Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XXI

AUTOMNE: VERS L'ÉTERNITÉ

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Dieu fait toute chose belle en son temps; même il a mis dans notre coeur la pensée de l'Éternité,
bien que nous ne puissions saisir l'oeuvre que Dieu fait, du commencement jusqu'à la fin.

(Eccl. 3, 11)

(Lire: Ecclésiaste 3.1-15 et Apocal. 21.1-7; 22.l-5.)


I

Si aucune parabole de la Bible ne fait allusion à la saison dont nous éprouvons ces jours-ci le charme pénétrant c'est que la Palestine ignore à peu près l'automne; l'année y est divisée en deux périodes marquées, que séparent de courtes périodes de pluies; de longs étés secs y succèdent à de longs hivers. Nous aurions donc quelque peine à situer la figure du Jésus de l'histoire dans l'atmosphère spéciale au sein de laquelle vient nous plonger ce bel automne, avec ces brumes matinales vite dissipées par le soleil vainqueur qui vient enflammer les corolles des dernières fleurs et les ors et rouges des feuilles mourantes. Mais ne restons-nous pas en communion d'esprit avec celui qui a dit: Regardez les lis des champs, le roi Salomon lui-même dans toute sa gloire n'a point été vêtu comme l'un d'eux, lorsque nous nous arrêtons devant le vêtement de splendeur flamboyante dont Octobre revêt nos bois et nos campagnes et ouvrons nos yeux pour lire les paraboles de l'automne?

Paraboles de la Beauté, de la Mort, de l'Éternité.

Que ces trois titres nous servent à grouper nos réflexions religieuses, en cette veille de Toussaint. Nous affirmons souvent notre joie d'être libérés du Christianisme ritualiste, très en honneur chez nos frères catholiques. Mais si ce Christianisme catholique, dans son désir de tout abriter sous son égide, a souvent accueilli des cultes que nous savons être singulièrement païens par leur origine et dont nous ne saurions comprendre la portée spirituelle, nous faisons volontiers une exception pour le Jour des morts, célébré dès l'an mille environ par l'Église.

Nous devons garder notre manière à nous de penser à nos disparus, avec une sobre confiance. Mais, l'évocation des invisibles dût-elle remonter aux âges les plus reculés de l'enfance de la race, elle n'en est pas moins comme une affirmation de l'aspiration religieuse de l'humanité. Les chemins qui conduisent aux tombeaux ont été, et demeurent encore pour bien des âmes, les chemins sur lesquels on rencontre Dieu. Nous ne voyons aucune infidélité à l'Évangile dans l'habitude, que beaucoup de protestants ont prise, de marquer sur leur calendrier comme une réplique automnale aux Pâques printanières, le Jour du Souvenir, le jour des morts. Il y a une source de force dans cette association de l'émotion sensible de la saison et de la réalité spirituelle correspondante: le printemps qui s'avance et le Ressuscité vainqueur ouvrant les portes immortelles; l'automne qui décline et la vision de ceux qui pour nos yeux de chair sont descendus dans l'ombre du dernier mystère.


II

Nous y reviendrons; mais les fleurs d'automne ne sont pas seulement les fleurs funèbres. Elles participent à la beauté, elles ont leur éclat singulier et leurs richesses particulières. La gloire de Dieu apparaît, chantée par une vraie symphonie de tons ardents, à quiconque a pu s'arrêter ému, au milieu de quelque allée de chrysanthèmes épanouis. La gloire de Dieu! Les soleils méditerranéens qui inondent de leur chaude clarté le sol tout parfumé de pays sans pareils, ne la célèbrent pas mieux que les bords de nos rivières et de nos lacs, lorsque leurs coteaux sont de l'or en fusion, lorsque des gammes de nuances prêtent aux frondaisons de nos grands arbres les richesses, d'une beauté qui se diversifie et se multiplie à l'infini devant le regard ébloui.

Ouvrez les yeux, promeneurs dominicaux qui, sans payer bien cher et sans aller bien loin, irez en famille à quelques pas d'ici, le long du fleuve: vous verrez descendre le soleil du soir à travers les branches allégées, vous froisserez de vos pas les premiers tapis d'or d'octobre. Et vous qui croyez en Dieu, vous sentirez derrière cette splendeur visible, l'invisible artiste, le maître généreux de tous ceux qui sur la terre essaient à leur tour de créer un peu de beauté, l'invisible Roi qui vous donne son Royaume et aussi, oui, aussi, ce Royaume immédiat de la beauté des choses.

