Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

V

L'AMOUR NE CALCULE PAS

----------

La parabole des ouvriers. 

(Math. 20)

Je visitais récemment, dans la ville universitaire de Marbourg, un savant qui est aujourd'hui dans sa soixante treizième année, et qui fut jadis mon professeur, Ad. Julicher. Je retrouvai dans son cabinet tapissé de livres le vieux travailleur, fatigué et presque aveugle, mais qui continue à suivre le mouvement des études actuelles relatives au Nouveau Testament et à l'Histoire de l'Église. Il dut jadis une part de sa célébrité au considérable ouvrage d'érudition qu'il consacra aux paraboles de Jésus, livre lourd, copieux, abondant en détails subtils. Mais lorsque nous songeons à la facilité avec laquelle nous faisons dire parfois à Jésus par nos interprétations fantaisistes tout autre chose que ce qu'il voulut vraiment dire, nous comprenons la nécessité des patientes recherches de ces savants minutieux qu'anime le seul désir de retrouver autant que possible derrière le texte écrit, ce qui dut être l'originale pensée du Sauveur.

Nos Réformateurs eux aussi, et Calvin en tout premier lieu, ne se contentèrent pas de tirer de l'Écriture des exhortations édifiantes, mais appliquèrent toutes les ressources de leur intelligence et de la science de leur époque à serrer d'assez près le texte original de la Bible pour en saisir le sens authentique.

On a reconnu l'erreur des commentateurs allégoristes qui prétendent trouver un sens précis à chaque mot de chaque parabole. Nous devons nous attacher avant tout à dégager de chacune de ces pages immortelles les vérités fondamentales qu'elles entendent exprimer. À propos même de la parabole des ouvriers, Calvin écrivait: «Éplucher exactement toutes les parties de cette parabole serait une sotte curiosité.»

Étudions-la donc, en cherchant à répondre à ces trois questions:

I. — En quelle occasion et à quel propos Jésus a-t-il raconté cette histoire?

II. — Quel est l'enseignement essentiel que Jésus a voulu donner par là à ses auditeurs?

III. — Quelles sont les applications pratiques actuelles que nous pouvons en tirer?


I

À l'origine d'une parabole de Jésus il y a souvent la coïncidence d'une impression venue du dehors, éveillée en lui par quelque spectacle de la nature ou de la vie, et un désir intérieur de révéler à ceux qui l'entourent quelque chose de sa pensée intime.

Jésus en passant sur la place du village est frappé à la vue d'ouvriers demeurés inactifs parce que personne n'est venu les engager. Ces chômeurs involontaires éveillent sa pitié. Il songe au soir de la journée, où ils rentreront les mains vides et le coeur ulcéré dans leur pauvre foyer. Il songe à la force perdue de ces bras inemployés dont la vigueur demeure stérile. De même que la graine perdue lancée par le semeur sur la terre dure du chemin avait évoqué en lui la pensée de tant de semences spirituelles prodiguées en vain, de même la vue de ces vies inutiles le poursuit et sollicite sa réflexion. Il y a sur la terre tant d'âmes qui attendent! Mais Dieu viendra les appeler à leur tour et les enverra dans son travail, les unes bientôt, les autres plus tard.

Qu'il serait noble et généreux ce propriétaire qui dans sa compassion pour ces sans-travail viendrait les convoquer à midi, à trois heures, à cinq heures après-midi, pour leur procurer à tous la joie de servir. Qu'il serait plus noble encore, et plus généreux, celui qui, au terme de la journée, leur distribuerait à tous ce plein salaire que seuls auraient le droit d'escompter ceux qui au soleil levant auraient été engagés pour un prix convenu. C'est ce maître-là qui fournirait ici-bas une exacte image de ce qu'est le Maître, le Roi du royaume invisible.

Si de telles pensées montent au coeur du Sauveur c'est qu'il éprouvait à cette heure non seulement la vérité abstraite et générale qu'elles renferment, mais aussi le caractère nécessaire de la leçon qui s'en dégage.

