Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XIV

LE CHEMIN DE PERFECTION

----------

(SEMAINE SAINTE)

Il a appris l'obéissance par les souffrances et est ainsi arrivé au plus haut point de la perfection.

(Héb. 5, 8)


Le Calvaire est une terre sainte qui convient à l'adoration plus qu'à la discussion. Impuissants, en face du Crucifié, à saisir tous les secrets des voies de Dieu, nous savons du moins que cette mort du Christ exerce aujourd'hui encore sur les consciences humaines une influence salutaire, exceptionnelle, unique. La Croix résume l'Évangile, et en impose la splendeur à tout esprit sincère.

À l'heure où tous les chrétiens commémorent l'acte sublime du Christ donnant sa vie pour le salut du monde, nous voudrions tenter de saisir l'appel de la Croix sous un de ses aspects les plus pratiques, et les plus directement accessibles à chacun. Et c'est dans ce but que nous nous arrêtons en face d'une parole du Nouveau Testament qui définit la valeur de la mort de Jésus en trois mots, qui n'ont rien de spécifiquement théologique, mais qui définissent des réalités de la vie morale qui nous sont bien connues: Souffrance, Obéissance, Perfection.

Ces trois mots désignent trois aspects de la destinée humaine. Voir à quel point ces trois notions apparaissent solidairement à travers l'oeuvre de Jésus-Christ, ce sera l'occasion de nous demander si nous pourrions nous aussi, être associés, de loin et en quelque mesure, à l'ascension de celui dont il est écrit:

Par ses souffrances il a appris l'obéissance, et est arrivé ainsi au plus haut point de la Perfection.


I

La Perfection! L'auteur apostolique part d'une conviction qui est au coeur même de son expérience. Jésus-Christ est un Sauveur parfait. L'épître abonde en passages qui exaltent la majesté unique, la grandeur sans pareille de Jésus, Fils de Dieu, infiniment élevé au-dessus des hommes, au-dessus des prophètes, et au-dessus des anges (Héb. II, 4.), Mais il n'en souligne pas moins, et avec une énergie caractéristique, le côté vraiment humain de ce Sauveur fraternel. Il peut compatir à nos faiblesses, lui qui, comme nous, a été tenté (Héb. IV, 15.). S'il est un Sauveur parfait, c'est qu'il est parvenu à la perfection; il l'a atteinte, conquise; sa carrière est une montée de perfection en perfection, vers l'absolu. L'auteur revient à plusieurs reprises sur cette pensée qui lui est chère:

La loi institue grands prêtres des hommes pleins de faiblesse; or la parole du serment prêté après la loi institue un Fils arrivé pour jamais à la perfection. Il était digne de Dieu qui voulait élever à la gloire un grand nombre de fils, d'élever par des souffrances jusqu'à la perfection l'auteur de leur salut (Héb. VII, 28; 11, 10.).

Jésus a atteint la perfection souveraine, sans doute conformément à l'intention de son Père et par sa Grâce, mais aussi en vertu de sa propre décision et de sa perpétuelle consécration.

L'intérêt palpitant du drame final, la source de notre émotion renouvelée vis-à-vis de la Croix, et le secret de sa signification historique résident aussi en ceci: Jésus a lutté, a lutté avec larmes, et cris pour parvenir à la cime, et pour qu'en lui fût enfin réalisé le but du Créateur, la perfection de l'humanité.

Les dernières pages de nos Évangiles sont riches, en contrastes pathétiques; il y a là des ombres terribles qui se coalisent en vue d'éteindre la lumière apparue, et il nous semble parfois percevoir derrière les assauts perfides des ténèbres, le ricanement de l'adversaire prêt à chanter sa victoire. La trahison et la lâcheté plongent Jésus en pleine solitude; mais lui refuse de se reconnaître seul, environné qu'il est de la présence du Père. Le frémissement de la chair tourmentée lui arrache les supplications déchirantes de Gethsémané; mais il trouve la force de dire: oui! à sa tragique destinée, et de discerner encore à travers la nuit, une volonté d'amour. Ce sont enfin mensonges, insultes et dérisions, coups et soufflets qui l'accablent: et c'est le corps épuisé qui s'effondre sous le poids excessif de la Croix.