L'Éternel a fait toute chose belle, en son temps. L'Ecclésiaste, le sage désabusé, nous fait entendre, dans notre Bible elle-même un écho des réflexions des hommes sensés et prudents, à qui manquent les grandes ailes de la foi pour s'élever au-dessus des apparences. L'Ecclésiaste observe les choses et les hommes. Il les voit également dominés par ce que des penseurs contemporains appelleraient la loi du rythme. Il y a un temps pour toute chose sous les cieux. Mais si le roi-poète considère dans les oeuvres humaines le retour rythmique de réalités bien laides: tuer, haïr, abattre, faire la guerre, parmi les choses qui sont l'oeuvre de Dieu, il voit toute chose belle en son temps. Il est un temps pour la beauté de chaque saison. Quand la neige fond sur les hauteurs, la neige qui faisait de la vallée toute blanche un pays de rêve et de féérie, un pays de l'immaculée, pureté, le montagnard ne dit pas: Le temps de la beauté est fini. Il reviendra à l'heure chaude où les troupeaux peupleront le pâturage verdoyant, il reviendra dans les aurores du printemps et dans les couchants de l'automne. Il est un temps pour la beauté qui exulte et claironne au-dessus des blés mûrs; il est un temps pour la beauté qui se recueille dans l'automne pensif; il est un temps pour la beauté de l'hiver qui s'endort pour attendre.

Image permanente de nos saisons humaines!

L'Éternel a fait toute chose belle en son temps. Belle, la vie qui s'éveille naïve et rit dans les yeux de printemps de nos petits enfants; belle la vie qui s'épanouit tumultueuse et bruyante, et qui fait palpiter les coeurs de vingt ans; belle, la vie mûrie aux rayons du temps qui, sur l'arbre d'automne cueille les fruits savoureux, abondants ou rares, ceux que n'ont pas balayés prématurément les rafales du destin, ou que n'a pas rongés avant l'heure le ver du péché. Qu'importe! il en reste des fruits mûrs à l'heure où le bras commence à s'affaiblir pour l'effort, et les yeux des vieillards peuvent concentrer leurs énergies dernières pour saluer la beauté de l'automne. Oui! la beauté de l'automne, pour vous qui reposez vos regards sur la tête des petits enfants; pour vous qui nous transmettez le flambeau de votre foi et de vos énergies; pour vous qui avez travaillé, et lutté, et pensé, et qui portez sous vos cheveux blancs le trésor de vos expériences acquises, de vos souvenirs accumulés; la beauté de l'automne, chrétiens, qui comptez les bénédictions du Ciel sur la route d'un long passé, et qui avez éprouvé, à travers les rythmes du temps, la vérité des promesses de Dieu et la permanence de sa fidélité.

Dans cette maison, qui abrite une oeuvre jeune encore, desservie par des serviteurs jeunes aussi, dans cette maison où si souvent nous avons fêté nos jeunes, où nous les avons salués comme notre joie, notre espérance, notre avenir, dans cette maison je voudrais aujourd'hui m'humilier de n'avoir peut-être pas assez souvent su vous parler à vous, qui, encore dans l'été de la vie, sentez parfois passer sur vos corps fatigués un souffle froid, à vous, qui êtes les pèlerins du soir, les aînés, les grands-parents déjà, les vieillards bientôt. Vous aussi, vous êtes notre espérance et notre joie.

Quelle force pour un témoin de l'Évangile que de sentir que par leur présence au culte ou par leur prière à la maison, par leur dévouement dans l'Église, ou par leur exemple dans leur famille, un témoignage solide et touchant est rendu à Dieu par des frères, par des soeurs que les épreuves du voyage, loin de détourner de la voie divine, n'ont fait qu'affermir dans leur orientation chrétienne. Plus près du terme, plus riches d'une foi plus éprouvée, d'une existence plus remplie d'amour et de service, vous êtes ceux qui, plus près du port, montrez le but. Et lorsque la sérénité et la paix rayonnent de vos regards et de vos attitudes, c'est vous, vous, ceux de l'automne, qui démontrez aux jeunes la valeur des récoltes de la foi. C'est vous qui donnez envie de connaître la beauté pleine et riche de l'automne chrétien, à ceux qu'au printemps de la vie, nous cherchons à faire entrer dans le pays de Dieu.

Apprenons, à l'école de la nature, à savoir attendre à chaque heure, la visite de l'Esprit et nous marquerons les saisons rapides de nos vies, du rythme répété du même cantique de reconnaissance, plus émouvant encore à travers la voix usée de celui qui descend la colline qu'à travers les chants allègres de celui qui la monte:

Mon âme, bénis l'Éternel et n'oublie aucun de ses bienfaits. Il a fait toute chose belle en son temps. Ce qui importe ce n'est pas de savoir quelle est l'heure qui sonne; c'est de savoir si cette heure trouvera ton âme, belle, de la beauté qui convient à ta saison.


III

Le sage de l'Ancien Testament, fatigué du spectacle monotone des choses, semble, du milieu de son doute, affirmer l'existence d'un Dieu qui préside aux horloges du destin, suivant les lois d'une parfaite régularité. Chaque chose en son temps!

Hélas, n'est-il pas permis, en dirigeant maintenant nos pensées vers les vies qui s'en vont, de dépasser encore le sombre pessimisme de l'Ecclésiaste? Rares sont dans la nature les surprises, les apparentes dérogations aux lois régulières des saisons. Sans doute quelques feuilles se laissent-elles arracher des rameaux par les orages de l'été; sans doute nous arrive-t-il de cueillir quelques fruits hâtés de mûrir, avant l'époque. Nul n'y prend garde. Mais que dire quand dans une vie d'enfant ou dans une vie d'homme, le déclin s'annonce ou se déclare, alors que c'est encore l'avril ou encore l'été, alors que l'âme se dégage dans une clarté d'aurore et que les chants de l'amour et du travail peuplent encore la maison? Belle en son temps, le temps des récoltes, la mort peut le sembler au soir de ces longues existences auxquelles s'applique la parole du livre de Job: Tu entreras mûr dans le tombeau, comme une gerbe qu'on emporte en son temps (Job. V, 26.).

Mais en ces jours, nous songeons à ceux qui demain iront fleurir au cimetière la tombe de leurs enfants. Rachel pleure et refuse d'être consolée. Nous revoyons le Christ auprès du lit de la petite fille, et en face du jeune homme de Naïn, enlevé à l'affection de sa mère veuve, et au tombeau de Béthanie, dans lequel un homme, un jeune et un vaillant, son ami Lazare, repose depuis quatre jours. Nous entendons en nos coeurs, l'écho de la parole apostolique: Le dernier ennemi qui sera vaincu c'est la mort (1 Cor. XV, 26.). Ah! que Dieu nous garde d'être les faux consolateurs qui disent des chansons à un coeur qui saigne. Nous croyons à la beauté de la mort, mais il convient de n'en parler qu'à voix très basse et très douce à ceux qui demeurent encore frappés de son horreur et qui ont besoin d'entendre d'autres voix que celles de la nature et de la poésie pour que se détende leur douleur et se calme leur révolte, comme se détendent souvent sur le visage apaisé de ceux qui s'en sont allés les signes de la souffrance et de l'agonie.

En face de ce qui meurt et de ceux qui meurent, la nuit descend sur nos esprits, mais dans cette nuit brillent des étoiles consolatrices. La première, c'est la pensée du perpétuel recommencement de la Vie.

L'Ecclésiaste a connu cette pensée et l'a chantée: il en a fait le tour, puis il l'a trouvée amère et illusoire. Parent en cela des penseurs hindous, l'Ecclésiaste a vu le monde semblable à une roue gigantesque qui tourne dans l'infini; l'avenir recommence le passé; les vents tournent et reviennent (Eccl. 1, 6.); la vie s'arrête et reprend; l'espérance s'éteint et se rallume. Et puisque cette roue tourne sur place, dans une perpétuelle rotation, qui n'a ni sens, ni direction, tout se résume dans l'universelle vanité: vanité du plaisir, de la science, de l'amour, de la vie humaine toute entière! Et c'est sous ce ciel accablant qu'il faut pourtant vivre et recommencer la vie après nos deuils, et reprendre les gestes anciens; la roue ne s'arrête pas.