Quels sont ses auditeurs? Mathieu, qui fait suivre la parabole d'une répétition du paradoxe chrétien: Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers, pense que Jésus vise ici les Pharisiens, et veut une fois encore justifier devant les Juifs fiers de leur élection, son amour pour les perdus, pour les péagers, pour les gens de mauvaise vie qu'il convie au festin du royaume. Lorsque les pharisiens voient la foule des sans aveu et des transgresseurs de la loi venir faire cortège au Christ, ils s'indignent. Ne sont-ils pas, eux, ceux de la première heure, attachés à Dieu par le contrat d'alliance et capables de mériter, par leur longue et scrupuleuse fidélité, la divine récompense? Ils supportent malaisément de voir des gens qui ont vécu longtemps loin de Dieu et de sa loi sainte s'entendre adresser par Jésus le message du pardon et la promesse de la vie éternelle. Semblables au frère aîné de l'enfant prodigue, ils voient de mauvais oeil la bonté d'un Dieu qui accueille à la même table qu'eux les rescapés du péché, et ne maintient plus aucune différence entre les ouvriers de la première heure et celui de la dernière heure.

Cette interprétation de Matthieu qui veut que Jésus s'adresse aux pharisiens n'est peut-être pas la meilleure. Les premiers sont payés les derniers, sans doute afin qu'ils aient l'occasion de remarquer l'attitude du Maître. Mais on ne peut dire que ces ouvriers de la première heure soient dans la parabole condamnés, abaissés ou rejetés. Ils reçoivent le prix convenu et leur récompense ne leur est point arrachée. Jésus ne semble donc pas songer ici au rejet des Juifs ni à la condamnation de l'orgueil pharisaïque dont il parle en d'autres occasions. Jésus raconte cette histoire non pas tant à la foule qu'à ses propres disciples, si influencés d'ailleurs par les préjugés pharisiens.

Peu auparavant Jésus a entendu Pierre lui dire (c'était après la rencontre du jeune homme riche): Voici, nous avons tout quitté pour te suivre et maintenant qu'avons-nous à attendre? Et Jésus, à cette heure a pu mesurer à quel point cet homme, pêcheur de poissons dont il avait voulu faire un pêcheur d'âmes vivantes, était demeuré l'homme du marché et du commerce. Il dit: J'ai tant travaillé, quel est mon gain? sans pouvoir s'élever à la compréhension de ce bonheur spirituel qu'il y a à gagner des âmes à Dieu.

Un peu plus tard, Jésus entendra encore Jacques et Jean réclamer des places privilégiées. Il est certain que dans le cercle des apôtres il y eut des rivalités personnelles, entre les premiers appelés et ceux qui étaient venus un peu plus tard, entre ceux qui avaient accompagné Jésus partout et jusque sur la montagne de la transfiguration et les autres, peut-être encore des différences relatives à leurs diverses professions: pêcheurs, artisans, péagers. Un dernier écho de ces rivalités ne nous est-il pas fourni dans le Nouveau-Testament par Paul? Saint Paul est l'ouvrier tardivement appelé qui devait faire dans le champ de Dieu des moissons plus amples qu'aucun autre de ces disciples qui lui reprochent souvent le retard de sa conversion et lui contestent parfois le droit de s'appeler apôtre, lui qui n'a pas accompagné Jésus sur les chemins de la Galilée.

Jésus a souvent employé en parlant des récompenses divines le langage de son peuple et de son époque, et en a appelé au bon sens naturel des hommes qui l'entendaient: À tel travail tel salaire. Mais il s'agit maintenant pour lui de révéler une vérité plus haute et plus nouvelle. Il s'agit d'aider ces hommes à s'élever du plan de la justice au plan de la Grâce, et de leur demander de rompre décidément avec tout le système de comptabilité religieuse que le Judaïsme aimait à employer pour calculer les rétributions futures.

Vous voulez comparer Dieu à un Maître payeur, comme la religion de la loi vous y invite par sa préoccupation constante de la Justice. C'est bien. Mais alors ne le comparez pas à un Maître quelconque. Comparez-le plutôt à ce Maître idéal dont je vous raconte l'histoire. Dieu trouve sa joie à être généreux en appelant les attardés du chemin, et généreux encore en ouvrant à tous ceux qui lui avaient répondu, on plus tôt ou plus tard, les portes de la gloire.


