Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XX

SE RENOUVELER

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Notre être intérieur se renouvelle de jour en jour.

(Il Cor. 4, 16)


I

Voilà un indicatif que nous aurons raison de traduire en un impératif; et cette transposition même marque la distance qui sépare notre foi craintive de la foi victorieuse de l'apôtre. Là où il dit: Mon être intérieur se renouvelle de jour en jour! nous disons, nous, comme un voeu et une prière: Il faudrait que mon être intérieur se renouvelle de jour en jour! et nous sommes humiliés par l'accent de certitude de Saint Paul qui évoque ici des expériences décisives. Le vaillant missionnaire a le droit de se sentir extérieurement usé; travaux, veilles et persécutions, aventures sur terre et sur mer, fatigues du corps et anxiété fiévreuse du coeur; succès inespérés et échecs douloureux, une carrière remplie d'imprévus, de surprises souvent amères; voilà bien de quoi fatiguer et lasser l'homme le plus robuste, le tempérament le plus résistant. Il le sait et ne fait aucune difficulté à le confesser. L'être extérieur se détruit! Mais, ce converti de Jésus voit l'autre face de son histoire, cette vie intime qui s'est poursuivie au milieu de toutes ces circonstances difficiles, comme une ascension perpétuelle vers la lumière, comme une conquête constante de grâces nouvelles. En face des efforts plus ardus, l'énergie intérieure s'est affirmée plus riche.

Plus il a fallu lutter, souffrir, peiner, plus son âme a découvert en elle des ressources insoupçonnées. L'usure extérieure, loin de provoquer l'usure du dedans, n'a été que l'occasion d'un progrès intime, d'un renouvellement intérieur merveilleux. L'expérience caractéristique, à laquelle peuvent se référer toutes les âmes qui depuis vingt siècles ont appris à vivre dans la grâce d'En-Haut, la voici définie: Quand notre être extérieur se détruit, notre être intérieur se renouvelle de jour en jour...

En face de ce témoignage, nous osons à peine apporter le témoignage opposé de nos existences médiocres, de notre courte philosophie sans ailes et si terre à terre devant la sublimité de la Révélation chrétienne. Ne vivez-vous pas souvent enfermés dans cette désespérante pensée que la fatigue extérieure entraîne dans son sillon la fatigue du dedans, la lassitude de l'âme? Vous évoquez le contrecoup de la maladie sur votre activité, sur votre humeur, sur votre caractère. La tension exagérée de vos esprits captifs de notre civilisation nerveuse et agitée ne les empêche-t-elle pas de retrouver les sources où elles pourraient boire une eau qui les rajeunisse? Devant la difficulté des devoirs apparus, devant le retour des tentations, devant l'assaut des méchancetés, combien souvent avons-nous connu ce sentiment décourage qui nous a fait dire: Nous sommes usés! Usée, notre volonté sainte de combattre; usés, nos rêves anciens de service joyeux et intégral de Dieu! Vis-à-vis de la décision chrétienne prise jadis en une heure de ferveur et d'enthousiasme, nous n'avons ni la force de la renier absolument (nous sentons trop que là est la vérité et là l'espérance), ni la force de la renouveler jour après jour. Tandis que notre être extérieur se détruit, notre être intérieur se laisse attaquer; et la menace de l'appauvrissement et du déclin plane sur lui.

Il faut vous refuser à cette abdication; ne pas prendre votre parti de cette défaite et demander à Dieu de vous élever vers ces cimes chrétiennes, si audacieusement gravies par les premiers témoins de l'esprit, afin que vous aussi vous connaissiez ce privilège magnifique de pouvoir répéter dans la communion du Christ:

Notre être intérieur se renouvelle de jour en jour. ...


II

Ce renouvellement est nécessaire; il est possible. Ce renouvellement est nécessaire, d'une double nécessité.

Tout d'abord parce que la vie nous apporte continuellement du nouveau. Qui peut dire ce que le jour de demain lui réserve? Vous pensez sans doute à ces brusques revirements, à ces changements catastrophiques que signifient dans une existence un deuil inattendu, l'effondrement d'une situation matérielle que l'on croyait assurée, la brusque attaque de l'infortune ou de la maladie. Et combien qui s'étaient estimés suffisamment armés et suffisamment riches, se sont-ils reconnus soudain dénués et vaincus à l'instant où il a fallu, avec les quelques convictions acquises et la médiocre foi possédée, faire face à l'épreuve. Dieu parle! et d'un instant à l'autre, voici qu'Il réclame de nous l'héroïsme, le sacrifice, le dépouillement!