Sur le plan des choses naturelles, cette philosophie a sa grande vérité. L'automne est la prophétie du printemps. La mort des uns pousse les autres vers la vie. Et si Dieu n'a d'intérêt que pour l'Univers sans en avoir pour les individus, il faut bien avouer que les larmes de nos coeurs n'arrêtent point le cours du monde. Bien plus! nous sommes arrachés à nos méditations douloureuses par l'appel direct du travail qui nous attend, des enfants qu'il faut nourrir, des hommes et des tâches qui nous convient. La vie ne perd jamais ses droits. J'ai vu dans les régions ravagées par les obus destructeurs, recouvertes des décombres des usines ruinées et des maisons saccagées, au cours même des bombardements répétés, la vie s'affirmer plus puissante que la mort, et la végétation de Dieu envahir ce qui était quelques mois auparavant la rue grouillante en l'atelier industrieux; j'ai vu les coquelicots rouges monter comme des fleurs de sang d'un sol maudit par le crime des hommes.


IV

Mais le coeur humain ne peut s'arrêter à cette seule Loi de la continuité de la vie universelle. Une seconde pensée monte au coeur des pèlerins du cimetière, la pensée qu'énonçait en hésitant l'Ecclésiaste: Qui sait si le souffle de l'homme peut monter (Eccl, Ill, 21.)? ou que Job répétait du fond de son martyre: Un arbre est coupé; mais il renaît et pousse de nouveaux rejetons; mais si l'homme expire, pourra-t-il revivre (Job. XIV, 7 à14.)?

L'automne parle de mort; il parle aussi de résurrection dans une nature où tout se transforme et où rien ne se perd. L'homme accueille cette perspective, déjà plus consolante que celle de l'universel tourbillon de la vie. L'âme recommencera à vivre et à fleurir; il y a une nouvelle perspective, la résurrection; une possibilité d'existences successives, ou ici-bas, ou dans d'autres sphères. Plus la science humaine a élargi l'horizon du ciel infini, plus apparaît intelligente et acceptable la notion qui nous vient de l'Orient et qui nous montre dans la carrière terrestre un premier chapitre du livre infini. En face de nos morts nous croyons que ce n'est pas seulement en nous, les vivants, que tout recommence; mais c'est aussi pour eux. Ils continuent, ils évoluent, ils se transforment. Si la plus pauvre particule de matière, si le plus infime centre d'énergie physique ne peut disparaître sans réapparaître sous une autre forme, comment l'âme qui a aimé, pensé, agi, se soumettrait-elle à la destruction, sans réapparaître ailleurs, chrysalide devenue papillon, semence devenue épi, homme en train de devenir ange?

***

Est-ce là toute la doctrine chrétienne? L'Ecclésiaste lui-même a une parole étrange, contraire à tout l'ensemble de son système; aussi la glisse-t-il en passant, sans s'y arrêter. Dieu a même mis dans notre coeur la pensée de l'Éternité. Ici le sage d'Israël, douteur et pessimiste, semble un instant devenir un prophète. Le jour viendra où le Christ imposera au nouvel Israël la nostalgie de cette éternité. Si nous respectons l'interprétation, chère à beaucoup d'esprits modernes, qui admet pour nos morts une pluralité d'éducations successives, un enchaînement de vies, nous ne saurions trouver là le dernier mot de la consolation, le dernier sommet de l'espérance.

Des poètes fatigués ont pu dire leur douleur devant l'éternel recommencement du cycle des maisons.

Quand le vent automnal sonne le deuil des chênes,

Je sens en moi non le regret du clair d'été
Mais l'ineffable horreur des floraisons prochaines.

C'est par l'Avril futur que je suis attristé,

Et je plains les forêts puissantes condamnées
À verdir tous les ans pendant l'éternité.

Car depuis des milliers d'innombrables années,

Ce sont des blés pareils et de pareilles fleurs,
Invariablement écloses et fanées;

Ce sont les mêmes vents susurrants ou hurleurs,

La même odeur parmi les herbes reverdies
Et les mêmes baisers et les mêmes douleurs...