Tiendra-t-il jusqu'au bout? Oui, il arrive à la perfection, puisque jusque dans la chair tenaillée s'affirme l'âme, intacte et triomphante, capable, encore et toujours, d'amour, de prière et de pardon. Tout est accompli, et aussi cette perfection de l'amour, qui rayonne jusque dans l'agonie. La Croix devient un phare qui projette sur l'univers la clarté d'un amour inconnu.

Le Phare de Golgotha! c'est le titre éloquent d'une toile gigantesque que j'admirais il y a quelques mois à Bruxelles. L'artiste, un romantique visionnaire, Wiertz, y présente un monde de forçats, les esclaves du péché, de l'argent, de la violence, qui en des gestes frénétiques et nerveux, tendent tous leurs efforts pour dresser l'immense Croix infâme, sur laquelle on discerne les membres cloués du supplicié. Mais voici qu'à l'instant où est presque dressé l'instrument de torture, à la place où nous chercherions la face douloureuse du Fils de l'Homme, ce sont des rayons aveuglants de lumière qui partent en tous sens, en une gerbe éclatante, sous l'action de laquelle s'enfuient les démons épouvantés! Pauvre et admirable essai de représenter de manière visible le paradoxe spirituel sur lequel repose notre foi. À l'heure où l'humanité aveugle et coupable met Jésus au rang des malfaiteurs et pense en finir avec lui, c'est lui, le Crucifié, qui resplendit dans son adorable perfection; c'est lui qui triomphe de cette humanité, c'est lui dont l'amour à la fois la condamne et la sauve! Cette perfection du Crucifié s'impose à nous, comme l'image excellente de la sainteté que nous devons poursuivre, non pas la sainteté négative ou chimérique d'un être qui aurait vécu à l'abri des luttes d'ici-bas, en s'arrachant aux conditions de la vocation terrestre; mais cette perfection vraiment humaine qui est dans la plénitude de l'amour.

Obscurément, avec timidité, la conscience a toujours condamné l'égoïsme dont elle demeure si souvent captive. Et répondant à l'intuition de nos coeurs, Jésus vient proclamer la valeur divine de l'amour. Il établit chez nous une nouvelle évaluation. Être grand, c'est servir; être dans la vérité, c'est aimer; s'élever, c'est s'abaisser. Dieu est amour, et celui qui aime demeure en Dieu, et la Croix perpétue de siècle en siècle le message nouveau. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie (Jean XV, 13.).

La perfection est dans l'amour; le sommet de l'amour c'est le sacrifice; et l'absolu du sacrifice, c'est la croix de Jésus-Christ. Connaissons-nous encore cette soif de perfection, qui inspira chez tant de croyants, et les plus nobles tourments, et les plus héroïques résolutions? De perfection en perfection: tel est le schéma de la carrière du Christ. Et sans doute le développement de cette vie s'est-il poursuivi à l'abri des lenteurs, des reculs et des chutes qui caractérisent nos pauvres élans. Mais que votre humilité ne fasse pas de vous des paresseux de l'esprit. Jésus a laissé à ses disciples l'appel inouï: Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait! Il a voulu allumer chez les siens un saint enthousiasme, capable de les conduire de victoire en victoire.

Garder au coeur la soif de perfection, c'est en même temps connaître cet intense besoin de la force d'En-Haut, qui pousse à la prière, c'est nourrir en soi l'horreur du péché, c'est connaître l'aspiration vers l'éternité qui élargit l'horizon de l'âme. Là où il n'y a plus cette soif d'absolu, s'installent au contraire dans le coeur, et l'accoutumance au péché, et l'acceptation complaisante du mal, et l'oubli de Dieu, et le recul de l'espérance immortelle.

L'essor vers une plus haute perfection, l'ardent désir d'une ascension réelle. Que ce soit cette grâce-là qui nous soit tout d'abord accordée en cette semaine sainte.