Mais, sans nous attarder à la considération des grandes épreuves (dont nul pourtant n'a le droit de se dire à l'abri, en face de l'inconnu de l'heure qui va sonner), ne confessez-vous pas que dans le cours ordinaire de l'existence se poursuit incessamment et sans que nous y prenions toujours garde un renouvellement perpétuel des choses et des circonstances qui nous interdit de demeurer immuables et de nous reposer sans souci sur ce que nous sommes, sur ce que nous possédons, sur les richesses acquises du passé?

C'est à la faveur de circonstances parfois fortuites et banales, le réveil de quelque pensée mauvaise, premier indice de cette chute possible dans la malhonnêteté, dans l'impureté, dont vous vous êtes cru jadis à jamais incapable. C'est Dieu qui place devant vous, impérieusement, un devoir inconnu. Ce sont ces parents tout surpris de voir si rapidement mûris au soleil de la vie ces enfants, déjà menacés par les forces adverses et qui éprouvent l'insuffisance manifeste des quelques conseils et des quelques principes moraux dont ils ont voulu fortifier leurs jeunes volontés. Vos yeux s'ouvrent devant la misère intérieure d'un ami qu'il faut sauver, devant les détresses collectives de victimes qui attendent que passe sur leur route quelque frère du Bon Samaritain d'autrefois; des devoirs de charité, de justice vous appellent auxquels jusqu'ici vous n'aviez point songé. Du moment qu'ils apparaissent il faut répondre. Vis-à-vis de tâches nouvelles il faut une force nouvelle.

Ce n'est pas au jour d'une première décision, fut-il même le jour d'une conversion précise et manifeste, que vous avez pu faire pour votre vie entière une suffisante provision d'énergie intérieure. Ce qu'il faudrait, c'est que chaque fois que Dieu parle pour vous proposer un nouveau combat ou une nouvelle initiative, Dieu fût aussi là pour vous accorder un nouveau baptême de puissance et d'Esprit. Il faudrait en face de la vie qui continue, et qui, en continuant, ne cesse de renouveler ses appels, que le secret vous fût donné du renouvellement intérieur.

Renouvellement nécessaire encore en ceci que c'est aussi vous qui, dès l'instant où vous servez le Christ, devez apporter du nouveau dans la vie. Nos églises ont trop oublié qu'elles ne doivent pas seulement se traîner à la remorque de l'histoire en s'adaptant, et souvent avec quelle lenteur et avec quel retard, aux circonstances nouvelles, mais qu'à côté du nouveau qu'apportent dans le cours du temps les transformations économiques et humaines qui sont parfois loin de constituer un progrès réel, il leur appartient à elles, servantes de l'Évangile, de vouloir renouveler la face de la terre!

À supposer même que vos existences semblent pour un temps enfermées dans un cours monotone et que les lendemains prochains ne vous apportent rien d'absolument imprévu, n'y a-t-il pas en vous-mêmes cette puissance mystérieuse de la vie créatrice qui veut du nouveau parce qu'elle veut du mieux? Votre intelligence qui après avoir saisi une vérité repart à la recherche d'une vérité plus complète et plus haute, votre coeur qui ne maintient la permanence de sa vie affective que par le besoin intense d'aimer plus intensément encore et plus largement, votre volonté qui s'affaiblit dès l'instant où elle ne s'attache plus à quelque nouvelle forme de l'idéal qui la domine, tout votre être intérieur en un mot ne vit que par le miracle du renouvellement incessant.

Loin de nous toute concession à la soif vulgaire qui pousse tant d'êtres autour de nous à poursuivre passionnément des émotions inconnues; loin de nous cette manie qui domine certains esprits, même religieux, qui s'en vont de lieu en lieu cherchant leur repos, toujours prêts à supposer que le nouveau prédicateur, la nouvelle secte, la nouvelle théorie leur fourniront des trésors autrement précieux que ceux de la tradition de l'Église des Pères! Loin de nous la fièvre qui consume et dévore tant de carrières humaines emportées par un vent furieux dans la recherche de plaisirs toujours inédits! Partir... sous d'autres cieux, vers d'autres patries, vers d'autres conceptions, vers d'autres maîtres! Quelle détresse derrière cette attitude de tourment perpétuel. Mais cette détresse même n'est après tout que la caricature déformée d'un instinct de la vie profonde.

Vivre, c'est être capable de changement, de mouvement. Il y a dans l'immobilité, dans le recommencement fatal des mêmes gestes, des mêmes pensées, des mêmes oeuvres, une image de la mort anticipée. Vivre, c'est se renouveler.

Seulement chrétiens, il s'agit de vous renouveler dans le sens de Dieu, de Sa volonté, de Son royaume. Vous sentez, confusément peut-être, que l'Évangile reste aujourd'hui encore, et pour vous et dans le monde, une nouveauté, je veux dire une source intarissable d'initiative, d'amour et de victoire. Vous sentez que c'est par le développement de vos relations avec Dieu que la force vous sera donnée d'insérer, et dans vos petites existences et dans ce monde qui vous entoure du nouveau positif, le seul qui ait de la valeur et qui constitue un enrichissement réel; de vous renouveler en croissant dans la foi qui appelle le miracle et dans la charité qui accomplit parmi les hommes la volonté du Dieu d'amour. Il faut vous renouveler parce que notre monde attend la révélation des fils de Dieu, la manifestation actuelle, accessible, immédiate des puissances invisibles.

Il faut que l'être intérieur se renouvelle de jour en jour.


III

Il le faut et comment cela se peut-il faire? Je parle à des croyants et me sens par là même autorisé à me placer d'emblée au centre et à répondre: Cela n'est possible que parce que le Saint-Esprit est une réalité; cela n'est possible que parce que par la foi en Christ est réalisée l'espérance de toutes les âmes religieuses, le rêve de tous les mystiques: l'habitation de Dieu dans le coeur de son enfant.

Certes il est une discipline de la volonté et de l'intelligence, une réaction personnelle contre la paresse instinctive de l'être dont nous saisissons tout le prix. Mais nous en avons reconnu aussi les limites. Il n'y a pas seulement dans notre nature la loi du moindre effort, source secrète de tant de défaites intérieures; il y a aussi en elle une contradiction tragique. Lorsque la conscience émue en face d'un nouveau devoir, d'un nouvel appel, se replie sur elle-même avant de s'élancer vers l'avenir, c'est sur son passé qu'elle retombe; elle se sent captive de la misère même dont elle soupire d'être affranchie. Comment trouverait-elle dans ce seul retour sur elle-même la source de son rajeunissement alors qu'elle retrouve en elle le souvenir même de ses échecs et de ses reculs?

Quand Dieu vous demande quelque chose de nouveau, il s'agit donc de marquer un pas sur le chemin qui monte, de consentir à un sacrifice

plus complet que ceux d'hier, à un amour plus dévoué, à une prière plus fervente. Qu'as-tu été en face du devoir d'hier? Infidèle dans de petites choses, tu prétendrais maintenant par toi-même être capable de fidélité dans les grandes? Le renouvellement intérieur que je désire, je le sens impossible à l'heure même où je le veux le plus intensément, aussi longtemps que je ne me place pas résolument, tournant le dos à ma misère, en face de la promesse de Dieu, pour m'ouvrir sans réserve à cette conviction que l'Esprit habite en moi. L'âme se renouvelle dans la mesure où elle plonge ses racines en Dieu.

Jésus a dit: l'eau que je te donnerai deviendra en toi une source d'eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle (Jean IV, 14.). La foi ouvre en nous les sources intérieures. Un principe de vie, inconnu au monde, réside en ceux qui demandent au Christ de revivre en eux. Si l'accès à la vie nouvelle est comparé par l'Écriture à une naissance nouvelle, la régénération de l'âme n'a pas seulement lieu une fois pour toutes au moment où elle s'abandonne une première fois à l'action souveraine de l'Esprit. L'esprit nous fait renaître toujours et tous les jours.

Toujours... Ici se dressent devant nous les nobles figures de ceux qui ont su garder, jusque sous les cheveux blancs, le secret des renouvellements intimes. Vous admirez déjà ceux qui, semblables au sage antique ne sont jamais fatigués d'apprendre et demeurent jusqu'au bout de leur carrière les étudiants de la vie, jamais lassés de recommencer, de poursuivre quelque but plus lointain, d'entreprendre quelque nouvel effort. Vous enviez ceux qui peuvent être repris par Dieu, encore en train d'agir, de penser, de faire effort. Mais combien est plus merveilleuse encore cette capacité de renouvellement quand elle s'affirme sur ce terrain proprement spirituel, celui où se place Saint Paul lorsqu'au terme de sa carrière, si active et si remplie, il écrit: J'oublie ce qui est en arrière et je m'élance vers le but. Je n'ai pas encore atteint la perfection, mais je m'efforce de saisir le prix, moi qui ai été saisi par Christ (Phil. III, 13-14.). Parce qu'il est possédé par un tel maître, il sent en lui et l'élan et la force pour repartir toujours à nouveau. Aucune tâche ne l'écrase, aucune souffrance ne l'effraie. Son âme se renouvelle toujours et ce sont des trésors d'action, d'amour et de pensée qui débordent de cette âme en qui agira jusqu'au bout, l'Esprit saint de Jésus-Christ.

Toujours! et nous pouvons traduire avec plus de précision ce toujours par l'expression: Tous les jours, de jour en jour. Le rajeunissement quotidien, voilà le but à la fois proche et infini que le chrétien poursuit dans la communion avec celui qui a possédé tous les jours la présence du Père et son divin secours.

Oh Dieu, disait le Psalmiste, crée en mot un coeur pur, renouvelle en moi un esprit bien disposé (Ps. LI, 12.). Oui, crée en moi ce nouveau coeur. Car comment pourrai-je me changer moi-même et m'accorder par ma propre volonté, ce que je ne possède point, la pureté de l'être intime. Mais dans sa prière le croyant qui jette un regard sur l'avenir sur la longue succession des jours et sur le cortège de peines et de luttes qu'elle implique, n'oublie pas d'ajouter: Tu renouvelleras en moi le miracle, tu renouvelleras l'esprit de bonne volonté que j'implore aujourd'hui de ta bonté...

Nous n'aimons guère, protestants fidèles au sens exact des Écritures, la traduction fort arbitraire de l'oraison dominicale: Donne-nous chaque jour notre pain spirituel. La prière du Seigneur nous invite à demander au Père le pain de notre corps, le bon pain sans lequel s'évanouit l'existence physique, premier soutien urgent de la vie de l'Esprit. Mais nous aimons aussi à répéter la prière que les auditeurs de Jésus lui adressèrent le jour où il leur parla en son langage sublime du vrai pain du ciel: Celui qui mangera du pain que je lui donnerai vivra éternellement; Seigneur donne-nous toujours de ce pain-là! (Jean VI, 34, 58.) Oui donne-nous tous les jours, ô Christ, l'aliment intérieur qui vivifiera nos énergies et qui nous rendra capables d'accepter le devoir que Dieu place devant nous.

Depuis que de telles paroles ont jailli du coeur brûlant des chantres d'Israël et des âmes ferventes des apôtres, Dieu qui ne change point et qui ne renie point ses promesses n'a cessé d'opérer les mêmes merveilles dans les âmes des fidèles. Il fait naître à nouveau; il fait jaillir les sources de l'esprit dans les âmes vaincues par sa Grâce; et ceux qui s'attendent à lui continuent à se renouveler de jour en jour.

Vous saisissez la certitude de la promesse, la fidélité absolue de Dieu, la permanence de l'action du Christ vivant.

Et alors d'où vient encore l'incertitude qui vous empêcherait de vous ouvrir sans réserves à cette révélation splendide? La faculté du rajeunissement demeure offerte à chacun. Celui-là se renouvelle de jour en jour qui de jour en jour aussi s'ouvre aux effluves invisibles, qui de jour en jour s'arrête au pied du Christ pour lui dire: Parle et je t'écoute; nourris-moi et je serai nourri! qui de jour en jour s'évade du monde où tout vieillit et s'use, s'élance au-dessus de son propre moi, accablé de fatigues et de misères, pour revenir au geste si simple et si grand de la prière qui appelle le souffle de l'esprit.

De jour en jour! N'attends pas l'heure critique, l'instant des grands désespoirs, des défaites terribles, du désarroi complet pour réapprendre la prière et pour te dire: C'est aujourd'hui le jour de me tourner vers mon Dieu. C'est à celui qui dans la fidélité d'une démarche quotidienne, vient se replacer sous les rayons d'en haut que la promesse s'adresse, certaine et victorieuse:

Quand même ton être extérieur se détruit, ton être intérieur se renouvellera de jour en jour...

Que sont nombreux autour de nous les malheureux qui vivent dans l'obsession de la destruction, humains pitoyables, condamnés quand même au vieillissement et à la mort et qui se lamentent à compter leurs rides, ou peut-être travaillent à les artificiellement masquer!

Qu'ils sont joyeux, qu'ils sont beaux, qu'ils sont nobles au regard d'eux, les hommes qui acceptent loyalement et franchement, une fois pour toutes, la loi qui régit l'être naturel, la loi de l'usure et de la mort, et s'avancent jusqu'au bout de la route les yeux fixés sur le but spirituel qui les appelle; le but prochain: des âmes à aimer, des frères à servir, des tâches à achever ou à commencer; le but lointain, l'invisible rive où s'épanouit la vie triomphante.

Prenez rang parmi ces hommes-là, et vous serez de ceux qui luttent sans faiblir et vous pourrez répéter avec Saint Paul, dût l'avenir vous réserver épreuves et larmes: Nous ne perdons pas courage! non, chrétiens! Nous ne perdons pas courage parce que si notre être extérieur se détruit notre être intérieur se renouvelle de jour en jour.

1929.

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