Maintenant les forêts vont s'endormir, raidies

Par les givres, pour leur sommeil de peu d'instants.
Puis, sur l'immensité des plaines engourdies,

Sur la rigidité blanche des grands étangs,

Je verrai reparaître à l'heure convenue
Comme un fantôme impitoyable, le printemps

0 les soleils nouveaux! la saison inconnue!

(Ephraïm MIKHAËL.)


Des prophètes religieux eux aussi, effrayés à la perspective de naître et de renaître indéfiniment, ont cherché, avec le Bouddhisme, à s'affranchir de la nécessité de toujours revivre, en ayant accès au silence du néant, à l'immobilité du Nirvanah.

Et, nous, n'espérons-nous pour nos morts que de les voir recommencer à vivre, c'est-à-dire à lutter, à souffrir, à pécher et à pleurer? Le Christ est venu apporter aux âmes la certitude de l'autre patrie. L'Éternité ce n'est pas le perpétuel retour des choses; ce n'est pas la ligne qui revient sur elle-même en refermant un cercle, ce n'est pas même le chemin qui monte sans arrêt pour ne jamais aboutir. L'Éternité c'est l'Ailleurs de la Foi, c'est le pays de la plénitude où il n'y a plus de roue qui tourne en écrasant les uns et en élevant les autres, où il n'y a plus d'horloge du destin qui scande le retour incessant des heures et des saisons, tour à tour joyeuses ou douloureuses.

Dans le langage des chrétiens primitifs, l'Éternité signifie la vie en Dieu, l'accès dans la région mystérieuse et splendide dont les croyants eux-mêmes ont peine à parler autrement qu'en termes négatifs. Il n'y aura là plus de nuit, plus d'ardent soleil, plus de cris et plus de douleurs. L'automne ne sera plus et la mort ne sera plus. L'Éternité pour le chrétien, c'est l'absolu, c'est le définitif, c'est la région divine où il n'y aura plus de séparation, plus de chose qui ne soit belle que pour un temps, mais où l'immuable beauté sera l'atmosphère même dans laquelle respireront les âmes libérées.

Sans doute quelques visions de cette beauté-là peuvent-elles être accordées aux mourants, dont les paroles et les gestes expriment parfois la vision directe des splendeurs éternelles. Sans doute pouvons-nous, si nous vivons dès aujourd'hui près de Dieu et dans la communion du Christ, nous sentir introduits dès ici-bas dans cette autre patrie. Alors, loin de nous détourner du monde, nous pressentons à travers les couleurs et les harmonies qui passent, à travers les lumières des automnes qui s'en vont, l'indicible beauté de ce qui demeure, la lumière immortelle qui se lève sur ceux qui essaient de vivre tout près du Dieu d'amour.

En Christ, l'âme saisit non pas la seule pensée de l'éternité, mais sa réalité vivante, et, s'avance vers le mystère, en adorant. Oui, vers le mystère! Aucun homme ne peut saisir l'oeuvre que Dieu fait du commencement jusqu'à la fin. La parole du sage reste vraie, et nous bénissons Dieu de cette ignorance même.

À d'autres nous laissons le soin de lire dans l'avenir et de prétendre définir l'heure où ce sera l'automne pour ma vie, ou même le jour où ce sera l'automne pour le monde, de raisonner sur le pourquoi des déclins prématurés et des incompréhensibles départs. Le Père s'est réservé ce secret, comme s'il voulait nous dire: ce qui importe ce n'est pas que tu saisisses le commencement et la fin de toutes choses. Qu'est-ce donc que commencer et que finir? Ce qui importe c'est que tu aies part à ce qui est au-dessus des temps et des saisons, du commencement et de la fin; ce qui importe c'est que Dieu te conduise au port désiré et y amarre ta barque; ce qui importe c'est que tu aies part à l'éternelle vérité, à l'éternelle beauté.

C'est ainsi que par dessus la fête de l'automne, la fête des couleurs éphémères et des cimetières provisoires, chrétiens, nous célébrons dès ici-bas la fête de l'Éternité!

1927.

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