Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XII

LES PLEURS SUR LA CITÉ

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(JOUR DES RAMEAUX)

Quand il se fut approché de la ville, et qu'il l'aperçut, Il pleura sur elle.

(Luc 19. 41)


I

Habitués à l'existence de la ville, il vous est sans doute arrivé, au cours d'une excursion, de connaître un instant le regret de ne pouvoir vivre dans la paix des champs, de la vie simple et saine de la campagne, tout près de la nature. Le citadin rêve de la vie rustique, qu'il entoure d'une auréole de poésie, comme le laboureur penché sur la glèbe rêve souvent de la vie brillante, intense et multiple de la grande cité, de la ville où l'on gagne, où l'on s'amuse, où l'on vibre. Ainsi est faite notre âme tourmentée que le paradis lui semble toujours être ailleurs, là où elle n'est pas.

J'ai eu tout récemment l'occasion de saisir à nouveau d'une manière très vive le contraste entre la vie urbaine et la vie paysanne. Je visitais une des plus grandes villes de France, et parcourais les longues artères de la cité, en compagnie d'un collègue. Il me montrait l'immense agglomération dont il avait la charge spirituelle, ces rues denses, ces maisons ouvrières, où viennent abriter leur lassitude les travailleurs sortis à la nuit tombante des usines géantes de la banlieue. Il me disait la difficulté de découvrir au sein de cette masse humaine, quelques âmes altérées de Dieu; et nous considérions toutes les puissances du siècle qui sollicitent les âmes fatiguées, les cafés, les cinés, les sports.

Comment faire entendre la voix du Christ, au sein de ce tumulte et de cette fièvre? Comment parler prière, adoration, amour, à des populations dont la vie semble dominée par des devises si peu chrétiennes, gagner, jouir, lutter?

Le lendemain, je me trouvais sur un haut plateau solitaire, dans un hameau retiré, perché à dix kilomètres au-dessus de la vallée, loin des gares, des fumées et du bruit. Dans ces quelques demeures paysannes, la vie d'autrefois continue, avec le travail des champs, intense et épuisant en été, très réduit durant le long hiver. Les seules distractions sont les veillées, durant lesquelles le pasteur vient lire la Bible et expliquer la parole éternelle. Le dimanche l'on se donne rendez-vous au Temple, où se rencontrent, arrivés par les sentiers rocailleux de la montagne, les habitants disséminés des fermes isolées, qui reprendront le lendemain le cours monotone de leurs obscurs labeurs. Ce sont là de pauvres vies sans grandes secousses, sans aventures imprévues, mais des vies plongées dans la beauté divine. Comme au temps biblique, les pâtres viennent à la montagne pour adorer, et Jésus retrouverait là et le semeur qui répand sa semence, et le berger qui veille sur son troupeau, et les enfants qui jouent sur la place, et les justes et les injustes qui attendent du ciel le soleil ou la pluie.

Et je n'ai pu me défendre un instant de cette impression, mélancolique pour quelqu'un qui n'a guère annoncé, l'Évangile qu'au sein des quartiers populeux, que le message de Jésus, dans sa simplicité touchante, avait d'autres possibilités d'être saisi, compris, pratiqué, par les habitants de ces campagnes silencieuses que par les esclaves de la cité moderne. Et nous songions mon jeune collègue et moi, à ce que signifiait, au point de vue de l'âme, le départ du jeune paysan pour la grande ville. Là-haut, la religion étend son aile sur les berceaux et sur les tombes; la Bible est le livre de la maison; le pasteur, l'ami de chacun; le temple, le centre de la vie du hameau. En bas, c'est la grande ville où Dieu semble absent, où le temps manque pour prier, et où tout semble démontrer qu'on peut vivre sans foi, où triomphe une civilisation dont les vrais temples sont ceux du travail et du plaisir, l'usine et le cabaret.

Quand, au sortir de la paix rustique, alors que la voix de Dieu nous a parlé à travers le silence et la beauté des choses, nous nous approchons de la ville, une immense pitié nous étreint. Une plainte infinie semble se dégager de ces forêts de toits qui abritent tant de détresses, tant de péchés, tant de misères. Et nous pleurons sur nos cités.


II

Le Christianisme naissant a connu deux périodes. Avec Jésus, l'Évangile est tout d'abord annoncé dans les campagnes de Galilée; Jésus est un homme du village (La comparaison entre le langage et les images de Jésus et ceux de Saint Paul, nous autorisent à maintenir cette affirmation, alors même que nos archéologues nous font remarquer que Nazareth et Capernaüm étaient, il y a vingt siècles, de petits centres urbains, assez peuplés.); il visite les petites bourgades, les hameaux retirés de sa contrée, et ce n'est que rarement qu'il pénètre dans la capitale de sa patrie.

Mais avec Saint Paul déjà, le message chrétien se propage dans les villes, parmi les artisans, les ouvriers, les esclaves des grands ports et des cités commerçantes. Paul est lui, le citadin, né dans un port de mer, préparé à la mission populaire et urbaine. Et le christianisme ne s'est imposé au monde qu'en pénétrant le peuple des villes. Le Nouveau Testament ne nous autorise donc nullement à supposer que la religion du Christ ne peut trouver un libre accès qu'au sein des populations campagnardes. De plus, si Jésus s'est ouvert à la poésie de la nature, il est bien trop intelligent pour ne pas découvrir aussi chez le paysan, la résistance du péché. Il remarque l'avarice de celui qui ne rêve que de construire de grands greniers, et la paresse du travailleur négligent, et le matérialisme pratique de ceux qui pensent que le pain du corps compte seul, et la dureté de celui qui voit de mauvais oeil le geste du pardon et de la divine indulgence, et la méchanceté du frère aîné qui s'irrite de voir son père ouvrir ses bras à un enfant coupable.

C'est aussi en Galilée que Jésus a connu les amères déceptions. Nazareth le rejette; les localités où il a résidé, Capernaüm, Chorazin, refusent de croire en lui. Il est des chaumières au seuil desquelles Jésus a pu pleurer, comme il a pleuré en apercevant les somptueuses constructions de la grande ville.

Un fait demeure pourtant significatif, douloureux, émouvant. Jérusalem semblait être la cité prédestinée à accueillir le Christ, et elle l'a crucifié. Jésus a pressenti le conflit final; il a volontairement voulu poser la question décisive franchement, nettement. Il a choisi l'époque où Jérusalem était vraiment la très grande ville, la capitale, la représentante authentique d'Israël. Si les murs de la cité renfermaient une population de 80.000 habitants, ce chiffre était non pas doublé, mais peut-être décuplé, lorsque revenaient les fêtes sacrées de Pâques. Des provinces voisines et des colonies plus lointaines les pèlerins affluaient; ils logeaient sous les tentes dressées en pleines rues ou campaient dans les jardins de la banlieue. Leurs cantiques résonnaient sur les places publiques et ils envahissaient en processions innombrables les parvis du Temple. C'était ici que battait le coeur du peuple élu. Et Jésus, malgré les acclamations de quelques amis dont l'enthousiasme s'était rapidement communiqué à une foule populaire, pleure sur la ville.


III

Jérusalem! ville de l'intelligence, ville de la foi, ville de l'espérance! Ah! comme il semblait vraiment qu'elle fut préparée à recevoir le Sauveur du monde!

Ville de l'intelligence. Les docteurs y abondent, les savants et les discoureurs, les sages et les rabbins et ces scribes érudits, qu'à l'âge de 12 ans, Jésus rencontra déjà et étonna par la pénétration de ses questions. Hélas! il est une sagesse humaine qui éloigne de la simplicité de l'Évangile. Ne le redirons-nous pas aujourd'hui dans une cité comme la nôtre? Ah! s'il suffisait d'être instruit pour acclamer le Christ, notre patrie, fière de ses écoles, de sa science serait la première à aller à la rencontre du Roi, en agitant les palmes triomphales.

Mais le Christ a trouvé des âmes plus proches de la sienne dans le monde des petits et des ignorants que dans le monde des intelligents et des sages, revêtus de leur connaissance comme d'un manteau d'orgueil qui leur cachait Dieu. Heureux vous, qui vous sentez pauvres quant à l'esprit; heureux vous qui recevez le Royaume comme un petit enfant!

La science inspire l'orgueil, mais la charité édifie. Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse. Certes il est une science — selon Dieu — qui amène l'homme à mieux mesurer la grandeur des oeuvres de l'Éternel, mais il est une fausse science qui pousse l'esprit à croire pouvoir se passer de Dieu, une science prétentieuse à qui le message de l'amour demeure incompréhensible et que scandalise l'humilité du Fils de l'Homme. Jésus a pleuré sur Jérusalem, ville des sages, que leur sagesse emplit de suffisance et qui passent près du Sauveur, en disant: Nous n'avons pas besoin de ta lumière!

Jérusalem! Ville de l'Église. Que de prêtres assemblés à la porte du sanctuaire! En voici qui récitent les prières anciennes, et en voici pour les sacrifices, suivis de nuées de lévites empressés, tous si habiles dans l'exercice des rites de la dévotion juive. Le nom de Dieu est sur toutes les lèvres; on célèbre les délivrances merveilleuses du passé, on récite la Loi, on énumère les commandements de la religion. Nul ici qui partage les erreurs des Samaritains, ou les ignorances des pauvres de Galilée; une sainte horreur pour tout ce qui est païen règne dans la ville sainte, seuls les purs Israélites pénètrent au coeur du sanctuaire. C'est la ville élue, la ville du grand roi et du saint sacerdoce. Et c'est cette cité-là qui prépare le supplice du Fils de Dieu! Jésus, dans son indépendance, dans le contact direct avec le Père, fort de l'inspiration d'En-Haut, ne confond pas l'Église des hommes avec le Royaume de Dieu.

L'Église d'Israël, c'est la société où derrière les apparences dévotes, se cachent les égoïsmes farouches, où l'on coule le moucheron pour avaler le chameau, où l'on respecte les lois du sabbat et des ablutions sacrées et où l'on méprise le commandement de l'amour. Derrière ces visages de prêtres, de religieux fanatiques, de pharisiens zélés, Jésus découvre des êtres sans coeur, endormis et pétrifiés dans une religion sans âme, dans un conservatisme craintif. Ces hommes de Dieu ne permettront pas que Jésus vienne troubler leurs habitudes pieuses, ni qu'un charpentier de Galilée vienne chasser les vendeurs de leur Temple, et prétende ouvrir les portes du Royaume aux miséreux, aux péagers, aux sans foi ni loi de la rue.

C'est la cité de la Religion qui crucifiera Jésus-Christ, et quand Jésus a vu se dresser à l'horizon les tours du temple, quand il a salué la ville des prêtres, il s'est remémoré tout ce que les prophètes avaient jadis souffert de la part du fanatisme étroit, et il a pleuré, pleuré sur Jérusalem. «Ville de la Paix»... C'est ce que signifie le nom de la ville sainte, nom bien mal porté en vérité, car ce qui concerne la vraie paix, le message de la repentance et de l'amour, Jérusalem n'en veut pas. Le grand prêtre de Dieu va présider le tribunal qui condamnera Jésus-Christ.

Nous songeons à notre cité, à son histoire, à son Église. Que de clochers sur nos vieilles collines, quelle longue tradition de pitié et de religion! Que d'honneurs décernés à Dieu, depuis l'heure où, voici quatre cents ans bientôt, notre peuple a décidé de vivre selon la sainte loi de l'Évangile. Et certes j'aime trop l'Église, que j'ai promis de servir, pour m'abandonner à la tâche trop facile de découvrir ses insuffisances et ses misères. Et pourtant il me semble parfois apercevoir Jésus s'arrêtant au seuil de notre grande cité protestante. Comme dans l'antique Jérusalem, la loi de Dieu a été chez nous étudiée, prêchée, respectée. L'Église a de nombreux serviteurs, de nombreux sanctuaires, de nombreuses oeuvres. Mais elle, elle toujours prête à écouter le message du Christ? Conserver l'héritage du passé, rester là où on en est, avoir peur des luttes nouvelles, des efforts imprévus, n'est-ce pas là l'attitude de cette religion conservatrice, tranquille, endormie, confortable, dont beaucoup se contentent?

