Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA MORT D'UN PÈRE


Tu l'as remise aux mains du Dieu, qui la réclame,

Remise confiante, humble et calme, cette âme

Qui, dans son long trajet, l'œil arrêté sur lui,

Le prit, sans varier, pour guide et pour appui.

Son long trajet Hélas! au terme de la vie,

Quel sens conserve-t-il, ce mot que l'on envie?

Des jours les plus nombreux quand expire le cours,

Le cœur désenchanté les dit mauvais et courts;

Et pour nous qui restons, pour nous qui, sur la terre,

Marquons encor nos pas au chemin solitaire,

Le plus riche passé comble-t-il l'avenir?

Au vide du présent que peut le souvenir?


C'en est fait; cette voix pour toujours s'est éteinte.

Nous ne l'entendrons plus, quand renaîtra la plainte,

Quand reviendra le trouble en nos cœurs frémissants,

Calmer d'un mot béni l'orage de nos sens.

0 mon père! Pour toi, dans ta sainte assurance,

Il n'était ni terreur, ni lâche défiance,

Ni doute desséchant; simple et pure, ta foi

Rayonnait, s'épanchait, sereine, autour de toi.

A ses douces clartés, notre âme épanouie

Ressaisissait l'espoir qui nous rend à la vie;

Nous relevions la tête et marchions en avant.


Hélas! nos pieds encor foulent un sol mouvant;

La brume autour de nous répand encor son ombre;

Le vent siffle et gémit; l'horizon, bas et sombre,

Échappe à nos regards 0 mon père! aujourd'hui,

Nos cœurs, nos faibles cœurs ne t'ont plus pour appui.

Ta place à nos côtés reste vide, et notre âme,

Hélas! au lieu de toi, quand son cri te réclame,

N'embrasse plus qu'un doux mais fuyant souvenir...


Que nulle ombre, du moins, ne te vienne ternir,

Mémoire vénérée !... Alors que, sous la pierre,

Des restes, chers encor, vont tomber en poussière,

Et, loin de nos regards, transformés par degrés,

Au sol que nous foulons se mêler ignorés,

0 tristesse! ô douleur! si, comme eux refroidie,

Dépôt inerte et vain dans notre âme engourdie,

Tu n'étais plus pour nous, quand il se fera tard,

Qu'un penser d'autrefois, qui revient au hasard!


Non, non, jusqu'au tombeau, plane sur notre voie,

Mémoire bien-aimée, et que le ciel te voie

Sur nos fronts abattus refléter sa clarté!

Non pas cette lueur qu'au hasard emporté,

Chargé des feux du jour ou de ceux des tempêtes,

Un nuage en passant projette sur nos têtes.

Non, ton éclat si doux, non, ton éclat vainqueur

Porte avec lui la vie et réchauffe le cœur.

La vie Ah! sentez-la, du sein de cette gloire,

S'échapper frémissante! 0 céleste mémoire!

En toi nous savourons bien plus qu'un souvenir;

Tu nous rends un amour qui ne doit pas finir.


Oui, des morts aux vivants, prochaines harmonies,

Il est de saints accords, il est des voix bénies

Dont l'âme entend vibrer le son mystérieux.

Ce voile qui te cache à nos débiles yeux,

0 mon père! qu'est-il? qu'est-il, si, du nuage

Dans son essor vainqueur la foi qui se dégage,

Du monde des esprits franchit l'auguste seuil?

Ah! plus d'absence alors, de plaintes, ni de deuil.

De nos morts bien-aimés les images sereines

S'attachent à nos pas, se penchent sur nos peines,

Ou, quand un doux penser traverse nos regrets,

S'éclairent d'un sourire aux célestes attraits.


0 mon Père! naguère à ma femme mourante

Tu donnais rendez-vous sous la croix triomphante

Qui domine l'abord du céleste séjour.

Nul n'a repris ton rang; quand est venu ton jour,

Ton jour prévu de loin, t'a trouvé prêt. 0 joie!

0 du divin réveil délices où se noie

L'esprit que l'air des cieux a vu s'épanouir!

0 salut du revoir! qu'il eût fait beau t'ouïr!

Mon père, mon Emma, dans cette heure sacrée,

De tant d'êtres chéris, de ma mère éplorée,

De moi, qu'avez-vous dit? Quels suaves accents

Ont prêté leur concert à vos cœurs bénissants?


À la clarté d'en haut distinguez-vous d'avance

Dans nos rangs éclaircis la prochaine vacance?

Et vos lèvres déjà l'ont-elles murmuré,

Ce nom, ce premier nom, parmi nous ignoré?


Que plus tôt ou plus tard doive sonner notre heure,

Que l'un parte, ô mon Dieu! quand l'autre encor demeure,

Fais, du moins, que la route où s'enfoncent nos pas

De nos saints devanciers ne nous éloigne pas.

Quand le dernier de nous, pour la mort qui s'apprête,

Au chevet d'agonie aura posé sa tête,

Qu'ils entourent sa couche où s'use la douleur,

Que leurs mains de son front étanchent la sueur,

Qu'elles écartent l'ombre où nagent ses prunelles,

Et qu'au premier rayon des clartés éternelles,

Dans les regards d'amour de ses anges gardiens

Il rencontre, ô mon Dieu! retrouve tous les siens!


 H.-F. CALAME, de Neuchâtel



Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant