Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEUXIÈME ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 11

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1 Plût à Dieu que vous sussiez supporter un peu ma «sottise»! Mais vous me supportez! Car je vous aime avec jalousie, mais avec la jalousie de Dieu, puisque je vous ai fiancés à un seul époux, pour vous présenter à lui comme une vierge pure, savoir à Christ; mais j'ai bien peur que, de même qu'Ève fut trompée par l'astuce du serpent, de même vos pensées ne soient corrompues et cessent d'être sincèrement attachées à Christ. Car si quelqu'un vient vous prêcher un autre Jésus que celui que moi je vous ai prêché, ou si on vous fait accepter un autre esprit que celui que vous avez reçu, ou un évangile différent de celui que vous avez embrassé, vous supportez cela parfaitement!

XI, 1-4. Encore une fois l'apôtre ne peut se défendre de ce ton d'ironie qui tout à l'heure lui échappait comme malgré lui, et encore une fois il se hâte d'en prendre un autre. Après tout, il croit pouvoir compter sur l'affection de la majorité des Corinthiens. Et la raison de cette confiance, c'est son propre amour pour eux. Il se dit jaloux d'eux et ne supporte pas l'idée d'avoir à partager leurs sympathies avec des étrangers, des intrus, qu'il appelle même des séducteurs, qu'il compare au serpent qui a trompé Ève, c'est-à-dire au diable même, puisque, après tout, il s'agit là d'une doctrine subversive qui déplace la base et le pivot même de l'Évangile, et change essentiellement la nature de l'œuvre de Christ. Pourtant (comme Ève au paradis) on écoute à Corinthe ces enseignements trompeurs et pernicieux, on se laisse dire que Jésus a explicitement sanctionné la loi, que c'est elle et non l'esprit de Dieu qui doit opérer le bien en nous; et de cette manière on se laisse détourner, sans s'en apercevoir, de l'unique sauveur qui soit donné aux hommes!

En écrivant le mot de jalousie, l'auteur, par une liaison naturelle des idées, introduit une seconde application de cette image, qui, sans être étrangère à son sujet, s'écarte cependant de sa première conception. Il se compare maintenant à un homme chargé de négocier un mariage, de rechercher une jeune personne pour un autre, et qui est tenu d'honneur à la remettre pure entre les mains de l'époux. Quand on se rappelle combien de fois, dans l'Ancien Testament, il est question d'un rapport conjugal entre Jéhova et Israël, ce rapprochement n'a rien d'insolite. Nous saurons ainsi en même temps ce que c'est qu'une jalousie de Dieu.

(Dans la dernière phrase, il y a une petite difficulté logique, du moins en apparence, en ce que le texte dit: Si quelqu'un vient.... vous supporteriez, etc. C'est qu'en réalité il est venu des gens auxquels s'appliquait le reproche, mais l'apôtre ne veut pas affirmer trop énergiquement que les Corinthiens se sont laissé séduire par eux. En français, celte inconséquence syntactique est intolérable.)

5 Or, je pense bien n'avoir pas été inférieur à ces apôtres par excellence; et si je ne suis qu'un orateur très ordinaire, je n'en suis pas là quant à l'intelligence, et je l'ai bien fait voir parmi vous en tout et par tout. Ou bien ai-je commis un péché en m'abaissant moi-même pour que vous fussiez élevés, en vous annonçant l'évangile de Dieu gratuitement?

8 J'ai dépouillé d'autres églises en acceptant un salaire pour pouvoir vaquer à votre service, et tant que j'étais chez vous, quand je me trouvais dans le besoin, je n'ai importuné personne; car les frères venus de la Macédoine suppléèrent à mes besoins, et à tous égards je me suis gardé et je me garderai de vous être à charge. Oui, je le déclare en prenant Christ pour témoin, cette gloire ne me sera pas ravie dans la province de l'Achaïe! Pourquoi cela? Serait-ce parce que je ne vous aime point? Dieu le sait!

12 Mais ce que je fais, je le ferai toujours, afin d'enlever tout prétexte à ceux qui en cherchent un, pour pouvoir se dire mes égaux en ce qui leur tient à cœur. Car ces hommes-là sont de faux apôtres, des ouvriers trompeurs, déguisés en apôtres de Christ. Et cela n'est pas étonnant: car Satan lui-même se déguise en ange de lumière; ce n'est donc pas chose extraordinaire que ses ministres se déguisent en ministres de la justice. Mais leur fin sera conforme à leurs œuvres!

XI, 5-15. Le discours devient de plus en plus personnel, c'est-à-dire à la fois apologétique et polémique. Paul arrive à tracer un parallèle entre lui-même et les autres prédicateurs qui travaillaient à miner son autorité à Corinthe. Car il est évident que les apôtres par excellence, que l'auteur nomme ainsi ironiquement, sont précisément ceux qui, à Corinthe même, lui disputaient le terrain, et qui se posaient comme ayant de meilleurs titres à faire valoir, ou qu'une portion de l'église prisait davantage. Les anciens, ainsi que les réformateurs, croyaient qu'il s'agissait là des apôtres de Jérusalem, et l'on se servait de ce passage à l'appui de la polémique contre la primauté de Pierre; les modernes ont été quelquefois du même avis et en dérivaient la preuve d'un antagonisme personnel entre Paul et ses collègues plus anciens. Mais la suite du texte (v. 6 et 13) s'oppose à cette interprétation.

«Je ne crois pas être inférieur à ceux que plusieurs d'entre vous préfèrent, et au gré desquels on me dédaigne et me repousse.» Cette assertion forme le texte des pages suivantes et va être discutée en détail.

En premier lieu, il est question des qualités essentielles du prédicateur, et à ce sujet Paul revient à un point qu'il a longuement débattu dans la première épître (comp. surtout chap. I, 17 ss.; II, 1 ss.). Il admet volontiers que d'autres le surpassent relativement au talent oratoire, dont les Grecs avaient l'habitude d'exagérer la valeur; mais au point de vue de l'Évangile et du salut il y a bien quelque chose de plus important, c'est l'intelligence de la vérité, c'est la certitude qu'on n'y mêle pas des erreurs, en se laissant égarer par des préjugés. Et à cet égard, Paul espère bien soutenir la comparaison avec qui que ce soit. Au risque de paraître manquer aux règles de la modestie, il revendique ses titres, sa supériorité même, et en appelle à ce sujet à l'expérience de ses lecteurs. (Le mot grec employé dans ce passage et dont la langue française a fait le mot idiot, signifie proprement un particulier, par opposition à celui qui occupe un emploi public; c'est par exemple un simple membre de la communauté, opposé à celui qui porte la parole en public (1 Cor. XIV, 23); c'est ici celui qui ne s'élève pas au-dessus du niveau commun, et qui, par conséquent, n'a qualité ni pour parler ni pour enseigner.)

Un second point auquel l'apôtre s'arrête plus longtemps, c'est son principe de ne point se faire entretenir ou salarier par les communautés au milieu desquelles il travaillait (1 Cor. IX. 2Thess. III). Évidemment ses adversaires en agissaient autrement. Lui, il s'abaissait, s'assujettissait à un travail manuel et pénible pour gagner son pain, et pour élever, instruire, édifier, sauver les autres, sans qu'il leur en coûtât quelque chose. Lors de son séjour de Corinthe, il en avait agi ainsi (Act. XVIII, 3); il avait bien accepté alors quelques dons, quelques subvenions qu'on lui envoyait de la Macédoine, mais il n'avait rien demandé aux Corinthiens, ni rien reçu d'eux. Il dit même, en parlant de ce qu'il s'était permis d'accepter des autres, qu'il les a dépouillés, c'est-à-dire privés de ce qui leur appartenait, sans qu'il en eût le droit. C'est là une exagération rhétorique qui s'explique par le but prochain de l'assertion et surtout parce qu'elle sert à faire reconnaître la grandeur du don. Et quant aux Corinthiens, les jalousies, les dissensions dont il se plaint actuellement, font voir qu'il avait bien raison de ne pas vouloir se mettre vis-à-vis d'eux dans une espèce de rapport de dépendance, et s'exposer à des insinuations malveillantes et calomnieuses. Il veut rester fidèle à sa maxime, et avec une énergie qui n'est pas du tout flatteuse pour les Corinthiens, il déclare solennellement qu'il ne permettra jamais qu'on puisse lui fermer la bouche (traduction littérale), quand il viendra à se vanter de n'avoir pas touché une obole en Achaïe. Non qu'il n'aime pas les chrétiens de cette province, mais c'est qu'il y a là des gens qui ne demanderaient pas mieux que de pouvoir se prévaloir de son exemple pour satisfaire leur propre cupidité. En effet, il est convaincu qu'au fond l'antagonisme qu'il rencontre à Corinthe provient d'une source impure, de motifs intéressés. Mais la manière dont il parle de ces choses est embarrassée et obscure. Le 12e verset surtout laisse beaucoup à désirer sous le rapport de la clarté, et notre traduction tient compte du sens exigé par le contexte, plus que de la lettre qui l'exprime. Il est évident que les adversaires de Paul n'ont pas pu se vanter d'être aussi désintéressés que lui (v. 20).

16 Je le répète: personne ne doit me prendre pour un sot fanfaron; si non, eh bien, acceptez-moi comme tel, afin que je puisse aussi quelque peu me vanter! (Ce que je dis là, avec cette prétention de me vanter, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais comme par une sotte vanité.) Puisque tant d'autres se vantent d'une manière charnelle, moi aussi je me vanterai.

19 Et vous, en votre qualité d'hommes sensés, vous vous accommodez si volontiers des sots! Vous le souffrez, si quelqu'un vous asservit ou vous dévore, si quelqu'un s'empare de vous, si quelqu'un vous traite de haut en bas, ou vous soufflette. Je le dis à ma honte, je me suis montré bien faible!

XI, 16-21. La comparaison que Paul pouvait et voulait faire entre lui-même et ses adversaires devait porter encore sur d'autres points que sur les deux que nous venons d'analyser. Mais avant d'en aborder un troisième (v. 22 ss.), il revient aux considérations générales et avec elles à l’ironie qui lui avait déjà inspiré la première ligne de ce chapitre. En homme sensé, il sait qu'il est puéril de chanter ses propres louanges; comme apôtre de Christ, il sait mieux encore (chap. IV, 7. V ép., XV, 10) qu'une telle manière d'agir n'est pas selon le Seigneur, que toute la gloire qui peut s'attacher aux succès de sa mission revient à celui qui la lui a confiée et qui l'y a rendu apte. Il sait de plus que des qualités purement accidentelles, comme celles qui dérivent de la naissance, ne constituent aucun mérite, aucun privilège. Rien ne saurait donc être plus éloigné de son esprit que de revendiquer son autorité apostolique et ses droits à la reconnaissance des Corinthiens, par des moyens si peu compatibles avec la vraie modestie chrétienne. Mais enfin, puisque les Corinthiens semblent le vouloir, et qu'ils paraissent ne reconnaître d'autres titres que ceux qu'on fait valoir à force de vanterie, lui aussi peut, pour un moment, mettre de côté les vrais principes et se prêter à leurs goûts en étalant ses titres, de manière à leur faciliter la comparaison. Ah, dit-il en terminant, que n'ai-je fait cela depuis longtemps! je me suis fait si petit, je n'ai point cherché à vous imposer, je n'ai jamais affecté des airs de maître. C'est une honte, quand j'y pense. Et vous, à en juger par la déférence que vous montrez à ceux qui viennent me supplanter auprès de vous, vous aimez qu'on déploie vis-à-vis de vous un esprit de domination, d'avidité, de captation fine et rusée, d'outrecuidance, de violence même!

L'ironie ayant ainsi bien établi, pour le lecteur intelligent, la véritable portée de la tirade qu'on va lire, l'apôtre arrive au troisième point du parallèle.

21 Et pourtant, là où un autre peut se mettre en avant (je parle comme un sot fanfaron), moi je le puis aussi! Ils sont Hébreux? moi aussi! Ils sont Israélites? moi aussi! Ils sont de la race d'Abraham? moi aussi! Ils sont ministres de Christ? Je dirai follement: je le suis encore plus qu'eux! je le suis plus, par des travaux plus grands, par des coups sans nombre, par des emprisonnements multipliés, par de fréquents dangers de mort!

24 Cinq fois j'ai reçu de la part des Juifs mes trente-neuf coups, trois fois j'ai été frappé de verges, une fois j'ai été lapidé, trois fois j'ai fait naufrage; j'ai passé toute une nuit et un jour sur l'abîme! Et mes nombreux voyages, les périls sur les fleuves, les périls par les brigands, les périls de la part des nationaux, les périls de la part des païens, les périls dans les villes, les périls dans la solitude, les périls sur mer, les périls chez les faux frères, les peines et les fatigues, les nombreuses veilles, la faim et la soif, les jeûnes fréquents, le froid et la nudité!

28 Et sans parler d'autres choses, cette obsession de tous les jours, ces soucis au sujet de toutes les églises! Qui est-ce qui vient à faiblir, que moi je n'en souffre? Qui est-ce qui se laisse choir dans la tentation, que moi je n'en aie la fièvre? Ah, s'il faut me vanter, c'est de mes souffrances que je me vanterai! Le dieu et père du Seigneur Jésus (béni soit-il à jamais!) sait que je ne mens pas!

32 À Damas, le gouverneur du roi Arétas fit garder la ville des Damascéniens pour s'emparer de ma personne, et c'est par une fenêtre, dans un panier, qu'on me fit descendre le long du mur, et c'est ainsi je parvins à lui échapper.

XI, 21-33. Ce morceau n'a pas besoin de commentaire. Nous en avons lu un semblable au 6e chapitre, mais celui-ci est de beaucoup plus éloquent, plus incisif et plus pittoresque, parce que l'élément polémique qui lui donne sa nuance propre y prédomine ou du moins s'y fait sentir à plus d'un égard. Du reste, il porte sur deux faits distincts, la nationalité judaïque dont se prévalaient les adversaires de Paul et qu'il revendique aussi pour lui, et puis le ministère apostolique lui-même. Quant au premier point, Paul, qui faisait fort peu de cas de pareils avantages (Phil. III, 7 suiv. Comp. Gal. III, 28. Col. III, II), pouvait facilement soutenir la comparaison avec les Juifs pur sang de Jérusalem (comp. Phil. III, 4 s.), parce que sa famille à lui aussi n'était point encore hellénisée. Mais il se borne ici à une simple affirmation. Il en est tout autrement du second point. Pour se dire ministre de Christ, il ne suffit pas de faire le voyage de Jérusalem à Corinthe muni d'une lettre de recommandation (chap. III, 1), il faut payer de sa personne. C'est un dur métier, si on le prend au sérieux. De là cette brillante énumération des incidents variés et surtout pénibles, pleins d'angoisses, de soucis et de dangers, de la longue carrière apostolique qu'il avait déjà traversée et qui continuait encore. La plupart des détails qui sont mentionnés ici en passant, nous sont complètement inconnus, et cette seule page nous révèle des lacunes innombrables dans la biographie de Paul, telle qu'on peut l'extraire du livre des Actes. C'est tout au plus si l'on y trouve deux ou trois faits auxquels il peut avoir été fait allusion ici (Actes XIV, 19; XVI, 22....). Le naufrage raconté au chap. XXVII des Actes est postérieur aux trois mentionnés dans notre texte. (Les trente-neuf coups venaient de ce que les Juifs, de peur de dépasser par inadvertance le nombre de quarante, prescrit par la loi du Deut. XXV, 3, avaient l'habitude d'en donner un de moins.) Aux souffrances physiques et aux dangers matériels, se joignaient encore les ennuis moraux, les fatigues de l'esprit; la sollicitude du pasteur de tant d'églises était constamment tenue en éveil par les rapports qui lui arrivaient, par les préoccupations que l'éloignement rendait plus impatientes. Les Corinthiens pouvaient en savoir quelque chose par les lettres mêmes qu'ils recevaient. Dans cette partie du texte il y a une tournure à la fois touchante et spirituelle: les faiblesses et les chutes des individus ou des communautés causent à l'apôtre des souffrances et des maladies. Il va sans dire qu'il veut parler de tourments moraux, mais en grec (dans le Nouveau Testament du moins), le même mot sert à désigner la faiblesse morale et la maladie, et le sens n'est ici bien rendu qu'autant qu'on ne néglige pas ce dernier élément.

En écrivant cette page, Paul avait dû, pour ainsi dire, passer en revue sa vie apostolique tout entière, bien que nous n'en voyions ici qu'un résumé bien décoloré, parce que les détails y manquent. Mais sa mémoire lui représentait ces derniers dans toute leur primitive vivacité. Aussi le voyons-nous, au moment où il finissait son énumération, s'arrêter avec complaisance à l'une des scènes que son imagination lui retraçait. C'est la toute première; la première aventure qu'il avait eue depuis sa conversion (Act. IX, 25). C'est comme s'il voulait dire: Mon ministère n'a point été une course facile et agréable, un jeu, un plaisir; le panier suspendu à la fenêtre de Damas m'en a donné l'avant-goût, et voilà vingt ans que cela dure!

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