Le Christ s'approche de la ville, le Christ porteur de l'épée de l'Esprit, le Christ qui convie aux saints combats, le Christ dont la voix appelle au sacrifice, au renoncement, au don de soi, le Christ qui déclare la guerre aux idoles, et qui dit aux croyants: Sortez du Temple, pour aller chercher les estropiés, les malades et les vaincus le long des chemins et le long des haies; le Christ qui renverse les barrières et qui dit: premièrement le Royaume de Dieu, et tout le reste après. Et dans les villes de Dieu, celles d'autrefois, celles d'aujourd'hui, on lui répond: Nous réclamons d'abord la tranquillité, le confort, d'abord notre argent, notre plaisir, notre vie, et réserverons à Dieu cette chambre spéciale qui s'appelle le sabbat ou le dimanche, le culte, l'heure de la prière. Oh! laisse-nous notre religion ordinaire, taillée à notre mesure, bien faite pour notre faiblesse, ne nous parle plus de l'extraordinaire, de la mort à nous-mêmes et de la nouvelle naissance. Si. vous ne changez, vous n'entrerez point dans le Royaume de Dieu!... Oh! nous ne voulons point changer, laisse-nous le Temple ancien où nous entrons avec nos préjugés, nos passions et nos haines.

Jésus, voyant la ville, a pleuré sur elle. Il a salué peut-être, comme plus tard le voyant de l'Apocalypse, la cité nouvelle où il n'y aurait plus de temple (Apoc. XXI, 22.) et plus de prêtres, parce que l'amour régnerait dans tous les coeurs.

Jérusalem! ville aussi de l'espérance. À côté d'une bourgeoisie dévote et satisfaite, s'agitait un peuple de pauvres qui attendaient le Messie, leur Sauveur. C'est parmi eux, sans doute que se sont rencontrés ces gens qui viennent grossir la petite cohorte des disciples et, chanter: «Hosanna, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!» Jésus ne va-t-il pas se réjouir à l'ouïe du cantique de joie? Il est ici des gens qui attendent, et voici celui qui répond à l'attente, voici surgir le Désiré des prophètes, celui que Zacharie avait représenté humble et pacifique monté sur un pauvre âne pour faire son entrée royale dans la ville.

Et Jésus ne s'est réjoui qu'un instant. Il a lu dans les regards ardents de la foule impatiente, la pensée intime qui était le secret de leur fiévreuse attente. Il sait la prière de leurs coeurs: «Oh! Dieu, envoie-nous un Messie qui nous distribue et de l'or et du pain, qui nous ouvre une vie facile. Que descende de ton ciel le paradis où l'on n'aura plus ni à travailler, ni à peiner, ni à pleurer! Que paraisse le prince puissant qui chassera nos ennemis et écrasera nos oppresseurs!»

Jésus a pleuré sur cette foule, qui attendait Un Messie selon son coeur, et non pas le Messie selon le coeur de Dieu, qui voulait le ciel sans la repentance, la gloire sans la croix, la récompense sans l'obéissance.

Ville de l'Espérance! Dans la cité moderne s'agitent aussi de grands espoirs, nous sentons parfois battre ces ailes d'espérance dans notre cité même, où quelques-uns des plus grands rêves de l'humanité s'abritent. Nous connaissons la messianique vision d'un Royaume de Dieu qui vient sur la terre! C'est cette perspective qui fait la force de la propagande socialiste, qui, depuis plusieurs générations nourrit dans le peuple la volonté de la Justice, et qui enflamme les coeurs pas ses généreuses promesses: Plus de misères, plus de pauvres, plus d'exploités. C'est aussi une semblable espérance qui donne une âme aux grandes institutions internationales qui travaillent à supprimer la guerre, à abolir les haines, à rapprocher les nations. Il semble que la Cité moderne où retentissent les hymnes à la justice, à la paix, à la fraternité, soit prête à envoyer à la rencontre de Christ des troupes ferventes, toutes disposées à l'acclamer.

Or Jésus a pleuré sur la ville qui attendait le Royaume de Dieu, mais qui ne comprenait pas que l'entrée dans le Royaume était conditionnée par les exigences morales de l'amour et du sacrifice.

Aujourd'hui comme dans la Jérusalem ancienne, beaucoup appellent Justice l'état social où ils auront eux la bonne part, sans songer à la part de leurs frères. Beaucoup exigent le bonheur, le bonheur à tout prix, sans comprendre la leçon des Béatitudes et sans reconnaître dans le bonheur une fleur qui ne s'épanouit que dans le seul champ du devoir, de la pureté et de la bonté. Beaucoup parlent de paix et de fraternité, qui gardent dans leur coeur les inspirations de la haine, de l'envie, ou de la basse jouissance.


Jésus a pleuré sur la ville qui attendait le salut, mais non pas ce salut que Christ vient apporter au monde, et que reçoivent seuls des coeurs capables de s'ouvrir à l'amour d'un Dieu. Jésus pleura sur la ville, la ville où il y avait pourtant de l'intelligence, de la dévotion, de l'espérance.


IV

Puis il est entré dans Jérusalem. Et là, il a fondé le Royaume. Il l'a fondé sans inviter ni les sages, ni les prêtres, ni le peuple. Dans une chambre haute, il a convoqué les siens, ses douze. Ces quelques-uns n'étaient pas meilleurs que les autres, et avaient eux aussi dans leur coeur, encore de l'orgueil, et encore de la superstition et encore des illusions. Mais ils possédaient un trésor; ils avaient entrevu que le secret du salut n'était ni dans une science, ni dans un culte, ni dans une révolution. Le secret du salut, c'était Lui: Lui, le chemin, la vérité, la vie; Lui, l'amour incarné, Lui, la puissance merveilleuse sous les rayons de laquelle s'abolissaient les haines et les rancunes; Lui en face de qui il était facile de croire, d'aimer et d'espérer; Lui, en présence de qui l'âme était plongée dans le bain du pardon et de la renaissance.

Et là, dans le silence et la prière, alors que se préparait au dehors le drame sanglant, et que pesait sur les coeurs fervents la menace d'une mystérieuse épouvante, Jésus s'est proclamé définitivement le Roi de l'avenir, et a placé sa personne au centre de l'histoire; il a pris le pain et la coupe: Ceci est mon corps, ceci est mon sang prenez en tous.

Il a vu le royaume de Dieu, en germe, en puissance, dans ces quelques pauvres âmes arrachées au péché par son appel; il les a placées sous le signe du sacrifice. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie. Et le Royaume a été institué, socialement institué, à l'heure où des hommes se sont levés, qui ont pris le corps et le sang du Christ, c'est-à-dire qui se sont assimilé son amour, et qui sont partis dans le vaste monde — à travers les campagnes et à travers les cités — en répétant: Si Lui a donné sa vie pour nous, nous aussi devons donner notre vie pour nos frères (1 Jean III, 16.).

Où est-il aujourd'hui le royaume de Dieu? Il est partout où des âmes s'épanouissent dans l'amour du crucifié, partout où des amis de Jésus veulent vivre, en donnant leur vie. Il est là, et c'est là seulement qu'il se trouve. S'il est vrai qu'aux portes de nos cités chrétiennes Jésus pourrait paraître, et retrouver les mêmes accents et les mêmes larmes que jadis aux portes de la cité sainte, ah! puisse-t-il aussi trouver dans nos églises et dans nos foyers de ces chambres hautes, où se renouvelle le mystère de la divine communion. Puisse-t-il trouver en nous des disciples capables de se laisser saisir, quelles que soient leurs infidélités, par cet amour personnel pour le Sauveur, qui les pousse à s'asseoir à sa table et à se laisser nourrir et abreuver par celui qui, génération après génération, s'offre et se donne, afin de préparer sur la terre le triomphe de l'amour.

La semaine sainte est là. Sainte, elle le sera pour toi, si tu te laisses vaincre par l'amour du Christ, et si tu reconnais, en cette nouvelle occasion de visitation divine qui t'est accordée que ce qui concerne ta paix, c'est lui, lui seul qui te l'apporte en te montrant sa croix.

1929.

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