Dans un jardin couvert de fleurs,
Un papillon, brillant des plus riches couleurs,
Volait tout fier de sa jeunesse,
Tout fier aussi de sa richesse.
Il se croyait venu des cieux
Pour dominer en ces bas lieux;
On aurait dit que sa puissance
S'étendait avec majesté
Depuis la pâquerette en son humble beauté,
Jusqu'à la rose en sa magnificence.
À droite, à gauche, il allait, il venait,
Tantôt donnait une caresse,
Et tantôt il se pavanait
Pour faire admirer sa noblesse.
Un jour, en parcourant
Son soi-disant empire.
(Je ne saurais vous dire
Dans quel endroit précisément)
Il aperçoit une chenille
Qui se traînait sur un buisson.
«Halte-là, misérable fille!
•Ici que fais-tu donc?...
Lui dit-il avec arrogance,
Qui t'a permis d'entrer chez moi?...
C'est une impertinence
Dont les gens tels que toi
Sont seuls capables.
Qui pourrait vous souffrir?
Tous les tiens sont des misérables
Qui mériteraient de périr.
En vérité, l'Auteur de la nature
À bien mal rempli son devoir,
Quand il a fait par son pouvoir
Une aussi vile créature.
Ah! tu voudrais salir les fleurs
De mon jardin!...
Va-t-en traîner ailleurs
Ta hideuse personne.
Sors d'ici! Je l'ordonne...»
La voyageuse, en écoutant
Un discours aussi virulent.
Ne savait que se dire.
Aux premiers mots, elle se mit à rire.
En vérité, ce papillon,
Se disait-elle, est un gai compagnon,
Il a du goût pour la plaisanterie;
Apprenons-lui qu'on entend raillerie.
Bientôt le ton du superbe orateur
Lui fit connaître son erreur;
Mais, jugeant qu'il vaut mieux se taire
Que de répondre avec colère,
Elle attendit fort sagement
Que le premier moment
Fût passé; puis, levant la tête,
Et, sans battre en retraite.
Elle adressa paisiblement
À peu près le discours suivant.
«Par ton air et par ton langage,
Si tu t'es proposé
De jouer le grand personnage,
Crois-tu m'en avoir imposé?
Je connais ton histoire,
Je puis te remettre en mémoire
D'où tu sors, quels sont tes parents,
Et comment tes propres enfants,
Malgré tout l'éclat de leur père,
Auront à ramper sur la terre.
Dans le passé, dans l'avenir,
Tout devrait t'avertir
Que ta grandeur est passagère,
Que richesse et misère
Sont deux états bien rapprochés,
Ou plutôt deux métamorphoses
Ne changeant rien au fond des choses.
On sait que les plus haut perchés
Bientôt devront descendre,
Et que des petits viendront prendre,
À leur tour, la place des grands.
Ces fleurs, ces jardins et ces champs
Ne sont pas ta conquête,
C'est Dieu qui te les prête;
Il te les reprendra,
À quelqu'autre il les donnera.
Pourquoi donc blesser ton semblable
Par ton orgueil coupable?
Et pourquoi, dans ta vanité,
Manquer d'humanité?
Pense à ton origine,
C'est ta pauvre voisine
Qui te le dit.» — Elle avait bien raison;
Mais notre matamore
Mit-il à profit la leçon?
Demandez-lui; moi, je l'ignore.
Quant à nous, ne l'oublions pas:
Dans quelque état que soit l'homme ici-bas,
Qu'il soit papillon ou chenille,
Il est toujours de la même famille;
Sachons-le bien, et que l'humilité
S'unisse en nous avec la charité.
L. ROEHRICH, pasteur.
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