se demandaient l'un à l'autre: Que veut dire ceci? Se pourrait-il en effet que leur maître, Jésus de Nazareth, eût été le Messie promis à nos pères? Ainsi devaient parler les hommes sérieux. Mais il y avait dans cette foule un plus grand nombre de gens qui n'étaient pas mieux disposés pour la vérité, que cinquante jours auparavant. L'énorme crime dont ils s'étaient rendus coupables en crucifiant le Seigneur, était un nouveau poids sur leur conscience endurcie et un redoublement du voile qui couvrait leurs yeux. Plutôt que de s'accuser eux-mêmes, il fallait inventer quelque prétexte pour s'obstiner dans l'incrédulité. Profitant donc de ce qu'avait d'étrange cette scène, où diverses langues se mêlaient et s’entrecroisaient, non sans une sorte de confusion, ils imaginèrent (ressource fréquente des cœurs endurcis, § 949), de tourner en ridicule les prophètes de l'Éternel; car ils ne pouvaient sûrement croire eux-mêmes ce qu'ils leur imputaient. Telle était la situation, lorsque Pierre prit la parole, et, dans une langue propre à être comprise du plus grand nombre des Juifs étrangers, en grec probablement, il prononça un discours non moins remarquable que le miracle qui l'avait précédé.

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§ 1084. En voici d'abord une courte analyse. Après avoir repoussé l'absurde accusation des adversaires, Pierre montre, par une citation du prophète Joël (Joël II, 28-32), que le merveilleux événement, objet de leurs dérisions, avait été annoncé comme un signe des temps du Messie. Or ce Messie, continue l'apôtre, c'est Jésus de Nazareth, déclaré tel par ses miracles, par la mort même qu'il a soufferte selon la prescience de Dieu et selon les prophéties, mais principalement par sa résurrection. C'est sur ce point en particulier que le prédicateur insiste, rappelant à ce sujet un oracle important du roi David (Ps. XVI, 8-11), et montrant qu'en cet endroit, David n'avait pu parler que du Christ et non de lui (II, § 612). Pour compléter ses preuves et revenir à l'idée qui avait été son point de départ, Pierre déclare que Jésus a été enlevé au ciel, qu'il a envoyé de là le Saint-Esprit pour produire les merveilles dont on avait le spectacle, et que cette gloire du Christ avait été pareillement prédite par le prophète David (Ps. CX, 1). Il termine enfin par cette parole, vraie conséquence de son discours: «Que toute la maison d'Israël sache donc avec certitude, que Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous avez crucifié.»

§ 1085. Quelle prédication que ce premier sermon prêché par le premier des apôtres, à la première fête des Juifs depuis la mort du Sauveur! S'il ne brille pas par l'éloquence des rhéteurs, rien assurément ne l'égale en simplicité, en force et en actualité. Voyez comme Pierre va droit au fait; voyez avec quelle noblesse et avec quelle réserve, en ce qui le concernait personnellement, il dit au sujet de ses collègues, l'impossibilité de les supposer ivres à une heure de la matinée où, selon l'usage des Juifs, tous se trouvaient encore à jeun de toute nourriture; voyez avec quel courage, avec quelle décision et de quel ton ferme et modéré tout à la fois, il accuse à son tour les habitants de Jérusalem d'avoir «tué» le Seigneur, de l'avoir cloué par des mains iniques, de l'avoir crucifié. On ne saurait unir à plus de courage plus de calme; et, quand nous nous souvenons de ce qu'était Pierre: bouillant, impétueux jusqu'à la témérité; quand nous nous rappelons également cette nuit douloureuse où il se montra si léger, si timide, ou du moins si prompt à oublier ses meilleures résolutions, contraste fréquent chez des hommes de ce caractère, nous ne pouvons méconnaître l'étonnant changement qui s'était opéré dans toute sa personne, par la puissance du Saint-Esprit.

§ 1086. On arrive au même résultat quand on observe la sagesse et l'ordre des idées qu'il développe. Jésus est le Christ: c'est ce que prouvent ses miracles, les prophéties accomplies en sa mort, sa résurrection, son ascension, l'envoi du Saint-Esprit, l'action sensible et actuelle de cet Esprit sur les disciples. Puis, comme Pierre s'adressait à des Israélites, il fallait les convaincre que leurs prophètes avaient annoncé toutes ces choses, et c'est ce qu'il fait en citant trois oracles très frappants et très décisifs. Mais d'où est venu au pêcheur de Betsaïda cet art à disposer les matériaux de son discours? Où a-t-il pris cette profonde intelligence des Écritures, lui qui, l'autre jour encore, les comprenait si mal (Jean XX, 9)? Comme on voit ici l'accomplissement de ces promesses du Seigneur: «Je ne vous laisserai point orphelins, je viens à vous;» «voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde,» et «le Saint-Esprit vous enseignera ce qu'il faut dire (Jean XIV, 18; Matth. XXVIII, 20; Luc XII, 12).»

§ 1087. Or, puisque c'est par l'inspiration divine que l'apôtre Pierre a parlé, de quel respect et de quelle confiance ne devons-nous pas honorer sa parole, notamment l'interprétation qu'elle nous donne des textes de l'Ancien Testament? Après l'avoir entendu, tenons pour assuré que, dans Joël et ailleurs, «les derniers jours» signifient les temps du Messie, temps qui commencèrent à la naissance de Jésus-Christ et qui alors déjà s'annoncèrent par une effusion toute nouvelle d'Esprit saint (§§ 72, 75, 94, 99); temps que marqua mieux encore l'effusion plus abondante de ce même Esprit, le jour de la Pentecôte; temps vers la fin desquels nous marchons de siècle en siècle, et qui, en la grande journée du Seigneur, doivent nous montrer des prodiges plus éclatants que tous les autres. Mais, quelle que soit la portion de ce temps dans laquelle on vive, «quiconque invoquera le nom du Seigneur (l'Éternel), sera sauvé.» Or, qu'il s'agisse ici du Seigneur Jésus-Christ, c'est bien évident, puisque l'invocation du nom de Jéhovah n'empêcha pas la ruine des Juifs qui n'avaient pas cru au Fils unique de Dieu.

§ 1088. Nous apprenons également de Pierre, et avec une parfaite certitude, que David, un des plus grands prophètes du Messie, patriarche en ce sens que de lui sortit la race royale et, de cette race, le Christ, exprima souvent dans ses cantiques la confiance et la joie, les souffrances et la gloire du Rédempteur, là même où il semblait d'abord ne parler que des siennes; bien plus, qu'il l'appelait son Seigneur, encore que Dieu lui eût prédit que le Roi-messie descendrait de lui (§ 809). Si je rappelle ces choses après les avoir exposées précédemment avec quelque détail, c'est pour montrer les services que m'a rendus le Nouveau Testament dans l'explication de l'Ancien, et pour donner à mes lecteurs un avis d'une grande importance. Ils doivent repousser résolument tout commentaire des Écritures qui est en désaccord avec la parole des apôtres du Seigneur; car nul docteur assurément ne saurait comprendre la Bible, mieux que ne le firent ces hommes inspirés de Dieu.


CCLXXI. Effets du discours de Pierre.


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§ 1089. Le discours de Pierre eut des résultats qui ne doivent pas nous étonner, bien que la prédication de l'Évangile n'en ait que rarement produit d'aussi considérables. Ses auditeurs se sentirent le cœur pénétré; pénétré de douleur, de crainte, d'espérance; pénétré de respect et de confiance pour ces hommes simples et francs, qui parlaient avec tant d'élévation par la bouche de l'un d'eux; et, comme il arrive toujours quand le cœur est vraiment touché, ils leur demandèrent ce qu'ils avaient donc à faire maintenant (§123)? Une seule chose, leur répond Pierre: «vous convertir et recevoir le baptême au nom de Jésus-Christ. De là dépend le pardon de vos péchés et le don du Saint-Esprit; car c'est à vous qu'appartient la promesse, à vous et à vos enfants, et à tous ceux qui sont loin, autant que le Seigneur en appellera.» Mais, ne se bornant pas à cette courte réponse, il insistait et exhortait de diverses manières, ses discours et ceux de ses collègues revenant toujours à ceci: «Sauvez-vous loin de cette génération perverse!»

§ 1090. Fidèles à leur mandat (Luc XXIV, 49, § 1073), les apôtres prêchent donc la conversion à ce peuple de Jérusalem qui avait crucifié Jésus, et ils se montrent prêts à recevoir dans leur société, par le baptême, tous ceux qui, d'un cœur touché, en manifesteraient le désir (§ 1043). Comme ils comprenaient bien, maintenant, la pensée de leur maître. Ce n'est pas tout. Les hommes auxquels ils parlaient n'étaient pas des idolâtres, plusieurs même avaient une certaine piété (verset 5); n'importe, tous doivent se convertir. Et, bien qu'ils aient tous été circoncis, la plupart peut-être baptisés du baptême des pharisiens ou de celui de Jean, il faut qu'ils reçoivent le propre baptême de Jésus-Christ; parce que c'est en Jésus seul, le Fils de Dieu, que des pécheurs peuvent posséder le Père et recevoir l'Esprit saint. Convertissez-vous! C'est-à-dire reconnaissez vos péchés, tournez vos cœurs vers Dieu, croyez en Jésus; alors le baptême sera pour vous un signe et un gage de pardon et de renouvellement. Tel est, en substance, le salut qui se trouve auprès du Seigneur. Deux grâces le composent, deux grâces inséparables et qui, l'une et l'autre, découlent de la croix du Rédempteur, savoir le pardon des péchés et le don du Saint-Esprit. Les plus habiles théologiens n'ont jamais exposé plus nettement la doctrine qui nous sauve. De qui donc Pierre et ses collègues l'avaient-ils subitement apprise, si ce n'est de Dieu lui-même?

§ 1091. Ces deux grâces se rattachent à une seule et même promesse, promesse aussi ancienne que le péché dans le monde, promesse renouvelée à Abraham, promesse mille fois reproduite dès lors, et, plus récemment encore, proclamée et sanctionnée par le Fils de Dieu. Les enfants d'Israël y avaient les premiers droits, parce qu'il avait été dans le bon plaisir de Dieu de l'adresser avant tout à Abraham et à sa postérité; mais à côté de sa postérité selon la chair, Abraham en possède une selon l'esprit (I, § 314), et la promesse appartient également à cette postérité spirituelle. Tout dépend de l'appel de Dieu, dit l'apôtre. Or, il vous appelle maintenant, vous qui lisez ces lignes, comme il appela jadis vos pères, comme il appellera vos successeurs et tous ceux auxquels il fera porter sa Parole; car c'est dans la Parole de Dieu que sont les appels de sa grâce, et cette Parole fut de tout temps destinée à faire entendre au loin la voix du Saint-Esprit.

§ 1092. Ceux qui sont loin! Cette expression est susceptible de plus d'un sens. On peut être loin de Dieu par son incrédulité et par ses mauvaises œuvres. Sous ce rapport, ceux mêmes d'entre nous qui croient de tout leur cœur, étaient autrefois bien loin de Dieu, quoique nés de parents chrétiens et baptisés dans leur enfance. Au moment où l'apôtre parlait, personne n'était plus éloigné du salut que les pharisiens et les sadducéens de Jérusalem, eux qui avaient résisté jusqu'à la fin aux appels réitérés de Jésus-Christ (§§ 654, 802). Mais il est une autre sorte d'éloignement de Dieu. Le nègre qui traîne une malheureuse existence dans les sables brûlants de l'Afrique, adorant ses indignes fétiches, n'a pas la grâce de Dieu aussi près de lui que l'habitant de nos contrées maintenant si privilégiées. Je dis maintenant; car du temps des apôtres, nos pères, peuples barbares et plongés dans les plus effroyables superstitions, habitaient des contrées fort éloignées de Jérusalem, et ils étaient encore plus loin de Dieu. J'ajouterai pour nous, chrétiens du XIXe siècle, que nous étions loin encore, bien loin dans l'avenir, lorsque Pierre prononça cette parole prophétique: «A vous est la promesse, et à vos enfants, et à tous ceux qui sont loin, autant que le Seigneur notre Dieu en appellera.» Il n'est pas sûr, nous le verrons, qu'il ait eu l'entière intelligence des mots qui sortirent de sa bouche. Par ceux qui étaient loin, il entendait probablement les Juifs dispersés; mais cette circonstance même atteste que c'est le Saint-Esprit, et non son propre esprit qui parlait.

§ 1093. Quant à ce cri que les apôtres allaient répétant, avec l'accent d'une profonde charité: «Sauvez-vous loin de cette race tortue,» ou à voies obliques! il revient à dire: Convertissez-vous, puisque sans la conversion, tout homme est perdu(§ 653). Oh! puisse-t-il aussi retentir dans vos âmes, mes chers lecteurs, ce cri de réveil et de salut! La génération présente n'est pas meilleure que les générations des temps passés. Bien que le mal ne s'y manifeste pas en toutes choses de la même manière, nous avons nos pharisiens et nos sadducéens. D'ailleurs, l'amour de l'argent et de la domination, l'oubli de Dieu et de l'éternité, la soif du plaisir et les mauvaises mœurs, le manque de sincérité et de droiture, surtout dans les actes de la religion; tous ces vices ne caractérisent que trop la génération actuelle. Or, il est clair qu'on ne se sauve pas avec cela, et que, si vous voulez sauver votre âme, il faut vous séparer du présent siècle mauvais, pour vous donner à Dieu.

2: 41
§ 1094. Trois mille personnes se rendirent à l'appel des prédicateurs de la bonne nouvelle et furent baptisés en ce même jour. Pour le petit troupeau, c'était un accroissement considérable: c'était peu, relativement à la multitude qui avait ouï la voix de Dieu (Matth. XX, 16). Ainsi s'accomplit ce que le Seigneur avait dit dans la parabole du Semeur (§ 441), et en même temps ce qu'il avait dit à Pierre sur la part qu'il prendrait à la fondation du règne de Dieu (§ 536). En cet instant, l'Assemblée, ou, comme on dit plus ordinairement, l'Église fit plus que de sortir des langes: la voilà formée; et, dans son état d'adolescence, elle nous offre un sujet d'étude plein d'intérêt et d'instruction. D'abord, nous voyons ici de quelle manière la vraie Église se constitue et se recrute. C'est par la prédication de la Parole et sous l'onction du Saint-Esprit. De ces trois mille individus, plusieurs sans doute, au moment où les apôtres commencèrent à prêcher l'Évangile, n'étaient pas loin du royaume des cieux (Matth. XII, 34). Ils avaient pu voir et entendre notre Seigneur quelques semaines auparavant, et qui sait s'il n'en était pas parmi eux qui l'avaient suivi déjà quelque temps, mêlés avec les disciples? Dans cette supposition même, c'était la parole de Jésus qui les avait attirés et préparés, et ce qui les décide maintenant, c'est encore cette parole, rendue efficace par l'effusion du Saint-Esprit en leur âme. L'Église donc, j'entends la vraie, se forme et se recrute par la grâce et la puissance du Seigneur; toute autre manière, telle que le simple fait de la naissance, l'empire de la coutume et des mœurs, l'action des lois et l'influence des dépositaires de l'autorité, ne servent qu'à la dénaturer. Il faut que ceux qui se joignent à l'Église, le fassent volontairement, de plein gré, avec plaisir, selon la prophétie dont Pierre avait cité les premiers mots (Ps. CX, 31; or ce sont précisément les dispositions que produit le Saint-Esprit. Et, s'il se trouve dans l'Église des âmes qui feignent ces sentiments ou qui se fassent illusion sur leurs vrais motifs, il faut au moins que le crime en soit tout à elles, la responsabilité toute sur elles, ce qui ne saurait avoir lieu lorsqu'on y est introduit par une impulsion étrangère et par une sorte de contrainte.

2: 42
§1095. Librement devenus membres de l'Église, les frères de Jérusalem persévéraient dans la doctrine des Envoyés de Jésus-Christ. La doctrine est ce qui fait l'essence et la vie de l'Église. Celle-ci est une société religieuse ou spirituelle qui n'est rien que par les dogmes qu'elle professe; et, pour avoir droit à s'appeler l'Église du Seigneur, il faut qu'elle retienne les dogmes prêchés par les apôtres, dogmes qui ont tous Jésus-Christ pour objet, et dont nous possédons une exposition sommaire dans le discours prononcé le jour de la Pentecôte (Jean VIII, 31). — De plus, les frères de Jérusalem persévéraient dans la communion, mot qui ne signifie pas, selon le langage ordinaire, la participation à la sainte Cène, mais qui doit s'entendre de l'union intime des membres de l'Église. La société chrétienne est une famille dont Dieu est le Père et Jésus-Christ le frère aîné, en même temps qu'il en est le chef, le docteur, le sauveur; famille au sein de laquelle le Saint-Esprit répand les plus tendres et les plus pures affections (Jean XIII, 35). — Ils persévéraient dans la fraction du pain; c'est-à-dire qu'ils aimaient à se retracer, par cet acte, le souvenir du dernier souper de leur Seigneur et le sacrifice qu'il avait accompli le lendemain. C'est ce souvenir qui retrempait leur foi, leur espérance et leur charité. La vue du pain rompu plaçait devant eux le Sauveur expirant sur la croix et leur était un gage de son prochain retour en sa chair glorifiée (Luc XXII, 19, 20). — Enfin, les frères de Jérusalem persévéraient dans la prière; car ils avaient reçu l'Esprit qui fait prier, l'Esprit qui leur remettait en mémoire les nombreuses exhortations de Jésus-Christ sur ce sujet. Éloignés pour un temps du Seigneur, il leur était doux d'entretenir ainsi des relations avec lui, soit qu'ils invoquassent le Père en son nom, soit qu'ils l'invoquassent lui-même. Tel est le tableau que présentait alors l'Église; modèle à suivre dans tous les temps. Qu'est-ce donc qu'une Église? C'est une réunion d'hommes qui, professant la doctrine des apôtres et s'aimant les uns les autres, s'assemblent pour rompre le pain en mémoire du Sauveur et pour offrir à Dieu des prières communes; je ne pense pas qu'on en puisse donner une définition plus exacte.

2: 43
§ 1096. Tandis que les choses se passaient de la sorte parmi les frères, une certaine crainte agitait la multitude, et ses chefs non moins qu'elle, comme il arrive généralement dans les réveils religieux. Faudra-t-il donc se convertir? Mais comment se décider à mener la même vie que ces gens-là, et comment nier pourtant qu'ils n'y aient trouvé la paix? Si nous les écoutons, tout est perdu pour nous du côté du monde; mais en méprisant leurs paroles, à quels dangers peut-être ne nous exposons-nous pas de la part de Dieu? Cette dernière pensée surtout préoccupait les esprits, à raison des nombreux miracles qui se faisaient par les mains des envoyés du Seigneur; en sorte que, même des incrédules se prenaient à redouter leur puissance, bien qu'ils pussent voir que leurs miracles, semblables à ceux de leur maître, n'avaient rien de malfaisant. Toujours est-il que la présence du Dieu Fort au milieu d'eux était

2: 44-45
§ 1097. Voyez au contraire les fruits que la foi portait au milieu des frères. Pressés par le besoin de se rapprocher les uns des autres, soit au temple, soit ailleurs, on les voyait habituellement réunis en dehors de la masse du peuple, moins encore pour ne pas se mêler avec la foule incrédule, que pour resserrer les liens de fraternité qui faisaient d'eux un seul corps. Puis ils ne souffraient pas qu'il y eût dans leur sein quelque nécessiteux. En place de la dîme que la loi de Moïse assignait aux veuves et aux orphelins, ils envisageaient tout ce qu'ils possédaient comme appartenant à tous; et, s'il le fallait, on les voyait vendre quelqu'une de leurs possessions pour en faire part à ceux qui étaient dans le besoin. C'est par là qu'ils montraient à la fois leur détachement des biens du monde, leur affection pour les frères de Jésus-Christ, et l'intelligence qui leur avait été donnée de ses enseignements sur le sujet important de l'aumône. Il ne s'agit pas de savoir si, peut-être, dans la pratique, quelques-uns ne poussèrent pas les choses au-delà de ce qu'il fallait; l'esprit qui les faisait agir était bien certainement celui de l'Évangile, et cela doit nous suffire pour les admirer et pour que nous nous disions: « Va et fais de même (§§ 645, 826, Luc X, 37).

§ 1098. En vous proposant cet exemple, et à cause des circonstances présentes, je dois pourtant vous faire observer combien la communauté chrétienne diffère du communisme-socialiste qu'un monde impie ose prôner au nom de l'Évangile. Il est évident, en effet, que les frères de Jérusalem furent loin d'abolir la propriété privée pour réunir toutes les fortunes dans un fonds commun: il s'agissait uniquement de venir au secours des pauvres. Mais la principale différence, c'est que tout ce déploiement d'amour et de compassion était, comme l'entrée même dans l'église, parfaitement volontaire; tandis que les communistes de notre temps voudraient atteindre leur résultat par la force des lois. Hélas! après tant de siècles durant lesquels les institutions civiles ont contraint les incrédules à professer le christianisme, il n'est pas étonnant qu'on veuille aujourd'hui contraindre les égoïstes à agir en chrétiens. Mais comme la contrainte sous sa première forme était un meurtre, le meurtre de la conscience; la contrainte, sous cette nouvelle forme, est une spoliation, un vol manifeste, un renversement de l'ordre social tout fondé sur la propriété. Il n'y avait rien de pareil dans la communauté des frères; car nous verrons bientôt qu'après avoir vendu leurs biens, ils demeuraient maîtres du produit de la vente; sans compter que cet exercice particulier de la charité fut tellement spécial à l'église de Jérusalem, que nous n'en retrouverons ailleurs nulle trace. Ceci donc n'est pas un des traits qui entrent nécessairement, comme ceux de tout à l'heure, dans la définition de l'Église (§1095).

2: 46-47
§ 1099. Ce que l'église de Jérusalem eut également de particulier, ce fut l'habitude qu'elle conserva de se joindre à tout le peuple dans le culte qui se célébrait au temple. Si les rachetés de Jésus-Christ n'offraient plus pour eux-mêmes de sacrifices, il ne leur répugnait point d'assister à l'immolation de victimes qui, depuis des siècles, figuraient la grande expiation maintenant accomplie par le Seigneur; et lorsque, à l'heure de la prière, on faisait fumer le parfum, ils aimaient à porter leurs supplications devant le trône de la grâce. Le temple et le culte qu'on y célébrait avaient un tel caractère de sainteté divine, le Seigneur Jésus lui-même les avait tellement honorés de sa présence, que ses disciples, fils d'Abraham et des prophètes, ne songèrent point à s'en éloigner tant que Dieu ne le leur interdirait pas, et la ruine du peuple Juif arriva auparavant. Alors, tout fut dit. Jusque là, l'église de Jérusalem montra pour l'ancien culte le même respect qu'un Siméon, un Joseph, une Elizabeth, un Zacharie, sans pourtant y participer exactement de la même manière. Mais, à ce culte mitigé, ils ajoutèrent leurs assemblées particulières, rompant le pain, de maison en maison; et, par la circonstance que Luc ajoute, il est assez évident qu'ils le faisaient à chacun de leurs repas. Proprement, il n'y avait qu'un repas, vers le soir. Or, ils s'invitaient les uns chez les autres, selon l'antique coutume des Juifs quand ils offraient des sacrifices de prospérité, et, prenant leur nourriture avec une grande joie, ils commençaient ou terminaient par des actions de grâces et par la fraction du pain, en mémoire de Jésus. C'est ainsi qu'ils vivaient habituellement dans le sentiment de sa présence, le Seigneur les comblant de telles grâces que, malgré la crainte qu'inspiraient au peuple les miracles et la prédication des apôtres, ce même peuple ne pouvait s'empêcher d'admirer et d'aimer ceux qui avaient embrassé la nouvelle doctrine. Aussi, le Seigneur ajoutait-il chaque jour à l'assemblée, ceux qui, selon l'exhortation de Pierre et de ses collègues, se sauvaient du milieu de la génération perverse. — Ah! comment, après cela, ne pas demander au Seigneur qu'il répande de nouveau sur l'Église une telle abondance de son Esprit, qu'elle en vienne à présenter au monde un spectacle pareil à celui de l'église de Jérusalem, et qu'à ce spectacle, un grand nombre d'âmes se convertissent!


CCLXXII. Guérison d'un impotent; second discours de Pierre; première persécution.


3: 1-5 
§ 1100. Ainsi se passaient les jours, peut-être les semaines. Le repos est chose si douce qu'il put arriver aux apôtres, dans ces premiers moments, d'oublier les persécutions que le Seigneur leur avait souvent prédites (§ 882). Mais si les hommes influents avaient paru d'abord ne pas prendre garde aux disciples du crucifié, il est évident que cette apparente indifférence ne pouvait durer longtemps. Or, voici à quelle occasion ils montrèrent qu'ils ne voulaient pas traiter les serviteurs mieux qu'ils n'avaient traité le maître (§ 888).

§ 1101. Pierre et Jean, deux disciples qui devaient aimer à se trouver ensemble (§ 997), montaient un jour au lieu sacré, vers trois heures de l'après-midi, heure de la prière et du sacrifice perpétuel, et en même temps de la mort du Seigneur. Il y avait là, sur leur chemin, un homme, impotent dès sa naissance, qu'on y déposait régulièrement, pour le mettre à la portée des aumônes, usage fréquent encore dans certains pays. Le Seigneur devait avoir passé près de cet homme plus d'une fois, notamment lors de son dernier séjour à Jérusalem; et, bien qu’il eût fait, dans le temple, plusieurs guérisons miraculeuses (§ 792), ce pauvre impotent était resté au nombre de ceux à qui le Seigneur n'avait pas jugé bon de rendre alors la santé: il le réservait pour un autre temps, et d'ailleurs il ne faisait pas état de guérir tous les malades. Les apôtres à leur tour, l'avaient vu plus d’une fois depuis la Pentecôte, III sans déployer en sa faveur leur pouvoir miraculeux. ^ C'est pourquoi, renonçant probablement à tout espoir de guérison, il se contentait de leur demander l'aumône; non sans doute qu'il les crût riches, mais parce qu'il avait ouï parler de la bienfaisance des disciples de Jésus.

3: 6-7
§ 1102. Si la communauté chrétienne avait consisté, comme quelques-uns le pensent, dans le partage des biens (§ 1098), Pierre n'aurait pu dire à l'impotent: «Je n'ai ni or, ni argent;» ou, en d'autres termes, je suis un pauvre aussi bien que toi. Destitués de toutes ressources pécuniaires, les apôtres étaient de ceux aux besoins desquels on pourvoyait par le moyen de la bourse commune; mais ce qu'ils avaient à donner valait plus que de l'or et de l'argent, plus encore que la guérison miraculeuse d'un mal incurable. Ils proclamaient le nom de Jésus, et, par ce nom, ils restauraient l'âme pour la vie éternelle. «Au nom de Jésus le Nazaréen!» Notre Seigneur avait agi au nom de son Père, et le plus souvent en son propre nom, ou de sa propre autorité, parce qu'il est le Fils de Dieu. C'est par cette raison même que nous voyons maintenant les apôtres agir au nom de Jésus. Ils proclamaient ainsi l'éternelle divinité de celui qui est devenu le Fils de l'homme; ils rappelaient en même temps ses nombreux miracles et les paroles de miséricorde qui étaient sorties de sa bouche.

3: 8-11
§ 1103. Après cela, rien n’est touchant comme la joie du pauvre homme qui venait d'être guéri d'une manière si inattendue et dans le cœur duquel l'Esprit de grâce vivifiait le beau nom que Pierre avait invoqué sur lui. Il marche et saute comme un petit enfant qui essaie ses forces naissantes, et il loue Dieu de sa délivrance, avec des démonstrations si vives, que le peuple ne revenait pas de son étonnement; car cet homme était parfaitement connu de tous, et on ne l'avait vu que gisant sur la terre ou porté par des mains charitables. La foule et l'agitation s'accroissant par degré, les apôtres auraient dû, semble-t-il, se soustraire à une admiration qui avait pour objet leurs personnes, plus que la bonté et la puissance du Seigneur; mais l'homme qu'ils avaient si bien guéri, les retenait avec force; en sorte que Pierre et Jean ne purent, ni s'arracher de ses étreintes, ni éviter les transports de la multitude. Que faire donc? Profiter de l'occasion pour annoncer la bonne nouvelle; c'est ce que fit Pierre sans balancer.

3: 12-26
§ 1104. Ainsi que dans son premier discours, rattachant son enseignement aux pensées mêmes qui agitaient le peuple et au fait merveilleux qui leur avait donné naissance; vous vous étonnez, dit-il, comme si c'était nous, notre puissance ou notre piété, qui eut fait marcher cet homme. Non; c'est le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob qui glorifie de la sorte son serviteur Jésus. Vous l'avez renié et mis à mort; mais Dieu l'a ressuscité, et c'est par la foi en lui que s'est opéré le miracle, objet de votre admiration. En le faisant mourir, vous n'avez pas compris ce que vous faisiez; mais vous n'en avez pas moins accompli de la sorte ce que Dieu avait annoncé d'avance par ses prophètes. Convertissez-vous donc, pour que vos péchés soient effacés, ce péché-là et tous les autres, et pour que vous soyez prêts à recevoir le Seigneur, quand il reviendra dans sa gloire. C'est lui qui est le grand prophète annoncé par Moïse (1, § 1020), et c'est pour vous, tout premièrement, qu'il est venu. Tel fut, en résumé, le second discours public de l'apôtre Pierre. Fort semblable au précédent pour le fond, il a des particularités qu'il importe de signaler.

§ 1105. Remarquez d'abord les liens étroits qui unissent la nouvelle économie à l'ancienne. C'est le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob qui a glorifié le Seigneur Jésus, après s'être révélé en lui et par lui. Bien plus, la prédication de la bonne nouvelle, le salut que Christ nous a acquis, est la conséquence du testament que Dieu avait fait en faveur des patriarches, dans la personne d'Abraham; et c'est en particulier pour cela, que l'Évangile était annoncé aux Juifs avant de l'être à d'autres peuples.

§ 1106. Remarquez, ensuite, les noms que le Saint-Esprit donne ici par la bouche de Pierre, au Médiateur de la nouvelle alliance. Il commence par l'appeler Jésus le Nazaréen, nom sous lequel il était universellement connu; mais à ce moment déjà nous l'entendons lui donner son titre de Christ et l'invoquer sous ce nom. Ensuite, selon le langage d'Ésaïe-(II, §1055), il l'appelle le Serviteur de l'Éternel (vraie traduction), le Saint et 14 le Juste, savoir le Saint d'Israël, le Juste par excellence; enfin, le Prince de la vie, celui qui marche en tête des 15 vivants et qui est le principe de toute vie véritable (Jean XIV, 6). Méditez ces divers noms du Seigneur Jésus, vous y retrouverez tout ce par quoi nos âmes sont sauvées, consolées, sanctifiées; surtout si vous terminez cette méditation en pesant les dernières paroles de l'apôtre. Sacrificateur de la nouvelle alliance, Jésus a été envoyé pour bénir (I, § 876, 926); non pas pour dire comme les anciens sacrificateurs: L'Éternel vous bénisse; mais pour bénir lui-même, en retirant les pécheurs de leurs iniquités, ce qui est la bénédiction par excellence.

§ 1107. Si du maître vous passez au disciple, vous aurez également de quoi vous édifier. Vous serez frappés, en premier lieu, de la vivacité avec laquelle, lui, jadis si orgueilleux, il se défend des honneurs que la multitude semblait vouloir lui rendre, et vous ne le serez pas moins de l'entendre répéter un mot qui devait profondément l'humilier: «Vous avez renié le serviteur de l'Éternel, vous avez renié le Saint et le Juste!» Il est donc permis à un prédicateur de reprocher à autrui les crimes mêmes dont il a pu se rendre coupable, pourvu qu'il en ait du repentir et qu'il les ait portés au pied de la croix de Jésus. Bien plus, l'expérience qu'il a du péché ne le rendra que plus courageux à le signaler chez ses frères, parce qu'il en a senti toute l'amertume. Or, ce courage de la foi et de la charité, voyez comme il brille chez notre Apôtre, voyez comme il reproche aux Juifs de s'être montrés moins justes que le païen Pilate et de n'avoir pas rougi de préférer à Jésus un misérable meurtrier. Admirez, d'un autre côté, par quel ménagement il semble vouloir atténuer leur crime et celui des magistrats, en l'attribuant pour beaucoup à leur ignorance. Toujours est-il que ce péché, ajouté aux autres, leur imposait l'obligation de se convertir.

§ 1108. Mais encore une fois, qu'est-ce que se convertir? Rapprochez l'une de l'autre deux paroles de ce discours et vous aurez la réponse. Se convertir, c'est se tourner vers Dieu et se détourner de ses méchancetés. On comprend, d'après cela, pourquoi le Seigneur invite à se convertir, ceux mêmes qui appartiennent extérieurement à son peuple (§ 653); pourquoi il y invite un fidèle, un homme déjà converti, mais qui, par quelque grave faute, s'est éloigné de Dieu (Luc XXII, 32). Ensuite, bien que l'apôtre ne le dise pas expressément, il est manifeste que, dans sa pensée, la conversion et la foi en Jésus-Christ sont liées l'une à l'autre. C'est par la foi en son nom que l'impotent a été guéri; c'est par elle aussi que les péchés sont effacés, effacés comme d'un livre (Ésaïe XLIII, 25); par elle que vient pour les âmes un temps de rafraîchissement, après les ardeurs consumantes de la colère de Dieu (Ps. XXXII, 4); par elle enfin, et par elle seule qu'on est sanctifié. Ce Jésus, d'ailleurs, dont le nom produit de telles merveilles, paraîtra de nouveau sur la terre, à l'époque du rétablissement de toutes choses, selon les anciennes prophéties; mais, en attendant, il est au ciel, dans sa nature à la fois divine et humaine: c'est là, et nulle part ailleurs, que nous devons le chercher, vers lui que nous devons regarder pour avoir la vie.

4: 1-3
§ 1109. Après que Pierre eut achevé son discours, et comme il parlait au peuple ainsi que Jean son fidèle collègue, ils virent arriver à eux des hommes qui, sans doute au nom de l'ordre public, mirent la main sur leurs personnes et, pour première persécution, les privèrent de leur liberté. Il y avait d'abord le sacrificateur; par où il faut entendre probablement celui qui avait offert les parfums à l'heure de la prière; hélas! ce n'était pas un Zacharie (§ 52)! puis le chef militaire du temple, autre sacrificateur, commandant le corps de lévites qui faisaient la garde du saint lieu: enfin, des Sadducéens, gens, vous le savez, qui ne croyaient à rien et qui étaient inquiets de ce que les apôtres annonçaient en Jésus «le relèvement,» non pas le relèvement de la nation, mais «celui d'entre les morts.» Ce fut donc l'impiété sadducéenne, le matérialisme des hommes au pouvoir, qui commença cette longue série de persécutions auxquelles l'Église de Jésus-Christ s'est vue exposée dans tous les temps, selon les prédictions de son divin Chef. Bientôt nous verrons le pharisaïsme prendre part à cette horrible lutte contre la vérité; mais pour le moment du moins les pharisiens se tenaient à l'écart. Dans leur vieil antagonisme contre les disciples de Sadoc (§ 20), ils n'étaient pas fâchés d'entendre ces Galiléens parler de la résurrection des morts, doctrine qui les distinguait surtout de leurs adversaires. 4 Cependant la parole de Dieu produisait ses effets. Celui qui avait nourri des milliers d'hommes avec quelques pains et quelques poissons, daigna bénir la prédication de Pierre; et, malgré la persécution naissante, une foule considérable d'Israélites crurent en Jésus-Christ. Le nombre des nouveaux convertis fut d'environ cinq mille, sans compter les femmes et les enfants; à moins qu'il ne faille entendre le texte sacré dans ce sens que l'Église reçut en ce jour une augmentation qui accrut jusqu'à cinq mille le chiffre des frères, abstraction faite des enfants et même des femmes. Dans tous les cas, la Parole du Seigneur s'accomplissait doublement, et par les souffrances de ses serviteurs et par les succès de leurs travaux.

4: 5-7
§ 1110. Les apôtres ayant passé la nuit en prison ou sous bonne garde, ils furent conduits, le lendemain, devant le conseil des Juifs, assemblé, paraît-il, sous la présidence d'Anne, l'ancien souverain sacrificateur. Là, se trouvaient, avec son gendre Caïphe, deux hommes dont les noms ne se lisent qu'ici, et une foule d'autres fils d'Aaron. Hélas! leurs pères avaient persécuté maints prophètes (rappelez-vous notamment Amos et Jérémie); eux-mêmes, ils avaient récemment fait mourir le Saint et le Juste: nous connaissons donc ces hommes et nous savons de quoi ils étaient capables. Leur haine ne s'était pas éteinte dans le sang de Jésus, et nous ne devons pas nous étonner du ton plein de mépris avec lequel ils interpellent maintenant les humbles disciples du Seigneur: «Par quelle puissance,» leur disent-ils, «ou en quel nom avez-vous fait cela, vous.» S'il le faut, pour satisfaire leur animosité, ils ne manqueront pas de prétendre encore que c'était par la puissance de Satan qu'ils guérissaient les malades (§ 623).

4: 8-12
§ 1111. C'était une de ces circonstances où le Seigneur avait expressément promis à ses disciples l'assistance extraordinaire du Saint-Esprit; aussi sommes-nous bien sûrs que les apôtres avaient passé une nuit fort tranquille, attendant avec calme ce que leur réservait le lendemain (§ 818). Ils ne furent pas trompés dans leur attente; car Pierre, rempli d'Esprit saint, prononça pour sa défense un discours tout pénétré de la grâce divine. Il n'est pas long, et il ne devait pas l'être. Respectueux et ferme tout à la fois, l'apôtre répond directement et simplement à la question; mais sans négliger la prédication claire et complète de la bonne nouvelle, fondée, comme toujours, sur la résurrection de Jésus, et consistant essentiellement dans la proclamation du salut par son nom et par son nom seul. Si les apôtres n'avaient pas été traînés à la barre du conseil suprême de la nation, ils auraient pu s'éviter la douloureuse tâche de lui reprocher son crime; mais puisqu'il avait voulu lui-même les entendre, ils étaient bien forcés de lui déclarer que Jésus, crucifié par ses ordres, était ressuscité des morts, et qu’il est (lui, et non pas Pierre) la pierre angulaire dont avaient parlé David et Ésaïe (Ps. CXVIII, 22; Es. XXVIII, 16). Cette fois, le prédicateur inspiré fait allusion à la prophétie, plutôt qu'il ne la cite textuellement; mais il parlait à des hommes qui connaissaient les Écritures mieux que le gros du peuple, et d'ailleurs il n'y avait pas si longtemps que le Seigneur leur avait fait l'application de ces mêmes prophéties, au moins de la première (§800). Quel courage cependant ne fallait-il pas à Pierre, pour réveiller en eux de tels souvenirs!

4: 13-18
§ 1112. Ses auditeurs eux-mêmes furent étonnés de ce discours; mais, à la manière des mondains, bien moins du fond que de la forme. Tant d'assurance chez des hommes du commun, hommes qu'ils reconnaissaient, il est vrai, pour avoir été avec Jésus, mais qui, jusqu'à sa mort, avaient si peu marqué; tant d'assurance, dis-je, jointe au miracle incontestable dont ils avaient la preuve vivante sous les yeux, leur paraissait un problème inexplicable, et peut-être auraient-ils cru dès ce moment à l'Évangile, si seulement ils avaient cru en Dieu (Jean V, 38) et s'ils eussent pu croire sans se convertir. Au lieu de cela, ils ne songent qu'à mettre fin le plus tôt possible à toute cette affaire. Comme ils s'efforçaient d'étouffer la voix de leur conscience, ils vont s'efforcer pareillement d'étouffer celle des apôtres, et ils leur défendent avec grandes menaces, de parler à qui que ce soit en ce nom-là. Remarquez comme ils évitent eux-mêmes de répéter un nom qui devait leur être, en effet, si pénible à prononcer. Or, non seulement Pierre et Jean ne se laissèrent point effrayer par ces menaces et se gardèrent bien de promettre plus de retenue à l'avenir (§ 639); non seulement ils se retirèrent résolus à poursuivre l'œuvre qui leur avait été confiée par le Seigneur, mais encore ils ne voulurent pas que le magistrat pût ignorer leurs intentions et les accuser d'un manque de droiture: «Jugez s'il est juste, devant Dieu, de vous écouter plutôt que Dieu; car nous ne pouvons pas ne point parler des choses que nous avons vues et IV entendues.»

4: 19-22
§ 1113. Paroles sublimes! Quelque dégradés que soient ses juges, Pierre respecte en eux le caractère dont ils sont revêtus; il ne veut pas supposer qu'il n'y ait plus en eux aucun sentiment de justice, aucune conscience des droits de Dieu sur ses créatures, ni qu'ils aillent jusqu'à s'arroger une autorité supérieure à celle du Seigneur. Quant à Pierre et à ses collègues, ils ne peuvent pas ne point avoir vu et entendu les choses qu'ils ont vues et entendues, et il leur serait tout aussi impossible de les dissimuler. Qu'on leur ôte la vie, ils ne parleront plus; mais tant qu'ils vivront, le Saint et le Juste fera d'eux ses témoins fidèles et persévérants. C'est bien là ce que comprirent les hommes devant qui comparaissaient les apôtres; aussi, tout leur désir aurait été de les châtier de leur audace, mais le peuple était dans un de ces moments d'enthousiasme qu’il n'est pas prudent de braver, et ils relâchèrent les deux prisonniers, après leur avoir fait de nouvelles menaces.

4: 23-30
§ 1114. Il est facile de se représenter avec quelle joie les frères virent revenir ceux d'entre eux qui avaient eu l'honneur de subir, les premiers, quelque persécution pour le nom de Jésus. Bien des prières isolées étaient sans doute montées au ciel en leur faveur; puis, quand ils furent de retour et qu'ils eurent tout raconté, les frères réunis élevèrent d'un commun accord leur voix à Dieu, pour lui rendre des actions de grâces et implorer son secours. Ici, nous les voyons donnant un bel exemple de la manière dont l'Église persécutée doit retremper ses forces, en s'élevant à la pensée de la souveraineté de Dieu et de son adorable prescience. Les opprobres qu'ils viennent d'essuyer dans la personne des deux apôtres, ne sont que la suite des souffrances et de l'humiliation de leur Maître, et celles-ci, Dieu les avait clairement prédites par la bouche de David (Ps. II, 1, 2). Or les esclaves ne sauraient s'attendre à être mieux traités que leur Seigneur. Loin donc de s'abattre, ils demandent à Dieu, non pas qu'il fasse descendre le feu du ciel sur Jérusalem (§ 560); mais qu'il leur accorde d'annoncer sa parole avec toute assurance et qu'il glorifie le nom de Jésus par de nouveaux miracles. Ce n'est donc pas assez de souffrir patiemment les épreuves de la foi, il faut y puiser une nouvelle énergie, pour abonder de plus en plus dans les œuvres qu'elle inspire.

4: 31
§ 1115. Le Seigneur voulant donner aux siens un signe indubitable de son approbation et de l'exaucement de leurs prières, il se fit comme un tremblement de terre qui ébranla le lieu où ils étaient, et ils furent tous remplis d'Esprit Saint. Ce fut une nouvelle effusion de la grâce de Dieu, moins sans doute pour augmenter leurs dons spirituels et miraculeux, que pour entretenir leurs âmes dans la paix du Seigneur et les affermir en sa sainte vérité. Aussi continuèrent-ils d'annoncer la Parole de Dieu avec une entière assurance, bénédiction inappréciable, et pour eux et pour bon nombre de leurs concitoyens, ainsi que nous le verrons bientôt.


CCLXXIII. Prospérité de l'Église de Jérusalem; Ananias et Sapphira; nouvelle persécution.


4: 32-33
§ 1116. Au moment où nous en sommes de l'histoire apostolique, l'église de Jérusalem, et il n'y en avait pas d'autres, comptait plus de huit mille personnes que la grâce de Dieu avait amenées aux pieds de Jésus par la prédication de ses disciples. Il est dit de cette multitude qu'elle avait cru, et pourtant, nous allons voir parmi ces croyants des hypocrites, de l'ivraie mêlée au bon grain, selon la parole du Seigneur (§ 446). Ici donc le mot croire doit être entendu dans le sens large que nous lui avons vu ailleurs (§ 193). La plupart sans doute des membres de cette église étaient de vrais croyants; mais qu'il y eût des exceptions, c'est ce qui est incontestable. Tous du moins professaient la foi, une même foi, et ils la professaient volontairement, ce qui n'est pas le cas de la plupart des prétendues églises de nos jours.

§ 1117. En conséquence, c'étaient les fidèles, et non les infidèles, qui donnaient le ton et l'impulsion à cette heureuse société. Il y avait entre ceux qui la composaient les liens d'une affection commune en Jésus-Christ, c'est la base de tout; puis un grand accord dans la manière d'envisager les choses. Et comme ils possédaient une même foi, une même espérance, un même Sauveur, un même Père, un même héritage au ciel, il ne leur entrait pas dans l'esprit qu'ils pussent posséder des biens en ce monde, sans en faire part à ceux de leurs frères qui en étaient dépourvus. Lorsque Josué partagea le pays, chaque famille avait eu son lot, et si la loi de Dieu avait toujours été observée, on n'aurait jamais vu en Israël, ni l'extrême misère, ni l'extrême opulence. Voilà ce qui tendait à se rétablir, mais volontairement, chez les disciples de Jésus, ce nouveau peuple de frères. Toutes choses étaient communes entre eux, dans le même sens qu'ils n'étaient qu'un seul cœur et qu'une seule âme. Plus les apôtres prêchaient la résurrection des morts par Jésus, plus la grâce de Dieu se répandait; et, par elle, se développaient et se nourrissaient les plus beaux fruits du renoncement et de la charité. En sorte qu'il n'y avait aucun indigent parmi les membres de l'Église. Il n'est pas dit, comme portent les anciennes traductions, que ceux qui avaient des terres et des maisons «les vendaient,», mais qu'ils «faisaient des ventes» et apportaient le prix aux pieds des apôtres, non pour le partager entre tous, mais pour le distribuer au fur et à mesure des besoins. Je le redis encore, il s'en faut bien que cette communauté d'affections, cette fraternité de sentiments et cette libéralité toute spontanée, fruits de la foi en Jésus-Christ, puissent être confondues avec les systèmes modernes de ce communisme haineux, fratricide et tyrannique, qu'on ose recommander au nom de l'Évangile et qui s'allie chez la plupart avec la plus grossière impiété. Il n’est pas douteux, après cela, que les chrétiens de nos jours n'aient à demander instamment au Seigneur une abondante mesure de sa grâce, afin d'apprendre de lui à se dépouiller et à donner; car, au sein même de véritables églises, il est des gens dont l'avarice et l'égoïsme sont en grand scandale (§ 1098).

4: 36, 37
§ 1118. Entre ceux qui se signalèrent par leurs largesses, l'écrivain sacré mentionne un fils de Lévi, originaire de l'île de Chypre, où ses pères s'étaient établis autrefois. Il y possédait un champ qu'il vendit et dont il remit la valeur aux apôtres, pour en faire l'usage convenu. Cet homme s'appelait Joses, et fut surnommé par les apôtres Fils de consolation, en hébreu Barnabas. Il avait pour parent un jeune homme que nous ne tarderons pas à voir jouer un rôle dans l'évangélisation du monde, Jean surnommé Marc; Barnabas lui-même, occupa bientôt une place particulièrement honorable parmi les ministres du Seigneur, deux circonstances qui expliquent pourquoi son nom se trouve ici.

5: 1-11
§ 1119. D'autres raisons, et de fort douloureuses, ont engagé le Saint-Esprit à nous faire connaître la terrible mort d'Ananias et de Sapphira. Lisez leur histoire; elle se résume en peu de mots. Ananias et Sapphira, gens à leur aise, n'étaient pas entrés dans la société nouvelle par intérêt, ce qui pouvait être le cas de bien des pauvres; mais ils tenaient peut-être l'un et l'autre à être comptés parmi les plus pieux, ou bien, poussés par les inquiétudes de leur conscience, ils avaient ambitionné le bonheur dont jouissaient manifestement les disciples de Jésus-Christ. Qui sait même s'ils ne se croyaient pas vraiment convertis, tandis que, semblables à Judas, une passion dominante remplissait leur cœur et les empêchait d'aller au-delà d'une foi morte. Ils furent aussi de ceux qui vendirent, non pas tout ce qu'ils avaient, mais «une possession,» dit le texte sacré. Rien ne les y obligeait, comme Pierre le fait remarquer à Ananias; et, après avoir effectué la vente, ils étaient libres de garder le prix, en tout ou en partie; preuve décisive que la communauté d'alors n'était pas le communisme tel qu'on l'entend de nos jours. Mais non, cela n'aurait pas fait le compte des vendeurs. Ils voulaient tout à la fois garder une portion de leur argent et s'acquérir avec le reste un renom de piété et de bienfaisance. Or, ce n'était pas l'église qu'ils trompaient ainsi, puisqu'elle n'avait pas le droit d'exiger de tels sacrifices; c'était Dieu lui-même, à qui Ananias faisait semblant de tout donner: c'est au Saint-Esprit qu'il mentait, bien plus qu'aux hommes. Ce qu'il y avait d'horrible, c'est que le mari et la femme s'étaient donné le mot dans cette odieuse supercherie. Ils ne pensaient donc pas que Dieu eût entendu leur complot, ils ne croyaient pas réellement en lui. Aussi Dieu lui-même, et non pas Pierre à coup sûr, fit tomber sur ces deux époux le plus effroyable des châtiments, un châtiment qui rappelle celui de Nadab et d'Abihu, celui de Coré et de ses complices (I, §§ 877, 956). Selon l'usage des Juifs, usage que facilitaient la nature de leur climat et leur coutume d'enterrer dans des grottes ouvertes, les deux cadavres furent immédiatement enlevés de dessous les yeux de l'assemblée; mais quelle impression profonde cette scène ne dut-elle pas laisser dans le cœur des assistants.

§ 1120. À considérer la patience inconcevable avec laquelle Dieu supporte tant d'impies et d'hypocrites, à considérer surtout le contraste que fait ce miracle effrayant, avec les autres miracles de Jésus et de ses Envoyés, il est permis d'éprouver ici quelque étonnement et de se demander pourquoi ce coup de foudre au milieu d'un ciel si serein; pourquoi, dans le domaine de la grâce, un prodige qui a tant de rapports avec ceux de la loi? En voici, me semble-t-il, la vraie raison. Parmi les dangers qui menaçaient l'Église naissante, il n'y en avait pas de plus redoutables que l'hypocrisie, comme il n'y pas de vice non plus que le Seigneur déteste davantage; rappelez-vous ses apostrophes aux pharisiens. Qu'on se représente ce que serait devenue l'Église, si les Ananias et les Sapphira avaient pu y abonder! Plus de confiance mutuelle, plus de ce concert des cœurs qui attire les bénédictions du Seigneur, plus aucun respect de la part du monde, toujours si clairvoyant en matière pareille. De nos jours, la plupart des églises ou de ce qu'on appelle de ce nom, sont pleines d'hypocrites sans grand dommage pour elles, par la raison même qu'elles semblent avoir combiné leurs institutions de manière à favoriser l'hypocrisie. Mais lorsque nul n'était contraint d'appartenir à l'Église, il est clair que la présence d'un seul hypocrite pouvait faire plus de mal que mille hypocrites en d'autres circonstances. Par Ananias et Sapphira, Satan voulait insinuer dans l'Église de Jésus-Christ un nouveau pharisaïsme et un pharisaïsme pire que l'ancien; or le Seigneur voulut, à son tour, inspirer une crainte salutaire à ceux qui seraient tentés de se joindre aux frères par des motifs tout charnels. Le but fut atteint; car, nous dit le livre des Actes, il y eut une grande crainte sur toute l'assemblée et sur tous ceux qui apprirent ces choses. Quant à nous, mes chers lecteurs, examinons sérieusement si nous sommes droits devant Dieu; si les motifs qui nous attachent à son Église sont dignes de lui; si nous lui avons donné notre cœur, car c'est là ce qu'il veut; si, enfin, dans le service que nous lui rendons, il ne nous arrive pas souvent de le frauder, en retenant une partie de ce que nous prétendons lui avoir consacré?

5: 12-16
§ 1121. Cependant la force du Seigneur continuait à se manifester par le ministère des apôtres. Et comme il avait donné à son disciple Pierre une plus grande puissance de parole, c'était aussi par son ministère qu'il opérait le plus de prodiges. On vit alors s'accomplir ce que Jésus avait dit une fois: «Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais et il en fera de plus grandes, parce que je vais à mon Père (Jean XIV, 12).» Il y avait là de quoi entraîner bien des âmes, comme malgré elles; mais, sans parler de l’effroi qu'avait produit la mort d'Ananias et de Sapphira, on remarquait chez les apôtres et chez leurs disciples une sainteté, un sérieux qui imposait à la multitude. Si bien que, dans le temple même, où les frères avaient pris le portique de Salomon pour l'endroit de leurs réunions particulières, les autres n'osaient se joindre à eux, respectant la solitude qu'ils se faisaient au milieu de la foule. Mais ce qui était un obstacle pour beaucoup de gens, n'en était pas un pour les âmes que le Père avait données à son Fils (Jean VI, 37); aussi nous est-il dit que «la multitude de ceux qui croyaient, tant hommes que femmes, s'augmentait de plus en plus.»

5: 17,18
§ 1122. Pendant ce temps, les ennemis du Seigneur semblaient avoir oublié leurs sinistres desseins contre ses envoyés. Au fait, ceux-ci étaient des gens exemplaires, qui continuaient, aussi bien que leurs disciples, à honorer le temple et le culte qu'on y célébrait; la plupart même de ceux qui ne se joignaient pas à leurs assemblées, professaient pour eux une grande vénération; puis, le Seigneur les gardait, et modérait par son bras puissant la haine des adversaires. Ces derniers, toutefois, et à leur tête le souverain sacrificateur, ne laissaient pas de surveiller avec inquiétude le mouvement des esprits; ils voyaient journellement de nouvelles conversions à l'Évangile et c'étaient autant d'âmes qui échappaient à leur influence. C'est pourquoi, poussés par la même jalousie qui les avait portés aux dernières extrémités contrôle Seigneur (Matt. XXVII, 18), les voilà qui mettent un jour la main sur les apôtres et les font tous jeter en prison. C'étaient encore des sadducéens (§ 1109), sorte de gens assez indifférents d'habitude aux questions religieuses, mais qui deviennent les pires persécuteurs lorsque la voix de la vérité se met à inquiéter leur conscience, ou que leurs intérêts matériels leur paraissent compromis par les progrès de la foi. Or, de nos jours, comme du temps des apôtres, ce n'est pas seulement parmi les hommes du siècle que le saducéisme recrute ses sectateurs; il atteint les ministres mêmes de la religion.

5: 19-27
§ 1123. La persécution alla croissant, car il paraît que cette fois les douze furent tous enfermés; mais il plut au Seigneur de montrer comment il peut délivrer les siens, quand il lui plaît de le faire. Un messager de sa miséricorde ouvrit les portes de la prison pendant la nuit; à son invitation, les apôtres se rendirent de là dans les cours du temple et sous ses portiques, en sorte que, dès le matin, ils y purent recommencer leurs enseignements, faisant entendre à ceux qui arrivaient les paroles de la vie éternelle. De son côté, le souverain sacrificateur et ses acolytes avaient convoqué, pour le matin, de bonne heure, tout le Conseil des Juifs; mais quand ils eurent envoyé des sergents avec mission de leur amener les détenus, il leur fut fait rapport que la prison était vide, sans que l'évasion des apôtres eût été aperçue et qu'elle eût laissé la moindre trace. Comme les membres du conseil étaient à se demander, au milieu d'une certaine agitation, ce que cela signifiait et ce que tout cela deviendrait, quelqu'un de leurs partisans leur annonça que les hommes incarcérés la veille, enseignaient tranquillement dans le lieu sacré. Il ne s'agissait donc plus que de les amener devant le conseil, mais sans éclat, pour ne pas irriter un peuple dont la violence passait si vite d'un objet à l'autre; or, rien de plus facile, car les apôtres n'étaient pas de ceux qui repoussent la force par la force.

5: 28
§ 1124. Ce fut avec une sorte de douceur, ou plutôt avec une certaine crainte que le souverain sacrificateur leur adressa la parole. «Nous vous avions expressément défendu d'enseigner en ce nom-là, et voici vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine, et vous voulez faire venir sur nous le sang de cet homme!» Ce nom! cet homme! disent-ils, et ils continuent à n'oser, ni prononcer ce nom, ni dire qui est cet homme (§ 1112); mais c'est un homme dont le sang a été répandu par eux, et ils craignent que ce sang ne leur soit redemandé. De la part de qui? De la part de Dieu ou du peuple? Pas de la part de Dieu, semble-t-il, car croyaient-ils en Dieu, ces impies? Cependant, il est difficile que la conscience perde entièrement ses droits, et, à moins d'être parfaitement sûr qu'il n'y aura pas de rétribution finale, on ne saurait vivre dans le crime sans éprouver de temps en temps quelques appréhensions, surtout quand on a crié: «Que son sang soit sur nous et sur nos enfants (Matth. XXVII, 13).» Dans tous les cas, c'était le peuple que ces hommes craignaient. S'exagérant par peur les succès des apôtres, et, sentant qu'en effet leur doctrine aurait dû être accueillie de tous avec empressement, il leur semblait déjà que la ville de Jérusalem en était pleine. Méconnaissant d'un autre côté les sentiments de charité que la foi en Christ tend à produire, ils se figuraient que, si le peuple venait à croire en ce nom-là, il ne manquerait pas de leur demander compte du sang qu'ils avaient répandu. C'est pour cela qu'ils ressentaient si vivement l'insulte que les apôtres semblaient faire à leur autorité.

5: 29-32
§ 1125. Ce fut alors que Pierre répéta sa précédente déclaration, mais sous une forme sensiblement différente. Il en avait appelé jadis à leur propre jugement (IV, 19); maintenant qu'ils ont jugé contre Dieu, il prononce avec l'autorité de la foi et du Saint-Esprit qu' «il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes;» vérité de toute évidence pour qui croit en Dieu. La difficulté, dans l'application, est de bien s'assurer quelle est la volonté du Seigneur, de peur qu'en croyant la faire plutôt que celle des hommes, nous ne fassions au fond notre propre volonté, par opposition à celle de Dieu. Quant aux apôtres, ils marchaient d'un pied sûr dans leur résistance aux ordres du magistrat; car ils tenaient leur commission de celui que Dieu avait déclaré Prince et Sauveur en le réveillant d'entre les morts et en l'élevant au ciel; ils en avaient pour garants leurs propres yeux et le Saint-Esprit qui parlait et agissait en leurs personnes.

§ 1126. Dans cette courte réponse, la prédication de l'Évangile prend un nouveau développement. Aux titres donnés précédemment à Jésus-Christ (§ 1106), s'en joignent ici deux autres d'une grande importance. Comme Prince, son autorité est supérieure à toutes les autorités d'ici-bas; comme Sauveur, il est le refuge assuré des pécheurs, et ceux-ci lui ont trop d'obligations pour l'abandonner à la première menace. Ce n'est pas tout, si Pierre a proclamé précédemment la nécessité de se convertir à Jésus-Christ pour obtenir le pardon des péchés (§§ 1090, 1107, 1108), complétant à cette heure la bonne nouvelle, il déclare que c'est ce même Jésus qui donne la conversion; qu'il est, non pas simplement le canal, mais encore la source de toutes les grâces du salut; en sorte que ceux qui, par la foi en Jésus, obéissent à Dieu, obéissent par l'influence de l'Esprit-Saint que Jésus leur a donné. Cette doctrine est pleine de consolation pour les cœurs humbles et repentants; mais les auditeurs de Pierre ne voulaient pas entendre parler de conversion. Méconnaissant le besoin qu'ils avaient du pardon de leurs péchés, ils ne savaient pas gré d'un Sauveur, et surtout ils ne voulaient pas que Jésus de Nazareth fût leur Prince (Luc XIX, 14). Et puis, comment souffrir que des hommes tels que Pierre et ses collègues se prétendissent inspirés, à l'égal des anciens prophètes, et qu'ils ne cessassent de les accuser d'avoir mis à mort le Messie!

5: 33-39
§ 1127. Aussi nous est-il dit que les membres du conseil frémissaient de rage. En présence même des apôtres, ils délibéraient sur le sort qu'ils voulaient leur faire, et l'on parlait hautement de les tuer. Alors se leva un homme fort considéré de tous, qui ordonna de faire sortir les prévenus, et qui, par l'avis plein de sagesse qu'il ouvrit, fut l'instrument dont Dieu se servit cette fois pour détourner, ou du moins retarder l'orage qui grondait sur son peuple. Cet homme était pharisien et docteur de la loi; il se nommait Gamaliel, et nous verrons plus tard que si, à son école, on se pénétrait d'un pharisaïsme sincère et respectable à beaucoup d'égards, on n'y apprenait pas toutefois la tolérance. Gamaliel, infidèle en ce moment aux principes de sa secte, prit le parti des apôtres, non pour recommander leur doctrine assurément, ni pour leur concilier la bienveillance de leurs juges, puisqu'il les met, eux ou leur maître, sur la même ligne que deux séducteurs qui, une trentaine d'années auparavant, s'étaient dits le Christ et avaient misérablement péri, mais pour demander simplement qu'on ne s'occupât plus d'eux. La généralité du Conseil pensait qu'il fallait étouffer dans le sang la nouvelle doctrine; Gamaliel, au contraire, comme beaucoup de philosophes après lui, estimait qu'elle n'avait d'importance que celle qui lui était donnée par ses adversaires.

5: 38, 39 
§ 1128. Quant au principal argument de Gamaliel, pris dans sa généralité, il manque certainement de justesse. Il n’est pas vrai que, dans ce monde de péché, tout ce qui réussit et qui dure soit nécessairement de Dieu, ni en religion, ni en politique, ni en aucune chose, témoin le paganisme et le mahométisme, sans parler de cette multitude d'erreurs qui défigurent depuis si longtemps une grande portion de ce qu'on appelle l'Église. Mais, dans le cas particulier, il faut convenir que Gamaliel voyait juste. Et Theudas, et Judas le Galiléen avaient, l'un et l'autre, pris les armes, ou tout au moins ému le peuple pour défendre leurs prétentions. Ici, rien de pareil. Voilà des hommes simples et pieux, des hommes sans appui terrestre, des hommes qui prêchent les choses les plus absurdes si elles ne sont pas vraies, et des hommes qui ne possèdent rien de ce qui fait quelquefois triompher les absurdités. Laissez-les donc, dit Gamaliel; si cette œuvre n'est pas de Dieu, il est impossible, à la manière dont elle est conduite, qu'elle ne tombe pas: si, l'abandonnant à elle-même, elle prospère, alors, pour certain, elle est de Dieu, et songez à qui vous vous trouveriez avoir fait la guerre! Ce qui explique, au surplus, l'intérêt que mit Gamaliel à défendre les apôtres, c'est qu'il était pharisien et que leurs principaux accusateurs étaient de la secte des sadducéens. Bien souvent, dès lors, l'Église n'a dû sa tranquillité qu'à la division des partis qui auraient voulu sa perte; comme aussi quelquefois ces partis savent oublier leurs différends, pour se liguer contre le Seigneur.

5: 40-42
§ 1129. Quoiqu'il en soit, l'avis de Gamaliel prévalut; aussi bien le moment n'était-il pas favorable pour prendre des mesures extrêmes. Mais il fallait pourtant que l'arrestation des apôtres servît à quelque chose; on les fit donc battre de verges, en leur répétant la défense de parler au nom de Jésus, et quand on eut ainsi versé le premier sang depuis celui du Sauveur, on relâcha les victimes. On espérait sans doute que la souffrance les effraierait plus que ne l'avaient fait les menaces; mais, au contraire, bien que sensibles aux outrages et aux mauvais traitements, comme nous le serions nous-mêmes, les apôtres se réjouirent de l'honneur qu'on leur faisait en les assimilant à leur maître. Le Saint-Esprit leur remit en mémoire les prophéties du Seigneur relatives aux persécutions qu'ils essuyaient et au bonheur de souffrir quelque chose pour la justice (Matth. X, 17; V, 10); c'est pourquoi, loin d'être ébranlés, ils ne cessèrent d'annoncer, et en public et en particulier, que Jésus est le Christ. Tel fut, de tout temps, l'effet de la violence sur ceux qui, droits de cœur, n’ont autre chose en vue, dans la profession de leur foi et dans la prédication de l'Évangile, que la gloire de Dieu et le salut des âmes.


CCLXXIV. Légères taches dans l'Église de Jérusalem; institution des diacres; martyre d'Étienne.


Chap. 6-7
§ 1130. Les faits qui nous sont rapportés dans ces deux chapitres semblent, au premier abord, s'être passés immédiatement après ceux dont nous venons de nous occuper. Mais nous voyons, notamment par Matthieu III, 1, que, dans l'usage de la Bible, l'expression: «En ces jours-là,» désigne le temps d'une manière assez peu précise. Ici, elle signifie: En ces temps de progrès et de persécutions tout à la fois. Bien qu'il y ait des personnes qui rapportent à l'an 33 tout ce qui est raconté dans les sept premiers chapitres des Actes, la plupart pensent, je crois, que l'emprisonnement des apôtres n'eut pas lieu l'année même de la mort du Seigneur, que l'institution des diacres se fit assez longtemps après cet emprisonnement, et qu'Étienne exerçait son ministère depuis plusieurs mois, lorsqu'il fut traduit devant le Conseil des Juifs et lapidé. On rapporte en conséquence à l'an 37 de l'ère chrétienne ce dernier événement. Le plus sûr est peut-être de le placer entre l'an 35 et l'an 37.

6: 1
§ 1131. Dans tous les cas, l'église de Jérusalem était encore de fondation récente. Or, malgré l'abondance de la grâce de Dieu et la présence des apôtres, et plus encore celle du Saint-Esprit; malgré la foi et la charité qui remplissaient les cœurs, on vit se manifester dans cette église des murmures et du mécontentement, suites de fâcheuses partialités. Les Grecs dont il est ici question n'étaient pas des païens d'origine, mais plutôt des Hellénistes, qu'il ne faut pas confondre avec les Hellènes ou Grecs proprement dits. Ceux-ci, constamment distingués d'avec le peuple d'Israël, sont appelés autrement les Nations ou les Gentils; tandis que les Hellénistes étaient les Juifs dispersés qui, habitant des pays de langue grecque ou hellène, s'appelaient, par cette raison, Hellénistes et Grécisans. Nous avons déjà vu qu'il leur arrivait souvent de se fixer de nouveau dans la Judée, et que la plupart d'entre eux faisaient de fréquents séjours à Jérusalem (§ 1082). Quant aux veuves, à l'occasion desquelles s'éleva la difficulté, on s'est demandé comment il pouvait y avoir, dans l'église, un si grand nombre de femmes privées de leurs maris, à une époque où la persécution, pour bien dire, n'avait pas encore éclaté. On l’explique en disant que les veuves, plus libres de leurs actions, pouvaient plus aisément se joindre à l'Église que les femmes mariées. On dit aussi qu'on appelait veuves, celles que leurs maris non convertis avaient répudiées, ou qui avaient été renvoyées par ceux qui, avant leur conversion, possédaient plusieurs femmes. Du reste, c'est peut-être gratuitement qu'on suppose que ces veuves fussent en très grand nombre: il y en avait là comme partout, et leur position les recommandait particulièrement à la commisération de l'église. Après cela, il paraît que, dans les repas journaliers qui se faisaient en commun, elles occupaient une place distincte, et, par une raison quelconque, mais qu'on ne saurait approuver, on faisait, dans les distributions, une différence entre les veuves des Juifs hébreux et celles des Juifs hellénistes; qui sait même si celles-ci n'exagéraient pas leurs plaintes?

6: 2-4
§ 1132. La chose est d'autant plus étonnante que c'étaient alors les apôtres eux-mêmes qui avaient la surintendance des tables et de tous les soins matériels relatifs à ce service. Mais ces hommes d'élite, auxquels, par la grâce du Saint-Esprit, rien ne manquait pour rendre témoignage à la vérité, ces hommes dont la vie tout entière marchait en parfaite harmonie avec leur prédication, étaient des hommes après tout: ils avaient aussi leurs faiblesses et notamment leur impossibilité de tout voir et de tout faire. C'est pourquoi, reconnaissant le mal dont on se plaignait et signalant indirectement ce qui en était la cause, ils demandèrent à être déchargés d'une fonction dont les détails allaient croissant et qui pouvait être faite par d'autres aussi bien que par eux; de cette manière, dirent-ils, nous aurons plus de temps pour la prière et pour la prédication. Si donc ils refusaient de rendre à l'église toutes sortes de services, ce n'était pas pour demeurer oisifs, mais pour lui rendre d'autant mieux le service qui leur était propre. Cet exemple me paraît digne d'imitation. Il ne faut pas que, dans les églises, un seul homme, ni même plusieurs cumulent toutes les fonctions. Tel qui excelle à la prédication, ne s'entend point à administrer, et réciproquement. Mais si le travail doit être divisé, ce n'est pas pour donner à personne des loisirs inoccupés; il est clair, de plus, qu'il faut, comme à Jérusalem, que le besoin s'en fasse sentir. Parce qu'il y eut sept diacres nommés à la fois, dans cette église, ce n'est pas une raison pour qu'il y en ait partout ce même nombre, ni même pour qu'il y ait des diacres partout. Cette institution ne se rattache pas à l'essence de l'Église; ce n'est pas pour elle une question d'existence, mais de convenance.

§ 1133. Je viens d'écrire le mot de diacre, et vous pourrez observer cependant qu'il ne se trouve point dans le chapitre que nous étudions. Mais si ce mot, dont le sens est serviteur ou ministre, ne s'y rencontre pas, vous y lisez deux fois celui de service, en grec diaconie (versets 1 et 4); puis le texte porte au verset 2 le verbe diaconeïn, bien traduit par servir. Il y est donc parlé du service journalier des tables et du service de la Parole; et ce que les apôtres demandent, c'est qu'il y ait des diacres ou serviteurs et ministres des tables, tandis qu'ils continueront à être eux-mêmes diacres ou serviteurs et ministres de la Parole. Ce mot donc est très général; il se dit de toute espèce de ministère, seulement il est vrai qu'il est appliqué d'une façon plus spéciale aux fonctionnaires qui, sans s'interdire toute activité spirituelle, s'employaient essentiellement à l'administration des intérêts temporels de l'Église.

6: 5-6
§ 1134. Les apôtres ayant donc convoqué la multitude des disciples, proposèrent de choisir sept hommes parmi les plus honorés, les mieux doués du Saint-Esprit et les plus aptes aux soins dont il s'agissait. L'assemblée approuva cet avis et l'on passa à l'élection; puis, les nouveaux serviteurs de l'église furent placés devant les apôtres, qui prièrent et leur imposèrent les mains. Cette manière de procéder, sans être une règle à suivre dans tous les cas, se rattache cependant à des principes d'une grande importance. On y voit d'abord que l'autorité exercée par les apôtres dans l'Église était d'une nature bien différente de celle que se sont arrogée leurs prétendus successeurs. Il s'en fallait bien que, même de leur vivant, l'Église n'eût rien à dire en ses propres affaires, notamment dans le choix de ses ministres: elle intervint même directement, lorsqu'il fut question de remplacer un apôtre (§ 1077). On y voit ensuite avec quel soin une église doit choisir ses fonctionnaires, quel que soit l'objet de leur office. Pour servir aux tables, comme pour toute autre fonction, il fallait des hommes animés de l'Esprit de Dieu. Nous y voyons enfin que tous les actes d'administration ecclésiastique doivent être accompagnés de la prière, parce que c'est Jésus qui est le chef de l'Église, et que c'est une manière de reconnaître et de confesser ce fait; sans parler du besoin si réel que nous avons de son assistance pour agir vraiment selon sa volonté. Quant à l'imposition des mains, si l'on ne voulait voir dans cette cérémonie que le signe de la transmission des dons extraordinaires du Saint-Esprit, on devrait la regarder maintenant comme dépourvue de tout sens; mais, bien que l'imposition des mains des apôtres fût fréquemment accompagnée d'une transmission des dons miraculeux, elle était aussi quelque fois une simple bénédiction au nom du Seigneur et la consécration à une charge instituée ou approuvée par lui. Dans le cas particulier, l'imposition des mains exprimait qu'une partie de la charge apostolique passait aux sept frères élus, et qu'on appelait la grâce de Dieu sur leurs personnes (I, § 987).

§ 1135. Il n'est pas sans intérêt de remarquer, après cela, que les noms des sept diacres sont des noms grecs, ce qui a fait penser qu'ils sortaient tous du milieu des Hellénistes. Quelques-uns en ont conclu qu'avant eux il y avait déjà des diacres (ces jeunes gens qui enterrèrent Ananias et Sapphira), mais qu'ils avaient été, jusque-là, pris entre les Hébreux. Pour éviter de nouvelles plaintes, on leur aurait adjoint sept autres diacres, choisis parmi les plaignants. Pour moi, je me plais, de préférence, à considérer le résultat de cette élection comme un effet de l'amour et de la confiance qui n'avaient pas cessé d'animer les frères, malgré quelques nuages passagers: les Hébreux avaient unis leurs voix à celles des Hellénistes. De cette manière, ce qui avait d'abord été une sorte de scandale dans l'église, tourna, par la grâce du Seigneur, à un resserrement des liens qui en unissaient les membres les uns aux autres.

6: 7
§ 1136. Telle ayant été l'issue de cet incident, nous ne devons pas nous étonner de ce qui est dit ensuite sur les progrès que la foi continuait de faire à Jérusalem. La Parole de Dieu y croissait comme la plante de moutarde sortie de sa petite semence (§ 447); elle croissait en abondance de prédications, en clarté de doctrine et en efficace sur les cœurs. Le nombre des disciples se multipliait, et même des sacrificateurs en foule étaient comme contraints de se soumettre à la foi nouvelle. Beau triomphe que celui-là; car ces sacrificateurs, en se convertissant, déposaient l'éphod pour se ranger parmi les humbles disciples des pêcheurs de la Galilée. Mais la foi est une puissance d'une grande énergie; quand elle commande, il faut que l'âme obéisse: sainte violence, dont il n'est jamais arrivé à personne de se plaindre, après l'avoir subie.

6: 8-14
§ 1137. Parmi les diacres ou serviteurs de l'église qui avaient été récemment élus, se trouvait un homme remarquable entre tous par la fermeté de sa foi et par la puissance miraculeuse dont le Saint-Esprit l'avait revêtu. C'était Étienne. Non content d'édifier l'église par ses instructions et par sa vie, il portait l'évangile dans les synagogues des Hellénistes, Helléniste lui-même; en sorte que ceux-ci se liguèrent contre lui, espérant de le confondre dans une dispute publique. Josèphe, historien et général Juif, qui naquit à Jérusalem l'année même de la mort d'Étienne, ou une année après, nous dit qu'il existait alors dans la ville sainte 480 synagogues ou congrégations distinctes, et que les Juifs de chaque contrée y avaient la leur. Celle des affranchis réunissait, pense-t-on, les Juifs de Rome qui, après avoir été esclaves, avaient recouvré leur liberté; celle des Cyrénéens, les Juifs habitants les côtes de l'Afrique connues sous le nom de Cyrénaïque (§17); quant à la Cilicie et à l'Asie, c'étaient deux provinces de l'Asie mineure. La première avait Tarse pour capitale, ville encore assez considérable maintenant et près de laquelle Alexandre-le-Grand faillit périr en se baignant dans le Cydnus. Là était né, quinze ans peut-être après Jésus-Christ, un homme dont les conquêtes ont été plus étendues et plus durables que celle du bouc de Javan, je veux dire ce disciple de Gamaliel, jeune pharisien fort rigide, dont nous aurons beaucoup à parler dans la suite, et qui va paraître sur la scène pour y jouer VI d'abord un rôle bien odieux. Il se trouvait apparemment parmi les Hellénistes qui disputaient avec Étienne et qui, «ne pouvant résister à la sagesse et à l'Esprit par lequel il parlait» (Luc XXI, 15), ameutèrent le peuple contre lui et le traînèrent devant le Conseil, l'accusant d'avoir mal parlé du temple et de la loi. Ils avaient avec eux des témoins menteurs: c'était tout comme dans le procès intenté contre Jésus-Christ.

6: 15; 7: 1
§ 1138. On ne saurait douter qu'Étienne n'eût en effet parlé des institutions judaïques d'une manière qui avait d'autant plus offensé les oreilles, que c'était l probablement un sujet dont les apôtres évitaient d'entretenir leurs auditeurs. Ils savaient bien que le temple devait être détruit, et que par conséquent le culte lévitique aurait une fin (§ 816); mais, soit que leur cœur Israélite n'aimât pas à s'arrêter sur cette pensée, soit que le Saint-Esprit la retînt au fond de leur âme, afin qu'au moment voulu, elle se fît jour par l'organe des Hellénistes, il paraît qu'Étienne fut le premier à expliquer nettement le plan de Dieu sur ce point de majeure importance. Mais qu'il l'eût fait en termes blasphématoires, c'est ce qui était impossible. Rien qu'à le regarder, on aurait pu s'en convaincre; car ceux qui étaient dans le Conseil, ayant arrêté les yeux sur lui, virent son visage comme un visage d'ange. Il y avait sur ses traits, au milieu de cette cohue, de ce mouvement, de ces passions agitées, tant de calme et de sérénité, tant de dignité et de douceur, une si parfaite innocence, une telle effusion de l'Esprit saint, qu'ils semblaient ne pas être ceux d'un homme. C'était presque comme Moïse redescendant de la sainte montagne (I, § 860).

7: 2-54
§ 1139. Étienne, interrogé par le souverain sacrificateur (encore le malheureux Caïphe, à ce qu'on croit), prononça un discours qui, bien que le plus long de ceux que nous a conservés le livre des Actes, demeura cependant inachevé. Cette circonstance explique l'obscurité qui reste dans l'esprit, après avoir lu la portion de sa défense que ses ennemis consentirent à entendre. On ne voit pas bien où il en voulait venir, ni par conséquent l'utilité des développements dans lesquels il entra. Rappelons-nous toutefois de quoi il était accusé, et nous parviendrons à pénétrer sa pensée. Il devait s'être montré Juif apostat, en blasphémant contre le temple et contre la loi. Pour détruire cette fausse inculpation, il fait un résumé de l'histoire de la nation d'Israël, en homme non seulement qui s'honore d'appartenir à ce peuple, mais encore qui croit fermement que c'est l'Éternel lui-même qui avait appelé Abraham au pays de Canaan et Jacob en Égypte, qui avait délivré les fils d'Israël par le ministère de Moïse, ordonné l'érection du tabernacle dans le désert et confié plus tard à Salomon le soin de lui bâtir un temple. Comment penser qu'un homme qui parle ainsi, ait jamais pu blasphémer contre le temple et contre la loi!

§ 1140. Puis, ce qu'Étienne avait pu dire sans blasphème et ce qu'il confirme, bien qu'en touchant la chose indirectement, c'est qu'avant le temple, il y avait eu simplement une tente, et, avant la tente du désert, un Abraham, un Isaac, un Jacob, un Joseph, qui avaient adoré Dieu, qui avaient cru en ses promesses et s'étaient, endormis dans sa paix, sans avoir eu, ni le temple, ni le culte lévitique; c'est que le peuple de Dieu, par conséquent, pouvait de nouveau se voir sans temple et sous une autre loi que celle de Moïse. Ce qu'Étienne dit encore, et qu'il n'avait peut-être jamais exprimé d'une manière si forte, parce que l’occasion ne s'en était pas aussi clairement présentée, c'est que de tout temps le gros de la nation s'était montré hostile à l'Éternel et rebelle à sa voix. Ainsi les frères de Joseph, ainsi les Israélites en Égypte et dans le désert, ainsi encore les contemporains des prophètes qui annoncèrent le Messie. Or, les Juifs du temps d'Étienne, en crucifiant Jésus-Christ, en persécutant ses apôtres, en menaçant du regard celui qui, de sa part, leur adressait la parole à cette heure, manifestaient la même incrédulité et la même opposition au Saint-Esprit, que leurs pères, dans les plus mauvaises époques Voilà ce qu'ils appelaient blasphémer, et voilà ce qu'Étienne était à leur dire, lorsqu'il fut arrêté par les frémissements de leur rage et par leurs grincements de dents.

7: 55-60
§ 1141. À cet instant, le dernier qu'Étienne devait passer sur la terre, le Seigneur voulut réjouir le cœur de son disciple en se faisant voir à lui par une extase, effet de la puissance du Saint-Esprit. Étienne vit Jésus, le Fils de l'homme, Jésus dans cette chair qui souffrit pour nos péchés et en laquelle il habite le ciel jusqu'au rétablissement de toutes choses (Act. III, 21); et l'heureux martyr dit à haute voix ce qu'il contemplait et adorait. Mais ceux qui étaient là crièrent plus fort, afin qu'on ne l'entendît pas; ils se bouchèrent les oreilles; puis, se précipitant tous ensemble, ils l'entraînèrent tumultueusement hors de la ville, et, sans autres, ils le lapidèrent. Les témoins, aux termes de la loi (T, § 1019), jetèrent les premiers cailloux, tandis qu'un jeune homme, nommé Saul ou plutôt Saül, le disciple de Gamaliel, gardait leurs manteaux. Quant à Étienne, il avait eu le temps de prononcer cette courte et belle prière: «Seigneur Jésus, reçois mon esprit;» puis, continuant de regarder à Jésus (pour lui Dieu aussi bien qu'homme), il se mit à genoux tandis que les pierres pleuvaient sur sa tête. Il put encore crier à haute voix: «Seigneur, ne leur impute pas ce péché!» Ayant dit cela, il s'endormit sous le tas de pierres dont son corps fut bientôt recouvert.

§ 1142. Telle fut la mort du premier martyr. Ce mot signifie témoin, et vous venez de voir, en effet, comment Étienne rendit témoignage à Jésus-Christ jusqu'à son dernier soupir, comment sa mort aussi rendit témoignage à la sincérité parfaite de sa foi et à la vérité de ses enseignements. «Il s'endormit;», car pour une âme ainsi préparée, la mort n'est pas autre chose qu'un doux et paisible repos dans le sein du Seigneur. Il s'endormit, après avoir proclamé la gloire de Jésus, Fils de l'homme, et en l'invoquant comme son Sauveur et son Dieu. Il s'endormit, le cœur plein d'amour et de compassion pour les malheureux qui le lapidaient! Rien de plus semblable à la mort de Jésus que celle d'Étienne, par la simple raison que l'Esprit de Christ habitait en lui. Et quel contraste avec la terrible fin de celui qui fut quelque temps au nombre des apôtres et qui n'y fut que pour trahir son maître! C'est que Judas n'avait qu'une foi morte, et que celle d'Étienne était réelle et vivante par le Saint-Esprit. Comment ne pas dire après cela: «Que mon âme meure de la mort des justes et que ma fin soit semblable à la leur! (I, § 976)!»

§ 1143. Ce fut donc l'an 36 ou l'an 37, qu'eût lieu l'événement mémorable qui vient de nous occuper, environ trois ou quatre ans après la mort de notre Seigneur. Or, ce fut en ce même temps, selon Josèphe, que Caïphe et Pilate se virent, l'un et l'autre, déposés de leur office par le pouvoir romain; non sans doute pour les punir du mal qu'ils avaient fait à Jésus et à ses disciples, mais à cause de leurs nombreuses malversations. Toujours est-il que ce dut être pour l'église de Jérusalem une occasion solennelle d'adorer les voies de la providence. Ces deux hommes, qui étaient entrés la même année, l'un dans la souveraine sacrificature, l'autre dans le gouvernement de la Judée, tombèrent ensemble, lorsque le sang de Christ venait, pour ainsi dire, de couler une seconde fois. Ce n'est pas que Pilate eût concouru à ce dernier crime. Le Conseil des Juifs n'avait pas eu besoin de son appui: il n'avait fait qu'user de l'autorité qui lui avait été laissée en matière religieuse (§943), et nous allons voir à quels excès il en porta l'exercice.


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