Il

Nous touchons ici à la leçon centrale. Avec la parabole des serviteurs inutiles (Ou, comme ou peut aussi l'entendre, des «Simples Serviteurs». Luc XVII 7 à 10.), la parabole des ouvriers nous présente Jésus affranchi de toutes ces images courantes de récompense et de proportion, dont il a pu se servir dans la parabole des Talents ou dans celle du Jugement dernier. Le don de Dieu n'est pas récompense, il est Grâce!

La doctrine apostolique du salut par la grâce trouve ici son assise. En quoi le Dieu de Jésus s'élève-t-il au-dessus du Dieu de l'Ancien Testament? En ceci, que la souveraineté de Dieu éclate dans le débordement de son amour, dans sa volonté résolue de faire Grâce. Il ne paie plus, il donne; il ne calcule, plus, il sauve. Et c'est ici le fond dernier de la nature divine pour la conscience de Jésus. Lorsqu'à la fin du récit nous entendons murmurer ceux qui prétendent à tort avoir été lésés, le Maître leur répond avec une tendre ironie: Mon ami, n'étais-tu pas convenu avec moi d'un denier? Prends ce qui le revient et verrais-tu de mauvais oeil que je sois bon? Il me plaît de donner à ce dernier autant qu'à toi. Le pourquoi de son attitude inattendue, le Maître n'a pas à le définir autrement qu'en affirmant l'orientation intime de son être: Je veux être généreux. Ainsi parle le père de l'enfant prodigue, ainsi parle le Dieu de la Grâce.

Nous sommes ici à la frontière de deux conceptions religieuses et rien ne l'indique mieux qu'une comparaison des paroles de Jésus avec un passage des Talmuds Judaïques, que je vous cite: «Un soir un roi est, appelé à distribuer leur salaire à des ouvriers qui avaient travaillé pour lui. Il donna à tous la même récompense. Alors murmurèrent ceux qui avaient peiné tout le jour en disant: Nous avons travaillé toute la journée et celui-ci n'a travaillé, que deux heures et il a aussi un plein salaire! Le roi répondit: Celui-ci a fait plus de travail en deux heures que vous durant tout le jour. Ainsi, tel rabbin a fait plus de progrès dans la pratique de la loi, en deux ans, que tel disciple en cent ans.»

Dire que les deux paraboles, talmudique et chrétienne, se ressemblent dans leur intention profonde c'est se refuser à comprendre Jésus.

Jésus veut détruire dans sa racine la piété légaliste qui interdit à Dieu de juger les hommes autrement que d'après leurs oeuvres ou leurs apparents mérites. L'ouvrier de la onzième heure n'a pas accompli en soixante minutes le travail d'une journée complète; le brigand crucifié n'a pu honorer Dieu sur la terre que par le don rapide mais résolu de son âme meurtrie. Le Christ a vu venir à lui des âmes qui n'ont plus pu lui apporter que les restes d'une énergie usée ou la fin d'une carrière déclinante. Et à ceux-là aussi qui avaient perdu toute une partie du jour dans l'inaction, l'ignorance ou l'égarement, il a ouvert la porte du royaume. Quand il a vu les gardiens de la tradition vouloir fermer cette porte à ceux qui n'y étaient point entrés suivant les rites prescrits et à l'heure indiquée, quand il les a vus vouloir maintenir au dehors les pécheurs qui pleuraient, les vaincus qui se relevaient, les oisifs qui s'éveillaient, il a opposé à leur étroitesse la largeur du coeur de son Père: Vois-tu de mauvais oeil que je sois bon?

«Christ, dit Calvin, n'enseigne pas ici l'égalité de la gloire céleste ou de l'état qu'auront les fidèles, mais seulement il déclare que ceux qui sont premiers de temps n'ont point cause de se glorifier ou de mépriser les autres.»

Peut-être faut-il élargir un peu la portée de cet avertissement. Non seulement les premiers n'ont pas à s'enorgueillir de la durée de leur fidélité, mais Jésus veut par sa parabole nous amener à comprendre que, même s'il n'y a pas identité, de tous dans l'au-delà, tout calcul de différence doit être abandonné. Ne sommes-nous pas tous des ouvriers insuffisants, médiocres, indignes? Et toi, qui es-tu, qui juges ton frère? Ceux-là que personne n'a loués sont-ils coupables de leur inaction? Qui se prononcera sur les raisons profondes qui amènent tant d'âmes à s'attarder sur la place, vies perdues aussi longtemps qu'elles n'ont point entendu l'appel? Et peut-il y avoir autre chose que joie et reconnaissance dans le coeur des disciples le jour où quelque attardé ou perdu vient à son tour travailler à la vigne?

Dieu est le grand employeur des âmes. Courte ou longue, notre carrière terrestre n'est devant lui qu'un jour. Quand le soir est venu, Dieu fait entrer dans sa joie ceux qui ont répondu à l'appel de son amour par la foi et l'obéissance; et que compte alors la différence des talents et des heures? La paix divine est quelque chose de trop grand, l'éternité quelque chose de trop sublime, pour que nous songions à les diviser, à les fractionner suivant les proportions calculées par notre orgueil ou notre folie. Le don de Dieu ne se morcelle pas, et la seule source de notre confiance à tous est dans l'infinité de sa bonté. Notre seul espoir est de sentir en Jésus battre le coeur d'un Dieu dont I'Amour parle plus haut que la justice et pourra couvrir notre misère.


III

L'Église a besoin de réentendre cette parabole. Nos chrétiens d'aujourd'hui lisent si peu leur Bible que beaucoup qui croient vivre de la religion de l'Évangile la dénaturent singulièrement et la rabaissent au niveau d'une morale intéressée. À chacun sa récompense suivant l'échelle de ses mérites! On réadmet inconsciemment la notion du salut par les oeuvres condamnée par saint Paul et par la Réformation. Par ailleurs pour vivre trop souvent loin de la communion vivante avec Jésus-Christ, beaucoup ne se rendent plus compte de ce qu'il y a de ridicule et d'insolent à prétendre discuter avec Dieu, à vouloir conquérir par nos vertus ses faveurs précieuses.

C'est en face de Jésus que nous nous sentons misérables, incapables, que nous reconnaissons que rien en nous ne mérite le ciel ou l'éternité. Mais c'est aussi aux pieds de Jésus que nous recevons le seul message sauveur d'un Dieu qui s'appelle la bonté et la grâce. Il n'attend pas pour t'ouvrir ses bras, pour te dire son pardon, pour te donner sa paix, que ton compte soit en règle. Il n'attend que la démarche de ta foi confiante. Sa joie est de payer le plein salaire à tous ceux qui sont devenus ses ouvriers.

Essaierons-nous de tirer de cette histoire une application sociale? Certes, Jésus ne parle ici que des rapports de l'homme avec Dieu et ne songe à aucun problème d'ordre économique. D'autre part, nous savons trop qu'on a pu reprocher aux Chrétiens de parler beaucoup: amour et charité et de négliger les devoirs de Justice. Dans la masse populaire on en veut à l'église de ne pas poursuivre l'oeuvre humaine de stricte justice: donner à chacun ce qui lui revient, en argent, en bonheur, en prospérité et de ne pas chercher à supprimer les injustices qui créent la misère et la ruine, les ambitions capitalistes, le militarisme. Et les chrétiens s'appliquent ensuite hypocritement à panser les blessures des victimes et à se présenter comme des messagers de l'amour. Donnez-nous des lois plus justes, et nous n'aurons plus besoin de charité et d'amour! tel est le cri de la conscience populaire contre l'église du Christ.

Quand je relis la parabole des Ouvriers, je constate ceci. Le Dieu de Jésus ne personnifie pas la justice, il personnifie l'amour. Mais son amour, loin d'être contraire à ce qui est juste, a la puissance de dépasser le juste, de s'élever au-dessus des normes établies par la raison humaine. Le Maître de la parabole ne fait tort à personne, il donne plus que ce que réclame la justice en accordant le salaire complet à tous ses ouvriers. La figure de ce Dieu-là doit dominer la pensée sociale du Chrétien. Jésus n'a pas traité de questions économiques, j'en conviens. Mais j'ajoute aussitôt: Jésus a voulu qu'en toutes choses l'homme s'applique à imiter Dieu et cherche à conformer sa conduite à la conduite de Dieu à son égard: Pardonne comme Dieu pardonne! Aime comme Dieu aime! Voilà l'Évangile.