II

Vue de la terre, en laquelle elle est plantée, la Croix représente la perfection de l'amour dans le sacrifice. Vue d'en haut, du point de vue du Père, elle représente autre chose encore; elle est le fruit sublime de l'Obéissance. Le Christ arrive à la perfection, en apprenant l'obéissance. Parole déconcertante, aux yeux de certains disciples, habitués à se figurer un Sauveur à qui la fidélité n'a rien coûté, et qui, uni au Père dès l'enfance, n'a rien eu à apprendre de la vie. Comme est plus profonde la réflexion de ce disciple qui, persuadé de la divinité du Sauveur, n'en demeure pas moins convaincu du caractère vivant, et authentique de la croissance spirituelle de Jésus-Christ.

Il a appris l'obéissance. Je vois le jeune charpentier de Nazareth, demeurant dans l'atelier paternel; il obéit au devoir familial le plus simple, le plus immédiat; il doit faciliter l'existence des siens, subvenir à leur pauvreté. Je vois Jésus au désert, qui repousse, par obéissance, la perspective de la gloire éclatante et de la victoire immédiate. Je le vois qui poursuit jour après jour son ministère, attendant toujours l'indication d'En Haut pour agir, et répétant: Ma nourriture est de faire la volonté du Père. Quand enfin, il part résolument, marchant en avant de ses disciples effrayés pour gagner Jérusalem, il le fait par obéissance. Est-ce la route de la défaite? Est-ce la route du triomphe? En tout cas, et cela lui suffit, c'est la route du devoir. Il obéira, et il obéira, s'il le faut jusqu'à la mort. Il a reçu de Dieu une vocation, il lui sera fidèle quoiqu'il arrive. Dieu parle, il obéit.

Notre christianisme est-il encore une religion de l'obéissance? On a raison de distinguer la religion de la Loi et celle de l'Esprit, de marquer la distance entre les textes de l'Ancien Testament aux formes impératives et juridiques, et les appels vibrants de l'amour du Christ. Mais, ne l'oublions pas, Jésus transforme l'idée de l'obéissance sans la supprimer; il veut au contraire cette obéissance plus constante, plus intime, plus profonde. Obéir... Comment ne serait-ce pas le mot d'ordre de celui qui vient te dire: Dieu est ton Père, et tu es son enfant?

Obéir... Le mot aujourd'hui semble trop simple pour être sublime. Dans notre siècle civilisé, épris d'art et de beauté, de science et de liberté, beaucoup pensent que la religion devrait travailler à se rendre ou plus aimable ou plus ambitieuse. Savoir, contempler, admirer, réussir, voilà des perspectives capables de faire vibrer les âmes! On reproche à nos églises évangéliques de n'offrir aux âmes ni les ressources d'une connaissance précise, ni les charmes d'un mysticisme berceur, ni les agréments d'un art subtil. Dès l'instant où l'on croirait devoir trouver dans ces idées nouvelles, une manière d'arriver à la perfection, en négligeant l'obéissance — au nom de l'Évangile, nous protestons. Quoi donc? nous estimerions-nous supérieurs à Celui qui nous a sauvés, et qui est parvenu à être un Sauveur parfait, en suivant ce seul chemin de l'obéissance au Père?

L'obéissance simple et joyeuse. Simple! Nous n'avons pas à chercher l'extraordinaire en dehors de nos circonstances quotidiennes. C'est chaque jour que Dieu parle, appelle, ordonne. Le devoir est là, il vous attend, il s'impose à vous, à vous offert par la vie; le devoir est là, toujours beau, toujours grand, dès l'instant où l'on pressent à travers lui l'appel de Dieu. Obéissance joyeuse puisque c'est un Père qui la réclame, et l'inspire. Aimer assez Dieu pour trouver notre joie à faire sa volonté, notre nourriture à lui obéir. Telle est la seconde grâce que nous lui demandons en ce jour.


III

Obéissance joyeuse, certes. Mais c'est aussi dans la douleur que cette obéissance du Christ a trouvé son achèvement, il a appris l'obéissance par les choses qu'il a souffertes.

C'est à l'heure où il faut souffrir, que l'âme la plus forte voit s'accuser l'écart entre ce qu'elle voudrait, et ce que Dieu lui demande de vouloir. Jésus a rencontré le long du chemin des combats, des épreuves, des déceptions; mais la Providence avait maintenu la lumière vis-à-vis de l'obscurité. Ce sont, en face des secrètes hostilités, des amitiés ferventes; en face des portes fermées, la porte ouverte de Béthanie; en face de la jalousie des chefs, les cris de reconnaissance des humbles et les clairs regards des enfants; et en face de la méchanceté des hommes, toute la poésie du ciel et le langage animé des fleurs de Galilée et des oiseaux de l'air.

L'instant est venu où toutes les clartés se sont éteintes, où tous les appuis sont abolis. La nuit vient où personne ne peut plus travailler. Et Jésus doit apprendre à obéir dans la nuit, et dans cette nuit spirituelle, au sein de laquelle le Pourquoi? lancé vers le ciel redescend lourdement sur le coeur qu'il écrase; où le silence de Dieu répond seul à l'appel de l'esprit angoissé, où il faut marcher sans comprendre, où il faut s'avancer vers le but sans le voir, où enfin toute prière et toute supplication viennent se résumer dans l'Amen tragique de l'acceptation: Que ta volonté soit faite, et non la mienne!

Non la mienne. Oui, la voilà bien l'obéissance de Jésus conduite par la volonté à son accomplissement absolu. Il reconnaît qu'à son désir Dieu répond: Non; et qu'à ce que Dieu veut, il doit lui, le Fils soumis, répondre: Oui.

L'Épître aux Hébreux évoque en termes énergiques tes souffrances de l'agonie morale du Christ:

Il a offert à celui qui pouvait le sauver de la mort des prières et des supplications en jetant de grands cris et en versant des larmes. Et il a été exaucé à cause de sa pitié (Héb. V. 7.). Exaucé... non pas, en ce que Dieu consent à éloigner la coupe, mais en ce que l'ange de l'Éternel le fortifie et lui donne de s'élever à la perfection par son supplice même qui va couronner et sceller le témoignage de sa vie d'obéissance et d'amour.

Nul ne saura jamais dire en quelle mesure Jésus a saisi ou ignoré les raisons supérieures qui rendaient la Croix nécessaire. C'est en paraboles que Jésus en a parlé: le bon Berger, le Grain qui meurt, la Sainte Cène; mais il est évident qu'après avoir lutté, pleuré, prié, le Christ a été convaincu que Dieu voulait cette agonie, cette mort, cette Croix. Dieu les veut; et cela lui suffit. La Croix du Calvaire a pour toujours éclairé la loi mystérieuse qui fait de la Douleur une grande puissance créatrice, dans l'ordre de l'Esprit comme dans la nature. À la perfection par la souffrance.

Souffrir! l'appel à la perfection, vous pouvez refuser de l'entendre; l'appel à obéir, vous pouvez tenter de vous y soustraire. L'appel de la souffrance, nul ne peut se flatter de s'y dérober et c'est sans doute par cette face-là — la communion de la souffrance — que la Croix de Jésus reste la plus populaire.

Il est vrai que le rêve illusoire renaît constamment de ses cendres, le rêve de supprimer la douleur et d'écarter la peine. Lorsque les chrétiens s'associent pour lutter contre l'immense vague de souffrances que le péché déferle sur la terre, ils savent avoir à leur côté le Christ des compassions, empressé à libérer les esclaves du démon, à guérir les malades, et à ouvrir les portes des captifs. Mais s'il est une souffrance à qui Jésus a fait la guerre, il est une souffrance qu'il a voulue; et ici-bas, tant que n'aura pas brillé l'aurore de la victoire, à côté de la souffrance fille du péché, il y aura aussi l'autre souffrance, la sainte souffrance, celle qui est soeur de l'amour, et mère de la prière.

Jésus ne recherche pas artificiellement la souffrance, mais il ne se dérobe pas à son appel. Ce qui lui importe, c'est d'utiliser toute la vie, et ses joies et ses douleurs, pour l'oeuvre spirituelle que son Père lui demande d'accomplir.

N'enviez pas le triste sort de ceux qui refusent de souffrir et qui doivent souffrir quand même, et qui ne savent pas que faire de leur douleur! Ennuis, maladie, deuils, soucis moraux; tout cela ne leur est occasion que d'amertumes, de révoltes, ou de désespérance. Regardez plutôt à la gloire des souffrances transfigurées, à la force des volontés chrétiennes, qui envisagent les chemins de la douleur, avec prière et sérénité, comme des raccourcis sur la route de la perfection. Admirez la maturité rapide de tant de vies, trop tôt frappées par la maladie, et où s'accumulent les expériences intimes les plus fécondes comme si Dieu voulait, de par une compensation miséricordieuse, permettre parfois que ceux-là mêmes qui vivront moins longtemps, puissent du moins avoir vécu beaucoup par l'intensité de la flamme intérieure! Un appel sort de bien des vies crucifiées, qui ont trouvé en Christ le secret de trouver dans les larmes, le chemin d'obéissance qui conduit aux cimes.

Je n'ai certes pas la cruauté de vous souhaiter ces épreuves ou ces tortures dans lesquelles de grandes âmes ont parfois reconnu des grâces d'en haut. Mais il est d'autres croix que vous ne devez pas redouter de porter. Ce sont les croix du sacrifice que vous acceptez à l'heure où vous prenez votre part de l'universelle souffrance; ce sont ces douleurs des coeurs, ouverts à l'amour du Christ, et capables de se laisser briser par les misères apparues, par les plaintes entendues, par les cris et les appels de ceux qui n'ont personne qui les aime; ce sont les souffrances morales de ceux que l'injustice révolte, que le péché scandalise, et qui, désireux de porter quelque chose de l'opprobre du Christ, osent braver l'opinion du monde et s'exposer, s'il le faut, à son incompréhension et à sa haine.

Souffrances de la sympathie et du renoncement souffrances de la lutte morale; souffrances des destinées obscures, souffrances de la solidarité consentie! dans tout cela revit un reflet de l'attitude courageuse du Christ qui a refusé de vivre, à l'abri de sa justice et de sa pureté personnelles, loin du grand courant de la douleur humaine. Au contraire, il est entré dans ce fleuve de la douleur; il a été submergé et noyé par les vagues violentes qu'ont lancées contre lui les flots du péché, Mais dans l'acceptation de ces souffrances, il a appris l'obéissance complète. Et sa mort a été, sa victoire.

C'est là la troisième grâce que Dieu nous offre en ces anniversaires sacrés, celle de trouver dans nos souffrances, une occasion nouvelle de grandir, dans l'obéissance au Père, et dans la communion avec l'Homme de douleur.

***

Une même toi domine tous les enfants de Dieu, depuis le plus parfait, jusqu'au plus petit.

C'est parce qu'il a souffert pour nous, et par nous, que le Christ est Sauveur, et sa Croix l'élève au-dessus de tous les sages et de tous les docteurs. Il nous a donné, plus qu'une parole, un livre ou une doctrine. Il s'est donné lui-même; c'est par ses meurtrissures que la perfection de son obéissance s'est imposée au monde; et ce sont ses blessures, acceptées par amour, qui continuent à lui conquérir les âmes.


Je connais un tableau, qui sans reproduire une scène évangélique authentique, me semble revêtu d'une signification symbolique émouvante. Il représente le Christ ressuscité qui montre la blessure de son côté à Marie-Madeleine. Cette femme pécheresse, aujourd'hui pardonnée, qui adore son Sauveur et son maître, est aussi, désormais, parce que le Christ a passé sur son chemin, en route sur la voie de perfection qui monte vers l'invisible lumière. Elle a appris l'obéissance par la souffrance. Elle a connu les souffrances causées par les démons qui habitaient jadis et son corps et son âme, et les souffrances des larmes de repentir qui l'ont conduite aux pieds du maître, et les souffrances de cette aurore de Pâques, où elle vient chercher au tombeau celui qui n'y est plus. Les voici maintenant, en face l'un de l'autre: le Christ meurtri et glorieux, et Marie-Madeleine. Et derrière Madeleine, fille de notre terre de misère, l'humanité sauvée!

L'Éternel, qui a voulu cette rencontre, la veut encore, la veut toujours; il veut donner l'humanité au Christ, comme il a voulu donner le Christ à l'humanité. Et le chemin d'ascension sur lequel se rencontrent le Christ et les âmes, demeure défini par les trois mots, qui brillent, comme trois clous d'or, sur le bois de Golgotha:

Souffrance, Obéissance, Perfection.

1925.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant