Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CONSOLATION ET FORCE


Lettre (Inédite) de M. Vinet a M. F. C, a l'occasion de la mort de sa femme.

Il m'en a coûté, mon cher Monsieur, de ne pouvoir, au moins une fois, vous aller serrer la main et vous dire un mot d'encouragement au milieu de vos angoisses; mais je n'ai pas besoin de vous dire que nous avons été ensemble aux pieds du Père céleste, pour le prier de bénir votre douleur. Nous l'en prions encore, et c'est tout ce que nous pouvons vous dire. Quelle consolation humaine, quelle parole humaine peut se mesurer avec une telle affliction, et oserait même s'en approcher! Il n'y aurait que ceux qui auraient subi la même épreuve qui pourraient se croire le droit de s'associer à vos larmes. Les autres, vous devez penser qu'ils n'y connaissent rien. Cependant, cher Monsieur, ils sont atteints à leur manière par le coup qui vous a été porté; et je puis bien vous dire qu'ils se sentent honteux et comme enrayés de leur bonheur. À quoi tiennent nos plus chères félicités? Vous venez de le voir, et ils se rangent avec vous. Puissions-nous tous ensemble reconnaître que cette vie n'a pas été organisée pour l'accomplissement de toutes les fins de notre être, et qu'une nature à qui le célèbre Médecin fait subir de si terribles opérations, est plus malade, plus altérée, que nous ne sommes naturellement portés à le penser! Dieu veuille, mon cher Monsieur, vous faire sentir vivement et doucement sa présence, au moment où une absence si douloureuse fait un désert de votre cœur! Qu'il en remplisse le vide! Qu'il vous suffise; lui seul est suffisant à tout! Qu'il absorbe l'amertume de votre douleur dans la douceur de vos espérances! Et n'avez-vous pas aussi de bien doux, de bien précieux souvenirs, ceux d'une vie qui vous fut dévouée, et d'une mort qui a été si douce et si édifiante? Votre chère épouse a senti et elle a rendu manifeste à ceux qui l'entouraient, combien la conviction de l'amour de Dieu en Jésus-Christ et le plein abandon à la grâce est une ancre ferme dans le naufrage de la mort.

Avec d'autres persuasions, ou, plutôt, privée de ces persuasions, aurait-elle si doucement et si noblement rendu son âme à son Maître? Je sais que vous avez l'âme naturellement forte; mais ce sont de telles âmes qui aiment et qui souffrent le plus, et leur force se tourne contre elles-mêmes. Mais, quand il n'en serait pas ainsi, je ne voudrais pas vous voir tout demander et tout tirer de votre force; l'âme se mutile dans cet exercice où elle n'a qu'elle-même pour point d'appui. Notre dignité, la vérité de notre être, la beauté de notre existence, notre vrai bonheur, découlent du sentiment de notre dépendance, lorsque ce sentiment nous rattache comme la branche à l'arbre, et nous tient unis à un Dieu également saint et clément. Faites donc usage de votre force, mais pour vous soumettre, pour recevoir, pour attendre et pour prier. Tout cela est de l'action et de la force; tout cela augmente les puissances de l'âme, et tout cela est plus doux qu'une loi sans entrailles qui commande l'impossible et le laisse impossible.

Mais comment puis-je, mon cher Monsieur, vous forcer, dans un pareil moment, à lire tout cela? Pardonnez-moi, je vous prie. Je n'en avais pas l'intention; je ne voulais que vous écrire deux ou trois lignes; et si j'en ai écrit davantage, c'est que je n'ai pu vous quitter sitôt, et ne pas entrer dans toute votre position. Adieu donc, et que notre Père commun vous bénisse abondamment en votre esprit, en votre corps, en tout ce qui vous est précieux et cher.

VINET.



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