L'Évangile a introduit dans le monde des relations sociales une nouvelle dimension, celle de la générosité.

Regardez au passé. L'église a propagé dans le monde le souci des faibles, des malades, des abandonnés; c'est son titre d'honneur; oeuvre de Justice direz-vous. En êtes-vous certain? J'entends des hommes très sages qui disent: Laissez mourir les faibles pour améliorer la race laissez sombrer les méchants plutôt que de faire des efforts souvent illusoires pour les relever! Permettez aux races fortes de dévorer les races inférieures appelées à disparaître! Mais Jésus a une autre évaluation. Derrière l'ouvrier oisif, la vie perdue, la race grossière, la conscience obscurcie, il devine des richesses que l'amour peut reconquérir pour Dieu.

Regardez au présent. L'humanité, saisit l'insuffisance, dans le domaine économique lui-même d'une justice mécanique et sans âme. Elle réclame qu'au soir de la journée, ou à la fin de la quinzaine (puisque l'humanité moderne a désappris le scrupule de la loi antique: Tu ne retiendras pas jusqu'au lendemain le salaire du journalier) elle réclame qu'à l'heure des comptes l'on songe non seulement à la somme de travail fournie, mais aux besoins de celui qui a, dans son foyer, une femme et des enfants. Les mesures pour le sursalaire familial sont au plus haut chef, et plus encore que toute mesure de protection des chômeurs et d'assurance sociale, une interprétation de l'intuition religieuse de Jésus qui, en nous montrant le coeur de Dieu, généreux, large, aimant, nous convie indirectement à faire triompher partout, dans la famille et dans la société, des relations qui ne soient plus des relations juridiques de contrat, de doit et d'avoir, d'équivalence et de réciprocité, mais des relations spirituelles, de confiance, d'amour et de bienveillance.


Croyons au Dieu de Jésus; ce Dieu n'est plus celui de l'Ancien Testament, le Dieu du droit et de la loi dont l'amour n'était qu'une manifestation occasionnelle de justice. En face des vies qui attendent, qui n'ont pas encore perçu l'appel du Christ, notre devoir n'est pas un devoir de jugement, mais un devoir d'amour. Allons à elles non pas pour leur demander avec reproches: «Pourquoi si tard?», mais pour leur dire: Il y a du travail pour toi dans la vigne du Maître.» Évangéliser dans l'esprit de Jésus, c'est appeler les âmes à la conversion, non pas en les faisant trembler, par les perspectives de punitions dont nous ne savons jamais si elles les méritent aux yeux de Dieu plutôt que nous-mêmes, serviteurs si souvent infidèles! ni en leur faisant miroiter la récompense paradisiaque qui viendra à son heure, l'heure de Dieu, mais qui n'est pas pour le Chrétien, le motif de l'action. Invitons les âmes en montrant toute la joie qu'il y a à servir un Dieu qui est Amour et Grâce et qui ne repousse personne.

Heureusement pour nous Dieu est un Dieu de bonté qui nous aime avant que nous le méritions. Que notre vie toute entière devienne une vie de reconnaissance à l'égard d'un Dieu qui, comme le maître de la parabole, trouve sa joie à aimer et à être généreux!

Heureusement pour l'humanité il y a au-delà de l'idéal de la justice que nous ne devons pas nous lasser de poursuivre, un idéal plus divin encore de bienveillance et de fraternité qui nous pousse à avoir les uns avec les autres d'autres relations que les nécessaires relations juridiques du doit et de l'avoir, les relations plus profondes de cœurs ouverts au dévouement et au sacrifice et prêts à traduire en langage humain cette bonté divine dont il est dit dans l'Écriture: La bonté a des fondements éternels (Ps. LXXXIX.3).

1927-1929.


Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant